Skip to main content

Full text of "Histoire de la procédure criminelle en France : et Spécialement de la procédure inquisitoire depuis le XIII. siècle jusqu'à nos jours"

See other formats


rfj«^ 


'►    ;V.v  S 


^"fr'' 


President  White    Library, 
Cornell  University. 


^.%C^h^<^ 


CORNELL  UNIVERSITY  LIBRARY 


924  067  622  070 


% 

«<j 

1 

K 

PtW 

1 

; 

V 

u,|as 

t 

! 

IP 

pr 

1 

^4 

n 

II' 

Wm'  « i 

i 

r 

L 

QlornFll  Slam  ^rl^nnl  ICibraty 


The  original  of  tiiis  book  is  in 
tine  Cornell  University  Library. 

There  are  no  known  copyright  restrictions  in 
the  United  States  on  the  use  of  the  text. 


http://www.archive.org/details/cu31924067622070 


Date  Due 

oHfWP« 

I998"0* 

y^^m 

Br4>«bS0 

I 

® 

23    233 

HISTOIRE 


PROCEDURE  CRIMINELLE 

EN   FRANCE 


tfb 


72.  c  n 


8«S.LE-DU<> 


HISTOIRE        "■'^''/■■^^'■'iv 


DB   LA. 


PIlOCEDim&  ^MMINELLE 

EN   FRANCE 

ET  SPECIALEMENT  DE  LA  PROCEDURE  INQUISITOffiE 

DEPUIS  LE  Xlll^  SI&CLE  JUSQU'A  NOS  JOURS 


A.^SMEIN 

PROPESSEUR   AGRESE  A    LA   FAODLTE    DE   DROIT   DE   PARIS 


OUVRAGE    COURONNE 
PAR    l'aCADEMIE    DES    SCIENCES    MORALES    ET    POLITIQUES 


.3 

(0 

1 

PARIS 

L. 

L.IROSE    ET    FORCEL 

Libraires  -  fiditeurs 

22,   RUE    SOUPFLOT,    22 

188  2 

h%9 


37] 


^ojz.  C  17 


PREFACE. 


L'ouvrage  que  nous  publions  a  ete  couronne> 
par  I'Academie  des  Sciences  morales  et  politiques. 
Nous  le  donnons  tel  h  peu  pres  qu'il  lui  fut  pre- 
sent^; nous  I'avons  simplement  soumis  a  un  tra- 
vail de  revision  pour  le  rendre  moins  indigne  de 
la  distinction  qu'il  a  obtenue  :  nous  avons  combl^ 
quelques  lacunes ,  complete  plusieurs  chapitres , 
retouche  certains  passages ;  enfin ,  nous  avons  pris 
un  nouveau  titre.  Lorsque  nous  presentames  notre 
m^moire  h  I'Academie,  au  mois  de  septembre  1880, 
nous  I'avions  intitule  :  Histoire  de  I'Ordonnance 
de  1670  et  de  la  procedure  inquisitoire  en  France. 
Le  titre  que  nous  lui  donnons  aujourd'hui  nous 


VJ  '  PREFACE. 

parait  mieux  indiquer  la  port^e  de  notre  travail , 
et  tracer  plus  exactement  ses  veritables  propor- 
tions. L'Academie  avait  mis  au  concours ,  pour  le 
prix  Bordin ,  le  sujet  suivant  :  «  Exposer  I'His- 
toire  de  rOrdonnance  criminelle  de  1670;  recher- 
cher  quelle  a  et^  son  influence  sur  I'administration 
de  la  justice  et  sur  la  legislation  qui  lui  a  succede 
k  la  fin  du  xviif  siecle.  »  Mais  la  fagon  dont  nous 
avons  congu  le  sujet  (et  nos  juges  nous  ont  donne 
raison)  d^passait  de  beau  coup  la  lettre  ,  sinon 
I'esprit  de  ce  programme.  Nous  avions  tache  d'ex- 
poser  et  de  justifier  notre  idee  dans  la  preface  que 
voici  : 

Faire  Fhistoire  d'une  loi  disparue ,  ce  n'est  pas  dire  seulement 
comment  elle  fut  redigee,  appliquee,  et  plus  tard  abrogee  :  il 
faut  encore  rechercher  I'origine  du  droit  qu'elle  contenait ;  il  faut 
se  demander  si  elle  n'a  rien  transmis  aux!  legislations  plus  jeunes 
qui  lui  ont  succede.  Ici,  comme  dans  le  monde  physique,  s'im- 
pose  la  necessite  des  filiations.  Quand ,  en  particulier,  il  s'agit 
d'un  Code  qui  a  longtemps  vecu ,  on  pent  affirmer  que  le  legis- 
lateur  a  trouve  autour  de  lui ,  epars  et  incomplets  peut-etre ,  les 
elements,  dont  il  a  compose  son  corps  de  lois;  il  a  donne  une 
forme  nouvelle,  il  a  reforme ,  mais  la  matiere  qu'il  faconnait  etait 
deja  creee. 

Cela  s'applique  exactement  a  I'Ordonnance  de  1670,  qui  fut  le 
Code  d'instruction  criminelle  de  I'ancienne  France.  Sous  son  em- 
pire, le  pays  vecut  pendant  cent  vingt  annees,  et,  en  realite,  elle 
n'introduisait  point  une  procedure  nouvelle.  Le  systeme  qu'elle 
r^glait  s'etait  lentement  forme  en  France,  comme  il  s'etait  deve- 


PREFACE.  vij 

loppe  chez  les  nations  voisines.  Sous  la  pression  continue  de 
causes  puissantes,  la  procedure  accusatoire,  orale  et  publique  du 
Moyen-Age  etait  peu  a  peu  devenue  inquisitoire,  ecrite  et  secrete. 
Cette  evolution ,  commencee  au  xiii°  siecle,  etait  terminee  au  xvi^ ; 
rOrdonnance  de  1539  avait  fixe  tous  les  points  importants  et  ar- 
rete  les  grandes  lignes.  Les  commissaires  de  Louis  XIV  ne  feront 
guere  que  preciser  le  droit  anterieur,  et  dans  les  conferences 
qui  precederent  la  redaction  de  rQrdonnance  de  1670,  on  a  soin, 
quand  un  article  «est  nouveau,  »  de  le  faire  observer.  Cependant 
I'Ordonnance  de  1670  ne  fut  point  une  simple  copie  d'un  tableau 
un  peu  terni  par  I'^ge ;  elle  innova  sur  certains  points ,  et  quel- 
ques-unes  de  ses  innovations  furent  des  rigueurs  nouvelles  ajou- 
tees  aux  anciennes  severites.  C'etaient  les  consequences  dernieres 
d'un  systeme  logiquement  deduit.  Toute  institution  tend  a  accu- 
ser avec  une  nettete  toujours  plus  grande  les  caracteres,  bons  ou 
mauvais ,  qui  font  son  originalite ;  c'est  comme  un  esprit  intime 
qui  la  pousse  en  avant :  Spiritus  intus  alit;  mais  il  est  une  tension 
extreme  qu'elle  ne  saurait  depasser  sans  se  briser.  Cette  derniere 
limite,  la  procedure  inquisitoire  I'atteignit  dans  I'Ordonnance  de 
1670 ;  desormais  pour  elle  la  croissance  est  fmie;  I'avenir,  Ci'est  le 
declin. 

L'Ordonnance  de  1670  fut,  avons-nous  dit,  le  Code  d'instruc- 
tion  criminelle  de  I'ancien  regime;  cette  idee  doit  nous  arreter 
un  instant.  Si  avant  elle  la  procedure  inquisitoire  ,  ecrite  et 
secrete,  s'etait  completement  developpee  deja,  les  Ordonnances 
n'en  avaient  fixe  que  les  principes  fondamentaux ;  elles  n'en 
avaient  point  determine  les  details.  Le  nouveau  Code  combla 
cette  lacune ;  et  pour  la  premiere  fois  la  loi  presenta  une  exposi- 
tion systematique  et  complete  de  la  procedure  criminelle.  Des- 
cendant jusqu'aux  menus  details ,  I'Ordonnance  regla  de  pres  la 
tache  du  juge;  c'est  meme  dans  ces  dispositions  pratiques,  dont 
plusieurs  ont  passe  textuellement  dans  nos  Codes ,  qu'apparait 
la  sagesse  des  commissaires  qai  I'ont  redigee. 

En  fixant  ainsi  la  procedure  criminelle,  I'Ordonnance  de  1670 


Viij  PREFACE. 

rimmobilisa  et  lui  assura  peut-Stre  une  plus  longue  duree.  Non- 
seulement  la  jurisprudence  avail  moins  de  prise  sur  elle  et  il 
fallait  la  main  du  legislateur  pour  la  mettre  en  pieces,  mais 
le  Code ,  qui  la  contenait ,  en  vieillissant  devenait  de  plus  en 
plus  venerable ,  et  nous  verrons  qu'aux  yeux  des  criminalistes 
du  xviii"  siecle  il  etait  entoure  d'une  inviolable  majeste. 

Comme  tous  les  Codes,  I'Ordonnance  de  1670  fit  naitre  une 
interpretation  savante  et  precise;  les  comnientaires  s'eleverent 
derriere  elle ;  la  jurisprudence  criminelle ,  toute  pratique  avant 
elle ,  devint  vraiment  scientiflque. 

Cependant  un  grand  travail  se  faisait  dans  les  esprits.  Les 
besoins  avaient  disparu ,  sous  I'empire  desquels  les  hommes  des 
xiv°,  xv°  et  xvi"  siecles  avaient  elabore  cette  forme  de  proces  : 
les  idees  qui  I'avaient  rendue  chere  aux  hommes  du  xvii"  siecle 
s'effacaient  aussi.  Un  nouvel  ideal  se  levait  au  fond  des  ames.  Le 
xviii"  siecle  s'est  appele  lui-meme  le  siecle  de  la  Raison ,  et  en 
effet,  c'est  a  la  raison  seule  qu'il  s'adressait  pour  juger  les  insti-  , 
tutions.  La  procedure  de  I'Ordonnance  lui  parut  absurde,  inique 
et  cruelle ,  des  lors  elle  etait  condamnee.  Avant  de  jeter  a  bas  le 
vieil  edifice,  on  le  repara  cependant;  les  edits  de  1780,  de  1788, 
la  loi  de  1789  conservent  I'ancienne  ossature.  Mais  depuis  bientot 
cinquante  ans  les  yeux  etaient  tournes  vers  i'Angleterre  :  c'est 
la  procedure  criminelle  anglaise,  surtout  la  procedure  par  jures, 
que  I'Assemblee  constituante  introduit  en  France ;  c'est  elle 
qu'organisent  successivement  la  loi  de  1791  et  le  Code  des  de^ 
lits  et  des  peines.  Cependant  la  lulte  n'etait  pas  finie  entre 
I'ancien  principe  et  le  nouveau.  Au  bout  de  quelques  annees, 
sous  I'influence  de  causes  que  nous  aurons  &,  etudier,  la  vieille 
tradition  rfeprend  son  empire.  L'Ordonnance  de  1670  est  bien 
pres  de  rentrer  dans  nos  lois ,  et  si  elle  reste  acquise  au  passe , 
elle  introduira  pourtant  dans  le  Code  d'instruction  criminelle 
la  portion  la  meilleure  de  ses  dispositions  et  quelques-unes  de 
ses  rigueurs. 

Tel  est  le  chemin  que  nous  nous  proposons  de  parcourir.  Notre 


PREFACE.  IX 

travail  se  divise  naturellement  en  trois  parties  :  la  procedure  cri- 
minelle  avant  I'Ordonnance  de  1670;  —  rOrdonnance  de  1670; 
—  les  lois  de  I'epoque  intermediaire  et  le  Code  d'instruction  cri- 
minelle. 

Dans  notre  premiere  partie ,  nous  ne  remontons  point  aux 
premieres  origines  de  la  procedure  criminelle  en  France;  nous 
partirons  du  xm°  siecle  :  a  cette  epoque  on  trouve  encore ,  intaCte 
dans  ses  grandes  lignes,  I'ancienne  procedure  accusatoire,  et 
les  premieres  formes  de  la  procedure  inquisitoire  se  developpent 
deja. 


Apres  ces  quelques  mots  d'introduction ,  on  nous 
permettra  de  reproduire  un  passage  du  rapport 
presents  sur  le  concours  a  I'Academie,  par  M.  Da- 
reste,  au  noni  de  la  section  de  Legislation;  et  nous 
exprimons  ici  a  I'eminent  rapporteur  toute  notre 
reconnaissance. 

«...  Reste  le  memoire  n°  2 ,  qui  I'emporte  de  beaucoup  sur  les 
trois  autreS ,  et  dans  lequel  le  sujet  propose  par  I'Academie  est 
traite  avec  une  grande  superiorite  dans  toutes  ses  parties.  Ce 
memoire  forme  un  volume  de  720  pages,  in-^",  et  porte  deux  de- 
vises dont  la  premiere  est  tiree  de  Virgile ,  et  dont  la  seconde  est 
empruntee  au  vieux  criminaliste  Ayrault. 

«  L'auteur  prend  la  procedure  inquisitoire  a  son  origine  au 
xni°  siecle;  il  montre  la  justice  royale  se  substituant  a  la  justice 
feodale,  la  poursuite  par  le  ministere  public  a  I'accusation  privee ; 
enfln ,  la  preuve  par  temoins  au  combat  judiciaire ,  au  serment, 
au  jugement  de  Dieu.  II  suit  et  apprecie  avec  autant  de  discerne- 
ment  que  de  savoir  le  developpement  historique  des  institutions 
criminelles,  et  arrive  ainsi  jusqu'a  I'Ordonnance  de  1670,  qui 


X  PREFACE. 

devait  en  etre  le  Code  definitif.  L'auteur  du  memoire  a  fait  de  la 
preparation  et  de  la  discussion  de  cette  Ordonnance  un  reeit 
exact  et  interessant.  II  a  analyse  ensuite  les  depositions  de  cette 
Ordonnance ,  en  s'attachant  a  faire  ressortir  le  caract^re  et  I'idee 
fondamentale  de  chaque  regie ,  sans  entrer  dans  les  details  et  les 
controverses ,  qui  conviennent  a  un  commentaire  pratique ,  nuUe- 
ment  a  un  expose  general  et  philosophique.  Le  memoire  repro- 
duit  avec  un  jugement  stir  et  une  remarquable  impartial! te  les 
attaques  successivement  dirigees  pendant  le  xvni"  siecle  contre  le 
systeme  de  I'Ordonnance.  Dans  la  derniere  partie  de  son  travail, 
qui  traite  des  lois  de  la  Revolution  et  de  I'instruction  criminelle, 
l'auteur  a  indique  ce  qu'a  exerce  d'influence  dans  la  legislation 
nouvelle  I'esprit  de  la  legislation  ancienne  qui  a  survecu  a  I'Or- 
donnance abolie  de  1670.  En  lisant  ce  memoire,  on  remarque 
constamment  la  sagesse  de  l'auteur  et  la  precision  de  sa  pensee. 
C'est  un  ouvrage  bien  compose  et  bien.ecrit,  exempt  de  toute 
declamation.  Le  snjet  y  est  traite  a  fond  et  conformement  au  desir 
de  I'Academie.  La  section  propose ,  sans  hesitation ,  de  lui  decer- 
ner  le  prix;  elle  propose,  en  outre,  d'accorder  une  premiere 
mention  honorable  au  memoire  n°  1 ,  et  uae  seconde  mention 
honorable  au  memoire  n°  3.  L' Academic  adoptant  les  conclusions 
de  1^  section,  decerne  le  prix  au  memoire  n"  2...  le  billet  annexe 
au  memoire  n"  2  est  decachete  et  fait  connaitre  comme  en  etant 
l'auteur  M.  Esmein,  agrege  a  la  Faculte  de  droit  de  Paris  (1).  » 

-  En  terminant  cette  preface,  disons  que,  dans 
tout  le  cours  de  notre  travail,  nous  avons  consulte 
un  certain  nombre  d'ouvrages  generaux,  que  nous 
citons  ici  en  note  (^^;  dorenavant  nous  ne  rappelle- 


(1)  Comples-rendus  de  I'Acadimie  des  Sciences  morales  et  poUtiques,  ffivrier-mars 
1881,  pp.  462,463. 

(2)  Ce  sont  :  d'abord  I'exposition  magistrale  qui  forme  le  premier  volume  dii 


PEifACE.  XJ 

rons  ces  ouvrages,  que  lorsque  nous  les  utiliserons 
sp^cialement.  On  verra  d'ailleurs ,  que  nous  avons 
tenu ,  autant  que  possible ,  a  citer  directement  les 
sources;  on  trouvera  meme  k  la  fin  du  volume 
quelques  textes  intdressants,  que  nous  avions  omis 
dans  notre  exposition. 


TraiU  de  I'instruction  criminelle,  par  M.  Faustin  H^lie.  —  Les  EUments  de  droit 
final,  par  M.  Ortolan.  —  AUard  :  Histoire  de  la  justice  criminelle  au  xvi«  siicle 
(Gaud,  1868).  —  Du  Boys  :  Histoire  du  droit  criminel  de  la  France,  depuis  le 
XVI'  jusqu'au  xixo  sUcle,  compari  avec  celui  de  I'ltalie,  de  I'AUemagne  et  de  I'An- 
gleterre,  1874.  —  Warnkonig  et  Stein  :  Franzosische  Staats-und-RechtsgescMchte, 
B41e,  1846.  —  Schaffaer  :  Geschichte  der  Rechtsverfassungs  Frankreichs.  2o  edition, 
1859. 


PREMIERE  PARTIE. 

LA  PROCEDURE  CRIMINELLE  EN  FRANCE 

Du  xni=  Au  xvn=  sHcle: 


TITRE  PREMIER. 

LES  JURIDICTIONS. 

GHAPITRE  PREMIER. 
Les  juridictions  rSpressives  au  Xllle  slScle. 


I.  Juridictions  seigneuriales ;  —  Les  gentilshommes  et  le  jugement  par  les  pairs; 
—  Les  homines  de  poe^te  et  les  serfs.  —  II.  Juridictions  royales  :  les  pro- 
vosts ,  les  baillis ,  le  parlement ;  —  III.  Juridictions  municipales ;  villes  de 
commune  et  d'Ochevinage ;  les  villes  du  Midi.  —  IV.  Juridictions  ecclesias- 
fiques. 

Au  xiii"  siecle  les  juridictions  se  divisent  en  deux  classes  : 
d'un  c6te  les  juridictions  laiques ,  justices  seigneuriales ,  justices 
du  roi  et  des  communes ;  —  et  d'autre  pari  les  juridictions  eccle- 
siastiques,  les  cours  de  chretiente,  comme  on  disait  alors.  Tons 
ces  tribunaux  administrent  a  la  fois  la  justice  civile  et  criminelle. 


I. 

La  justice  etait  devenue  patrimoniale  en  France  :  c'est  la  I'un 
des  traits  caracteristiques  de  la  feodalite ;  ce  sera  encore  I'une 
des  maximes  de  Loysel  (1).  Les  nombreuses  justices  seigneuriales 
se  divisaient  alors  en  justices  hautes  et  basses  (2) ;  plus  tard  appa- 
rsjtra  un  echelon  intermediaire ,  les  moyennes  justices.  Cette 
division  avait  surtout  de  rimportance  au  point  de  vue  du  droit 
penal.  Les  cas  graves  etaient  reserves  a  la  haute  justice;  et  celle- 

(1)  Imtit.  Coutum.,  1.  II,  tit.  ii,  max.  40. 

(2)  Beaumanoir  :  Coutumes  de  Beamioisis,  Edition  Beugnot ,  lviii  ,  2 ;  Mtablisse- 
ments  de  S.  Louis,  I,  31;  Livre  de  Jostice  et  de  Plet,  Edition  Rapetti,  liv.  II, 
tit.  S,  §  1.  «  De  cas  de  haute  justice  et  de  haronie.  » 


4  LA.  PROCEDURE   CRIMINELLE 

ci  en  principe  n'appartenait  qu'4ux  fiefs  titr6s ,  descendant  ainsi 
generalement  jusqu'aux  baronies  (1). 

La  juridiction  du  seigneur  justiciar  s'exergait  sur  ses  vassaux 
d'abord ,  puis  sur  tous  ceux  qui  «  couchaient  et  levaient ,  »  c'est- 
a-dire  qui  residaient  sur  les  terres  de  la  seigneurie  (2).  Gela  com- 
prenait  trois  classes  de  personnes ,  les  vassaux  nobles ,  les  hom- 
mes  libres  non  nobles  et  les  serfs ;  et  les  regies,  d'apres  lesquelles 
la  justice  leur  etait  administree ,  n'etaient  point  les  memes  pour 
tous. 

Les  vassaux  en  devenant  les  «  hommes  »  du  seigneur  justicier, 
en  venant  a  son  hommage ,  ne  s'etaient  point  mis  a  sa  discretion. 
Ce  n'etait  pas  lui  qu'ils  avaient  pour  juge ;  chacun  d'eux  devait 
etre  juge  par  ses  pairs ,  c'est-i-dire  par  ceux  qui  tenaient  des 
fiefs  du  meme  seigneur.  Le  justicier  pouvait  presider  lui-mSme 
la  cour  feodale  ou  la  faire  presider  par  son  prev6t  (3) ;  mais  c'e- 
taient  les  vassaux  assembles  qui  rendaient  le  jugement  :  « il  con- 
vient  que  les  seigneurs  fassent  juger  par  autres  que  par  eux , 
c'est  a  savoir  par  leurs  hommes  feodaux ,  et  a  leur  semonce  et 
conjure  (4).  »  C'est  la  le  principe  vrai  du  jugement  par  les  pairs, 
et  il  est  atteste  par  des  textes  nombreux  (5) ;  il  s'appliquait  meme 
au  cas  ou  le  seigneur  intentait  un  proces  a  I'un  de  ses  hommes  : 

(1)  Stabl.  S.Louis,  I,  24,  25,  Beaumanoir,  xxxiv,  41.  Cf.  Ancien  coutumier 
inidit  de  Picardie ,  6dit.  Marnier,  ch.  xaiii:  Ascavoir  quels  amende  uns  horns  doit 
quant  il  s'avoue  a  avoir  toute  justiche  en  I  lieu  ou  il  n'a  fors  viscomti. 

(2)  Cf.  M.  Fustel  de  Coulanges  :  De  I'organisation  de  la  justice  dans  Vantiquiti 
et  les  temps  modernes.  (Revue  des  Deux-Mondes,  lor  aoilt  1871,  p.  S40.)  —  Mably, 
Considerations  sur  I'histoire  de  France,  liv.  Ill,  chap.  in.  (Genfeve,  1765,  torn.  II, 
p.  36.) 

(3)  Beaumanoir,  cli.  i;  Livre  de  Jostice  et  de  Plet,  i,  17,  §  4. 

(4)  Beaumanoir. 

(5)  «  Li  homme  qui  sont  homme  de  fief  font  les  jugements. »  Beaum.,  i,  13 ;  — 
«  Li  homme  doivent  jugier  I'un  I'autre. »  {Id.,  i,  15.)—  «  Et  puis  vendra  a  droit  le 
querele  au  jugement  de  ses  pers.  »  {Id.,  x,  2.)  —  «  Li  hers  est  appel6s  en  la  cort  le 
Roy...  et  il  die...,  je  ne  vuel  estre  de  ceste  chose  jugii,  si  par  mes  pers  non.  » 
Etabliss.  de  S.  Louis.,  I,  71 ;  —  «  Nous  devons  savoir  que  les  barons  doivent  estre 
jugifis  par  leurs  pers.  »  Grand  coutumier  de  Hormandie,,  ch.  ix  (edit.  Bourdot  de 
Richebourg).  Livre  de  Jostice,  xvii,  4.  «  Dues,  contes,  barons,  ne  devent  pas 
estre  tret  en  plet  devant  prevost,  dou  fat  de  lor  cors,  ne  de  lor  demeine  :  quar 
chascune  tele  persone  ne  doit  estre  jugiez  que  par  le  roi,  qui  li  doit  foi,  ou  par 
ses  pers.  » 


DU  XIIP  AU  XVII°   SliCLE.  8 

« tex  quereles ,  dit  Beaumanoir,  pot  et  doit  li  baillis  bien  metre 
en  jugement  des  homes ,  car  de  teles  quereles  doit  li  quens  user 
entre  ses  souges,  selonc  le  coustume  que  11  homes  usent  entre  lor 
souges  (1).  »  A  de  certains  jours,  fixes  par  I'usage,  se  tenaient  les 
assises  feodales ;  en  cas  d'urgen'ce  on  pouvait  aussi  rassembler 
promptement  les  jugeurs  (2). 

Si  les  deux  parties  etaient  les  vassaux  de  seigneurs  differents, 
le  defendeur  au  moins  etait  assure  d'etre  juge  par  ses  pairs  au 
sens  strict  du  mot  (3).  Cependant  cette  garantie  pouvait  parfois 
manquer  au  miles  feodal.  S'il  etait  pris  en  flagrant  delit  sur  les 
terres  d'une  justice  etrangere,  c'etait  la  qu'il  etait  juge  (4),  et 
mSme  si  le  noble  habits  non  sur  son  fief,  mais  sur  les  domaines 
d'un  justicier  etranger  dont  il  n'est  point  le  vassal ,  en  matiere 
criminelle  il  devient  le  justiciable  de  ce  seigneur,  a  la  cour  du- 
quel  il  ne  trouve  point  ses  pairs  (5). 

II  s'agit  maintenant  d'un  homme  libre  non  noble,  d'un  de 
ceux  que  les  textes  appellent  «  hommes  de  poeste ,  vilains ,  rotu- 
riers,  coutumiers,  ostes;  »  «  ilcouche  et  il  leve  »  sur  les  terres 
d'un  seigneur  justicier ;  comment  sera-t-iljuge? 

L'homme  dont  il  s'agit  n'est  point  un  vassal;  ce  n'est  point 

par  I'hommage  volontaire  qu'il  est  entre  dans  la  hierarchie  feo- 

dale.  II  est  sous  la  puissance  du  seigneur,  homo  potestatis ,  et  il 

n'a  pas  de  pairs.  II  sera  done  juge  par  les  vassaux  qui  com- 

posent  la  cour  feodale ,  ou  meme  le  seigneur  pent  le  faire  juger 

J 
(1)  Beaam.,  i,  15. 

{2)Beaum.,i,  21,  3S, 

(3)  Mably,  Observations,  1.  Ill ,  ch.  3,  torn.  II,  p.  38  :  «  C'6tait  a  ces  assises 
que  se  portaient  les  affaires  qu'avaient  entre  eux  les  vassaux  d'une  mSme  sei- 
gneurie ,  quand  ils  pr^Kraient  la  voie  de  la  justice  a  celle  de  la  guerre  pour  ter- 
miner leurs  difffirends,  et  les  procfes  que  leur  intentait  quelque  seigneur  etran- 
ger, car  c'6tait  alors  une  rdgle  invariable  que  tout  defendeur  fflt  jug6  dans  la 
cour  de  son  propre  seigneur.  »  Nous  ne  parlerons  point  dans  ce  rapide  aperfu 
desguerres  privies.  Sur  cette  institution  si  curieuseonpeutconsulter  dans  Beau- 
manoir les  chapitres  des  guerres,  des  trives  et  des  asseuremenk. 

(4)  Beaum.,  xxx,  83  :  «  Nus  ne  r'a  se  cortd'omme  qui  est  pris  en  present  mef- 
fait,  soit  en  m€l£e,  soit  en  damace  faisant  d'autrui,  ancliois  appartient  la  connis- 
sance  au  seigneur  en  qui  tere  le  prise  esttfete.  » 

(5)  C'est  le  principe  d'apris  lequel  chacan  doit  &tie  «justici6  de  son  corps  la 
oil  il  couclie  et  il  leve.  »  Beaum.,  x,  4;  lviii,  11;  Etahl.  S.  Louis,  II,  13,  32» 
—  Voy.  Brussel,  Usage  des  fiefs,  torn.  I,  p.  230. 


6  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

directement  par  son  bailli  ou  son  prev6t.  Cost  la  un  principe 
qu'etablissent  de  nombreux  textes  :  «  Li  homme  doivent  jugier 
I'un  I'autre  et  les  quereles  du  commun  peuple  (1).  »  «  Les 
barons  doivent  etre  jugies  par  leurs  pers  et  les  autres  par  tons 
ceux  qui  ne  peuvent  estre  ostes  de  jugement  (2).  »  Aussi  le 
vilain  etait-il  a  la  discretion  du  seigneur  justicier  lorsqu'un 
differend  s'elevait  enlre  eux  :  «  par  nostre  usage  n'a  il,  entre  toi 
et  ton  vilain ,  juge  fors  Deu ,  tant  qu'il  est  tes  couchans  et  tes 
leVans,  s'il  n'a  autre  lois  vers  toi  que  la  commune  (3).  » 

Cependant  le  roturier  pouvait  parfois  conquerir  le  benefice  du 
jugement  par  les  pairs ,  lorsque  le  seigneur  lui  concedait  ce  droit 
par  un  titre  formel ,  par  une  «  loi  privee  »  (4).  Parfois  aussi  une 
coutume  locale  aasuraitcet  avantage  a  tous  les  hommes  depoeste 
d'un  canton.  L'Ancien  coutumier  de  Picardie,  publie  par  M.  Mar- 
nier, en  ofTre  des  exemples  (5) ;  Bouteiller  atteste  ce  fait  dans 
plusieurs  passages  (6).  Gela  devait  toutefois  6tre  assez  rare  (7); 
dans  ce  cas  les  jugeurs  etaient  d'autres  vilains,  tenanciers  du 
seigneur. 

Le  vilain  pouvait  aussi  avoir  des  pairs  d'une  autre  facon.  A 

(1)  Beaum.,  i,  15. 

(2)  Grand  coutumier  de  Normmdie,  ch.  9  (Bourdot  de  Riohebourg).  Le  texte 
latiQ  coanu  sous  le  nom  de  Somma  de  legibus  Normannice ,  n'est  pas  moins  net  : 
«  Baroaes  autem  per  pares  suos  debent  judicari;  alii  ver6  per  eos  qui  non  pos- 
sunt  ajudiciis  amoveri.  »  {Somma  1,  10,  13,  dans  Ludewig  :  Reliquim  manu- 
scriptorum  omnis  avi,  torn.  VII,  page  175.) 

(3)  Pierre  de  Fontaines.  Conseil,  xix,  8  {Edit.  Marnier). 

(4)  De  Fontaines,  xxii,  3. 

(5)  Ch,  I  (p.  2);  ch.  li.  Se  j'ugemens  fais  par  hommes  de  poeste  est  boinz,  ou 
non,  et  se  il  pent  jugier  de  VII  sols  VI  deniers  :  «  bien  est  prouv6  par  bons  tes- 
moins  que  li  homme  de  le  dite  court  sent  en  saizine  de  conoistre  et  de  jugier  en 
cas  de  catel.  »  Le  droit  de  juger  se  restreint  ici ,  on  le  voit ,  aux  causes  civiles 
de  peu  d'importance. 

(6)  Somme  rurale,  L.  I,  tit.  32  (6dit.  Carondas)  :  «  Cour  laie...  soient  les  hom- 
mes ou  vassaux  du  seigneur  temporel  dudit  territoire,  eschevins,  assesseurs, 
conseillers  ou  autres  juges  ordinalres  appel^s ,  ou  par  eux ,  ou  aucun  d'entre  eux 
selon  la  coutume  ou  commune  observance,  ou  de  juges  hostes  ou  cottiers.  »  — 
Ibid.,  I,  13  :  «  Juges  qui  jugent  a  semonce  de  seigneur,  comme  d'honimes  de  fief, 
ou  d'eschevins ,  ou  d'Aommes  censiers,  qui  jugent  &  conjure  du  seigneur  ou  de  son 
baillif.  » 

(7)  Sur  tous  ces  points ,  vpyez,  parfois  en  sens  different ,  M.  Fustel  de  Coulan- 
ges  :  L'organisationjudidaire.  (fiesue  des  Deux-Mondes,  ler  ao<lt  1871,  p.  S40,  sqq.) 


DU  XIII°  AU  XVn'  SIECLE.  7 

partir  du  moment  oil  il  put  acheter  des  fiefs,  s'il  residait  sur 
son  franc-fief,  tout  au  moins  pour  les  proces  qui  concernaient 
cette  terre,  il  ne  pouvait  etre  juge  que  par  les  autres  vassaux, 
tenant  des  fiefs  du  meme  seigneur  que  lui-meme  (1).  II  est 
probable  qu'il  pouvait  revendiquer  le  meme  privilege  dans  les 
proces  criminels  intentes  centre  lui.  Pierre  de  Fontaines  declare 
en  effet  en  termes  generaux  que  «  la  franquise  des  personnes 
n'affranquit  pas  les  heritages  vilains ,  mes  li  frans  fies  franquise 
le  personne  qui  est  de  poeste;  en  tant  comme  il  est  couquans  et 
levans,  il  use  de  le  franquise  du  fief  (2).  » 

Le  serf  etait  traite  plus  mal  encore  que  I'homme  de  poeste. 
Centre  le  seigneur  il  n'avait  aucun  recours ;  car  il  semble , 
qu'alors  meme  que  celui-ci  n'etait  pas  justicier,  il  ne  pouvait 
pas  le  traduire  en  justice  (3).  Gependant  il  est  probable  que 
dans  les  cas  tres-graves  on  s'etait  depart!  quelque  pen  de  cette 
rigueur  :  «  L'en  ne  doit  pas  serf  semondre  (citer  en  justice)  son 
segnor,  se  n'est  por  sa  cruaute  (i).  »  Lorsque  les  serfs  etaient 
poursuivis  par  les  tiers,  et  ils  pouvaient  I'etre,  leur  condition 
etait  au  point  de  vue  judiciaire,  semblable  a  celle  des  vilains, 
mais  il  n'est  point  certain  qu'ils  pussent  citer  en  justice  de 
Tranches  personnes.  Bouteiller  s'exprime  encore  ainsi  :  «  Si  est 
a  scavoir  qu'en  demandant  en  cor  laie  n'est  a  recevoir  homme 
de  serve  condition  centre  homme  de  franche  condition ,  s'il  n'es- 
toit  par  adventure  autorise  du  prince  (S).  »  Dans  Beaumanoir 

(1)  «  Nus  ne  doit  douter  se  li  hons  de  poeste  tient  fief  de  son  droit ,  et  aucun 
plSde  a  li  de  ce  que  au  fief  apartient,  que  il  ne  doie  estre  dements  par  ses  pers, 
aussi  comme  s'il  estoit  gentilhons.  »  Beaum.,  xlviii,  11. 

(2)  Conseil,  iii,  4,  5,  6.  Beaumanoir  d'ailleurs  paralt  formel.  Voy.  chapitre  Des 
meffH,  XXX,  44  :  «  Se  hons  de  poeste  maint  en  franc  fief,  il  est  demenes  comme 
gentixhons ,  comme  des  Eyornemens  et  des  commandemens  et  por  uzer  des  fran- 
chises du  fief. »  I 

(3)  Beaum.,  xiv,  31  :  «  Lor  sires  pot  prendre  quanque  il  ont  a  mort  eta  vie, 
et  lor  cor  tenir  en  prison  toates  les  fois  qu'il  lor  plet ,  soit  a  tort  soit  a  droit, 
qu'il  n'en  est  tonus  k  r^pondre  fors  a  Dieu.  » 

(4)  Livre  de  JosUce  et  de  Plel,  u,  15,  §  2. 

(5)  Somme  rur.,  I,  tit.  9  (Sdit.  Carondas,  1612,  p.  42) ;  —  Cf.  Privilege  royal  de 
1138  en  fayeur  des  serfs  de  I'abbaye  de  Saint-Maur  (Isambert  :  Anciennes  his 
frangaises,  torn.  I,  p.  134).  Les  textes  du  Moyen-Age  parlent  parfois  de  servi  jit- 
dices  crfies  par  le  seigneur.  Voy.  Cartulaire  de  BeauUeu,  l  (p.  92)  :  «  Sic  per 
omnes  curtes  sive  villas  imponimus  judices  servos.  »  II  s'agit  Ik  de  pr6pos6s ,  qui 


8  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

nous  trouvons  seulement  que  le  serf  ne  peut  point  provoquer  au 
duel  judicialre  une  franche  personne  (1). 

On  le  voit ,  le  jugement  par  les  pairs  n'etait  point  une  regie 
generale  de  la  justice  du  monde  feodal.  C'etait  simplement  une 
consequence  du  vasselage ,  et  cela  constituait  un  privilege  pour 
les  hommes  de  fief.  La  grande  foule  des  roturiers  et  des  serfs 
ne  pouvait  point  invoquer  ce  principe  tutelaire.  Nous  tenions  a 
constater  ce  point;  car  plus  tard,  dans  la  suite  de  cette  etude, 
nous  verrons  apparaitre  le  jugement  par  jures  du  monde  mo- 
derne ,  et  nous  verrons  aussi  qu'on  a  voulu  le  rattacher  a  la  pro- 
cedure feodale,  a  I'ancien  jugement  par  les  pairs  :  il  est  difficile 
de  concilier  cette  idee  avec  les  faits  que  nous  venons  d'exposer. 

Le  service  de  cour  etant  tres-dur  pour  les  vassaux ,  le  jugement 
par  les  pairs,  des  le  xiii°  siecle,  tendait  a  disparaitre  (2).  En  bien 
des  lieux,  les  nobles ,  comme  les  roturiers ,  etaient  deja  juges  par 
le  bailli  :  «  II  y  a  aucuns  liex  la  u  on  fait  les  jugemens  par  le 
bailli  et  autre  liu  la  u  li  homme  qui  sunt  home  de  fief  font  les 
jugemens  (3).  »  A  la  fin  du  xiv^  siecle ,  Bouteiller  connait  encore 
les  jugements  faits  par  les  hommes ,  mais  dans  son  livre  ils  sent 
indiques  plutot  comme  une  exception  que  comme  constituant 
le  droit  commun ;  le  xv'  siecle  les  fera  completement  dispa- 
raitre. 

D'ailleurs  le  principe ,  d'apres  lequel  le  seigneur  justicier,  ou 
le  juge  a  qui  il  deleguait  son  pouvoir,  ne  pouvait  point  statuer 
seul ,  ne  disparut  point.  L'usage  forga  le  juge  d'appeler  «  a  son 
conseil  »  des  praticiens  exerces;  c'etait  la  quelque  chose  qui 
rappelait  le  concilium  des   magistrals  remains;  «  es  liex,  dit 

Beaumanoir,  ii  les  baillis  font  les  jugemens (li  baillis)  doit 

appeler  a  son  conseil  des  plus  sages  et  fere  le  jugement  par  lor 
conseil  (i).  » 

gtoferalement  Staient  des  agents  flscaux;  la  pifece  citfie  du  Cartulaire  de  Beaulieu 
debute  ainsi  :  «  In  istis  vero  curtibus  servos  vicarios  debemus  imponere  ut  fide- 
liter  exigant  servitia  dominis  suis.  » 

(1)  Beaum.,  lxiii,  1. 

(2)  Voyez  Montesquieu,  Esprit  des  lois,  liv.  XXVIII,  oh.  72;  —  Cf.  M.  Fustel 
de  Coulanges,  loc.  cU.,  p.  S45,  ssq. 

(3)  Beaum.,  i,  13. 

(4)  Beaum.,  i,  13;  cf.  6tabl.  S.  Louis,  II,  15.  Voyez  en  particulier  ce  que 


^ 


DU  XIII"  AU  XVII*  SIECLE. 


II. 


Le  roi,  a  rorigine  de  la  feodalite,  n'avait  juridiction  que  sur  les 
terres  composant  le  domaine  royal;  et  la  il  rendaitla  justice  au 
meme  titre  et  seloa  les  mSmes  formes  qu'un  seigneur  justicier 
dans  sa  seigneurie.  Mais  cette  juridiction  grandissait  toujours  en 
meme  temps  que  le  domaine  de  la  couronne  et  la  puissance 
royale ;  un  organisme  puissant  se  creait  pour  la  servir. 

Le  roi  dans  ses  domaines  eut,  des  le  debut,  des  prevots,  comme 
en  avaient  les  seigneurs ;  ce  sont  les  «  propositi  in  potestatibus 
nostris  »  dont  parle  le  document  de  1190  connu  sous  lenom  de 
Testament  de  Philippe-Auguste.  Selon  la  loi  des  fitats  commen- 
cants ,  les  prevSts  reunissaient  dans  leurs  mains  I'administration 
et  la  justice.  Comme  juges  ils  statuaient  sur  les  proces  ou  les 
roturiers  etaient  parties,  peut-etre  a  I'origine  tenaient-ils  aussi 
des  assises  feodales  (1).  A  mesure  que  la  royaut6  etendait  ses 
domaines,  le  nombre  des  prev6tes  augmentait.  D'apres  Brussel, 
avant  1202,  il  y  avait  49  prevotes  royales;  il  montre  aussi  avec 
quelle  rapidite  s'accrut  leur  nombre. 

Les  baillis  sont  les  officiers  superieurs  de  la  royaute.  Pour 
trouver  I'origine  de  cette  fonction  on  est  parfois  remonte  tres- 
haut.  Pasquier,  remarquant  qu'ils  surveillaient  les  prevots  et 
tenaient  des  assises  ambulatoires ,  voit  en  eux  les  successeurs 
des  missi  dominici  carlovingiens  (2) ;  mais  une  trop  grande  solu- 
tion de  continuite  separe  les  deux  institutions  pour  qu'un  rac- 
cord  soit  possible.  11  est  probable  que  ce  fut  seulement  un  besoin 
nouveau  de  r^gularite  et  de  centralisation  qui  fit  creer  les  baillis. 
lis  apparaissent  pour  la  premiere  fois  d'une  fagon  certaine  dans 
I'ordonnance  de  Philippe- Augugte  de  1190  (3),  mais  ils  existaient 

nous  reldverons  plus  loin  a  cet  figard  dans  le  Registre  crimmel  dm,  Chdtelet  de  Pa- 
ris (A.  1389-1392). 

(1)  Voyez  le  chapitre  du  Livre  de  Jostice  et  de  Plet  intitule  :  De  I'office  au 
prMt. 

(2)  Recherches  de  la  France,  1.  II ,  ch.  xiv. 

(3)  Isamhert,  I,  p.  179. 


y^ 


10  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

sans  doute  auparavant  (1).  Avant  eux,  la  surveillance  des  prevSts 
appartenait  peut-etre  au  senechal  de  France  (2) ,  et  ce  fut  seule- 
ment  lorsque ,  le  domaine  s'agrandissant ,  il  devint  necessaire  de 
porter  la  surveillance  sur  les  lieux ,  qu'on  crea  las  baillis.  De 
meme ,  lorsque  la  royaute ,  apres  la  guerre  contre  les  Albigeois , 
acquit  de  grandes  possessions  dans  le  Midi ,  on  crea  sous  le  nom 
de  sdnichaux  dea  officiers  pour  remplir  les  memes  fonctions  (3). 
Dans  la  suite ,  des  que  les  possessions  de  la  couronne  devenaient 
importantes  dans  une  region,  il  y  etait  nomme  un  bailli;  lors- 
qu'un  grand  fief  etait  reuni,  il  etait  divise  en  bailliages. 

Les  baillis  avaient  pour  fonction  principale  de  tenir  des  assises 
solennplles  dans  les  principales  villes  de  leur  ressort.  «  Assise, 
dit  Bouteiller,  est  une  assemblee  de  sages  juges  et  officiers  du 
pays  que  fait  tenir  ou  tient  le  souverain  bailli  de  la  province. 
Et  y  doivent  etre  tous  les  juges,  baillifs,  lieutenants  et  autres 
officiers  de  justice  et  prevote  royal,  sur  peine  de  I'amende... 
Et  doit  estre  I'assise  publiee  par  toutes  les  villes  ressortissant 
a  ladite  assise  par  sergent  et  commission  du  baillif ,  les  lieux  et 
les  jours  de  presentation,  et  doit  le  dit  baillif  souverain,  selon 
les  ordonnances  royaux  tenir  ses  assises  de  trois  mois  en  trois 
mois...  En  assise  doibvent  estre  tous  procez  decidez  si  faire  se 
pent  bonnement ,  tout  crime  connu  et  pugny,  tout  bannissement 
accompli...  Si  doit  estre  chascun  ouy  en  sa  complainte  soit  sur 
nobles  non  nobles,  soit  sur  officiers,  sergents  ou  autres...  et  est 
entendue  assise  aussi  comme  purge  de  tous  faiz  advenuz  au 
pays...  aussi,  ne  doibt  estre  assise  tenue  en  nulle  terre  fors  en 
laterre  oii  le  souverain,  de  par  qui  I'assise  est  tenue,  a  justice 
sans  moyen.  Car  en  autre  terre  ne  la  pent  ne  doibt  tenir  le  sou- 
verain baillif...  Car  en  terre  d'autre  seigneur  ne  les  peut  ne 
doibt  tenir  (4).  »  Nous  avons  cite  ce  passage  tout  au  long,  car 

(1)  Voy.  Pardessus  :  Essai  historique  sur  I'organisation  judiciaire  en  France , 
p.  242,  ssq. 

(2)  Voy.  Brussel,  op.  oit.,  torn.  I,  p.  507;  Lettres  historigues  sur  les  fonctions 
essentielles  du  Parlement,  sur  les  droits  des  pairs  et  sur  les  loix  fondamentaks  du 
royaume.  Amsterdam,  17S4,  torn.  II,  p.  28.  N'o  f. 

(3)  Pour  la  synonymie  des  deux  termes  Bailli  et  Sinichal,  Voy.  Bouteiller 
Somme  rurale,  I,  ch.  iit,  p.  9. 

(4)  Somme  rurale,  1,  oh.  iii ,  p.  9. 


DU  XIII'  AU  XVn°   SIECLE.  H 

il  nous  parait  instructif :  il  montre  qu'avant  tout  les  baillis  de- 
vaient  recevoir  les  plaintes  contre  les  officiers  royaux  et  infe- 
rieurs,  el  au  besoin  reformer  leurs  jugements.  On  pouvait  aussi 
porter  devant  eux  toutes  les  causes  qui  etaient  du  ressort  des 
prevdts  royaux;  bient6t  meme  les  crimes  les  plus  graves,  ceux 
qu'on  appela  les  cas  royaux,  leur  furent  reserves. 

Mais  les  baillis  jouaient  aussi  un  autre  role  dans  leurs  assises. 
Quand  il  etait  reuni  i  la  couronne  un  fief  dont  relevaient  des 
arriere-vassaux,  le  roi,  qui  succedait  a  I'ancien  suzerain,  devait 
encore  assembler  ces  gentilshommes  en  cour  feodale  pour  qu'ils 
se  jugeassent  les  uns  les  autres.  Bien  evidemment  ce  n'etait  pas  le 
monarque  qui  les  presidait  alors ;  c'etait  son  bailli,  cela  se  passait 
dans  I'assise  (1).  Les  deux  sortes  de  justice  etaient  administrees 
c6te  a  cote,  dans  la  m^me  solennite  judiciaire;  une  confusion 
devait  ^  la  longue  s'operer  entre  elles,  et  ce  fut  encore  1^  une  des 
causes  qui  haterent  la  disparition  des  hommes  jugeurs.  De  ce 
droit  primitif  il  resta  pourtant  un  vestige ,  que  reproduira  encore 
I'ordonnance  de  1670  :  en  matiere  criminelle,  les  gentilshommes 
n'etaient  pas  jusliciables  des  prevots,  mais  seulement  de  ces  bail- 
lis, qui  avaient  autrefois  preside  les  assises  feodales.  Plus  tard , 
au  moyen  de  la  theorie  de  I'appel,  les  baillis  royaux  etendirent 
leur  autorite  sur  les  justices  seigneuriales. 

Le  dernier  elage  des  juridictions  royales  etait  le  Parlement. 
C'est  encore  la  une  institution  dont  on  a  cherche  bien  loin  I'ori- 
gine.  Pasquier  I'apercoit  dans  les  champs  de  Mai  de  I'epoque 
franque,  lesquels  pourtant  n'avaient  point  d'attributions  judi- 
ciaires;  d'autres  I'ont  trouvee  dans  le  tribunal  du  palais,  la  Curia 
regis,  des  rois  francs,  et  cette  opinion,  sans  etre  absolument  exacte, 
contient  une  grande  part  de  verite  (2).  Ce  qui  est  vrai,  c'est  que, 
comme  les  baillis,  le  Parlement  jouait  un  double  role; 
Le  roi  formait  le  dernier  terme  de  la  hierarchie  feodale,  n'ayant 

(1)  Voyez  ordonnance  de  1277,  ch.  30  (Ord.,  1. 1,  p.  355;  Isambert,  I,  p.  665) : 
«  Cbascua  bailtif  en  qui  court  Ton  juge  par  homme  contreigne  les  hommes  au  plustdt 
qu'il  pourra  k  juger  les  choSes  demenSes  par  devant  eux.  »  Cf.  M.  Fustel  de 
Coulanges  :  L'Organisation  judiciaire.  (Revue  des  Deux-Mondes,  i"  aodt  1871, 
p.  540,  ssq.) 

(2]  Yoy.  M.  Beugnot  :  Olim,  introduction,  passim;  Pardessus  :  Organisation 
judiciaire,  p.  20,  ssq;  cf.  Letlres  hiiloriques  sur  les  Parlements,  tome  I,  passim. 


12  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

lui-mSme  d'autre  suzerain  que  Dieu,  comma  diront  les  juristes  (1). 
II  avail  par  suite  des  vassaux  immediats,  en  tant  que  roi  de  France, 
ceux  qui  tenaient  immediatement  de  lui  un  fief  litre ,  les  seuls 
d'ailleurs  qui  se  reconnussent  ses  hommes  (2).  Ceux-la,  en  vertu 
du  principe  du  jugement  par  les  pairs,  devaient  former  une  cour 
feodale,  pour  se  juger  les  uns  les  autres;  cette  coiir  s'appela  tou- 
jours  la  Cour  des  pairs. 

Mais  d'autre  part  le  roi  devait  surveiller  ses  officiers ;  il  devait 
controler  les  baillis ,  comme  ceux-ci  contr61aient  les  pr6v6ts ,  et 
recevoir  les  plaintes  que  leurs  actes  soulevaient.  Pour  statuer 
sur  ces  points  il  s'entourait  d'un  conseil  oii  flguraient  les  grands 
officiers  de  la  couronne ,  les  principaux  prelats  ,  les  grands  vas- 
saux, etc.  :  c'etait  la  Curia  regis  proprement  dite. 

En  droit,  il  y  avait  la  deux  domaines  separes  (3).  En  fait  il 
ne  pouvait  y  avoir  la  deux  institutions  distinctes  :  «  Je  ne  con- 
nais ,  dit  Pardessus ,  aucun  document  ni  aucun  temoignage  his- 
torique  sur  1' existence  simultanee  de  ces  deux  cours  distinctes 
toutes  deux  presidees  par  le  roi  a  deux  litres  differents....  La 
seule  chose  qu'ils  nous  apprennent ,  c'est  que  le  vassal  Iraduit 
devant  la  cour  de  son  suzerain  avait  le  droit  d'exiger  qu'on  y 
appelolt,  s'il  ne  les  y  trouvait  pas,  un  certain  nombre  de  vassaux 
de  meme  rang  que  le  sien,  ses  pairs...  mais  les  autres  membres 
de  la  cour  qui  n'avaient  pas  ce  rang  ne  cessaient  pas  d'en  faire 
parlie ,  ils  conservaient  le  droit  de  juger ;  en  un  mot ,  la  cour 
etait  renforcee  par  les  pairs  du  defendeur ;  elle  ne  s'effacait  pas 
devant  eux  pour  leur  laisser  le  jugement  d'une  maniere  exclu- 
sive. C'est  ce  qui  est  tres-bien  explique  dans  les  J^tablissements 
de  saint  Louis ,  en  ces  termes  :  «  Se  li  bers  est  apeles  en  le  cort 

(1)  Etablissements  de  S.  Louis,  I,  78.  —  Livre  de  Jostice,  i,  16,  §  1  :  «  Li  rois 
ne  dolt  tenir  de  nuil ettuit  sont  soz  la  main  au  roi.  » 

(2)  Joinville,  §  14  (Edition  de  Wailly) :  «  Li  rois  manda  ses  barons  a  Paris,  et 
leur  fit  fere  sermeut.que  foy  et  loyaut^  porteroient  k  ses  enfans,  se  aucune  chose 
advenoit  de  lien  la  voie;  il  me  demanda,  mais  je  ne  voz  point  fere  sairement, 
car  je  ne  estoie  pas  ses  horn.  » 

^  (3)  Livre  de  Jostice  et  de  Plet,  II,  20,  §  1  :  «  De  I'oflce  as  mfetres  :  Li  mestre  de 
I'ostel  le  roi  ont  plenier  poir  par  dessus  toz  autres.  Et  aucunes  foiz  avient  qu'il 
deivent  porter  les  granz  causes  pardevant  le  roi ,  comme  de  eels  qui  convient 
jugier  par  pers.  » 


Du  xin"  XV  xvii°  siecLe.  13 

le  roy...  et  il  die  :  «  Je  ne  vuel  mie  estre  jugies  fors  par  mes  pers 
de  cette  chose ,  »  adonc  si  doit  on  les  barons  semondre  jusqu'4 
trois  a  tout  le  moins,  et  puis  la  justice  doit  fere  droit  o  (avec) 
eux  et  0  autres  chevaliers  (1).  » 

Le  conseil  du  roi  etait  encore  a  I'origine  un  conseil  de  gou- 
vernement  et  une  cour  des  comptes;  il  etait  ambulant  et  se 
Iransportait  §,  la  suite  du  roi  de  ville  en  ville.  Mais  peu  a  peu 
tout  se  fixa  et  se  determina.  Sous  saint  Louis  commeuQa  la  divi- 
sion des  fonctions.  Bientot  du  conseil  unique  plusieurs  corps 
furent  formes  :  conseil  d'fitat ,  cour  des  Comptes ,  et  cour  judi- 
ciaire ,  Curia  regis  proprement  dite ,  laquelle  prit  le  nom  de  Par- 
lement  (2). 

Des  lors  le  Parlement  se  tint  a  des  epoques  determinees; 
en  1277  on  fixe  la  procedure  qui  y  sera  suivie,  et  en  1302, 
Philippe  le  Bel  decide  qu'il  sera  tenu  a  Paris  deux  parlements 
par  an  :  a  I'octave  de  Paques  et  a  la  Toussaint  (3). 

Devenu  un  corps  sedentaire ,  le  Parlement  devait  voir  sa  com- 
position changer.  Les  legistes  allaient  y  entrer,  et  bient6t  tout 
envahir;  car  on  etait  a  cette  epoque  ou,  comme  dit  Loysel,  «  le 
droict  escrit  tant  civil  que  canonique  ancien  cpmmengoit  a  pren- 
dre pied  par  la  France ,  laquelle  aussi  consequemment  commenca 
a  se  peupler  d'advocats  (4).  «  Pardessus  a  tres-nettement  ex- 


(1)  Pardessus  :  Organisation  judiciaire ,  pp.  43  et  50;  cf.  Olim,  torn.  I,  p.  454, 
ettom.  I,  preface,  p.  xxxvi.  Voy.  aussi  Pardessus,  p.  56  :  «  Le  sire  de  Nesle  avait 
cit6  la  comtesse  de  Flandre,  grand-vassal  de  la  couronne  devant  la  cour  du  roi  pour 
defaut  de  droit;  les  pairs  assistant  k  la  cour  suivant  la  r&gle  ezpliqu^e  plushaut, 
pr^tendirent  que  le  chancelier  du  roi,  son  bouteiller,  son  connitable  n'avaient 
pas  le  droit  de  stance.  Cette  reclamation  qui  ne  tendait  pas  cependant  h  r^duire 
la  cour  aux  seuls  grands  vassaux,  mais  seulement  a  en  faire  exclure  les  ministe- 
ria,  les  hospitia  regis,  fut  rejet^e,  attendu  la  tr^s-ancienne  possession  du  droit 
de  stance  dans  laquelle  fitaient  ces  offlciers.  Voyez  Martene  :  CollecUo  ampUs- 
sima,  1. 1,  col.  1193.  » 

(2)  Le  mot  parlement  dSsigna  d'abord  toute  assemble  solennelle  ofi  Ton  d^bat- 
tait  les  affaires.  —  La  division  du  conseil  du  roi  en  plusieurs  corps,  dont  nous 
venons  de  parler,  ne  fut  4  I'origine  qu'ua  rftglement  d'administration  intSrieure ; 
les  membres  de  I'ua  des  corps  passaieat  a  volontS  dans  un  autre.  Cf.  Boutaric, 
Aetes  du  Parlement  de  Paris,  preface. 

(3)  Isambert,  I,  p.  190.  Sur  tons  ces  points.  Voyez  Pardessus,  Organisation  ju- 
diciaire, p.  99,  ssq;  —  Cf.  Lettres  historiqves  sur  les  Parlements,  torn.  II,  passim. 

(4)  Loysel  :  Pasquier  ou  Dialogue  des  Advocats,  fidit.  Dupin,  p.  35. 


14  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

plique  ce  qui  se  passa  alors  :  «  La  cour  dul  eprouver  le  besoin 
de  s'adjoindre  des  auxiliaires  qui ,  ayant  fait  les  memes  etudes 
que  les  avocats,  pussent  lui  donner  un  resultat  impartial  de 
I'etat  de  la  question,....  un  autre  motif  fit  encore  sentir  ce  besoin 
d'auxiliaires.  La  cour  parait  avoir  tres-anciennement  donne  a  la 
preuve  par  temoins  ou  par  actes  ecrits,  la  preference  sur  le 
combat  judiciaire,  et  je  n'hesite  pas  a  croire  que  saint  Louis, 
en  prohibant  ce  combat  dans  ses  domaines  par  I'ordonnance 
de  1260,  n'ait  generalise  une  coutume  que  sa  cour  pratiquait 
depuis  longtemps.  Ces  enquStes  etaient  assujetties  k  des  forma- 
lites.  On  comprit  tres-bien  qu'il  n'y  avait  ni  possibilite  ni  con- 
venance  a  charger  les  membres  de  la  cour  de  proceder  k  ces 
enquetes...  et  de  meme  qu'on  avait  besoin  d'auxiliaires  audi- 
teurs  ou  rapporteurs ,  de  meme  il  fallait  des  enquesteurs  dont  les 
fonctions  sont  encore  nommees  dans  I'ordonnance   de  Janvier 
1277...  Primitivement  choisis  par  la  cour,  non  institues  par  le 
roi ,  ces  clercs  ne  furent  d'abord  que  des  employes  qui  n'avaient 
pas  voix  deliberative,  ni  meme  le  droit  d'ouvrir  un  avis  s'ils  n'y 
etaient  invites  (1).  »  Les  clercs  n'allaient  tarder  a  prendre  un 
meilleur  rang  :  «  Les  rois  chaque  annee  et  peut-etre  meme  a 
chaque  session  faisaient  dresser  et  arretaient  une  liste  de  ser- 
vice.... les  seigneurs  non  portes  sur  la  liste  de  service  cessaient 
d'etre  juges;  ceux  qui  etaient  compris  n'etaient  plus  jugesuni- 
quement  en  vertu  de  leur  droit ,  mais  par  le  bon  plaisir  du  roi ; 
bientot  ce  fut  lui  qui  nomma  les  clercs  rapporteurs  et  enques- 
teurs, et  on  en  trouve  la  preuve,  dans  les  quatre  premiers 
articles  de  I'ordonnance  du  mois  de  novembre  1291   (Ord.  I, 
320) ;  ces  clercs ,  cessant  d'etre  des  employes  au  choix  de  la 
cour,  en  devinrent  membres,  quoiqu'en  inferiorite  de  rang  (2).  » 
Enfin,  des  les  premieres  annees  du  xiv"  siecle,  le  Parlement  etait 
divise  en  trois  Chambres,  la  grand  Chambre,  la  Chambre  des 
enquestes  et  la  Chambre  des  requestes  (3). 

(1)  Essai  sur  I'organisation  judiciaire ,  pp.  107, 109. 

(2)  Pardessus,  op.  cit.,  p.  111. 

(3)  Ordonaanoe  de  dScembre  1320  (Ord.  I,  720);  Pardessus,  op.  cit.,  p.  156. 
«  Compose  dans  le  principe  des  gens  du  roi,  le  Parlement  reprisentait  un  conseil 
d'fitat  pr6sid6  par  le  souverain,  qui  intervenait  dans  les  ddibfirations ,  les  mo- 


DU  Xin"  AU  XVIl"  SIECLK.  IS 

Ainsi  organise ,  le  Parlement  va  devenir  une  arme  terrible  aux 
mains  de  la  royaute  dans  sa  lutte  centre  le  monde  feodal;  la 
theorie  de  Vappel  lui  donnera  une  puissance  immense ,  et  dans 
les  contestations  entre  les  prevSts  ou  baillis  et  les  seigneurs  jus- 
ticiers ,  c'est  lui  qui  dira  le  dernier  mot. 

Pendant  longtemps  la  royaute  n'eut  qu'une  seule  cour  souve- 
raine ,  qu'un  Parlement ;  les  Parlements  de  province  ne  vinrent 
que  plus  tard.  Le  plus  ancien  est  celui  de  Toulouse  cree  en  1302, 
mais  qui  ne  fut  definitivement  etabli  dans  cette  ville  qu'en  1443. 
Le  Parlement  de  Dijon ,  en  tant  que  juridiction  royale,  date  de 
1476;  celui  de  Bordeaux  est  aussi  du  xv"  siecle.  Ce  n'est  qu'en 
1499,  qu'au  lieu  des  assises  annuelles  de  I'echiquier  de  Norman- 
die  ,  on  institua  un  echiquier  perpetuel  qui  devint  le  Parlement 
de  Normandie  et  s'installa  a  Rouen.  Les  Parlements  de  Bre- 
tagne ,  d'Aix  et  de  Trevoux  sent  du  xvi°  siecle ;  les  autres  n'ap- 
partiennent  qu'aux  xvn°  et  xvin°  siecles. 


in. 


Les  dernieres  juridictions  laiques  dont  il  nous  reste  a  parler, 
sont  les  juridictions  municipales. 

II  y  avait  d'abord  les  justices  des  villes  de  commune  ou  d'^che- 
vinage.  Les  communes  etaient,  on  le  sait,  des  associations  jurees 
d'habitants  des  villes,  qui  avaient  obtenu  de  leur  seigneur  suze- 
rain le  droit  de  s'administrer  elles-memes.  Cette  concession  for- 
melle  ou  charte  etait  un  titre  que  la  commune  devait  toujours  pro- 
duire  en  cas  de  contestation  (1) ;  de  bonne  heure  I'idee  s'intro- 
duisit  aussi  qu'il  fallait  faire  confirmer  les  cbartes  par  le  roi.  Les 
plus  anciennes  parmi  les  villes  de  commune  sont  le  Mans ,  Cam- 
brai,  Noyon,  Beauvais^  Saint-Quentin,  Laon,  Amiens,  Soissons, 

difiait,  les  rejetaiti  ou  pour  mieux  dire  en  faisaitbon  marcW.  Des  le  commence- 
ment du  xiyn  sifecle,  ses  membres  etaient  choisis  par  le  roi  pour  chaque  session. 
Leur  nombre  fut  limits  par  I'ordonnance  du  11  mars  1344,  et  lis  devinrent  ina- 
movibles  de  fait  autant  dans  leur  interfit  que  dans  I'intSrfit  de  la  royautfi.  »  Bou- 
taric  :  Actes  du  Parlement  de  Paris,  preface,  p.  ni. 

(1)  Voy.  Leitres  de  Louis  Vll  a  laville  deBeauvais,  1151  (Ord.  XI,  p.  198);  — 
Brussel,  op.  cit.,  torn.  II,  p.  927  (arrfit  des  grands  jours  de  Trqyes). 


16  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE   , 

Reims ;  le  nombre  s'en  accrut  rapidemeat  dans  le  Ponthieu ,  la 
Picardie,  le  Beauvoisis,  I'ile  de  France,  le  Vexin,  le  Valois,  la 
Champagne ;  le  mouvement  gagna  la  Bourgogne  et  le  Poitou.* 

Les  communes  ont  toujours  leurs  juridictions  propres,  oil 
siegent,  suivant  des  combinaisons  varices,  les  maires,  les  eche- 
vins ,  des  jures ;  parfois  le  seigneur  a  conserve  pour  son  prevot 
le  droit  d'assister  aux  plaids  (1). 

Dans  le  Nord  de  la  France  on  trouve  un  certain  nombre  de 
villes  qui  jouissaient  des  memes  privileges ,  sans  qu'on  puisse 
faire  remonter  I'origine  de  ces  droits  a  une  charte  de  commune ; 
on  les  appelle  ordinairement  villes  d'^chevinage.  II  est  probable 
que  dans  ces  contrees,  oii  la  population  de  race  germanique  etait 
fort  dense,  I'administration  de  la  justice  par  les  scabmi,  comme  a 
I'epoque  carolingienne ,  s'etait  continuee  sans  interruption  ve- 
ritable. Tel  etait  le  cas  de  Lille ,  de  Douai ,  d' Arras ,  de  Saint- 
Omer,  de  Therouane  (2). 

Les  bourgeois  des  villes  de  commune  ou  d'echevinage ,  pour- 
suivis  en  matiere  criminelle,  devaient  etre  juges  par  leurs  jus- 
tices municipales ,  que  I'accusateur  fut  un  bourgeois  ou  un  etran- 
ger ;  c'est  un  principe  bien  souvent  exprime  (3) ,  et  qui  etablissait 
a  l^ur  profit  le  jugement  par  les  pairs.  Les  tribunaux  munici- 
paux  jugeaient  meme  les  delits  commis  par  des  etrangers  dans- 
I'interieur  de  la  banlieue  «  infra  banleucam.  »  Cela  ne  souffrait 
aucune  difficulte  si  le  coupable  etait  pris  sur  le  fait.  S'il  s'enfiiit, 
on  le  cite ;  s'il  ne  comparait  pas ,  on  lui  interdit  I'acces  de  la 
ville.  On  voit  m§me  apparaitre  dans  les  chartes  des  moyens  de 
contrainte  plus  energiques ,  qui  sont  de  veritables  faits  de 
guerre  (4).  BientSt  au  lieu  d'aller  en  guerre  on  ira  au  Parlement. 

(1)  Voy.  charle  d'Amiens,  art.  48  (Ord.  XI,  p.  264);  charte  de  Bray,  art.  xi 
(Ord.  XI,  p.296). 

(2)  Voy.  Olim.,  I,  pp.  46,  239;  II,  80,  115,  133,  312,  410,  626.  —  Pour  Lille  : 
Roisin,  Franchises,  lois  et  coutumes  de  la  ville  de  Lille  (6dlt  Brun-Lavaisne,  1842)- 
les  rois  ne  font  que  confvrmer  ces  franchises  (Ord.  XI,  pp.  297,  376,  424). 

(3)  Voy.  Chartes  :  Laon,  art.  19  (Ord.  XI,  261),  Saint-Quentin,  art.  1  (Ord.  XI, 
270);  Bray,  art.  3  (Ord.  XI,  296).  —  Corbie,  art.  4,  S  (Ord.  XI,  214);  Soissons, 
art.  18  (Ord.  XI,  219);  Pontoise,  art.  7  (Ord.  XI,  234);  Sens,  art.  21  (Ord.  XI, 
262).  —  Roisin,  ch.  ii;  Beaumanoir,  L,  17. 

(4)  Si  le  malfaiteur  s'est  rSfugifi  quelque  part,  on  doit  le  r^olamer,  et,  en  cas  de 


DU   xm°  AtJ  XVII°   SIECLE.  17 

Les  villes  de  commune  et  d'echevinage  etaient  en  realite  des 
corps  souverains.  D'autres  villes  avaient  des  juridictions  muni- 
cipales  sans  joair  de  privileges  aussi  etendus.  Elles  restaient 
justiciables  des  seigneurs  ou  du  roi,  et  les  bourgeois  compa- 
raissaient  devant  le  propositus ,  mais  elles  avaient  obtenu  des 
chartes,  leur  assurant  que  celui-ci  s'adjoindrait  un  certain 
nombre  de  «  preudhommes ,  boni  homines ,  probi  homines ,  «  pris 
parmi  les  bourgeois  et  souvent  elus  par  eux.  Telle  etait  la  con- 
dition d'un  grand  nombre  de  villes  du  centre  de  la  France,  dont 
Bourges  etait  en  quelque  sorte  le  type  (1).  Beaucoup  de  villes 
de  la  Franche-Comte  avaient  aussi  obtenu  ce  regime.  Paris  avec 
son  «  Parlouer  aux  bourgeois  »  possedait  une  sorte  de  juridiction 
municipale,  qui  remontait  tres-loin. 

-Dans  le  Midi,  de  tres-bonne  heure,  les  cites  ont  des  consuls,  qui 
sont  les  juges  ordinaires  et  les  administrateurs  des  villes ;  sou- 
vent  aussi  les  seigneurs  ont  conserve  a  c6te  d'eux  leurs  propres 
officiers  et  representants.  II  se  produisit  la  un  mouvement  ana- 
logue a  celui  qui  fit  grandir  les  puissanles  cites  italiennes.  De 
part  etd'autre,  I'anciennevie  municipale  ne  s'etait  jamais  eteinte, 
et  sous  I'influence  de  I'esprit  de  particularisme ,  qui  distingue  le 
monde  feodal ,  elle  reprit  une  activite  nouvelle.  Carcassonne  a  eu 
des  consuls  en  HOT,  Beziers  en  1121  ou  1131,  Montpellier  en 
1141,  Nimes  en  1141,  Narbonne  en  1148,  Castres  en  1160,  Aries 
en  1141,  Avignon  en  1146  (2).  «  La  meme  ou  les  comtes  ou  les 
autres  chefs  feodaux  s'etaient  mainlenus  en  autorite ,  le  consulat 
exercait  une  partie  considerable  des  pouvoirs  judiciaires...  les 
consuls  etaient  assistes  dans  toutes  leurs  deliberations  par  divers 


refus,  le  saisir  oommeon  pourra  :  Soissons,  art.  7  (Ord.  XI,  215);  Crespy,  art.  4 
(XI,  305);  Sens,  art.  9  (XI.  292);  Compifegne,  art.  8  {XI,  240).  —  Si  le  rtealci- 
tranl  a  une  maison  dans  le  volsinage,  ou  ira  I'assieger  et  la  dfimolir  :  Roye,  art. 
19  {XI,  228);  Tournay,  art.  5  {XI,  249);  Amiens,  art.  15  (XI,  265);  Saint-Quentin, 
art.  10  (XI ,  270) ;  Crespy,  art.  17  {XI ,  305) .  Le  Livre  Roisin  nous  decrit  en  detail 
cette  sorte  d'expfidition. 

(1)  Voy.  Ord.,  torn.  XI,  page  193 ;  of.  la  charte  de  Chateauneuf-sur-Cher  (Ord. 
XI,  pp.  221  et  225). 

(2)  Voy.  Raynouard  :  Histoire  du  droit  municipal,  torn.  I,  passim;  Warnkonig 
et  Stein  :  Franzosische  Staats-und-Rechtsgeschichte,  torn.  I,  n"'  134,  sqq. 


{8  LA  PROCioURE   CRIMINELLE 

conseils  composes  d'individus  pris  dans  toutes  les  classes  de  la 

population  (1).  » 


IV. 

En  face  des  juridictions  laiques  s'elevaient  les  tribunaux  eccle- 
siastiques  :  c'etaient  les  «  cours  de  Chretiente,  »  comma  on 
disait  jadis;  elles  avaient  une  haute  autorite  et  une  vaste  com- 
petence. 

Le  juge  pour  chaque  diocese  etait  I'eveque  «  I'ordinaire;  » 
mais  bientot  il  dut  deleguer  ses  pouvoirs.  Son  suppleant  fut 
d'abord  Varchidiacre ,  dont  le  r61e  fut  tres-important  jusqu'au 
xii°  siecle;  puis,  a  partir  du  xiii''  siecle,  un  officier  special, 
appele  officialis ,  V official.  Une  savante  hierarchic  permettait  des 
appels  multiplies ;  de  TevSque  on  appelait  a  I'archeveque ,  de 
celui-ci  parfois  au  primat,  toujours  au  pape  (2). 

En  matiere  criminelle  specialement ,  les  cours  de  Chretiente 
avaient  une  competence  tres-etendue ;  les  clercs  ne  pouvaient  Mre 
juges  que  par  elles ;  les  juges  laiques  pouvaient  les  arreter,  mais 
c'etait  tout  (3).  Ce  privilege  de  clergie  s'etait  etendu  d'une  facon 
extraordinaire;  il  embrassait  tons  les  degres  du  clerge  regulier 
et  tons  ceux  du  clerge  seculier  jusqu'aux  chantres  (4).  Du  temps 
de  Beaumanoir,  il  suffit  que  le  malfaiteur  soit  tonsure,  pour 
qu'on  doive  le  rendre  a  I'Eglise  (5). 

(1)  Fauriel :  Introduction  a  I'histoire  de  la  croisade  contre  les  hiritiques  AlH- 
geois,  p.  lvi. 

(2)  Beaumanoir,  lxi,  65.  Voir,  pour  tout  ce  qui  concerne  les  tribunaux  ecolfi- 
siastiques  4  cette  epoque,  le  remarquable  livre  de  notre  collfegue  M.  Paul  Four- 
nier  :  Les  officialitis  au  Moyen-Age,  Paris,  1880. 

(3)  «  On  le  doit  rendre  a  sainte  Eglise  de  quelque  meffet  que  11  face.  »  i^tahl. 
S.  Louis ,  I,  84;  of.  Beaum.  xi,  30;  —  «  Les  clercs  ne  soient  traitez  que  par  1'^- 
vesque  dessoz  qui  y  sent  demeurants  et  qui  en  a  a  cognoistre  seul,  soit  pour  cas 
civil,  soit  pour  cas  criminel.  ;;  Bouteiller,  Somme  rurale,  II,  oh.  viii. 

(4)  Tous  ceux  qui  n'avaient  pas  regu  le  sous-diaconat  pouvaient  se  marier  et 
vivre  de  la  vie  du  sifecle;  les  clercs  mariis  sont  souvent  visis  dans  nos  vieux  11- 
vres;  on  admit  qu'ils  ne  pouvaient  invoquer  le  privilege  de  clergie  qu'autant 
qu'ils  porleraientna  couronne  (tonsure)  et  I'habit  ecolfisiastique.  £tabl.  S.  Louis, 
I,  84;  Bouteiller,  II,  7;  Jean  Desmares,  rfegles  25  et  392. 

(5)  Beaum.,  xl,  25.  C'est  un  fait  bien  connu  que  souvent  des  malfaiteurs  se 


DU  Xm'AU  XVII°   SIECLE.  19 

D'autre  part,  I'Eglise  reclamait  beaucoup  d'accuses  laiques; 
elle  revendiquait  les  accusations  d'heresie  et  d'apostasie  (i),  de 
sorcellerie  (2),  d'adultere  et  d'usure  (3).  Cependant  si  dans  tons 
ces  cas  elle  jugeait ,  elle  ne  prononcait  pas  toujours  la  condam- 
nation.  C'6tait  un  principe  du  droit  canon  que  I'Eglise  ne  pro- 
nongait  pas  de  peines  capitales  :  «  la  justice  esperituel  ne  doit 
nului  metre  a  mort  {i).  »  Cependant,  parmi  les  crimes  dont  elle 
revendiquait  la  connaissance ,  il  y  en  avait  beaucoup  que ,  selon 
les  idees  alors  regues,  la  mort  seule  pouvait  expier.  Elle  li- 
vrait  alors  le  coupable  au  bras  seculier  qui  prononcait  la  peine 
et  la  faisait  executer  (5). 

faisaient  tonsurer  afin  d'gtre  jugSs  par  I'figlise.  Au  xivo  siecle,  le  Registre  criminel 
du  Chdtelet  de  Paris  offre  de  nombreux  exemples  de  ces  supercheries.  Voici  par 
exemple  ce  que  dit  un  prisonnier  (I,  p.  90)  :  «  Par  le  conseil  dudit  Jehannin  du 
Boys ,  qui  lui  dit  qu'il  ne  moroit  nul  prisonnier  en  la  cour  dudit  official ,  et  que 
toujours  Ten  en  yssoit  par  dStenoion  de  longue  prison  ,  nouvel  advenement  d'ar- 
ceveque ,  ou  autre  grand  seigneur,  qui  faisoient  delivrer  yceulx  prisonniers ,  il 
fist  nouvellement  et  premierement  fere  sa  couronne  en  la  dite  ville  de  Prouvins.  „ 
Pour  d^jouer  ces  ruses ,  le  juge  du  Chatelet  emploie  divers  moyens  :  des  com- 
missions de  barbiers  viennent  examiner  I'fitat  de  la  tonsure  (T,  204,  40S;  II,  491); 
surtout  on  demande  au  prgtendu  clerc  s'il  sait  lire  et  comment  il  fut  consacre  (I, 
48,  51,  69,73,  85,  294;  11,  102).  G^neralement  I'accus^  est  oblig^  d'avouer 
«  qu'il  ne  cognoist  lettre  aucune,  »  et  les  details  qu'il  donne  sur  la  cer^monie  de 
son  ordination  sont  d'une  invraisemblance  manifesto.  Malgre  cela,  I'^vgque  re- 
clame parfois  avec  ^nergie  ces  singuliers  clercs  (I,  85,  94,  296);  mais  le  Parlement 
decide  qu'on  tiendra  comme  laiques  les  illettr^s  qui  ne  rapporteront  point  de  let- 
tres  d'ordination  :  I,  78.  «  Monsieur  le  prevost  avoit  parl6  a  M.  le  chancellier  et 
a  autres  du  grand  conseil  du  roy,  lesquelx  lui  avoient  dit  et  respondu ,  consider^ 
que  un  homme  naist  pur  lay,  et  qu'il  doit  estre  tenuz  et  reputez  toute  sa  vie  pour 
tel  s'il  ne  appert  de  lettre  de  tonsure ,  ou  qu'il  sacbe  lire  ou  escripre.  »  La  suite 
du  Registre  montre  que  cette  jurisprudence  devint  constante. 
.  (1)  «  Por  ce  que  sainfe  figlise  est  fontaine  de  foi  et  de  crfiance.  »  Beaum.,  xi, 
2;  Etabl.S.  Louis,'l,Si. 

(2)  Beaum.,  xr,  25.  Au  xiv«  sificle,  le  Registre  du  Chdtelet  nous  montre  plusieurs 
proems  de  sorcellerie  jug^s  par  la  juridiction  la'ique,  mais  non  sans  opposition  de 
la  part  de  I'Eglise,  II,  312,  ssq.  Dans  ces  hypotheses,  la  sorcellerie  avait,  disait- 
on,  caus6  la  mort  ou  la  maladie  d'une  ou  de  plusieurs  personnes. 

(3)  Mais  sur  ce  point  les  cours  laiques  ^talent  ^galement  comp^tentes.  Beauma- 
noir,  loc.  cit.;  ttahl.  S.  Louis,  I,  86. 

(4)  Beaum.,  xi,  12.  Bouteiller  :  «  Les  regies  des  d^crfitales...  ne  servent  riens 
de  criminel  a  peine  mortelle,  fors  k  peine  de  douleur,  c'est  k  scavoir  chartre  per- 
pStuelle.  » 

(5)  Beaum.,  xi,  2,  25;  £tabl.  S.  Louis,  I,  85,  123. 


20  LA   PROCEDURE   CRIMINELLE 

L'Eglise  intervenait  encore  dans  le  domaine  de  la  justice  cri- 
minelle  par  le  droit  d'asile.  L'idee  que  les  temples  chr6tiens 
offraient  au  coupable  un  refuge ,  devant  lequel  devait  s'arreter  la 
justice  humaine,  apparut  de  bonne  heure  (1);  elle  etait  univer- 
sellement  admise  au  xiii''  siecle  :  «  Tout  cil  qui  y  queurent  a 
garant,  combien  qu'il  aient  meffet,  soient  clerc ,  soientlai,  ily 
doivent  avoir  garant,  tant  comme  ils  s'y  tiennent  (2).  »  Cela  ne 
rendait  pas  I'figlise  competente  pour  juger  le  criminel,  mais  cela 
entravait  le  cours  de  la  justice  lai'que;  c'etait  «  k  fin  d'eschever  la 
rigueur  de  justice ,  tant  que  satisfaction  soit  donnee  a  partie ,  et 
puis  grslce  du  prince  s'y  peust  estendre,  si  le  cas  le  desire,  et 
non  autrement.  »  II  semble  que  le  refugie ,  s'il  ne  pouvait  etre 
arrache  de  I'asile  par  la  force ,  pouvait  du  moins  etre  somme  de 
se  rendre  a  justice  ,  ou  de  quitter  le  pays  (3).  Des  le  xiii*  siecle, 
il  y  avait  d'ailleurs  un  certain  nombre  de  criminels  que  I'asile  ne 
protegeait  plus  (4). 

Toutes  les  juridictions ,  que  nous  venons  d'etudier,  existent 
encore  au  xvii°  siecle,  et  la  grande  ordonnance  de  1670  deter- 
minera  leur  competence.  Mais  a  cette  epoque  les  justices  seigneu- 
riales ,  municipales  et  ecclesiastiques ,  au  lieu  de  figurer  au  pre- 
mier plan,  ne  jouent  plus  qu'un  role  secondaire.  Les  juridictions 
royales  out  definitivement  pris  le  dessus ;  elles  ont  envahi  pres- 
que  tout  le  domaine  du  droit  criminel;  en  meme  temps  elles  se 
sont  modifiees,  perfectionnees,  multipliees.  II  nous  faut  indiquer 
rapidement  comment  ces  transformations  se  produisirent. 

(1)  Cod.  Just.,  1,2;  Nov.  17. 

(2)  Beaum.,  xi,  14;  Bouteiller,  Somme  rurale,  II,  9;  Desmares,  99,  100. 

(3)  C'est  au  moins  oe  qu'indique  le  Grand  coulumier  de  Normandie,  ch.  lxxxi 
(Bourdol  de  Richebourg). 

(4)  Beaum.,  xi,  15,  17,  16,  20,  21  :  «  Les  robiferes  de  chemins  en  guet  apensfi... 
car  toz  crStiens  de  droit  commun  doivent  aler  et  sauf  venir  par  les  chemins  ;  — 
les  sacrileges;  —  les  «  essilleurs  de  bieos...  Sainte jfiglise  ne  porroit  estre  servie 
ni  les  peuples  soustenus  si  les  biens  estoient  essill^s.  » 


Du  xin*  Au  xvn°  siecle.  21 


CHAPITRE  DEUXIEME. 

Progrfes  des  juridictions  royales;  leur  6tat 
aux  XVIle  et  XYIII«  sifecles. 


I.  Comment  les  juridictions  royales  Stendirent  leur  competence ;  — les  cas  royaux ; 
—  la  prevention;  —  I'appel;  —  le  flagrant  d^Iit;  —  les  cas  priviligi^s.  —  II. 
Composition  des  sieges  royaux  :  pr^vdts,  baillis,  lieutenants  criminels,  conseil- 
lers;  les  parlements.  Les  tribunaux  extraordinaires. 

Comment  les  justices  royales  attirerent  a  elles  la  plus  grande 
partie  des  causes  criminelles ,  qui  allaient  auparavant  aux  tri- 
bunaux des  seigneurs  ou  de  I'Eglise,  cela  a  ete  dit  d'une  fagon 
excellente  (1);  et  nous  ne  songeons  point  a  le  redire  ici.  Nous 
voulons  seulement  rappeler  les  principaux  moyens  qui  furent 
employes  pour  produire  ce  resultat.  II  y  eut  une  longue  suite 
d'entreprises  hardies  et  perseverantes ,  dans  lesquelles  les  ju- 
ristes  qui  servaient  la  royaute  s'appuyaient  plut6t  sur  le  droit 
encore  obscur  de  I'avenir,  que  sur  le  droit  du  present  parfois 
ouvertement  meconnu.  lis  invoquaient  d'ailleurs  souvent  une 
loi  plus  precise  que  cette  vision  vague  du  progres  futur;  ils 
faisaient  devant  eux  marcher  la  loi  romaine ,  qui  semblait  alors 
une  morte  auguste  nouvellement  sortie  du  tombeau. 

Les  theories,  souvent  subtiles,  qu'on  inventa  pour  parvenir 
au  but,  se  rattachaient  toutes  a  cette  grande  idee  que  le  roi 
representait  I'interet  commun  et  qu'il  devait  a  tous  la  secu- 
rite  et  la  justice  :  «  Voirs  est  que  li  rois  est  sovrains  par  desor 
tous,  et  a  de  son  droit  le  general  garde  de  son  roiaume;  » 
—  «  il  est  tenus  a  garder  et  6i  fere  garder  les  coustumes  de 
son  roiaume;  »  —  «  toute  laie  juridictions  du  roiaume  est  tenue 
du  roi  en  fief  ou  en  arriere-fief  (2).  »  Ces  theories,  veritables 
arihes  de  guerre ,  nous  aliens  les  passer  rapidement  en  revue. 

(1)  Voy.  M.  Faustin  Hilie.  Tome  I  (2o  6dit.),  p.  325,  ssq. 

(2)  Beaum.,  xxxiv,41;  xxiv,  12;  xi,  12;  of.  De  Fontaines,  xxii,  33. 


22  LA.   PROCEDURE    CRIMINELLE 


I. 


Des  le  xiii'=  siecle  apparait  cette  idee  que  certains  fails  tres- 
graves  seront  exclusivemeat  de  la  connaissance  des  baillis 
royaux ,  soil  parce  qu'ils  portent  directement  atteinte  aux  droits 
de  la  royaute,  soit  parce  qu'ils  menacent  des  interets  conside- 
rables dont  le  roi  prend  la  garde  en  main.  Pierre  de  Fontaines 
signale  ces  entreprises  (1).  La  Compilatio  de  Usibm  Andegaviz 
indique  tres-nettement  un  cas  royal  (2) ;  les  Olim  contiennent  un 
certain  nombre  d'arrets  qui  affirment  la  theorie  (3).  Une  ordon- 
nance  de  1315  est  fort  explicite  :  «  En  lor  teres  ou  ils  ont  haute 
justice  ne  justicierons  point  fors  es  cas  ci-dessus  denommes  at 
autres  qui  a  nous  appartiennent  par  droit  royal  (4);  »  une  autre 
ordonnance  de  1371  contient  une  enumeration  des  cas  royaux 
oil  nous  trouvons  le  crime  de  lese-majeste ,  I'infraction  de  la 
sauvegarde  du  roi,  le  port  d'armes,  la  fausse  monnaie,  et  «  ge- 
neralement  tout  cas  touchant  le  droit  royal  (5).  »  Dans  la  Somme 
rurale,  la  theorie  est  completement  formee;  le  livre  IP  est  inti- 
tule :  «  Des  droits  royaux  et  de  la  connoissance  que  le  roi  a  sur 
plusieurs  cas.  »  C'est  la  qu'on  sent  toute  Finfluence  du  droit 
romain;  cette  puissance  que  les  juristes  construisent  au  profit 
du  roi  de  France ,  elle  a  pour  type  le  droit  imperial  qu'ils  trou- 
vent  dans  le  Corpus  juris  civilis  :  «  le  roi  pent  generallement 
faire  tout  et  autant  que  a  droict  imperial  apparlient  (6).  »  Bou- 

(1)  «  Centre  droit  vuelent  tollir  et  tollent  baillif  et  prev6t  as  nobles  hommes 
de  nostre  pais  le  plet  de  desseisine  et  de  dete  et  de  force  fete  en  possessions  de 
lor  frans  homes,  qui  autres  enpledent,  encore  soient  il  lor  couchant  et  lor  le- 
vant (xxxti ,  1) ;  »  dans  la  suite  du  chapitre  il  est  moins  afflrmatif.  «  Par  nostre 
usage  puet  en  pleidier  pardevant  le  baillif  du  pais  de  force  et  de  desseisine ,  de 
cuique  6&  que  ce  soit  qui  est  en  la  baillie ,  car  a  ens  appartient  d'oster  les  forces 
et  de  tenir  chascun  en  seisine.  »  > 

(2)  «  §  83  :  II  est  d'usage  que  de  meffet  de  chemin  de  roy  nus  n'en  portet  cor.  » 
Edition  Beautemps-Beauprfe ,  torn.  I,  p.  57. 

(3)  Tom.  I,  544,  599,  864. 
(4)0rd.,  I,  p.  561. 

(5)  Ord.,  V,  p.  428. 

(6)  Bouteiller,  Som.  rur.,  II,  1.  II  met  en  note  :  «  Baldus  in  L.  Escemplo  C.  De 
probat.  dicit  regem  Francise  esse  imperatorem  in  suo  regno.  » 


DU  XIII*  AU  XVII*   SIECLE.  23 

teiller  donne  une  longue  liste  de  cas  royaux ;  nous  y  trouvons  : 
les  ports  d'armes  (p.  647);  la  «  connoissance  et  punition  des- 
bannis  du  royaume  (p.  648);  »  les  crimes  commis  par  des  offi- 
ciers.  et  serviteurs  royaux,  les  crimes  de  lese-majeste;  le  roi  se 
reserve  aussi  «  tous  faus  monnoyers  sur  ses  monnoyes  et  sur  ses 
coings ,  »  «  les  contre-facteurs  du  seel  royal ,  les  pescheries  en 
toutes  rivieres  royales  qui  sont  chemin  royal  et  portent  gros 
navires,  »  les  «  boys  et  forests  royaux  (1).  » 

La  liste  s'allongeait  toujours  et  elle  n'etait  jamais  close.  En  etfet, 
les  ordonnances,  qui  peu  a  peu  venaient  regler  cette  matiere  ajou- 
taient  toujours  a  leur  enumeration  «  et  autres  cas  touchant  au 
droit  royal  .  »  C'etait  ouvrir  la  porte  a  toute  nouvelle  pretention 
des  baillis.  En  1536, 1'edit  de  Cremieu  (art.  10),  suivait  encore  la 
tradition  sur  ce  point  :  «  Cognoistront  nosdits  baillifs ,  senes- 
chaux,  et  autres  juges  presidiaux  des  crimes  de  leze-majeste, 
fausse  monnoie ,  assemblees  illicites ,  emotions  populaires ,  et 
ports  d'armes ,  infractions  de  sauve  garde  et  autres  cas  royaux.  » 

Les  cas  royaux  etaient  exclusivement  reserves  aux  justices 
royales ;  pour  d'autres  delits  on  crea  seulement  a  leur  profit  un 
droit  de  concurrence  avec  les  justices  seigneuriales ,  le  benefice 
de  la  prevention.  Cela  voulait  dire  qu'en  cas  de  negligence  des 
juges  naturels  les  juges  royaux  pouvaient  intervenir.  Le  roi  ne 
devait-il  pas  la  justice  a  tous?  ne  devait-il  pas  faire  avancer  ses 
gens,  si  les  seigneurs  manquaient  a  leur  tache?  Une  ordonnance  de 
1319  exprime  tres-nettement  cette  regie.  «  Concedimus  quod  de 
criminibus  commissis  infra  juridictionem  ipsorum  nobilium  offi- 
ciales  nostri  se  nullatenus ,  intromittant ,  nisi  in  cas'ibus  ressorti 
aut  negligentix.  »  On  voit  quel  acces  on  ouvrait  aux  officiers 
royaux.  Mieux  renseignes  et  plus  actifs  que  les  juges  seigueu- 
riaux,  car  leur  zele  pouvait  les  elever  aux  plus  hauts  emplois,  ils 
devaient  tendre  a  s'emparer  de  toutes  les  causes  avant  mSme  que 

(1)  On  a  vu  figurer  parmi  les  cas  royaux  I'infraction  k  la  sauvegarde  du  roi.  On 
salt  que  le  droit  du  Moyen-Age,  pour  mettre  fin  aux  guerres  privees ,  inventa  une 
procedure  par  laquelle  la  partie  menacfie  pouvait  faire  ciler  son  adversaire  en  jus- 
tice pour  le  forcer  a  lui  donner  «  asseurement  ou  sauvegarde.  »  La  sauvegarde 
iriUekiaM  un  trfes-grand  crime,  et  le  coupable  6tait  puni  par  la  justice  devant 
laquelle  I'asseurement  avail  6te  donn6.  On  allait  de  preference  pour  demander 
sauvegarde  devant  les  justices  royales ,  mieux  respecties  que  les  autres. 


2i  LA.  PROCEDURE   CRIMINELLE 

les  juges  des  seigneurs  n'eussent  connaissance  du  delit.  Sans 
doute  c'etait  violer  le  principe  meme  qu'on  invoquait;  il  n'y  avait 
dans  ce  cas  aucune  negligence  coupable ;  mais  peu  importait , 
le  Parlement  reconnaitrait  bien  les  siens.  C'est  ainsi  que  Bou- 
teiller  entend  la  theorie  :  «  A  le  roy  et  a  lui  appartient  et  a  ses 
juges  la  cognoissance  de  tous  cas  de  prevention...  puisque  pre- 
mier on  s'en  traict  a  ses  juges  (1).  »  Cette  matiere  fut  du  reste 
reglee  beaucoup  plus  par  I'usage  et  par  la  jurisprudence  que  par 
les  ordonnances.  Certaines  coutumes  admettaient  la  prevention  de 
la  part  des  gens  du  roi  d'une  facon  absolue,  par  exemple  celles 
de  Compiegne,  de  Senlis,  de  Vermandois ;  d'autres,  comme  celles 
d'Anjou ,  du  Maine ,  de  Touraine ,  de  Poitou ,  permettaient  bien 
aux  baillis  de  citer  devant  eux  les  justiciables  des  seigneurs,  mais 
ceux-ci  avant  le  jugement  pouvaient  revendiquer  la  cause;  la  pre- 
vention etait  alors  conditionnelle  et  a  charge  de  renvoi  (2).  La 
jurisprudence  en  vint  a  autoriser  presque  toujours  la  prevention 
absolue  au  profit  des  juges  royaux  :  «  lis  vont  plus  avant ,  dira 
Pussort  dans  les  conferences  pour  la  redaction  de  I'ordonnance 
de  1670,  et  sont  autorises  par  les  arrets  centre  les  juges  des  sei- 
gneurs. »  C'etait  admettre  une  sorte  de  competence  generale, 
quoique  subsidiaire  en  apparence,  au  profit  des  tribunaux  du  roi. 

La  theorie  dont  la  royaute  tira  le  plus  grand  profit,  et  au 
moyen  de  laquelle  elle  parvint  a  dominer  completement  les  justi- 
ces seigneuriales  fut  celle  de  I'appel  (3). 

La  feodalite  n'avait  point  connu  I'appel  dans  le  sens  que  nous 
donnons  a  ce  mot.  Elle  ne  soumettait  pas  de  nouveau  a  un  juge 
superieur  le  litige  deja  tranche  par  un  premier  juge ;  a  vrai  dire, 
bien  qu'elle  eut  une  hierarchie  complete,  elle  ne  connaissait  point 
des  juges  superieurs  et  des  juges  inferieurs ;  toutes  les  cours 

(1)  Som.  rw.,  II,  1  (p.  646,  ssq.) ;  il  est  vrai  que  Bouteiller  etudie  la  prevention 
plutot  en  matiere  civile  qu'en  matiere  criminelle. 

(2)  Vojez  sur  la  prevention  les  coutumes  suivantes  :  Montereau ,  art.  6,  7,  8  ; 
—  Valois,  10;  —  Noyon,  39;  —  Ribemont,  art.  1;  —  Amiens,  200,  ssq.;  —  An- 
jou,  63,  73,  74,  78;  — Maine,  75,  82,  84,  87,  89;  —  Blois,  11;  —  Clermont, 
202-213;  —  Normandie,  23. 

(3)  Sur  ce  point,  voir  :  Montesquieu  :  Bsprii  i,es  lois,  1.  xxviii,  oh.  28,  ssq.  Voy. 
aussi  :  Essai  sur  I'hisloire  du  droit  d'appel  en  droit  remain  et  en  droit  franfais. 
These  pour  le  doctorat,  par  M.  P.-J.-M.  Fournier,  1881. 


DU  Xra°  AU  XVII°   SIECLE.  2S 

feodales ,  dans  les  limites  de  leur  competence ,  etaient  des  cours 
souveraines.  II  n'y  avait  dans  la  vieille  procedure,  sur  laquelle 
nous  allons  jeter  par  avance  un  coup  d'ceil ,  que  deux  sortes  de 
voies  de  recours  :  I'appel  pour  defaute  de  droit ,  et  I'appel  de  faux 
jugement. 

Dans  I'appel  pour  defaute  de  droit  on  se  plaignait  d'un  deni  de 
justice.  Le  plaignant  etait-il  le  vassal  du  justicier,  apres  trois 
sommations  solennelles  restees  sans  resultat ,  il  devait  citer 
celui-ci  devant  le  suzerain  immediatement  superieur,  de  qui  la 
justice  etait  tenue.  Si  le  deni  etait  prouve,  le  lien  feodal  etait 
desormais  rompu  entre  ces  deux  hommes;  I'ancien  vassal  ne 
devait  plus  rien  a  son  ancien  seigneur.  La  preuve  n'etait-elle 
pas  fournie,  le  fief  etait  confisque  par  voie  de  commise  (1).  Ce 
recours  etait  egalement  ouvert  a  Vhomme  de  poeste ;  et  meme  la 
procedure  etait  plus  simple  dans  ce  cas  (2).  L'etranger  qui 
voulait  devant  le  justicier  plaider  centre  un  de  ses  hommes  ou 
de  ses  hotes,  pouvait  egalement  intenter  I'appel  de  defaute  de 
droit,  et,  dans  ce  cas,  le  resultat  du  recours  etait  simplement  de 
transferer  au  justicier  superieur  la  connaissance  de  I'affaire  (3). 
Du  reste,  la  preuve,  quand  il  y  en  avait  une  a  faire,  ne  consistait 
point  dans  la  provocation  au  duel  judiciaire  :  «  li  apel  qui  sunt 
fet  por  defaute  de  droit  ne  doivent  etre  demene  par  gage  de 
bataille,  mes  par  monstrer  resons  par  quoi  la  defaute  de  dro^ 
soit  clere  (4).  » 

Cette  procedure  faisait  remonter,  on  le  voit  du  seigneur  infe- 
rieur  au  seigneur  superieur  dans  la  hierarchie  feodale;  c'etait  ce 
qu'on  appelait  le  ressort.  Si  au  second  degre  on  trouvait  encore 
un  deni  de  justice ,  on  pouvait  mooter  a  I'echelon  superieur,  et 
ainsi  de  suite  jusqu'au  roi.  Mais  ce  n'etait  point  cette  institution 
qui  pouvait  servir  a  la  royaute  pour  restreindre  la  competence 
des  justices  seigneuriales ;  on  ne  pouvait  appeler  omisso  medio  (S). 

(1)  Beaum.,  lxii,  3,  4;  lxiii;  Elahl.  S.  Louis,  I,  49. 

(2)  Beaum.,  lxii,  5.  L'bomme  de  poeste,  s'il  tenait  du  seigneur  justicier  une 
censlve  ou  tout  autre  heritage  vilain ,  6tait  probablement  libera  de  tout  service 
au  cas  oti  il  prouvait  le  d^ni. 

(3)  Beaum . ,  lxii  ,10. 

(4)  Beaum.,  lxi,  53. 

(5)  Beaum.,  lxi,  65. 


26  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

L'appel  de  faux  jugement  s'attaquait  a  la  sentence  rendue; 
mais  c'etait  une  sorte  de  cassation  barbare,  dont  I'origine  se 
trouve  certdinement  dans  les  coutumes  germaniques.  C'etait  une 
prise  k  parlie  brutale  du  plaideur  contre  les  pairs  qui  le  ju- 
geaient.  Au  moment  oil  les  jugeurs  emettaient  leur  avis  le 
plaideur  declarait  le  jugement  faux  et  mauvais ,  et  pour  prouver 
son  dire  il  provoquait  tous  les  jugeurs  ou  I'un  d'eux  au  duel 
judiciaire  en  jetant  son  gage  de  bataille  (1).  Selon  le  resultat  du 
duel,  le  jugement  etait  maintenu  ou  casse,  et  la  partie  qui  suc- 
combait,  appelant  ou  jugeurs,  payait  une  amende  ou  souvent  su- 
bissait  une  peine  cruelle  (2).  C'etait  d'ailleurs  une  procedure  for- 
maliste,  ou  il  fallait  veiller  aux  paroles  qu'on  prononcait  et  dont 
les  details  sont  fort  interessants  (3). 

L'appel  de  faux  jugement  n'etait  ouvert  qu'a  ceux  qui  etaient 
juges  par  leurs  pairs,  aux  gentilshommes ;  I'homme  de  poeste  et 
encore  moins  le  serf  ne  pouvaient  y  recourir  {i).  Devant  quelle 
juridiction  etait-il  porte?  Des  textes  formels  etablissent  que  c'e- 
tait devant  la  cour  du  suzerain  immediatement  superieur  (5). 
Mais  cela  venait  simplement  de  ce  que  la  premiere  cour  eut  ete 
juge  et  partie;  l'appel  pouvait  etre  debattu  devant  elle  dans  cer- 
tains cas,  lorsque,  par  exemple,  le  seigneur  justicier  avait  encore 
des  hommes  en  nombre  suffisant  qui  n'avaient  pas  siege  dans  la 
^emiere  instance  (6).  Mais  on  declarait  que  la  cour  du  roi  etait 

(1)  Beaum.,  lxi,  45,  ssq.;  Etabl.  S.  Louis,  1 ,  81 ;  de  Fontaines,  oh.  xxii;  Livre 
de  Jostice  et  de  Plet.,  1.  xx,  tit.  16. 

(2)  Beaum.,  lxvii,  7,  8,  9.  —  Cf.  Assises  (6dit.  Beugnot,  I,  561). 

(3)  Voy.  Brunner :  Wort  und  Form  im  altfranzosischen  Process  (Sitzungs-Berichte 
der  Akademie  der  Wissenscbaften.  Wien.  57°  vol.,  p.  738,  ssq.). 

(4)  De  Fontaines,  xxu,  3  :  «  Vileins  ne  puet  fausser  le  jugement  son  seigneur 
ne  de  ses  hommes,  s'il  n'est  garniz  de  loi  privee,  par  quoi  il  le  puisse  fere. »  Cf. 
£«.  S.  touis.I,  78. 

(5)  Beaum.,  lxi  ,  65  :  «  Cil  qui  apele  soit  por  defaute  de  droit  ou  por  fans  ju- 
gement doit  apeler  devant  le  seigneur  de  qui  en  tient  le  cort  od  li  faus  jugement 
fu  fes ;  car  s'il  trespassoit  ou  apeloit  par  devant  le  comte  ou  par  devant  le  roi ,  si 
aroit  cil  sa  cort  de  qui  on  tenroit  la  justice  nu  a  nu  oil  li  faus  jugemens  fu  les. 
Car  il  convient  apeler  de  degre  en  degr6,  c'est-k-dire  selonc  qui  li  homages  est 
du  plus  has  au  plus  prochain  seigneur  aprfes.  » 

(6)  Beaum.,  lxvii,  8  :  «  Li  quens  pot  bien  tenir  le  cort  de  ses  homes  qui  sunt 
appelfi  de  faus  jugement,  et  fere  droit  par  ses  autres  homes  qui  ne  s'assentirent 
pas  au  jugement.  »  Cf.  lxi,  49. 


Du  xin'  Au  xvn°  siecle.  27 

souveraine  absolument  et  qu'on  ne  pouvaitpas  en  appeler;  Pierre 
de  Fontaines  parle  des  «  jugeurs  de  la  cort  soveraine  qu'on  ne 
puist  fausser  (1).  » 

Cette  voie  de  recours  n'etait  point  I'appel  veritable ;  a  peine  en 
conlenait-elle  le  germe.  Mais  ce  qu'on  ne  trouvait  pas  dans  les 
cours  feodales ,  n'allait-on  point  le  trouver  dans  les  assises  des 
baillis  seigneuriaux  ou  royaux ,  la  oii  on  ne  jugeait  pas  «  par 
hommes?  »  La,  le  principe  de  la  pairie  n'etant  pas  applique, 
I'appel  de  faux  jugement,  tel  que  nous  I'avons  decrit,  devait 
disparaitre ,  et  c'est  bien  ce  qui  eut  lieu  :  «  S'on  apele  des  fans 
jugemens  asbaillix,  en  le  cort  ou  ils  jugent,  il  ne  font  pas  lor 
jugement  bon  par  gages  de  bataille,  aingois  sont  porte  li  erre- 
ment  du  plet,  sur  quoi  li  jugemens  fu  fes,  en  la  cor  du  seigneur 
sovrain  au  bailli  qui  flst  le  jugement;  ilueques  est  tenus  por  bons 
o  por  malves  (2).  »  Cette  forme  de  I'appel  sur  les  «  erremens  de 
pleti  »  va  grandir  rapidement.  C'est  surtout  dans  les  justices 
royales  qu'elle  gagna  du  terrain.  La  on  6tablit  bient6t  qu'on 
pourrait  toujours  appeler  de  I'inferieur  au  sup6rieur,  «  du  prevot 
au  bailli,  du  bailli  au  roi ,  es  cors  la  ii  prev6t  et  bailli  jugent  (3).  » 
C'etait  done  parfois  une  triple  instance  :  prevot,  bailli  et  Par- 
lement.  Mais  il  subsista  certains  traits  des  anciennes  voies  de 
recours ;  c'etait  toujours  le  juge  lui-meme  que  le  plaideur  prenait 
a  partie  (i). 

Cette  procedure  fit  un  nouveau  pas  en  avant  lorsque  I'ordon- 
nance  de  1260  eut  introduit  a  I'enquete  »  a  la  place  du  duel  judi- 
ciaire  qu'elle  prohibait  sur  les  domaines  de  la  couronne.  Des  lors 
dans  les  domaines  du  roi ,  meme  s'il  s'agissait  d'un  jugement 
rendu  «  par  hommes,  »  il  devenait  impossible  de  le  fausser  selon 
I'ancienne  methode ,  car  c'etait  un  proces  qui  exigeait  forcement 
ia  «  bataille;  »  c'est  bien  ce  que  dit  I'ordonnance  de  1260,  art.  8  : 

(1)  XXII,  21,  22. 

(2)  Beaum.,  i,  14;  of.  livre  de  /.  etPl.,  i,  4,  §  4. 

(3)  Beaum.,  lxi,  65,  66. 

(4)  Beaum.,  lxi,  66.  MM.  Boutario  {Saint  Louis  et  Alphonse  de  Poitiers)  et 
Fournier  {Essai  sur  I'histoire  de  I'appel,  p.  190  sqq.),  ^tablissent  qu'au  plus  fort 
du  Moyen-Age  I'appel  veritable  existait  dans  certaines  villes  municipales  du  midi 
de  la  France. 


28  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

«  Se  aucun  veut  fausser  jugement  ou  pais  ou  il  apartient  que 
jugement  soit  fausse,  il  n'i  aura  point  de  bataille  mes  les  clains  et 
les  respons  et  les  autres  destraias  de  plet  seront  apportez  en 
nostre  cour,  et  selon  les  erremens  de  plet  Ten  fera  depecier  ou 
tenir,  et  cil  qui  sera  trouve  en  son  tort  I'amendera  selon  la  cous- 
tume  de  la  tare  (1).  »  Get  appel  ainsi  intente  centre  les  «  hommes 
du  roi,  »  est  sigaale  par  Pierre  de  Fontaines  comme  une  nou- 
veaute  :  «  Je  meismes  menai  la  querele  que  tu  me  demandes  par 
devant  le  roi ,  savoir  mon  se  jugemens  puet  estre  rappele  par 
usage  de  cors  laie  fors  par  bataille  :  et  certes  je  vi  que  li  home  le 
roi  a  Saint-Quentin  feirent  jugement  entre  deux  dames ,  dont 
I'une  apela  a  la  cort  le  roi...  L'en  jugea  qu'il  avoient  fet  a  la 
dame  II  faus  jugemenz,  por  quoi  la  dame  recovra  quanque  ele 
avoit  perdu,  et  I'amenderent  au  roi.  Et  ce  fu  li  premiers  dont  je 
oisse  parler  qui  fu  rappelez  en  Vermandois  sans  bataille  (2).  » 

Les  nouvelles  formes  de  procedure  favorisaient  I'appel  d'un 
autre  c6te.  II  est  bien  difficile  de  recommencer  un  debat  en 
seconde  instance,  s'il  n'a  pas  ete  d'abord  fixe  par  I'ecriture;  et 
nous  dirons  plus  loin  quel  role  I'ecriture  jouait  dans  I'enquete. 
L'appel  se  modelait  ainsi  pen  a  pen,  d'apres  les  principes  du 
droit  remain;  les  Etablissements  de  Saint  Louis  le  designent  sous 
le  nom  «  d'amendement  de  jugement ,  »  et  declarent  qu'il  faut  y 
suivre  les  regies  des  lois  romaines  (3).  II  ne  faisait  point  d'ail- 
leurs  les  memes  progres  dans  les  justices  des  seigneurs  que  dans 
les  justices  royales;  meme  apres  I'ordonnance  de  1260,  on  sui- 
vait  ordinairement  dans  les  cours  feodales  I'ancienne  forme  de 
proc6der,  et  l'appel  de  faux  jugement  etait  seul  possible ;  cepen- 
dant  la  meme  la  procedure  selon  «  I'etablissement  le  roi,  »  ga- 
gnait  du  terrain,  et  Beaumanoir  indique  par  quels  moyens  on 
pouvait  appeler  «  par  erremens  de  plet  et  non  par  bataille  devant 
le  juge  superieur  (4).  » 

Jusqu'ici  nous  avons  bien  vu  comment  l'appel  etait  ne ,  mais 
non  comment  il  devint ,  pour  la  royaute ,  un  puissant  moyen  de 

(1)  Isambert.  I,  288 ;  Et.  S.  Louis,  J,  80. 

(2)  XXII,  23. 

(3)  I,  80. 

(4)  Lxvii,  7,  8. 


DU  XIII°  AU  XVIl"  sieCle.  29 

domination ,  ce  qui ,  pour  notre  etude ,  est  le  point  important ;  il 
faut  le  dire  maintenant. 

On  admit  d'abord  que  tout  jugement  rendu  devant  un  seigneur 
justicier  pouvait  etre  defere  au  roi  par  la  partie  grevee,  s'il  etait 
contraire  aux  coulumes  du  pays.  Cast  ce  qu'indique  Pierre  de 
Fontaines  :  «  Quant  aucuns  dit  que  Ten  li  a  fait  jugement  centre 
la  coustume  del  pais  commune ,  bien  afiert  au  roi  qui  les  cos- 
tumes a  a  garder,  qu'il  oie  le  recort  du  jugement,  bien  afiert  a  lui 
qu'il  les  face  rencerinier  et  amender  ce  qui  est  fez  encontre ;  mes 
s'il  ne  trueve  la  costume  brisiee,  encore  apele  le  jugemenz 
mauveis  par  autre  reison,  ne  s'en  doit  li  rois  meller,  puisqu'il 
ne  fut  faussez  la  ou  il  devoit  en  tens  convenable  (1).  »  Sans 
doute  ce  n'etait  que  quant  aux  points  de  droit ,  que  le  jugement 
pouvait  §tre  ainsi  soumis  au  roi  :  cette  voie  de  recours  n'etait 
pas  I'appel  proprement  dit,  et  les  vieux  juristes  Ten  distinguaient 
bien;  ils  I'appelaient  supplication,  d'un  nom  emprunte  au  droit 
remain.  Le  livre  de  Jostice  et  de  Plet  a.  un  litre  qui  porte  pour 
rubrique  :  «  d'apiaus ,  de  supplication ,  et  de  fans  jugemenz ;  »  il 
y  est  dit :  «  Segont  la  coustume  de  France  Ten  ne  doit  pas  ape- 
ler;  car  ce  n'a  pas  este  use.  Mez  se  aucuns  est  grevez  de  juige- 
ment  il  doit  dire  tex  paroles  :  «  Je  me  tiens  agrevez  de  la  sen- 
tence que  vos  avez  donee  contre  moi,  qui  n'est  pas  bone ,  ne  tele 
come  ele  doit  estre  selonc  les  us  de  la  terre ,  ains  est  malvese  et 
ne  me  tiens  pas  apaieiz,  car  li  juigemenz  est  faus;  si  en  requier 
I'amendement  dou  soverain.  »  Et  quant  il  est  devant  le  soverain 
il  doit  dire  tex  paroles  :  «  Sire ,  je  soploi  a  vos  comme  a  soverain 
que  li  quens  de  Blois  a  donnee  sentence  contre  moi...  et  a  tel 
jour  fu  donnee  et  de  tex  gens...  laquele  est  fause  et  malvese  et 
non  droituriere  selon  les  us  do  pais ,  por  laquele  chose ,  Sire ,  je 
vos  requier  amendement  de  jugement.  »  Lor  si  doit  dire  la  cause 
resonable  por  quoi  li  juigement  est  mauves  (2).  »  Mais  il  semble 
qu'on  employait  surtout  le  mot  «  supplication  »  pour  eviter  les 
contestations  sur  la  recevabilite  du  recours  (3). 

(1)  XXII,  33. 

(2)  XX,  16,  §2. 

(3)  6taU.  S.  Louis,  II,  15.  «  Souplication  doit  ^tre  faite  en  Cour  le  roi  et  non 
pas  apel  :  car  apel  oontient  f^lonie  et  iniquity,  selon  droit  escrit  au  Code  :  de 


30  LA   PROCEDURE    CRIMINELLE 

Cette  iastitution  ne  pouvait  manquer  de  se  transformer  en 
un  veritable  appel  qui  soumettrait  au  roi  les  sentences  de  toutes 
les  juridictions  du  royaume.  Bientot,  les  jugeurs  disparaissent 
pen  a  pen  des  cours  feodales  pour  faire  place  aux  juristes 
officiers  de  justice,  et  le  droit  remain  exercant  une  influence 
toujours  plus  grande,  I'appel  s'etablit  dans  toute  la  hierarchie 
des  juridictions.  II  suivit  les  regies  du  ressort,  que  nous  avons 
retracees  pour  les  voies  de  recours  de  la  procedure  feodale; 
on  appela  du  seigneur  inferieur  au  seigneur  superieur  de  degre 
en  degre;  du  due  ou  du  comte  on  appelait  au  roi.  Get  appel 
ne  se  porta  plus  directement  au  Parlement ,  mais  d'abord  devant 
le  senechal  ou  le  bailli  :  "  L'en  peut  appeler  de  due ,  de  conte 
au  bailli  s'il  fet  tort,  en  petiz  aferes  (1).  »  Probablement  ce 
texte  indique  plutot  une  maxime  qu'on  voudrait  faire  adopter 
que  le  droit  alors  suivi;  mais  le  systeme  s'etablit  (2). 

Dorenavant  ii  n'etait  plus  permis  de  sauter  un  ou  plusieurs 
degres  et  de  s'adresser  directement  au  roi;  c'est  ce  que  nous 
trouvons  enonce  dans  le  Livre  des  Droiz  et  Commandemens  de 
Justice  :  «  Si  aucune  des  parties  se  sent  agrevee  du  jugement, 
si  en  doit  appeler  presentement  devant  le  juge  souverain,  et 
le  doit  nommer  et  doit  dire  que  jugemenz  soit  fans  et  mau- 
vaiz...  et  s'il  avoit  appele  au  seneschal  royal,  et  non  mie  au 
barron  qui  est  entre  II ,   le  baron  auroit  I'obeissance  s'il  la 


haiit  prince  les  priires,  en  la  loi  qui  commence  Si  quis  adversus ,  et  la  loi  Ins- 
trumentorum,  et  en  la  loi  unique  qui  commence  Litigantibus  el  Code  de  Senlentiis 
Prcefecti  praelorio,  et  en  la  Digeste  De  minoribus  en  la  loy  PrcBfecti,  ot.  il  est  escrit 
que  l'en  doit  souploYer  au  Roy  que  il  jugement  voye  ou  face  voir,  et  se  il  n'est 
contre  droit  qu'il  le  face  tenlr  et  enteriner  par  la  coustume  du  pays.  » 

(1)  Livre  de  J.  etP.,1,  19 ,  %  2. 

(2)  II  est  curieux  de  voir  comment  au  xvii»  sifecle  dans  une  publication  officielle, 
comme  nous  dirions  aujourd'hui ,  on  envisageait  I'origine  des  appels  :  Mimoires 
des  intendants  sur  I'itat  des  ginSralitis  dressis  pour  I'mstruciion  du  due  de 
Bourgogne,  tome  I,  public  par  M.  de  Boislisle,  p.  169  :  «  Hugues-Capet,  k  son 
av6nement  4  la  couronne ,  ayant  distribue  aux  seigneurs  du  royaume  des  terres 
nobles ,  avec  reserve  de  foi  et  hommage ,  ii  la  charge  de  le  servir  et  de  le  suivre 
k  la  guerre,  il  leur  accorda  aussi  le  droit  de  justice  haute,  moyenne  et  basse 
sur  leurs  hommes  et  sujets,  et  se  rfiserva  le  droit  de  ressort,  c'est-i-dire  les 
appellations  de  leurs  juges  a  ses  officiers...  Ces  seigneurs  s'italent  reserve  de 
mfimeou  a  leurs  officiers  les  appellations  des  justices  infSrieures...  » 


DU  Xm"  AU   XVII'   SIECLE.  31 

requeroit  (1).  »  Mais  bientdt  s'etablit  cette  regie,  qu'en  matiere 
criminelle,  s'il  s'agissait  d'une  condamnation  capitale,  on  pou- 
vait  aller  directement  devant  le  juge  souverain  :  «  II  est  droit 
que  si  aucun  homme  est  condamne  k  mort  par  aucune  justice 
il  peut  appeler  au  souverain  juge,  ou  autre  de  son  lignage 
pour  luy.  »  —  «  Si  aucun  etoit  condamne  el  mort  par  ses  meffets, 
il  puet  biea  en  appeler  au  souverain  juge  royal ,  ou  au  baron 
qui  est  entre  eux  deux,  ou  autre  de  son  lignage  pour  luy  (2).  » 
Dans  tons  les  cas  graves ,  il  pouvait  done  se  faire  qu'il  n'y  eut 
pas  d'autre  juge  d'appel  que  le  juge  royal;  un  peu  plus  tard 
ce  sera  la  regie. 

D'autres  combinaisons  juridiques  permirent  encore  d'attirer 
devant  les  justices  royales  certains  justiciables  des  seigneurs.  Un 
principe  nouveau  y  servit  puissamment,  principe  d'ailleurs  fort 
raisonnable  et  qui  est  reste ,  celui  de  la  competence  territoriale 
en  matiere  criminelle. 

Selon  les  anciennes  regies,  que  nous  avons  exposees,  chacun 
repondait  de  ses  delits  devant  le  seigneur  «  sous  qui  il  couchait 
et  levait;  »  mais  nous  avons  vu  que  cette  competence  cedait 
devant  celle  d'un  autre  justicier  lorsque  le  justiciable  etait  pris 
en  flagrant  delit  sur  un  autre  territoire.  On  chercha  a  rendre 
competent  le  juge  du  lieu  du  delit  alors  meme  que  le  coupable 
n'etaitpas  pris  sur  le  fait.  D'abord  on  jiecida  qu'il  suffirait  pour 
cela  que  la  capture  eut  ete  operee  sur  plieu,  alors  meme  qu'il  se 
serait  ecoule  un  certain  laps  de  temps  depuis  I'infraction  accom- 
plie  (3) ;  puis  on  finit  par  supprimer  la  necessite  de  la  capture. 
Le  juge  du  lieu  oii  le  fait  s'est  accompli  n'est-il  pas  toujours  le 
mieux  place  pour  recueillir  les  preuves?  C'est  ce  que  decida 
I'ordonnance  de  Moulins  (art.  35). 

En  sens  inverse,  la  royaute  avait  invoque  contre  les  seigneurs 


(1)  §  241.  (Edit.  Beautemps-Beaupr^)  :  Cf.  Ancienne  coutume  de  Bourgogm 
(1270-1360),  art.  90  :  «  De  appellacionibus  :  S'aucun  appelle  en  d^aissant  le  moyen 
auditoire,  se  li  appelez  requiert  estre  renvoy6  par  devant  le  juge  dilaissiez  par 
I'appelant  auquel  la  connoissance  de  Tappellation  devra  appartenir,  il  y  sera  ren- 
voyez.  )i  Ch.  Giraud ,  Essai  sur  I'histoire  du  droit  fran^ais ,  torn.  II,  p.  284. 

(2)  Livre  des  Droiz,  §  644  et  585. 

(3)  Ordonnance  de  Roussillon  (1564) ,  art.  19. 


32  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

le  droit  de  bourgeoisie  personnelle.  Le  roi  accordait  le  droit  de 
bourgeoisie  individuellement  a  certaines  personnes,  et  ces  bour- 
geois du  roi,  a  moins  d'etre  pris  en  flagrant  delit,  ne  pouvaient 
etre  poursuivis  criminellement  que  devant  les  juges  royaux  (1). 

Par  tous  les  moyens ,  que  nous  venons  d'indiquer,  la  royaute 
avait  peu  a  peu  restreint  I'importance  des  juridictions  seigaeu- 
riales;  elle  restreignit  aussi  la  competence  des  juridictions  eccle- 
siastiques.  EUe  attira  devant  ses  tribunaux  certains  crimes,  qui 
auparavant  relevaient  des  cours  de  chretienU,  ratione  materiae,  en 
les  faisant  rentrer  dans  la  classe  des  crimes  de  lese-majeste ,  et 
par  la  dans  celle  des  cas  royaux;  mais  surtout  elle  afTaiblit  la 
portee  du  privilege  de  clergie.  On  decida  que  dans  les  cas  tres- 
graves  et  qui  meritaient  une  peine  superieure  aux  peines  canoni- 
ques,  les  clercs  seraient  juges  par  les  juges  royaux,  sans  que 
ceux-ci  fussent  tenus  de  les  rendre  a  I'Eglise  :  c'est  ce  qu'on  ap- 
pela  les  cas  privil6gi6s;  le  privilege  etait  ici  non  pour  I'accuse 
mais  pour  le  juge.  La  theorie  s'etablissait  deja  au  temps  de  Bou- 
teiller  :  «  Les  clercs  ne  doibvent  estre  connus  pour  cause  qu'ils 
aient  fors  devant  leur  juge  et  prelat,  soil  la  cause  civile  ou  cri- 
minelle...,  sinon  en  sauvegarde  enfreinte  ou  port  d'armes,  car  de 
ces  cas  convient  qu'ils  repondent  au  juge  lai  (2). »  Laliste  des  cas 
privilegies  alia  toujours  en  augmentant ;  elle  comprit  bient6t  tous 
les  cas  royaux  et  un  grand  nombre  d'autres  crimes;  Muyart  de 
Vouglans ,  au  xviii°  siecle ,  en  enumerera  quinze  etablis  par  les 
ordonnances  et  vingt-huit  determines  par  la  jurisprudence  (3). 

A  cote  du  cas  privilegie  on  mit  le  delit  commun,  puni  d'une 
facon  suffisante  a  la  fois  par  les  lois  ordinaires  et  par  le  droit 
canonique  :  pour  les  delits  communs  commis  par  les  clercs ,  les 

(1)  Elab.  S.  Louis,  II,  4,  31,  32;  —  Brussel,  op.  cit.,  torn.  II,  p.  921,  ssq.  — 
Aux  entreprises  de  la  royaute  en  fait  de  justice,  la  noblesse  n'opposa  que  peu  de 
resistance  :  «  C'est  de  connivence  avec  la  vieille  et  veritable  noblesse  que  I'en- 
vahissement  du  pouvoir  royal  dans  la  justice  Kodale  fut  possible.  Les  seigneurs 
desertaient  leurs  assises  par  ennui,  par  negligence,  par  fiert6  solitaire,  et  sur- 
tout par  suite  de  leurinsuffisance  dont  ils  eurent  conscience  du  moment  oi  rendre 
la  justice  fut  devenu  une  fonction  delicate  qui  imposalt  la  peine  de  d^nouer  ce 
qu'on  s'^tait  habituS  a  trancher.  »  Boutaric,  Actes  du  Parlemnt  de  Paris;  preface. 

(2)  Somme  rur.,  II ,  tit.  7. 

(3)  Inst,  crim.,  Illo  partie,  p.  34,  ssq. 


D.D   XIII°  A.U  XVII°   SIECLE.  33 

deux  juridictions  laique  et  ecclesiastique  etaient  competentes  ;  la 
premiere  saisie  restait  saisie.  C&mme  tout  cas  privilegie  conte- 
nait  en  meme  temps  ua  delit  canonique ,  pour  ne  pas  violer  le 
droit  de  I'Eglise ,  on  admettait  qu'elle  pourrait  aussi ,  a  cote  du 
juge  royal  et  pour  le  memo  fait,  faire  le  proces  a  I'accuse. 
C'etaient  deux  instances  successives ,  entre  lesquelles  I'ordre  de 
preseance  varia  suivant  les  temps,  jusqu'a  ce  qu'on  las  reunit 
en  une  seule,  a  laquelle  prenaient  part  I'un  et  I'autre  juge.  Pour 
les  infractions  purement  ecclesiastiques ,  I'Eglise ,  bien  entendu , 
resta  seule  competente. 

Pour  imposer  ces  diverses  regies ,  la  royaute  trouva  un  instru- 
ment puissant  dans  Vappel  comme  d'abus.  Enfin  le  droit  d'asile, 
dont  nous  avons  parle  plus  haut,  fut  singulierement  restreint, 
puis  definitivement  supprime.  On  commenca  par  I'ecarter  lors- 
que  le  coupable  avait  sciemment  accompli  son  mefait  pres  d'une 
eglise,  afin  de  s'y  refugier  ensuite  (1);  I'ordonnance  de  1539 
I'abolit  (art.  166);  les  quelques  restrictions  que  contenait  ce 
texte  ne  devaient  pas  subsister. 

Dans  tout  ce  grand  mouvement ,  la  souverainete  des  villes  de 
commune  avait  disparu,  mais  les  juridictions  municipales,  au 
criminal  du  moins ,  furent  generalement  maintenues  :  alias 
etaient  peu  dangerauses,  les  communes  n'etant  plus  que  les 
«  bonnes  villes ;  »  puis  la  royaute  s'appliqua  et  reussit  a  s'ar- 
roger  la  nomination  des  officiers  municipaux,  au  moins  en  fait, 
sinon  toujours  en  droit. 

II. 

En.etendant  leur  competence,  les  juridictions  royales  devaient 
modifier  leur  organisation ;  I'ancien  organisme  devait  s'adapter 
aux  besoins  nouveaux.  Les  modifications  s'opererent  en  deux 
sens  :  les  ancians  tribunaux  virent  augmenter  leur  personnel ; 
des  tribunaux  d'exception  furent  crees  a  cote  des  juges  da  droit 
commun. 

Les  prevots,  qui  etaient  au  bas  de  la  hierarchie,  subsisterent 

(!)  Jean  Desmares ,  regies  4,  7. 


•34  LA   PROCEDURE   CRIMINELLE 

dans  leur  ancienne  conditioa  :  « les  prev6ts  royaux,  qui  en  de 
certaines  provinces  sont  connus  sous  le  nom  de  chatelains ,  vi- 
guiers,  vicomtes,  sont  proprement  ceux  que  nous  appelons  juges 
ordinaires,  parce  qu'ils  jugent  tous  les  cas  ordinaires  (1).  »  lis 
ne  Statuaient  jamais  qu'en  premiere  instance;  ils  ne  connais- 
saient  point  des  accusations  portees  contre  les  nobles  ni  des  cas 
royaux.  Le  nombre  «  s'en  multiplia  considerablement ;  »  ce  ne 
fut  qu'en  1749  qu'on  supprima  les  prevotes,  etablies  dans  les 
villes  ou  il  y  avait  des  sieges  de  bailliage ,  et  qu'on  les  reunit  a 
ces  bailliages  (2).  Les  prev6ts  n'avaient  point  d'assesseurs  regu- 
liers  (3). 

Les  baillis  et  senechaux  formaient  toujours  le  second  degre  des 
juridictions  royales.  Ambulants  dans  I'origine,  ils  etaient  devenus 
sedentaires  :  «  lis  flxerent  leur  residence  dans  I'endroit  le  plus 
considera;ble  de  la  province.  On  n'attendait  plus  des  lors  qu'ils 
fissent  leur  tournee  ordinaire  pour  reclamer  leur  justice  et  leur 
protection;  on  leur  demanda  la  permission  de  traduire  devant 
eux  les  parties  avec  lesquelles  on  etait  en  proces  (4).  »  Bien- 
tdt  les  baillis  ne  purent  plus  suffire  a  leur  tache  :  «  on  tolera 
qu'ils  eussent  des  lieutenants ;  comme  le  nombre  qu'ils  en  pou- 
vaient  avoir  n'etait  pas  determine ,  ils  en  avaient  plusieurs  (5).  » 
D'abord  ils  ne  leur  donnaient  qu'une  delegation  toujours  revo- 
cable; mais  le  fait  se  transforma  en  droit.  Les  lieutenants  de- 
vinrent  des  officiers  de  judicature  que  les  baillis  ne  pouvaient 
plus  revoquer  :  «  les  lieutenants  des  baillis  etaient  amovibles, 
mais  la  faculte  de  destituer  ceux-la  fut  otee  a  ceux-ci  par  I'ar-  . 
tide  47  d'un  edit  de  1496  (6).  »  Enfin,  les  suppleants  deposse- 


(i)  Muyart  de  Vouglans  :  Instilutes  au  droit  criminel,  p.  143  {6d.  17S7). 

(2)  Muyart,  op.  cit.,  p.  144. 

(3)  Bieu  entendu,  il  est  une  pr^vfite  a  laqaelle  ceci  ne  s'applique  pas;  nous 
Toulons  parler  du  Chatelet  de  Paris.  Ici  il  y  avait  un  corps  important  de  magis- 
trals :  «  Cette  juridiction  est  oomposSe  de  :  un  lieutenant  general  civil,  un  lieu- 
tenant criminel ,  deux  lieutenants  particuliers ,  cinquante-sept  conseillers  ,  etc.  » 
{M6moires  desinlendants  des  giniraliUs,  dressispour  Vinstruction  du  due  de  Bour- 
gogne,  topi.  I,  publi6  par  M.  de  Boislisle,  p.  200). 

(4)  Guyot,  Ripertoire,  V  Bailli. 

(5)  Guyot ,  Repertoire ,  V"  Bailli. 

(6)  lUd. 


DU  xm°AU  xvn°  siecle.  3S 

derent  les  titulaires;  ils  flrent  passer  entre  leurs  mains  tout  ce 
^qui  concernait  radministration  de  la  justice,  et  le  bailli  ne  con- 
serva  plus  a  cet  egard  que  des  droits  honorifiques.  Cast  la  du 
reste  un  phenomene  qui  se  produit  toujours  dans  de  semblables 
conditions ;  celui  qui  a  la  peine  et  la  responsabilite  veritable  finit 
par  avoir  la  fonction.  «  Les  baillis ,  dit  Muyart  de  Vouglans ,  ne 
pouvant  suffire  a  leur  fonction ,  ils  se  sont  vus  dans  la  necessite 
de  la  partager  et  de  faire  exercer  celle  qui  concerne  la  justice 
par  des  officiers  particuliers  que  nous  connaissons  aujourd'hui 
sous  le  nom  de  lieutenants  generaux,  lieutenants  criminels  et 
lieutenants  particuliers...,  mais  ils  n'ont  pas  conserve  le  droit  de 
nommer  et  de  revoquer  ces  officiers  qui  tiennent  leur  provision 
immediatement  du  roi ;  ils  n'ont  pas  meme  conserve  aucune  auto- 
rite  sur  ceux-ci ,  qui  ont  une  juridiction  propre ;  en  un  mot ,  il  ne 
leur  reste  plus  de  vestige  de  leur  ancienne  superiorite  que  le 
titre  de  grands  baillis  et  senechaux  avec  le  droit  de  faire  intituler 
de  leur  nom  les  jugements  que  rendent  leurs  lieutenants  (1).  » 

Au  lieutenant  criminel  etait  echu  le  jugement  des  causes  cri- 
minelles;  dans  notre  ancien  droit  il  etait  le  juge  en  matiere 
repressive  pour  toutes  les  affaires  importantes,  soustraites  aux 
prevots.  Les  lieutenants  particuliers  etaient  des  officiers  «  etablis 
dans  chaque  bailliage  pour  presider  en  I'absence  des  lieutenants 
generaux  et  des  lieutenants  criminels  et  juger  toutes  les  matieres 
dont  ceux-ci  peuvent  connaitre.  «  On  ne  s'arreta  meme  pas  la 
dans  cette  voie  des  suppleances ;  on  crea  encore  des  assesseurs 
criminels;  «  ils  ont  le  droit  d'assister  aux  jugements  que  rendent 
les  lieutenants  criminels  et  de  les  remplacer  dans  leurs  fonc- 
tions  (2).  »  Les  lieutenants  criminels  furent  eriges  en  titre  d'of- 
fice  dans  chaque  bailliage  par  des  edits  de  Francois  I"  en  1322 
et-de  Henri  II  en  1554  :  « il  y  eut  aussi  en  mai  1552  une  nouvelle 
creation  de  ces  officiers  pour  tousles  sieges  presidiaux  (3).  » 

Les  baillis  a  I'origine,  plus  tard  les  lieutenants  criminels, 
instruisaient  les  proces  criminels ,  nous  dirons  plus  loin  d'apres 
quelles  regies;  mais  jugeaient-ils  seuls?  Le  bailli,  d'abord,  jugeait 

(i)  Muyart ,  />js<.,  p.  147. 

(2)  Muyart, /nsi.,  p.  149. 

(3)  Ibi4.,  p.  146. 


36  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

seul ,  mais  en  s'entourant  d'un  conseil  de  preudhommes  et  de 
praliciens,  comme  nous  I'avons  observe  :  «  II  s'etablit  autour 
d'eux  des  gens  instruits  dans  la  science  du  droit,  des  loix,  des 
coutumes  et  des  usages ;  les  uns  servaient  a  defendre  les  parties, 
les  autres  aidaient  le  bailli  de  leurs  lumieres  et  de  leur  conseil : 
c'est  ainsi  que  se  sont  formes  ces  premiers  sieges  de  province 
sous  le  nom  de  bailliages  et  de  senechaussees.  Les  avocats  atta- 
ches a  ces  sieges  etaient  les  conseillers  nes  du  bailli  et  de  ses 
lieutenants  (1).  »  Ici  encore  ce  qui  n'etait  qu'un  service  passager 
devint  une  fonction  :  «  Dans  la  suite  les  avocats,  trop  occupes 
des  affaires  de  leurs  clients,  ne  pouvant  pas  assister  le  bailli 
dans  ses  audiences,  il  fut  cree  dans  ces  memes  sieges  des  con- 
seillers en  titre  d'office  avec  defense  a  eux  de  s'occuper,  comme 
conseils,  des  affaires  d'autrui...  Ces  officiers  ontle  titre  de  ma- 
gistrats ;  lorsqu'ils  sont  a  I'audience,  ils  ont  voix  deliberative  avec 
les  lieutenants  du  bailli;  et  les  avocats  du  siege  les  suppleent 
lorsqu'ils  sont  absents  ou  qu'il  y  a  centre  eux  des  motifs  de  recu- 
sation (2).  » 

(1)  Guyot,  Ripert.,  V»  Baitti.  —  Get  etat  de  ohoses  est  bien  nettement  constats 
pour  le  xiv">  sifecle  dans  le  Regisire  criminel  du  ChdteUt.  C'est  le  pr6v6t  seul  qui 
est  juge ;  mais  dans  chaque  affaire  on  enregistre  soigneusement  les  noms  de  ceux 
qui  lui  servent  de  conseillers.  La  composition  de  ce  conseil  varie  d'une  audience 
a  I'autre ,  et  Ton  y  trouve  des  personnages  pris  dans  differentes  classes  de  la 
sociStS;  des  membres  du  Parlement  (I,  p.  98,  240,  333);  des  «  61us  sur  le  fait 
des  aydes  »  (I,  240),  des  sergents  d'armes  et  sergents  a  verge  (I,  364),  des 
chevaliers  du  guet  (1 ,  267) ,  des  docteurs  (1 ,  442) ,  des  «  cirurgiens  jurez  du 
roy  »  (I,  126),  de  simples  bourgeois  de  Paris  (I,  2TJ);  mais  11  y  figure  surtout 
des  avocats  et  des  prooureurs.  Ceux  qui  se  retronvent  h  chaque  audience  sont 
des  fonctionnaires,  «  les  examinateurs  au  Ch^telet.  »  Chose  notable,  le  procureur 
du  roy  A.ndrleu  le  Preux  figure  frSquemment.  parmi  les  conseillers.  Ils  ont  pour 
fonction  «  de  lire,  visiter,  et  surtout  conseiller  les  procfes.  »  Toutes  les  fois  qa'il 
s'agit  de  prononcer  une  sentence,  le  pr6v6t  recueille  leurs  avis ;  mais  il  n'est  lie 
en  aucune  fagon  par  ces  conseils;  cela  ressort  de  toutes  les  procedures  et  cela 
est  dit  express6ment  en  certains  passages.  Voy.  par.  ex.  I,  p.  237  :  «  Ouyes 
icelles  oppinions,  ledit  mons.  le  prevost  dit  que,  quant  de  present,  Ten  surseroit 
d'accomplir  auoun  desdis  jugemens ;  que ,  sur  ce ,  chascun  pensast  et  advisast  la 
plus  seure  et  meure  oppinion ,  et  il  meismes  en  parleroit  a  aucuns  conseillers 
et  aussi  y  penseroit.  Et  ce  fait,  lui  retournS  oudit  Chastellet,  feroit  ou  surplus 
et  accompliroit  raison  et  justice  dudit  prisonnier.  » 

(2)  Guyot,  Ripert.,  V»  Bailli.  —  On  voit  que  la  rfegle,  qui  subsiste  encore,  d'a- 
pres  laquelle,  en  cas  d'absence  d'un  juge,  on  appelle  un  avocat  k  le  suppleer  est 
le  dernier  vestige  d'un  vieil  usage  des  tribunaux  du  Moyen-Age. 


DU   XIII°  AU  XVII°  SIECLK.  •  37 

Sous  Henri  II  il  fut  cr6e  des  sieges  d'une  importance  particu- 
liere;  ce  sont  les  presidiaux.  «  Par  I'edit  du  mois  de  novembre 
1351...  ce  prince  ordonna  que  dans  les  principaux  bailliages  et 
senechaussees  il  y  aurait  un  presidial  compose  de  neuf  magistrals 
pour  le  moins ,  y  compris  les  lieutenants  generaux  et  partifiu- 
liers,  civils  et  criminels.  »  Ces  tribunaux  au  civil  jugeaient  en 
dernier  ressort  les  causes  de  pen  d'importance ;  au  criminel  ils 
ne  se  distinguaient  des  autres  bailliages  qu'en  ce  qu'ils  pouvaient 
connaitre  des  cas  prevotaux.  Ce  sont  les  lieutenants  criminels  des 
bailliages  oii  il  y  avait  un  presidial  que  I'ordonnance  de  1670 
appellera  «  nos  juges  presidiaux.  » 

L'importance  et  le  personnel  du  Parlement  avaient  toujours 
augmente ;  une  chambre  speciale  s'etait  instituee  pour  juger  les 
proces  criminels,  c'etait  la  Tournelle  (1).  «  Des  lois  |rendlies 
dans  les  derniers  temps  qu'embrasse  la  collection  des  ordon- 
nances,  parlent  d'une  chambre  du  Parlement  nommee  Tournelle. 
L'ordonnance  du  28  octobre  1446  (Ord.  XIII,  p.  371),  art.  10 
et  11,  est  la  premiere  qui  en  fasse  mention  comme  distincte  des 
autres  chambres,  mais  elle  ne  I'institue  pas.  Ces  articles  coiis- 
tatent  la  possession  ou  elle  etait  deja  de  juger  les  proces  crimi- 
nels (2).  » 

-D'autre  part,  les  parlements  de  province  naissaient  les  uns 
apres  les  autres.  Nous  avons  deja  indique  ceux  qui  furent  crees 
jusqu'a  la  fin  du  xvi^  siecle.  Au  xvii"  siecle  il  en  parait  de  nou- 
veaux ;  ce  sont  ceux  de  Pau  (1620),  pour  le  Beam  et  la  Navarre; 
de  Metz  (1633),  pour  les  Trois-Eveches ;  de  Besancon  (1676);  de 

(1)  On  discute,  on  le  sail,  sur  rorigine  de  ce  nom;  selon  les  uns,  11  vient 
du  lieu  oil  s'assemblait  cette  chambre.  Voy.  Registre  criminel  du  Chdtelet,  II, 
312  :  «  En  laquele  court  de  parlement  pardevant  honorable  homme  et  sage 
maistre  Simon  Foison,  president  en  parlement,  et  par  autres  nos  seigneurs  dudit 
parlement  assemblez  en  la  Tournelle  de  derri^re  ladite  Court  de  parlement,  ledit 
Mons.  le  prevost  dit  et  desclaira,  etc.  »  —  Selpn  d'autres,  cette  denomination 
vient  du  roulement  au  moyen  duquel  cette  chambre  6tait  compos^e  :  Voy.  M6- 
moires  des  intendants  dressis  pour  I'instruction  du  due  de  Bomgogne,  I,  175  :  «  La 
Tournelle  criminelle  est  composee  de  quatre  presidents  a  mortier,  de  neuf  con- 
seillers  laiques  de  la  Grand'Chambre,  et  de  deux  conseillers  de  chacune  Chambre 
des  enquetes ,  qui  y  servent  tour  4  tour  pendant  trois  mois.  Les  conseillers  de  la 
Grand'Chambre  y  servent  six  mois.  » 

(2)  Pardessus,  Euai  sur  I'orgmisation  judieiavre,  p.  163. 


38  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

Douai  (1686),  pour  les  provinces  conquises  des  Pays-Bas.  Au 
xviii°  siecle  sera  fonde  le  Parlement  de  Nancy,  en  1775.  Plusieurs 
de  ces  parlements  ne  faisaient  que  continuer  les  anciennes  Cours 
souveraines  des  grands  fiefs  reunis  a  la  couronne.  II  y  avait 
aussi  le  Conseil  superieur  d' Alsace ,  qui ,  apres  bien  des  vicissi- 
tudes, fut  definitivement  installe  a  Colmar  en  1698,  et  le  Con- 
seil superieur  de  Roussillon,  etabli  a  Perpignan  en  1660. 

Le  Parlement  de  Paris ,  dans  ses  transformations  successives , 
conservait  un  des  caracteres  qui  distinguaient  la  Cour  feodale 
qu'il  avait  ete  jadis.  II  restait  la  Cour  des  Pairs;  c'est-a-dire  que 
les  Pairs  de  France  avaient  toujours  en  principe  le  droit  d'y 
prendre  seance ,  et  qu'ils  ne  pouvaient  etre  juges  que  par  lui.  Au 
XVIII*  siecle  ce  droit  est  affirme  avec  energie.  Voici  ce  que  nous 
lisons  dans  des  articles  arretes  par  le  Parlement ,  toutes  cham- 
bres  assemblees  le  23  Janvier  1753 ,  pour  fixer  les  objets  des 
remontrances  ordonnees  le  4  du  memo  mois  de  Janvier  :  «  Les 
Pairs,  attaches  inseparablement  par  leur  dignite  a  la  personne 
sacree  de  Votre  Majeste,  ne  pouvaient  manquer  d'etre,  des  I'ins- 
tant  meriie  de  leur  etablissement,  membres  d'une  Cour  souve- 
raine ,  premiere  et  capitale ,  suivant  les  expressions  de  nos  rois... 
Les  Pairs  ont  toujours  ete  regardes  comme  membres  necessaires 
de  cette  Cour...  de  cette  relation  essentielle  entre  le  corps  et  les 
membres ,  nait  par  consequence  un  droit  respectif  et  inviolable ; 
droit  indivisible  dans  ce  double  rapport,  par  lequel  il  autorise 
d'une  part  les  princes  et  les  Pairs ,  ainsi  que  tons  les  magistrats 
qui  appartiennent  a  votre  Parlement ,  a  venir,  en  toute  occasion , 
y  prendre  seance;  et  de  I'autre  la  Cour  des  Pairs  a  reunir  ses 
membres  quand  elle  le  juge  a  propos ,  en  appelant  a  ses  delibe- 
rations tons  ceux  qui ,  par  leurs  dignites ,  etats  et  offices ,  ont 

I'honneur  d'etre  de  son  corps Le  Parlement  fut  toujours  le 

vrai  juge  des  Pairs ,  le  Tribunal  ok  les  causes  des  Pairs  doivent, 
de  leur  nature  et  droit,  etre  conduites  et  traitees  (1).  » 

Outre  ses  fonctions  ordinaires  et  normales ,  le  Parlement  par- 
ticipait  extraordinairement  a  I'administration  de  la  justice  par 
la  tenue   des  Grands -Jours.   C'etaient   des   assises   solennelles 

(1)  P.  113,  ssq.  Cf.  Lettres  historiques  sur  le  Parlement,  tome  II,  passim. 


DU  XIII°  A.U  XVn°   SIECLE.  39 

tenues  dans  une  province  par  des  commissaires  choisis  par  le 
roi ;  par  la  on  avail  surtout  pour  but  de  reprimer  les  desordres 
et  les  exactions  commises  par  les  autorites  locales.  Les  grands- 
jours  etaient  en  quelque  sorte  pour  les  juridictions  superieures 
ce  que  les  assises  des  baillis  etaient  jadis  pour  les  juridictions 
inferieures.  Voici  le  tableau  qu'en  trace  un  praticien  de  la  fm 
du  xvi"  siecle  :  «  Les  grands  jours  ont  -accoustume  estre  tenus 
par  les  presidens  et  conseillers  de  la  cour  de  Parlement  es  lieux 
oCi  on  a  accoustume  anciennement  les  tenir  d'an  en  an  par  un 
president  avec  treize  conseillers  de  ladite  cour...  et  les  juge- 

mens  donnez   par  eux (jusqu'a  un  certain    taux    en   ma- 

tiere  civile) sont  authorisez  par  le  roy  tout  ainsi  que  s'ils 

estoient  donnez  ledit  Parlement  seant.  Et  faut  qu'ils  vacquent 
prealablement  a  I'expedition  des  matieres  criminelles  ,  le  plus 
diligemment  que  faire  se  pourra.  II  n'y  a  que  les  Parlements  de 
Paris,  Thoulouze,  Rouen  et  Bourdeaux  qui  ayent  permission 
de  tenir  grands  jours  par  I'ordonnance  du  roy  Louis  XII  de 
I'an  1498,  art.  72  et  73...  et  peuvent  lesdits  grands  jours  co- 
gnoistre  et  decider  de  tous  abus,  fautes  et  malversations  des 
officiers  du  ressort  des  grands  jours...  corriger  toute  mauvaise 
pratique...  pareillement  peuvent  cognoistre  de  toutes  les  matieres 
criminelles  de  quelque  grandeur  et  qualite  qu'elles  soient  (1).  » 

En  meme  temps  que  la  royaute  developpait  ainsi  ses  juridic- 
tions ordinaires,  elle  creait,  avons-nous  dit,  des  tribunaux  d'ex- 
ception  pour  connaitre  de  certaines  causes  criminelles. 

II  y  en  avait  de  deux  sortes.  Les  uns  ne  connaissaient  des 
crimes  «  qu'incidemment  aux  matieres  qui  faisaient  I'objet 
particulier  de  leur  etablissement.  »  Muyart  de  Vouglans ,  qui 
donne  cette  definition ,  fournit  aussi  une  longue  liste  de  ces 


(1)  Stile  de  Boyer,  p.  7,  ssq.  —  Voici  la  liste  des  grands-jours  tenus  par  le  Par- 
lement de  Paris  jusqu'en  1665.  (Voy.  Boutaric,  Actes  du  Parlement;  —  Notice 
swr  les  archives  du  Parlement  de  Paris,  par  A.  Griin,  ch.  xxi,  p.  93,  ssq.)  : 
Troyes  1367,  1374, 1376,  1381,  1391,  1395,  1398,  1402,  1409;  —  Poitiers  1454; 
—  Thouars  1455;  —  Bordeaux  1456,  1459;  —  Clermont-Ferrand  1481;  —  Poi- 
tiers 1531;  —  Tours  1533;  Moulins  1534;  Troyes  1533;  —  Moulins  1534;  — 
Troyes  1535;  —  Angers  1539;  —Moulins;  1540;  —  Poitiers  1541;  —  Riom 
1546 ;  —  Tours  1547 ;  —  Riom  1550 ;  —  Poitiers  1567  et  1579 ;  —  Clermont  1582 ; 
^  Troyes  1583;  —  Lyon  1596;  —  Poitiers  1634 ;  —  Clermont  1665. 


40  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

tribunaux  :  «  De  ce  nombre  sont  1»  les  juges  de  I'election  et 
grenier  a  sel,  juges  des  traites,  maitres  des  ports  et  leurs  lieu- 
tenants pour  les  delits,  faussetes  et  rebellions  commises  a  I'oc- 
casion  des  droits  du  roi,  dont  I'appel  ressortit  a  la  cour  des- 
aides ;  2°  le  prev6t  de  I'hotel  des  Monnoies ,  pour  les  delits 
commis  au  fait  des  monnoies,  dont  I'appel  va  ala  Cour  des  Mon- 
noies; 3°  les  juges  des  maitrises  des  eaux  et  forets  et  tables  de 
marbre  pour  les  delits  commis  a  I'occasion  des  eaux  et  forSts, 
dont  I'appel  ressortit  au  Parlement;  A"  les  Presidiaux  pour  les 
delits  commis  par  les  officiers  des  eaux  et  forets;  5°  les  juges 
de  I'Amiraute  pour  les  crimes  maritimes ,  dont  I'appel  res- 
sortit au  Parlement;  6°  le  grand -prevot  de  I'hotel  qui  juge 
conjointement  avec  le  Grand  Conseil  et  des  maitres  des  re- 
quetes  k  son  choix  les  delits  commis  dans  les  maisons  royales 
a  la  suite  de  la  Cour;  7°  les  lieutenants  generaux  de  police... 
pour  les  contraventions  aux  ordonnances  et  reglements  de  po- 
lice ,  dont  I'appel  ressortit  au  Parlement ;  8°  les  juges  de  la 
conservation  de  Lyon  pour  les  delits  concernant  le  negoce, 
dont  I'appel  se  poi-te  au  Parlement;  9°  les  juges  conservateurs 
des  privileges  de  I'Universite ,  dont  I'appel  va  pareillement  au 
Parlement ;  10"  les  juges  de  la  connetablie  pour  les  delits  commis 
par  les  officiers  de  la  marechaussee ,  a  charge  d'appel  au  Par- 
lement; 11°  les  prev6ts  des  marchands  pour  les  delits  commis 
par  les  marchands  et  leurs  commis  au  fait  de  la  marchandise 
et  par  les  officiers  de  police  en  I'exercice  de  leurs  charges... 
a  la  charge  d'appel  au  Parlement  (1).  » 

Les  autres  juridictions  extraordinaires  avaient  une  competence 
non  pas  incidente,  mais  principale;  c'etaient  «  des  juges  sin- 
gulierement  destines  a  coanoitre  des  matieres  criminelles,  tels 
que  les  prevots  des  marechaux ,  les  juges  militaires  et  les  juges 
ecclesiastiques.  »  Disons  quelques  mots  des  prevSts  des  ma- 
rechaux ,  qui  ont  joue  un  r61e  tragique  et  important  dans  I'an- 
cienne  France,  et  dont  s'occupera  longuement  I'ordonnance  de 
1670. 


(1)  Muyart,  Inst,  crim.,  p.  138,  159.  —  Sur  I'origine  de  ces  juridictions ,  voyez 
Pardessus  :  Organisalion  judiciaire;  p.  260-279. 


DU  Xni'  AU  XVII°   SIECLE.  41 

Leur  origine  est  fort  ancienne.  En  quelques  mots  le  president 
de  Lamoignon  a  retrace  leurs  destinees  :  «  Leur  premier  esta-; 
blissement  a  este  fait  pour  estre  a  la  suite  des  troupes  et  empes- 
cher  les  desordres  des  gens  de  guerre...,  depuis  on  a  augmente 
leur  pouvoir  et  ils  ont  ete  employez  pour  donner  de  la  siirete 
aux  grands  chemins ,  preter  main-forte  a  la  justice  et  empecher 
les  violences  publiques  (1).  » 

Les  marechaux  de  France  qui  furent  deux  il  1' origine ,  quatre 
depuis  Frangois  I",  commandaient  les  armees  avec  le  conne- 
table  et  ses  lieutenants.  «  Une  juridiction  militaire  etait  attachee 
a  ce  commandement  et  elle  etait  exercee  sous  leur  autorite  par 
un  prevot,  qui  devait  etre  gentilhomme  et  avoir  commande ; 
il  etait  a  la  suite  des  armees ,  et  en  temps  de  paix  il  n'avait 
point  de  fonction.  »  Sous  Charles  VI ,  ce  prevot  fut  fixe  a  la 
cour;  a  c'est  meme  de  cet  officier  qu'on  a  fait  le  prev6t  de 
I'hotel  du  roi  ou  grand-prevot  de  France.  »  Des  lors,  il  eut 
besoin  d'envoyer  des  lieutenants  de  cote  et  d'autre  pour  sur- 
veiller  les  troupes  :  «  Louis  XI  permit  en  1494:,  a  ce  pr6v6t 
des  marechaux,  de  commettre  dans  chaque  province  un  gentil- 
homme pour  le  representor,  avec  pouvoir  d'assembler,  selon  les 
occasions ,  les  autres  nobles  et  gens  du  pays  pour  s'opposer 
aux  gens  de  guerre  aventuriers  et  vagabonds  debandes  des 
armees,  courant  les  champs,  volant  et  opprimant  le  peuple, 
les  prendre  et  saisir  au  corps  et  les  rendre  aux  baillis  et  se- 
neschaux  pour  en  faire  justice  (2).  »  Bientot  «  ces  commissions 
furent  erigees  en  offices  pour  di verses  provinces,  tellement  qu'a 
la  fin  du  regne  de  Louis  XI ,  il  ne  resta  presque  aucune  pro- 
vince qui  n'eut  un  prev6t  des  marechaux.  »  Ceux-ci  etaient  done 
devenus  des  officiers  de  police  permanents;  les  delegues  du 
prevot  unique  etaient  devenus  prevots  eux-memes  et  sous  leurs 
ordres  etait  la  troupe  de  la  marechaussee ,  officiers  et  archers; 
mais  leur  juridiction ,  comme  celle  de  I'ancien  prevot  des  mare- 
chaux, ne  s'etendait  qu'aux  militaires  et  aux  vagabonds  qui 
suivaient  les  armees.  C'est  settlement  Francois  I"  qui,  en  1526  , 

(1)  Procis-verhal  des  Confirences  de  I'ordomance  de  1670,  p.  29. 

(2)  Guyot,  Ripert.,  '^•>Priv6t  des  marichaux. 


42        LA.  PROCEDURE   CRIMINELLE  DU   Xni°  AU  XVII°.  SIECLE. 

leur  attribua  d'une  facon  generale  la  connaissance  des  crimes 
commis  par  les  vagabonds  et  les  voleurs  de  grand  chemin.  Cela 
devint  «  le  gibier  des  prev6ts  des  marechaux.  »  En  1 549 ,  le 
roi  Henri  II  leur  donna ,  en  concurrence  avec  les  lieutenants  cri- 
minals des  sieges  presidiaux ,  le  jugement  sans  appel  des  voleurs, 
guetteurs  de  chemins,  sacrileges  et  faux  monnoyeurs.  Enfin,  en 
1564,  Charles  IX  publia  un  edit  qui  fixa  definitivement  leur  ju- 
ridiction.  L'article  3  determinait  les  cos  prevotaux  :  «  Auront 
lesdits  prev6ts  et  leurs  lieutenants  cognoissance  de  tous  les 
delits  commis  par  les  gens  de  guerre  au  camp  et  a  la  suite 
d'icelui ;  sacrilege  avec  fracture ;  agressions  faites  avec  port 
d'armes  tant  a  la  ville  qu'aux  champs ;  comme  aussi  entre  tous 
vagabonds,  gens  sans  aveu,  bannis  et  essorillez,  crime  de  fausse 
monnoie,  soit  contre  les  domiciliez  ou  non.  »  lis  jugeaient  tou- 
jours  en  dernier  ressort;  mais  ils  devaient,  pour  prononcer  la 
sentence ,  s'adjoindre  sept  officiers  du  plus  prochain  siege  presi- 
dial  (art.  49).  D'aiUeurs,  les  sieges  presidiaux  pouvaient  con- 
naitre  des  cas  prevotaux  par  concurrence  et  prevention  (art.  1-4) ; 
alors  ils  jugeaient  aussi  en  dernier  ressort. 

Les  prevdts  a  I'origine  avaient  ete  les  suppleants  d'un  officier 
unique ;  on  leur  donna  a  eux-memes  des  suppleants  :  ce  furent 
les  lieutenants  criminels  de  robe  courte  crees  par  un  edit  de 
novembre  1554  «  pour  faire  dans  les  bailliages  les  memes 
fonctions  que  les  prev6ts  des  marechaux  dans  les  provinces  et 
gouvernements  du  royaume;  »  ce  furent  aussi  les  vice-baillis 
et  vice-sdnechaux  «  attaches  aux  bailliages  et  senechaussees 
pour  y  exercer  les  memes  fonctions  que  les  prevots  des  mare- 
chaux ,  dont  ils  ne  differaient  qu'en  ce  que  leur  juridiction  se 
trouvait  bornee  par  le  ressort  memo  du  bailliage  ou  de  la  sene- 
chaussee,  au  lieu  que  celle  du  prevot  s'etendait  sur  toute  la 
province  (1).  » 

Voila  quel  etait  I'etat  des  juridictions  royales  aux  xvi*  et  xvn^ 
siecles;  disons  maintenant  quelle  marche  avait  suivie  la  pro- 
cedure criminelle  (2). 

(1)  Muyart  de  Voaglans.  Inst.  Crm.,  p.  145. 

(2)  On  remarquera  qu'en  parlant  des  officiers  de  justice  nous  n'avons  rien  dit 


TITRE  DEUXIEME. 

LA  PROCEDURE. 

CHAPITRE  PREMIER, 

La  procedure  accusatoire  des  cours  f6odales. 


I.  L'accusation.  —  II.  La  thiorie  des  preuves.  —  III.  Le  flagrant  d^lit.  —  IV.  La 
prise  pour  soupson.  —  V.  L'enquSte  du  pays.  —  VI.  La  prison  preventive  et 
la  mise  en  liberie  provisoire.  —  VII.  La  procedure  par  contumace. 

Devant  les  cours  feodales  les  formes  de  la  procedure  etaient 
les  memes  en  matiere  civile  et  en  matiere  criminelle.  C'est  \k 
un  trait  qui  caracterise  en  general  les  legislations  primitives,  et 
la  coutume  feodale  I'avait  emprunte  au  droit  de  I'epoque  franque. 
Sans  doute  depuis  I'epoque  franque  bien  des  changements  s'e- 
taient  produits  dans  le  droit  penal.  Le  systems  des  composi- 
tions pecuniaires  avait  generalement  disparu;  les  delits  etaient, 
selon  leur  gravite ,  punis  de  peines  afflictives  cruelles ,  ou 
d'amendes  dont  profitaient  les  seigneurs  justiciers;  mais  la  pro- 
cedure criminelle  etait  restee  accusatoire  dans  le  sens  le  plus 
etroit. 

I. 

La  poursuite  n'appartient  qu'a  la  partie  lesee,  ou,  si  elle, etait 
morte,  a  son  lignage.  C'est  un  principe  que  les  textes  repetent 
a  I'envi  :  «  II  ne  loist  pas  apeler  (c'est  intenter  I'aceusation)  que 

des  offlciers  du  ministSre  public.  L'institution  du  ministfere  public  fut  I'agent  le 
plus  actif  de  la  poursuite  d'offlce,  dont  nous  aliens  raconter  I'origine  et  les  pro- 
gr^s;  elle  est  intimement  unie  a  la  procedure  criminelle.  C'est  en  traitant  de  la 
procedure  criminelle  que  nous  parlerons  des  procweurs  d'office. 


44  LA  PROCEDURE   CRIMINKLLE 

por  soi  ou  que  por  son  lignage,  ou  por  son  seigneur  lige  (1).  »  — 
«  Nus  n'est  oiz  s'il  ne  tient  au  mort  de  lignage  ou  s'ele  n'est 
sa  fame  esposee.(2).  »  —  «  De  meurdre  et  homicide  peut  le 
plus  prochain  du  lignage  faire  la  suyte ,  et  se  le  plus  prochain  est 
en  non-aage ,  ou  il  a  passe  aage ,  le  plus  prochain  apres  celuy  la 
pourra  faire ,  ou  autre  du  lignage  a  qui  tout  le  lignage  se  accor- 
dera.  Et  se  paix  en  est  faite ,  quand  cil  qui  est  en  non  aage  sera 
venu  en  aage  il  pourra  recommencer  la  suyte.  Mais  se  la  loy  a 
ete  demenee  et  parfaite,  aultre  loy  n'en  pourra  pas  puis  estre 
faicte  ni  commencee  (3).  »  Jean  d'Ibelin  a  grand  soin  d'enumerer 
d'une  facon  limitative  les  personnes  qui  peuvent  intenter  I'accu- 
sation  a  raison  d'un  meurtre  (4) .  Et  sans  accusateur  il  n'y  a  pas 
de  proces  criminel  possible. 

Le  proces  criminel  n'etant  ainsi  qu'un  debat  entre  deux  par- 
ticuliers,  on  voit  qu'il  n'etait  pas  besoin  de  creer  pour  lui  une 
forme  speciale  de  procedure ;  certaines  differences  de  detail ,  im- 
posees  par  la  nature  meme  des  choses ,  le  separaient  seules  d'un 
proces  civil. 

La  procedure  etait  publique,  orale  et  formaliste.  L'audience 

(1)  Beaum.,  Lxni,  1.  Tris-ancienne  coutume  deBretagne,  ch.  96  (Bonrdot  de 
Richebourg)  :  «  Et  aussi  ne  peut  nul  appeler  par  raison  d'autruy  fait ,  s'il  n'est 
du  lignage,  et  qu'il  ne  dust  estre  jugifi  que  repons  ne  luy  en  siet...  a  femme  siet 
respons  des  meffaits  de  sbn  mary,  comme  qui  I'auroit  tu6  a  mort.  »  —  La  suite 
du  texte  contient  un  correctif :  «  Et  si  seroit  il  a  tout  autre  qui  pourroit  dire  que,, 
en  I'ombre  de  luy,  Ten  auroit  fait  le  meffet,  tout  fust  la  personne  estrange ,  car 
le  fait  leur  apparlient  comme  le  leur,  pour  ce  qu'il  ne  fussent  crimez  ne  leurs 
membres  li^s  de  celuy  fait  ne  de  autre.  » 

(2)  Livre  deJosticeet  dePlet,  xix,  3,  §  1,2. 

(3)  Grand  coulumier  de  Normandie ,  ch.  lxx;  la  suite  du  texte  admet  la  pour- 
suite  de  Vhomme  pour  le  seigneur :  «  S'aucun  estrange  fait  clameur  de  homicide  en 
ceste  forme  :  Je  me  plains  de  R.  qui  a  assailly  T.  mon  seigneur  en  ffilonie  avec 
qui  j'estoye  et  I'ooclst :  Et  se  comme  je  le  defendoye  il  me  fit  ce  sang  et  ceste 
playe.  Lors  doibt-il  monstrer  le  sang  et  la  playe  k  la  justice  pardevant  chevaliers 
qui  le  puissent  recorder.  Se  I'autre  offre  h  soy  deffendre ,  la  bataille'  en  doibt 
estre  gagte,  si  comme  nous  dismes  devant.  Ainsi  peut' estre  faicte  suyte  de  meur- 
dre et  de  homicide  par  homme  estrange.  »  —  Partout  domine ,  on  le  voit,  I'idfie 
de  vengeance  privie. 

(4)  Chap.  80,  ssq.  Si  Jean  d'Ibelin  admet  i  c6t6  des  parents  charnels  les  pa- 
rents spirituels  et  mfime  d'autres  personnes  (sur  le  sol  stranger  les  liens  un  peu 
laches  se  resserrent),  il  n'en  maintient  pas  moins  le  principe  d'aprSs  lequel  Taction 
n'appartient  qu'aux  int^ress^s. 


DU   XIII'AU  XVII°   SIECLE.  4S 

se  tenait  ordinairement  en  plein  air,  a  la  porte  du  chateau  ou 
au  carrefour  de  la  ville.  Les  parties  devaient  comparaitre  au  jour 
fixe  dans  la  semonce  ou  citation,  a  moins  qu'elles  ne  pussent 
invoquer  quelqu'une  des  nombreuses  excuses  que  connaissait  la 
procedure  feodale.  EUes  ne  pouvaient  se  faire  representer ;  I'im- 
possibilite  d'une  representation  en  justice ,  conforme  aux  anciens 
principes ,  s'etait  maintenue  plus  rigoureusement  en  matiere 
criminelle  qu'en  matiere  civile. 

L'accusateur  formait  sa  demande  de  vive  voix ,  sans  omettre 
auculie  des  paroles  necessaires,  sans  faire  aucune  faute  qui  etit 
permis  a  son  adversaire  de  le  prendre  a  point,  c'est-a-dire  de 
faire  declarer  nuUe  la  demande  (1).  L'accuse  devait  repondre 
sur-le-champ ;  le  silence  de  sa  part  eut  equivalu  a  un  aveu ,  et 
I'aveu  est  la  meilleure  preuve  pour  les  legislations  primitives  (2). 
La  defense  ne  peut  consister  que  dans  une  negation  exactement 
adequate  a  la  demande,  la  refutant  mot  a  mot,  de  verbo  ad 
verbum;  et  ici  cette  exigence  se  conserva  plus  longtemps  qu'en 
matiere  civile  ou  de  bonne  heure  on  permit  de  repondre  «  en 
gros  (3).  » 


(1)  Sur  tout  ce  c6t6  formaliste  de  la  vieiEe  procedure ,  voyez  la  remarquable 
6tude  de  M.  Brunner,  dSji  citte  :  Wort  und  Form  im  altfranzosischen  Process.  — 
Ge  ne  sont  pas  d'siilleurs  seulement  les  modernes  qui  ont  observ6  la  chose,  et 

trouvfi  les  termes  pour  Texprimer  :  «  Fabrefort ,  plaidaat  une  cause  de  duel, 

et  ayant  propose  pour  Armand  de  Montaigu  contre  fimery  de  Durefort  qu'il  feroit 
preuve  de  son  faict  par  son  corps  en  champ  de  bataille ,  sans  dire  expressSment 
que  la  preuve  s'en  feroit  par  le  combat  de  sa  partie,  il  fat  en  danger  d'entrer  lui- 
m§me  en  combat,  etmocqufi  par  la  compagnie,  tant  on  6toit  alors  formaliste  en 
telles  causes.  ;;  Loysel  :  Pasquier  ou  dialogue  des  avocats,  66it.  Dupin,  Paris, 
1844,  p.  40. 

(2)  Beaumanoir  parlant  de  I'aveu  :  «  Ceste  proeve  si  est  le  meillor  et  le  plus 
clere,  et  le  mains  couteuse  de  toutes. »  xxxix,  2;  —  Sur  la  n6cessit6  d'une  r6- 
ponse  immediate,  voyez  Beaum.,  vii,  10;  xxi,  94;  Livre  de  J.  et  de  P.,  IT,  14, 
§  6 ;  —  Jean  d'Ibelin ,  chap.  lxi. 

(3)  Livre  de  Jostice  et  de  Plet,  xix,  2,  §  1;  L.  DeUsle  :  £chiquier  de  Norman- 
die,  n"  113;  —  Grand  [coutumier  de  Normandie,  ch.  lviii,  ssq.  —  Jean  d'Ibelin, 
Ch.  xci,  xcviii,  c,  cry;  —  Brunner,  op.  cit.,  p.  706,  ssq.  Cf.  Britton,  liv.  I,  ch.  xxii 
des  Appels,  no  7. :  «  Et  quant  h  la  defense,  si  se  pora  le  d^fendaunt  dfifendre  en 
ceste  manere  :  Pierres,  qe  ci  est,  defend  totes  felonies; et  totes  treysouns,  et 
totes  purparlaunces  et  compassementz  de  mal  envers.la  persone  de  tel  ou  de  tel, 
selon  cBo  qe  serra  purpose  encountre  ly,,  de  mot  en  mot.  Et  voloms  bien  en  tels 
apels  qe  le  apelour  eyt  plus  de  mester  de  asser  les  paroles  ordineement  sauntz  omis. 


46  /       LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 


II. 

Les  preuves  etaient  les  memes  qu'en  matiere  civile,  et  elles 
derivaient  des  usages  de  I'epoque  franque ;  la  feodalite  avait  seu- 
lement  donne  la  preference  a  celles  qui  convenaient  le  mieux  a  sa 
nature  propre,  laissant  peu  a  peu  tomber  les  autres  en  desuetude. 
Ainsi  le  serment  purgatoire  de  I'accuse  assists  des  cojurantes ,  si 
usite  a  I'epoque  franque,  disparait  presque  completement ;  on  n'en 
trouve  plus  que  quelques  traces  (1).  II  en  est  de  m6me  des  orda- 
lies  unilaterales ,  epreuves  par  I'eau  et  par  le  feu.  Les  assises  de 
Jerusalem  connaissent  cependant  ce  mode  de  preuves;  dans  la 
Cour  des  Bourgeois ,  le  chapitre  cclxi  traite  «  dou  juice  por- 
ter (2)  :  «  Bien  saches  que  li  baillis  ni  les  jures  ne  devent  faire 
par  force  porter  juice  a  nul  home  dou  monde  ne  a  nule  fame  aucy. 
Mais  ce  I'ome  ou  la  fame  est  apeles  d'aucun  crim  c'on  li  met  sus 
qu'il  aie  fet ,  et  il  meysme  par  volonte  s'euffre  a  porter  le  juice , 
la  raison  commando  et  juge  qu'il  ne  s'en  pent  mais  retraire  qu'il 
nel  porte,  puisqu'il  meysmes  si  est  offert,  ains  est  tenus  de  porter 
le  maulgre  sieu ,  se  celuy  veut  qui  I'appela  de  celuy  crim...  Et  ce 
il  porter  n'en  veut  faire  que  la  cort  li  die ,  la  raison  juge  con  deit 

sion  eynzces  qe  soen  apel  estoyse  qe  le  defendour  en  sa  defence,  et  grantoms  al 
defendour  de  chescune  filonie  qe  il  defende  les  motz  de  la  felonie  en  gros  sauntz 
estre  noun  defendu,  issint  qe  pur  defaute  de  mot  ou  de  sillabe  ne  soit  mie  ajugfi 
pur  non  defendu.  »  The  french  text  carefully  revised  by  Morgan  Nichols.  Oxford, 
1865,  torn.  I,  p.  102. 

(1)  Voy.  Brunner,  op.  cit.,  p.  719,  ssq.  L'emploi  le  plus  remarquable  du  ser- 
ment purgatoire  est  la  deresne  de  la  vieille  coutume  Normande :  Somma,  II,  c.  xvni, 
§  2  :  «  Est  enim  disresina  super  injuria  a  querulo  exposita  coram  justiciario  pur- 
gatio  per  saoramentum  querelati  et  coadjutorum  suorum  in  curia  facienda.  »  EUe 
n'^tait  admise  que  dans  les  causes  peu  imporlantes ,  les  simpUces  querelm .  — 
Cf.  Assises  de  Jirusalem  :  Basse  Cour,  ch.  ccxxii  :  «  S'il  avient  que  uns  homes  qui 
soit  naflrfe  de  plaie  mortal,  viegne  avant  en  la  cort  et  ce  plaint  d'aucun  home 
qui  dit  que  li  a  ce  mau  fait ,  et  celuy  de  cui  il  c'est  clamps  vient  avant  et  dit  «  que 
non  place  Des  »  et  celuy  en  demande  I'assize ,  et  celuy  li  fait  I'assize  en  la  pre- 
sence dou  vescomte  et  des  juris,  ce  est  qu'il  jure  sur  saintes  Evangiles ,  qu'il  ce 
ne  li  fist  de  sa  main ,  ne  par  autre  ne  li  fist  faire  ni  ne  concenti ,  ni  ne  sot  qui  ce 
fut,  a  tant  en  est  quite ,  puisque  celuy  receit  le  sairement  de  luy  en  la  cort  si  com 
il  a  demande.  »  Editioa  Kausler,  p.  330. 

(2)  Juice:=^judicium  :  le  fer  rouge  qui  sert  au  jugement  de  Dieu. 


DU  XIII°AU   XVIl"   SIECLE.  47 

entendre  de  celuy,  puisqu'il  ne  veut  porter  le  juice ,  qu'il  se 
prenne  bien  qu'il  aie  fet  ce  con  li  met  sus ;  car  oil  ne  I'eut  fait  il 
ne  doutast  mie  du  juice  qu'est  dreituriere  chose  a  toutes  gens  qui 
dreit  quierent  (1).  »  Nous  trouvons  au!ssi  ces  epreuves  dans  les 
vieux  usages  de  Normandie  (2),  mais  nous  les  voyons  tomber  ra- 
pidement  en  desuetude;  le  Grand  Coutumier  en  parle  comme 
d'une  institution  du  passe  :  «  Jadis  quant  femmes  estoient  accu- 
sees  de  crimes  et  elles  n'avoient  qui  les  defendist,  elles  se  expur- 
geoient  par  ignise  et  les  hommes  par  eaue  ou  par  ignise  quand  la 
justice  ou  femmes  les  suyvoient  de  causes  criminelles.  Et  pour  ce 
que  Sainte  Eglise  a  oste  ces  choses,  nous  usons  souvent  de  I'En- 
queste  (3).  » 

Le  duel  judiciaire,  au  contraire,  I'appel  au  jugement  de  Dieu, 
soutenu  par  les,  serments  des  deux  adversaires  et  decide  par  la 
bataille,  prend  une  extension  considerable.  C'est,  en  matiere  cri- 
mineUe  au  moins ,  le  mode  de  preuve  ordinaire.  Pour  tons  les 
crimes  graves,  dont  la  punition  etait  la  perte  de  la  vie  ou  une 
mutilation ,  I'accusateur  pouvait  proceder  par  appel ,  c'est-a-dire 
provoquer  directement  et  d'emblee I'accuse  au  duel  judiciaire  {i); 
mais  dans  les  cas  moins  graves  il  est  probable  que  cette  provoca- 
tion directe  n'etait  pas  possible  et  qu'il  fallait  prouver  par  te- 
moins  (5).  L'appel  etait  du  reste  une  procedure  fort  perilleuse, 
non-seulement  par  son  objet ,  mais  encore  en  ce  que  la  provoca- 
tion devait  Stre  congue  en  certains  termes  [les  mots  par  quoi  ba- 
taille y  soil) ,  et  une  meprise  dans  les  expressions  pouvait  aggra- 
ver  singulierement  les  conditions  du  combat  (6).  Aussi  est-il 


(l)Edit.  Kausler,  p.  307. 

(2)  Leopold  Delisle ,  Echiquier,  n"  113;  tres-ancierine  coutume  de  Normandie 
(dans  Warnkonig et  Stein,  torn.  11,  Vrkwndenbuch,  pp.  19,  20). 
•    (3)  Ch.  Lxxvii  (Bourdot  de  fUcIiebourg}. 

(4)  Beaumanoir,  lxi,  2. 

(5)  C'est  seulement  «poiir  tous  crimes  oil  aurapferilde  perdre  vie  ou  membre,  » 
que  rordonnance  de  1260  declare  que  dorenavant  la  preuve  par  tfimoins  rempla- 
cerala  preuve  par  bataille.  Cf.  Beaum.  xxxix,  4;  Livre  J.  et  P.,  ii,  18  ,  §  1. 

(6)  Jean  d'Ibelin,  ch.  cxx;  Beaum.,  lxi,  41;  lxx,  5;  —  Ahrig6  des  assises  de 
la  cow  des  Bourgeois,  part.  II,  ch.  xxxvi;  —  Grand  coutumier  de  Normandie, 
ch.  Lxvm;  —  Livre  de  J.  et  P.,  xix ,  33 ;  —  Etahl.  de  S.  Louis,  II ,  118 ;  —  Brit- 
ton  ,  I.  I,  ch.  22.  «  Appel  est  pleynte  de  homme  fete  sur  autre  oveo  purpos  de  ly 


48  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

vraisemblable  que  I'accusateur,  au  lieu  de  proceder  par  Vappel, 
qui  lui  etait  ouvert,  pouvait  offrir,  de  prouver  par  temoins,  sauf  a 
I'accuse  a  fausser  plus  tard  ces  temoins. 

Cette  preuve  testimoniale  etait  bien  differente  de  celle  que  con- 
nut  la  legislation  posterieure ;  elle  etait  toute  formaliste.  Las 
temoins  venaient  prononcer  une  formule  qu'ils  ne  faisaient  par- 
fois  que  repeter  apres  Vavant-parlier  ou  avocat ;  cette  formule  de- 
vait  constater  qu'ils  etaient  des  temoins  oculaires,  et  ils  la  confir- 
maient  en  jurant  sur  des  reliques  (1).  Deux  temoins,  remplissant 
ces  conditions ,  suffisaient  pour  entrainer  la  condamnation  et  ils 
I'entrainaient  forcement  (2) ;  dans  un  pareil  systeme ,  on  ne  peut 
que  compter  les  temoignages  non  les  apprecier.  Ces  temoins, 
produits  au  jour  fixe  par  le  jugement  qui  ordonnait  la  preuve, 
sans  qu'aucun  delai  put  etre  accorde,  deposaient  a  I'audience,  en 
pleine  cour  et  en  face  des  parties  (3).  Cette  publicite  etait  neces- 
saire  d'ailleurs  pour  permettre  a  raccuse  d'user  d'un  droit  pre- 
cieux,  celui  de  fausser  les  temoins.  II  pouvait  en  effetles  accuser 
de  parjure  et  les  provoquer  de  ce  chef  au  duel  judiciaire ;  le  pro- 
ces  dependait  alors  du  sort  de  cette  bataille.  Cette  provocation 
devait  avoir  lieu,  suivant  les  uns,  avant  la  prestation  duser- 
ment,  selon  les  autres  immediatement  apres;  mais  il  fallait  bien 
que  tous  les  acteurs  du  drame  fussent  en  presence  pour  qu'on 
put  saisir  le  moment  precis  (4).  Les  garants,  c'est  le  nom  donne 
aux  temoins ,  exposaient  leur  vie ;  ils  ne  pouvaient  par  suite  etre 
contraints  de  deposer.  D 'autre  part,  un  grand  nombre  de  per- 
sonnes  ne  pouvaient  pas  porter  temoignage  :  toutes  celles  qui  ne 
pouvaient  pas  sebattre,  par  exemple  les  femmes,  les  sous-§,ges 


atteyndre  de  felonie  par  motz  a  ceo  ordeyneez.  »  (Edit.  Nichols,  1. 1,  p.  95);  — 
Stylus  curice  Parlamenti,  c.  xvi,  §  8. 

(1)  Grand  coutumier  de  Normandie  :  a  L'en  appelle  tesmoings  en  la  cour  laie  ceux 
qui  tesmoignent  ce  que  le  demandeur  a  proposS  par  ces  paroUes  :  Je  le  vy  et 
ouy  et  suis  prest  d'en  faire  ce  que  la  cour  esgardera....  »  —  Cf.  Jean  d'Ibelin, 
oh.  70,  77;  Beaum.,  xxxix ,  57. 

(2)  Beaum.,  xxxa,  5;  i.xi,  54;  Jean  d'Ibelin,  ch.  68. 

(3)  Beaum.,  xxxix,  78  :  «  En  tel  cas  convient  que  li  tesmoing  viegnent  en 
pleine  cort  por  tesmoignier  en  audience  et  iluecques  les  pot  on  lever.  » 

(4)  Jean  d'Ibelin,  ch.  74; —  Clef  des  assises  de  la  Haute-Cour,  101;  —  Phi- 
lippe de  Navarre,  ch.  10 ;  —  Geoffroy  le  Tort,  ch.  23 ;  —  Beaum.,  i,xr,  55. 


DU   XIII°  AU  XVn"   SIECLE.  49 

etiesclercs;  toules  celles  encore  qu'une  reprobation  sociale  fai- 
sait  considerer  comme  indignes. 

Telle  etait ,  esquissee  dans  ses  grandes  lignes ,  I'ancienne  pro- 
cedure accusatoire ;  tout  y  etait  oral,  et  I'ecriture  n'y  jouait  aucun 
role.  Qu'on  procedelt  par  Yappel  ou  par  la  preuve  testimoniale , 
c'etait  une  lutte  egale  et  publique  entre  deux  particuliers. 

Mais  ce  systeme  etait  singulierement  etroit  et  barbare ;  il  de- 
vait  laisser  impunis  bien  des  crimes.  Bient6t  allait  naitre  cette 
idee  que  le  delit  lese  non-seulement  le  particulier,  mais  encore 
la  communaute  et  I'Etat;  memo  avant  qu'un  systeme  nouveau 
se  fit  jour,  elle  avait  fait  sentir  sur  quelques  points  son  in- 
fluence (1). 

III. 

D'abord  le  flagrant  delit  etait  soumis  a  des  regies  speciales  ;  11 
a  en  general  une  place  a  part  dans  les  legislations  peu  avancees. 
Si  aux  epoques  primitives  la  poursuite  des  crimes  est  assez  diffici- 
lement  admise ,  c'est  qu'on  sent  qu'il  est  presque  impossible  de 
convaincre  pleinement  un  accuse  qui  nie ;  lorsqu'on  prend  le  cou- 
pable  sur  le  fait,  I'evidence  eclate  et  tout  scrupule  disparait.  Au 
Moyen-Age,  en  cas  de  flagrant  delit,  il  n'est  point  necessaire 
qu'il  y  ait  un  accusateur  et  la  bataille  n'intervient  pas.  Le  justi- 
cier,  entoure  de  ses  hommes ,  a  qui  ses  sergents  amenent  un  in- 
dividupris  sur  le  fait,  le  juge  immediatement  aux  yeux  de  la 
foule,  d'apres  le  temoignage  de  ceux  qui  I'ont  saisi  (2). 

(1)  Beaum.,  lix,  7  :  «  Cil  qui  font  les  mefffes  ne  metfont  pas  solement  a  lor  ad- 
verses  parties  ne  k  lor  lignages,  mais  as  signears  qui  les  ont  h  garder  et  4  justi- 
cier. » 

(2)  «  Ne  convient  pas  que  nus  s'en  face  droite  partie  centre  luy car  tel  fet 

qui  sunt  si  apert  doivent  Stre  vengi^  par  V office  du  juge,  tant  soit  que  nus  s'en 
face  partie  droitement.  »  Beaum.,  vii,  12;  lxi,  2;  Livre  de/.  etP.,  xix,  44,  §  14. 
Les  Assises  de  la  cour  des  Bourgeois  ont  un  curieux  chapitre  k  cet  ^gard,  ch. 
ccLix  :  «  S'il  avient  par  aventure  que  uns  hons  assaut  un  autre  homme  et  I'occist 
ou  une  feme,  et  II  hommes  liges  passent  par  iqui  et  le  virent  faire  celuy  mau,  et 
il  le  prennent ,  come  ceaus  qui  scut  tenu  dou  prendre  et  d'arester  tous  les  dreis 
de  leur  seignor  et  tos  11  tors  c'on  li  fet,  et  il  livrent  celui  a  la  cort  et  il  dient  16au- 
ment  en  la  cort,  devant  le  vesconte  etles  jur6s,  par  la  feaut6  et  par  I'omage  qu'il 
ont  fait  au  roi  qu'il  li  virent  fere  celuy  murtre ,  la  raison  juge  et  comande  ensi  a 


50  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

On  sait  d'ailleurs ,  que  suivant  la  tradition  de  I'epoque  franque 
la  procedure  feodale  avait  organise  une  methode  formaliste  et 
naive  pour  conserver  au  fait  le  caractere  de  flagrant  delit  pen- 
dant un  certain  temps  apres  son  accomplissement  :  c'etait  la 
poursuite  avec  la  clameur  de  haw,  ou  harou,  ou  hareu  (1). 

Mais  cela  ne  donnait  qu'un  champ  bien  limite  a  la  poursuite 
publique.  On  tacha  d'aller  plus  loin.  N'ouvrir  I'accusation  qu'a 
la  personne  lesee  ou  a  son  lignage,  cela  n'avait  pas  de  raison, 
lorsqu'il  s'agissait  du  meurtre  d'un  homme  qui  ne  laissait  point 
de  parents  apres  lui.  Selon  certains  coutumiers  le  pouvoir  public 
devait  ici  intervenir  :  "  S'il  avient  par  aucune  aventure  que  uns 
horn  ou  une  feme  soit  ocize  et  Ton  mete  celuy  murtre  sur  aucun 
home ,  et  celuy  qui  est  mors  si  n'en  a  nul  parent  ni  parente  ni 
amis  ni  amie  qui  sa  mort  demande  celuy  qui  I'a  ocis ,  la  raison 
juge  que  le  roi  ou  le  seignor  de  la  tere ,  ou  la  dame  de  la  vile 
si  est  a  celui  son  dreit  heir,  et  est  tenus  de  demander  sa  mort 
par  droit  et  par  I'assise  et  de  metre  champion  ce  mestier  est , 
si  celuy  nee  celuy  maufait ,  car  notre  signor  dist  en  I'Evangile 
que  le  sane  dou  povre  li  aloit  tout  apres  en  decriant  juisse  et 
disant  :  «  Biau  sire  Dieu  venge  le  sane  dou  povre.  »  Et  puis 
qu'il  dit  enci  a  Nostre  Seignor  au  ciel ,  si  deut  estre  entendu  en 
terre  par  dreit  que  au  cors  mort  deit  donner  le  seigneur  la 
veangeance  de  terre  tele  come  est  establie  por  tous  commande- 
mens.  Et  por  ce  est  establi  son  heir  a  prendre  ces  choses  et  a 
venger  sa  mort  (2).  —  «  Li  rois  met  sus  a  un  homme  que  il  a 
ocis  un  autre,  si  vuelt  qu'il  soit  punis.  A  ce  il  respont  :  Come 
nus  riens  ne  me  demande  fors  vos  qui  estes  justice ,  je  ne  vos 
en  respondre  se  droiz  n'est ,  come  Ten  ne  doie  pas  respondre  a 
tel  fet ,  quant  nus  ne  s'en  plaint  for  vos.  L'en  demande  qu'en  dit 
droiz?  Et  Ten  respont  :  Com  tex  horn  com  li  morz  ait  enfanz  ou 

juger  que  celuy  est  ataint  sans  bataille  et  ne  li  det  valer  a  dire  «  non  place  DSs 
qu'il  nel  feyst  »  ains  det  estre  tantost  pendus.  Car  autant  deit  valer  k  garentie 
des  II  homes  liges  com  de  II  jures  en  tel  fet.  »  fidit.  Kausler,  p.  314. 

(1)  Grand  coutumier  de  Normandie,  ch.  54;  Beaum.,  lii,  16;  xxxix,  43.  — 
Aujourd'hui  les  livres  de  droit  anglais  d^crivent  encore  cette  procedure ;  c'est 
r  «  arrest  by  hue  and  cry.  »  Voy.  Stephen  :  Commentaries  on  the  laws  of  England, 
torn.  IV,  p.  351  (Edit.  1873), 

(2)  Assises  de  la  Baisse  Cour,  ch.  cclxvii,  p.  324  (6dit.  Kausler). 


DU  xni°  A.U  XVU°   SifeCLE.  51 

nevoz  ou  parens  prucheins  et  aient  poer  de  vengier  leur  ami, 
la  demande  est  leur,  non  pas  au  seigneur.  Mes  se  li  hons  ou 
la  fame  qui  ocise  sera  n'a  paranz  ne  ami  qui  Ten  puisse  vengier, 
11  rois  puet  demander  et  metre  en  poine ;  c'est  segont ,  ce  qu'il 
aprandra,  son  dampnement  dou  corps  (1).  » 


IV. 

C'etait  encore  la  peu  de  chose.  Si  la  victime  ou  son  lignage 
existaient  encore  et  ne  se  plaignaient  point,  le  justicier  n'avait 
aucun  droit  :  on  finit  cependant  par  lui  en  trouver  un.  On  admit 
que  si  la  puissance  publique  ne  pouvait  pas ,  en  son  propre 
nom ,  poursuivre  1' application  de  la  peine ,  elle  pouvait  au  moins 
saisir  le  malfaiteur  et  provoquer  la  poursuite  des  interesses. 
Les  testes  sont  fort  nombreux  qui  etablissent  cette  theorie  (2). 
Mais  ce  n'etait  pas  la  une  solution  definitive;  de  cet  eLat  provi- 
soire  on  pouvait  sortir  de  deux  facons. 

La  logique  de  ces  vieilles  institutions  disait  que  ce  n'etait  la 
qu'un  moyen  de  susciter  les  accusations,  aussi  trouvons-nous 
dans  les  textes  d'origine  la  plus  diverse  une  meme  procedure. 
Le  seigneur  doit  faire  publier  a  son  de  trompe  qu'il  tient  tel 
individu  soupgonne  de  tel  crime,  et  inviter  la  victime  ou  ses 
parents  a  se  porter  accusateurs.  Au  bout  d'un  certain  delai  et 
apres  plusieurs  publications,  generalement  faitesatrois  assises,  si 

(1)  Livre  de  J.  et  P.,  xix,  45,  §  1 ;  cf.  Ibid.,  §  2  :  «  L'en  demande  se  Ten  li  res- 
pondra  quand  cil  (la  partie  les6e)  ne  se  plaint.  L'en  dit  que  non ,  puisque  cil  est 
en  vie  que  l'en  dit  que  li  forfez  fut  fez.  « 

(2)  Jean  d'Ibelin,  ch.  85  :  «  Le  segnor  doit  faire  querre  celui  k  qui  Ton  met 
sus  le  meurtre ,  s'il  est  son  home ,  et  prendre  le ,  et  metre  le  en  sa  prison.  » 

—  Compilatio  de  Usibus  Andegavia,  §  7  :  «  II  est  usage  et  droit  que  nul  home  ne 
doit  estre  pris  sans  plaintif  (accusateur) ,  se  il  n'est  pris  ou  present  ou  juiges  ne 
le  prent  par  sospecon.  Le  murtrier  puit  bien  estre  pris  sans  plaintif  quand  11  a 
Tome  tuS,  qwar  le  sane  se  plaint.  Et  ce  nous  fu  seneflS  par  Cain  qui  tua  Abel  son 
frfere ,  et  Diex  11  dit  :  Cain  le  sane  d'Abel  ton  frere  que  tu  as  tu6  crie  k  moy  de 
la  terre  jusques  au  Ciel.  »  —  Livre  des  Droiz,  §  334  :  «  Justices  ne  doit  pas  pren- 
dre aucuns  gens  sans  plaintif  ou  sans  present  meffait,  ou  par  souspefon.  Et  si 
puet  bien  faire  prendre  le  meurtrier  quand  il  a  home  tuS ,  car  le  sang  se  plaint.  » 

—  Livre  J.  et  P.,  xix,  26,  §  5,  12;  £tab.  S.  Louis,  11, 16;  Beaum.,  xl,  14; 
XXX,  90. 


S2  LA   PROCIiDURE   CRIMINELLE 

nul  ne  s'est  presente,  le  prisonnier  est  mis  en  liberie  sous  caution, 
ou,  selon  d'autres,  il  est  garde  en  prison  jusqu'au  bout  de  I'an  et 
jour;  alors  si  aucune  accusation  n'a  ete  intentee,  11  est  definitive- 
ment  libere  et  quitte  :  «  Le  seignor  le  deit  leissier  aller  et  il  est 
quitte  de  eel  murtre,  si  que  il  n'est  plus  tonus  de  respondre  a  nul 
qui  Ten  appelle  (1). ;;  Voici  un  resume  tres-net  de  cette  procedure : 
«  Nus  ne  doit  estre  pris  de  cinq  fez  dont  li  corps  est  dampnables 
por  cause  de  sopecon  se  la  cause  de  sopecon  n'est  aperte  ou 
resonable.  Et  se  aucuns  est  pris  por  cause  de  sopegon,  Ton  le 
puet  tenir  quarante  jorz.  Et  se  dedanz  quarante  jorz  nus  ne  vient 
avant  por  lui  accusier  Ten  le  doit  recroire  k  plege  (mettre  en 
liberte  sous  caution)  cors  por  cors.  Et  cette  recreaifce  durra  trois 
quarantaines ;  se  nus  ne  vient  por  lui  accusier  si  plege  seront 
delivre,  ja  soit  ce  que  se  aucuns  vient  avant  por  lui  accusier 
dedanz  I'an  et  dedans  le  jor,  il  sera  oiz,  et  apres  I'an  non  (2).  » 
C'etait  la  un  stimulant  de  I'accusation  privee;  ce  n'etait  pas  la 
poursuite  au  nom  de  I'Etat  (3). 


11  y  avait  une  autre  issue.  Le  detenu  pouvait  accepter  d'etre 
juge  sans  accusateur,  d'apres  une  certaine  procedure  que  las 
textes  appellent  «  Venqueste  du  pais.  »  —  «  Quant  aucuns  est 

pris  par  soupecon  de  vilain  cas on  doit  demander  a  celui  qui 

est  pris  s'il  veut  atendre  I'enqueste  du  fait  (4),  »  mais  le  con- 

(1)  Beaamanoir,  xxx,  90;  Jeaa  d'Ibelin,  ch.  85.  Livre  de  Jostice  et  de  Plet, 
XIX ,  26 ;  Compilatio  de  usibus  Andegmiee,  §  24 ;  Livre  des  Droiz,  §§  252,  387. 

'(2)  Livre  J.  et  P.,  xix,  26,  §  12.  Selon  certains  auteurs,  une  fois  les  ii\m 
des  publications  expires,  la  d^lirrance  definitive  intervenait.  Beaum.,  xxx,  91. 

(3)  Dans  certaines  contr^es,  cette  procedure  pouvait  §tre  provoqu^e  par  lepar- 
ticulier  soup5onn6;  on  disait  alors  qu'il  se  mettait  «  a  loy.  »  Voy.  Ancien  couiu- 
mier  de  Picardie  (6dit.  Marnier),  LV  (p.  47)  :  «  E  en  droit  Andrieu  le  chevalier, 
Jehan  el  Henri  frferez ,  liquel  se  mirent  a  loy  en  le  court  de  Pontieu  k  Abbeville, 
et  furent  rechupt  pour  le  souspechon  de  le  mort  Colart  Hurtaut ,  et  on  a  par 
plusieurs  fois  appel6  est  plais  de  baillie ,  se  il  estoit  aucuns  qui  riens  leur  vansist 
demander  pour  le  dicte  souspechon,  venist  avant  en  li  feroit  droit  et  loy;  et  nus 
ne  s'est  comparus  contre  aus  ne  offers...  delivre  et  absolz  de  le  diet  souspe- 
chon. » 

(4)  Beaum.,  xl,  14. 


DU  Xm'  AU  XVIl"   SIECLE.  S3 

sentement  du  prisonnier  etait  absolumentnecessaire.  «  Enten  que 
nus  n'est  dampnez  par  enqueste  s'il  ne  s'y  met  (1).  »  Pour 
obtenircet  assentiment,  on  usait,  il  estvrai,  de  moyens  de  persua- 
sion fort  6nergiques  :  «  11  doit  estre  arreste  par  la  justice  et  mis 
en  prison  jusqu'a  un  an  et  jour  a  peu  de  manger  et  boyre,  s'il 
n'offre  dedans  ce  a  soustenir  I'enqueste  du  pays  (2).  » 

Qu'etait-ce  que  cette  enquete?  Une  sorte  de  preuve  par  te- 
moins ,  mais  bien  differente  de  la  preuve  par  temoins  du  droit 
commun  que  nous  avons  decrite.  Ce  n' etait  point  d'ailleurs  une 
nouveaute ,  elle  avait  existe  a  I'epoque  carlovingienne  sous  le 
nom  d'Inquisitio  (3).  S'il  en  est  assez  difficile  d'en  determiner 
exactement  les  caracteres  d'apres  les  textes  duxni°  siecle,  c'est 
qu'elle  se  confondit  bientot  chez  nous  avec  la  preuve  testimoniale 
introduite  par  I'ordonnance  de  1260.  Gependant  le  Grand  cou- 
tumier  de  Normandie  en  donne  une  description .  detaillee  (4). 

(1)  Livre  de  J.  etP.,  xrx,  43,  §  1.  Ancien  coutumier  de  Picardie,  p.  52. 

(2)  Cf.  Beaum.,  xxsiv,  21  :  «  II  avient  aucune  fois  qu'aucuas  est  pris  por 
souspechon  de  cas  de  crieme,  et  par  la  peur  qu'il  a  de  longue  prison...  tant  soil 
qu'il  n'i  alt  coupes  11  donne  ou  convenence  aucune  coze  por  estre  dfilivres.  » 

(3)  Voyez  M.  Brunner  :  Die  Entstehung  der  Schwurgerichte;  spScialement,  cha- 
pitre  VI. 

(4)  Ch.  Lxviii;  void  le  texte  latin  d'apres  la  Somma  (II,  ch.  ii,  §  13).  «  Si 
autem  de  multro  facto  nuUus  sit  qui  sequelam  faciat  aut  clamorem,  si  publica 
infamia  aliquem  super  hoc  fecerit  criminosum ,  per  justiciarium  debet  arrestari  et 
flrmo  carcere  observari  usque  ad  diem  et  annum  cum  penuria  victus  et  potus  ; 
nisi  interim  super  hoc  inquisitionem  patrie  se  oflerat  sustinere.  Quara  si  susti- 
nere  voluerit  soUicitudo  justiciarii  debet  procurare  quod  omnes  illi ,  quos  de 
multro  aliquid  scire  praesumpserit  vel  ipsius  aliquam  noticiam  habere ,  de  quo- 
cumque  loco  fuerint,  coram  se  certo  die  et  loco  faciat  convenire  et  hoc  subito  et 
inopinate,  et  causa  propter  quam  eos  faciat  submoneri  celetur,  ne  parentes  cri- 
minosi  eorum  prece  vel  precio  corrumpant  saoramenta ;  et  ab  eis  unoquoque  per 
se  vocato ,  coram  IIIIo'  militibus  non  suspectis ,  utrum  criminosus  illud  multrum 
fecerit  inquiratur  dlligenter.iEt  auditis  dictis  eorum  et  inscriptis,  et  si  sufficiens 
seonium  super  aliquem  miserit  dictum  ejus  pro  nuUo  debet  reputari  et  a  jurea 
debet  removeri.  Et  si  sufficiens  non  fuerit  seonium  nihilominiis  ulterius  proce- 
datur.  §  14.  Hujusmodi  jurea  fieri  debet  per  XXIIII»r  homines  ad  minus  legales 

quos  neo  favor  nee  odium  a  jurea  debeat  amovere §  18.  Post  hoc  autem  coram 

ipsis  juratoribus  et  aliis  in  publico  convocatis  dictum  eorum  coram  reo  debet 
per  jiisticiarum  recitari  et  per  juratores  conflteri  quod  ita  juraverunt.  Et  super 
hoc  debet  fieri  judicium  in  continente  et  judicium  factum  sine  dilatione  adimpleri, 
et  quod  XX'*  eorum  juraverint  observetur.  Et  si  aliqui  eorum  se  nescientes 
dixerint  tot  debent  juratores  apponi,  si  possunt  inveniri,  quod  per  sacramentum 
XX'i  eorum  Veritas  rei  eluceat  inquisite.  » 


84  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

«  On  doit  faire  semondre  soudainement  les  gens  qui  peuvent 
avoir  connoissance  du  delit,  et  qui  doivent  etre  au  nombre  de 
vingl-quatre  au  moins  qui  ne  soient  pas  soupconneux  par  amour 

ou  par  haine les  plus  preud'hommes  et  les  plus  loyaux  du 

lieu-ou  le  meffet  fut  fet.  »  Le  bailli  les  doit  faire  comparaitre 
un  a  un  devant  quatre  chevaliers  et  rediger  leur  dire  par  eorit; 
puis  «  cil  qui  est  accuses  doit  estre  amene  avant  et  luy  doit-on 
demander  s'il  veut  saonner  (reprocher)  aucun  des  jureurs  qui 
tous  doibvent  lui  estre  monstres  (1).  »  Enfin  les  jureurs  seront 
appeles  en  commun ;  ce  qu'ils  auront  dit  sera  recorde  par  la 
justice  a  celui  qui  est  accuse.  «  Et  ils  doibvent  reconnoitre 
qu'ainsi  ils  ont  jure ;  et  sur  ce  doibt  maintenant  jugement  estre 
faict  par  I'advis  et  opinion  des  assistans  de  la  Cour.  » 

Telle  nous  est  decrite  cette  curieuse  procedure ,  oii  bien  des 
points  sont  dignes  d'attention.  Ces  jureurs,  qui  «  par  le  ser- 
ment  qu'ils  ont  fait  en  Cour  sont  tenus  dire  la  verite  des  que- 
relles  selon  ce  qui  leur  sera  enchargie  par  justice  »  et  dont 
chacun  doit  declarer  «  ce  qu'il  sait  de  la  vie  de  cil  qui  est 
accusez  et  de  ses  faits  et  ce  qu'il  en  croit  »  sont  des  temoins 
singuliers;  ce  sont  deja  des  jures.  Aussi  est-ce  dans  cette  ins- 
titution qu'un  remarquable  historien  du  droit  trouve  I'origine  du 
jury  anglais  (2).  Ces  jureurs  sont  cependant  encore  des  temoins, 
et  meme,  chose  a  noter,  des  temoins  qu'on  entend  deux  fois, 
hors  de  la  presence  et  en  presence  de  I'accuse. 

(1)  Selon  Beajimanoir,  c'etait  dfes  le  debut ,  avant  qu'on  eflt  entenda  aucun  des 
hommes ,  qu'on  devait  demander  a  celui  qui  s'etait  mis  en  enqugte  de  fournir  ses 
reproches  (xl,  14). 

(2)  Brunner  :  Entstehung  der  Schwurgerichte ,  speoialement  ch.  xxvi;  of.  Biener : 
Beitrage  zur  Geschkhte  des  Inquisitions-Prozesses  und  der  Geschwornen-Gerichte. 
Leipzig,  1827,  p.  275,  ssq. 

A  I'origine ,  cette  enqufite  n'etait  possible ,  s'il  y  avait  un  accusateur,  que  du 
consentement  des  deux  parties  [Grand  coutumier  de  Normandie,  ch.  lxix,  de 
Jureurs ,  oii  un  progrfes  est  cependant  d^ja  constat^).  En  Angleterre,  ce  Judicium 
patriae  peut  toujours,  depuis  leroi  Jean,  fitre  obtenu moyennant  un  breve  duroi. 
Selon  la  grande  charte,  ce  serait  un  droit  pour  I'accusfe  de  le  demander.  Brunner, 
op.  eit.,  p.  469 ,  ssq.  Britton  I ,  ch.  22 ,  n»  10  :  «  E  si  le  defendaunt  ne  puse 
abattre  le  apel ,  aduno  soit  en  sa  eleocioun  a  sei  defendre  par  soun  cors  ou  par 
pays.  »  (Edit.  Nichols ,  p.  104.)  Remarquons  que  le  jugement  par  juris  s'appelle, 
en  Angleterre ,  Judicium  patriae  ou  Inquest  o[  the  Country. 


DU  XIII°  AU  XVII"   SIECLE.  S5 


VI. 


Dans  cette  vieille  procedure ,  etroite  mais  logique ,  la  detention 
preventive  jouait  un  role  important.  L'arrestation  s'appelait  la 
prise  (1) ;  mais  £i  cote  venait  la  mise  en  liberte  sous  caution  ou 
recreance  (2),  et,  a  ce  point  de  vue,  la  vieille  coutume  etait  assez 
liberale.  Le  Livre  de  Jostice  et  de  Plet ,  traitant  des  recreances , 
commence  ainsi  :  «  Quant  home  est  en  prison  ou  quant  aucune 
chose  est  retenue,  comment  Ten  la  doit  rendre  ou  recroire.  — 
Cest  bans  si  est  fez  por  estranper  la  cruaute  as  seignors  et  las 
felonies  a  cez  qui  prenent  autrui  choses  (3).  » 

Cependant  c'est  une  maxime  qu'on  trouve  dans  des  Coutumiers 
d'origine  diverse ,  que  la  recreance  n'est  point  accordee  lorsqu'il 
s'agit  d'un  crime  dont  on  pent  perdre  vie  ou  membre  (4).  On 
pensait  qu'alors  le  cautionnement  des  pleges  n'offrait  point  une 
suffisante  garantie.  Sans  doute,  les  pleges  s'engageaient  de  la 
facon  la  plus  striate ,  «  corps  pour  corps,  avoir  pour  avoir,  » 
selon  la  vieille  formule  qui  se  conservera  longtemps  encore ;  mais 
on  ne  poussait  point  la  logique  jusqu'au  bout ;  on  n'inftigeait  pas 
a  la  caution  la  peine  qu'etit  encourue  le  criminel  defaillant;  elle 

(1)  Beaum.,  ch.  lii,  des  Prises. 

(2)  «  Recreance  si  est  r'avoir  ce  qui  fu  pris  por  donner  seurte  de  remettre 
loi  en  le  main  du  preneur,  k  certain  jor  qui  est  nomiaSs,  ou  aucune  fois  a  le  se- 
monse  du  Segneur  qui  fist  prendre.  »  Beaum.,  Lin,  2;  —  6tab.  S.  Louis ,  II,  S. 
«  Se  aucuns  demande  a  avoir  recreance  d'aucune  chose,  il  doit  mettre  pleiges  de 
la  r6cr6ance.  Car  recreance  ne  siet  mie  sans  pleiges,  selon  I'usage  de  cort  laie.  « 

(3)xa,26,§l. 

(4)  &aUiss.  S.  Louis,  11,  5  :  «  Nus  ne  doit  fere  recreance  de  chose  oii  il  i  ait 
p6ril  de  vie  ou  de  membre  ne  la  oi  il  a  point  sane.  —  Ibid.,  II ,  7  :  «  Recreance 
ne  siet  mie  en  chose  jugiee ,  ne  en  murtre ,  ne  en  traison ,  ne  en  rat ,  ne  en  encis, 
ne  en  aguet  de  chemin ,  ne  en  roberie ,  ne  en  larcin ,  ne  en  trieve  frainte ,  ne  en 
arson,  selon  la  cort  laie.  »  Cf.  Ibid,  I,  104;  —  Beaum.,  Lin,  2  :  «  En  toutes 
prises  queles  eles  soient  excepts  les  cas  de  crime  ou  qui  sent  souspechonn6  de 
cas  de  cfieme ,  des  quix  on  pot  perdje  vie  ou  membre ,  se  le  fet  n'est  conneus 
00  proves ,  doit  estre  fete  recreance ;  »  —  Livre  de  J.  et  P.,  xix ,  26 ,  §  6  :  «  Mes 
si  m'es  prant  por  chose  dont  mon  cors  dole  estre  dampnez  afert  il  iqui  rendre  ou 
recroire,  tot  se  plange  aucun  de  moi?  II  ni  afert  point  de  recreance  ou  de  rendre.  » 
Cf.  Compilatio  de  Usibus  Andegavice,  §  47.  —  Tris-ancienne  coutume  de  Bretagne, 
oh.  97  (Bourdot  de  Richebourg). 


S6  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

ne  supportait  que  des  dommages  pecuniaires ,  fort  graves  par- 
fois  (1). 

A  ne  consulter  que  les  textes  il  semble  toutefois  qu'une  evo- 
lution se  soit  produite  sur  ce  point.  Void  un  curieux  passage 
des  itablisserrients  de  S.  Louis  :  «  Se  il  avenoist  que  cil  s'enfouist 
qu'il  auroit  mis  hors  prison  par  pleiges,  et  ne  venist  mie  au 
terme  que  Ten  li  auroit  mis ,  adonc  la  justice  doit  dire  au  plege  ; 
Vous  avez  tel  homme  plevi  a  estre  a  tel  jour  a  droit  par 
devant  nous  (et  le  nomera)  et  si  estoit  appelez  de  si  grand 
meffet,  et  cil  s'en  est  fouis  et  por  ce  vuel-je  que  vos  en  soies 
proves  et  atains  de  porter  tele  paine  cfomme  cil  qui  s'est  enfouis 
soffrist.  —  Sire,  dient-il,  ce  ne  ferons  mie,  car  ce  nous  plevis- 
sons  nostre  ami,  nous  fesons  ce  que  nouS  devrons.  Et  ainsi  puet 
Ten  esgarder  aux  pleges  que  eux  en  seront  a  G.  sous  et  un 
denier  d'amande  et  autant  seront  quittes.  Et  icelle  amande  si 
est  appelee  Relief  d'home ,  et  pour  ce  se  doit  bien  garder  la  jus- 
tice que  il  ne  preigne  pleiges  de  gent  qui  s'entre  appellent  de 
si  grand  meffet, *comme  de  murtre  ou  de  traison,  car  il  n'en 
puet  porter  autre  amande  que  ce  que  nous  avons  dit  dessus  (2).  » 

II  y  avait  a  un  autre  point  de  vue  de  bonnes  raisons  pour 
qu'un  seigneur  justicier  ne  mit  pas  facilement  en  liberie  sous 
caution  une  personne  accusee  d'un  crime.  En  accordant  la  re- 
creance il  etit  lui-meme  couru  un  danger  serieux  :  «  Se  li  home 
font  recreance  en  cas  de  crime,  la  vl  ele  n'apartiengne  pas  a 
fere ,  il  se  metent  en  peril  et  est  li  uns  des  perix  graindres  (plus 

(1)  Beaum.,  xliu  ,  24 :  «  Plfeges  ne  pot  perdre  son  cors'  por  plegerie  qu'il  face , 
tout  soit  qu'il  ait  regWgi^  cors  por  cors  aucun  qui  est  tenus  por  vilain  cas  de 
crieme  a  revenir  au  jor  por  atendre  droit  et  cil  qui  est  repl^gie  s'enfuist :  Se  fix 
cas  avient  li  plfeges  est  en  le  merci  dii  Segneur  quanques  il  a  et  a  perdu  tout  le 
sien.  »  G^n^ralement  le  pl^ge  est  condamnS  a  une  amende  de  cent  sous. 

(2)  Etah.  S.  Louis,  I,  104.  —  Le  Livre  des  Droiz  est  dans  le  mfime  sens,  §  763  : 
«  Si  aucun  applegeoit  un  homme  envers  la  justice  qui  fust  detenu  de  cas  de 
crime,  ainsi  simplement  sans  faire  d^claracion  ou  specification  qu'il  I'applfege  a 
rendre  k  certaine  peine,  la  justice  n'en  pourroit  demander  que  C.  sous  de  peine 
par  la  coustume  si  comme  plusieurs  tiennent.  Si  aucun  applege  un  homme  qui  est 
detenu  de  cas  criminel  comme  dit  est  corps  four  corps  et  avoir  pour  avoir,  c'est 
k  entendre  quant  au  corps  qu'il  devroit  souffrir  mesme  peine  que  li ,  et  quant  a 
I'avoir  mesme  peine  civille  et  y  pourroit  Ten  moult  traire  de  raisons  contraires.  » 
Cf.  Beaum.,  lvui,  18.  Voy.  M.  Tanon.  ttegistre  criminel  de  la  justice  de  Saint 
Martin  des  Champs  au  xiv^  sUcle,  preface,  pp.  ixxx,  lxxxi. 


DU   XIII°  AU  XVII"   SIECLE.  57 

grand)  que  li  autres;  car  se  cil  qui  fut  recreus  s'en  va  sans 
revenir  au  jor  comme  cil  qui  n'oze  atendre  droit ,  cil  qui  fist  ce 
recreance  pert  se  jostice,  ne  ce  ne  I'excuse  pas  qu'il  en  prist 
pleges.  Car  li  pleges  ne  poent  pas  recevoir  mort  por  lor  pl^gerie ; 
mes  ce  pent  li  malfeteres  se  recreance  ni  I'eust  pas  este  fete. 
Li  secons  perix  qui  est  as  homes  quant  il  font  recreance  el  cas 
la  VI  elle  n'appartient  pas ,  si  est  que  se  li  quens  (comte)  set 
qu!il  aient  trop  large  prison  par  le  recreance  ou  qu'il  voisent  la 
il  il  veulent,  il  les  pot  prendre  sans  rendre  cort  ne  connois- 
sance  a  cell  qui  le  recreance  fist.  Mes  ne  porquant  en  tel  cas 
ne  pert  pas  li  hons  se  justice,  mes  il  pert  le  connissance  et  le 
vengeance  du  meffet.  Et  en  tele  maniere  porroit  il  fere  le  re- 
creance qu'il  perdroit  se  justice ,  comme  si  il  estoit  coustumiers 
de  fere  tex  recreances  ou  s'il  fesoit  le  recreance  sor  le  deffense 
du  seigneur,  car  le  desobeissance  avec  le  fole  recreance  lor 
tornent  en  damace  de  lor  justiche  (1).  » 

lyiais  la  regie  d'apres  laquelle  la  recreance  n'etait  pas  admise 
lorsqu'il  s'agissait  d'un  crime  emportant  «  perte  de  vie  ou  de 
membre ,  »  n'etait  point  sans  exception.  Plusieurs  situations 
sent  a  distinguer.  II  pouvait  d'abord  y  avoir,  a  I'occasion  d'un 
crime ,  une  accusation  intentee  par  I'ayant  droit ;  et  alors  le  plus 
souvent,  nous  le  savons,  la  procedure  s'engageait  directement 
par  un  appel  ou  provocation  au  duel  judiciaire  (2).  Dans  ce  cas 
la  detention  preventive  etait  la  regie ;  mais ,  chose  singuliere 
en  apparence,  elle  frappait  a  la  fois  I'accusateur  et  I'accuse  (3). 
Cela  s'explique  d'abord  par  le  caractere  general  de  la  proce- 
dure accusatoire  qui  est  de  maintenir  I'egalite  absolue  entre  les 
deux  parties  (4) ;  cela  s'explique  aussi  en  ce  que  I'appelant ,  s'il 

(1)  Beaum.,  lviii,  18. 

(2)  Beaum.,  lxi,  2. 

(3)  Beaum.,  uit,  4;  Et.  S.Louis,  1,104;  Sommade  Legibus Normannim,  II,  2, §2: 
aPrimo  autem  capiendum  est  vuadium  defeusoris,  et  post  ea  vuadium  appellato 
ris,  et  de  lege  deducenda  plegios  debent  tradere ,  uterque  tamen  in  prisonid  duds 
mmmpandus  est.  »  —  fris-ancienm  coutume  de  Bretagne,  ch.  104  :  «  Et  s'il  y  4  ac- 
cuseurs  il'  doibvent  avoir  prison  I'un  comme.  I'autre ,  car  ils  doivent  estre  pugnis 
d'un  mSme  cas..» 

(4)  Dans  I'appel  feodal,  cet  esprit  d'SgalitS  fait  qu'on  emprisonne  les  deux  par- 
ties; k  Rome,  dans  le  systdme  des  judicia.  puUica,il  avail  conduit  h  supprimerla 


58  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

succombait,  devait  perdre  lui-meme  le  corps  et  les  biens  (1);  le 
duel  etait  comme  une  arme  a  deux  tranchants  qui  frappait  ne- 
cessairement  I'un  des  deux  adversaires.  Cette  regie  d'egal  em- 
prisonnement  durera  d'ailleurs  en  France  autant  que  I'accusation 
par  partie  formee  (2),  et  elle  n'etait  point  restreinte  au  cas  oil 
le  duel  etait  le  mode  de  preuve  adopte  ou  impose  par  la  cou- 
tume.  Mais  ce  cas  presentait  une  particularite ;  alors  meme  qu'il 
s'agissait  des  crimes  les  plus  graves,  si  la  bataille  avait  ete 
gagee ,  on  pouvait  mettre  les  deux  parties  en  liberie  moyennant 
de  bons  pleges  :  11  fallait  bien  que  les  adversaires  pussent  se 
preparer  au  combat.  «  En  cas  de  crieme  ne  doit  pas  estre  fete 
ceste  recreance  fors  en  I'un  des  cas ;  si  comme  quant  gage  sont 
done  de  vilain  cas  de  partie  contre  autre;  en  eel  cas  se  les 
parties  se  poent  ostager  par  bons  pleges  qu'ils  revenront  au 
jor,  recreance  lor  doit  estre  fete,  porce  qu'il  se  puissent  porveir 
d'aler  avant,  selonc  ce  que  li  cas  le  desire  (3).  »  Le  Grand  coutu- 
mier  de  Normandie  donne  la  meme  solution  sous  une  forme 
un  peu  differente  :  apres  avoir  dit  qu'il  faut  mettre  en  prison 
I'appelant  et  I'appele,  il  ajoute  qu'on  pourra  les  confler  a  la 
garde  de  personnes  stires,-ce  qu'il  appelle  la  «  vifve  prison  {i).  » 
Mais  ici  encore  le  sort  des  deux  adversaires  devrait  etre  egal; 
on  ne  pouvait  point  accorder  a  I'un  la  liberie  sous  caution  sans 
I'accorder  en  meme  temps  a  I'autre.  Les  Etablissements  de  S. 

detention  preventive.  Voy.  Geib ,  Die  RSmische  Criminalprozess  bis  auf  Justinian 
(2»  partie). 

(1)  Beaum.,  lxi,  11  :  «  Cil  qui  est  vaincus  pert  le  cors  et  quanques  il  a  de 
quelcons  Signeur  qu'il  le  tifegne.  »  Voy.  Tris-ancienne  coutume  de  Bretagne,  ch. 
104  plus  haut  cite,  et  c.  96.  «  Car  s'il  (I'appelant)  est  jugife  que  repons  ne  luy  en 
siet ,  il  sera  vaincu  de  son  accusement  et  doibt  estre  pugni  au  cas  que  celuy  le 
devroist  estre  s'il  est  prouv6  du  fait.  » 

(2)  Comp.  pour  TAllemagne  la  Caroline,  art.  12,  ssq. 

(3)  Beaum.,  liii,  4;  cf.  lvui,  18. 

(4)  Somma  II ,  2 ,  §  2  :  s  Per  justiciarium  tamen  his  quod  necesse  fuerit  ad 
duellum  debet  inveniri ,  et  utrumque ,  si  voluerit  vive  prisonie  poterit  committere, 
dum  tamen  bonos  custodes  de  ipsis  habuerit,  qui  eos  ita  fideliter  oustodiant, 
quod  vivos  vel  mortuos  ad  diem  duelli  terminatam  reddant,  et  ad  duelli  deduc- 
tionem  habeant  preparatos.  »  —  «  Ce  que  droict  sera  4  faire  la  bataille  leur  doit 
estre  ottroy^  par  la  justice.  Et  si  pent  bailler  I'un  et  I'autre  en  vifve  prison  si 
leur  plaist,  pourtant  que  Ten  les  bailie  fSalement  h  bons  gardes  qui  les  rendront 
morts  ou  vifs  au  jour  de  la  bataille  appareillez  de  la  bataille  faire,  s'ils  sont  vifs.  » 


Du  xm°  Au  xvn°  siecle.  59 

Louis,  apres  avoir  dit  que  «  la  justice  doit  tenir  les  cors  de  eus 
deux  en  ygal  prison,  si  que  li  uns  ne  soit  plus  a  malese  que  li 
autres;  »  declarent  «  fole  justice  »  celle  qui  laisserait  «  I'un 
aler  hors  de  prison  par  pleiges ,  et  retenist  I'autre  (1).  » 

Ici  les  pouvoirs  de  la  justice  etaient  done  fort  restreints ;  mais 
ils  durent  s'etendre.  Le  Livre  de  Jostice  et  de  Plet  laisse  au  juge 
une  grande  latitude  :  «  Or  demende  Ten  se  deus  sont  pris  por 
tel  forfet  dont  li  uns  aprange  I'autre  s'il  i  afiert  rendre  ou  re- 
creance? L'en  dit  que  ce  est  en  la  volente  au  juge.  —  Or  de- 
mende Ten  s'il  puet  I'un  recroire  et  I'autre  retenir?  Et  l'en  dit 
que  non ;  ne  ne  puet  l'en  fere  avantages  a  I'un  plus  qu'a  I'autre 
n'alegier  I'un  plus  que  I'autre  (2).  »  Get  arbitraire  dut  surtout  se 
developper  dans  les  juridictions  royales ,  les  responsabilites  feo- 
dales ,  dont  nous  avons  parle  plus  haut ,  n'existant  point  alors. 

En  dehors  de  I'accusation  par  partie  formee ,  une  autre  situa- 
tion pouvait  se  presenter.  Le  seigneur  pouvait,  nous  I'avons 
dit,  prendre  et  emprisonner  I'homme. soupconne  de  crime,  et, 
pour  susciter  les  accusations,  faire  publier  sa  prise  par  trois 
assises  ou  dans  tel  autre  delai  fixe  par  la  coutume.  Get  empri- 
sonnement  durait  au  plus  I'an  et  jour,  car,  passe  ce  terme,  au- 
cune  accusation  n'etait  plus  possible ,  mais  ne  pouvait-il  cesser 
plus  tot?. En  general  les  coutumiers  admettent  qu'a  I'expiration 
des  delais  pour  les  publications ,  I'inculpe  avait  le  droit  de  reque- 
rir  sa  mise  en  liberte  en  fournissant  des  pleges  (3).  D'autres, 
il  est  vrai,  admettent  que  la  detention  doit  continuer  (i).  D'autres, 
enfin  que  la  dilivrance  definitive  doit  avoir  lieu  aussitdt  apres 
que  les  delais  sont  expires  (5). 

Une  derniere  hypothese  pouvait  se  presenter.  L'homme  ipris 
par  le  seigneur  consentait  a  subir  I'enquete  du  pays  :  devait-il 

(1)  1, 104 ;  cf.  Beaumanoir,  liu  ,  4. 

(2)  XIX,  26,  §  9. 

(3)  Compilatio'de  Usibus  Andegmim.  §  24.  Livre  de  J.  et  P.,  xix,  26,  §  12.  — 
Ordonnance  de  1315  :  «La  souspeson  porroit  estre  si  grand  et  si  notoire,  que  li 
souspegonnez,  centre  qui  IJ  d^nonciation  seroit  faite,  devroit  demourer  en  I'hostel 
de  son  seigneur  et  ilec  demourer  une  quarantaine  ou  deux  ou  trois  au  plus ,  et  se 
ce  termine  aucun  ne  I'approchoit  de  ce  fait ,  il  seroit  osiagez  {Ord.  I ,  p.  558).  » 

(4)  Jean  d'Ibelin ,  ch.  lxxiv. 

(5)  Voy.  Beaum.,  lviii,  20 ;  xxx,  90. 


60  LA  PROCEDURE  CRIMINELLE 

alors  Stre  mis  en  liberie  sous  caution?  Cela  est  probable;  cer- 
tains textes  semblent  contenir  cette  idee  que  la  liberte  est  de 
droit  quand  il  n'y  a  pas  de  partie  formee  :  «  Se  la  jostice  me 
met  sus  que  j'aie  este  au  fet  fere,  don  li  cors  dole  prandre  mort, 
et  nus  ne  me  demande  riens  fors  lui  :  par  droit  il  ne  doit  pas 
prandre  les  moies  choses,  mes  mon  cors;  mes  il  le  recroira 
cors  pour  cors  a  fere  droit  (1).  » 

De  tout  ce  que  nous  venons  de  constater  il  resulte  que  la 
liberte  sous  caution  etait  de  droit  quand  il  ne  s'agissait  pas  d'un 
fait  pouvant  entrainer  perte  de  la  vie  ou  d'un  membre.  Et  de 
toute  cette  vieille  theorie ,  liee  en  grande  partie  au  regime  feodal 
et  au  duel  judiciaire ,  il  subsistera  deux  idees  dans  la  periode 
suivante  :  la  liberte  provisoire  doit  etre  accordee  lorsqu'il  s'agit 
de  delits  peu  graves;  lorsqu'il  s'agit  de  crimes  importants  elle 
doit  etre  refusee. 


VII. 

Le  vieus  droit  connaissait  enfm  une  procedure  de  contumace , 
qui  sert  de  point  de  depart  a  notre  legislation  en  cette  matiere,. 
mais  qui  est  devenue  meconnaissable  dans  ses  transformations 
successives.  Comme  toutes  les  procedures  formalistes,  I'ancienne 
procedure  criminelle  n'admettait  point  de  jugement  par  defaut; 
pour  que  le  proces  put  s'engager  et  aboutir  il  fallait  un  accusa- 
teur  et  un  accuse  presents.  Cependant  on  trouvait  moyen  d' as- 
surer son  cours  a  la  justice  malgre  toute  resistance  des  recalci- 
trants. Comme  dans  les  usages  germaniques ,  la  procedure  par 
contumace  aboutissait  non  a  une  condamnation  sur  le  fait  vise 
dans  la  poursuite,  mais  a  une  mise  hors  la  loi  du  contumax.  A  ce- 
lui  qui  refusait  d'ober  a  la  loi  on  retirait  toute  garantie  legale.  La 
encore  la  logique  gardait  tout  son  empire.  II  y  avait  d'ailleurs 
un  veritable  luxe  de  citations ,  de  delais ,  variant  un  peu  selon  les 
coutumes;  mais  cette  vari§te  n'empeche  point  de  degager  les 
caracteres  generaux  de  cette  procedure. 

La  procedure  de  contumace  s'appelait  le  fqrbannissement.  Le 

(1)  Livre  de  J.  et  P.,  xix,  26,  §  5. 


DU  XIII°  AU  XTII"   SlilCLE.  61 

forbaunissement  ne  pouvait  Stre  prononce  que  par  l*assise  et  ne 
pouvait  6tre  suivi  que  pour  les  faits  graves ,  ce  qu'on  appellera 
plus  tard  le  grand  criminel  (1).  L'ancienne  Coutume  de  Nor- 
mandie  en  donne  peut-etre  le  type  le  plus  pur.  Elle  exige  trois 
citations  a  trois  assises  successives  :  Criminalem  autem.  dicimus 
actionem  de  qua  convictus  aliquis  membris  vel  corpore  condem- 
natur.  Si  quis  autem  crimen ,  quo  secutus  est ,  confessus  fuerit  in 
publico,  sui  judicium  protulit  damnamenti,  Mffugiens  autem  hujus- 
modi  criminosus  ad  tres  primas  assisias  contumax  debet  vocari. 
Est  autem  assisia  militum  etvirorum  certo  loco  et  certo  termino  XL 
dierum  spacium  continente,  per  quos  de  auditu  in  curia  judicium 
etjustitia  debet  exhiberi.  Ad  quartam  autem  recitatis  ejus  crimi- 
nibus  et  subterfugus  facto  ab  his  judicio  debet  forbanizari  publice 
sub  hac  forma  :  Nos  forbanizamus  Petrum  propter  mortem  Luce , 
quern  occidit,  ex  potestate  duds;  itd  quod  si  quis  eum  post  elap- 
sum  hujus  assisiae  invenerit  ipsum  vivum  vel  mortuum  reddat 
justiciario ,  vel  si  non  poterit  clamorem  patriae  qui  dicitur  harou 
clamosis  vocibus  debet  excitare  (2).  La  tout  est  net :  la  mise  hors 
la  loi  et  les  delais ,  qui  consistent  en  quatre  termes  chacun  d'une 
assise.  Partout  ces  quatre  termes  se  retrouveront ,  et  le  dernier 
sera  toujours  d'une  assise  ou  quarantaine;  mais  les  trois  pre- 
miers varient  selon  les  coutumiers.  Voici  ce  que  nous  trouvons 
dans  le  Livre  de  Jostice  et  de  Plet :  «  Ce  dit  Ten  que  avant  que 
homme  soit  forbeniz,  que  Ten  le  doit  fere  semondre  par  trois 
jorz ,  chascuns  de  huit  jorz ,  et  s'il  ne  vient  dedanz ,  Ten  doit 
mander  de  ses  amis  procheins ,  et  dire  lor  qui  ait  a  un  jor.  Et  se 
Ten  aqueut  cortoisement  d'asoine  Ten  le  doit  oi'r;  se  non  Ten  doit 
lesser  passer  qu'avant  qu'apres  le  tens  de  quarante  jorz,  et  de 
danz  ce  s'il  ne  vient  Ten  doit  forbenir  (3).  »  Selon  les  Stablisse- 

(1)  Livre  de  J.  et  P.,  xix,  37,  §  4  :  «  L' en  demands  por  ferir  home,  ou  por  Ifidir 
de  paroles  ou  ftre  sane  ou  chable  sanz  mort  et  sanz  mehaing,  et  il  s'enfait,  si 
Ten  doit  forbenir?  Et  Ten  dit  que  non.  —  §  5.  Anpr^s  demende  Ten,  se  I'en  li 
met  sus  murtre  ou  larrecin,  ou  rat,  ou  homicide  ou  membre  tolu  ou  roberie  ou 
s'il  a  pris  de  I'autrui  a  force,  ou  s'il  ne  vient  avant  pour  donner  trives,  et  il 
s'enfait  savoir  se  Ten  le  doit  forbenir?  Et  Ten  dit  que  oil;  car  tel  chose  apar- 
tient  h,  dampnement  de  cors  et  pdril  de  perdurable  salu.  » 

(2)  Sommo  I.  23,  §§  S,  6. 

(3)  XIX,  37,  §  9. 


62  LA  PROCEDURE   CRIMtNELLE 

ments  de  S.  Louis,  on  cite  le  fugitif  :  «  qu'il  viegne  dans  les  sept 
jours  et  les  sept  nuits  pour  cognoistre  ou  pour  defendre ,  et  si  le  , 
fera  Ten  apeler  a  plain  marchie....  le  feroit  semondre  derechef 
por  jugement  que  il  venist  dedans  les  quinze  jors  et  les  quinze 
nuits...  puis  dedans  les  quarante  jors  et  les  quaraate  nuits,  et 
s'il  ne  venoist  lors  si  le  feroit  Ten  banir  en  plain  marchi6  (1).  » 
D'apres  Beaumanoir,  il  y  a  des  delais  differents  suivant  qu'il  s'a- 
git  d'un  vilain  ou  d'un  noble  :  «  S'ils  sont  home  de  poeste  il  doi- 
vent  etre  ajorne  par  trois  quinzaines,  a  la  tierce  quinzaine  en 
prevoste.  Et  s'il  ne  viegnent  dedans  les  trois  quinzaines,  a  la 
tierce  quinzaine  on  doit  crier  qu'il  viegnent  a  la  premiere  assise 
apres...  et  s'il  ne  viennent  a  cele  assise  il  doivent  estre  bany  (2).  » 
Pour  les  gentilshommes  il  y  a  trois  citations  en  prev6te,  puis 
trois  citations  en  assise ;  il  semble'  qu'il  y  ait  la  deux  systemes 
superposes  :  a  Se  oil  sunt  gentil  home  doivent  estre  appele  qu'il 
viengnent  au  droit  du  sovrain  par  trois  quinsaines  en  prevoste ; 
et  s'il  ne  viennent  il  doivent  etre  appele  par  trois  assises  apres 
en  sivant,  dont  il  ait  d'assise  a  autre  quarante  jors  d'espasse  au 
moins ,  et  s'il  ne  viennent  dedans  le  deerraine  assize  il  doivent 
estre  bani  (3).  » 

Cette  procedure  de  contumace  pouvait  6tre  suivie,  soit  qu'il 
y  eut  une  partie  poursuivante ,  soit  qu'iky  ett  seulement  soupgon 
et  action  du  seigneur  justicier ;  dans  un  cas  comme  dans  I'autre , 
il  y  avait  desobeissance  a  la  semonce  seigneuriale. 

Le  banni  etait  reellement  hors  la  loi;  son  meurtre  etait  im- 
puni ,  et  il  etait  defendu  de  lui  donner  asile  :  «  Quant  uns  hons 
est  banis  de  le  cort  a  aucun  des  homes  le  conte  nus  des  autres 
homes  ne  le  pot  ne  ne  doit  receler,  ains  le  doit  penre  s'il  le  trueve 

sor  se  terre,  et  doit  fere  savoir  au  conte  qu'il  tient  tel  bani 

quiconques  les  rechete  et  set  le  bannissement ,  se  meson  doit 
estre  abatue  et  est  I'amende  en  le  volente  le  conte  de  quanques 
il  a  vaillant;  et  encore  paine  de  prison  (4).  »  Ces  terribles  menaces 

(1)  I,  26. 

(2)  LX,  5 

(3)  Beaum.,  lx  ;  6 ;  xxx,  90. 

(4)  Beaum.,  lxi,  21, 23.  —  Le  banDissement  n'^tait  da  reste  et  ne  pouvait  €tre 
prononci  que  pour  le  territoire  soumis  k  la  juridiction  du  seigneur  justicier 


DU  Xm°  AU  XV11°  SIECLE.  63 

n'etaient  pas  du  reste  le  seul  moyen  de  contrainte  employe  pour 
amener  la  comparution  du  contumax ;  en  vertu  de  la  mise  hors 
la  loi  ses  biens  etaient  confisques  (1),  et  des  le  debut  de  la  proce- 
dure, des  le  premier  defaut,  le  seigneur  les  mettait  sous  se- 
questre  (2). 

Le  trait  le  plus  original  de  cette  forme  de  proces ,  c'est  qu'elle 
faisait  non  un  condamne ,  mais  un  «  outlaw.  »  Elle  ne  tarda  pas 
a  perdre  ce  caractere.  On  vit  dans  la  resistance  a  la  justice  une 
sorte  d'aveu ;  des  lors  on  considera  le  banni  comme  «  attaint  et 
convaincu  »  du  crime ,  dent  il  deyait  subir  la  peine  normale  s'il 
etait  pris  et  remis  au  seigneur  justicier.  Beaumanoir  et  le  Livre 
de  Jostice  et  de  Plet  contiennent  deja  cette  conception  nou- 
velle  (3).  Dans  toute  la  suite  des  temps,  la  procedure  par  con- 
tumace  contiendra  un  melange  de  ces  deux  idees  :  mise  hors 
'  la  loi ,  condamnation  sur  le  fait  poursuivi. 

Le  forbannissement,  avec  ses  terribles  consequences,  etait-il 
definitif  et  irrevocable?  Le  banni  ne  pouvait-il  pas  demander 
a  etre  juge  contradictoirement  lorsqu'il  6tait  saisi ,  ou  qu'il  se 
representait  de  lui-meme ,  voulant  purger  sa  contumace ,  comme 
on  dira  plus  tard?  La  logique  repondait  non.  A  I'origine,  le 
forbannissement  etant  la  punition  de  la  desobeissance  non  du 
crime,  etait  definitif,  ou  du  moins  ne  pouvait  etre  rappele  que 
par  celui  qui  I'avait  prononce  :  c'etait  la  une  decision  gracieuse , 

(Beaum.,  lxi,  22) ;  mais  Beaumanoir  indique  une  curieuse  procedure  (lxi,  21)  pour 
en  6tendre  I'eifet  a  toute  la  justice  du  suzerain  supfirieur. 

(1)  Beaum.,  lx,  9. 

(2)  Beaum.,  LXI,  10  :  «Neporquant  porle  peril  qui  est  el  d^lai  li  quens  doit  en- 

Toier  gardes  sor  celi  de  qui  on  requiert et  dobler  de  jor  en  jor  si  que  il  viegne 

avant  por  son  damace  esquiver.  »  —  Livre  de  J.  et  P.,  xix,  37,  §  8  :  «  Premifere- 
ment  Ten  le  doit  fere  semondre  en  son  ostel  la  oi  Ten  cuidera  qu'il  repfere  plus ; 
et  s'il-ne  vient  I'en  le  doit  prendre  le  sien,  et  doit  estre  en  le  main  au  juige.  » 
cf.  Ancien  coutumier  de  Picardie,  liv  (p.  46). 

(3)  Beaum.,  lx,  9  :  «  Quiconques  est  apeWs  sor  auoun  des  cas  dessus  dis  et  il 
atent  tant  qu'il  soit  banis  par  coustume  de  tere,  et  il  est  repris  puis  le  bannisse- 
ment,  U  a  perdu  le  cors  et  I'avoir  et  est  justicies  aussi  comme  s'il  avoit  fet  le  fet 
notoirement  por  lequel  il  fu  apeWs.  »  —  Ibid.,  xxx ,  12  :  «  II  doit  estre  justicies 
selonc  le  meffet  porquoi  il  est  banis.  »  —  Livre  de  J.  et  P.,  xix ,  37,  §  7  :  «  Et 
s'il  est  pris  enprfes  en  la  suite  dou  forbenissement  il  est  dampnez  dou  fet.  »  — 
Ancien  coutumier  de  Picardie  (Anc.  cout.  de  Ponthieu  et  Yimen,  xiv),  p.  131 :  «  Se 
il  deffaut  attains  doit  esti'e  du  criesme  de  quoy  il  est  accuses.  » 


64  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

non  le  resultat  d'une  voie  de  recours  (1).  Dans  ce  rappel  il  y 
avait  I'exercice  d'une  sorte  de  droit  regalien ,  comme  dans  I'af- 
franchissement  d'un  serf,  aussi  fallait-il  au  baron,  pour  I'ac- 
corder,  I'assentiment  du  suzerain  superieur  (2).  Les  lettres 
de  rappel  pouvaient  d'ailleurs  effacer  toutes  les  consequences  du 
bannissement  et  contenir  un  pardon  complet  ou  seulement  ou- 
vrir  la  possibilite  d'un  jugement  nouveau;  c'est  ce  qu'explique 
fort  bien  Beaumanoir  :  a  Se  li  banis  est  rapeles  par  le  sovrain 
por  aucune  coze  de  pitie,  si  comme  j'ai  ditdessus,  il  doit  avoir 
tout  ce  qui  estoit  tenu  du  sien  por  le  souspechon  du  meffet 
soit  que  li  quens  le  tiengne  ou  autres,  car  cil  qui  est  assaus 
(absous)  en  le  cort  du  sovrain  ne  pent  pas  estre  condampnes 
en  le  cort  du  souget.  Mais  autre  coze  seroit  se  li  quens  rapeloit 
son  bani  par  loier,  ou  par  priere  ou  par  se  volunte  por  cause  de 
pitie ,  car  en  tex  rapiax  li  souget  ne  rendroient  pas  ce  qu'il 
aroient  du  sien  por  le  meffet ,  s'il  ne  se  fesoit  purgier  du  meffet 
par  jugement ;  si  come  s'il  estoit  apeles  et  il  se  delivroit  de  I'apel 
ou  il  se  metoit  en  enqueste  et  il  estoit  delivres  par  I'enqueste , 
car  adont  converroit  il  qu'il  r'eust  le  sien  quiconques  le  tenist  (3). » 
Mais  a  cote  de  ces  principes  une  autre  idee  se  faisait  jour.  On 
tendait  k  permettre  au  banni-condamne  de  prouver  sa  bonne  foi , 
d'attaquer  judiciairement  la  sentence  de  ban.  Le  Livre  de  Jostice 
et  de  Plet  ouvre  a  cet  effet  un  dernier  delai  de  gr§,ce  :  «  Ce  dit 
Ten  que  se  aucuns  est  forbeniz  enpres  quarante  jors  est  forba- 
niz ;  et  il  vient  avant  dedanz  les  trois  procheines  assizes  et  fet  de 
ses  essoines  ce  qu'il  doit  et  voille  soffrir  droit :  Ten  le  recevra. 
Et  s'il  ne  vient  dedanz  les  trois  assises  il  sera  dampnez  dou  fet 
que  Ten  li  mettra  sus  (4).  »  Les  Etablissements  de  S.  Louis  decla- 

(1)  Beaum.,  lxi,  24  :  «  Se  li  quens  rap61e  son  bani  por  aucune  cause  de  piti^, 
si  comme  que  il  a  entendu  que  cil  qui  fu  bannis,  el  point  que  il  fut  apeles  et 
banis,  fu  en  estrange  pais  ou  en  pelerinage,  et  est  aperte  coze  que  il  ne  sot  riens 

des  apiax  ne  du  bannissement ou  li  quens  (comte)  a  puis  su  de  certain  qu'il 

n'ot  coupes  el  fet  porquoi  il  fut  banis  :  il  fet  oevre  de  misSricorde  de  rappeler  tel 
mani^res  de  bannissemens.  » 

(2)  Beaum.,  lxi  ,  26  :  «  Li  home  qui  ont  fet  en  lor  cort  aucun  bannissement 
por  cas  de  crieme  ne  le  pcet  rappeler  sans  I'acort  du  conte  pornule  cause.  » 

(3)  Beaum.,  lxi,  25. 

(4)  XIX,  37,  §  10;  cf.  Amien.  cout.  de  Pkardie.  xcviii(p.  88). 


DU  XIII"   ATJ  XVII°    SIECLE.  65 

rent ,  sans  fixer  aucun  delai,  que  si  le  banni  se  presents  et  allegue 
sa  bonne  foi  :  «  adonc  en  devroit  la  Justice  prendre  son  serment 
qu'il  disoit  voir  et  atant  auroit  sa  deffense  qui  le  voudroit  ape- 
ler  (1).  »  Ce  sont  la  les  rudiments  d'un  deyeloppement  futur; 
mais  I'idee  premiere  ne  disparaitra  point  de  si  t6t ;  et  dans  la  pro- 
cedure par  contumace  qu'organisera  I'ordonnance  de  1670,  nous 
verrons  fonctionner  cote  a  c6te  les  decisions  gracieuses  et  les 
voies  de  recours. 

Telle  etait  notre  tres-ancienne  procedure  criminelle.  Quelque 
logique  qu'elle  fut  dans  son  imperfection ,  elle  renferme  en  rea- 
lite  deux  elements  distincts.  L'un  appartient  au  passe  et  dispa- 
raitra bientot  sans  laisser  de  traces ;  I'autre,  au  contraire,  contient 
les  germes  d'institutions  nouvelles ,  et  nous  allons  montrer  com- 
ment il  se  transforma  pour  repondre  a  des  besoins  nouveaux. 


(1)  Etabl.,  I.,  26.  D'apres  un  passage  du  Livre  de  Jostice  et  de  Phi,  il  semble 
qu'aucune  prescription  ne  pouvait  effacer  les  effets  du  bannissement.  xix,  37,  §  12  : 
«  Gefroi  de  la  Chapele  (dist)  que  11  baillis  de  Orliens  fist  un  home  forbannir  por 
cri  et  por  renommee  que  il  disoit  que  il  avoit  ocis  un  home.  Et  fu  semons  en  se 
meson  de  par  le  commandement  le  roi  par  I'espace  de  quarante  jorz  ne  vint  ne 
n'envoia.ne  ne  contremanda,  et  por  ce  fu  forbeniz,  et  soffri  le  forbennissement 
sanz  venir  avant  cinquante  anz,  ne  sanz  ce  que  jostice  Ten  requist.  Enprfes  il 
vint  k  I'Evesque  d'Orliens  et  dit  qu'il  estoit  de  sa  jostice  et  cochanz  et  levanz  en 
sa  terre,  et  voirs  ere  (o'^tait  vrai).  Li  Evesque  fist  son  poer  de  rapeler  ce  forben- 
nissement. Et  dona  droiz  qu'il  ne  sera  pas  rapelez  por  ceu  que  il  n'estoit  pas 
venuz  avant  por  allegier  son  priviliege  ne  jostice  ne  I'avoit  pas  requis,  et  fut 
renduz  a  I'Evesque  ou  point  oi  il  ^re.  L'Evesque  le  fist  juigier  et  dona  droit  qu'il 
fust  panduz.  » 


66  LA   PROCEDURE   CRIMINELLE 


CHAPITRE  DEUXIEME. 

Origine  et  progrfes  de  la  procedure  inquisitoire 
du  Xllle  au  XV«  sifecle. 


I.  La  procedure  crimmelle  de  I'Eglise.  —  IL  Vaprise  ou  enqu^te  d'office,  son  ap- 
parition au  xiii"  siScle;  r&istance  des  nobles;  la  dtoonciation;  Taccusation 
aprfes  la  suppression  du  duel  judiciaire.  —  IIL  Introduction  de  la  torture.  — 
IV.  Le  ministere  public.  —  V.  La  procedure  criminelle  aux  xit«  etxvo  siecles; 
procedure  ordinaire  et  extraordinaire ;  dernieres  transformations. 

Dans  la  procedure  brutale  et  insuffisante  que  nous  avons  de- 
crite,  la  poursuite  des  delits  etait  I'affaire  des  particuliers.  Rare- 
ment  la  puissance  publique  pouvait  intervenir  d'une  maniere 
efficace  :  sauf  au  cas  de  flagrant  delit,  elle  ne  pouvait  que  se  sai- 
sir  du  cpupable  et  attendre  le  bon  plaisir  des  parties  lesees  pour 
I'accusation,  ou  le  consentement  du  coupable  pour  I'enqu^te. 

Un  tel  etat  de  choses  ne  pouvait  durer ;  aussi  nous  allons  voir 
apparaitre  au  xiii°  siecle  et  se  developper  rapidement  une  veri- 
table poursuite  d'office,  en  memo  temps  que  les  vieux  modes 
de  preuves  feront  place  aux  enquMes.  Mais  avant  d'etudier  ce 
mouvement  dans  nos  vieux  auteurs,  il  faut  rapidement  exposer 
la  procedure  criminelle  des  cours  d'Eglise.  En  effet,  I'influence 
de  cette  procedure  sur  les  transformations  que  nous  nous  prb- 
posons  de  decrire  est  indeniable.  Ce  n'est  point  que  I'Eglise  eut 
cree  son  systeme  de  toutes  pieces ;  au  contraire,  elle  emprunta 
le  plus  souvent  aux  institutions  lai'ques  les  divers  elements  qu'elle 
mit  en  CEUvre ;  mais  elle  les  anima  d'un  esprit  nouveau  et  les 
transforma  rapidement.  On  dit  quelquefois  que  la  procedure  in- 
quisitoire de  I'ancienne  France  provient  purement  d'un  emprunt 
fait  a  I'Eglise ;  cela  n'est  point  exact,  comme  nous  le  ferons  voir; 
mais  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  I'Eglise  fut  la  premiere  puis- 
sance qui  passa  de  la  procedure  accusatoire  a  la  procedure  inqui- 
sitoire. Ayant  la  premiere  accompli  cette  Evolution ,  elle  fournit 
tout  naturellement  un  modele  a  la  France  et  aux  nations  voi- 


DU  XIII°   AU  XVn°  SIECLE.  67 

sines ,  qu'eatrainait  le  meme  mouvement  sous  I'impulsioii  des 
memes  besoins. 


I. 

La  juridiction  repressive  de  I'Elglise  avait  eu  d'assez  humbles 
commencements  (1).  Sans  doute  sa  premiere  manifestation  fut 
cette  sorte  de  procedure  a  laquelle  on  donna  plus  tard  le  nom 
de  denuntiatio ,  et  dont  I'Evangile  mgme  fournit  le  modele  aux 
premieres  communautes  chretiennes  (2).  Le  fidele,  scandalise 
par  un  autre  fidele,  devait  charitablement  avertir  ce  dernier,  en 
secret  d'abord,  puis  devant  temoins,  et  enfin,  si  cela  n'avait 
aucun  resultat,  le  denoncer  a  la  communaute  (3),  qui  infligeait 
des  blames  ou  des  penitences.  Plus  tard,  la  constitution  de 
I'Eglise  se  transformant,  la  denonciation  fut  portee  non  plus  a  la 
communaute ,  mais  aux  superieurs  ecclesiastiques ;  elle  devait 
toujours  etre  precedee  de  la  charitativa  admonitio  (4).  On  ne  sait 
quelle  forme  etait  suivie  si  la  personne  denoncee  n'avouait  pas, 
mais  dans  tons  les  cas  ce  n'etaient  que  des  penitences  ecclesias- 
tiques qui  etaient  prononcees. 

L'figlise,  triomphante,  conquit  la  juridiction  criminelle  sur 
tous  ceux  qui  lui  appartenaient  directement,  sur  les  clercs  (5); 
des  lors  elle  eut  besoin  d'une  procedure  plus  ferme,  vraiment 
repressive.  Elle  emprunta  simplement  celle  des  juridictions  lai- 

(1)  Sur  la  procedure  criminelle  de  I'Eglise  :  voy.  MM.  Faustin-Haie  :  Traiti  de 
I'insi/ruetion  criminelle,  torn.  I,  ch.  xi,  n"^  181-214  (6dit.  1866).  —  Du  Boys  : 
Histoire  du  droit  criminel  de  la  France,  pp.  74-85.  —  Biener  :  Beitrdge  zu  der 
Geschichte  des  Inquisidons-Prozesses ,  p.  16-78.  —  Fournier  :  Les  officialiUs  au 
Moyen-Age,  p.  233,  ssq. 

(2)  Math.,  XVIII,  15-17. 

(3)  «  De  bonne  heure  I'Eglise  s'Srigea  en  tribunal  et  transforma  le  repentir  en 
penitence  publique  imposfie  par  I'autoritS  et  accept^e  par  le  delinquant.  »  M.  Re- 
nan  :  L'£gUse  chr6Uenne ,  p.  391. 

(4)  C.  17,  Dist.  45.  (Ex  Origine,  homilia  VII  in  Josua) ;  c.  18,  19.  Causa  II,  qu.  1 
(Augustin)  :  «  Paulus  breviter  insinuasse  intelligitur  cum  quibusdam  commemo- 
ratis  criminibus  Ecclesiastici  judicii  formam  ad  omnia  similia  ex  quibusdam  da- 
ret.  »  C.  23,  X,  De  accus.  (V,  1);  c.  31,  X,  De  Sim.  (V,  3)  :  «  Sicut  accusationem 
legitima  prsecedere  debet  inscriptio ,  sic  denuntiationem  charitativa  coercitio.  » 

(5)  Voy.  Bethmann-HoUweg  :  Civil  Prozess,  torn.  Ill ;  cf .  Wilda  :  Das  Strafrecht 
der  Germanen,  p.  530,  ssq. 


68  LA   PROCEDURE    CRIMINELLE 

ques,  la  procedure  penale  du  Bas-Empire.  Le  principe  accusa- 
toire  domiEe  toutes  les  poursuites  devant  les  tribunaux  de  I'E- 
glise  comma  devant  ceux  de  FEmpire.  L'accusation  fut  le  modus 
ordinarius,  I'inscripfio  in  crimen  en  etant  la  manifestation  (1). 
Des  exceptions  nombreuses  etaient  apportees  au  droit  d'accusa- 
tion  publique;  la  plus  importante  consistait  en  ce  que  leslaiques 
ne  pouvaient  accuser  les  clercs. 

Le  principe  accusatoire  n'exercait  point  un  empire  absolu;  on 
connaissait  des  cas  ou  d'office  le  juge  pouvait  se  saisir  et  pour- 
suivre.  U  en  etait  ainsi  en  cas  de  flagrant  delit  (2),  delictum 
manifestum  ou-  notorium.  Les  canonistes,  pour  etablir  ce  point, 
s'appuyaient  sur  I'autorite  de  saint  Paul  (ad  Gal.,  v,  19-21)  (3). 
Mais  peut-etre  fut-ce  plutdt  un  emprunt  fait  au  droit  commun  (4). 

Cette  procedure  de  I'Eglise  se  precisa  de  plus  en  plus ;  elle 
etait  publique  et  admettait  la  liberie  de  la  defense  dans  les 
memos  conditions  que  les  lois  de  I'Empire  remain. 

L'Eglise  jusque-la  n'avait  point  ete  novatrice;  elle  avait  pris 
ce  que  lui  fournissait  le  droit  romain.  Lorsqu'elle  fut  en  contact 
avec  les  populations  de  race  germanique,  elle  leur  fit  aussi  un 
emprunt  qui  lui  permit  d'elargir  le  cercle  des  poursuites  d'of- 
fice :  il  s'agit  du  grand  mode  de  preuve  et  de  defense  des 
coutumes  germaniques,  du  serment  purgatoire  de  I'accuse  (5). 
Cette  pratique  ne  s'introduisit  point  sans  difficulte  dans  I'Eglise, 
qui  repugnait  a  I'emploi  du  serment  (Matth.,  v,  33-37),  mais  eUe 
fmit  par  I'emporter  (6);  elle  prit  le  nom  de  purgatio  canonica. 

(1)  C.  4.  Causa  II,  qu.  1  :  «  Nihil  contra  quemlibet  accusatum  absque  legitime 
etidoneo  accusatore  fiat.  Nam  etDominus  Noster  J.  C.  Judam  farem  esse  scie- 
bat,  sed  quia  nou  est  accusatus  ideo  non  est  ejectus.  »  Cf.  21,  X,  de'Acc.  (V,  1). 

(2)  C.  15.  Causa  II,  qu.  1  :  «  Manifesta  accusatione  non  Indigent.  » 

(3)  Cf.  C.  17.  Causa  II,  qu.  1  :  «  De  manifesta  et  nota  pluribus  causa  non  sunt 
quaerendi  testes  ut  S.  Ambrosius  in  Epistola  ad  Corinthios  dixit  de  fornicatione 
sententiam  exponens  Apostoli.  » 

(4)  Biener  :  Beitrage,  pag.  19,  n'o  16. 

(5)  Les  auteurs,  qui  vont  chercher  I'origine  de  la  pwgatio  canonica  dans  S.  Au- 
gustin  (epist.  78),  font  fividemment  fausse  route. 

(6)  C.  5.  Causa  II,  qu.  5  (Greg.  Ill)  :  «  Presbyter  vel  quUibet  sacerdos ,  si  a  po- 
pulo  accusatus  fuerit,  et  certi  non  fuerlut  testes  qui  crimine  iUato  approbent  ve- 
ritatem,  jusjurandum  in  medio  erit,  et  ilium  testem  proferat  de  innocentiae  suae 
puritate  oui  nuda  et  aperta  sunt  omnia.  »  —  Biener  :  Beitrage,  p.  23,  ssq. 


DU  Xm°  AU  XVII°   SIECLE.  69 

Ce  serment  intervenait  lorsqu'il  y  avait  infamatio,  c'est-a-dire 
quand  ropinion  publique  accusait  un  clerc ,  sans  qu'il  y  eM  un 
accusateur  formel  :  Yinfamatus  pouvait  alors  jurer  qu'il  etait 
innocent,  on  produisant  des  cojurarites  (1).  On  ne  connait  point 
les  details  de  cette  procedure,  mais  elle  devait  etre  assez 
simple.  On  pouvait  meme  forcer  Yinfamatus  a  fournir  le  serment 
purgatoire  (2) ;  en  cas  de  refus  une  peine  etait  infligee.  «  Quand 
un  ev§que  ou  un  pretre  etoit  diffame  de  quelque  crime,  par 
bruit  commun ,  quoiqu'il  n'y  etit  point  de  preuves  contre  lui , 
quoique  personne  en  particulier  ne  I'accusat,  il  ne  laissait  pas 
de  devoir  se  purger  suivant  les  canons,  afm  qu'il  ne  restat  point 
de  tache  a  sa  reputation.  II  venoit  dans  I'^glise  et  juroit  sur  les 
tombeaux  des  martyrs  et  sur  tout  ce  qu'il  y  avoit  de  plus  sa^int, 
qu'il  etoit  innocent  du  crime  qu'on  lui  imputoit.  Quelquefois  il 
amenoit  avec  lui  un  certain  nombre  de  compurgateurs ,  per- 
sonnes  de  probite  notoire  et  qui  le  connoissoient  particuliere- 
ment;  ils  faisoient  tons  lememe  serment  que  lui,  c'est-a-dire, 
qu'ils  le  croyoient  innocent;  et  ce  temoignage  etoit  recu  comme 
une  preuve  de  sa  bonne  renommee ,  sufflsante  pour  detruire  la 
diffamation  contraire.  Celui  qui  n'osoit  preter  serment,  ou  ne 
trouvoit  pas  le  nombre  sufflsant  de  compurgateurs ,  etoit  repute 
convaincu  (3).  » 
En  Occident  les  eveques  prirent  de  bonne  heure  I'habitude  de 

(1)  C.  12.  Cau^a  II,  qu.  5  (Ex  conoilio  Agathensi)  :  a  Si  legitimi  accusatores 
crimina  sacerdotis  probare  non  potuerint,  et  ipse  negaverit,  turn  ipse  cum  septem 
sociis  ordinis  sui  (si  valet)  e  crimine  semet  ipsum  expurget ,  diaconus  vero  si  eo- 
dem  crimine  ac^usatus  fuerit  cum  tribus  semet  ipsum  excuset.  »  —  Ibid.,  c.  16  : 
«  Si  mala  fama  de  presbytero  exierit  et  accusatores  ac  testes  legates  detuerint.... 

secundum  decreta  majorum  cum  denominatis  sibi  vicinis  presbyteris sacra-. 

mento  famam  suam  purget.  » Ibid.,  c.  17  :  «  Quoniam  accusatores  nee  testes  se- 
cundum formam  canonum...  in  causa  ipsa  procedere  potuerunt,  communi  fratrum 
nostrorum  concilio  judicamus  ut  tertia  manu  sui  ordinis  et  quatuor  abbatum  et 
religiosorum  sacerdotum  de  supradicta  simonia  in  vestra  prsesentia  se  debeat  ex- 
purgare.  » 

(2)  C.  6,  7,  10,  X,  de  purg.  can.  (V.  34). 

(3)  Fleury  :  Institution  au  droit  eccUsiastique  :  IIIo  partie,  ch.  xvi  (edit.  Bou- 
cher d'Argis,  1771,  t.  II,  pp.  140,  141).  —  Voy.  Muyart  de  Vouglans.  Inst.  crim. 
part.  VI,  p.  304.  —  M.  Biener  remarque  que  d'aprfes  les  decr^tales  d' Alexandre 
III,  tit.  21,  ch.  12.  aLorsque  Yinfamatus  nie,  une  publication  doit' avoir  d'abord 
lieu,  afin  de  voir  si  quelqu'un  veut  se  porter  accusateur;  et  si  dans  les  40  jours 


70  LA   PROCEDURE   CRIMINELLE 

parcourir  leurs  dioceses  une  fois  Fan.  C'etait  deja  en  Tan  516  une 
ancienae  coutume  de  I'Eglise  d'Espagne  (1);  et  le  m6me  usage 
existait  en  Gaule.  Le  but  de  ces  tournees  etait  de  donner  la  con- 
firmation ,  de  visiter  les  etablissements  charitables  et,  aussi  d'en- 
seigner  et  de  corriger  les  fideles.  Les  paroisses  etaient  reunies 
par  groupes  et  des  penitences  infligees  a  ceux  qui  avaient  commis 
des  fautes  publiques.  Ces  penitences,  souvent  fort  severes,  for- 
maient  un  ensemble  de  penalites  taxees  et  reglees  dans  des  libri 
penitentiales  (2).  Cette  sorts  de  juridiction  etait  consideree  par  la 
puissance  civile,  dans  ces  jours  troubles,  non  comme  un  empie- 
tement ,  mais  comme  un  secours  salutaire.  Aussi  les  capitulaires 
ordonnent  aux  fonctionnaires  publics  de  preter  en  cela  leur 
app'ui  aux  eveques.  Un  capitulaire  de  Karloman  invite  les  ev6- 
ques  a  faire  regulierement  leurs  tournees  et  a  extirper  les  restes 
du  paganisme  «  adjuvante  gravione  (3).  »  Un  capitulaire  de  Pe- 
pin (4)  leur  recommande  de  rechercher  certains  delits ,  en  parti- 
culier  la  fornication,  le  parjure,  le  faux  temoignage.  Cbarle- 
magne,  dans  son  premier  capitulaire,  confirme  ces  indications  (5), 
et  en  813  il  y  revient  encore,  apres  avoir  reuni  successivemenf 
cinq  synodes  d'eveques  (6)  pour  deliberer  sur  la  reforms  de 
I'Eglise. 

Nous  avons  la  description  de  ces  tournees  dans  un  livre  cu- 

personne  ne  se  pr^sente,  il  y  a  lieu  au  serment  purgatoire.  »  Beitrage,  p.  21. 
II  y  a  la  une  imitation  de  la  vieille  procedure  que  nous  avons  trouvSe  dans  les 
coutumiers . 

(1)  C.  10,  causa  X,  qu.  1.  —  Cf.  :  Reginonis  abbalis  Prumiensis  libri  dub  de 
synodalibus  causis  et  disciplinis  ecclesiasticis  (Mit.  Wasserschleben,  1840),  lib.  I, 
ch.  5,  10. 

(2)  Dove  :  [Zeitschrifl  filr  Kirchenrecht  herausgegeben  von  Dove  und  Friedberg , 
t.  IV,  pp.  7,  12-13).  Ce  remarquable  travail  est  a  consulter  pour  lout  ce  qui  suit. 

(3)  Cap.  Earlommni  :  ch.  1,  3  (a.  742),  Pertz,  Leges,  i,  17  ;  cf.  Cap.  Mantua- 
num,  a.  781,  c.  6  (Pertz,  i,  41). 

(4)  Pippini  principis  cap.  suess.,  ann.  744,  c.  4,  6  (Pertz,  i,  21). 

(5)  Karoli  Magni  Capit.  generate,  ch.  7  (Pertz,  i,  33)  :  «  Confirmare,  plebes 
docere,  et  investigare,  et  prohibere  paganas  observationes.  » 

(6)  Capit.  Aquisgr.  813,  cli.  1  (Pertz,  i,  188)  :  «  Ut  episoopi  circumeant  paro- 
cbias  sibi  commissas  et  ibi  inquirendi  studium  habeant  de  incestu ,  de  parricidiis  i 
fraticidiis ,  adulteriis ,  cenodoxiis  et  alia  mala  quae  conlraria  sunt  Deo ,  qua  in 
sacris  scripturis  leguntur,  quae  ChristiSni  devitare  debent.  » 


DU   XIII°  AU   XVII°   SIKCLE.  71 

rieux  de  Regino,  abbe  de  Prilm  (1).  D'abord  venait  I'archidiacre 
annongant  aux  paroisses  la  venue  prochaine  de  I'eveque  :  deux 
ou  trois  jours  apres,  celui-ci,  en  arrivant,  trouvait  dans  chaque 
lieu  de  reunion  les  fideles  conduits  par  leurs  cures ,  et  I'assise  qui 
se  tenait  alors  s'appelait  le  synode,  synodus  (2).  La  I'eveque  in- 
fligeait  aux  delinquants  les  penitences  convenables ;  mais  c'e- 
taient  seulement  les  delits  commis  piibliquement  qui  pouvaient 
alors  etre  pris  en  consideration  (3) ;  peut-etre ,  pour  qu'on  put 
proceder,  la  soumission  du  coupable  etait-elle  necessaire. 

Au  ix°  siecle ,  les  synodalia  judicia  acquirent  un  ressort  nou- 
veau;  il  s'y- constitua  un  veritable  jury  d'accusation.  Ce  fut 
sans  doute  la  une  creation  de  la  pratique ;  quoi  qu'il  en  soit  la 
chose  nous  est  nettement  decrite  par  le  livre  de  Regino  (4). 
L'eveque ,  au  synode ,  choisissait  parmi  les  fldeles  assembles  un 
certain  nombre  des  plus  respectables  (sept  en  general),  et  leur 
faisait  preter  serment  de  reveler  tous  les  delits  dont  ils  auraient 
la  connaissance  (5)  ?t  qui  relevaient  des  causse  synodales.  Comme 
un  magistrat  directeur  du  jury,  il  instruisait  de  leurs  fonctions 
ces  juratores  synodi,  puis  leur  posait  une  serie  de  questions ,  oil 
defilaient  les   divers    delits  reprimes    par  I'autorite   ecclesias- 

(1)  Reginonis  abbatis  Prumiensis  libri  duo  de  synodalibus  causis  et  disciplinis 
ecclesiasticis  (Ed.  Wasserschleben ,  Lipsiae,  1840). 

(2)  Regino  ,  1.  II ,  ch.  i. 

(3)  «  Qai  publice  crimina  perpetrarunt  publice  poeniteant.  »  Conventus  Tieinensis, 
an.  850,  i;.  6  (Pertz,  i,  p.  397).  Dove,  loc.  cit.,  p.  23. 

(4)  Regino  mourut  en  I'an  915. 

(5)  Regino  :i,  c.  2,  De  juratoribus  synodi  :  Episcopus  in  synodo  residens ,  post 
congruam  allocutionem  septem  ex  plebe  ipsius  paroohiae  vel  eo  amplius  aut  minus, 
prout  viderit  expedire ,  maturiores ,  honestiores  atque  veraciores  viros  in  medio 
debet  evocare ,  et  allatis  sanctorum  pignoribus ,  vinum  quemque  illorum  .tali  Sa- 
cramento constringat.  —  C.  3,  Jusjurandum  synodale.  A.  modo  in  antea,  quidquid 
nosti  aut  audisti ,  aut  post  modum  inquisiturus  es  quod  contra  Dei  voluntatem  et 
rectam  Christianitatem  in  ista  parochial  factum  est,  aut  futurum  erit,  si  in  diebus 
tuls  evenerit,  tantum  ut  ad  tuam  cognitionem  quocunque  modo  perveniat,  si  scis 
aut  tibi  indieatum  fuerit  synodalem  causam  esse ,  et  ad  ministerium  episcopi 
pertinere,  quod  tu  nee  propter  amorem,  nee  propter  timorem,  nee  propter  prie- 
mium,  nee  propter  parentelam  ullatenus  celare  debeas  archiepiseopo  de  Treveris, 
aut  ejus  misso,  cui  hoc  Inquirere  jusserit,  quandocumque  te  ex  hoc  interroga- 
verit,  sicte  Deus  adjuvet  et  istae  sanctorum  reliquiae.  —Dove,  Op.  cit.,  p.  28,  ssq.; 
Biener  :  Beitrdge,  p.  32-33. 


72  LA   PROCEDURE    CRIMINELLE 

tique  (1).  Les  juratores  devaient  indiquer  les  coupables.  Si 
ceux-ci  etaient  presents  et  avouaieDt,  I'eveque  entoiire  de  ses 
clercs  statuait  et  leur  infligeait  la  peine  convenable  (2).  Si  I'ac- 
cuse  niait,  comment  procedait-on  ?  C'etaient  simplement  les  prin- 
cipes  germaniques  sur  les  preuves  qui  intervenaient :  Vinfamatus 
devait  se  disculper,  par  le  serment  si  c'etait  un  homme  libre, 
ou  par  les  ordalies ,  s'il  etait  de  condition  servile ,  ou  si ,  quoique 
libre ,  des  fails  trop  graves  lui  etaient  reproches  ou  que  de  trop 
fortes  presomptions  s'elevassent  contre  lui  (3).  Pour  forcer  les 
fideles  a  se  soumettre  a  ces  lois ,  I'Eglise  avait  un  moyen ,  re- 
doutable  a  cette  epoque  :  rexcommunication. 

Toute  cette  procedure  etait  fortement  empreinte  de  I'esprit 
germanique.  L'Eglise  avait  seulement  eu  cette  idee  feconde  de 

(1)  Le  chap,  v  du  livre  de  Regino ,  sous  cette  rubrique  :  Post  hcec  ita  per  or- 
dinem  interroget,  enumere  les  divers  dilits  sur  lesquels  doivent  porter  les  ques- 
tions :  ce  sont  d'abord  les  divers  attentats  a  la  vie  humaine  (nos  1-14) ,  puis  les 
adultferes  et  fornications  (15-37),  le  vol  et  le  sacrilSge  (38),  le  parjure  (39),  le 
faux  tSmoignage  (40-41) ,  les  enchantements  et  sortileges  (40-41),'et  enfin  (46-89) 
une  s^rie  d'incriminations  fort  curieuses  dont  la  plupart  visent  des  pratiques  em- 
prunt^es  au  paganisme  ou  des  manquements  aux  devoirs  du  fidfele. 

(2)  Aprfes  avoir  donn6  la  liste  des  questions  que  I'^vfeque  pose  aux  juratores, 
le  livre  de  Regino  ajoute  seulement  :  «  Capitula  base,  quae  per  ordinem  adnota- 
vimus  canonicis  oportet  roborari  decretis.  »  Et  les  chapitres  suivants  du  second 
livre  contiennent  le  texte  des  d  berets  des  conciles  et  des  autres  lois  qui  punis- 
sent  ces  dSlits  divers. 

(3)  Dove  :  Zeitschrift  fv/r  Kirchenrecht,  torn.  V ,  p.  22,  ssq.  Voici  les  textes  qu'il 
cite  :  «  Regino  u,  73  (ex  Concilio  Moguntiacensi)  :  «  Si  maritus  uxorem  aut 
uxor  maritum  interf ecerit ,  aequum  judicium  sit  super  eos...  idcirco  uterque  eorum 
in  hujusmodi  criminis  accusatione,  si  negaverit,  pari  judicio  examinetur.  »  — 
Condi.  Mogunt.,  c.  24.  (a.  847) :  «  Qui  presbyterum  occidit,  duodecim  annorum 
ei  poenitentia  secundum  statuta  imponatur,  aut  si  negaverit,  si  liber  est,  cum 
duodecim  juret,  si  autem  servus  per  duodecim  vomeres  ferventes  se  purget;  con- 
victus  vero  nox»  usque  ad  ultimum  tempus  militias  cingulum  deponat  et  uxorem 
amittat.  »  —  Condi.  Tribur.  (Regino  ii ,  303)  :  «  Nobilis  homo  vel  ingenuus  si  in 
synodo  accusatur  et  negaverit,  si  eum  fidelem  esse  sciunt,  juramento  se  expur- 
get;  si  autem  deprebensus  fuerit  in  furto  atque  perjurio,  adjuramentum  non  ad- 
mittatur,  sed ,  sicut  qui  ingenuus  non  est ,  ferventi  aqua  aut  candenti  ferro  se 
expurget.  »  —  Coneil.  Salegunstadiense,  ch.  7  :  «  Interrogatum  est  si  duo  in  adul- 
terio  inculpati  fuerint  et  unus  profiteretur  et  alter  negaret ,  quid  inde  agendum 
esset  :  decretum  est  etiam  a  sancto  concilio  ut  ille  qui  negaverit  propabili  judicio 
se  expurget  et  qui  professus  fuerit  poenitentiam  agat.  »  —  Ibid.,  c.  13  ;  «  Statuit 
quoque  sancta  Synodus  si  duo  de  adulterio  accusati  fuerint  et  ambo  negaverint, 
et  orant  sibi  concedi  ut  alter  iUorum  utrosque  divino  purget  judicio ,  si  unus  in 
hoc  deciderit,  ut  ambo  rei  habeantur.  » 


DU  Xin"  AU   XVII*  SIECLE.  73 

forcer  les  Chretiens  assembles  a  denoncer  les  coupables  qui  se 
cachaient  parmi,  eux.  Aussi  le  pouvoir  civil  s'empara-t-il  pour 
son  propre  compte  de  cette  institution.  Les  comtes  eurent  I'ordre 
de  reunir  les  hommes  les  plus  honorables  en  jury  d'accusation ; 
et  les  denonciations  faites  devant  eux  sous  la  foi  du  serment 
devaient  avoir  les  mSmes  consequences  que  celle  produites  au 
synode;  c'est  ce  qu'ont  etabli  de  savants  travaux  (1).  Et  lorsque 
les  missi  furent  institu^s  par  Charlemagne,  les  deux  jurys  d'accu- 
sation durent  fonctionner  de  concert;  car  dans  chaque  tournee 
etaient  generalement  envoyes  ensemble  un  comte  et  un  ev^que. 
Cette  curieuse  institution  ne  produisit  pas  de  resultats  vrai- 
ment  durables  ni  pour  I'Eglise  ni  pour  le  pouvoir  civil.  Le  jury 
d'accusation  preside  par  le  comte  ne  laissa  de  traces  que  dans 
certaines  coutumes  de  la  Flandre  et  du  nord  de  la  France.  La 
existaient  encore  au  Moyen-Age,  ce  que  les  coutumes  appellent 
les«  coies,  franches,  ou  communes  verites  (2).  »  A  certain  jour 
les  justiciables  assembles  etaient  sommes  par  le  seigneur  justi- 
cier  ou  son  representant  de  denoncer  les  coupables  qu'ils  connai- 
traient  (3).  L'Eglise  conserva  longtemps  les  synodes  que  nous 

(1)  Dove,  op.  cif.;  Biener  :  Beilriige,  p.  130,  ssq.;  —  Brunner.  Enistehung  der 
Schwurgerichte,  p.  460,  ssq.  Voici  les  textes  principaux  sur  lesquels  on  se  fonde  : 
Pippini  regis  cap.  Langobard,  a.  782.  c.  8  (Pertz  I,  43)  :  «  Judex  untisquisque 
per  civitatem  facial  jurare  ad  dei  judicia  hommes  credentes  juxta  quantos  preevi- 
derit,  seu  foris  per  curtes  vel  viooras  mansuros,  ut  cui  ex  ipsis  cognitum  fuerit, 
id  est  homicidia ,  furta,  adulteria  et  de  illicitas  conjunotiones  ut  nemo  eas  conce- 
let.  »  La  suite  du  texte  semblerait  montrer  que  cejury  d'accusation  pouvait  quel^ 
quefois  se  transformer  en  jury  de  jugement.  —  Hludovici  II  imp.  Conventus  Ticir 
nensis,  an.  830.  c.  3.  (Pertz  I,  406) :  «  Ubicumque  fama  sit  tales  (latrones)  habitare 
inquisitio  per  sacramentum  per  omnem  populum  circumanentem  flat,  et  cujus- 
cumque  gentis  aut  conditionis  fuerint  per  quos  inquiri  melius  potuerit,  jusjuran- 
dum  dare ,  cum  a  comite  conventus  fuerit,  r'ecusandi  non  habeat  potestatem.  »  — 
II  s'agit  la  de  brigandages  et  de  recels ;  un  peu  plus  haut  le  texte  dit  en  ef&t  ; 
«  Ubicumque  igitur  in  tali  suspitione  quilibet  venerit,  et  rumor  in  populo  disper- 
sus  fuerit,  quod  bsec  facinora  exerceat,  si  adhuc  propalatum  non  est,  cum  duo- 
decim  se  ex  expurget ,  si  autem  jam  in  aliquo  manifestus  aut  deprehensus  est, 
statim  capiatur,  et  distringatur  et  dampnationem  legibus  praeflxam  sustineat.  » 

(2)  Warnkonig  et  Stein.  Fliindrische  Staats  und  Rechtsgeschichie,  torn.  Ill, 
§  40  :  «  Von  den  Stillen  Wahrheiten.  » 

(3)  Warnkonig  et  Stein,  op.  cit.,  torn.  Ill,  p.  333-341 ;  —  Coutume  de  Fume 
de  1240,  II,  §  46;  —  de  Poperinghem  (a.  1208),  art.  23,  24;  de  Waeslandes, 
art.  22;  voyez  surtout :  s  Knqueste  des  dunes  faite  a  Coxcide  a  le  croix  du  Sa- 
Mon.  »  (Warnkonig,  III.  Urkmdenbuch,  n»  54);  —  cf.  Brunner,,  op.  cit.,  p.  463-4. 


74  LA.  PROCEDURE   CRIMINELLE 

avons  decrits.  Aux  xii"  et  xiii",  siecles  les  habitants  des  Flandres 
et  du  nord  de  la  France  resistent  a  cette  juridiction  (1).  Uae 
glose  des  Siete  partidas  parle  des  «  testes  synodales  (2).  »  Inno- 
cent III  dit  encore  que  les  eveques  doivent  tenir  le  synode 
«  debitam  poenam  transgressoribus  infligendo  (3).  »  Mais  ces 
judicia  perdirent  leur  importance,  au  moins  pour  les  laiqiies, 
alors  que  les  ordalies  disparurent  et  que  le  serment  purgatoire 
fut  regarde  commme  un  droit  reserve  aux  clercs.  Une  disposi- 
tion du  concile  de  Latran  diminua  encore  leur  portee ,  en  ordon- 
nant  aux  metropolitains  d'etablir  des  surveillants  dans  les  divers 
dioceses  [{i).  Un  mode  de  poursuite  plus  energique  allait  d'ail- 
leurs  apparaitre  sous  le  pontificat  d'Innocent  III. 

Le  clerge  etait  entre  alors  dans  une  voie  Ae  dereglements  et 
de  scandales  que  constatent  les  textes  officiels  (5) ;  il  fallait  une 
repression  energique  et  prompte.  Pour  donner  a  sa  procedure 
criminelle  une  force  qu'elle  n'avait  jamais  eue,  I'Eglise  devaity 
introduire  largement  la  poursuite  d'office.  Ce  besoin  donna  nais- 
sance  a  la  procedure  per  inquisitionem.  EUe  permettait  au  jugs 
alors  meme  qu'il  n'y  avait  pas  d'accusateur,  d'entamer  un  proces 
centre  la  personne  diffamee ,  d'entendre  des  temoins  et  de  pro- 
noncer  une  condamnation ;  selon  le  droit  anterieur  le  clerc  dans 
ce  cas  pouvait  seulement  6tre  forc6  de  se  disculper  par  serment. 
La  nouvelle  metljode  constituait  une  rigueur  inconnue  jtisque-la; 
aussi  ne  s'introduisit-elle  pas  sans  resistance.  Certaines  decre- 
tales  repoussent  les  reclamations  d'inculpes,  qui,  faute  d'un 
accusateur,  invoquaient  le  droit  de  recourir  a  la  purgatio  cano- 
nica  (6).  Sur  quel  fondement  assit-on  cette  reforme  capitale? 


(1)  Warnkoaig  et  Stein,  op.  cit.,  torn.  I,  §  47,  (p.  436,  sscj.) :  «  Zweite  Keure  von 
Gent  anno  1192  :  Episcopo  non  licebit  Gandavi  synodum  celebrare,  nisi  expletis 
tribus  annis  in  quatuor  temporibus  quarti  anni.  »  —  En  1271,  les  habitants  de 
Bruges  et  leurs  voisins,  citent  I'fivfique  de  Tournai  devant  le  tribunal  archiepisco- 
pal  de  Reims  et  le  font  condamner  pour  abus  dans  les  synodales  causa. 

(2)  Partida  III ,  tit.  XVII ,  1.  2,  glose  5  .  Los  codigos  Espanoles  concordados  y 
anotados,2^  6dit.  Madrid,  1872-1873,  torn.  Ill,  p.  155. 

(3)  C.  25,  X,  de  accus.  (V.  1). 

(4)  Biener  :  Beitrage,  p.  37. 

(5)  C.  24,  X.  de  accus.  (V.  1). 

(6)  C.  unic.  X.  «<  ecc.  benef.  Ill,  12  (Innocent.  III.  an.  1198)  ;c.  10,  X.  de 


DU  Xni°  AU   XVII°   SIECLE.  75 

Les  decretales  invoquent  des  passages  de  I'ancien  et  du  nouveau 
Testament  (Genes.,  xviii,  21 ;  Luc,  xyi,  2);  mais  en  realite,  ce  fut 
sur  la  toute-puissance  papale  et  sur  le  droit  de  surveillance  qu'elle 
entraine  qu'on  s'appuya  surtout  (1).  Aussi  tout  d'abord  les  inqui- 
sitions durent-elles  etre  faites  par  des  commissaires  specialement 
nommes  par  le  Pape  a  ceteffet  (2).  Le  concile  de  Latran  en  1215 
approuva  et  confirma  ces  doctrines  nouvelles  (3),  et  le  droit  de 
faire  una  inquisitio  appartint  desormais  ^  tout  juge. 

Les  regies  de  cette  procedure  furent  aisement  fixees ;  en  realite 
ce  n'etait  qu'une  modification  de  I'ancienne  poursuite  qui  condui- 
sait  Vinfamatus  au  serment  purgatoire  (4).  En  premier  lieu,  il 
faut  qu'il  y  ait  une  infamatio  centre  celui  qu'on  veut  poursuivre  : 
«  inquisitionem  debet  clamosa  insinuatio  praevenire  »  (c.  31 ,  X , 
de  Sim.,  V.  3);  et  pour  bien  etablir  ce  point,  le  juge  commence 
par  faire  une  enquete  secrete,  inquisitio  famae  (cc.  19,  24,  X,  de 
ace,  V.  1).  Alors  Vinquisitus  est  cite  et  doit  etre  present.  Avant 
tout  on  lui  communique  les  chefs  d'accusation,  capitula,  surles- 
quels  porte  I'inquisition ;  on  lui  communique  ensuite  les  noms 


purg.  can.  (V,  34)  :  «  Purgationem  ei  quarto-deoimse  manus  sui  ordinis  duximus 
interdicendam.  » 

(1)  C.  unic.  X.  ut  eccl.  benef.  (III.  13)  :  «  Nos  qui ,  non  tam  ex  plenitudine 
potestatis  quam  ex  officio  debito  possumus  et  debemus  de  subditoram  excessibus 
ad  correctionem  inquirere  veritatem  ,  te  causam  et  occasionem  praestante ,  inqui- 
sitionem commisimus  faciendam.  » 

(2)  31,  X,  deSim.  (V.  3);  c.  24,  X,  deaccus.  (V.  1). 

(3)  Condi.  Lat.,  u.  4.  Comp.  4.  =:  C.  24,  X,  de  accus.  (V.  1). 

(4)  Le  texte  fondamental  sur  ce  point  est  le  oh.  24  de  accusationibus  d^ja  cit6 
plus  haut;  en  voici  la  partie  la  plus  importante  :  «  Cum  super  excessibus  suis 
quisquam  fuerit  infamatus  it^  ut  jam  clamor  antecedat  qui  diutius  sine  scandalo 
dissimulari  non  possit  vel  sine  periculo  tolerari ,  absque  dubitationis  scrupulo  ad 
inquirendum  et  puuiendum  ejus  excessus  non  ex  odii  fomite  sed  caritatis  proce- 
datur  affectu,  quatenus  si  fuerit  gravis  excessus,  etsi  non  degradetur  ab  ordine,  ab 
administratione  tamen  amoveatur  omnino,  quod  est  secundum  sententiam  evange- 
licam  a  villicatione  villicum  amoveri  qui  non  potest  villicationis  suae  dignam  reddere 
rationem.  Debet  igitur  esse  praesens  is  contra  quam  facienda  est  inquisitio  nisi  se 
per  contumaciam  absentaverit,  et  exponenda  sunt  ei  ilia  capitula  de  quibus  fuerit 
inquirendum ,  ut  facultatem  habeat  defendendi  se  ipsum.  Et  non  solum  dicta  sed 
etiam  nomina  ipsa  testium  sunt  ei,  ut  quod  et  a  quo  sit  dictum  appareat ,  publi- 
canda,  nee  non  exceptiones  et  replicationeS  legitimae  admittendse,  ne  per  suppres- 
sionem  nominum  infamandi ,  per  exceptionum  vero  exclusionem  deponendi  falsum 
audacia praebeatur inquisitionem  debet  clamosa  insinuatio  praevenire.  » 


76  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

des  temoins  entendus  par  le  juge  et  le  contenu  de  leurs  deposi- 
tions recueillies  par  ecrit.  L'inculpe  pouvait  presenter  toutes  les 
exceptions  et  les  defenses  qu'il  jugeait  utiles  de  produire  (1). 

Les  textes  n'indiquent  pas  que  la  procedure  fut  autrement 
secrete ,  et  ils  assurent ,  on  le  voit ,  la  liberie  de  la  defense.  Ce- 
pendant  certains  caracteres  revelent  une  forme  rigoureuse  de 
proces  :  I'ecriture  joue  un  r61e  preponderant  et-  le  debat  oral 
disparalt ;  Vinquisitus  doit  preter  serment  de  dire  la  verite  lors- 
qu'il  est  interroge  sur  les  capitula  (2),  et  est  force  par  la  de  s'ac- 
cuser  lui-meme ;  enfin  il  est  assez  vraisemblable  que  la  torture 
6tait  employee  (3).  On  reconnaissait  d'ailleurs  que  cette  proce- 
dure avail  quelque  chose  d'anormal,  car  on  admettait  en  prin- 
cipe  qu'elle  devait  conduire  a  I'application  non  des  peines  nor- 
males ,  comme  Vaceusatio,  mais  de  peines  plus  legeres  (4). 

L'inquisition  amena  peu  a  peu  la  disparition  presque  com- 
plete de  I'accusation,  qui  fit  place  a  la  denuntiatio.  Cette  der- 
niere  existait  bien  depuis  longtemps ;  ■  mais  elle  n'aboutissait 
jadis  qu'a  une  simple  penitence;  desormais  elle  donna  ouver- 
ture  a  Vinquisitio  et  par  la  permit  I'application  d'une  peine  veri- 
table (5).  La  denonciation  signalait  alors  la  diffamatio  et  saisissait 
le  juge.  Le  denoncant  pouvait  du  reste  etre  partie  au  proces,  et 
admis  a  fournir  ses  preuves  :  il  y  avait  alors  ce  que  les  anciens 
auteurs  appelaient  Vinquisitio  cum  promovente  (6).  Le  promotor 
avait  un  role  actif ;  et  la  procedure  etait  en  realite  une  accusation 
attenuee,  debarrassee  de  Vinscriptio  in  crimen. 

(1)  GC.  21,  24,  26,  X,  de  ace.  (V.  1). 

(2)  C.  17,  18,  X,  de  ace.  (V.  1). 

(3)  Ua  seul  texte  il  est  vrai ,  semble  indiquer  d'ane  fajon  precise  remploi  de  la 
torture,  C.  6,  X,  de  reg.  juris,  V.  41  :  «[Tormentaindiciisnonpr(scedentibusinfe- 
renda  non  sunt)  :  Quum  ia  causae  contemplatione ,  (et  infra)  in  ipso  causs  initio 
non  est  a  quaestionibus  inchoandum.  »  Voy.  Biener.  Beitrage,  p.  35.  —  «  L'usage 
de  la  question  par  les  tourments ,  autrefois  inconnu  dans  les  tribunaux  eoclSsias- 
tiques...  s'y  est  introduit  depuis  environ  cinq  cents  ans...  mais  les  offlciaux  n'en 
usent  plus  en  France.  Brodeau  dit  avoir  vu  dans  la  chapelle  de  I'official  de  Paris 
les  boucles  et  les  anneaux  de  fer  dont  on  se  servait. »  Fleury,  Insiiiution  au  droit 
eccUsiastique ,  p.  136. 

(4)  C.  17,  21,  24,  X,  de  ace.  {Y'.  1);  C.  30,  32,  X,  de  Sim.  (V.  3). 
{6)C.  14,  19,  X.  De  ace.  [Y.  1). 

(6)  C.  19,  X.  De  ace.  (V.  1)  :  Voy.  Biener  :  Beitrage,  p.  80,  ssq. 


DU  Xm°  AU  XVII°  SlilCLE.  77 

II  faut  remarquer  que  Vinquisitio  ne  fit  point  completement 
disparaitre  \b,  purgatio  canonica;  avait-elle  fourni  de  fortes  pre- 
somptions  de  culpabilite  saHs  reunir  un  faisceau  de  preuves  suf- 
fisantes  pour  la  condamnation,  Vinfamatus,  devait  se  purger  par 
serment  (1). 

Pour  en  finir  avec  le  droit  ecclesiastique ,  il  nous  reste  a  dire 
en  un  mot  ce  que  devint  la  procedure  d'inquisition ,  appliquee 
aux  poursuites  centre  les  heretiques  (2).  A  I'origine,  la  repres- 
sion de  I'heresie  fut  confiee  aux  eveques ;  c'etait  I'un  des  objets 
principaux  des  synodales  causae.  II  en  etait  encore  ainsi  d'apres 
le  concile  de  Latran  de  1215  (3).  Mais  a  partir  de  1230  environ, 
Vinquisitio  hereticse  pravitatis  fut  generalement  deleguee  par  le 
pape  a  des  commissaires  speciaux;  et,  bien  qu'en  theorie  les 
eveques  conservassent  leur  juridiction  sur  ce  point,  en  fait  elle 
etait  absorbee  par  celle  des  commissaires.  Les  premieres  traces 
de  cette  inquisitio  delegata  se  trouvent  dans  le  sud  de  la  France 
au  debut  du  xiii°  siecle  :  les  delegations  tendirent  a  devenir  per- 
manentes.  Ce  changement  ,dans  la  juridiction  fut  accompagn6  de 
'  modifications  dans  la  procedure ,  qui  constituaient  d'odieuses 
rigueurs.  En  premier  lieu,  les  depositions  des  temoins  continue- 
rent  a  etre  communiquees  a  I'accuse ,  mais  sans  les  noms  de 
ceux  de  qui  elles  emanaient  :  «  Ne  testium  nomina  signo  vel 
verbo  publicentur,  »  dit  un  concile  de  Narbonne  de  I'an  123S ,  et 
ce  principe  fut  confirme  par  des  bulles  d'Innocent  IV,  d'Alexan- 
dre  IV,  d'Urbain  IV,  de  GregoireX,  enfin  de  Boniface  VIII  (i). 
En  fait  les  depositions  etaient  meme  demembrees  et  communi- 
quees par  pieces  et  par  morceaux,  afin  que  I'accuse  n'en  put 
connaitre  I'auteur. 

La  torture  devint  aussi  un  moyen  ordinaire  d'instruction.  Ce 
fut  le  droit  remain  qui  servit  ici  d'autorite.  Le  crime  dlieresie 

(1)  C.  19,  X.  De  ace.  (V.  1).  —  «  Les  cas  de  plus  amplement  informfi  sont  a  peu 
pr6s  ceuxou  avail  autrefois  lieu  la  purgation  canonique.  »  Fleury,  op.  cit.,p.  140. 

(2)  Voy.  Biener,  op.  cit.,  p.  60-78. 

(3)  C.  13,  §  7,  X.  De  TuBret.  (V.  7) :  «  Totam  viciniam  jurare  compellat ,  quod  si 
quos  ibidem  haereticos  sciverit,  vel  aliquos  occulta  conventicula  celebrantes... 
eos  episcopo  studeat  indicare.  » 

(4)  C.  20,  De  hmret.  in  Sexto  (V.  2). 


78  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

6tait  regarde  comme  crimen  Isesx  majestatis  divinse,  et  a  partir  du 
xiii°  siecle  on  appliqua  dans  ces  sortes  de  proces  les  regies  du 
Digeste  et  du  Code  sur  la  mise  a  la  question  des  accuses  et  des 
temoins  dans  le  crimen  majestatis.  Cela  fut  d'abord  etabli  dans 
une  ordonnance  d' Alexandre  IV,  de  1252,  puis  confirme  parle 
meme  pape  en  1259,  et  par  Clement  IV  en  1265  (1). 

Telle  est  revolution  qui  s'etait  accomplie  dans  la  procedure 
criminelle  des  cours  d'Eglise  ;  il  est  temps  de  revenir  devant  les 
tribunaux  laiques  de  I'ancienne  France. 


II. 

Nous  avons  indique  plus  haut  qu'au  xiii<'  siecle  la  poursuite 
d'office  apparait  dans  les  juridictions  laiques  sous  le  nom  d'a- 
prise;  comment  cela  se  produisit-il?  Jusque-la,  I'enquete  n'etait 
possible  que  si  I'homme  arrete  «  par  soupcon  »  s'y  soumettait 
de  bon  gre;  mais  pour  le  forcer  a  s'y  soumettre  on  employait 
souvent  un  moyen  de  contrainte  indirecte  tres-rigoureux,  «  la 
dure  prison  a  pen  de  boire  et  de  manger.  »  N'etait-il  pas  plus 
simple ,  plus  conforme  a  la  dignite  de  la  justice  de  decider  qu'on 
se  passerait  de  tout  consentement ,  quele  juge  pourrait  toujours 
ouvrir  I'enqufete,  et,  si  elle  etait  concluante ,  appliquer  la  peine? 
La  logique  des  choses  impliquait  ce  developpement ,  et  les  vieux 
juristes  trouverent  a  cette  theorie  un  fondement  juridique. 

En  cas  de  flagrant  delit  on  avait  toujours  admis  qu'on  punirait 
le  malfaiteur,  sans  accusation  formelle,  sur  le  seul  temoignage 
des  personnes  qui  I'avaient  vu  commettre  le  mefait  (2).  On  pensa 
qu'on  pouvait  considerer  comme  flagrant  delit  le  fait  qui  serait 
atteste  par  maints  temoins ,  qui  serait  de  notoriete  publique ; 
et  qu'alors ,  le  juge  pouvait  d'office  entendre  les  temoins  et  pro- 

(1)  CItoent.  C.  1,  §  1,  Dehmret.  (V.  3)  :  On  recommande  wduro  tamen  tradere 
carceri  qui  magis  ad  poenam  quam  ad  custodiam  videatur,  vel  tormentis  exponere 
illos.  »  Voy.  Fleury,  op.  cit.,  p  78-94.  Sur  toute  cette  matifire  de  Vinquisilio  Affl- 
reticte  pravitatis,  consulter  le  Directorium  injuisitorium  d'Eymerious ,  avec  le 
commentaire  de  Pegna. 

(2)  Livre  de  J.  et  P.,  xix ,  44 ,  §  14  :  «  Gens  qui  sont  pris  &  present  forfet  et 
men6  pr^sentement  a  justice  vont  par  enqueste....  s'il  nie;  porceque  ne  croisse 
sur  ce  que  Ten  doit  vengier  les  forfetz  que  Ton  fet  k  escient.  » 


DU  XIII°   AU  XVII°   SIECLE.  79 

noncer  la  peine  (1).  On  appela  cela  Vaprise,  en  has  latin  aprisio; 
Beaumanoir  explique  ce  mot  en  ce  sens  que  «  li  juges  est  plus 
sages  de  la  besogne  qu'il  a  apris;  »  d'apres  lui  ce  ne  seroit 
qu'une  sorte  d'enquete  de  police ,  une  maniere  d'information 
preparatoire  qui  ne  pouvait  entrainer  une  condamnation  qu'au- 
tant  qu'elle  equivalait  presque  a  la  constatation  d'un  flagrant 
delit  (2).  Mais  c'etait  la  une  theorie  a  la  fois  trop  subtile  et  trop 
insuffisante  pour  durer  longtemps.  L'aprise  devait  etre,  quant 
a  ses  effets ,  completement  assimilee  a  I'enqu^te ;  cependant  I'as- 
similation  ne  se  fit  pas  tres-vite.  Pendant  assez  longtemps  on 
se  refusa  a  admettre  que  l'aprise  suffit  pour  faire  pron  oncer  la 
peine  ordinaire  et  normale  du  delit  (3).  Plusieurs  textes  en  ce 
cas  permettent  seulement  de  bannir  le  coupable.  Les  Etablisse- 
ments  de  S.  Louis  le  disent  formellement  :  «  Se  aucuns  est  mau- 
vesement  renomme  par  cri  ou  par  renommee ,  la  justice  le  doit 
prendre  et  si  doit  enquerre  de  son  fait  et  de  sa  vie  et  la  ou  il 
demeure ,  et  se  il  le  treuve  par  enqueste  que  il  soil  coupable  de 
aucun  fait  ou  il  ait  paine  de  sane ,  il  ne  le  doit  mie  condamner 
a  mort  quand  nus  ne  I'accuse  ou  quand  il  n'a  este  pris  au  pre- 
sent fet  ne  en  nule  recognoissance.  Mes  s'il  ne  se  voloit  mettre 
en  I'enqueste  lors  puet  la  justice  bien  fere  et  doit  le  forbanir 
hors  de  son  pooir,  selonc  ce  qu'il  semblera  coupables  par  le  fet 
et  comme  il  trouvera  par  I'enqueste  qu'il  aura  faite  de  son  of- 


(1)  «  Se  cil  qui  est  pris  por  soupegon  de  vilain  cas  ne  veut  attendre  I'enqueste 
du  fait,  adont  y  appartient  il  aprise,  o'est-i-dire  que  le  juge  de  s'office  doit 
aprendre  et  encerquier  du  fet  ce  qu'il  pot  savoir;  et  s'il  trueve  par  l'aprise  le 
fet  rwtoire  par  grande  plenti  de  gent,  il  porroit  bien  metre  l'aprise  en  jugement. 
Et  pourroient  11  home  voir  le  fet  si  clers  par  l'aprise  que  li  pris  seroit  jugies. 
Mais  a  ce  qu'il  fut  condampnez  a  mort  par  l'aprise  il  convient  bien  que  le  fet 
feust  sens  clers  par  plus  de  trois  tesmoins  ou  de  quatre,  si  que  li  jugemens  ne 
tustparfes  tant  solement  par  l'aprise  mais  par  fet  rwtoire.  »  Beaum.,  xl,  15. 

(2)  II  oppose  l'aprise  a  I'enqufite  «  qui  porte  fin  de  querelle.  »  xl,  16.  — Voyez 
sur  l'aprise  le  Registre  des  Grands-Jours  de  Troyes,  cit6  par  Brussel,  Usage  des 
fiefs:  «  Cum  non  appareret  sufflciens,  accusator....  inquesta  seu  aprisio  facta 
est  (torn.  I,  p.  227).  »  —  «  Parle  conseil  de  chevaliers,  d'escuyerset  de  plusieurs 
autres  preudhommes...  le  fist  prendre  et  mettre  en  prison....  et  par  I'enseigne- 
ment  et  le  conseil  desdits  fist  fere  sur  le  fet  et  le  souspecon  doudit  meurtre  une 
aprise.  » 

(3)  C'est  un  trait  que  nous  avbns  relevS  pour  Vinquisitio  des  cours  d'Eglise.  _ 


80  LA  PROCKDURE   CRIMINELLE 

fice  (1).  n  Le  Livre  des  Droiz  et  Commandements  de  justice  n'est 
pas  moins  net,  bien  qu'il  appartienne  a  une  epoque  posterieure. 
«  De  mauvaise  renommee  et  d'office  de  justice  comment  Ten  doit 
punir  malfaicteurs ,  quant  pour  cry,  ou  par  renomee  et  mal- 
volie  :  —  C'est  a  scavoir  il  puet  prendre  cellui  et  enquerir  de 
ses  faiz ,  la  ou  il  aura  demoure ;  et  si  Ten  trueve  qu'il  soit  cou- 
pable,  per  ce  ne  le  doit  Ten  pas  condamner  a  mort,  quand  il 
n'est  pris  en  present  meffait  ou  en  cognoissance ,  ou  quand  il  p'a 
prins  I'enqueste ;  mais  il  le  puent  bien  forbanii'  selonc  qu'il  sera 
trouve  coulpabie.  Mais  plusieurs  sages  dient  le  contraire  quant 
au  forban  (2).  »  —  «  Item  autre  prueve  que  la  coutume  appelle 
inquisitive,  c'est-a-dire  quant  on  fait  informacion  ou  aucune 
enqueste  d'aucun  cas  ou  mefifaiz  d'office  et  tesmoins  sont  trais , 
mais  se  celui  qui  de  ce  est  suspect  ne  se  est  mis  en  proces  de  sa 
voulente,  ou  il  n'est  pris  en  present  meffaict,  ou  soumis  a  I'en- 
queste du  pais  de  sa  voulente,  telle  enqueste  ne  le  prent  pas 
quant  a  la  capcion  et  detention  de  li  pour  actandre  droit  sur 
ce  (3).  » 

Sans  doute  I'introduction  de  I'aprise  devant  les  juridictions 
laiques  fut  surtout  une  imitation  de  la  procedure  des  cours 
d'Eglise ;  cela  paraitra  bien  dans  les  ordonnances  du  xiv°  siecle 
qui  reglent  la  nouvelle  enquete  d'une  facon  tres-nette  bien  qu'en 
peu  de  mots ,  et  qui  reproduisent  les  principes  et  la  terminologie 
du  droit  canon  (4).  La  premiere  ordonnance  qui  en  fasse  mention 

(1)  II,  16;  cf.  Beaum.,  lxi,  20.  Le  texte  des  tiaUissemenU ,  pour  permettre 
cette  poursuite  d'offloe,  se  r^fere  expressement  au  droit  romain  :  «  Car  il  appar- 
tient  h  Toffioe  du  pr6v6t  et  a  toute  loyale  justice  de  nettoier  sa  province  et  sa 
juridiction  de  mauves  homes  et  de  mauvfeses  femes  selon  droit  escrit  en  la  Di- 

geste  de  receplatoribus , et  en  la  loi  Congruit  en  la  Digeste  de  officio  Pr(Bsi- 

dis....  et  se  il  se  mettoit  en  I'enqueste,  et  I'enqueste  trouvast  qu'il  fust  coupables, 
la  jostice  le  devroit  condamner  a  mort,  se  ce  estoit  un  de  ces  cas  que  nous  avons 
dit  dessus.  » 

(2)  §  328. 

(3)  §  476,  cf.  Boutaric.  Ades  du  Parlemenf  de  Paris,  arrfit  de  1259  (n"  345)  :  il 
s'agit  d'un  asseurement  royal  enfreint ;  le  coupable  gardera  la  prison  jusqu'a  ce 
qu'il  ait  amende  son  crime  envers  le  roi ,  «  Salva  tamen  eidem  vit&  su& ,  membris 
suis  et  hereditate  sua ,  quia  non  supposuit  se  isti  inqueste.  »  N"  4372  :  Arr§t  de 
1315 ;  le  coupable  est  oondamn^  k  mort  :  « il  fut  prouvS  centre  lui  qu'il  avait  ac- 
cepts I'enqufite  prSsentSe  au  bailli.  » 

(4)  Sur  I'influence  de  I'Eglise  dans  le  domaine  de  la  procedure,  Voy.  M.  Glas- 


DU  xm°  Au  xvn°  siecle.  81 

d'une  facon  certaiae  la  donne  comme  une  institution  des  pays 
de  droit  ecrit.  Cette  ordonnance  de  1254  est  destinee  «  a  la  re- 
formation des  moeurs  dans  le  Languedoc  et  le  Languedoil;  » 
elle  contient  un  double  texte  en  latin  et  en  francais.  Le  texte 
latin,  destine  aux  pays  du  Midi,  presente  un  article  21,  ainsi 
congu  :  v  Et  quia  in  dictis  seneschalliis  secundum  jura  et  terrae 
consuetudinem  fit  inquisitio  in  criminibus  volumus  et  mandamus 
quod  reo  petenti  acta  inquisitionis  tradantur  ex  integro  (1).  » 
Ne  pourrait-on  pas  en  conclure  que ,  comme  institution  normale, 
I'enquete  criminelle  avant  de  gagner  le  Nord  se  serait  implantee 
dans  le  Midi ,  oil  I'inquisition  centre  les  heretiques  avait  d'abord 
fait  son  apparition. 

Mais  I'aprise  trouva  ailleurs  que  dans  le  droit  canon  un  point 
d'appui.  II  est  aujourd'hui  reconnu  que  dans  la  monarchie 
franque,  sous  les  Carolingiens ,  a  c6te  de  la  procedure  etroite 
et  formaliste  du  droit  commun,  il  en  existait  une  autre,  oil  le  duel 
judiciaire ,  le  serment  purgatoire  et  le  temoignage  formaliste  ne 
figuraient  point ,  et  qui  etait  dite  per  inquisitionem.  En  principe, 
le  roi  seul,  en  vertu  de  son  pouvoir  propre,  avait  le  droit  de 
proceder  aux  inquisitions  en  personne  ou  par  delegues.  Celui  qui 
etait  charge  d'inquirere  rassemblait  un  certain  nombre  d'hommes 
du  pays ,  et ,  sous  la  foi  du  serment,  recueillait  leurs  declarations 
sur  le  point  en  litige;  puis  conformement  a  leurs  dires  il  pro- 
noncait  la  sentence.  Cette  sorte  de  droit  rSgalien  n'appartenait 
aux  juges  qu'en  vertu  d'une  commission  du  souverain;  mais 
lorsqu'il  s'agissait  des  droits  du  fisc,  on  procedait  toujours  per 
inquisitionem,  et  les  eglises  et  monasteres  obtinrent  par  privi- 
lege I'application  de  cette  procedure  dans  les  proces  ou  ils 
etaient  interesses ;  on  I'appliqua  aussi  dans  les  proces  ou  figu- 

son  :  Les  sources  de  la  procMwre  civile  frangaise  {Nouvelle  Revue  historique  de 
droit  frangais  et  Granger,  1881,  p.  413  seq.).  M.  Stintzing  [Geschichte  der  deutschen 
Rechtswissenschaft ,  1880,  p.  27)  fait  remarquer  que ,  par  suite  de  la  methode  ex6- 
gStique  exclusivement  suivie  dans  les  Universit^s,  «  la  procedure  criminelle  ratta- 
cMe  a  la  procedure  civile  6tait,  surtout  pour  les  canonistes,  un  th^me  qu'ils  avaient 
4  developper  sur  le  second  livre  des  D6cr6tales.  » 

(1)  Ord.  I,  p.  72.  L'fiditeur  remarque  que  les  articles  20,  21,  22  manquent  dans 
le  texte  frangais. 

6 


82  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

raienl  des  veuves ,  des  drphelins ,  des  homines  minus  potentes. 
Mais  a  I'gpoque  franque  rinquisitioa  n'est  guere  employee  qu'en 
matiere  civile  (1).  Ce  droit  de  Mre  enqti^rir  la  royaute  le'  conserva 
au  Moyen-Age ;  elle  I'exergait  quand  ses  interSts  civils  ou  feodaux 
etdeaten  jeu.  Le  Livre  de  Jostice  et  de  Plet  contient  un  chapitre 
importaiit  qui  reproduit  a  cet  egard  les  principes  de  I'epoque  fran- 
que (2).  Livre  xix,  tit.  4i  :  «  §  1.  Se  li  rois  demande  riens  a  au- 
cun  muebles  ne  heritages ,  que  Tea  ait  pris  sor  lui ,  ou  que  Ten 
li  doie,  il  gagne  par  enqueste  ou  pert...  §  3.  Se  aucua  bat  ou 
fiert  sergent  le  roi  por  acheson  dou  service  ce  n'est  pas  (ce  vet 
par?)  I'enqueste...  §  5.  Esqueuse  (rescousse)  de  sergent  vet  par 
enqueste...  §  7.  Se  aucuns  estranges  prent  un  prison  le  roi, 
qu'il  aura  pris,  avoques  autres  choses  qui  sunt  le  roi ,  et  Ten  la 
li  tost,  s'est  seu  par  enqueste...  §  11.  Qui  fet  chevauchees  par 
armeS  et  prant  et  peeae  ce  vet  par  enqueste...  §  13.  Cil  doit  fere 
enqueste  qui  la  set  fere ;  et  doit  len  demander  sor  toz  les  articles 

(1)  Voyez  sur  tons  ces  points  .lesremarquailjle's  ouvrages  de  M.  Brunner  :  Die 
EnUtehung  der  Scfmurgerichte!,. ch^yi,  p.  84-126  (1871);  —  Zeugen-und-Inquisi- 
tiom-Beweis  des  Kc^rolingischen'Zeit  (1866).  Dans  les  capitulaires  ontrouve  parfois" 
des  instructions  adresSfies  aiii  rtiisH,  qui  leur  rtecommandent  i'mquirere  k  I'occa- 
sion  des  crimes  comrois.  Mais ,  YinquisiUo  una  fois'  faite ,  il  semble  que  le  proems 
ne  pouvait  abputir  que  de^  deux„mani6res ;  ou  un  aceusateur  se  prfeentait,  cul'ln- 
culpfi  se  purgeait  par  le  serment  ou  par  les  brdalies.  Voy.  en  particulier  Capitulare 
de  latronihus.  Ami.  804  (Pertz  I,  129);  le  chapitre  1  est  trfe-gSn^ral :  «  Ut  ubiciim- 
que  eos  repereriiit  diligenter  iiiquiranfi  et  cum  discreptione  examinant ,  ut  nee  hie, 
superfluijm-faciant,.ubi  ita  non  oporJst,.pep,prsetermittant  quodfacere  debeat;  » 
mais  le  n»  2  priyoit  la  presence  d'un  aceusateur  et  le  duel  judioiaire ;  le  n»  3 
parledes  ordalies.  ^  Voy.  aussiidesexemples  de  poursuite  d'office  dans  les  bis 
des  barbares.Xea;\B«/y.y Lxxxix  (Walter) :'«  Derm  corripiendis.  Gundebaldus rex 
Bprgundionum  o;unibus  coinitibus.,,  praeceptionem  ad  eos  dedimus  ut  si  quos  ca- 
ballorum'fures ,  auieffractores-dpmuum,  tam  criminosos  quam  suspectos  invenire 
potueritis',  stafiin'  dapere  et  ad  nos  adducere  non  moretur.  Futurum  ut  is  qui  ea- 
pitur,  et  ante  nos  adductus  fuerit,  si  se  innocentem  potuerit  adprobare,  cum  om- 
nibus rebus  suis  liber  abscedat ,  neque  calumniam  pro  eo  quod  ligatus  aut  oaplus  " 
est  moyere  prssuraat.  Si  vero  criminosus  inventus  fuerit ,  pcenam  vel  torlnenta  , 

suscipiat ,'  quS  ineretur etnon  solum  in  eum  tantum  pagum,  ubi  consistit,  U- 

ceat  perseqiii  criminosu^ ;  sed  sicut  utilitas  aut  fides  uniuscujusque  habuerit, 
etiam  per,  alia  loqa  ad  nos  pertinentia  non  dubitent  hujusmodi  personas  capere, 
et  judicibus  praesentare,  ut  prsefata  scelera  non  liceat  esse  diutius  impunita. »  —  ' 
Lex  Wisigoth :  Lib.  VI,  tit.  5,  1. 14  :  «  Si  homicidam  nuUus  accuset,  judex  mox 
ut  fact!  crimen  agnoverit,  licentiam  habeat  corripere  criminosum,  ut  poanamreus 
excipiat,  quam  meretur.  » 

(2)  La  rubrique  est :  «  De  quex  choses  Ten  doit  se  mettre  en  enqueste.[» 


DU   Xm°  AU   XVII*   SIECLE.  83 

de  la  querele ,  et  ne  puet  Ten  rien  dire  centre  les  temoins  la  pre- 
sent (on  ne  pent  les  fausser)  (1).  »  —  Mais  cela  ne  s'appliquait 
pas  aux  matieres  criminelles :  il  fallait  alors,  comme  nous  I'avons 
dit,  le  consentement  de  I'inculp^  pour  que  I'enquete  procedlt. 
On  devait  franchir  ce  pas ;  le  roi  n'etait-il  pas  directement  int6- 
resse  a  la  repression  des  crimes,  et  pourquoi  ne  pas  appliquer 
ici  I'enqufite  comme  toutes  les  fois  qti'il  s'agit  des  interets  du  roi? 
II  y  avait  la  un  solide  point  d'appui :  aussi  dans  le  Livre  de  Jos- 
tice  et  de  Plet,  dans  le  memo  chapitre  ou  nous  lisons  cette  vieille 
maxime,  «  nus  ne  se  doit  mettre  en  enqueste  de  ses  mem- 
bres  (2), »  nous  voyons  I'enqugte  admise  en  matiere  criminelle. 
«  Se  Ten  fet  injure  a  une  poure  persone  qui  ne  puet  son  droit 
porchachier,  ne  par  soi  ne  par  son  avoir,  ne  par  ses  amis ,  tele 
cbose  doit  aler  par  enqueste;  car  Ten  ne  sueffre  pas  que  les 
choses  a  tel  perissent  qui  n'a  peer.  Et  s'il  demande  forfet  dont 
cors  doit  perir,  ci  n'a  point  d'enqueste ,  fors  issit  que  li  rois  doit 
mestre  en  poinne  de  penitence  et  d'avoir  a  sa  volenti  (3).  »  Et 
un  peu  plus  loin  :  «  Se  li  hons  ou  la  feme  qui  ocise  sera  n'a  pa- 
ranz,  ne  ami  qui  Ten  p'uisse  vengier,  lis  rois  puet  demander  et 
metre  en  peine,  c'est  selon  ce  qu'il  aprandra,  son  dampnement 
don  cors  (4).  »  —  «  Li  rois  puet  fere  par  inquisicion  de  mauvese 
renommee  issint  de  cex  qui  tiennent  les  bordeaux,  de  robeors, 
de  peceors,  de  mollis  (turbulents)  et  de  cex  qui  sunt  costumiers 
de  fere  autres  injures,  et  de  metre  en  poines  a  sa  volente  sans 
dampnement  de  cors ,  car  bone  foi  ne  suefre  pas  :  se  aucuns  est 
cremiz  (redoute)  par  sa  cruaute  et  par  son  ostrage ,  por  ce  ne 
doit  pas  remanoir  que  Ten  ne  preigne  vengeance  (5)   » 

(1)  En  matiere  civile,  I'enquSte  s'^tait  introdaite  sur  blen  des  points  dans  la 
procedure  ordinaire ,  afin  d'^carter  la  bataille.  Ainsi  en  matiere  de  saisine 
{Livre  de  J.  et  P.,  xix,  44,  §  6),  de  partage  {iUd.,  §  10),  de  testament  {ibid,  iv, 
4,  §  1).  Le  chapitre  44  du  livre  xix  debute  par  une  maxime  trfes-favorable  a 
I'extension  de  I'enquete  :  «  Johanz  de  Beaumont  dit :  Chamberiers  de  France  si 
esgarda  que  I'en  doit  molt  eschiver  batailles  et  que  Ten  doit  mestre  fln  6s  plez ; 
si  esgarda  un  droit  qui  est  communs  a  toz.  » 

(2)  XIX,  44,  §  4. 

(3)  XIX,  44,  §  8. 

(4)  XIX,  45,  §  1. 

(5)  XIX,  44,  §  12.  he  Livre  de  Josttce  connait  aussi  I'inquisition  de  I'Eglise  :  I, 
3,  §  7  :  «  Li  rois  par  consel  de  ses  barons  fist  tel  etablissement :  quant  Ten  ara 


84  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

Par  la  meme  Venqu&te  du  pays  devait  s'absorber  dans  Vaprise. 
Mais  il  est  probable  que  le  droit  de  faire  enquerir  fut  exerce 
d'abord  par  le  roi  seul ,  comme  constituant  une  sorte  de  droit 
regalien.  Les  Olim,  qui  offreat  de  nombreux  exemples  d'enquetes 
criminelles ,  ne  manquent  jamais  de  faire  remarquer  qu'elles 
out  eu  lieu  :  «  de  mandate  domini  regis  (1).  »  Assez  tard  m§me,  le 
droit  d'enquete  etait  encore  refuse  aux  justices  inferieures  :  «  Nus 
vavassor  ne  puet  relascher  larron  sans  I'assentiment  du  baron; 
aingois  appartient  au  baron  la  cognoissance ,  ne  il  ne  puet  fere 
enqueste  qui  appartiegne  a  si  grand  justice  (2).  » 

L'aprise  amena  la  denonciation.  Bien  des  personnes  devaient 
reculer  devant  une  accusation.  Tant  que  subsista  le  duel  judi- 
ciaire  le  peril  etait  evident ,  et  plus  tard ,  la  jurisprudence  de- 
clarait  encore ,  suivant  les  principes  du  droit  remain ,  que  I'ac- 
cusateur  defaillant  pouvait  etre  condamne  a  la  peine  du  talion. 
On  remarqua  que ,  devant  les  cours  d'Eglise,  la  partie  pouvait  se 
contenter  de  denoncer  le  fait  au  juge  qui  poursuivait  d'office; 
et  ce  precede  commode  fut  egalement  employe  devant  lesjuri- 
dictions  laiques.  Mais  d'abord ,  pour  que  la  denonciation  fut 
possible,  il  fallut,  comme  pour  l'aprise,  que  le  fait  fut  atteste 
par  de  nombreux  temoins,  qu'il  y  etit  eu  flagrant  delit  pour 
ainsi  dire  (3).  Cette  restriction  devait  disparaitre  bientot,  et  la 


souspefonos  un  home  de  bogrerie ,  li  juges  ordeaaires  dest  requerre  le  roi  ou  sa 
jostice  qui  le  prangne;  il  le  devent  prendre  et  tenir  en  sa  prison.  Aprfes  li  eves- 
ques  et  li  prelaz  dou  leu,  c'est  a  entendre  les  personnes  d'iglise ,  devent  faire 
rinquisigion  de  la  loi  sor  li  et  demander  li  de  la  foi.  Et  ce  soil  fet  devant  le 
commun  de  seinte  Iglise,et  s'il  est  dampnez  et  por  lor  jugement,  et  sainte 
Iglise  en  oste  ce  qu'ele  i  a,  anpres  li  rois  prent  le  cors  et  fet  livrer  a  mort  el 
toust  li  avoirs  est  siens  sauf  le  doaire  a  la  fame,  et  sauf  son  ^ritage.  » 

(1)  Voy.  p.  ex.  torn.  I,  pp.  213,  394,  482,  544,  619,  768.  Voy.  Pardessus  : 
Orffanisationjudiciaire,  p.  107:  «  La  cour  (du  roi)  paralt  avoir  tres-aneiennemen' 
donnS  a  la  preuve  par  temoins  ou  par  actes  Merits  la  prfif^rence  sur  le  combat 
judioiaire,  et  je  n'hfisite  pas  a  croire  que  saint  Louis,  en  prohibant  ce  combat 
dans  ses  domaines  par  I'ordonnance  de  1260,  n'ait  g6neralis6  une  coutume  que  sa 
cour  pratiquait  depuis  longtemps.» 

(2)  Etah.  S.  Louis,  II,  35.  Peut-6tre  ce  texte,  mSme  dans  les  derniers  mots, 
n'a-t-il  pour  objet  que  de  limiter  le  droit  de  basse-justice. 

(3)  Beaum.,  lxi  ,  2  :  «  Mais  il  y  a  bien  autre  voie  que  de  droit  apel ;  car  ains 
que  li  apiax  soit  fes,  se  oil  qui  veut  apeler  veut,  il  pot  denoncier  au  juge  que 
cis  me£f6s  a  esU  fes  a  la  veue  et  a  la  seue  de  tant  de  bones  gens  qu'il  ne  pel 


Du  xin°  Au  xvn"  siecle.  8S 

denonciation  etre  toujours  admise.  Du  reste,  le  denonciateur  ne 
se  desinteressait  point  complMement  du  proces  :  il  y  restait  sou- 
vent  partiecommele^^rojMOwns  inquisitionem  du  droit  canonique, 
et  cela  dans  le  but  d'obtenir  une  reparation  pecuniaire  du  dom- 
mage  qu'il  avait  souffert;  c'est  I'origine  de  la  constitution  de 
partis  civile.  Voici  un  passage  du  Livre  des  Droiz,  qui  decrit 
tres-exactement  les  nouvelles  formes  de  la  procedure  criminelle  : 
«  Droit  dit  qu'il  y  a  difference  enlre  accusation ,  inquisicion  et 
denonciacion.  Accusacion  si  est  quand  aucun  accuse  autre  de 
crime  et  s'en  fait  partie ;  en  cest  cas  convient  que  applege  et  se 
soubzmette  a  telle  peine  dit  la  loy  ad  pcenam  talionis.  —  Inqui- 
sicion si  est  quand  le  juge  enquiert  de  son  office  et  convient 
guod  fama  praecedat,  dit  la  loy.  —  Denonciacion  si  est  quand 
aucun  denonce  contre  autre  aucun  cas ,  afin  de  restitution  de  son 
chatel  pour  le  recouvrer;  et  en  qest  cas  doit  fere  protestacion 
que  il  ne  tend  point  contre  partie  a  fin  criminelle,  mais  a  fin 
de  restitution  de  son  chatel  (1).  » 

L'aprise  et  la  denonciation  ne  s'introduisirent  point  sans  ren- 
contrer  de  vivos  resistances.  Quand  la  personne  poursuivie  etait 
un  homme  de  poeste ,  cela  ne  faisait  guere  difficulte ;  mais  quand 
il  s'agissait  d'uu  gentilhomme  ayant  droit  au  jugement  par  les 
pairs  suivant  les  vieilles  formes ,  avec  I'accusation  et  la  bataille , 
l'aprise  etait  une  atteinte  aux  privileges  de  I'homme  feodal.  Les 
nobles  resisterent ,  et  cette  lutte  a  laisse  des  traces  assez  nom- 
breuses.  Le  document  le  plus  curieux  a  cet  egard  est  le  recit 
d'un  proces  intente  contre  Tun  des  hommes  de  Saint  Louis.  Ce 
recit,  redige  par  le  Confesseur  qui  composa  une  vie  du  roi ,  pre- 
sents un  tableau  vivant  et  pittoresque  de  ce  vieux  differend ,  et 
on  nous  pardonnsra  si  nous  le  reproduisons  presqus  sn  entier. 
«  Comme  noble  messire  Enjorranz  segneur  de  Coucy  eut  fait 
prendre  trois  nobles  jouvenciaux porce  qu'il  fursnt  trovsz- 

estre  cel^s ;  et  sor  ce  il  en  doit  fere  comme  bons  juges ,  et  en  doit  enquerre,  tout 
soil  que  la  partie  ne  se  voille  pas  mettre  en  enqueste.  Et  s'il  trueve  le  meffet 
notolre  et  apert,  il  le  pot  justicier  selon  le  meffet.  Car  male  coze  seroif  s'en  avoit 
pcis  mon  prochain  parent  en  plelne  feste  ou  devant  grande  plenty  de  bone  gent , 
s'il  convenoit  que  je  me  combatisse  por  le  vengement  porcacier.  Et  por  ce  pot  on 
en  tix  cas  qui  sunt  apert  aler  avant  par  voie  de  denonciation.  » 
(1)  §  942. 


86  LA.  PROCKDURE   CRIMINELLE 

en  ses  bois  atout  ars  et  saietes  (1) ledit  abez  (2)  et  aucunes 

femes  qui  etoient  cousines  des  diz  penduz  eussent  aport6  la 
compleinte  de  lor  mort  devant  le  benoiet  roi ;  li  benoiez  rois  fist, 
apeler  ledit  Enjorranz  segneur  de  Coucy  devant  lui,  puisqu'il  ot 
fait  enqtieste  soufisant  et  si  come  Fen  la  devoit  fere  quant  a  tel 
fet ;  et  lors  il  le  fist  arrester  par  ses  chevaliers  et  ses  sergeanz 
et  mener  au  Louvre ,  et  metre  en  prison  et  estre  ilec  tenus  en 
une  chambre  sans  ferz.  Et  comme  li  diz  Enjorrans  sire  de  Couci 
fust  einsi  retenu ;  un  jour  li  benoiez  roi  fist  le  dit  segneur  de 
Couci  amener  devant  lui ,  avec  lequel  viendrent  li  rois  de  Na- 
varre ,  li  dus  de  Bourgoine ,  li  cuens  (comte)  de  Bar,  li  cuens  de 
Soissons,  li  cuens  de  Bretaigne,  li  cuens  de  Champaigne  et 
monseigneur  Thomas  lors  arcevesques  de  Reims  et  monseigneujt 
Jehan  de  Thorote  et  aussi  comme  touz  les  barons  du  roiaume  (3). 
A  la  parfin  il  fu  propose  de  la  partie  dudit  monseigneur  de  Couci 
devant  le  benoiet  roi  qu'il  se  vouloit  conseiller,  et  lors  il  se 
trest  a  part  et  touz  ces  nobles  hommes  devant   diz  avecques 

lui et  quant  il  orent  este  longuement  a  conseil  ils  revindrent 

devant  le  benoiet  roi ,  et  proposa  devant  lui  monseigneur  Jehan 
de  Thorote  (4)  pour  ledit  monseigneur  Enjorranz  segneur  de 
Coucy,  que  il  ne  devoit  pas  ne  ne  vouloit  sousmettre  soi  a  en- 
queste  en  tel  cas,  comme  tele  enqueste  touchant  sa  personne 
s'enneur  (son  honneur)  et  son  heritage ,  et  que  il  estoit  prest  de 
defendre  soi  par  bataille ,  et  nia  pleinement  que  il  n'avoit  mie 
pendu  ne  comende  a  pendre  les  jovenciaux  dessus  diz.  Et  le  diz 
abbez  et  les  dites  femes  etoient  ilecques  en  presence  le  benoiet 
roi ,  qui  requeroient  justice.  Et  comme  li  benoiez  rois  ot  entendu 
diligement  le  conseil  dudit  monseigneur  Enjorranz  seigneur  de 
Couci,  il  repondi  que  es  fez  des  poures,  des  eglises,  ne  des 
persones  dont  Ten  deit  avoir  pitie ,  Ten  ne  devoit  pas  einsi  aler 
avant  par  loi  de  bataille ;  car  Ten  ne  trouveroit  pas  de  legier 
aucuns  qui  se  vosissent  combatre  pour  teles  manieres  de  per- 
sonnes  centre  les  barons  du  roiaume ,  et  dist  que  il  ne  fesoit 

(1)  Aveo  des  arcs  et  des  flfeches  :  ils  avaient  commis  un  dflit  de  chasse. 

(2)  Les  trois  jeunes  gens  ^talent  de  la  suite  d'un  abb6. 

(3}  C'est  une  reunion  des  pairs  assembles  pour  juger  I'un  deux. 
(4)  II  joue  le  rfile  d'avant  parlier. 


DU  Xni'  AU  XVII'   SIKCLE.  87 

centre  lui  novelets ,  comjne  il  fust  einsi  que  autrefois  semblables 
choses  eussent  este  fetes  par  nos  ancesseurs  en  semblables  cas. 
Et  lors  recorda  li  benoiez  rois  que  li  rois  Phelipe,  son  aiel,  pour 
ce  que  monseigneur  Jehan,  seigneur  de  Soilli  qui  adoncques 
estoit ,  avoit  fet  un  homicide ,  si  comme  Ten  disoit ,  fist  fere  une 
enqueste  centre  lui  et  tint  le  chasteau  de  Soilli  par  douze  ans 
et  plus,  jacoit  que  li  dit  chastiex  ne  fust  pas  tenu  du  roi  sans 
autre  moien.  Done  li  benoiez  rois  n'oy  mie  la  requeste,  fist 
ilecques  mesmes  prendre  ledit  seigneur  de  Couci  par  ses  serganz 

et  mener  au  Louvre  et  le  fist  ilecques  tenir  et  garder Et 

adoncques  li  benoiez  rois  se  leva  de  son  siege  et  les  barons  de- 
vant  diz  se  partirent  d'ilecques  esbahiz  et  confus.  Et  en  ce 
meesme  jour  apres  la  dite  responsse  du  benoiet  roi,  li  cuens  de 
Bretaigne,  dist  au  benoiet  roi,  que  il  ne  devroit  pas  soustenir 
que  enquestes  fussent  fetes  contre  les  barons  du  roiaume  en 
choses  qui  touchent  leurs  personnes,  leurs  heritages  et  leurs 
enneurs.  Et  li  benoiez  rois  respond!  au  conte  :  Vos  ne  deistes 
pas  einsi  en  un  tens  qui  est  passe  quant  les  barons  qui  de  vos 
tenoient  tout  a  nu  et  sans  autre  moien  aporterent  devant  nos  lor 
compleinte  de  vos  mesmes  et  offrirent  a  prover  leur  intention  en 
certain  cas  par  bataille  contre  vos ;  aingois  respondistes  devant 
nos  par  enquestes  en  teles  besoignes.  Et  disiez  encore  que  ba- 
taille n'est  pas  voie  de  droit.  —  Et  apres  que  il  ne  pooit  pas 
jugier  des  coustumes  du  roiaume  par  enqueste  fete  contre  lui, 
a  ce  que  il  le  punisit  en  sa  persone ,  comme  einsi  fust  que  lediz 
sires  de  Couci  ne  se  fust  pas  soumis  a  la  dite  enqueste.  —  Mes 
toutes  voies  se  il  sceut  bien  la  volente  de  Dieu  en  ce  cas ,  il  ne 
lessat  ne  pour  noblesse  de  son  lignage  ne  pour  la  puissance 
d'aucuns  de  ses  amis,  que  il  ne  feist  de  lui  pleine  justice.  Et,a 
la  parfin  li  benoiez  rois ,  par  le  conseil  de  ses  conseillers ,  con- 
damna  monseigneur  de  Coucy  en  douze  mille  livres  de  Pari- 
sis  (1).  » 

(1)  La  vie  de  S.  Louis,  par  le  confesseur  de  la  reine  Marguerite,  fie^uei/  des 
Historiens  des  Gaules  et  de  la  France,  torn.  XX,  pp.  113,  114.  —  Les  reclamations 
des  barons  se  reproduisent  avec  une  nouvelle  force  a  la  mort  de  S.  Louis.  Lors- 
que  la  reine  Blanche  les  convoque  pour  le  couronnement  de  son  flls,  ils  posent  leurs 
conditions  :  «  Maxima  pars  optimatum  ante  diem  prseflxam  petierunt  de  consue- 
tudine  Gallicana  omnes  incarcerates  et  prascipue  comites  Flandrensem  Perrandum 


80  LA  PROCEDURE   CRIMINELLB 

On  saisit  ici  sur  le  vif  les  protestations  des  barons  et  on  voit 
comment  S.  Louis  posait  la  doctrine  nouvelle.  Mais  la  royaute  ne 
put  point  vaincre  partout  et  sur-le-champ  ces  resistances  de  la 
vieille  legalite  :  au  xiv°  siecle  nous  trouvons  un  certain  nombre 
de  documents  qui  leur  donnent,  au  contraire,  gain  de  cause  a 
demi.  Deux  ordonnances  de  1315  (Louis  X)  reconnaissent  a  cet 
egard  les  privileges  des  nobles  de  la  Bourgogne  et  de  la  Cham- 
pagne. Le  roi  statue  sur  les  remontrances  qui  lui  ont  ete  faites  : 
«  Le  premier  article  a  nous  baillie  est  tiels.  Premier  que  Ten 
ne  puisse  en  cas  de  crime  aller  encontre  desdiz  nobles  par  de- 
nonciation  ou  par  souspecon  ne  eus  juger  ni  condampner  par 
enquestes ,  se  il  ne  s'y  mettent ;  jacoit  que  la  souspecon  pour- 
roit  estre  si  grand  et  si  notoire  que  li  souspeconnez  centre  qui 
la  denonciation  seroite  fete  devroit  demourer  en  I'hostel  de  son 
seigneur,  et  ilec  demourer  une  quarantaine  ou  deus  ou  trois  au 
plus ,  et  se  en  ce  termine  aucun  ne  I'approchoit  dou  fait ,  il  se- 
roit  ostagez  (mis  en  liberte  sous  caution)  et  en  faisant  partie 
(si  un  accusateur  se  presente)  il  doient  avoir  leur  deffense  par 
gage  de  bataille.  —  Nous  leur  octroions,  si  la  personne  n'es- 
toit  si  diffamee  ou  li  faiz  si  notoires  que  li  sires  li  deust  mettre 
autre  remede.  Et  quant  au  gage  de  la  bataille  nous  voulons  qu'il 
en  usent  si  comme  Ten  fesoit  anciennement  (1).  »  Voici  main- 
tenant  pour  les  nobles  de  Champagne  :  «  Art.  13.  Item,  sur 
ce  que  il  disoient  que  quand  aucun  noble  de  Champagne  estoit 
pris  par  sospecon  en  cas  de  crime  il  devoit  estre  ouys  en  ses 
bons  resons  et  deffenses  ,  et  tenu  en  prison  pour  certain  temps , 
et  se  il  venoit  aucun  qui  feist  partie  centre  li  il  se  pooit  deffen- 
dre  par  gage  de  bataille ,  se  il  ne  se  voloit  mettre  en  enqueste. 
Et  parmi  ce  il  devoit  estre  delivre  de  prison ,  se  il  n'estoit  pris 

et  Bononiensem  Reginaldum  a  carceribus  liberari,  qui  in  subversionem  libertatum- 
regni  jam  per  annos  xii  arotiori  custodia  in  vinculis  tenebantur.  Petierunt  insuper 
quidam  eorum  terras  suas  sibi  restitui  quas  pater  ejus  Ludovicus  et  avus  iUius 
Philippus  multo  jam  tempore  injaste  detinuerant  occupatas.  Adjiciunt  etiam  quod 
nullus  de  regno  Francorum  debuit  ab  aliquo  jure  suo  spoliari  njsi  per  judicium 
XII  parium.  »  Math.  Paris,  Historia  Major  Anglorum  (ann.  1226),  6dit.  Wats. 
Paris,  1644,  p.  231. 

(1)  «  Ordomance  vendue  sur  les  remontrances  des  nobles  de  Bourgogne,  des  Evl- 
chez  de  Langres,  d'Autun  ei  du  ComU  de  Foris.  »  (Ord.  I,  p.  5S8). 


DU  XIII°  AU  XVI1°   SIECLE.  89 

en  present  meffet.  —  Nous  vouUons  et  est  notre  intention  que 
chascun  pris  pour  cas  de  crime  soit  ouys  en  ses  bonnes  resons 
et  h  en  soit  fet  droit ,  et  se  aucune  aprise  se  faisoit  centre  H 
que  par  ceste  seule  aprise  il  ne  soit  condamnez  ni  jugiez  (1).  » 
Enfin ,  Bouteiller  indique  encore  que  les  memos  privileges  exis- 
taient  pour  les  nobles  d'Artois  :  «  Sachez  que  par  les  coustumes 
d'Artois  et  plusieurs  lieux,  gentilhomme  ne  s'y  met  en  en- 
queste  ne  doibt  mettre  n'estre  oppresse  de  luy  mettre  s'il  ne 
le  requiert.  Et  suppose  que  faicte  soit  sans  son  sceu  et  con- 
sentement,  si  ne  lui  doit  elle  nuyre,  s'il  ne  s'y  rapporte  de  sa 
volonte  (2).  » 

Cependant  la  procedure  inquisitoire  gagnait  toujours  du  ter- 
rain, elle  progressait  surtout  dans  la  main  active  des  officiers 
royaux.  Nous  pouvons  saisir  quelques  traces  de  ces  progres. 
En  13i7  le  roi  Philippe  de  Valois  statue  sur  la  reclamation  des 
habitants  de  Lyon  centre  les  gens  du  roi.  Les  Lyonnais  se  plai- 
gnaient  :  «  quod  passim  et  indifferenter  judex  ordinarius  in- 
quirit  de  omnibus  criminibus  sine  accusatore  vel  denunciatore , 
qui  persequitur  legitime,  cum  tamen  consuetude  dictorum  ci- 
vium  sit,  sicut  asserunt,  quod  solum  in  criminibus  furti,  incendii 
et  proditionis  inquisitio  fieri  debeat ,  et  non  aliter  nisi  post  de- 
nunciationem  et  accusationem  ut  supra.  »  Le  roi  ordonne  seule- 
ment  que  cette  coutume  sera  prouvee  par  temoins  (3).  En  1363, 
le  roi  Jean  confirme  les  privileges  accordes  aux  habitants  de 
Langres  par  leur  eveque ,  par  lesquels  la  poursuite  d'offlce  n'est 
limitee  que  dans  une  certaine  mesure  (4)  :  «  Declarons  et  or- 
donnons  que  nous  ou  aucuns  de  nos  diz  officiers  ne  pouvons  ne 

(1)  Ord.  I,  p.  575. 

(2)  Somme  rurale,  I,  tit.  34,  p.  224. 

(3)  Ord.  II,  p.  258.  Dans  un  certain  nombre  de  chartes  de  villas  on  trouve  une 
enumeration  limitative  des  crimes  pour  lesquels  il  pourra  fitre  precede  per  inqui- 
sitionem.  Voy.  Consuetudines  Tolosw  rubr.  de  inquisitionibus  (Bourdot  du  Riche- 
bourg,  rv,  2,  p.  1044).  Cout.  de  Limoges  (latine),  ibid.,  p.  1149. 

(4)  Voici  les  plaintes  des  habitants  :  «  Se  dolissent  de  nous  et  de  nos  diz  officiers 
de  ce  que  il  disoient  que  nous  ou  nostre  dit  offlcier,  quelconques  il  feissent ,  ne 
povoient  proceder  centre  eux  en  cas  criminel  d'office ,  ne  penre  pour  ledit  cas , 
se  le  dit  habitant  hons  ou  feme  n'est  pris  en  present  meffait  ou  partie  ne  le  pour- 
suit,  ou  le  fait  n'est  notoire,  tant  par  leurs  privildges  et  usages  dessuz  diz  comme 
par  certaine  sentence  jadis  donn^e  sur  ce  par  nostre  baillif.  » 


90  LA.  PROCEDURE   CRIMINELLE 

porrons  proceder  centre  les  diz  habitants  ne  penre  aucun  d'eux 
d'office,  se  ce  n'est  en  cas  criminel,  dont  le  corps  et  les  biens 
sont  en  notre  volente ,  et  que  il  soit  notoire  le  cas  estre  fait  et 
avenu  certainement ,  et  contre  personne  de  malvese  fame  et  re- 
nomee  ou  vehementement  souspgonneuse  dudit  fait...,.  Maisnos 
offlciers  espirituelz  pourront  proceder  d'office  contre  iceulx  ha- 
bitans,  selon  ce  que  il  leur  loit  par  droit.  )}  La  tres-ancienne 
Coutume  de  Bretagne  garde  les  traces  visibles  de  ce  developpe- 
ment  :  ch.  113.  «  Quiconques  mefifait  h  mineurs  et  a.  gens  qui 
sont  en  garde  de  justice  ou  en  garde  de  Sainte  Eglise ,  femme  et 
gent  de  foible  estat,  de  biens  ou  de  corps ,  et  a  gent  qui  vont  ou 
viennent  au  marche  ou  au  monstier,  ou  en  pelerinage,  ou  aux 
termes  au  Seigneur  ou  au  feu  ou  a  I'eau  de  fait  de  gueules  (?),  de 
marche  ou  de  foire,  de  la  mer,  ou  de  chemin  fait,  qui  vait  a  foire 
ou  a' marche ,  ou  a  ville  marchande,  de  communes,  ou  de  bonnes 
arrachees ,  ou  quiconque  leur  meffait ,  ou  que  Ten  leur  mefface 
ou  tel  estat,  justice  en. pent  proceder  contre  eux  a  denonciation 
de  partie  (1).  »  —  Ch.  114.  «  Quand  un  gros  meffait  est  fait  en 
un  pays,  comme  de  meurtriers  ou  d'ardeurs  de  maisons  et  de 
biens,  ou  de  roberie  ou  depecer  chemins,  ou  d'eglise,  ou  de 
vaisseaux  qui  vont  sur  mer,  ou  d'autres  gros  meffaits,  justice 
est  tenue  a  en  faire  jurer  gens  du  pays,  des  hommes ,  femmes  et 
enfants  et  servans ,  qui  sont  en  pouvoir  de  faire  serment ,  et  leur 
demander  ou  il  furent  la  nuitee  ou  la  journee  que  le  meffait  fut 
fait,  et  si  la  justice  trouve  que  les  gens  d'un  hostel  sont  varia- 
bles ,  justice  les  pent  arrester ;  et  aussi  si  elle  pent  trouver  par 
autres  que  aucun  soit  suspectionne ,  Ten  procedera  contre  eux 
comme  Ten  doit  fere  de  coustume.  »  —  Ch.  115.  «  Et  aussi  doit 
et  pent  justice  proceder  de  toute  action  ou  il  y  a  par  violence 
sang  d'homme  ou  de  femme  espandu  (2).  » 

(1)  Bourdot  de  Richebourg,  iv,  1,  p.  227.  On  remarquera  que  la  plupartdes 
cas  visfes  rappellent  ceux  oil,  a  I'epoque  franque ,  en  matifere  civile ,  on  procfidait 
per  inquisitionem. 

(2)  Cf.  ch.  102,  p.  225  :  «  Et  s'il  n'est  prins  h  fait  present  ou  en  poursuite, 
ou  si  le  fait  n'est  notoire ,  comme  il  est  dit ,  pour  ce  qu'il  soit  demourant  au  pays 
depuis  cinq  ans ,  et  en  ce  il  soit  de  bon  reste ,  comme  celuy  qui  vait  au  moustier, 
au  marche ,  et  n'est  arrests  de  son  corps  de  cas  de  crime ,  il  pourroit  dire ,  au 
cas  que  justice  voudroit  proceder  contre  luy,  que  il  ne  seroit  pas  tenu  a  attendre 
garantie  (preuve  par  tesmoins)  contre  luy  par  la  coustume.  w 


DU  Xm*  AU  XVlV  SIECLE.  91 

L'accusation  cependant,  nous  I'avons  indiqu6  par  avance,  ne 
disparut  poiat  (1);  mais  le  proces  accusatoire,  tel  que  nous  i'a- 
vons decrit ,  subit  de  profondes  modifications.  Les  gages  de  ba- 
taille  allaient  disparaitre.  L'ordonnance  donnee  par  S.  Louis  en 
1260,  au  Parlement  des  Octaves  de  la  Chandeleur,  fut  le  point  de 
depart  de  cette  transformation  (2).  C'est  ce  fameux  «  Establisse- 
ment  le  roy  »  dont  parle  si  souvent  Beaumanoir  dans  les  cha- 
pitres  des  preuves,  des  enquestes  et  des  gages  de  bataille.  «  Nous 
defendons  a  tous  batailles  par  nostre  domengne...  et  au  lieu  des 
batailles  nous  motions  preuve  de  tesmoins,  »  disait  le  roi.  Par 
la  etaient  supprimes  I'appel  ou  provocation  directe  au  duel  ju- 
diciaire ,  et  le  faussement  des  temoins  ;  par  voie  de  consequence, 
bon  nombre  de  personnes  jadis  incapables  de  temoigner  deve- 
naient  des  temoins  valables  (3).  Mais  ce  n'etait  pas  tout.  Le  roi 
changeait  aussi  la  maniere  de  recevoir  les  depositions.  La  me- 
thode  nouvelle  etait  beaucoup  plus  compliquee  et  savante  que 
I'ancienne,  et  I'ecriture  y  jouait  un  grand  r61e.  Elle  etait  calquee 
sur  la  pratique  des  cours  d'figlise ;  elle  emprunta  aussi  quelqaes- 
uns  de  ses  traits  a  cette  enqueste  dont  nous  avons  parle  plus 
haul.  Les  temoins  mandes  par  ordre  de  justice  (4),  comparais- 
sent  non  plus  en  pleine  audience ,  mais  devant  des  delegues  du 
juge  appeles  enquesteurs  ou  auditeurs  (5).  Ceux-ci  interrogeaient 
les  temoins  un  a  un  et  «  subtilement.  »  Nous  sommes  loin ,  on 
le  voit,  de  I'ancien  temoignage  formaliste.  Les  parties  n'assis- 
taient  pas  a  cet  interrogatoire ,  elles  assistaient  seulement  h^  la 
prestation  de  serment  de  la  part  des  temoins;  c'est  a  ce  mo- 

(1)  Selon  certains  textes,  elle  Stait  m6me  la  seule  voie  ouverte  a  certaines  par- 
ties ,  toutes  n'fitant  pas  admises  h  dfenoDcer ;  Coutvme  de  Bragerac,  art.  xxii. 
«  Item  si  qais  vilis  conditionis  et  parvi  status  voluerit  denunciare  contra  homi- 
nem  bonae  famae  et  boni  status,  non  suspectum  de  contentis  in  denunciacione 
predicta,  talis  denunciatio  minime  recipitur.  Si  vero  eum  accusare  velit  directe, 
ad  hoc  erit  admittendus ,  dum  tamen  criminosus  et  captus  accusans  non  existat.  » 
(Bourdot  de  Richebourg,  iv,  2,  p.  1016.) 

(2)  Ord.  I,  86.  Isambert,  i,  283. 

(3)  Beaum.,  xl,  37. 

(4)  Dorfinavant,  ne  courant  plus  aucun  danger,  ils  ne  pouvaient  pas  refuser  de 
temoigner. 

(5)  Beaum.,  xl,  12.  C'^taient  des  pratioiens  ou  prud'hommes,  parfois  des 
auxUiaires  de  la  justice ,  sergents  ou  autres. 


92  LA  PROCEDURE   CRIMINELLB 

ment  qu'elles  devaient  presenter  leurs  causes  de  reproche,  si 
elles  en  avaient  k  fairs  valoir,  ou  tout  au  moins  faire  leurs  re- 
serves a  ce  sujet  (1).  Les  enqueteurs  redigeaient  les  depositions 
par  ecrit,  et  ces  ecritures  devenaient  la  principale  piece  du  pro- 
ces  :  d'ailleurs,  toutes  les  parties  en  avaient  communication, 
I'accUse  aussi  bien  que  I'accusateur ;  «  les  doit  I'auditeur  oui'r 
separement  et  tantfit  peuplier  (publier)  (2);  »  —  «  adonc  Ten 
jugera  selonc  le  dit  des  tesmoins  peuple  as  parties  (3).  »  L'ac- 
cuse  pouvait  produire  des  temoins  de  son  cote  et  le  jugement 
etait  rendu  en  audience  publique ,  apres  un  debat  ou  prenaient 
la  parole  les  parties  ou  leurs  avocats. 

On  le  voit ,  les  formes  de  la  procedure  accusatoire  et  celles  de 
la  poursuite  d'office  ou  sur  denonciation  tendaient  a  se  rappro- 
cher  et  meme  a  se  confondre.  Mais  ce  n'etait  encore  qu'une  ten- 
dance. Le  roi  n'avait  pas  pu  imposer  aux  seigneurs  justiciers  la 
procedure  qu'il  introduisait  dans  ses  domaines.  L'enquete,  etablie 
par  I'ordonnance  de  1260,  ne  pouvait  que  lentement  gagner  du 
terrain  et  faire  disparaitre  la  bataille ;  elle  ne  s'imposait  que  par 
ses  qualites  propres  (4).  Meme  sur  les  domaines  du  roi,  le  duel 
judiciaire  ne  disparut  pas  du  coup  et  pour  jamais.  En  1306  Phi- 
lippe le  Bel  I'admettait  de  nouveau  dans  toutes  les  accusations 
capitales ,  sauf  le  vol ,  quand  le  crime  avait  ete  commis  «  si  secre- 
tement  et  en  repos  que  seluy  qui  I'auroit  fait  ne  peust  estre  con- 
vaincus  par  tesmoins  (5) ;  »  mais  fatalement  c'etait  une  institution 
qui  se  mourait.  Dans  Bouteiller,  les  gages  de  bataille  apparaissent 
comme  quelque  chose  d'anormal  et  d'accidentel ;  Loysel  dira  : 
"  Maintenant  toutes  guerres  et  combats  sont  defendus ,  et  n'y  a 
que  le  roi  qui  en  puisse  ordonner  (6).  » 

(1)  Beaum.,  xl,  18,  28;  xxxix ,  27,  28. 
(2)£(a6.  S.Louis,  1,1. 

(3)  Ord.  de  1260,  art.  4.  —  On  prenait  les  plus  grandes  precautions  pour  que 
cette  Importante  pifece  Mt  fldfelement  rfidig^e  et  conserv6e.  Les  enquesteurs 
devaient  toe  «  au  moins  deux  personnes  loyaux  et  sufSsants,  »  et  toutes  les  fois 
que  l'enquete  se  fermait,  elle  devait  6tre  close, et  scell^e (Beaum.,  xl,  2,  27).  On 
trouve  Ik  d^ja  les  «  sacs  »  des  temps  postfirieurs. 

(4)  Etai.  S.  Louis,  I,  24 ;  Beaum.,  xxxix,  21 ;  lxi,  15,  16  : «  Quant  li  rois  Loisles 
osta  de  se  cort(les  gages),  il  ne  les  osta  pas  des  cours  k  ses  barons. » 

(5)  Ord.  I,  p.  435;  Isambert,  i,  p.  831.  Voy.  Stylus  Curies parlamenti ,  ch.  xvi. 

(6)  Inst.  Cout.,  VI,  1,  max.  30. 


DU  Xin°  AU  XVII"   SIECLE.  93 


III. 


Si  le  duel  judiciaire  se  maintenait  pendant  un  assez  long  temps, 
si  Philippe  le  Bel  le  retablissait  momentanement  dans  les  do- 
mainesde  lacouronne,  c'etait,  commele  dit  I'ordonnance  del306, 
parce  qu'il  etait  fort  difficile  de  produire  les  deux  temoins  ocu- 
laires,  que  la  vieille  coutume  exigeait  pour  la  condamnation.  Mais 
bientot  la  pratique  introduisait  un  nouveau  moyen  d'information 
energique  autant  qu'odieux ;  nous  voulons  parler  de  la  torture. 

Dans  une  procedure  purement  accusatoire  et  chez  un  peuple 
libre ,  la  torture  n'a  pas  de  place ;  I'accusateur  et  I'accuse  sont 
deux  adversaires  qui  combattent  au  grand  jour  et  a  armes  egales. 
Aussi  a  Rome,  tant  que  la  procedure  fut  strictement  accusatoire, 
la  question  ne  fut  jamais  employee  contre  un  homme  libre.  EUe 
jouait  cependant  un  grand  role  dans  les  proces  criminels;  mais 
c'etait  quand  il  fallait  faire  parler  un  esclave  accuse  ou  temoin.  • 
L'esclave ,  c'est  I'idee  de  toute  I'antiquite ,  ne  dit  la  v6rite  que 
sous  I'empire  de  la  douleur  (1).  Ge  fut  seulement  la  loi  Julia  Ma- 
jestatis  qui  decida  que  tons  les  accuses  sans  distinction  pourraient 
§tre  mis  a  la  torture,  quand  il  s'agirait  du  crime  de  lese-majeste. 
Bientot ,  la  procedure  criminelle  se  modifiant ,  et  le  principe  accu- 
satoire perdant  du  terrain ,  on  admit  que,  dans  les  accusations  ou 
poursuites  portant  sur  des  faits  graves ,  la  question  serait  em- 
ployee comme  mode  de  preuve  normal ,  lorsqu'il  existerait  deja 
contre  I'inculpe  de  graves  indices.  Mais ,  sauf  dans  les  proces  de 
lese-majeste,  les  honestiores ,  c'est-a-dire  les  personnes  apparte- 
nant  aux  classes  "superieures  de  la  societe,  a  partir  de  cells  des 
decurions,  echappaient  legalement  a  la  torture  (2). 

Pas  plus  que  la  vieille  procedure  romaine  le  systeme  d'accusa- 
tion  privee ,  qu'apportaient  av:ec  eux  les  barbares ,  ne  connaissait 
I'emploi  de  la  question.  Cependant  lorsque  furent  redigees  les 
Leges,  un  certain  nombre  d'entre  elles  firent  une  place  a  ce  terrible 

(1)  Voy.  Geib  :  GeschicMe  des  romischen  Crimirtalprozesses  bis  auf  Justinian, 
p.  348 ,  ssq ;  et  notre  6tude  sur  le  D41U  d'adultire  4  Rome.  Nouvelle  Revue  histo- 
rique,  1878,  p.  416,  ssq. 

(2)  Geib,  op.  cit.,  p.  61S,  ssq. 


94  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

moyen  d'instruction  :  ce  sont  la  loi  des  Bavarois  (1),  celle  des 
Burgondes  (2),  la  loi  des  Wisigoths  (3)  et  meme  la  loi  Sali- 
que  (4).  C'etait  la  certainement  un  emprunt  qu'elles  faisaient  aux 
.  institutions  romaines  (b) ;  mais  presque  toutes  n'admettaient  la 
question  que  quand  il  s'agissait,  d'uii  delit  impute  a  un  esclave , 
et  dans  cette  mesure  I'emprunt  se  comprenait.  Le  droit  germa- 
nique  donnait  a  la  partie  lesee  une  action  centre  le  maitre  de 
I'esclave  delinquant  (6),  seulemeiit  le  proprietaire  pouvait  ne  pas 
prendre  la  defense  du  servus  (7).  Ce  dernier  devait  alors  se  de- 
fendre  lui-m6me,  mais  on  ne  lui  reconnaissait  pas  les  memes 
droits  qu'aux  hommes  libres  :  il  ne  pouvait  se  purger  par  le  ser- 
ment  soutenu  des  cojuratores;  il  devait  subir  I'ordalie  du  feu 
ou  del'eau  bouillante  (8).  N'etait-il  pas  plus  stir  et  plus  simple, 
sans  etre  plus  cruel,  de  soumettre  alors  I'esclave  a  la  torture 
comme  le  faisaient  les  Remains?  Les  Leges,  que  nous  avons  ci- 
tees,  le  deciderent,  en  prenant  des  precautions  pour  que  le  maitre 
fut  indemnise  dans  le  cas  oii  I'esclave  torture  serait  innocent  (9). 
Ce  n'est  pas  seulement  I'esclave,  mais  aussi  le  colon  «  originariiis, 
colonus,  »  que  la  loi  des  Burgondes  soumet  a  la  question  (10) ;  et 

(1)  Merkel,  Text,  primus,  tit.  ix,  §  19.  Pertz,  Leges,  iii,  p.  306.  ("Walter, 
VIII,  18.) 

(2)  Tit.  VII,  XXXIX,  Lxxvii  (6dit  Bluhme).  Cf.  cvii,  3. 

(3)  L.  VI,  tit.  I,  II.  1-3. 

(4)  Tit.  XL.  (Merkel). 

(5)  Le  titre  xl  de  la  loi  Salique  ne  contlent  dans  aucun  manuscrit  de  gloses 
malberglques. 

(6)  Cf.  Wilda  :  Strafrecht  der  Germanen,  p.  650,  ssq. 

■  (7)  Ripuar.,  tit.  xxx  :  «  Si  servus  talis  non  fuerit,  unde  dominus  ejus  de 
fiduoia  securus  esse  possit,  dominus...  sine  tangano  loquatur  et  dicat :  ego  ignore 
utrum  servus  mens  culpabilis  an  innooens  de  hoc  extilerit.  »  (Walter,  I,  p.  171.) 

(8)  Ripuar.,  xxx,  §  1,  (al.  31) :  «Quod  si  servus  in  ignem  manum  miserit  et 
laesam  tulerit,  dominus  ejus.;,  de  furto  servi  culpabilis  judicetur.  »  —  Lex  Fri- 
sian., Ill,  6  :  «  Servus  autem  ad  judicium  Dei  in  aqua  ferventi  examinet.  »  (Wal- 
ter, I,  356.) 

(9)  La  loi  Salique  admet  que  I'esclave  peut  Mre  deux  fois  soumis  a  la  question, 
XL,  2  :  «  Si  confessus  non  fuerit,  ille  qui  eum  torquet,  si  adhuo  voluerit  ipsum 
servum  torquere  etiam  nolente  domino,  pignus  domino  servi  dare  debet,  sic  ser- 
vus postea  ad  suppliciis  majoribus  subditur.  »  Bajuv.,  viii,  c.  23,  §  1  :  «  Si 
quis  servum  alienum  injuste  accusaverit,  et  innocens  tormenta  pertulerit...  do- 
mino simile  mancipium  reddere  non  moretur.  »  Cf.  ibid.,  §§  2,  3.  Burg.,  vii, 
LXXVII.  Lex  Wisigoth.,  1.  YI,  tit.  i,  1.  3. 

(10)B«?'3.,tit.  VII. 


DU   XIII°  AU  XVII"   SIECLE.  95 

meme  elle  y  condamne,  dans  une  disposition  curieuse,  I'etranger, 
advena,  qui  -vient  chercher  refuge  chez  un  Burgonde;  il  est  vrai, 
et  le  teste  le  montre,  qu'on  soupgonne  fortement  cet  advena  d'etre 
un  esclave  fugitif  (1). 

La  loi  des  Wisigoths  va  plus  loin ;  plus  fortement  impregnee 
qu'aueune  autre  de  droit  romain,  ells  admet  la  torture  a  defaut 
d'aiitres  preuves,  mgme  lorsque  I'accuse  est  un  homme  libra. 
Son  systeme  d'aiUeurs  est  des  plus  singuliers.  Elle  I'organise  en 
vue  du  principe  accusatoire.  Si  I'accusateur  ne  peut  prouver 
autrement  son  accusation ,  il  devra  requerir  la  mise  a  la  question 
par  une  «  inscriptio  trium  testium  suhscriptione  roborata  (2) ;  » 
il  faudra  de  plus  qu'il  remette  sa  plainte  au  juge  secretement 
et  par  ecrit,  sans  cela  I'aveu  fait  dans  les  tourments  n'aurait 
point  de  valeur,  Tacctise  sachant  ce  qu'on  lui  reproche  (3).  L'ac- 
cuse  a'  d'aiUeurs  des  garanties ;  s'il  sort  vainqueur  de  I'epreuve , 
I'accusateur  est  a  sa  discretion  (4).  De  plus,  s'il  s'agit  d'un 
noble,  il  ne  pourra  etre  torture-  que  pour  les  crimes  les  plus 
graves,  «  in  caussis  regiae  potestatis,  vel  gentis,  aut  patriae, 
seu  homicidii  vel  adulterii ,  »  et  sur  I'accusation  d'une  personne 
du  meme  rang  que  lui.  L'homme  libre  d'un  rang  inferieur  peut 
aussi  etre  mis  a  la  question  pour  un  vol  ou  autre  delit ,  a  la 
condition  que  I'interet  en  jeu  depasse  la  somme  de  cinq  cents 
solides  (5).  S'il  s'agit  d'une  somme  inferieure,  le  juge  devra 

(1)  Burg.,  XXXIX ,  §  1  :  «.  Quicumque  hominem  extraneum  cujuslibet  nationis 
ad  se  venientem  susceperit,  discutiendumjudici  presentet,  ut  cujus  sit,  tormen- 
tis  adhibitis  fateatur.  » 

(2)  Lex  Wisigoth;  liv.  VI ,  tit.  i ,  1.  2  :  «  Quod  si  probare  non  potuerit...  trium 
testium  inscriptio  fiat,  et  sic  quasstionis  examen  incipiat.  »  (Walter,  1 ,  537.) 

(3)  Ibid.  :  «  Accusator  omnem  rei  ordinem  scriptis  exppnat,  et  judici  occulte 
prsesentata  sic  quasstionis  examinatio  fiat....  quod  si  accusator,  priusquam  occulte 
judici  notitiam  tradat ,  aut  per  se  aut  per  quemlibet  de  re  quam  accusat  per  or- 
dinem instruxerit  quem  accusat ,  non  liceat  judici  accusatum  subdere  qusstioni , 
cum  jam  per  accusatoris  indicium  detectum  constet  ac  pubHcatum  esse  negotium. « 

(4)  Ibid. :  «  Qui  subditur  quaestioni ,  si  innoxius  tormenta  pertulerit ,  accusator 
ei  confestim  serviturus  tradatur;  ut  salva  tantum  anima,  quod  in  eo  exercere 
voluerit,  vel  de  statu  jjjdicare  in  arbitrio  suo  consistat.  »  La  fin  du  texte  livre 
aussi  aux  parents  dg  I'accus^  I'accusateur  qui,  (c'est  lui  qui  dirige  la  question], 
aurait  fait  mourir  sa  victime  dans  les  tourments. 

(5)  Ibid. : « Inferiores  vero  humilioresqufi  ingenus  tamen  personse,  si  pro  furto, 
homicidio,  yel  quibuslibet  aliis  criminibus  fuerint  accusatae,  nee  ipsi  inscriptione 


96  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

soumettre  I'accuse  ei  I'epreuve  de  I'eau  bouillante ,  et  si  elle  ne 
fait  pas  eclater  soe  innocence,  il  pent  alors  le  torturer  (1).  On 
pourrait  peut-etre  trouver  aussi  dans  la  loi  des  Burgondes  une 
disposition  qui  soumet  a  la  question  des  hommes  libres ;  mais  il 
s'agit  d'un  teste  assez  obscur  (2). 

Lorsque  s'organisa  le  regime  feodal ,  dans  la  procedure  accu- 
satoire  et  publique  qui  amenait  rhomme  de  fief,  le  miles,  devant 
ses  pairs ,  il  n'y  avait  aucune  place  pour  la  torture ,  dont  I'usage, 
nous  venous  de  le  montrer,  n'avait  point  totalement  disparu 
avec  I'organisation  judiciaire  de  I'Empire  romain.  Mais  est-il 
bien  sfir  qu'elle  ne  fut  jamais  employee  lorsque  le  justicier  ou 
son  prevot  traduisaient  devant  eux  ces  serfs  et  ces  vilains ,  qui 
de  leur  jugement  ne  pouvaient  appeler  qu'a  Dieu?  Dans  Beau- 
manoir  (3),  dans  Pierre  de  Fontaines,  il  n'y  a  aucune  trace 
de  la  question.  Le  Livre  de  Jostice  et  de  Plet,  qui  suit  on  le  sait 
I'ordre  du  Digeste,  ne  reproduit  aucune  disposition  du  titre  de 
Quaestionibus ,  et  son  Livre  xx,  qui  correspond  au  Livre  XLVin 
du  Digeste ,  est  I'un  de  ceux  ou  I'auteur  inconnu  laisse  comple-j 
tement  de  cote  le  droit  romain  ,  qui  si  souvent  le  domine  ,  pour 
s'attacher  au  droit  coutumier  le  plus  pur  et  le  plus  archaique. 
En  revanche ,  les  Assises  de  la  Cour  des  Bourgeois  de  Jerusalem 
contiennent  deux  passages  ou  figure  la  torture ,  et  Ton  en  parle 
comme  d'une  institution  bien  connue.  Dans  I'un  d'eux ,  il  s'agit 
d'une  personne  morte  qu'un  particulier  a  enterree  chez  lui;  la 
rumeur  publique  revele  un  crime  :  «  Et  ce  horn  connut ,  par 

praemissa  subdendi  sunt  qaaestioni ,  nisi  major  fuerit  caussa  quam  quod  quingen- 
torum  soUdorum  summam  valere  constiterit.  » 

(1)  Ibii.  Loi  3  :  «  Quamvis  parva  sit  actio  rei  facta  ab  aliquo  criminis ,  eum 
per  examinationem  aquae  ferventis  a  judice  distringendum  ordinamus,  et  dum 
faoti  temeritas  patuerit,  judex  eum  quaestioni  subdere  non  dubitet.  » 

(2)  Tit.  Lxxxix  (Walter)  :  «  Gundebaldus  rex  Burgundionum  omnibus  comiti- 

bus praeceptionem  ad  vos  dedimus  ut  si  quos  caballorum  fures,  aut  effraoto- 

res  domuum,  tarn  criminosos  quam  suspectos  invenire  potueritis  statim  capere  et 

adnos  adducere  non  morentur Si  vera  criminosus  inventus  fuerit  poenam  vel 

iormenta  suscipiat  quae  meretur.  »  Cf.  6dit.  Bluhme,  tit.  cviii,  et  la  note.  (Pertz, 
Leges  iii,  577.) 

(3)  M.  Beugnot,  dans  le  Glonaire  dont  il  a  accompagnfi  son  Edition  de  Beau- 
manoir,  donne  le  mot  gehine  (torture),  sans  renvoyer  a  aucun  passage  du  livre, 
et  nous  n'avons  pu  trouver  aucun  endroit  od  il  en  fflt  parl6. 


DU  Xm"  AU  XVI1°   SIECLE.  97 

dit  de  gens ,  qu'il  aient  ocis ,  si  comande  la  raisoii  c'on  dee 
celui  desenterer  por  connoistre  comment  il  fu  mort.  Et  s'on  voit 
ou  connuth  que  celuy  mort  ait  este  estrangle  ou  ocis  par  force, 
la  cort  est  puis  tenue  de  ceaus  destraindre  par  abrevement  ou 
par  martire  qu'il  reconnoissent  la  verite  de  celuy.  maufait.  Et  c'il 
I'ont  mort  par  force,  que  il  connoissent  que  por  ce  que  il  ne 
regehist  (1),  la  raison  juge  que  tuit  qui  furent  a  maufaire  de- 
vent  estre  plantes  tons  en  dessous  terre,  la  teste  d'aval  et  les 
pies  contre  mont  sans  autre  mal  aver  (2).  »  Dans  I'autre  texte 
il  s'agit  d'un  homme  que  deux  chevaliers  afflrment  avoir  surpris 
en  flagrant  delit  de  meurtre ;  comme  les  deux  hommes  sont  des 
parents  de  la  victimo',  leur  temoignage  ne  suffit  pas  pour  en- 
trainer  la  condamnation,is'il  n'y  a  pas  aveu,  mais  il  suffit  pour 
faire  mettre  I'inculpe  a  la  question  par  I'eau ,  sans  qu'il  y  ait  lieu 
a  la  procedure  accusatoire.  «  Autant  deit  valer  la  garantie  des 
II  hommes  liges  com  de  II  jures  en  tel  fet,  et  ce  est  reson  de 
dreit  par  I'assise  por  ce  que  le  mort  ou  la  morte  n'aleigne  as 
homes  liges.  Car  c'il  li  ateigneit ,  la  raison  juge  que  celui  ne 
deit  estre  miq  pandus  por  tant,  ce  il  ne  le  reconnist.  Mais  bien 
juge  la  raison  que  celui  deit  estre  mis  a  gehine  (torture)  et  deit 
estre  tant  abreve  (abreuve)  qu'il  reconnoisse  la  verite;  et  si 
tost  com  il  avera  reconneu,  si  deit  estre  pandus.  Mais  ce  il  riens 
ne  reconneisset  por  detresse  c'on  li  aie  fet  por  III  jors  (3),  si 
deit  estre  puis  mis  en  prison  I  en  et  I  jor,  por  veir  se  dedans 
celuy  termine  il  en  vera  porter  nul  juice  (ordalie),  ou  ce  nul. 
venra  qui  le  veille  prover  de  celuy  murtre.  Et  ce  nul  vient  dedans 

(1)  n  y  a  ici  une  faute  ou  une  lacune  dans  le  texte;  I'edition  Kausler  donne 
-cette  note  :  «  Locas  lacuna  laborat.  » 

(2)  Ch.  285  (edit.  Beugnot ,  II,  p.  216).  Cf.  6dit.  Kausler,  cclviu  (p.  338-9).  — 
Le  texte  expose  d'abord  qu'il  s'agit  d'une  personne  qui  a  enterrS  un  homme  dans 
sa  maison  :  «  S'il  avient  que  uns  home  bu  une  feme  soutere  en  la  ville  I  home 
mort  ou  une  feme  en  sa  maison;  »  puis  apres  avoir  d6clar6  que  le  lieu  est  con- 
fisque  au  profit  de  I'Eglise ,  il  aioute  :  «  Et  est  encheus  celuy  le  cors  en  la  mercy 
de  Des  et  dou  seignor  de  la  terre,  come  .celuy  qui  a  fait  tel  desleiautes  con  ne  salt 
mie  trSs  bien  entendus  c'il  ossit  celuy  qu'il  ensevely,  ou  ce  il  mouruth  de  sa 
mort  :  et  non  por  tant  toutes  ores  deit  on  entendre  que  par  leur  male  faite  ont 
celuy  iqui  soutefes...  a 

(3)  II  est  a  remarquer  que  selon  la  loi  des  Wisigoths ,  la  question'  peut  aussi 
durer  trois  jours.  L.  VI,  tit.  i ,  1.  2  :  «  Per  triduum  quaestio  agitari  debet.  » 


98  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

V^n  et  le  jor,  ne  il  n'en  vost  traire  juice,  se  deit  hors  de  la 
prison  estre  trait ,  et  doit  estre  atant  quite  de  seluy  murtre , 
sans  mais  respondre  nient  a  seluy  qui  apeler  le  voisist ,  por  ce 
que  il  a  fait  ce  que  faire  dut  (1).  » 

Les  Ordonnances  constatent  et  reglementent  I'emploi  de  la 
torture  des  le  xiii"  siecle.  L'ordonnance  de  1254,  art.  21,  decide 
que  la  question  ne  sera  jamais  donnee  sur  le  dire  d'un  seul 
temoin,  quand  raccuse  est  horame  de  bonne  renommee  :  «  Per- 
sonas  autem  honestas  et  bonse  famae ,  etiam  si  sint  pauperes ,  ad 
dictum  testis  unici,  subdi  tormentis  seu  quaestionibus  inhibemus, 
ne  hoc  metu  vel  confiteri  factum  vel  suam  vexationem  redimere 
compellantur  (2).  »  En  1315,  les  nobles  de  Champagne  protestent 
centre  I'emploi  de  la  torture ,  et  le  roi  statue  sur  leurs  reclama-j 
tions  :  «  Art.  51.  Item  sur  ce  qu'ils  disoient  que  nos  sergenz  et 
nos  prevosts  aloient  en  lor  terres  ajorner  privees  personnes  et 
lor  homes  pardevant  euls,  et  les  mettoient  en  gehinne  centre 
leurs  coustumes  et  libertes.  —  Nous  voulons  et  ordonnons  que 
nos  dits  prevosts  et  sergens  cessent  du  tout  des  choses  dessus 
dites ,  en  la  maniere  qu'il  est  plus  pleinement  ordonjie  par  les 
anciennes  ordonnances  faites  sur  ce  (3).  »  Mais  ici  encore  toutes 
les  protestations  devaient  etre  vaines ,  la  question  etait  deja  d'un 
usage  general  au  xiv^  siecle. 

Quelles  causes  permirent  a  cette  odieuse  procedure  de  s'eta- 
blir?  Ce  fut  en  premier  lieu  la  necessite  d'une  energique  repres- 
sion des  crimes.  La  royaute  sut  satisfaire  a  ce  besoin,  aussi 
est-ce  devant  ses  juridictions  que  la  torture  apparait  d'abord  le 
plus  frequemment  (4).  L'influence  du  droit  remain  fut  surtout 

(1)  Edit.  Kausler,  oh.  cclix,  p.  314,  315. 

(2)  Ord.  I,  p.  72.  Get  article  est  un  de  ceux  qui  ne  se  trouvent  que  dans  le  texte 
latin  et  manquent  dans  le  texte  frangais. 

(3)  Ord.  I,  p.  375. 

(4)  Un  passage  de  Bouteiller  [Somme  rurale  1 ,  34 ,  p.  229),  montre  que  toutes 
les  juridictions  n'avaient  pas  le  droit  de  mettre  4  la  torture  :  «  ScacWs  que  si 
c'estoit  une  cour  oil  les  hommes  jugeassent  par  leur  usage  et  loy,  ils  ne  devroient 
juger  par  confession  de  questioli,  oartelsjugesn'ont  auctorit^  de  faire  ne  mettre 
k  question  aucun ,  ne.peuvent  juger  si  n'est  confess^  par  devant  eux  de  partie, 
sans  lieu  de  ferme  tourment  aucun,  ou  si  prouv6  n'est  de  tesmoins  duement. 
Et  ainsi  le  veut  I'usage  de  cour  subjeote.  » 


DU  Xin°  AU  XVII"   SIECLE.  99 

considerable.  Dans  les  pages  du  Digeste  et  du  Code ,  nos  juristes 
trouvaient  I'usage  de  la  torture  explique  par  les  grands  juriscon- 
sultes,  regie  par  les  constitutions  des  empereurs.  Sans  doute 
cette  haute  autorite  dut  faire  oublier  en  partie  I'odieux  caractere 
de  ce  mode  d'instruction ,  auquel  du  Teste  les  hommes  de  ces 
4ges  si  rudes  ne  devaient  pas  etre  fort  sensibles  (1).  Enfm  dans 
la  poursuite  d'office,  dans  Vaprise,  telle  que  nous  I'avons  decrite, 
la  question  comblait  une  lacune. 

L'aprise ,  nous  I'avons  dit ,  ne  pouvait  servir  de  fondement  a 
une  condamnation  capitale  qu'autant  qu'elle  contenait  des  temoi- 
gnages  si  nombreux  et  si  concluants  que  le  fait  pouvait  passer 
pour  notoire.  Sans  cela  il  fallait  I'aveu  du  prevenu.  Get  aveu , 
le  juge  devait  chercher  a  I'obtenir  par  tous  les  moyens,  et  saisir 
avec  empressement  la  methode,  cruelle  mais  efflcace ,  qui  s'offrait 
alui.  Cette  consideration  fut  decisive;  ce  qui  le  montre,  c'est  que 
lorsque  le  prisonnier  acceptait  I'enquete ,  on  ne  pouvait  le  mettre 
a  la  question ;  alors  en  effet  on  pouvait  sans  cela  arriver  a  une 
condamnation.  «  Pens  encore  scavoir,  dit  Bouteiller,  puisque 
le  prisonnier  s'est  mis  en  enqueste ,  jamais  ne  doit  estre  mis  en 
question  de  fait;  car  luy  feroit  grief  et  tort.  Car  question  ne  se 
doit  asseoir  (que)  quand  le  cas  est  tel  que  preuve  ne  s'y  peut 
asseoir  ne  trouver,  et  toutefois  est  le  cas  presomptueux  quand 
information  en  appert  (2).  »  Ce  rapport  entre  la  rigueur  des 

(1)  On  ne  se  dissimulait  point  d'ailleurs  ce  que  la  torture  avail  de  territile; 
void  a  cet  egard  un  curieux  passage  de  la  Tris-ancienne  coutume  de  Bretagne, 
ch.  97  :  «  S'il  nie  le  fait,  et  il  a  est6  pris  ou  fait  present,  ou  en  poursieute,  ou 
que  fait  aitestfi  notoirement  4  commun  de  paroisse  de  foire  ou  de  marchfi,  il 
conviendra  qu'il  attenge  I'enqueste  et  la  garentie  (preuve  par  t^moins)....  et  si 
Ten  ne  puet  trouver  planifere  prouve  et  Ton  trouve  commune  renommfie  centre 
luy  ou  pr^somptions  apertes,  il  devroit  avoir  jons  ou  gehenne  par  trois  fois.  Et 
s'il  se  peut  passer  sans  faire  confession  en  la  gehenne  ou  les  jons  il  se  sauveroit 
{et  il  apparestroit  Men  que  Dieu  montreroit  miracles  pour  luy),  et  devroit  estre  sauf 
du  fait  et  jugeroitl'en  qu'il  seroit  quitte  et  d^livrfi.  »  (Bourdot  de  Richebourg, 
IV,  1,  p.  214.)  —  Le  texte  parle  ici  de  la  gehenne  par  trois  fois,  comme  le  passage 
des  Assises  et  celui  de  la  loi  des  Wisigoths  cit6s  plus  haut. 

(2)  Somme  Twale,  I,  34,  p.  224.  La  mSme  regie  se  trouve  dans  la  Coutume  de 
Bragerac,  art.  17  (Bourdot  de  Bichebourg,  iv,  2,  p.  1015)  :  «  Item  si  burgensis 
sit  accusatus  de  capitali  crimine  non  manifesto ,  esto  quod  informatio  adprelien- 
dat  ilium  aut  vehemens  suspicio ,  dum  tamen  dictum  crimen  non  sit  notorium  vel 
manifestum,  et  velit  se  siipponere  inquests  de  dicto  crimine,  in  isto  casu  non  erit 
qucBstionandm. » 


100  LA.  PROCEDURE   CRIMINELLE 

preuves  et  remplofde  la  question  sera  un  cercle  vicieux ,  dans 
lequel  tournera  jusqu'a  son  dernier  jour  notre  ancienne  proce- 
dure criminelle. 


IV. 

Au  XIV'  siecle ,  la  poursuite  d'office  est  deja  presque  armee  de 
toutes  pieces ;  alors  apparait  son  principal  organe ,  le  ministere 
public. 

Les  procureurs  du  roi  et  les  procureurs  fiscaux  des  seigneurs 
ne  furent  a  I'origine  que  des  hommes  d'affaires.  La  procedure 
feodale  etait  orale  et  formaliste ,  nous  le  savons ,  et ,  comme  une 
autre  procedure  formaliste,  celle  des  Legis  actiones,  elle  n'ad- 
mettait  pas  en  principe  la  representation  en  justice.  Au  xiu° 
siecle  encore ,  pas  plus  au  civil  qu'au  criminel ,  on  ne  pouvait  se 
faire  representer  en  demandant  (1).  Exceptionnellement  le  roi 
et  les  seigneurs  souverains  pouvaient  demander  par  procureur; 
telle  est  I'origine  et  tel  est  le  sens  primitif  de  la  maxime  :  «  Nul 
ne  plaide  en  France  par  procureur  hors  le  roi.  »  Le  roi  et  les 
seigneurs  eurent  done  des  procureurs  en  titre  pour  faire  valoir 
leurs  droits  soit  devant  les  juridictions  etrangeres,  soit  meme 
devant  leurs  propres  juridictions.  C'etaient  des  avocats,  des 
praticie'ns  auxquels  ils  donnaient  leur  confiance,  et  qui  ne  se 
distinguaient  d'abord  de  leurs  confreres  qu'en  ce  qu'ils  avaient 
de  plus  illustres  clients.  Mais  il  etait  fatal  que  ces  procureurs 
du  roi  et  des  seigneurs  devinssent  de  veritables  fonctionnaires, 
et  c'est  en  efiFet  ce  qui  se  produisit. 

A  c6te  de  leurs  procureurs,  le  roi  et  les  seigneurs  avaient 
aussi  des  avocats ,  qui  resterent  longtemps  de  simples  avocats , 
avant  d'etre  pourvus  d'un  office  veritable  :  «  Scachez  que  I'ad- 
vocat  d'office  doit  estre  le  premier  en  la  cour  du  seigneur  qu'il 
represente;  si  comme  I'avocat  du  roy  es  cours  royaux.  Et  puis- 
que  advocat  d'office  a  este  pour  aucun  seigneur,  scachez  que 
jamais  ne  peut  estre  contre  iceluy  seigneur  en  cas  de  advoca- 
eerie ;  suppose  encores  qu'il  n'eust  aucuns  gages  eus  ou  pension 

(1)  Beaum.,  iv,  2. 


Du  xm°  Au  xvn°  siecle.  101 

dudit  seigneur.  Et  toutesfoys  veut  bien  la  loi  que  I'advocat 
d'office,  par  le  gre  et  licence  de  son  seigneur,  puisque  ce  ne 
seroit  centre  le  seigneur  ne  centre  la  cause  que  pour  le  sei- 
gneur eust  soustenue  autrefoys ,  puisse  etre  au  conseil  d'aucun 
seigneur  (1).  » 

Un  des  emplois  les  plus  importants  du  procureur  du  roi  ou 
fiscal  fut  de  surveiller  la  poursuite  des  delits  :  les  amendes  et 
confiscations ,  suites  des  condamnations  penales ,  etaient  I'une 
des  principales  sources  de  revenus  des  rois  et  des  seigneurs.  Le 
nom  de  procureurs  fiscaux  qui  resta  aux  procureurs  des  justices 
seigneuriales,  demeure  comme  un  souvenir  de  cette  idee.  Bientfit 
a  ce  premier  interet  s'en  joignit  un  autre  d'un  ordre  plus  eleve. 
Le  justicier  doit  a  tons  la  justice  et  est  directement  interesse  a 
la  poursuite  des  crimes ;  son  procureur  doit  done  autant  que 
possible  assurer  la  repression.  Sans  doute  le  procureur  ne  pou- 
vait  point  se  porter  accusateur  comme  un  particulier  lese ,  mais 
il  pouvait  provoquer  le  juge  a  se  saisir  d'office.  Voila  un  apergu 
general  sur  I'origine  et  les  fonctions  premieres  des  procureurs 
du  roi ;  il  faut  maintenant  descendre  plus  avant  dans  les  details ; 
et  ici  ce  sont  surtout  les  Ordonnances  qui  peuvent  nous  fournir 
des  renseignements. 

Les  procureurs  du  roi  n'apparaissent  dans  aucun  des  Coutu- 
miers  du  xin°  siecle;  mais  des  1302  Philippe  le  Bel  reglemente 
leurs  fonctions ,  en  des  termes  qui  portent  a  croire  que  I'institu- 
tion  existait  deja  depuis  assez  longtemps.  Le  roi  veut  en  particu- 

(1)  Somme  rwdle,  II,  2,  p.  673.  Loysel  :  Pasquier.  «  II  n'y  avoit  point  encores 
(1380)  d'office  d'advocat  du  roy,  mais  on  prenoit  pour  la  defense  et  remontrance 
des  droiots  et  causes  da  roy  I'un  des  advocats  gfinSraux  de  la  Cour,  selonquel'oc- 
casion  s'en  presentoit,  ainsi  que  nous  voyons  aux  registres  da  Parlement  au  18 
fevrier  1411,  oil  il  est  parl6  d'un  M.  Jean  Perier,  chanoine  de  Chartres ,  qui  parla 
comme  advocat  du  roy,  et  dans  les  arrests  et  questions  de  M.  Jean  le  Coq  dit 
Gaily,  lequel  vivoit  beaucoup  plus  bas ,  scavoir  est  du  temps  du  roi  Cliarles  VI, 
ou  lay  et  plusieurs  autres  advocats  sont  employes  a  plaider  pour  le  procureur 

general,  lesquels  ne  laissolent  de  plaider  pour  les  parties Ce  qui  nous  ap- 

prend  deux  choses ,  I'une  que  I'estat  d'advocat  du  Roy  en  tiltre  est  moderne ,  en 
ce  que  les  advocats  du  commun  plaidoient  pour  le  procureur  gtofiral ,  Taultre 
que  les  advocats  da  roy  plaidoient  et  consultoient  aussi  pour  les  parties,  lorsque 
le  roy  n'y  avoit  point  d'int^rfit ;  et  cela  s'est  confirm^  jusques  au  temps  du  roy 
Louis  XII  pour  le  regard  de  la  plaidoirie,  et  jusques  k  oeluy  du  roy  Francois  I'^^ 
pour  le  regard  des  consultations.  »  (Edit.  Dupin,  p.  23-24.) 


102  LA.  PROCEDURE   CRIMINELLE 

lier  qu'ils  pretent  un  serment" general,  comme  fonctionnaires 
royaux,  et  que  quand  ils  agiront  en  son  nom,  ils  pretent  le 
serment  de  calwmnia  comme  les  autres  parties  (1),  il  leur  defend 
de  s'occuper  des  causes  d'autrui,  si  ce  n'est  dans  certains  cas.' 
On  reconnait  bien  la  les  hommes  du  roi.  Una  reaction  se  pro- 
duisit  cependant.  En  1318,  les  procureurs  du  roi  sont  momenta- 
nement  supprimes  dans  les  pays  coutumiers  et  les  fonctions 
qu'ils  remplissaient  reviennent  aux  baillis  (2).  On  peut  supposer 
que  la  cause  de  cette  suppression  fut  I'opposition  des  pays  cou- 
tumiers a  la  nouvelle  procedure  criminelle,  ou  les  procureurs 
jouaient  deja  un  r61e  important.  C'est  ainsi  qu'en  1347  nous 
voyons  la  ville  de  Lyon  demander  qu'on  la  debarrasse  du  pro- 
cureur  da  roi  pour  un  pareil  motif  (3). 

Mais  c'etaient  la  de  vaines  resistances.  Dans  tout  le  cours  du 
xiY"  siecle,  nous  allons  voir  les  procureurs  du  roi  agissant  comme 
une  puissance  reconnue.  Le  Registre  criminel  de  la  justice  de 
Saint-Martin  des  Champs ,  publie  par  M.  Tanon,  qui  va  de  1332 
a  1357,  mentionne  plusieurs  fois  le  «  procureur  du  Roy  nostre 
sire  (4);  »  et  Jean  Desmares  lui  attribue  un  rdle  tres-bien  de- 
fini  (5).  Quant  aux  procureurs  des  seigneurs  ,  leur  existence  ne 

(1)  Ord.  I,  p.  368  :  «  Art.  15.  Volamus  insuper  quod  ipsi  procuratores  nostri 
jurent  secundum  formam  infri  scriptam.  —  Art.  20.  Caeterum  volumus  quod  procu- 
ratores nostri,  in  causis  quas  nostro  nomine  ducent,  contra  quascumque  personas 
jurent  de  calumnia  sicut  predicte  persone.  Et  sicontingat  ipsos  facere  (substitos) 
substitutis  satisfaciant  et  non  partes  adversae,  immo  procuratores  nostri  de  causis 
alienis  se  intromittere  aut  litteras  impetrare  non  praesumant,  nisi  pro  personis 
conjunctis  ipsos  contingeret  facere  praedicta.  »  Dfes  lors,  on  le  voit,  les  procu- 
reurs sont  les  agents  du  roi  exclusivement.  Cf.  Ord.  1303,  art.  18  (Ord.  I,  p.  399). 

(2)  Ord.  de  1310,  art.  29  :  "  Tous  procureurs  seront  ostes  excepts  ceux  qui 
sont  es  liex  es  quiex  on  use  de  droit  escrit.  »  (Ord.  I,  p.  657.) 

(3)  Ord.  1347,  art.  2  :  c;  Item  super  procuratore  regio  quern  petunt  removeri 
a  civitate  Lugdunensi  cives  praedicti ,  ordinamus  sen  proridemus  quod  dispositio 
istius  remotionis  promittitur  ad  regem.  Interim  tamen  in  civitate  Lugdunensi  • 
dictus  procurator  nuUas  inquestas  promovebit ,  nisi  illas  quae  sibi  mandatae  fuerint 
a  seneschaUo  promoveri  extri  civitatem  Lugdunensem  nee  aliquas  causas  in  dicta 
civitate  nomine  regis  agitabit  nisi  primorum  hereditates  regis  contingant. » (Ord.  II, 
p.  2S8.) 

(4)  9  dScembre  1337  (p.  107);  —  1"  juillet  1339  (p.  153).  —  7  decembre  1340 
(p.  153) ;  —  4  septembre  1343  (p.  198).  Dans  tous  ces  cas,  il  s'agit  de  difficultes 
quant  a  la  competence  qui  s'felevent  entre  le  juge  royal  et  la  justice  de  Saint-Martin. 

(5)  Decisions  89  et  150. 


DU   XIII°  AU  XVII°   SIECLE.  103 

pouvait  soulever  aucune  difficulte.   Celui  de  Saint-Martin  des 
Champs  apparail  assez  frequemment  dans  le  Registre  criminel. 

Comment  les  procureurs  s'introduisirent-ils  dans  la  procedure 
crimjnelle?  Ce  n'est  point  en  se  presentant  comme  accusateurs 
directs,  en  formant  partie;  blen  qu'on  trouve  quelques  traces 
d'une  semblable  conception  (1),  cela  devait  paraitre  trop  con- 
traire  aux  vieux  principes ,  qui  exigeaient  chez  une  personne  un 
interet  direct  pour  qu'elle  put  accuser.  C'est  dans  I'enquete  d'of- 
fice  qu'ils  s'insinuerent ;  ils  se  glisserent  par  une  ouverture  que 
leur  menageait  la  procedure  per  inquisitionem  du  droit  canoni- 
que.  Selon  le  droit  canon,  nous  I'avons  vu,  le  juge  pent  etre 
excite  par  un  denonciateur  a  user  de  son  pouvoir,  et  le  denon- 
ciateur  peut  rester  partie  au  proces,  administrant  ses  temoins 
et  fournissant  ses  preuves ;  cela  s'appelle  promovere  ou  prosequi 
inquisitionem.  Tel  est  le  rfile  que  va  jouer  le  procureur  :  il  est  le 
denonciateur  de  tous  les  crimes,  et  intervient  dans  toutes  les 
poursuites ,  soit  qu'il  se  presente  seul ,  soit  qu'il  se  joigne  a  un 
particulier  (2).  Sa  fonction,  d'apres  I'ordonnance  de  1347  plus 
haut  citee ,  c'est  de  promovere  inquestas  fieri.  Aux  yeux  des  con-' 
temporains ,  c'est  le  juge  qui  autorise  le  procureur  du  roi  a  agir, 
non  ce  dernier  qui  met  le  juge  en  mouvement  (3)  :  «  Ordonnance 
de  1350,  art.  15,  Item,  que  aucuns  ne  soit  aprochiez  d'office,  sans 
information  souffisant,  et  faite  du  commandement  de  justice  par 
personne  non  suspecte.  Et  avant  que  le  procureur  commence  sa 
poufsuite  ne  qu'il  se  adjoigne  a  partie,  ladite  information  soit 
veue  et  conseillee  par  le  Baillif  ou  autre  souffisant  personne 
de  son  commandement  (4).  »  Dans  le  Registre  criminel  de  Saint- 

(1)  Jean  Desmares  ,  89  :  «  Le  procureur  du  roi  en  accusation  criminelle  ou  (au) 
bailliage  dont  il  est  procureur,  n'est  tenu  de  soy  inscrire  a  peine  de  talion,  secus 
de  aliis.  » 

(2)  Biener  :  Beitriige,  p.  200-201.  L'Eglise  eut  aussi  ses  promoteurs  d'office; 
mais  ils  furent  crees  plus  tard  et  M'imitation  des  procureurs  des  juridictions  lai- 
ques.  Voy.  M.  Fournier  :  Les  officialiUs  au  MoyenrAge. 

(3)  Ordonnance  de  1338  :  art.  7  :  «  StatuimUs  etiam  prohibentes  ne  quis  pro- 
curator regius  partialiter  se  admergetur  in  causa  quacumque  nisi  prius  a  judice , 
coram  quo  lis  pendebit,  in  judicio,  partibus  praesentibus  et  auditis,  mandatum  ex- 
pressum.  »  (Ord.  II,  p.  124.) 

(4)  Ordonnance  contenant  plusieurs  riglements  en  faveur  des  seigneurs  et  habi- 
tants de  Normandie,  a  cause  d'une  imposition  accordie  au  roi.  (Ord.  II,  p.  407.) 


104  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

Martin,  le  procureur  d'office  parait  plusieurs  fois,  pour  jouer 
le  role  que  nous  venons  de  retracer  (1). 

Mais  plus  on  allait ,  plus  I'abtion  du  procureur  du  roi  prenait 
d'importance.  Nous  avons  i  cet  egard  cite  plus  haut  un  curieux 
passage  de  Jean  Desmares ,  voici  une  autre  de  ses  decisions  : 
«  Item  quand  aucun  haut  justicier  a  heue  la  prevention  et  la 
premiere  connoissance  par  devant  luiz ,  est  le  plait  entame  par 

litiscontestation  contre  aucun  de  ses  justiciables  sur  delits 

se  il  n'y  ha  eu  sauvegarde  ou  defences  enfraihtes  ne  autre 
chose  qui  puist  doner  la  connoissance  d'icelle  cause  a  autre 
juge  :  en  ce  cas  il  convient  que  le  demandeut  poursuive  son 
proces  et  sa  clameur  pardevant  iceluy  juge  en  la  cour  duquel 
commence  I'a ,  nonobstant  que  le  demandeur,  avec  lui  adjoint  le 
procureur  du  roy  requierent  la  cause  estre  renvoyee  devant  le 
souverain.  »  —  «  Quand  il  advient,  dit  Bouteiller,  qu'aucuns 
perpetrent  un  delit,  dont  nul  ne  se  fait  partie  que  le  procureur 
du  roy  par  information  precedents ,  car  autrement  n'en  est  au- 
cun attrait  en  cour  par  adjournement  a  la  requeste  du  pro^ 
cureur  du  ro^,  ce  fait  aucunes  fois  I'adjourne  se  veut  decli- 
ner,  disant  qu'il  veut  estre  traicte  et  juge  par  hommes  ou  par 

plainte  ou  par  commission  precedente le  procureur  du  roy 

doit  dire  au  contraire  et  que  le  Baillif  le  doit  juger  et  conoistfe 
du  cas ,  puisque  autre  partie  rCa  que  le  roy  et  que  c'est  par 
information  prec§dente.  Tout  veu  il  fut  diet  par  arrest  de  Par- 
lement  en  Fan  1377  que  le  baillif  par  lui  seul  et  par  tel  conseil 
que  bon  luy  sembloit  en  pouvoit  et  devoit  cognoistre,  puisque 


(1)  P.  74  {18  octobre  1336).  «  Lesdits  deffauls  aveques  la  poursuite  dudit  mef- 
fait  ont  est6  poursuivis  tant  par  nostre  promoteur  et  procureur,  comme  4  la  d^- 
nonciation  et  claim  fait  a  nous  maire  de  Saint-Martin  par  ledit  August.  »  — 
P.  69  :  «  Jehannette  la  merciere  rendue  par  le  lieutenant  du  pr6T6t  et  le  procu- 
reur du  roy  qui  Jla  tenoient  prisonniere.  »  —  P.  187-188  (30  septembre  1842),  un 
accus6  est  absous  «  par  proces  fait  entre  le  procureur  de  I'Eglise  et  ledit  Jehan. » 
—  Cf.  p.  223-224.  Un  accord  intervient  sur  une  question  de  competence  «  entrs 
Mestre  Pierre  Martin,  clerc  et  procureur  de  I'Eglise  Saint-Martin  des  Champs  de 
Paris  d'une  part,  et  Jehan  de  la  Bretesche,  baillif  de  Saint-Dfcais,  d'autre  part.  t> 
M.  Tanon  fait  observer  trfes-judicieusement  qu'il  ne  parait  pas  que  le  procureur  du 
roi  rempltt  d6ja,  k  I'epoque  oil  se  place  notre  registre,  « le  rflle  nficessaire  qui  ltd 
appartient  par  la  suite,  comme  i,  tous  les  procureurs  fiscaux,  dans  la  poursuite 
detoutes  les  affaires  crimineUes.  »  {Pr6f.,  p.  lvii.) 


DU  XIII°  AU  XVII"   SIECLE.  lOS 

ce  ne  touchoit  que  le  roy  et  qu'informacion  precedente  il  y 
avoit  (1).  »  Plus  tard,  nous  verrons  s'etablir  la  maxime  que  le 
procureur  du  roi  ou  fiscal  est  un  veritable  accusateur,  et  que  lui 
seul  a  droit  i  ce  titre;  mais  de  I'idee  premiere  il  restera  tou- 
jours  quelque  chose;  jusqu'au  bout,le  juge  pourra  se  saisir 
lui-meme  de  la  connaissance  du  delit. 

Dans  le  Registre  criminel  du  Chdtelet  de  Paris,  qui  va  du 
6  septembre  1389  au  18  mai  1392  (2),  figure  constamment  le 
procureur  du  roy  Andrieu  ou  Andry  le  Preux ;  on  troure  aussi 
mentionnes  le  procureur  general  du  roi  au  Parlement  (3),  I'avo- 
cat  du  roi  (4).  La  plupart  du  temps,  Andry  le  Preux  est  seu- 
lement  indique  comme  figurant  parmi  les  preudlioitimes ,  qui 
composent  le  conseil  du  prevot  ou  de  son  lieutenant,  mais  de 
temps  a  autre,  apparait  une  phrase  qui  precise  le  r61e  de  la  partie 
publique.  Un  jugement  du  6  novembre  1391  donne  une  infor- 
mation faite  «  du  commandement  de  honorable  homme  et  saige 
maistre  Jehan  Truquan  ,  lieutenant  de  mons.  le  prevost  de 
Paris ,  a  la  requeste  du  procureur  du  roy  notre  sire  oudit 
Chatelet  contre  Jehannin  Pelart....,  laquelle  informacion  ledit 
prisonnier  a  voulu  valoir  enqueste  (5).  »  Les  conclusions  de 
I'accuse  et  celles  du  procureur  du  roi  sont  plusieurs  fois  rap- 
portees  :  «  Jehan  Pelart ,  prisonnier,  cy  dessus  nomme  et  aussi 
ledit  procureur  du  roy  vouldrent  prendre  droit  par  I'enqueste 
cy-dessus  faite  et  escripte  (6).  »  «  Fut  veu  et  leu,  mot  apres 
autre,  I'enqueste  et  proces  cy-dessous  escript,  par  lequel  lesdiz 
procureur  du  roy  (et)  prisonnier  avoient  et  ont  voulu  prendre 
droit  (7).  »  Enfin  nous  trouvons  rapportes  plusieurs  requisi- 

(1)  Somme  rurale,  II,  1  (p.  653);  cf.  ibid.,  I,  34  (p.  221)  :  «  Par  qui,  oil  et  com- 
ment on  se  peat  former  partie  en  dSnongant,  soit  en  partie  formant,  soit  a  cause 
d'office  k  la  requeste  du  procureur  d'office  ou  par  le  droit  office  du  juge.  » 

(2)  Begistre  criminel  du  Chdtelet  de  Paris...  publie  pour  la  premiere  fois  par  la 
Soci6t6  des  bibliophiles  franfais.  —  2  vol.  Paris,  1861. 

(3)1,301. 

(4)  I,  36,  74,  268,  373;  II,  p.  6  :  «  Le  procureur  du  Roinostre  Sire  a  Char- 
tres.  »  On  trouve  aussi  plusieurs  fois  mentionnes  les  promoteurs  ou  promoteurs 
d'office  de  I'official.  1 ,  84,  246,  255. 

(5)11,  p.  352,  4. 

(6)11,  356. 

(7)16janv.  1390-91 ,  II ,  p.  26. 


106  LA  PEOCEDURE   CRIMINELLE 

toires  oraux  du  procureur  du  roi  ou  fiscal  (1);  un  passage,  qui 
contient  une  formule  ecourtee  ,  semble ,  en  cas  d'elargissementj 
reconnaitre  a  la  partie  publique  le  droit  qu'elle  aura  incontes- 
tablement  plus  tard,  grace  au  plus  amplement  informe  (2). 

En  meme  temps  que  se  precise  le  role  du  ministere  public, 
les  regies  de  la  poursuiie  d'office  se  flxent.  et  sent  enregistrees 
dans  les  Ordonnances  des  rois.  Cette  procedure  comprend  neces- 
sairement  deux  parties ,  comme  Yinquisitio  du  droit  canonique, 
rinformation  et  I'enquete.  L'information  doit  d'abord  etre  faite 
par  le  juge  ou  son  delegue  (3);  nul  ne  pent  etre  poursuivi 
d'office  "  sinon  information  secrete  precedant  centre  ladite  per- 
sonne  et  ycelle  premierement  faite  et  conseillee  (4).  »  Le  juge 
doit  deliberer  sur  cette  information  avec  son  conseil,  et  s'il 
trouve  qu'elle  contient  des  charges  suffisantes,  alors  commence 
le  veritable  proces  contradictoire.  On  n'a  pas  toujours  bien 
nettement  separe,  en  fixant  leurs  traits  essentiels,  ces  deux 
parties  de  la  procedure  (5).  Cependant  certains  textes  ne  laissent 
rien  a  desirer,  comme  precision ;  nous  nous  contenterons  de 
citer  deux  chapitres  de  la  Coutume  de  la  Ville  et  Septene  de  Bour- 


(1)  24  mars  1391-92  «  fu  attaint  des  prisons  dudit  Chatelet,  et  ameni  par  devant 
les  dessus  diz,  Gerart  de  Sanseurre...  lequel  iceluy  procureur  disoit  et  mainte- 
noit  estre  liomme  oyseux,  vacabond,  sanz  estat,  service  de  Seigneur,  etc.  (II, 
456).  »  —  2  septembre  1390  (II,  p.  2) :  «  Jehannin  le  Fournier...  fu  attaint  des  pri- 
sons de  mons.  le  due  a  Tours...  et  fut  amen^  en  jugement  en  plain  auditoire...  et 
illec  fut,  par  le  procureur  de  mondit  seigneur  le  due...  accuse  de  estre  de  la  con- 
dicion  et  aliance  des  empoisonneurs  qui  alloient  par  pays.  » 

(2)  25  aollt  1390  (I,  443)  :  «  Descoulpa  du  tout  frere  Pierre  le  Brun  et  le  prieur 
des  Jacobins ,  qui  estoient  prisonniers ,  pource  que  accusez  les  avoit  a  Chasteau- 
dun ,  etc.  Et  par  ce ,  eu  sur  ce  conseil  aus  dessus  diz  et  autres  ,  lesdiz  prieur  et 
frfere  Pierre  ont  est6  d^livres  desdites  prisons ,  etc.  Quant  ad  present ,  etc.  Re- 
serve au  procureur  du  Roy,  etc. » 

(3)  Parfois  le  procureur  du  roi  proc^dait  Iui-m6me  k  l'information ,  non  par  or- 
dre  du  juge ,  mais  en  vertu  d'une  commission  contenue  dans  des  lettres  royaujc. 
Voy.  Ord.  de  1344,  art.  7  (Ord.  II,  p.  215). 

(41  Ordonn.  de  1363  (Ord.  II,  p.  664-665) ;  Ord.  de  1350  (Ord.  11,  p.  400). 

(5)  Voy.  une  note  de  De  Laurifere  (Ordonn.  Ill,  p.  159)  :  «  La  diffirenoe  que 
Ton  doit  mettre  ici  entre  l'information  et  I'enqufite ,  c'est  que  la  premiere  doit 
6tre  faite  d'office  par  le  juge,  avant  que  Ton  fasse  aucune  procedure  centre  celuy 
qui  est  def6r6  comme  criminel  a  la  justice ;  sur  le  vu  de  cette  information  le  juge 
doit  decider  s'il  y  a  eu  lieu  de  lui  faire  son  proofs  ou  non.  Si  on  lui  fait  son 
proofs,  le  juge  alors  ordonne  que  Ton  fera  une  enqueste.  » 


Du  xm'  Au  xvn°  siecle.  107 

ges.  «  Ch.  xxxix.  Comment  on  doit  procdder  contre  aulcun  qui 
est  accuse  de  cas  criminel.  —  L'on  doit  proceder  contre  aulcun 
qui  est  accuse  ou  par  accusation  ou  par  denonciation  sur  cas 
criminel,  ou  sur  aucun  grant  cas  civil  dont  le  roy  peut  avoir 
grant  joissement ,  comme  de  meffais  faits  et  arrives,  de  villenies 
et  injures  faites  a  personnes  privilegiees  et  aux  bourgeois  du 
roy  (en)  sa  main ,  de  villenies  faictes  a  sergent ,  ou  de  aultre 
grans  cas  qui  desirent  hastive  vengeance.  Premierement  faire 
information  secrette  par  gens  dignes  de  foy,  sans  soupegon,  et 
se  par  informacion  est  trouve  I'accuse  estre  coulpable.  Ten 
peut  prendre  son  corps  et  ses  biens,  et  descendre  en  enqueste, 
luy  appele,  et  par  I'enqueste  faire  droict,  et  toutes  voyes  est 
entendu  la  prise  du  corps ,  si  le  cas  le  requiert.  —  Ch.  xli  : 
quelle  differance  il  y  a  entre  information  et  enqueste.  L'en  fait 
dififerance  entre  information  et  enqueste,  et  raison  est,  car  par 
information  l'en  ne  condempne  pas,  et  par  enqueste  faicte 
justement,  partie  appelee  a  la  reception  des  tesmoings  et  a  la 
voir  juger  et  publier,  l'en  absoult  et  condampne  :  et  est  bien  de 
raison  que  le  deffendeur  ait  premierement  respondu  aux  articles 
par  son  serment.  »  II  est  impossible  de  parler  plus  nettement. 
On  voit  que  I'enqueste  exigeait  une  nouvelle  comparution  des 
temoins  entendus  dans  I'information ,  sinon  pour  qu'ils  renou- 
velassent  leur  deposition  devant  I'accuse ,  au  moins  pour  qu'ils 
pretassent  serment  devant  lui;  mais  cette  comparution  nouvelle 
pouvait  etre  evitee ,  si  I'accuse  y  renongait ;  on  disait  alors  qu'ij 
consentait  a  ce  que  «  I'information  valut  enqueste ;  »  c'est  une 
formule  qui  se  trouve  plus  d'une  fois  dans  nos  Registres  criminels 
du  xiv°  siecle  (1). 

Au  poiat  ou  nous  sommes  arrives,  tous  les  traits  importants 
de  la  procedure  inquisitoire  sont  deja  fixes;  avant  d'aller  plus 
loin ,  il  nous  parait  utile  de  donner  un  tableau  d'ensemble  de  la 
procedure  crimineUe  telle  que  la  connurent  et  la  pratiquerent  les 
xiv°  et  xv°  siecles.  Nous  aurons  ici  des  guides  surs ;  d'un  cdte 
I'ouvrage  de  Bouteiller,  dont  le  succes,  on  le  sait,  fut  immense; 


(1)  Registre  criminel  du  Chdtelet,  II,  354.  Registre  criminel  de  Saint-Martin  des 
Champs,  pp.  57,  83. 


108  LA  PROCEDURE    CRIMINELLE 

d'aulre  part  le  Begistre  criminel  de  Saint-Martin  des  Champs, 
qui  nous  montre  un  tribunal  criminel  en  action  dans  la  premiere 
moitie  du  xiv°  siecle ,  et  le  Registre  criminel  du  Chdtelet  de  Paris 
qui  va  du  6  septembre  1388  au  18  mai  1392. 


V. 

Selon  Bouteiller,  qui  vise  a  une  exposition  systematique ,  le 
juge  criminel  pent  6tre  saisi  de  quatre  manieres  :  «  par  de- 
nonciation,  par  present  meffaict,  par  accusation  de  partie  for- 
mee,  et  par  publique  renommee  dont  enqueste  et  information 
precedente  est  faicte  (1).  »  Nous  allons  reprendre  avec  lui  ces 
quatre  modes,  en  intervertissant  quelque  peu  I'ordre  qu'il  a 
choisi. 

L'accusation  de  partie  formee  c'est  I'ancienne  procedure  accu- 
satoire.  «  Par  partie  formee  pent  et  doibt  tout  juge ,  qui  de  cas 
de  crime  pent  et  doibt  connaitre ,  recevoir  tout  homme  recevable 
en  cour  a  faire  partie  contre  I'accuse  et  prendre  et  retenir  la 
cause  par  prison  fermee  (2).  »  C'est  toujours  la  lutte  egale  entre 
les  deux  adversaires ;  I'accusateur  comme  I'accuse  doit  tenir  pri- 
son. D'apres  une  regie  empruntee  au  droit  remain,  I'accusateur 
qui  succombait  devait  subir  la  peine  qu'il  avait  demandee  :  «  En 
plusieurs  lieux  et  le  selon  le  droict  escrit  dangereuse  chose  est 
de  luy  faire  et  former  partie"  contre  aucun  criminellement.  Car 
qui  en  dechet  il  encourt  selon  le  droict  escrit  en  toute  autelle 
peine  qu'il  est  content  avoir  et  porter  celui  qu'il  poursuit ,  que 
les  clercs  appellent  peine  de  talion  (3).  »  Mais  cette  regie  fort 
dure  etait  mal  observee ,  on  accordait  remise  de  la  peine  a  I'ac- 
cusateur qui  succombait,  moyennant  une  supplique  adressee  par 
lui  a  la  justice  :  cela  s'appelait  «  plaider  a  toute  gr§,ce  et  re- 
mission. »  En  cas  seulement  d'accusation  calomnieuse,  un  cha- 
timent  severe  etait  inflige. 

L'accusation ,  genante  et  rigoureuse ,  etait  un  reste  du  passe. 

(1)  Somme  rurale,  I,  34  (p.  221). 
.  (2)  P.  222. 
(3)  Bouteiller,  S.  ii.,p.  222. 


DU  XIII°  AU  XVII°   SlECLE.  i09 

Des  le  xiv"  siecle ,  elle  etait  d'un  emploi  peu  frequent.  Dans  le 
Registre  de  Saint-Martin  des  Champs,  nous  ne  trouvons  que  deux 
exemples  certains  de  partie  formee  :  I'un  se  place  au  7  octobre 
1332  (1),  I'autre  au  14  Janvier  1338  (2). 

L'accusation  disparaissant ,  la  denonciation  etait  de  plus  en 
plus  usitee.  Elle  a  lieu  «  quand  aucun  ne  se  veut  pas  faire 
partie  ne  former  centre  aucun  d'aucun  crime  toutefois  le  vient- 
il  denoncer  a  la  justice  et  offre  a  administrer  ou  nommer  tes- 
moins  (3).  »  Le  juge  n'etait  point  tenu  de  poursuivre  :  il  examinait 
tout  d'abord  si  Ton  devait  avoir  confiance  dans  le  denonciateur. 
S'il  se  decidait  a  agir  il  procedait  en  premier  lieu  a  Tinforma- 
tion,  puis  citait  ou  faisait  arreter  I'inculpe  et  le  proces  suivait  son 
cours.  Comme  I'indique  tres-nettement  Bouteiller,  le  denonciateur 
etait  le  plus  souvent  partie  au  proces ;  il  indiquait  des  temoins 
et  suivait  I'enquete.  G'etait  en  realite  un  accusateur  qui  s'effacait 
et  laissait  par  interet  personnel  le  principal  r61e  au  juge  agissant 
d'office.  Par  un  phenomene  assez  naturel,  on  appliqua  a  la 
denonciation  une  partie  des  regies  de  l'accusation.  La  peine  du 
talion ,  Tobligation  de  tenir  prison  etaient  seulement  epargnees 
au  denonciateur.  Tout  cela  ressort  du  Registre  criminel  de  Saint- 
Martin. 

Les  denonciations  y  sont  si  frequentes  qu'il  est  inutile  de  les 
compter;  c'est  par  la  que  s'engage  ordinairement  le  proces  (4). 
Les  formules  de  denonciation  varient  quelque  peu.  Tant6t  il  est 


(1)  «  AmenS  en  nostre  prison  par  la  gent  au  prevost  de  Bondis  Jehannin  de 
Saint-Soupplet,  bocheron,  a  I'accusacion  faite  de  par  Jehannin  le  Bouchier...  et 
pour  ce  qu'il  accusa  ledit  Saint-Soupplet  en  jugement,  en  disant  qu'il  lui  avoit 

emble  son  bois et  que,  avecques  ce  il  estoit  murtrier,  et  que  pour  tel  le  pro- 

veroit et  que  a  I'accusacion  dessus  dite  ledit  provost  I'avoit  mis  et  detenu  en 

prison.  —  Item,  cejour  amen6  par  lesdictes  gens  dudit  provost  ledit  Jehannin... 
accusant  du  prisonnier  (p.  29,  26).  » 

(2)  «  Par  le  maire  Jehanne  de  Montargis,  fame  Thomas  Lenglais,  Colin  Piquart, 
detenus  en  nostre  prison  pour  ce  que  en  jugement,  pardevant  le  maire,  ladite 

Jehanne  dist,  maintint  et  a£ferma  par  serement  contre  ledit  Colin et  ce  que 

dit  est  o£fri  de  prover  ladicte  Jehanne.  »  P.  117. 

(3)  Bouteiller,  p.  221. 

(4)  Voy.  pp.  10,  16,  19,  27,  31,  32,  34,  41,  48,  37,  63,  67,  68,  81,  82,  84,  89, 
93,  94,  98,  102,  114,  116,  124,  132,  139,  143,  143,  166,  167,  173,  174,  178,  203, 
207,  209. 


liO  LA  PROCEDURE    CRIMINELLE 

dit  qu'on  procede  «  a  la  requSte  et  denonciation ,  »  de  telle  per- 
sonne  (1).  Taiit6t  le  denonciateur  «  nous  denonca  le  fait  comme 
a  justice  et  nous  supplia  que  nous  lui  en  fassions  droit  et  rai- 
son  (2) ;  »  ou  encore  «  Nous  requist  que  de  ce  lui  voulissions 
faire  droit  et  accomplissement  de  justice  (3).  »  La  denonciation 
est  faite  au  juge,  mais  elle  est  habituellement  reitereB  en  au- 
dience publique  en  presence  de  Vaccuse  (4).  Le  denonciateur 
est  appele  a  fournir  des  temoins,  il  doit  prouver  son  inten- 
tion (3) ;  s'il  declare  dans  la  suite  qu'il  ne  demande  rien  a  I'accuse, 
s'il  ne  peut  fournir  des  temoins ,  s'il  se  desiste ,  la  consequence 
parait  6tre  la  mise  hors  de  cour  de  la  personne  poursuivie  (6). 
Un  jugement  semble  meme  transporter  dans  la  procedure  de  la 
denonciation  la  dilivrance,  quietait  jadis  prononcee  lorsque,  un 
inculpe  etant  detenu,  aucun  accusateur  ne  se  presentait  dans  un 
certain  delai  :  «  3  mai  1332.  Eslargy  a  Godefroy  Lalement  sa 

(1)  PP.  167,  173,  174,  185,  186. 

(2)  P.  114. 

(3)  P.  188. 

(4)  P.  32,  34  :  «  Et  ce  nous  dSnonfa  a  nous  maire  de  S.  Martin,  en  la  maniere 
que  dit  est,  en  la  prfeence  dudit  Jehan  (I'accusfi).  »  p.  188.  —  Dans  un  cas,  le 
dtoonoiateur  est  blessS  et  ne  peut  6tre  port^  au  lieu  ou  se  rend  la  justice;  c'est 
alors  le  juge  qui  va  a  lui  et  refoit  sa  denonciation  devant  temoins. 

(5)  P.  105  :  c;  II  fu  suffisamment  prouv6  de  par  Marie,  fame  Jehannin  de 
Trambley  »  la  d^nonciatrice ;  —  proems  de  Sedille  Lenglaiche  «  pour  ce  que 
Estienne  le  peintre  avait  d6nonci6  centre  elle,...  absoulse  par  proces  fait  entre 
elle  et  ledit  Estienne  (4  mai  1345).  » 

(6)  Le  23  fevrier  1338,  Eudelot  de  Picardie  dteoncecontre  Guillaume  Damours, 
magon ,  qu'il  I'a  violfee  :  «  La  dite  Eudelot  d^nunja  le  cas  dessus  dit,  et  afferma 
par  serement  ladite  denunciation  estre  vraie ,  et  laquelle  ledit  Guillaume  nia  tout 
a  plain.  Et  ce  fait,  nous  k  ladite  Eudelot  demandasmes  et  sommasmes  instamment 
si  elle  avoit  aucuns  temoings  par  lesquels  elle  nous  peust  enfourmer  pour  savoir 
la  verity  du  dit  fait,  que  elle  nous  les  nomm^st  et  administrast ,  laquelle  jura  et 
afferma  par  son  serement  que  non....  Et  pour  nous  enfourmer  dudit  cas  d'abon- 
dant  assignons  jour  a  ladite  Eudelot  k  jeudi  prochein ,  —  absous  parceque  elle 
ne  poursuivi  onques  sa  denonciation.  »  —  22  decembre  1332  :  «  Fumis  et  detenu 
en  nostre  prison  Guillot  le  Pelletier  k  la  denonciation  de  Richart. . .  qui  a  ete  quitte 
de  partie  et  pour  ce  deiivre  de  prison  et  eslargi  de  la  cour,  »  p.  31.  —  26  nov. 
1336  :  «  Sedilon  la  Franquette....  detenue  en  nostre  prison  ii  la  denunciation  de 
Guillot....  deiivre  parce  que  il  garit  et  il  ne  lui  demandoit  riens ;  »  p.  81.  —  13  oct. 
1338  :  «  Michelet  le  Lievre  et  Catherine  sa  fame  denunciferent  a  Antel  Labbe 
maire  de  Saint- Martin  centre  Guillot  de  Soissons,....  deiivre  de  prison  pour  ce 
que  partie  ne  li  voult  riens  demander;  »  p.  145;  of.  pp.  200,  203;  of.  RegUtn 
criminel  du  Chdtelet  de  Paris,  1 ,  309. 


BU  Xin°  AU  XVII°   SIECLE.  Ill 

prison  jusques  a  viii  jours...  —  Absouls  veues  les  contumaces 
que  il  a'  impetrees  contre  la  denunciation  par  le  conseil  de  I'as- 
sise  le  dimanche  apres  la  Saint-Nicolas  de  may  (1).  »  On  congoit 
d'apres  cela  que  la  denonciation  calomnieuse  fut  punie  :  «  Dist 
en  jugement  et  par  serement  que  il  les  avoit  fait  mettre  en 
prison  sans  cause,  et  que  il  s'en  repentoit  et  leur  amenda 
(p.  102).  » 

Si  I'accusation  et  la  denonciation  se  mfilent  ici ,  ce  n'est  point 
par  suite  d'une  confusion  passagere  :  de  la  sortira  une  institution 
tres-originale ,  la  constitution  de  partie  civile.  Des  cette  epoque, 
il  faut  le  remarquer,  on  admet  que  la  partie  lesee  peut  agir  au 
civil,  a  fin  de  reparation  ,  sans  intenter  le  proces  criminel  :  «  En 
cas  criminel ,  dit  Jean  des  Mares  dans  sa  decision  58°,  qui  tend  a 
fin  civile  seulement  il  suffit  deux  d^faux ,  mes  il  convient  prover 
les  fets ;  et  qui  tend  a  fin  criminelle  il  en  convient  quatre  et  ne 
convient  pas  que  le  demandeur  prouve  ses  fets.  »  Voici  encore 
ce  que  nous  lisons  dans  le  Registre  de  Saint- Martin  :  «  3  mai 
1332.  Ce  jour  fit  demande  civile  Thomasette  de  Piront  contre 
Marote  de  la  Mare,  fame  Richard  Lenglais,  et  a  Huete  de  la 
Mare  sa  suer,  en  disant  que  es  estuves  de  la  dite  Marote  elle 
avoit  baillie  en  garde  a  la  dicte  Huete  sa  boursse,  et  perdi,  de 
ce  qui  estoit,  la  moitie  de  XXIII  pieces  que  mailles  blanches  que 
doubles ,  et  tendant  seulement  a  fin  de  restitution  de  sa  chose 
perdue.  Mises  en  prison.  Eslargi  aux  dites  suers  leur  prison  jus- 
ques a  d'hui  en  VIII  jours  (2).  »  Dans  le  Registre  du  Chdtelet 
souvent  on  trouve  de  ces  poiirsuites  a  fins  civiles.  Les  parties  ont 
bien  soin  alors  de  limiter  leur  demande  «  protestans  que ,  chose 
qii'il  deissent,  il  ne  tendoient  qu'a  fin  civile  (3).  »  —  «  Pierre  du 
Moulin,  maistre  en  ars,...  fait  protestacion  expresse  et  de  ce  ap- 
pele  les  dessus  diz  presens  a  tesmoings ,  que  pour  chose  qu'il 
entendist  a  dire ,  il  ne  le  faisoit  pour  aucun  injure ,  mais  pour 
verite  dire ,  et  aussi  qu'il  ne  tendoit  qu'a  fin  civile  (4).  »  —  «  Pro- 


(!)  P.  10,  11 ;  cf.  M.  Tanon,  ibid.,  note  1. 

(2)  P.  11. 

(3)  I,  213. 

(4)  I,  310 


112  LA.  PROCEDURE   CRIMINELLE      ' 

testans  iceulx  escoliers  qu'ils  ne  tendent  qu'a  fin  civile  (1).  »  — 
«  Guillaume  Certain...  par  maniere  de  denonciation  et  a  fin  civile 
dist  et  rapporta  audit  Mons.  le  prevost  (2).  »  Ces  reserves  et  pro- 
testations ont  pour  but  d'etablir,  que,  bien  parties  aux  proces, 
les  denongants  ne  forment  point  une  veritable  accusation,  devant 
les  consequences  de  laquelle  ils  reculent;  elles  montrent  aussi 
que  cette  distinction  etait  encore  chose  nouvelle  et  qu'on  aurait 
pu  s'y  tromper. 

Le  cas  de  «  present  meffait  »  est  I'ancienne  procedure  de  fla- 
grant delit  «  par  present  m.effaict  peux  et  doibs  scavoir  que  le 
juge  se  pent  et  doibt  mouvoir  a  cause  d'office  centre  le  delinquant 
et  luy  imposer  le  fait  et  le  calenger  de  peine  capitale  de  son  of- 
fice tant  seulement ,  sans  autre  denonciation  ne  information  pre- 
cedente  :  s'il  nie  et  le  cas  soit  legier  a  prover,  le  juge  ou  pro- 
cureur  d'office  le  doit  offrir  i  prouver  et ,  ce  prouve ,  punition 
s'en  doit  ensuyvre,  et  si  preuves  n'y  sont  bien  apertes,  puisque  le 
cas  est  de  present  meffaict,  le  juge  le  pent  et  doit  monstrer  a 
question  a  attaindre  la  verite  (3).  »  La  «  prise  en  present  me- 
fait  »  est  tres-frequente  dans  le  Registre  de  Saint-Martin  (i).  On  re- 
trouve  meme  les  vieilles  coutumes  fidelement  conservees ;  il  est 
plusieurs  fois  parle  de  la  clameur  de  «  harou;  »  souvent  il  est  dit 
que  le  criminel  a  6te  «  pris  a  chasse  et  a  cri  (5).  » 

Enfin  la  poursuite  «  par  commune  renommee  »  c'est  I'ancienne 
aprise  :  "  par  commune  renommee  qu'on  appelle  en  cour  laye 
par  information  precedente ,  ou  autrement  par  fame  et  renommee 

(1)  I,  138. 

(2)  11,  275;  Voy.  II,  89,  une  sentence  qui  adjuge  a  la  partie  civile  ses  conclu- 
sions. 

(3)  Bouteiller,  p.  222. 

(4)  PP.  38,  58,  63,  64,  73,  77,  92,  93,  99,  104,  124,  130,  134,  136, 138,  142, 
151,  156. 

(5)  «  Les  amendrent  en  prison,  et  aussi  pour  ce  que  les  voisins  de  la  rue  crioient 
harou  sur  euls,  lesquels  s'enfuioient.  »  p.  115;  —  «  Les  print  4  chaude  chace  et 
a  cri  et  liarou  de  voisins ;  p.  141.  —  «  Que  ce  que  ellecrioit  harou  lui  avoit  mis  son 
chaperon  sur  sa  bouche,  afih  que  Ten  ne  I'oist  crier;  »  p.  187.  —  «Lequel  Per- 
rin  fu  prins  a  chasse  et  a  Mote  par  les  dictes  bonnes  gens  et  k  cri ;  »  p.  47.  — 
«  Nos  sergens  iceluy  prinstrent  par  nuit  ft  chandelles  allumans  a  chace  et  a 
cri;  »  p.  71.  Cf.  Begiske  du  Chdtelet,  I,  410,  «  Harou  le  meurtre.  »  II,  63  :  , 
»  Harou  le  feu.  » 


DU   XIII°  AU  XVII°   SIECLE.  113 

notoire ,  si  comme  aucun  seroit  si  fame  au  pais  qu'il  seroit  mur- 
drier  ou  desrobeur  ea  chemin ,  qu'il  seroit  cler  et  cogneu  qu'il 
fust  ainsi  a  tous ;  par  cestuy  cas  se  peut  faire  poursuite  du  crime 
par  I'office  de  justice  sans  autre  partie,  ou  par  office  ou  par  le 
procureur  d'office ,  et  le  peut  le  juge  faire  a  sa  requeste  a  cause 
d'office  (1).  »  Toujours,  excepte  dans  I'accusation  par  partie  formee 
qui  doit  disparaitre  et  sauf  le  cas  de  flagrant  delit  oii  il  y  a  ur- 
gence,  le  proces  doit  debuter  par  I'information.  C'est  un  point 
important,  c'est  un  trait  caracteristique ,  que  le  droit  posterieur 
degagera  plus  nettement  encore.  Dans  le  Registre  de  Saint-Martin 
la  poursuite  d'office  est  tres-frequente ;  elle  porte  son  ancien  nom 
de  «  prise  par  soupgon.  »  Les  deux  parties  qu'elle  comporte ,  Tin- 
formation  et  I'enquete  ,  sont  nettement  indiquees  dans  plusieurs 
passages  (2);  dans  plusieurs  autres  on  a  le  soin  de  mentionner 
que  la  capture  du  prisonnier  n'a  eu  lieu  qu'apres  information 
precedente  (3).  Mais  parfois  I'enquete  seulement  est  rappelee, 
sans  qu'il  soit  question  d'information  (4) ;  en  sens  inverse ,  dans 
deux  hypotheses  nous  constatons  que  I'information  existe  seule, 
qu'elle  remplace  I'enquete  et  joue  ainsi  un  double  role;  il  est 
vrai  que  dans  un  cas  cela  a  lieu  du  consentement  meme  de 
I'inculpe  et  que  dans  I'autre  le  resultat  lui  est  favorable  (5). 


(1)  Bouteiller,  p.  223. 

(2)  «  6  nov.  1341.  Absoulte  par  le  conseil  parmy  Venqueste,  information  et  rap- 
port de  jurez  fait  sur  le  cas  dessus  dit,  par  le  maire.  »  {p.  184.)  —  «  D&wci  de 
prison  par  Venqueste  et  information  qui  faite  en  a  este  par  le  maire  de  la  dite  ville 
de  Bouffemont  et  ailleurs.  »  (p.  185.)  —  «  Absoulz  du  fait  et  de  la  mort  d'iceluy 
par  nostre  conseilg  par  vertu  de  Vinformacion  et  enqueste  faicte  par  le  maire  sur 
ce.  B  (p.  189.)  —  Dans  beaucoup  de  cas,  il  est  vrai,  I'une  des  deux  seulement 
est  indiqu^e. 

(3)  «  6  avril  1337  :  Jehannin  Lentfant  de  Paris  amene  par  Robin  le  Geolier  et 

Croz  qui  le  prinstrent pour  ce  que  nous  estions  souffisament  enfourmSs  que 

il  avoit  batu  et  fait  sane  a  Jacquemin  de  Soissons.  »  (p.  93.)  —  «  Le  18  Jan- 
vier 1338  Jehan  de  Florence  Lombart,  amen6  du  commandement  du  maire  et  par 
I'informacion  faite  par  P.  de  Chivry  nostre  tabellion ,  pource  qu'il  fu  prouvfe  et 
trouvfi  par  ladicte  information  que  il  avoit  batue  et  ferue  vilainement  de  coups 
orbes.  »  (p.  115.) 

(4)  P.  24;  200. 

(5)  «  14  juin  1336.  Ydre  de  Laon...  dilivr^  par  prison  et  par  informacion  qu'elle 
tint  pour  enqueste.  »  (p.  57.)  —  «  Le  12  novembre  1336  :  Pierre  Terlait  hoste  de 
Saint-Martin  est  rendu  4  la  justice  du  convent  par  le  prev6t  de  Paris,  qui  I'avait 

8 


114  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

Une  fois  que  le  juge  est  saisi,  deux  voies  se  presentent  devant 
lui,  et  nous  trouvons  deux  formes  de  procedure,  Vordinaire  at 
V extraordinaire;  c'est  la  une  distinction  capitals,  dont  Timpor- 
tance  ira  toujours  en  grandissant  :  «  Item  doibs  scavoir  qu'ils 
sont  proces  ordinaires  et  proces  extraordinaires  (1).  »  La  pro- 
cedure ordinaire  se  deroulait  a  I'audience ;  elle  ignorait  Temploi 
de  la  torture ,  et  permettait  une  libre  defense  a  I'accuse ;  la  pro- 
cedure extraordinaire  etait  celle  oii  la  question  etait  admise; 
le  secret  allait  bientdt  s'y  introduire  et  la  defense  devait  y  etre 
entravee  de  plus  en  plus.  C'etait,  helas!  la  procedure  de  I'avenir. 
Cette  dualite  se  retrouve  d'ailleurs  presque  partout  en  Europe  a 
cette  6poque. 

Quand  devait-on  prendre  I'une  ou  I'autre  de  ces  voies?  La 
procedure  ordinaire  etait  toujours  suivie  quand  il  y  avait  accusa- 
tion par  partie  formee  :  «  Si  doibs  scavoir  que  selon  aucuns 
puisque  le  prisonnier  et  prins  par  accusation  de  partie  formee 
et  mis  en  loy,  apres  ne  doibt  estre  mis  a  peine  de  question,  mais 
se  doibt  le  proces  faire  ordinairement  centre  le  prisonnier  (2), » 
Les  parties  produisaient  respectivement  leurs  temoins,  qui  etaient 
entendus  par  les  enquesteurs;  I'enquete  etait  ensuite  commu- 
niquee  a  I'accuse ;  les  avocats  ou  defenseurs  plaidaient  de  part  et 
d'autre  en  audience  publique  et  on  arrivait  ainsi  a  la  sentence. 
Au  xvi°  siecle],  Pierre  Ayrault  decrira  encore  cette  forme  de  pro- 
ceder,  qui  n'existait  plus  de  son  temps ,  mais  qui  en  disparais- 
sant  a  laisse  des  regrets  dans  son  puissant  esprit  et  dans  son 
grand  ccEur  :  «  J'ai  leu ,  dit-il ,  entre  les  proces  criminels  faicts 
il  y  a  plus  de  six-vipgt  (3)  ans  par  maistre  Jean  Belin ,  sieur  dg 
Doinart  et  de  Foudon,  mon  bysayeul,  que  par  mesme  ordonnance 
on  donnoit  delay  a  la  partie  d'amener  tesmoins  pour  la  charge 
et  a  I'accuse  pour  sa  decharge ,  si  par  ses  reponses  il  avoit  mis 
avant  quelque  fait  justificatif  ou  attenuatif.  II  n'y  avoit,  ce  me 
semble  (ou  je  me  trompe  avec  I'antiquite)  rien  de  si  equitabF 

pris  par  soupgon  :  dfilivrfi  par  informacion  faite  par  R.  Pie  de  Fer  examinateu 
du  Chatelet  de  Paris.  »  (p.  83.)  Voy.  ci-dessus. 

(1)  BouteUler,  Somme  rur.,  I,  34  (p.  223). 

(2)  Bouteiller,  Somme  rur.,  I,  34  (p.  223). 

(3)  Cela  nous  reporte  au  milieu  du  xv^  siScle. 


DU  XIII*  AU   XVII°   SIECLE.  113 

et  de  si  juste...  le  proces  se  faisoit  tout  a  un  instant,  et,  comme 
en  un  seul  tableau ,  la  verite  pour  I'une  et  pour  I'autre  partie  se 
presentoit  devant  les  juges  (1).  »  Cette  regie  devait  etre  suivie 
meme  en  cas  de  denonciation ,  dans  un  systeme  qui  assimile 
presque  le  d^nonciateur  a  I'accusateur,  tel  que  celui  que  nous 
avons  releve  dans  le  Registre  de  Saint-Martin. 

La  procedure  ordinaire  devait  etre  adoptee  meme  dans  1-a 
poursuite  d'office,  lorsque  I'individu  poursuivi  acceptait  I'en- 
quSte  :  «  Si  le  faiseur  estoit  encore  prins  par  justice  et  se  vouloit 
mettre  en  toutes  enquestes ,  en  tons  ces  cas  doibt  estre  regu  en 
proces  ordinaire  et  ne  doibt  estre  traict  que  par  accusation  de 
partie  ou  d'office,  et  par  preuves  sans  tourment  de  question 
quelconque,  ne  sans  faire  aucune  menace,  et  doibt  toujours  avoir 
courtoise  prison  et  competence  en  toute  sa  cause  (2).  »  Cela  est 
confirme  par  un  passage  du  Livre  des  Droiz  et  Commandemens 
de  Justice  :  «  Se  aucun  est  souspeconne  d'aucun  cas  criminel 
et  justice  Ten  suit  comme  coulpable ,  Ten  le  doit  prendre  et  pu- 
gnir  selon  la  qualite  du  meffait,  et  si  celui  qui  se  sent  accuse 
s'en  sent  ignorant  il  doit  requerre  a  la  justice  que  Ten  le  mecte 
en  proces  sur  ledict  cas,  affin  de  avoir  absolucion  du  fait.  Et 
doist  estre  la  maniere  du  proces  telle  que  justice  doit  declarer 
le  fait  en  jugement  par  maniere  de  demande  centre  lui  et  tendre 
affin  de  punicion  s'il  leconfesse;  et  s'il  le  nie  doit  offrir  a  en 
faire  la  preuve  que  raison  voudra.  Et  cellui  qui  est  accuse  doit 
proposer  ses  raisons  et  justifications  et  s'enchargier  de  preuve 
se  mestier  est.  Et  sur  ce  suit  les  faits  proposer  et  bailler  deci  et 
dela  pour  former  ses  temoins  et  faire  ses  enquestes,  et  puis 
droit  en  oultre.  Et  doit  len  proceder  plus  meurement  et  en 
deliberacion  en  tel  cas,  ou  pent  I'estat,  que  en  autres  causes  (3).  » 
Dans  le  Registre  de  Saint-Martin  nous  trouvons  un  certain  nom- 
bre  de  cas  ou  expressement  le  criminel  se  met  en  enquete  (4). 

(1)  L'orSre  et  formaliU  et  instruction  judiciaire  :  Liv.  Ill,  art.  2,  n"  50. 

(2)  Bouteiller,  Somme  rur.,  II,  13  (p.  763). 

(3)  §  943. 

(4)  «  23  aotit  1332  :  Robin  Fleuriau....  s'est  sousmiz  en  nostre  informacion  pour 
enquerre  de  la  requeusse  dessus  dicte ;  »  p.  23  —  «  Les  gens  de  Saint-Martin  le 

.  prinstrent  a  Noysi  et  misrent  en  prison  ferm6e.  II  s'en  mist  en  enqueste  de  ce 


H6  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

En  face  de  la  procedure  ordinaire  se  dressait  la  procedure 
extraordinaire  :  son  nom  seul  frappe  I'esprit;  on  dira  commu- 
nement  que  ce  nom  vient  de  ce  que  les  regies  normales  du  droit 
ne  sont  plus  observees  (1).  Bouteiller  donne  deja  une  idee  suffi- 
sante  des  pouvoirs  qu'a  alors  le  juge  :  «  Item  le  proces  extraor- 
dinaire doit  estre  traicte  et  fait  en  tout  autre  terme,  par  especial 
en  grans  crimes  et  enormes  qui  sont  deniez  et  qui  ont  este  faicts 
repostement.  Et  ne  doibt  le  juge  sur  ce  espargner  a  faire  proces 
extraordinaire  et  de  savoir  la  verlte  de  jour  en  jour,  sans  autre 
intervalle,  par  information  ou  autrement  (2).  »  Le  proces  extraor- 
dinaire admettait  la  torture  :  «  Si  aucunement  trouve  le  present 
suspect  par  vehemente  presumption ,  il  le  pent  et  doibt  mettre  en 
question  selon  la  personne  du  prisonnier,  car  plus  forte  question 
desire  un  corps  que  I'autre ,  car  a  tOutes  fins  le  juge  doit  prendre 
garde  qu'il  ne  tourmente  I'homme  tellement  qu'il  ne  perde  vie 
ne  membre  par  tourment  ne  gesne,  car  ce  seroit  le  peril  du  juge 
et  des  faiseurs ,  et  se  garde  de  question  de  feu ,  car  il  est  defendu 
par  le  roy ;  et  si  par  question  de  gesne  ne  veut  riens  dire  ni  con- 
fesser  a  la  premiere  fois  le  juge  le  peut  bien  mettre  au  second 
jour ;  et  puis  au  troisiesme ,  et  puis  au  quatriesme ,  s'il  voit  que 
le  cas  le  requiere ,  et  il  y  ait  si  grande  presomption  et  le  prison- 
nier soit  de  fort  courage  (3).  » 

Un  autre  trait  distingua  bientot  la  procedure  extraordinaire ; 
on  n'y  donnait  pas  a  I'accuse  communication  des  depositions  des 
temoins ;  on  lui  cachait  tout  afin  de  lui  enlever  les  moyens  d'elu- 
der  la  poursuite.  A  I'origine,  conformement  aux  principes  du 
droit  canon,  dans  I'enquete  d'office,  comme  dans  celle  qui  avait 
lieu  sur  I'accusation  d'une  partie,  les  acta  inquisitions  etaient 

fait  et  fut  fete  I'enqaeste  par  les  gens  Saint-Martia  sur  ce  mesfait ,  il  ne  peust 
estre  prove  centre  ledit  homme;  »  p.  225.  —  Le  barbier  d'Anet  et  ses  flls  agens 
pris  par  souspejon  de  meurtre...  furent  menez  4  Paris  et  en  persone  i  Saint- 
Martin  pour  ce  fait;  il  s'en  mitreut  en  enqueste  et  fus  faite  I'enqueste  centre  eus, 
sur  ce  fait  par  la  gent  Saint-Martin.  »  p.  228-9. 

(1)  Damhouder  :  Praotica  crminalis.  Pars,  m,  quaestio  103,  n»  21  :  «  Nonnun- 
quam  proceditur  ordinarie  et  secundum  juris  ordinem  et  aliquando  extraordinariS, 
id  est,  juris  ordiue  non  servato.  »  II  est  vrai  que  le  droit  dont  on  parle  ici,  c'est 
le  droit  remain. 

(2)  Bouteiller,  Som.  rur.,  1 ,  13  (p.  765). 

(3)  Bouteiller,  S.  R..  I,  34  (p.  228-29). 


DU   Xm"  AD  XVII"   SIECLE.  H7 

communiques  a  I'accusg.  Cette  communication  etait  ordonnee 
par  rOrdonnance  de  1254,  article  21  :  «  Et  quia  in  dictis  senes- 
challiis  secundum  jura  et  terrse  consuetudinem  fit  inquisitio  in 
criminibus,  volumus'et  mandamus  quod  reo  petenti  acta  inquisi- 
tionis  tradantur  ex  integro  (1).  »  Une  ordonnance  de  1338  ac- 
corde  d'une  facon  generale  aux  parties  le  droit  d'assister  au  rap- 
port du  proems  qui  etait  fait  devant  le  siege  assemble  (2).  Mais 
pen  4  peu  on  tendit  a  refuser  la  communication  des  pieces  a  I'in- 
culpe  :  «  Certe  jure  canonico  et  civili  judex  ex  officio  potest  pro- 
cedere  infamia  praecedente...  de  hac  facienda  est  inquisitio,  quam 
judex  non  tenetur  parti  ostendere  nisi  velit  (3).  »  «.  Combien  que 
en  Parlement  on  ne  fasse  point  publication  de  tesmoins  soit  en 
cause  civile  ou  criminelle ;  toutefois  en  Ghastelet  est  faicte  publi- 
cation des  diets  et  des  noms  des  temoins ,  et  en  cause  criminelle 
des  noms  tant  seulement  et  non  des  diets ,  et  est  la  raison ;  car  se 
en  cause  criminelle  'estoit  faicte  publication  des  diets ,  quand  le 
deffendeur  coupable  sauroit  que  le  crime  est  prouve  centre  luy,  il 
s'en  pourroit  fouyr  et  ainsi  demourroient  les  delicts  impunis  et 
poroit  porchacier  la  mort ,  ennuy  et  vitupere  de  ceux  qui  centre 
luy  auroient  depose  (4).  »  Ce  secret,  qui  rappelle  les  precedes  de 
Vinquisitio  haereticas  pravitatis ,  devint  un  des  traits  distinctifs  de 
la  procedure  extraordinaire  :  «  Scachez  que  cil  est  a  mettre  a 
question  de  gehenne  qui  par  information  precedente ,  telle  qu'elle 
fasse  vraie  et  v6hemente  suspection  du  cas  pourquoy  il  est  em- 
prisonne ,  et  qu'il  nie  le  cas ,  laquelle  information  et  cas ,  avant 
qu'a  question  soit  mis  le  prisonnier,  doit  estre  montree  au  conseil 
de  la  Cour,  et  le  prisonnier  ouy  comment  il  nie  le  cas  centre 
I'information  qui  contre  luy  labeure,  sans  ce  que  Y information 
luy  soit  monstree,  par  le  conseil  et  appointement  des  conseillers 
de  la  Cour  doibt  estre  diet  que  le  prisonnier  soit  mis  a  la  ques- 
tion (S).  » 

(1)  Ord.  I,  p.  72. 

(2)  «  Statuimus  et  mandamus  relationes  processum  tam  oivilium  quam  crimina- 
liam  amodo  fieri  coram  seneschallis  et  judicibus  aliis...  in  praesentia  partium 
litigantium  si  ad  id  voluerint  interesse.  »  (Ord.  II,  p.  125.) 

(3)  Joannes  Faber,  ad  Instituta,  tit.  De  puhlicis  judiciis. 

(4)  Jean  Desmares,  262. 

(5)  Bouteiller,  S.  R.,  I,  34  (p.  229). 


118  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

Chose  remarquable,  si  on  ne  pouvait,  meme  par  les  tourments, 
obtenir  I'aveu  de  I'inculpe,  celui-ci  ne  devait  point  cependant 
6tre  pleinement  absous  :  «  Si  par  question  ne  veut  riens  dire ,  ni 
confesser,  et  que  par  tesmoins  ne  soit  vaincu ,  si  apartient  il  bien 
que  par  soupgon ,  par  longtemps  il  soit  prisonnier  et  par  excla- 
masse  (1),  afin  de  savoir  si  nul  plaintif  venoit  contra  luy,  etsi 
en  grand  temps  nul  ne  venoit ,  la  penitence  de  prison  qu'il  aura 
toleree  et  soufferte  sera  amende  de  la  mauvaise  presumption,  et 
puis  doit  estre  eslargy  de  prisons  jusques  a  renom  de  juge  a  paine 
d'estre  attainct  et  convaincu  des  cas  a  luy  imposes  et  presumes , 
et  autre  delivrance  n'en  doit  faire  le  juge,  car  si  absolumentle 
delivroit  il  sembleroit  qu'a  mauvaise  cause  I'eust  detenu  prison- 
nier (2).  »  Dans  cette  procedure  extraordinaire  nous  trouvons 
deja  celle  des  xvi^  et  xvn°  siecles  :  I'information  tout  d'abordj 
puis  le  reglement  a  I'extraordinaire  decretepar  unjugement;  I'ap- 
plication  a  la  torture  egalement  decidee  par  jugement;  enfm  quel--; 
que  chose  qui  ressemble  au  plus  amplement  informe.  Cependant 
elle  donnait  encore  a  I'accuse  un  certain  nombre  de  garanties  qui 
disparaitront  plus  tard.  La  publicite  de  I'audience  subsistait  en- 
core. A  I'origine,  nous  I'avons  dit,  les  plaids  se  tenaient  en  plein 
air,  mais  cet  etat  de  chose  devait  disparaitre  avec  les  vieilles 
moeurs  feodales.  «  Les  vestiges,  dit  Ayrault,  y  sont  encore  aux 
portes  des  eglises ,  des  chateaux ,  halles  et  places  publiques ,  ou 
les  sieges  des  juges  restent  encore.  On  a  commence  a  se  mocquer 
des  juges  soubs  I'orme ,  quand  on  a  baty  des  palais  et  chambres 
pour  juger.  Mais  cependant  cela  monstre  qu'auparavant  les  plus 
grands  y  jugeoient  bien  (3).  »  Mais  la  publicite  persista,  quand 
on  passa  dans  les  chambres  d'audience ,  un  peu  moins  large  il  est 
vrai;  c'est  ce  que  dit  encore  Ayrault :  «  Les  proces  que  nous  avons 


(1)  Cela  doit  vouloir  dire  proclamation  a  ori  public. 

(2)  Bouteiller,  Som.  rur.,  II,  13  {p.  765)  :  cf.  I,  34 (p.  229).  —Dans  leRegistre 
de  Saint-Martin ,  on  constate  souvent  Tapplication  de  ce  prinoipe ;  il  y  est  parlS 
d'homme  «  d^livre  par  prison;  »  pp.  57,  64.  —  «  D61ivr6  par  longue  prison  et  par 
estre  battu  de  verges.  »  p.  67.  —  Parfois  on  n'inOige  a  I'inculpS  non  convaincu 
quune  amende;  on  dit  alors  qu'il  est  d^iivrfe  par  amende;  lorsqu'il  ne  pouvait 
payer,  on  finissait  cependant  par  le  mettre  en  liberty,  de  li  la  formule :  «  D61ivr6 
parpovret6;  »  pp.  77,  9b,  99,  100,  101,  102. 

(3)  Vordre,  formaliU,  etc.  Liv.  Ill,  art.  3,  n»  56. 


Du  xm"  Au  xvn°  siecle.  119 

dit  de  feu  maistre  Jean  Beiin ,  lieutenant  general  a  ce  siege ,  por- 
tent ordinairement  que  sept  ou  huit  qu'il  nomme ,  outre  luy  et 
son  greffier,  estoient  presents  ii  I'instruction,  et  si  il  adjouste  «  et 
plusieurs  autres  »  pour  monstrer  qu'il  y  entroit  qui  vouloit  (1).  » 

Cette  publicite  est  constatee  de  la  meme  maniere  dans  le 
Registre  criminel  de  Saint-Martin  des  Champs;  elle  embrassait 
tout  ce  qui  se  passait  en  jugement ,  c'est-a-dire  tout ,  sauf  I'in- 
formation  ou  Yenquete,  faite  devant  les  commissaires  enque- 
teurs ,  et  la  question  donnee  en  secret.  Le  greffier  de  Saint-Mar- 
tin a  soin  d'enumerer  les  principales  personnes  presentes ,  ajou- 
tant  toujours  a  la  fin  de  la  liste  «  et  plusieurs  autres.  »  C'etait 
bien  un  veritable  public  et  non  des  assistants  choisis ;  ce  qui  le 
montre,  c'est  que  les  noms  d'ouvriers  abondent,  et  que  des 
femmes  sont  souvent  designees  (2).  Voici  les  actes  pour  lesquels 
cette  publicite  est  specialement  constatee  :  c'est  d'abord  la  denon- 
ciation,  qui  devait  etre  reiteree  en  jugement  (3),  puis  le  rapport 
des  medecins  ou  sages-femmes  qui  joue  un  grand  role  (4),  I'elar- 
gissement  des  prisonniers  moyennant  caution  (5),  les  aveux  faits 
en  jugement  et  les  sentences  qui  s'en  suivent  (6).  La  publicite  est 
encore  la  meme  pour  le  jugement  des  declinatoires  et  aveux  de 
juridictions  etrangeres  (7),  pour  la  lecture  des  lettres  royaux  (8), 
pour  la  levee  et  exposition  des  cadavres  (9). 

La  liberte  sous  caution  est  encore  tres-largement  pratiquee 
d'apres  le  Registre  criminel  de  Saint-Martin.  Elle  ne  parait  pas 
avoir  jamais  ete  de  droit,  mais  il  semble  que  le  juge  pouvait  tou- 
jours I'accorder;  en  fait,  nous  la  voyons  accordee  pour  des  cas 
tres-graves,  comme  le  vol,  oii  il  y  allait  de  la  peine  de  mort  (10). 

(1)  Ayrault,  op.  et  loc.  cit.,  n"  71. 

(2)  Voy.  en  particulier,  pp.  20  et  28. 

(3)  PP.  3S,  41,  42,  114,  124,  167. 

(4)  PP.  13,  19,  20,  22,  29,  35,  36,  45,  46,  48,  64, 106,  109,  112, 117,  127, 133, 
139,  170,  171,  173,  181,  188,  189. 

(5)  PP.  30,  31,  33,  34, 

(6)  PP.  26,  51,  174. 

(7)  PP.  39,  40,  47,  50,  52. 

(8)  P.  62. 

(9)  PP.  148,  197. 

(10)  Voy.  29  mars  1332,  p.  4;  et  12  avril  1332,  p.  6:  cf.  pp.  3,  4,  5,  6, 14,  15, 
22,  28,  32,  33,  34,  37,  40,  127,  etc. 


120  LA  PROCEBURE   CRIMINELLE 

Les  pleges  s'engagent,  suivant  la  vieille  formule  «  corps  pour 
corps ,  avoir  pour  avoir ;  »  generalement  ils  ne  repondent  que  de 
la  representation  de  I'inculpe  (1);  parfois  ils  s'engagent  aussi  a 
payer  le  juge  (2).  Dans  un  cas  le  prisonnier,  au  lieu  de  fournir 
des  pleges ,  donne  un  gage  «  deux  enclumes  du  prix  de  lx  sols 
Parisis  (3);  »  enfin,  quelquefois  il  y  a  elargissement  sans  cau- 
tion (4).  La  responsabilite  pecuniaire  des  pleges  n'etait  pas 
d'ailleurs  la  seule  garantie  qu'on  eut  centre  I'accuse  mis  en 
liberte;  faute  de  comparaitre ,  il  etait  necessairement  declare 
attaint  et  convaincu  (5) ;  cette  presomption  de  culpabilite ,  resul- 
tant de  la  fuite ,  persistera  longtemps  dans  notre  droit. 

Quelle  que  fut  la  rigueur  de  la  procedure  extraordinaire ,  pen- 
dant longtemps  encore  elle  permit  a  I'accuse  de  se  defendre. 
Avant  la  sentence ,  il  pouvait  plaider  ou  faire  plaider  sa  cause ; 
et  il  pouvait  proposer  des  faits  pour  sa  justification  et  les  prou- 
ver  par  temoins;  a  cet  egard  on  dut  etre  assez  large  d'abord, 
car  voici  ce  que  nous  trouvons  encore  dans  la  Pratique  de 
Masuer  :  «  Si  I'accuse  et  emprisonne  offre  de  prouver  ses  de^ 
fenses ,  il  y  doit  estre  regu  avant  que  de  passer  outre ,  pourvu 
que  cela  se  puisse  aisement  faire ;  et  la  raison  c'est ,  d'autant 
qu'il  s'agit  d'un  grief  et  dommage  irreparable  (6).  » 

Au  temps  de  Bouteiller,  la  procedure  extraordinaire  n'ap- 
parait  que  comme  une  ressource  supreme ;  elle  cedait  le  pas  a 
la  procedure  ordinaire  lorsqu'il  y  avait  partie  formee  et  meme 
quand,  poursuivi  d'office,  I'inculpe  se  soumettait  a  I'enquete. 

(1)  La  formule  est  alors  :  «  Plfeges  pour  nous  le  ramener  a  toutes  les  journSes 
qui  de  nous  lui  seront  assignees.  »  Voy.  p.  4. 

(2)  P.  127. 

(3)  P.  34. 

(4)  «  27  Janvier  1338  :  Eslargie  Jehanne  de  Montargis,  k  lui-mesme  »  il  est  vrai 
que  Jehanne  est  une  accusatrice  par  partie  form6e. 

(5)  Voy.  pp.  4,  6. 

(6)  La  Pralique  de  Masuer,  mise  en  frangais  par  Antoine  Fontanon ,  nouvelle 
edition  par  Pierre  Gutoois.  Paris,  1606  (tit.  xxxii,  n"  14,  p.  389).  Le  traducteur 
Fontanon,  a  bien  soin  d'indiquer  dans  une  note  que  c'est  la  du  droit  ancien. 
«  Pour  le  regard  de  ce  qu'il  dit  en  deux  divers  articles  que  I'accusS  doit  estre 
receu  a  prouver  et  verifier  ses  salvations  et  defenses ,  et  que  cependant  main 
lev6e  lui  doit  estre  faicte  de  ses  Mens  saisis  en  baillant  caution,  cela  a  est6  depuis 
aucunement  change.  » 


DU  XIII°  AU  XVn°   SIECLE.  121 

Dans  cette  mesure ,  elle  etait  noa  pas  legitime ,  mais  presque 
tolerable.  On  ne  devait  pas  en  rester  la,  I'exception  devait 
ahsorber  la  regie.  Les  prevenus  pouvaient  refuser  d'accepter 
I'enqugte ;  peut-6tre  y  avaient-ils  interSt ;  car  il  est  bien  pos- 
sible que ,  conformement  k  I'esprit  premier  de  I'institution ,  on 
n'exigeslt  pas  alors  des  temoins  oculaires ;  cela  pouvait  donner 
ouverture  au  proces  extraordinaire.  Mais  frequemment  il  devait 
arriver  que  la  preuve  testimoniale ,  ni  dans  I'accusation  de  par- 
tie  formee,  ni  dans  I'enquete  acceptee,  ne  demontrait  la  cul- 
pabilite  d'une  facon  suffisante.  Le  juge  n'eprouYait-il  pas  alors 
une  tentation  presque  irresistible  d'employer  quand  meme  la  tor- 
ture, pour  arracher  des  aveux  qu'il  croyait  necessaires?  11  en  fut 
ainsi  et  Bouteiller  le  reconnait  lui-m^me,  bouleversant  toutes 
les  regies ,  toutes  les  distinctions  qu'il  a  etablies.  Apres  avoir 
dit  que  lorsqu'il  y  a  partie  formee ,  la  torture  n'est  pas  admise , 
il  ajoute  :  «  Si  le  juge  percevoit  le  cas  ainsy  murdrier  et  le 
prisonnier  fust  si  subtil  que  rien  ne  voulsist  cognoistre ,  par 
deposition  de  paroles,  et  le  fait  plus  evident  que  non,  si  c'est 
juge  qui  ait  pouvoir  de  questionner  faire  le  peut  sans  attaindre 
le  mal  (1).  »  De  meme  il  enumere  un  certain  nombre  de  cas 
graves  oi  il  n'admet  pas  que  I'individu  soupconne  se  mette 
a  purge  (2),  et  ot  forcement  la  procedure  extraordinaire  doit 
elre  suivie  :  «  lis  sent  plusieurs  cas  qui  ne  sont  a  recevoir 
a  purge,  si  comme  meurdres,  arson  de  meson,  esforceurs  de 
femmes,  desrobeurs  de  gens  en  chemin,....  trahistre,  herese, 
bougre...  par  purge  tous  eschapperoient ,  car  puisque  I'homme 
est  mis  a  purge ,  jamais  on  ne  le  peut  mettre  qu'en  proces  ordi- 
naire ,  et  les  cas  dessus  diets  doivent  Mre  mis  en  proces  extraor- 
dinaires  (3).  »  Ge  mouvement  fut  certainement  provoque  en 
grande  partie  par  le  systeme  savant  des  preuves  legales ,  qui 
s'introduisait  dans  la  jurisprudence.  Ce  systeme  avait  ete  em- 
prunte  aux  docteurs ,  surtout  aux  docteurs  italiens ,  qui  en 
avaient  trouve  les  premiers  germes  dans  le  droit  remain ,  et  les 

(1)  Som.  rur.,  I,  34  (p.  223). 

(2)  C'est  sans  doute  la  meme  procedure  que  celle  designee  dans  VAncien  cou- 
tumier  de  Picardie  par  I'expression  «  se  mettre  4  loy.  »  Vid,  supr.,  p.  52. 

(3)  5om.  rw.,  1, 34  (p.  223). 


122  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE. 

avaient  considerablement  developpes.  II  fallait  des  preuves  bien 
apertes ;  «  selon  la  loy  en  crimes  doibvent  preuves  estre  aussi 
cleres  du  proposant  du  cas  que  le  cler  jour  luysant  a  midy.  » 
Pour  qu'une  condamnation  intervint ,  il  fallait  certaines  preuves 
determinees  d'avance ,  sinon  I'aveu  de  I'accus^ ;  cet  aveu  on  vou- 
lait  par  suite  I'obtenir  a  tout  prix  (1).  On  en  arriva  bientot  a  ne 
plus  distinguer  entre  le  cas  ou  I'enquete  etait  acceptee  par  I'in- 
culpe  at  celui  ou  elle  ne  I'etait  pas.  On  suivait  la  procedure 
ordinaire  ou  la  procedure  extraordinaire  suivant  la  plus  ou  moins 
grande  gravite  du  crime.  Dependant  il  semble  que  I'iiabitude  se 
soit  conservee  jusqu'au  bout  de  demander  a  I'accuse  s'il  voulait 
s'en  rapporter  aux  temoins  :  tant  est  puissante  la  force  d'un  vieil 
usage  (2)  1 

A  premiere  vue ,  il  semble  que  dans  le  Registre  criminel  de 
Saint-Martin  des  Champs  on  ne  distingue  pas  les  deux  formes 
de  procedure.  Nulle  part  on  n'y  trouve  les  termes  de  proces '^ 
extraordinaire  ni  de  proces  ordinaire ;  cependant  la  chose  y  est. 
Toutes  les  fois  qu'il  s'agit  d'une  affaire  grave ,  pouvant  donner 
lieu  a  I'application  d'une  peine  capitale;  nous  trouvons  quel- 
qu'une  des  mentions  suivantes  :  «  Proces  en  est  fait;  —  crime  : 
proces  en  est  fait;  —  proces  criminel  (3).  »  Au  contraire,  lors- 
que  les  donnees  de  I'information  ne  revelent  pas  un  crime 
grave,  ou  que  le  rapport  du  mirejurd  declare  que  la  victim e  est 


(1)  Nous  consacrons  plus  loin  ua  ohapitre  entier  a  la  th^orie  des  preuves  le- 
gates ;  nous  n'avons  pas  voulu  briser  rexposition  de  cette  matiere  importante. 

(2)  Voy.  Dupaty  :  Mimoire  pour  trois  homms  condamnis  a  la  roue.  Paris  n86i 
p.  20.  —  RSquisiioire  de  Louis  Siguier,  pour  demander  la  suppression  du  mi- 
moire de  Dupaty,  p.  30,  31  :  «  II  est  vrai  que  la  dernifere  question  qui  a  M 
faite  a  ces  prisonniers  porte  qu'on  leur  a  demande  s'ils  vouloient  s'en  rap- 
porter  aux  Umoins,  et  qu'ils  ont  r^pondu  :  Oui,  s'ils  disent  la  verite.  CetU 
question  est  de  style  dans  tous  les  premiers  interrogaloires;  il  n'en  est  aucun  oil 
elle  ne  se  trouve.  Elle  ne  suppose  ni  plainte  rendue,  ni  information  ordonnfe, 
ni  tSmoins  eutendus.  Elle  ne  peut  ni  abuser,  ni  tromper,  ni  Eilarmer  les  prison- 
niers. » 

(3)  PP.  43,  66.  Note  de  M.  Tanon  :  «  On  rencontre  une  mention  semblable 
dans  la  plupart  des  affaires  capitales.  On  designe  principalement  par  Ik  la  pro- 
cedure inquisitoriale  faite  par  le  juge  dans  les  cas  criminels  graves.  Bouteiller 
nomme  procfes  extraordinaire  celui  qui  a  lieu  en  graves  crimes  et  inormes.  »  Voy. 
p.  78,  81,  121,  169,  177,  180,  186,  187,  188,  219,  220,  221. 


DU  Xin°  AU  XVI1°   SIECLE.  123 

«  hors  de  peril  de  mort  et  mehaing,  »  on  observe  que  les  parties 
plaident  au  civil  (1).  Cela  ne  signifie  pas  qu'il  n'y  ait  la  qu'une 
affaire  purement  civile,  comme  nous  dirions  aujourd'hui,  car 
souvent  une  amende  est  infligee  (2),  mais  simplement  qu'il  n'y 
a  point  lieu  a  une  peine  criminelle ,  et  qu'on  poursuivra  le  proees 
a  V ordinaire,  suivant  les  regies  de  la  procedure  civile,  qui  a 
I'origine  etaient  aussi  celles  de  la  procedure  penale.  Le  Registre 
dans  un  passage  s'exprime  fort  nettement  a  cet  egard  :  «  Infor- 
macion  en  est  faite  et  convertie  en  civil ,  et  a  amende  I'offence 
de  nostpe  sauvegarde  (3).  »  L'ordonnance  de  1670,  ne  tiendra 
pas  un  autre  langage  (4). 

Dans  le  Registre  de  Saint-Martin  on  ne  constate  pas  I'emploi  de 
la  torture;  mais  il  faut  remarquer  que  Ton  ne  donne  pas  le  detail 
da  proees,  et  que  presque  toujours  ceux  qui  sont  justicies  apres 
proees  fait,  sont  declares  «  avoir  confesse.  »  D'ailleurs,  dans  un 
cas  special ,  le  greffier  remarque  expressement  que  la  confession 
a  ete  obtenue  sans  torture  :  «  Jaquet,  filg  de  Jehan  Duderot,  de 
I'aage  de  nuef  ans  ou  environ ,  detenu  en  nostre  prison ,  pour 
cause  de  ce  que  il,  sans  contraincte  ou  espouvantement  de 
gehine,  confessa  (5).  »  Parfois  on  employait  pour  obtenir  un  aveu 
des  precedes  qui  rappellent  la  menace  de  la  question ,  la  simple 
presentation,  plus  tard  pratiquee  (6). 

(1)  P.  35.  «  Mis  hors  crime,  —  absous  du  civil;  »  —  p.  76.  ■■  Et  plSdent  an 
civil,  sont  eslargis  a  demain;  —  p.  127.  c;  lis  procSdent;  »  —  p.  94.  «  Raport* 
le  p^rilg  hors  par  Emmeline  la  duchesse;  denunciation  criminelle;  —  civil,  ils 
procfedent;  »  p.  116  «  Crime  rapports,  civil.  » 

(2)  P.  82  :  «  Civil  —  par  amende.  ;;  P.  83  :  «  Crime  —  rapport*  —  civil  et 
amende.  »  —  P.  93  :  «  Civil  —  amende.  » 

(3)  P.  97. 

(4)  Ord.,  tit.  XX,  art.  3  :  «  S'il  paroit  avant  la  confrontation  des  tesmoins  que 
I'affaire  ne  doit  pas  estre  poursuivie  criminellement,  les  juges  recevront  les  par- 
ties en  proems  ordinaire.  Et  pour  cet  effet  ordonneront  que  les  informations  se- 
ront  converties  en  enquStes.  »  Voy.  Jousse,  sur  cet  article  :  «  C'est  ce  qu'on 
appelle  oiviliser  un  procfes  ou  renvoyer  les  parties  k  fins  civiles.  Cependant  on 
pent  dire ,  tout  bien  consider* ,  que  cette  procedure  ne  fait  pas  cesser  I'action 
criminelle;  mais  qu'alors  cette  action  cesse  seulement  d'etre  poursuivie  par  la 
voye  extraordinaire,  pour  commencer  k  Hre  poursuivie  par  la  voye  ordinaire.  » 

(5)  P.  51.  Voy.  Introduction,  p.  lxxxviii  a  xoi. 

(6)  «  Et  apres  la  gent  Saint-Martin  les  ramenSrent  arriere ,  k  Noisi ,  et  les  me- 
nSrent  i  fourches  {k  la  potenoe),  et  firent  semblant  pendre  les.  Ils  ne  voudrent 


124  LA   PROCEDURE   CRIMINELLE 

Enfin ,  il  est  interessant '  de  voir  dans  son  ensemble ,  quelle 
etait ,  a  la  fin  du  xiv"  siecle ,  la  jurisprudence  de  la  premiere  pre- 
v6te  de  France,  qui,  sans  doute,  devait  servir  d'exemple  aux 
autres. 

Dans  le  Registre  criminel  du  Chdtelet  de  Paris,  qui  va ,  nous  le 
Savons,  de  1389  a  1392,  il  n'y  a  pas  un  seal  cas  d'accusation 
veritable ,  c'est-a-dire  par  partie  formee.  Sans  doute  le  terme  (1) 
d'accusation  apparait  assez  frequemment,  mais  il  est  aise  de 
voir  qu'il  ne  s'agit  en  realite  que  de  denonciations.  Toujours 
c'est  la  justice  qui  poursuit  d'office ;  le  plus  souvent ,  il  est  vrai , 
elle  agit  a  la  demande  des  interesses ;  la  plainte  de  ceux-ci  porte 
alors  divers  noms  «  denonciation,  requeste,  pourchaz,  clameur; » 
au  fond  ce  sont  toujours  des  denonciateurs.  II  est  a  remarquer 
que  le  proces  ne  s'engage  pas  toujours  d'une  fagon  parfaitement 
reguliere ,  si  Ton  se  reporte  aux  regies  posees  plus  haut.  Selon 
ces  principes ,  en  effet ,  toute  poursuite  d'office ,  sauf  au  cas  de 
flagrant  delit,  doit  debuter  par  une  information.  Dans  le  Registre, 
parfois  le  proces  s'ouvre  par  une  information ,  que  le  greffier  a 
transcrite  (2) ;  ailleurs ,  une  information  est  visee  sans  etre  repro- 
duite  (3) ;  generalement ,  c'est  sur  la  simple  denonciation  de 
partie  que  le  juge  procede  et  fait  arreter  I'accuse  (4) ;  parfois , 
c'est  la  partie  qui  elle-meme  le  fait  prendre,  (5)  directement  par 

riens  confesser  ledit  murtre ,  et  pour  ce  que  il  n'estoit  pas  prouve  bien  a  plein 
centre  eus ,  la  gent  Saint-Martin  les  bannirent  a  Noisi,  en  la  court  de  Saint-Mar- 
tin, h  tous  jours  et  sur  la  hart,  de  toute  la  terre  Saint-Martin.  »  P.  229.  11 
s'agit  de  gens  qui  s'6taient  mis  en  mquite,  et  peut-6tre  emploie-t-on  contre  eux 
ce  sttatagfeme  parce  qu'on  ne  pouvait  pas  les  torturer  d'aprSs  les  rSgles  toblies 
plus  haut.  Voy.  M.  Tanon,  p.  xcix  :  «  lis  furent  admis  a  se  mettre  en  enquSte. 
Le  r^sultat  de  I'enqufite  devait,  en  pareil  cas,  determiner  I'aoquittement  ou  la 
condamnation  sans  qu'il  fti  permis  de  recourir  h.  la  question.  » 

(1)  Certains  passages  semblent  mgme  reproduire  fidfelement  les  anciennes  dis- 
tinctions ;  II ,  279  :  «  Contre  lui  d'aucuns  autres  cas  Ten  n'a  informacion,  denoa- 
ciacion  ou  accusacion  de  partie.  » 

(2)  Voy.  p.  ex.  II,  p.  20,  441,  352;  cf.  I,  523. 

(3)  I,  p.  330,  382,  406;  II,  239,  325. 

(4)  Voy.  p.  ex.  I,  376.  On  pourrait  6tre  tente  decroire  que  dans  ces  cas  si  nom- 
breux  une  information  prfealable  a  toujours  exists ,  sans  qu'il  en  soit  fait  men- 
tion; mais  ce  qui  montre  qu'il  n'en  est  pas  ainsi,  c'est  que  parfois,  aprfes  I'arres- 
tation  et  le  premier  interrogatoire ,  ordre  d'informer  est  donn^  :  Voy.  I,  p.  256; 
II,  p.  77. 

(5)  I,  p.  14;  cf.  I,  212,  365. 


DU   xm"  AU  XVII"   SIECLE.  125 

ua  sergent.  A  ce  point  de  vue  la  denonciation  conserve  I'energie 
de  I'ancienne  accusation ;  ajoutons ,  que  quand  on  procede  ainsi , 
il  est  de  regie  que  le  denonciateur,  en  plein  jugement,  en  face  de 
I'accuse  present ,  affirme  sa  plainte  par  serment ,  fournissant  ainsi 
au  prisonnier  une  premiere  occasion  de  se  defendre  (1),  La  deten- 
tion preventive  existe  dans  tous  les  cas  sans  exception  (2) ;  et  on 
ne  trouve  pas  ici  un  seul  exemple  de  mise  en  liberte  sous  caution. 
Si  maintenant  on  entre  dans  le  vif  du  proces,  on  constate 
I'emploi  constant  des  deux  plus  odieux  moyens  d'instruction  que 
connaitra  la  procedure  extraordinaire ,  je  veux  dire  le  serment 
de  I'accuse  et  la  .torture.  Pas  une  seule  fois  on  ne  manque  de 
faire  jurer  a  I'accuse  qu'il  dira  toute  la  verite  :  il  jure  «  aus  sains 
Euvangiles  de  Dieu ,  sur  le  dampnement  de  I'ame  de  lui  et  sa 
part  qu'il  entendoit  a  avoir  en  paradis ,  qu'il  dira  verite  de  ce 
que  Ten  li  demandera  (3).  »  Quant  a  la  question,  il  est  tres-rare 
qu'elle  ne'soit  pas  infligee  a  I'accuse;  peu  importe  que  celui-ci 
ait  declare  accepter  I'enquete  de  la  fagon  la  plus  nette  (4) ,  et 

(1)  1 ,  158,  173,  175,  344,  365,  393 ;  II,  6,  7,  etc.  C'est  un  trait  que  nous  avons 
dSja  relev6  dans  le  Registre  de  Saint-Martin  des  Champs.  Cf.  Coutume  de  Bragerac, 
art.  XII  (B.  de  Richebourg,  IV,  2 ,  p.  1014)  :  «  Item  aliquis  Burgensis  non  debet 
cap!  nee  arrestari  pro  aliquo  crimine ,  nisi  in  flagranti  seu  recenti  crimine ,  aut  de 
dicto  crimine  fuerit  publice  diffamatus  ,  aut  denunciatio  fiat  contra  eum  de  dicto 
crimine;  qui  quidem  denuncians  debet  jurare  ante  captionem  dicto  bajulo...  dictam 
denunciationem  se  scire  vel  credere  fore  veram ,  et  hoc  etiam  tenetur  facere  coram 
parte  denunciata  antequam  dictus  denunoiatus  respondeat  dictis  propositis  contra 
ipsum.  » 

(2)  II  y  a  un  £crou  regulier  des  prisonniers ,  1 ,  202 ;  d'ailleurs  tous  ne  sont  pas 
trait^s  de  mgme;  les  uns  sont  mis  « tout  seul  en  une  prison ,  »  I,  202,  204;  d'autres 
emprisonn^s  en  commun ,  II,  285.  Tant6t  ils  peuvent  librement  communiquer  avec 
le  dehors ,  1 ,  245  :  «  Fu  fait  mettre  en  la  prison  que  I'eii  dist  la  Fousse ,  afin  que 
chascun  peust  parler  k  lui ;  n  tantdt,  au  contraire,  cette  communication  6tait  inter- 
dite  :  II,  83.  «  La  femme  dudit  Hays  estoit  al^e  oudit  Chastellet  pour  parler  a  son 
mary,  et  que  elle  avoit  en  une  bourse  que  elle  avoit  sur  elle  trfes-grant  quantity  de 
florins  dont  elle  avoit  prfisente  deux  florins  au  geolier,  mais  que  elle  peust  parler 
k  sondit  mary;  lequel  geolier  n'en  avoit  voulu  riens  faire.  » 

(3)  I,  74.  Lorsqu'il  s'agit  de  Juifs ,  on  suit  pour  le  serment  la  coutume  juive. 
II,  44  :  «  Joesne  d'Espaigne  et  Salmon  de  Barselonne  juifs. ...  aprfes  ce  qu'ilz  orent 
est6  fait  jurer  en  leur  loy,  en  mettant  la  main  sur  la  teste  qu'ils  diroient  v6iM... 
congneurent  et  confess^rent.  »  Cf.  II,  132.  —  Le  serment  de  I'accus^  est  du  reste 
exig6  par  le  chapitre  zhi  de  la  Coutume  de  la  Ville  et  Septine  de  Bourges,  plus 
haut  cite.  .^ 

(4)  I,  285  :  «  Dit  que  des  choses  dessus  dites  il  se  rapporte  i  la  voix  et  com- 


126  LA  PROCEDURE   CRIMINBLLE 

qu'il  y  ait  des  temoins  oculaires  (1) ;  alors  meme  qu'il  y  aurait 
aveu,  le  juge  est  autorise  a  employer  la  torture,  s'il  soupconne, 
qu'outre  les  mefajts  qu'il  confesse,  I'accuse  en  a  commis  d'autres. 
Voici  un  passage  qui  revele  bien  I'esprit  de  cette  jurisprudence : 
«  Par  ledit  mons.  le  prevost  fu  demande  ausdis  presens  conseil- 
lers  qu'il  estoit  bon  a  faire  dudit  prisonnier,  et  s'il  avoit  assez 
confessez  par  quoy  il  deust  prendre  mort.  Toiis  lesquels  furent 
d'oppinion  que ,  quant  de  present ,  il  ne  leur  estoit  pas  d'advis 
que  bon  feust  que  Ton  procedast  a  la  condempnacion  dudit  pri- 
sonnier, pour  si  petit  de  larrecin  qu'il  avoit  cogneu  avoir  fait, 
mais  delibererent  que  ycellui  prisonnier  feust  par  plusieurs  fois 
mis  encore  a  question ,  pour  savoir  plus  a  plain  les  autres  crimes 
et  deliz  par  luyfaiz,  commiz  et  perpetrez  (2).  »  II  semble  que 
jusqu'a  un  certain  point  on  confondait  alors  deux  institutions  plus 
tard  distinctes ,  la  question  preparatoire  et  la  question  prealable; 
Les  jugements  qui  prononcent  la  torture  sont  motives  generale- 
ment  sur  les  variations  de  I'accuse  et  sur  sa  basse  et  suspects 
condition  (3). 

Le  juge  du  Chatelet  savait  d'ailleurs  varier  et  graduer  la  quesv 
tion  salon  le  temperament  des  accuses  et  les  besoins  de  la  cause. 
C'etait  generalement  la  question  de  I'eau  qui  etait  employee,  et 
il  semble  que  tantot  on  faisait  boire  I'accuse ,  tantfit  on  jetait  de 

mune  renommSe  dudit  pays...  Requis  se  de  la  commune  renommie  de  son  estat  et 
gouvernement  et  aussi  de  ladite  accusation  il  se  veult  rapporter  et  croire  ou  dit 
et  deposicions  de  Adenatle  Brebiat,  Jehan  Beautas  et  Perrinet  Beautas,  qui.pre- 
sent  estoieut  pour  ce  en  jugement  par  devant  ledit  prisonnier,  dit  par  son  serment 
que  ouyl  pour  mort  et  pour  vie,  et  qu'il  scet  et  oognoist  iceulx  estre  gens  de 
bonne  vie ,  fame  et  renomm^e ;  »  on  le  torture ,  p.  287.  —  Cf.  II,  361,  381,  407, 
448. 

(1)  II,  81,  83. 

(2)  I,  207.  Cf.  I,  463  :  «  Nonobstant  ladite  confession  le  flrerit  I'andemain  re- 
mettre  par  deux  fois  en  gehaynne ,  pour  savoir  et  enqufirir  se  desdites  poisons  il 
savoit  autre  chose  que  confess^  n'avoit ,  ne  se  il  savoit  aucuns  autres  qui  en  fus- 
sent  consentans  ou  coulpables.  » 

(3)  Voy.  p.  I,  196 : «  Veu  I'estat  de  sa  personne  qui  est  femme  de  p6chi4  et  petite 
renommee.  »  Dans  un  cas  oh  la  question  n'est  pas  donnfie  en  constate  que  I'accusft 
<(  est  homme  honeste ,  non  souffreteux  ou  indigent  d'argent ,  parce  qu'il  est  bien 
vestu  et  honnestement.  »  (II ,  28.)  Cf.  Coutume  de  Bragerac  (Bourdot  de  Riche- 
bourg,  IV,  2,  p.  1015),  art.  xvi  :  «  Si  captus  fuerit  dictus  Burgensis  pro  crimine 
capitali  publico  vel  manifesto  et  sit  talis  conditionis  qnod  ipsum  oporteat  quaes- 
itonare.  » 


DU   Xm°  AU  XVII"   SIECLE.  127 

I'eau  sur  lui  (1)  :  a  cet  effet,  il  etait  etendu  et  lie  tout  nu  sur  un 
chevalet  (2) ;  il  y  avait  deux  modeles  de  chevalet ,  «  le  petit  et  le 
grand  tresteau,  »  ce  qui  introduisait  une  gradation  dans  les  tour- 
ments  (3).  II  y  avait  encore  d'autres  sortes  de  questions  plus 
rudes ,  celle  de  la  «  pelote  »  (4)  et  peut-6tre  celle  de  «  la  cour- 
tepointe  »  (5).  Parfois  on  modere  les  rigueurs  ,  on  questionne 
«  doulcement  »  (6). 

II  parait  que  la  question  pouvait  etre  indefiniment  reiteree; 
sa  repetition  n'avait  d'autres  limites  que  I'obstination  du  juge 
ou  la  force  de  resistance  de  I'accuse  (7).  G'etait  la  un  terrible 
moyen  d'instruction ;  mais  il  faut  avouer  qu'il  reussit  gene- 
ralement  a  arracher  la  verite  aux  justiciables  pen  interessants 
du  prev6t  de  Paris.  Le  plus  souvent,  des  qu'ils  sont  mis  k  la 
question,  ils  commencent  une  confession  gen^rale  des  moins  edi- 
flantes;  la  liste  des  vols  et  des  meurtres  s'allonge  indSfiniment 
sous  la  plume  du  greffler.  fitant  donne  I'etat  d'insecurite  et  les 
brigandages  que  revele  le  Registre  criminel ,  on  comprend  que  les 
hommes  de  ce  temps  se  montrassent  rudes  et  durs  envers  les  accu- 
ses. Mais  d'autre  part,  parfois  la  question  prete  son  appui  redou- 
table  aux  prejuges  de  I'epoque,  et  vient  confirmer  les  plus  regret- 

(1)  I ,  p.  145  :  «  Et  avant  ce  que  Ten  lui  donnast  a  boire  eau  ou  que  Ten  en 
jettast  aucune  sur  lui.  »  I,  179  :  «  Ainsi  comme  Ten  lui  est  donn6  un  petite 
boire.  »  Presque  k  chaque  page  on  trouve  ces  expressions :  «  Comme  on  li  veult 
donner  de  I'eaue ,  »  «  Comme  len  ot  mis  un  petit  d'eaue  sur  elle.  » 

(2)  «  Fu  d^pouill6 ,  mis  et  Hi  k  la  question.  »  Expressions  qui  reviennent  sans 
cesse.  V.  p.  ex.,  I,  264  : «  Ladite  Marguerite  fu  feite  despoiller,  li^e  k  la  question 
par  les  piez  et  par  les  mains.  » 

(3)  Voy.  p.  ex.,  I,  207  :  «  Fu  icellui  prisonnier  mis  a  question  sur  le  petit  et  le 
grant  tresteau.  »  —  248  :  kFu  mis  k  question  sur  le  petit  tresteau,  et  ainsi  comme 
len  le  voult  mettre  surle  grand  tresteau,  requist  a  grand  instance  que  len  le  meist 
hors.  » 

(4)  I,  212  :  «  Fu  de  rechef  ramene  et  mis  a  la  question  de  la  pelote. »  — 11,  34  : 
«  Pour  ce  que  aucune  chose  ne  voult  conf esser  fu  mis  a  la  question  de  la  pelote. » 

(5)  II,  203  :  «  Fu  d6pouill6  tout  nu,  mis,  ly6  et  estendu  k  la  question  de  la 
oourtepointe  sur  le  petit  tresteau.  » 

(6)  I,  241  :  «  Furent  d'opinion  que*.,  icelluy  prisonnier  feust  mis  doulcement  k 
question.  »  —  II,  S23  :  «  Sauf  tant  que,  pour  sa  vieillesoe,  il  feust  une  seule  foiz 
et  doulcement  traiti^  et  questionn6.  » 

(7)  Margot  de  La  Barre  est  tortur^e  quatre  fois  (I,  330,  333,  335,  353).  —  Re- 
gnault  de  Poilly  «  pour  plus  avant  savoir  la  vfiritfe  par  sa  bouche  fu  mis  a  ques- 
tion par  cinq  fois  en  plusieurs  et  divers  jours.  »  (I,  432.) 


128  LA.   PROCEDURE   CRIMINELLE 

tables  erreurs.  Dans  un  proces  de  sorcellerie ,  torturee  pour  la 
quatrieme  fois ,  une  femme  flnit  par  avouer  qu'elle  a  vu  le  diable 
et  lui  a  parle.  «  Et  lors...  s'apperu  a  elle  un  annemi  en  facon  et 
^stat  des  ennemiz  que  len  fait  aus  jeux  de  la  Pacion,  sauf  tant 
qu'iln'avoitnuUes  comes.  Li  dist  ses  paroles  :  Que  demandes- 
tu?..  Et  elle  qui  parle  li  dit...  et  vit,  elle  qui  parle,  issir,  par 
une  fenestre  qui  estoit  ouverte  en  sa  chambre ,  ledit  ennemi ;  et  a 
I'issir  dudit  hostel,  fist  icellui  ennemi  grant  noise,  et  en  ma- 
niere  de  tourbeillon  de  vent ,  dont  elle  qui  parle  ot  moult  grant 
paour  et  freour  (1).  » 

II  est  des  temperaments  assez  robustes  cependant  pour  resister 
a  ces  souffrances ,  des  hommes  qui  sauvent  leur  vie ,  quoique  le 
juge  en  ait.  Thevenin  de  Braine  a  ete  mis  quatre  fois  a  la  ques- 
tion sans  rien  avouer ;  alors  «  attendu  I'estat  de  sa  personne  qui 
est  homme  pervers ,  de  dure  et  mauvaise  voulente ,  lequel  par  sa 
confession  I'ennepuet  attaindre  des  delits  par  lui  fais  et  commis, 
que  quant  aucun  commet  crime,  qu'il  ne  appelle  pas  tesmoins 
pour  veoir  faire  icelli ,  et  considere  que ,  pour  ses  delis  fais  et 
commis,  il  a  autrefois  este  banni  et  audit  ban  acquiesce...  et  qu'il 
est  homme  incorrigible. . .  delibererent  et  furent  d'oppinion  que  a 
toujours  du  royaume  de  France  icelli  Thevenin  de  Brayne  feust 
bany,  sur  peine  de  la  hart  (2).  )> 

Pour  que  I'aveu  obtenu  a  la  question  put  servir  de  fonde- 
ment  a  une  condamnation ,  il  fallait  d'ailleurs  qu'il  fut  maintenu 
en  dehors  de  la  torture.  Aussi  le  Registre  constate  que  chaque  fois 

(1)  I,  p.  356.  Dans  ce  proofs  curieux  il  s'agit  de  sortileges  qui  rappellent  va- 
guement  la  seconde  idylle  de  Thfecrite.  Une  courtisane,  Marion  I'Estalfe,  est 
r^ellement  Uprise  de  son  amant  qui  va  se  marier ;  elle  fait  pratiquer  par  une  amie 
plus  4g6e ,  Margot  de  La  Barre,  de  naifs  et  inoffensifs  enchantements.  Marion  fut 
torturee  trois  fois  et  Margot  quatre ;  toutes  deux  furent  br<116es  vivos. 

(2)  II,  147;  of.  I,  163  :  «  Attendu...  que  lesdits  prisonniers  ont  cogneu  etcon- 
fessS  le  moins  qu'ils  ont  peu ,  I'estat  d'iceux  et  peine  de  prison  par  euU  souf- 
ferte,  delib^rferent  et  furent  d'oppinion  que  ioeulx  prisonniers  feussent  tournez  ou 
pilory  es  hales,  ilec  cri6  les  causes  de  leur  jugement ,  et,  en  aprfes,  baniz  de  la 
ville,  vicontS  et  pr6vost6  de  Paris  a  toujours. »  —  I,  506  :  «  Attendu  que  icellui 
Berthaut  est  homme  vacabond,  et  I'estat  d'icellui,  que  il  estoit  bon  que  de  recMef 
il  feust  mis  encore  une  fois  h  question ,  et  s'il  ne  confessoit  autre  chose  que  dit 
est  dessus,  qu'il  feust  menfe  en  la  cherete  jusques  h  la  justice  de  Paris,  et  que 
illec  li  coppast  I'oreille  destre  et  feust  bany  a  tousjours  de  la  dite  viUe  de  Paris  et 
a  X  lieues  environ.  » 


DU  XIII"  AU  XVII°   SIECLE.  129 

on  mene  le  patient  transi  de  froid,  epuise  et  meurtri,  a  la  cuisine 
du  Chsitelet,  la  on  le  fait  chauffer  et  on  le  reconforte  (1) ;  puis  en 
jugement  on  I'interroge  a  nouveau ,  sans  aucune  autre  contrainte 
que  la  foi  du  serment.  S'il  se  retracte ,  I'aveu  precedemment  ob- 
tenu  perd  sa  force ;  il  est  vrai  que  le  prisonnier  doit  alors  s'atten- 
dre  a  ce  qu'on  le  remette  a  la  torture ;  il  en  est  pourtant  qui  reti- 
rent  a  chaque  fois  leur  confession,  et  echappent  ainsi  a  la 
mort  (2). 

Voila  des  traits  qui  marquent  lugubrement  cette  procedure 
du  Chatelet  de  Paris,  il  faut  dire  qu'il  y  a  des  cotes  moins 
sombres  au  tableau.  Le  Registre  criminel  montre  que  I'accuse 
pouvait  encore  presenter  assez  librement  sa  defense.  Sans  doute 
nous  ne  voyons  jamais  celle-ci  conduite  par  un  avocat ,  mais  le 
prisonnier  peut  discuter  les  temoignages  qu'on  produit  contre  lui 
et  presenter  sa  justification.  Nous  avons  dit  que  souvent  le  proves 
ne  commence  point ,  comme  la  regie  le  voudrait ,  par  une  infor- 
mation. Alors ,  s'il  y  a  des  temoins  a  entendre ,  frequemment  ils 
sont  amenes  dans  I'auditoire  et  deposent  en  la  presence  meme  de 
I'accuse,  qui  a  toute  faculte  de  les  contredire  (3).  Lorsqu'il  y  a 
une  information,  plusieurs  passages  montrent  que  I'accuse  la  con- 
nait  (4f).  Si  Ton  procede  a  la  seconde  partie  du  proces,  a  Venquete, 
nous  trouvons  plusieurs  fois  qu'on  suit  la  marche  deja  tracee  dans 

(1)  La  formule  ordinaire  est : «  Si  fu  mis  hors  d'icelle  (question)  et  menS  choffer 
en  la  cuisine  en  la  maniere  acoustumSe ;  »  parfois  il  est  dit  quelque  chose  de  plus, 
I,  167  :  ((Aprfes  ce  qu'il  ot  est6  trSs-bien  eschauffe,  vestu  et  r6chauff6.  »  —  II, 
313  :  «  Apres  ce  qu'il  ot  est6  bien  et  longuement  chauffe ;  »  —  1 ,  321  :  «  AprSs 
ce  qu'il  ot  beu  et  mengie ,  chofffi-  et  soy  refrescM ,  f ut  derechef  ramen6  en  juge- 
ment. » 

(2)  ProcSsde  Joesne  d'Espaigne.  II,  53-6;  ilest  seulement  abany  du  royaume. » 
Cf.  1 ,  438,  ssq. 

(3)  1, 134  «  :  Auquel  prisonnier,  ouyes  les  deposicions  cy-dessus  escrites,  faites 
en  sa  presence  par  lesdiz  Gilet  et  David,  fu  demand^,  etc. »  I,  303  :  «  Avant  que 
Ten  procedast  plus  avant  ci  I'encontre  desdiz  prisonniers,  ledit  chevalier  seroit 
envoys  querre  d'offleede  justice,  k  certain  jour,  pour  estre  examine  sur  ce  que 
dit  est  en  la  presence  desdiz  prisonniers. »  I,  313  (il  s'agit  d'herbes  trouvfies  sur 
I'accusS,  qu'on  suppose  §tre  v6n6aeuses) :  «  Pour  ce,  en  sa  presence,  fu  fait  venir 
Richart  de  Bules ,  herbier,...  ausquel  lesdites  herbes  dessus  dites  furent  mons- 
trees.  » 

(4)  I,  407  :  «  Nye  avoir  onoques...  dit  les  paroUes  dont  est  faiote  mencion  en  I'in- 
formacion.  » I,  260  :  «  Quant  aus  paroles  conteaues  en  ladite  informacion,  que  Ten 
dist  par  elle  avoir  este  dites ,  il  ne  sera  ja  sceu  ne  trouvfi.  » 


130  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

Beaumanoir;  les  temoins  sont  amenes  en  presence  de  I'accuse 
et  pretent  serment  devant  lui,  afin  qu'il  puisse  presenter  ses 
causes  de  recusation,  mais  ils  deposent  hors  de  sa  presence, 
devant  Venquesteur  seul  (1).  Mais,  selon  le  principe  tradition- 
nel ,  on  donne  connaissance  des  depositions  au  prisonnier ;  on 
lui  en  donne  lecture  :  «  Li  demande  et  requis ,  que  sur  la  de- 
position  d'icelle  Marion ,  qui  li  feut  leue ,  elle  deist  verite  (2).  » 
—  «  Apres  la  depposicion  Gieffroy  Olivier,  a  lui  leue  mot  apres 
autre,  se  rapporta  et  creut  du  tout,  pour  ou  centre  lui  ou  dit 
d'icellui  (3).  »  Parfois  I'accuse  demande  qu'on  fasse  de  nou- 
veau  deposer  le  temoin  en  sa  presence  et  I'obtient.  "  Macete, 
femme  Hennequin  de  Reuilly...  requise  se  elle  se  veult  rap- 
porter  ad  ce  que  la  dite  divine  (devine ,  sorciere)  vouldra  de  ce 
dire  et  deposer  pour  elle  ou  centre  elle ,  dit  par  son  serment 
que  non,  et  que  voulentiers  elle  le  orra  parler,  et  pour  ce... 
ledit  mens,  le  prevost  fit  venir  et  attaindre  en  jugement  icelle 
Jehanne  de  Brigue  que  Ton  dit  estre  divine...,  en  la  presence 
de  laquele  Macete  (i).  »  D'ailleurs,  afin  d'eviter  toute  difficulte, 
il  arrive  aussi  qu'apres  I'information ,  au  lieu  de  proceder  a 
I'enquete  dans  la  forme  ci-dessus  decrite,  on  fasse  deposer  les 
temoins  en  plein  jugement  en  presence  de  I'accuse  :  «  Par  Fop- 
pinion  desdiz  conseillers  fu  dit...  que  Margot...  et  Jehennette  du 
Ble ,  examinees  en  ladite  informacion ,  seroient  derechief  faites 
jurer,  oyes  et  examinees  en  la  presence  dudit  prisonnier.  Et, 
ce  fait,   et    incontinent    furent   mandees  en  jugement  icelles 
femmes,  es  depposicions  desqueles  icellui  prisonnier...  se  rap- 
porta ;  lesqueles  furent  examinees  |et  deposerent  en  la  presence  .' 
dudit  prisonnier  (5).  » 

(1)  Voy.  en  particulier  II,  p.  20  et  suiv.;  quatre  depositions  sont  rapportfies;  il 
est  dit  pour  chaque  timoin  qu'il  a  kik  « jurS  en  la  presence  de  Chariot  le  Convers 
(I'accusg)...  oy  et  examine  en  I'absence  dudit  Chariot;  »  ils  sont  interrpgSs,  comme 
dans  Beaumanoir,  "  sur  les  faiz  de  la  rebriche  cy-dessus  escripte.  » 

(2)  I,  264. 

(3)  I,  415 ;  of.  II,  290,  347. 

(4)  II,  320 ;  I,  350  :  « Demande  se...  elle  s'en  vieult  raporter  et  croire  en  ce  que 
ledit  Ancel  en  dira  et  deposera.  Laquele  Margot  dist  que  a  ouyl,  mes  que  elle  le 
ouyst  parler  et  qu'il  jurast  en  sa  presence.  Et  pour  ce  fu  fait  mander  en  jugement 
le  dessus  dit  Ancel  lequel...  dist  et  d^posa  en  la  presence  d'icelle  Margot.  » 

(5)  II,  p.  81. 


Du  xm°  Au  xvn"  siecle.  131 

Si  la  justice  est  dure,  elle  cherche  cependant  a  tenir  la  ba- 
lance egale.  L'accuse  peut  prouver  son  innocence  (1) ;  des 
qu'il  invoque  quelque  fait  justificatif,  alibi  ou  autre,  on  s'em- 
presse  de  lui  en  faciliter  la  preuve.  S'il  s'agit  de  faits  simples 
a  verifier  et  que  les  temoins  a  entendre  soient  proches ,  le  juge 
leg  fait  immediatement  querir  (2) ;  ou  encore  on  envoie  un  exa- 
minateur  du  Ch§,telet  pour  recueillir  le  temoignage  (3) ,  «  Ouye 
la  confession  duquel  prisonnier,  commande  fu  audit  maistre 
Nicolas  Bertin  que  il  se  transportast  devers  icelle  dame  de 
Fymes  et  sceut  d'elle  se  ce  que  ledit  prisonnier  avoit  dit  estoit 
vray  ou  non  (4) ;  »  ou  enfln  on  ouvre  une  information  reguli^re , 
«  Commande  audit  maistre  Jehan  Soudan  qu'il  parlast  et  exa- 
minast  ledit  Ancel  Gohier  et  autres  qu'il  verroit  que  bon  seroit , 
pour  savoir  se  Valibi  propose  par  ladite  Margot  estoit  vray  ou 
non ,  et  que  ce  que  fait  auroit  en  ceste  partie  il  rapportast  le  len- 
demain  matin,  ou  le  plus  tost  que  bonnement  porroit  (5).  » 
Contre  les  sentences  de  torture,  l'accuse  n'avait  qu'une  res- 
source",  c'etait  d'en  appeler  au  Parlement.  L'appel,  forme  d'un 
mot,  suspendait  I'execution  de  I'interlocutoire ,  et  il  est  plu- 
sieurs  fois  intente  dans  le  Registre  criminel;  mais  nous  voyons 
aussi  que  constamment  le  Parlement  confirme  la  jurisprudence 
du  Chatelet  (6). 

La  procedure  criminelle ,  telle  que  nous  venous  de  la  montrer, 
bien  que  les  grandes  lignes  en  fussent  deja  fixees ,  etait  encore 

(1)  Bisons  en  passant  qu'une  fois,  dans  le  Registre,  11  est  question  de  la  provoca- 
tion au  dueljudiciaire;  mais  il  s'agit  d'une  pauvrefille,  dont  nous  avons  parle  plus 
haul,  qui  se  defend  dfisesp^remment  et  qui  sans  doute  a  entendu  causer  des  gen- 
tilshommes.  I,  344  :  «  Disant...  qu'il  n'en  estoit  riens,  mais  avoit  menti  et  men- 
toit  faussement  icelle  Marion,  en  11  ofTrant  et  baillant  son  gaige  de  bataille.  » 

(2)  II,  345  :  «  Fu  par  ledit  lieutenant  command^  a  Jehan  Vilete ,  sergent  k  verge , 
que  hastivement  il  alast  en  ladite  rue  de  la  Vennerie  et  feist  venir  toutes  les 
femmes  tenans  establies  de  ferrer  chanvre ,  pour  estre  par  ledit  lieutenant  exami- 
nees sur  ce  que  dit  est.  »  I,  411  :  «  Est  ordonn^  que  ledit  Gieffroy  Olivier  sera 
mandi  et  fait  venir  en  la  presence  dudit  prisonnier.  » 

(3)  II,  232;  r,  401 ;  II,  361  :  «  Commanda  au  dit  maistre  Dreue  d'Ars  que  il  se 
transportast  devers  iceUe  dame  et  I'examinast...  au  mieulx  et  plus  diligemment 
que  bonnement  pourroit.  » 

(4)  n,  411. 

(5)  I,  346. 

'   (6)  I,  334;  II,  143-4;  299,  415,  428. 


132  LA.  PROCEDURE   CRIMINELLE 

hesitante  et  variable  sur  certains  points.  EUe  devait  done  se  precl- 
ser  encore.  Cast  ainsi  que  nous  voyons  s'introduire  ]e  recolement 
des  temoins.  Selon  un  usage  ancien,  ce  n'etait  pas  le  juge  lui- 
meme  qui  entendait  les  temoins  dans  rinforniation  et  recueillait 
leurs  depositions  par  ecrit,  mais  un  delegue  special.  Le  plus  sou- 
vent  c'etait  un  sergent,  parfois  un  praticien,  qui  informait  assiste 
d'un.notaire ;  parfois  il  existait  pres  des  juridictions  des  fonction- 
naires  speciaux  charges  de  cet  office  et  portant  le  vieux  nom  d'ere- 
questeurs.  «  Le  procureur  du  roy  et  la  partie  civile  font  faire 
information  du  cas  commis  par  un  sergent  royal  ou  de  seigneur 
haut  justicier,  appele  avec  luy  un  notaire  royal  ou  de  cour  laye ; 
et  en  aucuns  lieux  on  prend  mandement  du  juge  pour  ce  faire, 
en  autre  on  prend  de  I'enquesteur  du  siege ,  auquel  on  vient  les 
rapporter ;  en  autres,  il  n'y  a  que  I'enquesteur  qui  puisse  besoigner 
information ,  ce  qui  n'est  pas  raisonnable  et  vient  a  trop  grande  . 
foule  des  parties  :  en  autres  lieux ,  on  ne  prend  point  de  mande- 
ment de  juge  (1).  »  Ces  usages  etaient  pleins  d'inconvenients ,  ils 
remettaient  les  interSts  les  plus  graves  aux  mains  d'un  officier 
subalterne ;  pour  les  corriger  on  admit  que  le  juge  devrait  lui- 
meme  entendre  de  nouveau  le  temoin ,  ce  fut  le  recolement : 
«  On  ne  recole  point ,  dit  Ayrault ,  les  temoins  examines  par  le 
juge,  sinon  qu'on  lui  oste  la  cause ,  comme  a  juge  suspect  (2).  » 
Cela  d'ailleurs  suppose  que  I'ancienne  division  du  proces  en 
information  et  enqueste  etait  devenue  lettre  morte  et  que  I'en- 
quete  telle  que  nous  I'avons  decrite  etait  tombee  en  desuetude;' ' 
sans  doute,  que  I'accuse  y  consentit  ou  non,  on  avait  admis  que 
toujours  « I'information  vaudrait  enqueste.  »  L'information  tendra 
jusqu'au  bout  a  absorber  le  reste  du  proces.  En  meme  temps 
que  s'etablissait  le  recolement,  comme  I'accuse,  dans  la  proce-', 
dure  extraordinaire ,  ne  recevait  point  copie  ni  communication  de 
l'information ,  I'usage  s'introduisit  de  le   confronter  isolement 
avec  chaque  temoin.   C'etait  le  moins  qu'on  pouvait  faire,  et 
c'est  a  ce  moment  que  I'accuse  devait  faire  valoir  ses  reproches, 

(1)  Imbert,  Pratique,  1.  Ill,  ch.  2,  n"  2  (Edition  de  1604);  cf.  Ayrault,  op.  cil., 
1.  Ill,  art.  1,  n"  40.  Bien  que  les  auteurs  ciWs  soient  du  xvio  sifecle ,  les  usages 
qu'ils  constatent  remontent  plus  haul. 

(2)  Op.  cU.,  liv.  Ill,  art.  2,  n»  38. 


DU  Xm°  XV  XVII°  SIECLE.  133 

s'il  en  avail  a  presenter.  Quant  a  produire  de  son  c6te  des  te- 
moins,  il  est  probable  que  bient6t  il  ne  put  le  faire ,  a  moins  que 
le  juge  ne  lui  en  accord§,t  I'autorisation  apres  que  les  temoins 
de  I'accusation  avaient  ete  entendus,  recoles  et  confrontes. 

Dans  un  pareil  systeme ,  ce  qui  restait  de  I'ancienne  procedure 
accusatoire  devait  forcement  disparaitre.  L'accusalion  de  partie 
formee  s'eteint  au  xvi°  siecle  sans  qu'aucune  loi  I'ait  supprimee  : 
«  Est  a  noter  qu'aujourd'huy  les  parties  formees  ne  scut  regues 
en  France ,  scavoir  est  qu'on  puisse  arrester  quelqu'un  et  faire 
mettre  en  prison  pour  cause  de  delict ,  sans  informations  pr^ce- 
dentes ,  encore  que  celuy  qui  se  rend  partie  formee  veuille  tenir 
prison  comme  I'autre  (1).  » —  «  Veritablement  il  n'y  a  pas  long- 
temps  qu'il  se  faisoit ,  et  tel  accusateur  s'appeloit  partie  formee , 
mais  nous  ne  pratiquons  plus  cela.  Et  si  je  ne  I'ai  jamais  veu 
arriver  qu'une  foys;   c'estoient  deux  estrangers  incogneus   et 
qui  n'avoient  pleiges...  per  ce  qu'ils  estoient  inconneus  et  qu'ils 
I'offroient,  je  les  y  receus  (2).  »  Desormais  nous  ne  trouve- 
rons  plus  qu'un  veritable  accusateur,  le  procureur  du  roi  ou  des 
seigneurs;  la  peine  est  infligee  dans   un  interet  general,  non 
plus  pour  satisfaire  le  desir   de  vengeance  d'un  particulier  : 
«  Nous  avons  deux  manieres  d'accusateurs ,  dit  Imbert ,  les  uns 
qui  poursuivent  I'interet  du  roi  et  de  la  chose  publique,  que 
que  nous  appelons  les  gens  du  roy,  scavoir  I'avocat  et  procureur 
du  roi  ou  des  seigneurs  ayant  haute  justice,  (ils)  tendent  a  puni- 
tion  corporelle  et  amende  honorable  et  pecuniaire  contre  le  de- 
linquant;  les  autres  demandant  reparation  de  leur  interet  civil, 
qu'ils  ont  souffert  a  cause  du  delit  commis  en  leurs  personnes  ou 
en  leurs  biens  et  ne  tendent  point  a  punition  corporelle  par 
nostra  stile ,  combian  que  selon  droit  commun  peuvent  tendre  a 
punition  corporelle  et  a  reparation  de  leur  interet  (3).  »  Las  par- 
ticuliers  leses  ne  disparurent  point  du  proems ,  ils  y  demeurerent, 
comme  nous  I'avons  dit  en  parlant  de  la  denonciation ,  pour  de- 
mander  des  dommages  et  interets.  Da  la  vient  la  constitution  de 
partie  civile ,  I'un  des  traits  les  plus  originaux  da  notre  proce- 

(1)  Imbert,  Pratique,  III,  ch.  1,  n»s  H,  14. 

(2)  Ayrault,  op.  dt.,  liv.  Ill,  art.  I,  n"  15, 

(3)  Imbert,  Pratique,  II,  ch.  1,  n"  3. 


134  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

dure  criminelle.  La  personne  lesee  est  bien  reellement  partie  au 
proces  criminel;  elle  produit  des  temoins;  c'est  meme  elle  qui 
entame  la  cause  en  demandant  au  juge  la -permission  de  faire 
informer,  comme  on  dira  jusqu'aux  derniers  jours  de  I'ancien 
droit.  Les  actes  de  la  procedure  sont  encore  faits  en  son  nom  et  a 
ses  frais  (1).  Alors  a  vrai  dire  le  ministere  public  est  non  point 
-partie  principale,  mais  partie  jointe  (2).  La  constitution  de  partie 
civile  est  en  realite  un  melange  de  I'ancienne  accusation  de 
partie  formee,  et  de  I'ancienne  denonciation  de  la  partie  lesee; 
dorenavant  elle  se  distinguera  nettement  de  la  denonciation; 
dans  cette  derniere  le  particulier  se  fait  simplement  I'instigateur 
d'un  proces ,  oil  le  procureur  d'office  figure  seul. 

(1)  «  Le  plus  souvent  le  procureur  du  roy  et  la  partie  civile  sont  ensemble  de- 
mandeurs,  et  lors  la  partie  civile  fait  tous  les  frais  du  proems  criminel. »  (Imbert.) 

(2)  «  Est  dSfendu  par  les  Ordonnances  royaux  au  procureur  du  roy  de  non  se 
joindre  avec  aucune  partie  civile,  sans  information  pr6c6dente.  »  Imbert,  Prati- 
que, HI,  ch.  1,  n»  3. 


Du  xin"  Au  xvn°  sieicle.  13S 


CHAPITRE  TROISIEME. 

La  procedure  criminelle  d'aprSs  les  Ordonnances 
des  XY=  et  XVI^  sifecles. 


I.  Les  Ordonnances  de  1498  et  de  1339  :  le  procSs  criminel  au  xrfi  si^cle.  — 
II.  Protestations  centre  I'Ordonnance  de  1539  :  Constantin,  Du  Moulin,  Pierre 
Ayrault.  —  III.  La  procedure  criminelle  et  les  Etats-G^neraux  du  xvi«  siecle. 

Nous  venons  de  traverser  une  periode  de  transition  et  de  for- 
mation. Dans  ce  developpement ,  qui  avait  modifle  si  profon- 
dement  la  procedure  criminelle,  I'agent  dont  I'influence  s'etait 
surtout  fait  sentir,  e'etait  la  jurisprudence  des  sieges  royaux. 
A  vrai  dire  elle  avait  tout  fait ;  le  pouvoir  legislatif ,  c'est-a-dire 
le  pouvoir  royal,  n'etait  intervenu  que  pour  confirmer,  dans 
quelques  breves  indications  des  Ordonnances,  des  regies  deja 
connues  et  admises.  Ce  sont  les  juristes  et  la  pratique  qui  in- 
troduisent  et  etablissent  dans  la  procedure  criminelle  cette  dua- 
lite  de  formes,  qui  la  divise  en  proces  ordinaire  et  extraordi- 
naire ,  clef  de  voiite  de  tout  I'edifice.  Mais  une  fois  que  revolution 
fut  accomplie ,  le  systeme  etant  arrive  a  son  entier  develop- 
pement, la  Royaute  vint  le  fixer  dans  le  cadre  de  la  loi.  Des 
Ordonnances  celebres ,  a  la  fin  du  xv*  siecle  et  dans  la  premiere 
moitie  du  xvi°,  enregistrent  les  grandes  regies  desormais  eta- 
blies ;  elles  precisent  certains  points  oil  la  pratique  etait  fiottante 
ou  abusive.  Si  elles  introduisent  quelques  rigueurs  nouvelles, 
on  pent  dire  que ,  meme  en  cela ,  elles  ne  font  que  hater  ce  que 
la  pratique  allait  produire ,  que  generaliser  peut-etre  ce  qu'elle 
avait  introduit  en  tel  ou  tel  lieu.  De  ces  Ordonnances  les  plus 
importantes  de  beaucoup  sont  celles  de  1498  et  de  1539  (1). 

(1)  L'Ordonnance  tr6s-6tendue  de  1507  (Isambert,  XI,  p.  464,  ssq.),  n'est  qu'une 
adaptation,  faite  pour  laNormandie,  des  Ordonnances  ant^rieures;  pour  les  ma- 
tiSres  crlminelles  en  particulier,  les  art.  184  et  suivants  ne  font  que  reproduire  les 
art.  106  et  suivants  de  I'Ordonnance  de  1498. 


136  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 


I. 

L'Ordonnance  de  1498,  dans  la  partie  qui  nous  interesse,  a 
surtout  pour  but  de  distinguer  nettement  la  procedure  ordinaire 
et  la  procedure  extraordinaire,  d'indiquer  comment  on  choisit 
I'une  ou  I'autre  voie ,  et  quelles  formes  on  suit  de  part  et  d'autre. 
Tout  d'abord  il  doit  etre  fait  une  information,  piece  tenue  se- 
crete pour  tous  si  ce  n'est  pour  les  gens  du  roi  (1).  «  Apres 
deliberation  prise  sur  lesdites  informations ,  sera  fait  un  dictum 
par  ecrit,  signe  de  la  main  de  celui  qui  les  aura  vues  et  rap- 
portees,  qui  contiendra  les  provisions  tant  d'ajournement  per- 
sonnel, prise  de  corps  et  autres  (2).  »  On  precede  done,  s'ily  a 
lieu ,  a  la  citation  ou  a  la  capture ,  puis  vient  I'interrogatoire  (3), 
qui ,  immediatement  avec  les  informations ,  est  communique  aux 
gens  du  roi  (4),  afm  qu'ils  prennent  leurs  requisitions.  C'est  ici 
que  la  procedure  va  se  bifurquer  :  «  Art.  108.  Et  ce  fait  sera 
appointe  que  Ton  procedera  extraordinairement ,  ou  si  les  parties 
seront  oiiyes.  »  Si  on  se  decide  pour  ce  dernier  parti,  les  parties 
«  seront  oiiyes  en  jugement  en  pleine  auditoire ,  avant  que  y 
donner  appointement,  et  ce  fait,  seront  lesdites  parties  appointees 
par  nos  dits  baillifs,  senechaux  et  juges,  ou  leurs  lieutenants 
ainsi  que  raison  devra  (5) ;  »  c'est-a-dire  qu'on  procedera  aux  en- 
quetes  et  aux  plaidoiries  suivant  les  anciennes  formes  (6).  Ce- 

(1)  Art.  120  (Isambert,  XI,  p.  367);  art.  96,  ssq.  (p.  362). 

(2)  Art.  98  (p.  362). 

(3)  Art.  106  :  «  Que  tous  emprisonnez,  arrestez  ou  ajournez  a  comparoir  en 
personne,  seront  par  nos  dits  baillifs,  senechaux  et  juges ,  ou  leur  lieutenans,  inter- 
rogez  a  toute  diligence,  et  seront  les  matiSres  exp^diSes  sommairement  et  de  plein, 
nos  avocat  et  procureur  et  les  parties  (parties  civiles)  oiiyes.  » 

(4)  Art.  107  :  «  Sans  ce  que  rien  en  soil  monstr6  ou  communique  aux  parties. » 
(Sj  Art.  107. 

(6)  Art.  119  :  «  Les  parties  sont  appointees  contraires  et  en  enquestes. »  Art. 
118  :  «  Sera  la  matifere  plaidoyee  publiquement.  »  Cf.  Ordonn.  de  1493  (Isambert, 
XI,  p.  241).  Art.  84  :  «  Et  quant  aux  matifires  des  prisonniers  et  gens  ajournez  a 
comparoir  en  personne ,  ou  autres  qui  cherront  en  plaidoirie ,  nous  voulons  et  or- 
donnons  que  nostre  dit  avocat,  qui  plaidera  la  matifere  pour  nous,  recite  bien  au 
long  les  charges,  informations  et  confessions,  et  prenne  conclusions  pertinentes,  a 
ce  que  les  delinquans  puissent  connoistre  leurs  fautes  et  que  ce  soit  exemple  a 
tous.  » 


DU  Xin°  AU  XVII"   SIECLE.  137 

pendant  une  procedure  plus  rapide  pe'ut  etre  suivie;  le  procu- 
reur  du  roi  ou  la  partie  peuvent  declarer  qu'ils  veulent  prendre 
droit  par  la  confession  de  I'accuse ;  «  ils  bailleront  leurs  con- 
clusions par  ecrit  seulement,  ausquelles  le  confessant  pourra  re- 
pondre  afia  de  attenuation  tant  seulement ,  et  ce  fait ,  leur  sera 
fait  droit  ainsi  que  de  raison  (1).  » 

Si  au  contraire  on  decide  qu'il  sera  procede  par  la  voie  ex- 
traordinaire,  I'ordonnance  s'occupe  de  preciser  les  deux  traits 
qui  distinguent  ceUe-ci,  le  secret  et  I'emploi  de  la  torture  :  «  Art. 
110.  Quant  aux  prisonniers  et  autres  accusez  de  crime,  ausquels 
faudra  faire  proces  criminel ,  ledit  proces  se  fera  le  plus  diligem- 
ment  et  secretement  que  faire  se  pourra ,  en  maniere  que  aucun 
n'en  soit  averti,  pour  eviter  les  subornations  et  forgemens  qui 
se  pourroient  faire  en  telles  matieres,  en  la  presence  du  greffier 
ou  de  son  commis ,  sans  y  appeler  le  geolier,  sergens ,  clercs  ou 
serviteurs,  et  tons  autres  qui  n'auront  le  serment  k  nous  et  a 
justice  (2).  »  Quant  a  la  torture,  I'Ordonnance  de  1498  contient 
des  dispositions,  qui  sont  en  realite  un  adoucissement  de  la 
pratique  anterieure.  Elle  ordonne  d'abord  que  la  sentence ,  qui 
prononce  la  question,  soit  rendue  apres  une  deliberation  se- 
rieuse  (3);  surtout  elle  defend  de  renouveler  la  torture,  tant 
qu'il  n'y  a  pas  de  presomptions  nouvelles,  «  art.  114.  Nous 
defendons  a  tons  nos  baillifs,  senechaux  et  juges  ou  leurs  lieu- 
tenans ,  qu'ils  ne  procedent  a  reiterer  de  nouveau  ladite  question 
ou  torture  au  dit  prisonnier  sans  nouveaux  indices.  »  Si  Ton 

(1)  Art.  109;  cf.  art.  108. 

(2)  Art.  110.  II  ressort  de  ce  texte  et  aussi  de  I'art.  108  que  le  jugement  qui 
ordonnait  le  rfeglement  a  I'extraordinaire  n'fitait  point  prononc6  en  auditoire  et  les 
parties  entendues. 

(3)  Art.  112  :  «  Et  lesdits  proems  faits  a  toutes  diligences  dessus  dites,  jusques 
a  la  question  ou  torture,  nos  dits  baillifs,  senechaux  et  juges,  ou  leurs  lieutenans 
feront  d^lib^rer  ladite  question  en  la  chambre  du  conseil,  ou  autre  lieu  secret. 
par  gens  notables  et  lettrez ,  non  suspects  ne  favorables ,  et  qui  n'auront  est6,du 
conseil  des  parties ,  prSsens ,  ou  appelez  nos  avocat  et  procureur.  »  C'est  exacte- 
ment  le  Conseil  que  nous  avons  vu  dans  le  Begistre  du  Chdtelel.  Dans  un  autre 
article,  rordonnance  de  1498,  i.  propos  de  la  question  k  donner  aux  «  essoreillez, 
bannis  ou  vagabons,  »  parle  encore  des  jugeurs  :  «Art.  94...  Sans  d^roger toutes 
voyes  aux  coutumes ,  usages  et  droits  observez  en  plusieurs  lieux  particuliers  de 
nostre  royaume,  oil  on  a  accoustum6  de  juger  lesdits  criminels  en  assistance,  par 
hommes  jugeans. » 


138  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

se  rappelle  la  pratique  attestee  par  Bouteiller  et  par  le  Registre 
du  Chdtelet,  on  constatera  qu'il  y  a  la  un  reel  progres.  On  pres- 
crit  aussi  de  dresser  un  proces-verbal ,  contenant  «  la  forme  et 
maniere  de  ladite  question,  et  la  quantite  de  I'eau  qu'on  aura 
baillee  audit  prisonnier,  et  par  quantes  fois  la  reiteration  de  la 
torture  si  aucune  en  y  a  (1),  les  interrogatoires  et  reponses ,  avec 
la  perseverance  du  prisonnier,  la  Constance  ou  variation,  et  le 
lendemain  de  ladite  question ,  sera  derechef  interroge  ledit  pri- 
sonnier hors  du  lieu  oil  aura  eu  ladite  torture  pour  voir  sa  per- 
severance et  sera  le  tout  ecrit  par  ledit  greffier  (2).  »  Sans  doute 
I'accuse  n'avait  connaissance  des  charges  que  par  les  confronta- 
tions dont  parle  I'article  HI  (3) ;  mais  d'autre  part  il  parait  qu'on 
I'admettait  a  proposer  ses  defenses  des  le  debut,  et  qu'on  en 
recevait  aussit6t  la  preuve ,  conformement  a  ce  qui  s'etait  pra- 
tique jusque-la  :  «  Art.  111.  Seferont  toutesles  diligences  neces- 
saires  de  plus  amples  informations,  recollemens  ou  confronta- 
tions de  temoins,  ou  pour  la  verification  de  1' alibi,  ou  autre 
fait  si  aucun  en  y  a ,  recevable  pour  ou  contre  le  prisonnier,  le 
plus  diligemment  et  secretement  que  faire  se  pourra ,  en  maniere 
que  aucun  n'en  soit  averti.  »  Enfin  la  sentence  de  condamnation 
etait  prononcee  en  presence  de  I'accuse  (4).  Si  «  par  le  proces 


(1)  On  pouvait  done  dans  la  m^me  stance  remettre  plusieurs  fois  raocusS  a  la 
question ;  ce  qui  fitait  difendu ,  c' etait  de  recommencer  quand  cette  stance  etait 
terminSe. 

(2)  Art.  113.  On  donnait  ainsi  k  I'accusfe  vingt-quatre  heures  de  reflexion,  aprts 
la  torture . 

(3)  Voyez  Dependant  Ordonnance  d'avril  ISIO  sur  la  reformation  de  la  justice, 
etc.,  rendue  d'aprSs  le  r^sultat  de  I'assemblee  des  nobles  tenue  a  Lyon  (Isam- 
bert,  XI,  575,  ssq.),  art.  47,  «  Pour  obvier  aux  abus  et  inconveniens,  qui 
s6nt  par  ci-devant  advenus  au  moyen  de  ce  que  les  juges  des  dits  pais  de  droit 
6crit  ont  fait  les  procfes  criminels  des  dits  pais  en  latin,  et  toutes  enquestes  pareil- 
lement,  avons  ordonn6  et  ordonnons,  afinque  les  temoins  entendent  leurs  deposi- 
tions et  les  criminels  les  proems  faits  contre  eux,  que  dorinavant  tons  les  proems 
criminels  et  les  dites  enquestes...  seront  faites  en  vulgaire  et  langage  du  pais.  » 

(4)  Art.  116  :  «  Nos  dits  baillifs,  senechaux  et  juges,  ou  leurs  lieutenans,  pro- 
nonceront  leur  sentence  en  plein  auditoire  ou  en  la  chambre  du  conseil,  lui  es- 
tant  en  la  charte  ou  prisons ,  selon  les  louables  coutumes  des  lieux,  esquels  lieux 
de  I'auditoire  ou  de  ladite  chambre  sera  mene  ledit  prisonnier  et  lui  sera  prononci 
ladite  sentence  ou  la  presence  du  greffier  qui  I'enregistrera  au  livre  des  sen- 
tences. » 


DU  xni"  Au  xvn'  siecle.  139 

extraordinaire  duement  fait  on  n'auroit  pu  rien  gagner,  et  il 
seroit  besoin  oiiir  les  parties  et  les  recevoir  en  proces  ordinaires , 
DOS  dits  bailiifs...  ordonneront  que  les  parties  seront  otiies  par  le 
conseil  at  certain  jour,  auquel  le  prisonnier  sera  mene  en  juge- 
ment  et  la  matiere  plaidoyee  publiquement  (1).  »  Quant  k  la  mise 
en  liberte  sous  caution ,  il  semble  qu'elle  n'etait  admise  que  lors- 
que  la  procedure  ordinaire  etait  suivie  (2).  On  le  voit,  I'Ordon- 
nance  de  1498  est  remarquable  en  ce  qu'elle  contient  un  expose 
d'ensemble  de  la  procedure ;  elle  est  importante ,  surtout  en  ce 
qu'elle  prescrit  le  secret  absolu  dans  le  proces  extraordinaire. 
Desormais  il  existe  une  loi  formelle  repoussant  la  publicite,  dont 
nous  avons  trouve  des  restes  dans  la  pratique  des  xiv'=  et  xv°  sie- 
cles.  Le  public  est  chasse  de  I'auditoire  des  tribunaux  criminels, 
et  il  n'y  rentrera  pas  de  longtemps. 

Mais  I'Ordonnance  la  plug  importante  en  matiere  criminelle 
fut  cells  que  rendit  Frangois  1°'  a  Villers-Cotterets  au  mois  d'a- 
vril  1539,  sur  la  justice  et  abreviation  des  proces.  Modelee  sur 
une  autre  Ordonnance  precedemment  rendue  pour  la  reforms  du 
style  de  Bretagne,  cette  ceuvre  du  chancelier  Poyet,  lequel  subit 
plus  tard  la  dure  loi  qu'il  avait  faite,  fixa  deflnitivement  en 
France  les  regies  de  la  procedure  criminelle.  Bient6t  meme  on 
s'imagina  qu'elle  avait  introduit  tout  ce  qu'elle  consacrait ;  et , 
d'autre  part,  I'Ordonnance  de  1670  ne  fera  que  recueillir,  en  le 
precisant  dans  ses  details,  en  I'aggravant  parfois  dans  ses  ri- 
gueurs,  le  systeme  qu'elle  avait  organise.  II  est  done  utile  de 
s'arreter  ici  un  instant  pour  exposer  ce  systeme ,  en  6clairant  le 
texte  de  I'Ordonnance  par  les  observations  des  auteurs  qui  la 
commenterent. 

Cette  procedure  criminelle  se  distingue  tout  d'abord  par  un 
certain  nombre  de  traits  saillants  et  caracteristiques.  Dans  tout 
proces,  le  procureur  du  roi  ou  du  seigneur  est  dorenavant 
partie;  sans  doute,  s'il  y  a  une  partie  civile,  il  n'est  que  partie 
jointe,  mais  des  lors  existe  ce  principe  que  I'instruction  crimi- 
nelle exige  le  concours  de  deux  magistrals,  le  procureur  qui 

(1)  Art.  119. 

(2)  Art.  119.  Une  Ordonnance  dumois  d'octobre  1485  sur  la  piiv6t&  de  Paris, 
{Isambert ,  XI,  p.  147,  ssq.),  contient  d'intiressants  details  sur  les  prisons. 


140  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

requiert ,  le  juge  qui  instruit.  Le  proces  se  divise  en  deux  pe- 
riodes  d'une  dur^e  fort  inegale;  rinstruction  et  le  jugement. 
La  premiere ,  demesiirement  enflee ,  comprend  toute  la  recher- 
che des  preuves  que  va  fixer  I'eeriture,  et  elle  est  aux  mains 
d'un  seul  juge ;  c'est  «  le  juge  criminel ,  »  comme  diront  les 
textes ,  parlant  toujours  au  singulier,  e'est-a-dire  le  lieutenant 
criminel  ou  le  juge  seigneurial.  Ce  n'est  que  lorsque  tout  est 
pr^t,  que  I'accuse  comparail  devant  le  siege  entier,  s'il  y  en  a 
un ;  et  ce  tribunal  n'a  pour  s'eclairer  que  la  procedure  ecrite  et 
le  dernier  interrogatoire  de  I'accuse.  Tout  est  ecrit;  et  tout  est 
secret ,  I'instruction  et  le  jugement ;  ce  dernier  le  plus  souvent 
n'est  appuye  sur  aucun  motif. 

Exposons  maintenant  la  suite  entiere  d'un  proces.  Desor- 
mais ,  sauf  le  cas  de  flagrant  delit ,  oii  Ton  saisit  le  coupable 
qu'on  interroge  sur-le-champ ,  toute  procedure  criminelle  com- 
mence par  I'information  (1).  Celle-ci  est  entreprise  soit  sur  la 
plainte  de  la  partie  civile ,  qui  obtient  permission  de  faire  in- 
former (2);  soit  sur  la  plainte  du  procureur  du  roi  ou  dusei-^ 
gneur,  qui ,  averti  par  une  denonciation  ou  autrement ,  requiert 
le  juge;  soit  enfin  par  un  acte  spontane  du  juge  ,  qui  peut 
toujours  se  saisir  d'offlce ,  c'est  la  un  droit  que  maintient  I'Or- 
donnance  de  1539  (art.  145).  Les  temoins,  cites  par  la  partie 
civile  ou  par  la  partie  publique,  sont  entendus  un  a  un  et  secre- 
tement,  soit  par  le  juge,  soit  par  des  officiers  speciaux  appeles 
enqueteurs,  soit  le  plus  souvent  par  un  simple  sergent  assiste 
d'un  notaire  royal  (3).  La  deposition  de  chaque  temoin  devait 
etre  redigee  «  tout  au  long,  »  mais  il  parait  qu'il  n'elait  point 


(1)  Sinon  quand  il  s'agit  de  d^lits  si  lagers,  que  la  partie  les6e  puisse  d'emblte 
agir  d  Vordinaire. 

(2)  Toute  plainte  de  la  partie  I6s&e  est  nicessairement  une  constitution  de  par- 
tie  civile;  on  ne  connatt  pas  encore  la  distinction  de  ces  deux  choses. 

(3)  Imbert,  Pratique,  1.  Ill,  ch.  2,  n"^  2  et  3.  Cf.  Le  style  de  la  cour  de  Parle- 
ment,  par  Philbert  Boyer,  dernifere  Edition  revue  apres  la  mort  de  I'auteur,  1610  : 
«  Faudra  bailler  la  dicte  requeste  (pour  avoir  commission  de  faire  informer)  a  un 
clerc  au  greffe  criminel ,  qui  dressera  la  commission  suivant  icelle ,  adressant  au 
juge  ou  enquesteurs  des  lieux,  ou  au  premier  sergent  sur  ce  requis.  —  Laquelle 
information  sera  faite  en  la  presence  d'un  adjoint  homme  de  bien ,  qui  ait  ser- 
ment  a  justice.  » 


DU  XIII°  AU  XVn°   SIECLE.  141 

necessaire  qu'elle  fut  relue  et  le  temoin  requis  de  signer  (1). 
C'etait  un  grand  mal  que  cat  emploi  des  subalternes  dans  un 
acta  si  important ,  «  n'y  a  si  homme  de  bien  qui  ne  soit  mis  en 
peine  par  cas  sergents  et  notaires...  et  font  I'information  grosse 
ou  maigre  selon  le  desir  de  la  partie,  non  pas  selon  que  les 
tesmoins  veritablement  dient  (2).  »  L'ordonnance  da  1539  tole- 
rait  cette  pratique;  «  les  juges,  dit  1' article  14S,  informeront  ou 
feront  informer  (3).  » 

L'information  faite  et  remise  au  juge  criminel,  celui-ci  de- 
vait  la  communiquer  au  procureur  du  roi,  pour  demander  ses 
conclusions ,  lesquelles  etaient  donnees  par  ecrit  (art.  145)  : 
«  l'information  faicta  et  communiquee  a  nostre  diet  procureur, 
et  veues  sas  conclusions ,  qu'il  sera  promptement  tenu  mettre 
au  bas  des  dictes  informations,  sans  salaire  an  prendre.  »  II  ne 
parait  pas  qu'il  y  eut  communication  a  la  partie  civile.  Selon 
les  conclusions,  le  juge  laissait  dormir  I'affaire,  ou  langait  le 
decret ,  c'est-a-dire  Tordre  qui  devait  faire  comparaitre  I'ac- 
cuse.  L'Ordonnance  de  1539  etait  vague  a  cetegard  :  «  Sera  de- 
cerne,  disait-elle,  telle  provision  da  justice  qu'il  aura  ete  a 
faire  selon  I'axigence  du  cas  (art.  145).  »  Mais  la  jurisprudence 
avail  introduit  deux  sortes  de  decrets,  celui  d'ajournement  per- 
sonnel et  celui  de  prise  de  corps  (4).  Les  «  adjournements  per- 
sonnels doivent  estre  executes  comme  les  adjournements  sim- 
ples en  matiere  civile,  sinon  quand  I'accuse  est  homme  craint 
et  redoute  et  accoustume  d'exceder  sergents ,  et  qu'on  n'ose  Tal- 
ler adjourner  en  sa  personne  ou  a  son  domicile ,  le  juge  mande 
etpermet  de  Tadjourner  par  cri  public,  a  son  de  trompa  au  lieu 
du  marche  ou  autre  auquel  il  y  a  affluence  de  gens  plus  pro- 


(1)  Imbert,  III,  ch.  13,  n"^  13,  14. 

(2)  Ibid. 

(3)  Parfois  des  moniioires  fitaient  dicemfes ;  c'^taient  des  ordonnances  du  juge 
d'Eglise ,  afflch^es  aux  portes  des  6glises  et  lues  au  pr6ne ,  enjoignant  k  tous  les 
fiddles  de  declarer  au  cur6  ce  qu'ils  savaient  concernant  tel  crime ;  le  cur6  re- 
cueillait  les  depositions  et  les  envoyait  sous  cachet  au  juge  criminel.  Dans  cette 
pratique  il  y  a  comme  un  6cho  de  ces  d^nonciations  que  les  fiddles  faisaient  jadis 
sous  la  foi  du  serment  dans  la.  judicia  synodalia;  peut-£tre  faut-il  m£me  chercher 
dans  ces  derniers  I'origine  des  monitoires. 

(4)  Imbert,  Ill.ch.  2,  no3. 


142  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

chains  de  sa  maison  (1).  »  Le  decret  de  prise  de  corps  avait 
pour  effet  de  constituer  I'accuse  en  etat  de  detention  preventive ; 
«  selon  le  droict  commun ,  il  n'estoit  permis  de  prendre  aucun 
au  corps  dans  sa  maison,  mais  aujourd'huy  on  le  pent  prendre 
en  sa  maison  pourvu  que  ce  soit  de  jour  et  non  de  nuict  et 
avec  deux  records,  et  non  avec  grand  assemblee  de  gens  et 
port  d'armes ;  et  qu'on  ne  rompe  rien  en  la  maison  et  qu'on  n'y 
prenne  rien;  toutefois  si  les  portes  sont  fermees  on  les  peut 
rompre  (2).  »  Le  decret  de  prise  de  corps  ne  devait  intervenir 
que  dans  les  cas  graves ;  «  en  ce  est  requise  grande  prudence  en 
un  juge,  dit  Imbert,  qu'il  ne  bailie  decret  de  prinse  de  corps 
sinon  de  crime  public  et  qu'il  y  ait  grand  matiere.  »  Cependant 
aucun  texte  ne  liait  le  juge ;  il  etait  seulement  necessaire  qu'il 
y  eftt  information  precedente ,  encore  les  exceptions  a  cette  regie 
etaient-elles  nombreuses  (3),  et  la  liberte  individuelle  ne  trouvait 
dans  ces  principes  qu'une  faible  garantie. 

L'accuse ,  comparaissant  ou  saisi ,  devait  6tre  interroge  par  le 
juge  «  incontinent  bien  et  diligemment  (4).  »  L'interrogatoire 
avait  lieu  «  dans  la  maison  d'iceluy  juge  ou  dans  la  chambre 
criminelle  ordonnee  pour  ce  faire ,  »  et  c'etait  un  grand  art  que 
celui  d'interroger,  un  art  terrible  et  perfide  trop  souvent,  qui. 
mettait  l'accuse  a  la  discretion  du  juge.  L'accuse  devait  repondre 
sans  avoir  I'assistance  d'un  conseil  et  sans  avoir  eu  connaissance 
de  I'information  (5).  11  pretait  aussi  le  serment  de  dire  la  verite. 
Cette  odieuse  formalite  n'etait  cependant  imposee  par  aucune 
loi,  mais  elle  resultait  d'un  usage  deja  bien  ancien,  comme 
nous  I'avons  constat6.  Imbert  est  formel  sur  ce  point  :  «  Le 
juge,  dit-il,  doit  en  premier  lieu  lui  faire  faire  sermeni  de  dire 

(1)  Imbert,  III,  3,  n"  1. 

(2)  Ibid.,  111,5,110  2. 

(3)  On  peut  commencer  par  le  decret,  non-seulement  s'U  y  a  flagrant  delit,  mais 
encore  s'il  s'agit  «  d'un  homme  non  r^seant ,  pauvre  et  non  ayant  biens  immeu- 
bles ,  ou  que  le  delict  soit  tel  qu'il  fust  vraisemblable  que  quelques  biens  qu'il  ait 

il  s'absentera alors  il  est  permis  de  prendre  sans  information  et  par  apr6s  la 

faire  »  (Imbert).  C'est  d'ailleurs  la  pratique  que  nous  avons  relevfie  daiis  le  Re- 
gistre  criminel  du  Chdtelet;  ci-dessus,  page  124. 

(4)  Ord.de  1539,  art.  146. 

(5)  Ord.  de  1539,  art.  146  et  162. 


DU   XIII°  AU  XVII'   SIECLE.  143 

verite  et  apres  I'interroge  (1).  »  Toutes  les  reponses  etaient 
recueillies  par  ecrit  :  «  Faut  que  le  greffier  escrivQ  sous  le  juge 
tout  ce  que  le  juge  lui  dictera  et  nommera.  » 

Si  I'accuse  avait  avoue  dans  son  interrogatoire ,  cette  piece 
etait  communiquee  au  procureur  du  roi,  qui  voyait  s'il  voulait 
prendre  droit  par  elle,  c'est-a-dire  requerir  jugement,  sans  plus 
de  forme.  S'il  etait  de  cet  avis ,  ce  qui ,  d'apres  la  theorie  des 
preuves  alors  en  vigueur,  n'arrivait  pas  dans  les  cas  graves ,  on 
communiquait  egalement  I'interrogatoire  a  la  partie  civile.  Les 
deux  parties  donnaient  alors  leurs  conclusions  par  ecrit  et  celles- 
cl  etaient  communiquees  a  I'accuse  «  pour  y  repondre  par  forme 
d'attenuation  seulement  (2).  »  Des  lors ,  il  ne  s'agissait  plus  que 
de  comparaitre  pour  recevoir  jugement.  Si,  au  contraire,  les 
parties  ne  voulaient  point  prendre  droit  par  I'interrogatoire ,  ce 
qui  arrivait  toujours  en  cas  de  denegation  de  I'accuse,  ce  qui 
arrivait  parfois  en  cas  d'aveu ,  il  y  avait  lieu  au  reglement  du 
proces  a  I'extraordinaire ,  ou  au  renvoi  en  proces  ordinaire.  A 
cet  effet,  le  juge,  toujours  seul,  rendait  un  jugement  interlocu- 
toire.  Avant  I'Ordonnance  de  1539  les  trois  parties  en  cause,  ce 
qui  comprend  I'accuse,  posaient  leurs  conclusions  a  I'audience 
oralement  ou  par  ecrit  (3)  :  «  La  litiscontestation,  dit  Imbert, 
est  quand ,  apres  I'audition  du  prisonnier,  les  parties  comparent 
par  devant  le  juge ,  et  declare  le  prisonnier,  en  venant  en  per- 
sonne  avoir  ete  ouy  et  son  audition  communiquee  aux  advocat 
et  procureur  du  roy  et  requiert  estre  absous  ou  a  tout  le  moins , 
estre  receu  en  proces  ordinaire  et  eslargy  en  baillant  caution... 
et  par  le  demandeur  partie  civile  est  insiste  au  contraire  et  re- 
quis  qu'il  soit  precede  centre  I'accuse  extraordinairement  par 
recolement  et  confrontation  de  tesmoins,  et  avoir  pendant  procez 
provision  d'aliments  et  medicaments.  Et  en  aucun  lieux  comme 

(1)  L.  Ill,  ch.  10,  n»  2.  Le  texte  latin  antMeur  a  I'ordonnance  n'est  pas  moins 
net  :  «  Judex  ergo  primum  ad  nudandam  veritatem  reum  jurejurandp  adigit.  » 
Slile  de  Beyer  :  «  Puis  le  commissaire  faict  comparoltre  devant  luy  I'accusg ,  au- 
quel  il  fait  faire  serment  de  dire  la  vfiritS,  »  p.  238  recto. 

(2)  Ord.  de  1339,  art.  148;  cf.  Ordon.  1498,  art.  109. 

(3)  Voy.  cependant  ce  que  nous  avons  relev6  dans  Fordonnance  de  1498 ;  ci- 
dessus,  p.  137,  note  2.  Le  texte  d'Imbert,  que  nous  citons,  paraft  montrer  que 
la  pratique  n'avait  pas  sur  ce  point  suivi  rigoareusement  la  loi. 


144  LA  PROCEDUEE   CKIMINELLE 

en  la  cour  de  Parlement  I'advocat  du  roy  plaide  le  faict  de  I'ac- 
cusation  contenue  en  I'inforniation  et  conclust  qu'il  soit  precede 
extraordinairement  comme  dit  est,  et  en  autres  lieux  ils  mettent 
leurs  conclusions  au  pied  de  I'audition  (1).  »  C'etait  le  moment 
pour  I'accuse  de  presenter  sa  defense  avec  quelque  avantage, 
surtout  s'il  etait  assiste  d'un  avocat,  bien  qu'il  n'eut  point  en 
communication  de  I'information  (2).  Mais  I'Ordonnance  de  1539 
(art.  162),  «  abolit  tons  les  styles,  usances  et  coustumes  par 
lesquelles  les  accuses  avaient  accoustume  d'estre  ouys  en  juge- 
ment  pour  scavoir  s'ils  doivent  estre  accusez  et  a  cette  fin  avoir 
communication  des  faicts  et  articles  concernant  les  crimes  et 
delits  dent  ils  etoient  accusez,  et  toutes  autres  choses  contraires 
a  ce  qui  est  contenu  cy  dessus.  »  Dorenavant  done  les  seules 
conclusions  de  la  partie  publique  et  de  la  partie  civile  etaient 
soumises  au  juge  par  ecrit ;  I'accuse  n'avait  plus  la  parole.  Ce- 
pendant,  conformement  a  I'Ordonnance  de  1498 ,  lorsque  le  juge 
se  decidait  pour  la  procedure  ordinaire ,  il-  devait  prealablement 
entendre  toutes  les  parties  en  jugement;  I'article  150  ajouteen 
effet,  «  sinon  que  la  matiere  fut  de  si  petite  importance  qu'apres 
les  parties  ouies  en  jugement  Ton  deust  ordonner  qu'elles  seroient 
receues  en  proces  ordinaire.  »  Sauf  ce  cas  tres-rare,  le  juge 
rendait  un  jugement  portant  qu'il  serait  precede  extraordinaire- 
ment ,  et  il  fixait  un  delai  aux  parties  pour  proceder  aux  recole- 
ments  et  confrontations  des  temoins  (3). 

(1)  Pratique  d'Imbert,  1.  Ill,  ch.  x,  n"  6. 

(2)  Voy.  Notice  sw  les  archives  du  Parlement  de  Paris,  dans  Boutario  :  Actes 
du  Parlement.  «  Les  registres  subsistants  de  la  fln  du  xv»  sifecle  et  ceux  du 
xvi°  jusqu'a  I'annee  1529  sont  de  la  catfigorie  des  plaidoiries.  —  Apres  une  lacune 
de  plasieurs  annfies,  le  premier  registre  qui  se  prfisente  dans  la  serie  ordinaire 
est  un  de  ceux  du  conseil  de  Nov.  1535  a  Nov.  1536.  Depuis  cette  6poque  on  ne 
trouve  plus  de  registres  de  plaidoiries  et  tons  sont  du  conseil  jusqu'a  la  fin  de 
ce  siecle.  II  n'est  pas  exact  de  dire ,  comme  le  chancelier  Siguier  dans  ses  M6- 
moires  sur  le  Parlement  de  Paris,  que  la  Tournelle  ne  donnail  pas  audience  an 
temps  de  son  ^tablissement.  Le  contraire  risulte  des  termes  mfimes  de  I'edit  d'a- 
vril  1515  qui  la  rend  permanente.  II  n'en  a  plus  isl6  de  m6me  sous  rordonnance 
de  Villers-Cotterets,  d'aotlt  1539 ;  elle  prohibalt  le  ministfere  des  avocats  dans  les 
al&ires  criminelles  (tome  I,  p.  227).  » 

(3)  Ord.  1539,  art.  151;  Imbert,  LIII,  ch.  xii,  n»  1.  L'ordonnance  dMarait 
mSme  que,  ce  dflai  expire,  le  procSs  serait  jug6  sur  les  pieces  diji  existantes, 
sauf  I'octroi  d'un  second  dilai,  pour  cause  importante,  mais  Imbert  nous  apprend 


DU  XIII°  AU  XVII°   SIECLE.  145 

Pour  le  r^colement,  les  t^moins  etaient  assignes  de  nouveaU; 
«  le  juge  faict  faire  premierement  serment  au  temoin  qu'il  veut 
recoler  de  dire  la  verite ,  et  s'il  se  doute  que  le  tesmoing  soit 
forge ,  il  luy  demandera  qu'il  luy  die  ce  qu'il  scait  du  fait  de 
I'accusation ,  qu'il  luy  recitera  en  brief,  sans  luy  dire  sa  depo- 
sition contenue  dans  rinformation ,  et  s'il  voit  qu'il  die  au  plus 
pres  de  la  dite  deposition ,  il  la  luy  fera  lire  par  son  greffier,  et 
apres  icelle  lue  il  luy  demandera  par  le  serment  qu'il  a  faict ,  si 
elle  contenoit  verite ,  et  fera  escrire  ce  en  quoy  il  persistera 
et  en  quoy  il  corrigera  sa  premiere  deposition  (1).  »  Immediate- 
ment  apres  venait  la  confrontation  du  temoin  avec  I'accuse  :  «  Et 
s'il  persiste  et  charge  le  defendeur  incontinent  luy  sera  confronte 
le  diet  tesmoing ,  scavoir  est  le  juge  fera  venir  par  devant  luy  le 
defendeur  present  le  tesmoing ,  et  leur  fera  faire  serment  de  dire 
la  verite ,  et  apres  les  interrogera ,  s'ils  se  connoissent  bien ,  et 
si  le  defendeur  est  celuy  duquel  le  tesmoing  parle  par  sa  depo- 
sition et  recoUement  (2).  »  La  confrontation  avait  un  double  but, 
permettre  a  I'accuse  d'alleguer  les  reproches  qu'il  pouvait  faire 
valoir  contre  le  temoin ,  et  en  second  lieu  le  mettre  a  meme  de 
combattre  directement  les  charges  qui  s'elevaient  contre  lui ; 
c'est  la  premiere  fois  que  cette  occasion  lui  est  offerte ,  dorena- 
vant  il  ne  la  retrouvera  plus.  L-'Ordonnance  de  1539,  rencheris- 
sant  sur  ce  qui  etait  observe  jusque-la ,  decidait  qu'a  ce  moment 
meme,  avant  la  lecture  de  la  deposition  qui  allait  lui  6tre  faite, 
I'accuse  devait  proposer  tous  ses  reproches.  «  Art.  134.  Aupara- 
vant  que  lire  la  deposition  du  tesmoin  en  la  presence  de  I'accuse, 
luy  sera  demande  s'il  a  aucuns  reproches  contre  le  tesmoin  illec 
present ,  et  enjoint  de  les  dire  promptement ,  ce  que  nous  vou- 
lons  qu'il  soit  tenu  de  faire ,  autrement  n'y  sera  plus  receu ,  ce 
dont  il  sera  bien  expressement  adverty  par  le  juge...  Art.  155. 
Ne  sera  plus  receu  I'accuse  (apres  la  lecture)  a  dire  ne  alleguer 
aucuns  reproches  contre  le  dit  tesmoin.  »  C'etait  lui  mettre  le 

que  «  la  dicte  ordonnance  n'est  point  gardee ,  ains  les  juges  royaux  et  autres 
baillent  encore  aujourd'huy  trois  ou  quatre  d^lais ,  comme  auparavant ,  dont  les 
pauvres  prisonniers  sont  fort  vexSs.  » 

(1)  Imbert,  III,  ch.  13,  n»  9. 

(2)  Imbert,  ibid.,  n"  9. 

10 


146  LA  PROCEDUKE   CRIMINELLE 

couteau  sur  la  gorge.  Cependant  la  pratique  etait  un  peu  moins 
severe ;  elle  admettait  que  I'accus^  pouvait  demander  un  delai 
pour  fournir  ses  reproches. 

On  procedait  alors  a  la  lecture  de  la  deposition  :  «  S'il  n'al- 
legue  aucuns  reproches  et  declare  n'en  vouloir  alleguer,  ou  de- 
mande  delay  pour  dire  ou  bailler  par  escrit,  le  juge  lira,  present 
le  defendeur  et  le  tesmoing,  la  deposition  du  tesmoing;  et  de- 
mandera  au  tesmoing  et  apres  au  defendeur  si  elle  contient  pas 
verite  et  fera  escrire  ce  qu'ils  en  diront  (1).  »  La  confrontation, 
bien  qu'insuffisante  comme  moyen  de  defense ,  puisqu'elle  avait 
lieu  en  secret  et  sans  I'assistance  d'un  conseil ,  offrait  cependant 
quelque  ressource  a  un  accuse  habile  et  intelligent.  11  pouvait  par 
ses  observations  amener  le  temoin  a  se  retracter  ou  a  se  contra- 
dire.  Les  temoins  n'etaient  point  en  danger  s'ils  se  retractaient : 
«  Le  tesmoing  n'est  point  tenu  par  son  recollement  et  confronta- 
tion de  persister  en  sa  deposition  redigee  par  escrit  en  I'infor- 
mation ,  et  pent  impunement  varier  et  muer  sa  deposition  (2).  » 
Tons  les  temoins  etaient-ils  confrontes?  11  semble  que  FOrdon- 
nance  n'exigeait  la  confrontation  que  pour  les  temoins  a  charge, 
qui  persistaient  au  recolement;  «  cependant,  dit  Imbert,  plu- 
sieurs  gens  de  grande  experience  confrontent  tous  les  tesmoings 
tant  ceux  qui  chargent  que  ceux  qui  ne  chargent  point.  » 

Jusque-la  I'accuse  n'avait  joue  dans  le  proces  qu'un  role  passif : 
il  avait  enfin  pu  discuter,  lors  de  la  confrontation,  les  temoins 
produits  par  les  parties  publique  et  civile ;  mais  il  n'avait  pu  citer 
lui-meme  aucun  temoin ;  il  n'avait  pas  pu  prouver  directement 
son  innocence.  Ne  le  pourrait-il  jamais?  On  etait  arrive  sur  ce 
point  a  une  theorie  des  plus  etonnantes  et  des  plus  tristement 
ingenieuses.  On  n'admettait  pas  d'une  fagon  generale  que  I'ac- 
cuse put  produire  des  temoins  pour  prouver  qu'il  n' etait  pas  cou- 
pable.  En  effet,  au  point  de  vue  de  la  pure  logique,  on  ne  saurait 
prouver  un  fait  negatif  tel  que  la  non-culpabilite ,  et  avec  la 
theorie  des  preuves  legales  il  s'agissait,  non  de  convaincre  le 
juge ,  mais  de  demontrer  des  faits  precis.  Si  le  fait  n'etait  pas 

(1)  Imbert,  III,  ch.  13,  n»  10. 

(2)  Imbert,  III,  ch.  13,  ii»  12 ;  cependant  il  se  demande  (n"  14)  si  le  tfimoin  qui 
a  sign6  sa  deposition  pent  encore  varier  impunement. 


DU  Xm'AU  XVII°   SIECLE.  147 

suffisamment  prouve  par  les  temoins  qu'avait  produits  I'accusa- 
tion ,  toute  preuve  de  la  part  de  I'accuse  etait ,  disait-on ,  inutile ; 
si  le  proces  etablissait  au  contraire,  par  les  preuves  voulues,  que 
le  crime  avait  reellement  ete  commis  et  que  I'accuse  en  etait  I'au- 
teur,  celui-ci  pouvait  seulement  faire  tomber  les  temoignages  au 
moyen  des  reproches  qu'il  avait  proposes,  ou  prouver  que  ces 
temoins  etaient  subornes,  ou  enfin  proposer  certains  faits  positifs, 
qui  contenaient  sa  justification.  Ces  faits ,  appeles  justificatifs , 
etaient  de  deux  sortes ;  les  uns  demontraient  indirectement,  mais 
d'une  fagon  indeniable ,  I'innocence  de  I'accuse ,  tels  etaient  I'a- 
lihi,  la  representation  de  la  personne  qu'on  croyait  morte,  la  pro- 
duction d'une  sentence  anterieure  condamnant  I'auteur  veritable 
du  crime  (1);  les  autres,  sans  detruire  les  faits  etablis  au  proces, 
enlevaient  a  I'acte  toute  criminalite ;  c'etaient ,  par  exemple ,  la 
legitime  defense,  la  folie  chez  I'agent  au  moment  de  Taction. 
Reproches  et  faits  justificatifs ,  voila  les  seuls  moyens  de  defense 
laisses  a  I'accuse.  On  voit  que  toujours  sa  preuve  devait  porter 
sur  un  fait  distinct  de  celui  prouve  par  I'accusation.  Ge  n'est  pas 
tout,  cette  preuve  il  ne  pouvait  la  fournir  que  lorsque  I'accusation 
avait  produit  toutes  les  siennes ;  et  encore  que  de  difficultes  il 
rencontrait.  Nous  avons  vu  qu'il  devait  indiquer  les  reproches  au 
moment  de  la  confrontation ;  quant  aux  faits  justificatifs,  il  devait 
en  principe  les  aUeguer  des  son  premier  interrogatoire  :  «  s'il  a 
quelques  faits  justificatifs  il  les  doit  alleguer  en  la  dicte  confes- 
sion (2) ;  »  il  pouvait  aussi  les  produire  dans  le  cours  de  I'ins- 
truction,  toutes  les  fois  qu'il  etait  amene  en  presence  du  juge, 
ou  meme  sans  cela ,  par  une  requete  adressee  a  celui-ci.  Mais 
les  produire  n'etait  pas  tout ;  il  fallait  encore ,  pour  les  faits  jus- 
tificatifs comme  pour  les  reproches ,  etre  admis  par  le  juge  a  les 
prouver. 

Le  proces  entier,  information ,  interrogatoire ,  recolements  et 
confrontations,  toutes  les  pieces  en  un  mot,  etaient  communi- 
quees  au  procureur  du  roi  :  «  S'il  trouve  que  I'accuse  ait  allegue 
aucuns  faits  peremptoires  servant  a  sa  decharge  ou  innocence , 

(1)  Quelques-uns  de  ces  faits,  plus  tard,  furent  prfisentfe  parfois  comme  des 
exceptions  piremptoires  contre  I'accusation. 

(2)  Imbert,  oh.  10,  n»  4. 


148  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

comme  alibi  ou  aucuns  faits  de  reproches  legitimes  et  recevables, 
11  requerra  que  I'accuse  ait  a  nommer  promptement  les  tes- 
moings  par  lesquels  il  entead  prouver  les  diets  faicts...  ou  sinon 
prendra  conclusions  de  torture  ou  defflnitives  (1).  »  Sur  ces 
conclusions,  le  juge  statuait;  il  pouvait  toujours  refuser  la 
preuve  des  faits  justificatifs  en  les  declarant  non  recevables. 
Supposons ,  an  contraire ,  qu'il  eut  admis  la  preuve  des  repro- 
ches et  faits  justificatifs ,  un  dernier  obstacle  se  dressait  encore. 
"  Sera  extrait,  disait  I'Ordonnance ,  des  faits  recevables,  si  au- 
cuns y  en  a,  a  la  decharge  de  I'accuse  soit  pour  justifications 
ou  reproches ,  lesquels  il  (le  juge)  monstrera  au  diet  accuse  et 
lui  ordonnera  nommer  promptement  les  tesmoins  par  lesquels 
il  entend  informer  desdits  faits ,  ce  qu'il  sera  tenu  de  faire , 
autrement  n'y  sera  plus  receu  (2).  »  Si  I'accuse  avait  pu,  a 
brule-pourpoint  indiquer  tons  ses  temoins ,  comment  etaient-ils 
produits  devant  le  juge  ou  I'enqueteur?  lis  etaient  «  ouys  et 
examines  ex  officio  par  les  juges  ou  leurs  commis  et  depu- 
tez  (3),  »  hors  de  la  presence  de  I'accuse.  C'etaient  les  pour- 
suivants  qui  dirigeaient  I'enquete  a  decharge;  les  temoins  ce- 
pandant  ne  pouvaient  etre  reproches.  Le  proces- verbal  de  cette 
information  s'ajoutait  au  «  sac  »  du  proces. 

Cependant  I'instruction  etait  terminee ,  restait  a  demander  les 
conclusions  des  parties  publique  et  civile,  et  a  porter  I'affaire 
devant  le  siege  assemble ;  «  quand  le  proces  est  parfaict ,  le  juge 
ordonne  qu'il  sera  communique  aux  gens  du  roy,  pour  y  pren- 
dre leurs  conclusions  dedans  trois  jours  (4).  »  Mais  on  ne  sou- 
mettait  point  au  tribunal,  sans  lui  en  faciliter  la  comprehension, 

(1)  Imbert,  III,  ch.  13,  n"  15;  Ord.  de  1539,  art.  157.  —  «  Si  on  permettoit  aux 
accuses  de  proposer  d6s  le  principe  leurs  faits  justificatifs ,  le  jugement  qui  leur 
accorderoit  cette  permission ,  fatale  au  bien  public ,  seroit  pour  eux  un  titre  et 
une  assurance  d'impunit^;  sous  pr^texte  de  faire  leurs  preuves,  les  accuses  ^lu- 
deroient  indirectement  celles  qui  pourroient  les  convaincre;  et  diminuant  la  force, 
I'autorite,  le  poids  des  temoins,  sans  mfime  avoir  prouve  leurs  faits  justificatifs, 
lis  mettroient  souvent  la  justice  hors  d'etat  de  prouver  et  sur  le  crime  et  sur  I'in- 
nocence.  »  Siguier,  Riquisitowt  de  1786. 

(2)  Art.  158. 

(3)  Ord.  de  1539,  art.  159. 

(4)  Imbert,  III,  ch.  20,  n»  1. 


Du  xnf  Au  xvn"  siecle.  149 

cet  amas  de  paperasses  relatant  des  fails  auxquels  personne , 
sauf  le  magistrat  instructeur,  n'avait  assiste  :  un  juge  faisait 
un  rapport  sur  le  proces.  Cette  institution  du  rapporteur  est 
une  des  necessites  de  la  procedure  ecrite;  elle  se  trouve  tou- 
jours  a  la  suite  de  celle-ci. 

Les  conclusions  du  ministere  public,  au  lieu  d'etre  defini- 
tives, c'est-a-dire  de  tendre  a  I'application  d'une  peine,  pou- 
vaient  ne  tendre  qu'a  I'application  de  la  question  preparatoire. 
"  Le  juge  par  apres  met  le  tout  au  conseil ,  et  si  le  cas  dont  est 
question  est  presque  verifie,  et  prouve,  par  maniere  qu'il  ne 
reste  plus  que  la  confession  du  defendeur,  et  que  le  cas  soit 
enorme,  et  tel  que  s'il  estoit  verifie  il  requerroit  grande  puni- 
tion  corporelle,  le  juge  fera  deliberer  la  question  en  quelque 
lieu  secret  par  gens  notables  et  lettrez  non  suspects  et  favo- 
rables,  qui  n'auront  este  au  conseil  des  parties,  presens  ou 
appelez  les  advocats  du  roy  (1).  »  Dans  ce  cas,  I'Ordonnance 
de  1339  voulait  que  la  question  fut  donnee  immediatement,  ii 
moins  qu'il  n'y  eiit  appel  (art.  164).  Du  reste,  rien  n'etait  pres- 
crit  quant  a  la  maniere  de  la  donner,  et  les  usages  etaient  aussi 
varies  qu'odieux.  Hippolytus  de  Marsiliis  avail  en  Italie  soigneu- 
sement  eriumere  quatorze  modes  de  torture,  et  en  France  il 
semble  qu'on  n'etait  pas  moins  fecond  :  «  Par  la  disposition  du 
droit,  les  juges  ne  se  doivenl  servir  a  la  question  que  de  cordes. 
Et  neanmoins ,  en  diverses  provinces ,  les  juges  el  prevots  des 
mareschaux  se  servenl  d'autres  instruments ,  comme  de  riottes , 
de  I'eau  pour  I'avallement  de  la  serviette ,  du  vinaigre ,  de  I'huile 
instiUee  par  le  gosier,  de  poix  ardentes ,  des  ceufs  cuits  en  la 
braise  appliquez  sous  les  aisselles ,  quelques-uns  de  froid  into- 
lerable ,  de  la  faim ,  de  la  soif  occasionnee  par  la  manducation 
de  viandes  extremement  salees ,  donnees  a  I'accuse  sans  aucun 
breuvage ;  aulres  par  les  doigts  serres  estroitement  et  en  extre- 
mite  ou  dans  le  chien  d'une  harquebuse  ou  pistolet,  ou  liez  de 
petites  cordelettes  ou  fiscelles  entre  divers  petils  bastons  qu'ils 

(1)  Imbert,  III,  ch.  14  ,  n"  1.  Ces  gens  «  experts  et  lettrez  »  que  le  latin  appelle 
«  causidici,  »  ce  sont  les  praticiens  dont  les  juges  k  cette  £poque  s'entouraient 
encore  comme  d'un  conseil,  et  qui  avaient  succSd6  aux  jugeurs  de  Tepoque  teo- 
dale.  Cf.  Ord.  de  1498,  ci-dessus,  page  137,  note  3. 


150  LA.   PROCEDURE    CRIMINELLE 

nomment  gresillons ,  autres  par  la  botte  d'une  corde ,  autres  par 
I'escarpin  et  autres  diversement.  Vide  Hippolyt.  de  Marsiliis  in  corn- 
men,  super  tit.  de  gussstion.  in.  1. 1,  ubi  ponit  quatuordecim  species 
tormentorum  diversas.  Mais  le  tout  despend  de  I'ordonnance  du 
juge  (1).  »  D'autre  part,  les  praticiens  semblent  avoir  en  grande 
consideration  les  sortileges  et  drogues,  au  moyen  desquels  les 
accuses  cherchaient  a  se  rendre  insensibles  a  la  torture.  11  faut 
lire  ce  que  Damhouder  raconte  comme  temoin  oculaire  et  acteur 
d'un  de  ces  drames,  pour  concevoir  a  quelles  aberrations  peut 
descendre  I'esprit  humain  (2).  Le  proces- verbal  de  torture  etait 
dresse ;  mais  le  lendemain  on  interrogeait  de  nouveau  I'accuse , 
pour  voir  s'il  perseverait  dans  ses  aveux.  Cela  etait  conforme 
au  droit  anterieur,  mais  c'etait  devenu  une  pure  formalite  : 
«  Pour  autant  qu'il  y  a  plusieurs  si  fins  et  si  malicieux  que 
quelque  chose  qu'ils  aient  confesse  en  la  torture ,  quand  lis  sont 
le  lendemain  interrogez,  ils  nient  tout,  lors  on  a  accoustume 
s'arrester  a  la  confession  faite  en  la  torture,  si  eUe  est  vray- 
semblable  et  conforme  on  approchant  au  contenu  des  informa- 
tions (3).  » 

Lorsque  la  torture  avait  ete  administree ,  ou  que  du  premier 
coup  les  conclusions  du  ministere  public  avaient  ete  definitives^^ 
"  tout  le  proces  criminel  ainsi  faict,  doit  estre  mis  par  le  juge  en 
deliberation  avee  le  conseil  de  son  siege ,  tel  que  dessus ,  en  pre- 
sence des  advocats  et  procureur  du  roy,  pour  prendre  le  con- 
seil de  ce  qui  est  a  faire  et  doit  escrire  le  greffier  les  opinions  et 
deliberations.  »  Alors  avait  lieu  ordinairement  un  interrogatoire 
de  I'accuse  devant  le  tribunal  entier  qui  allait  le  juger  (4).  Mais 
a  aucun  moment  I'accuse  n'etait  assiste  d'un  avocat;  I'Ordon- 
nance  le  declarait  expressement ,  art.  162,  «  en  matieres  crimi- 
nelles  ne  seront  les  parties  aucunement  ouyes  par  le  conseil  ne 

(1)  Le  procts  civil  et  criminel,  par  Qaude  Lebrun  de  La  Rochette,  a  Rouen, 
1616,  2i>  partie,  pag.  140. 

(2)  Damhouder.  Praxis,  ch.  36,  ii°s  21  et  ssq.  —  Lebrun  de  La  Rochette ,  op. 
cit.,  20  partie,  p.  144,  ssq. 

(3)  Imbert,  III,  ch.  14,  n"  6. 

(4)  Imbert  ne  parte  point  d'un  interrogatoire  de  I'accuse  devant  tout  le  siege 
assemble.  Ce  dernier  interrogatoire,  pourtant  bien  important,  6tait  simplement  fa- 
cultatif. 


DU  XUf  AU  XVII°   SIECLE.  151 

ministere  d'aucune  personne ;  mais  repondront  par  leur  bouche 
des  cas  dont  ils  sont  accusez.  » 

La  deliberation  sur  la  sentence  pouvait  se  presenter  diverse- 
ment.  La  oii  il  n'y  avail  qu'un  'c  conseil »  de  praticiens  entou- 
rant  le  juge ,  celui-ci  ne  prenait  que  des  avis  non  obligatoires ; 
mais  la  ou  il  y  avait  des  conseillers  ou  assesseurs,  il  semble 
qu'on  decidait  la  question  a  la  majorite  simple  (1).  Dans  ce  cas, 
les  juges,  suivant  Ayrault,  opinaient  de  vive  voix  ou  par  bal- 
lotes  (2).  «  Ce  sont  formalites  qui  dependent  des  ordonnances  ou 
des  stiles  des  compagnies.  Une  cour  use  d'une  facon,  I'autre 
d'une  autre.  Moyennant  que  tout  ce  qui  est  au  proces  soit  veu, 
il  n'y  a  point  de  faute  ii  en  user  diversement  (3).  »  Deja  I'habi- 
tude  s'introduisait  dans  les  juridictions  superieures  de  ne  pas 
motiver  les  arrets.  «  Convient  entendre  qu'en  sentence  criminelle 
il  faut  specialement  declarer  pour  quel  crime  on  condamne  I'acr 
cuse,  et  qu'ainsi  I'observe  la  Cour  du  Parlement  de  Paris,  a  tout 
le  moins  en  general  :  toutesfois  les  juges  royaux  ne  le  gardent 
point;  ains  mettent  par  leurs  sentences,  ceste  clause  :  pour  la 
punition  et  reparation  des  cas  dont  il  est  trouve  attaint  et  con- 
vaincu  par  le  proces  (4).  » 

Alors  meme  que  la  procedure  etait  devenue  secrete ,  pendant 
quelque  temps  les  sentences  avaient  ete  prononcees  publique- 
ment,  ou  au  moins  en  presence  de  I'accuse;  mais  cette  derniere 
trace  de  publicite  avait  elle-meme  disparu  :  «  Par  la  dite  Ordon- 
nance  (de  1498),  art.  116,  est  dit  que  si  le  prisonnier  est  con- 
damne a  mort  ou  a  autre  peine  corporelle ,  le  juge  prononcera  la 
sentence  en  plein  auditoire  ou  eu  la  chambre  du  conseil  ou  sera 
amene  le  prisonnier,  et  lui  sera  lue  sa  sentence  en  presence  du 

(1)  «  Le  juge  met  le  proc6s  criminel  aveo  les  dites  conclusions  en  dilibfiration 
aux  notables  avocats  de  son  sifege  non  suspects  nl  favorables.  Et  combien  que 
par  I'ordonnance  du  Roy  Louis  le  Douziesme,  article  113....  soit  diet  que  le  gref- 
fier  doit  escrire  les  opinions  des  dfilibSrants ,  toutefois  on  ne  I'observe  point ; 
car  le  greffler  n'aSsiste  point  4  la  dicte  deliberation,  sin  on  oti  il  y  a  des  conseil- 
lers que  le  juge  est  contrainct  appeler  es  jugements  des  procez,  et  conclure  a  la 
pluralite  des  opinions  desdits  conseillers.  »  Imbert ,  III ,  ch.  xx ,  n»  4. 

(2)  Bulletins;  anglais  :  ballot. 

(S)  L'ordre  et  formality,  etc.  iii,  art.  4. 
(4)  Imbert,  III,  ch.  xx,  n»  6. 


1S2  LA  PROCEDURE  CRIMINELLE 

greffier  qui  I'enregistrera  aux  livres  des  sentences...  mais  on 
ne  garde  aujourd'hui  ceste  forme,  ains  le  juge  envoie  son  dicton 
au  greffier,  lequel  le  prononce  au  prisonnier  en  la  chambre  du 
concierge,  ou  il  fait  venir le  prisonnier  (1).  » 

Dans  tout  le  cours  de  cette  procedure  I'accuse  avait  tenu  la 
prison.  Au  xiv"  siecle,  nous  avons  constate  que  la  liberte  provi- 
soire,  moyennant  caution,  etait  assez  liberalement  accordee; 
mais  les  caracteres  generaux  de  la  nouvelle  procedure  devaient 
I'exclure.  Ici  encore  I'Ordonnance  de  1539  consacra  une  rigueur 
inconnue  au  passe  :  «  Art.  152.  Es  matieres  subjectes  a  confron- 
tation ne  seront  les  accusez  eslargys  pendant  les  delays  qui 
seront  baillez  pour  faire  la  dite  confrontation.  »  Ce  n'etait  done 
que  quand  le  proces  etait  regie  a  I'ordinaire  que  la  mise  en 
liberte  sous  caution  6tait  admise  (art.  150).  Bientdt  nous  allons 
entendre  Ayrault  protester  centre  la  maxime  qui  faisait  de  la 
detention  preventive  une  regie  sans  exception.  Cependant  cer- 
tains indices  montrent  que  I'Ordonnance  en  cela  n'etait  point 
toujours  respectee ;  «  en  matiere  de  peu  d'importance ,  dit  un 
homme  qui  vivait  a  la  fin  du  xn^  siecle ,  la  oii  il  n'y  eschet  au- 
cune  punition  corporelle  ou  criminelle ,  les  juges  ont  accoustume 
d'eslargir  les  accusez  en  baillant  caution  ou  a  leurs  cautions  ju- 
ratoires ,  ou  bien  a  la  garde  d'un  huissier  ou  sergent.  L'on  pour- 
roit  dire  et  respondre  a  cela  que  I'Ordonnance  y  resiste  et  que 
les  criminels  ne  doibvent  estre  eslargis  jusques  a  ce  que  les  re- 
collements  et  confrontations  soient  fais ,  et  que  cela  gasteroit  un 
proces  et  qu'il  seroit  impossible  d'avoir  preuve  d'un  crime  qui 
demeureroit  impuni ;  mais  la  replique  est  prompte ,  fondee  sur  la 
raison  naturelle ,  necessaire  et  peremptoire ,  qui  est  que  lorsque 
I'Ordonnance  fut  faite ,  les  faux  tesmoins  n'estoient  pas  en  si 
grande  abondance  qu'ils  sont  a  present.  Cela  se  voit  ordinaire- 
ment  et  journellement ,  tellement  que  Ton  faict  autant  et  plus 
d'executions  de  faux  tesmoins  que  de  tons  autres  crimes.  Ce  que 
j'en  dis  n'est  que  pour  I'horreur  et  detestation  de  cet  abominable 
crime  de  faux  tesmoins ,  non  pas  que  je  veuille  amener  une  pra- 
tique nouvelle ;  mais  tout  ainsi  que  la  malice  des  meschans  s'aug- 

(1)  Imbert,  III,  ch.  xx,  n"  5. 


Du  xm°  Au  xvn°  siecle.'  133 

mente  il  est  aussi  necessaire  d'user  de  nouveaux  remedes  (1).  » 
Ainsi  toutes  les  garanties  de  la  defense  disparaissaient  peu  a 
peu.  La  procedure  etait  devenue  absolument  secrete,  non-seu- 
lement  en  ce  sens  que  tout  se  passait  loin  des  yeux  du  public, 
mais  en  ce  sens  aussi  qu'aucune  communication  de  pieces  n'etait 
faite  a  I'accuse.  A  celui-ci  on  avait  successivement  enleve  I'assis- 
tance  des  conseils  et  la  libre  faculte  de  citer  des  temoins  a  de- 
charge.  Soumis  i,  des  interrogatoires  habiles  et  souvent  perfides , 
menace  de  la  torture ,  il  etait  saisi  par  un  terrible  engrenage  : 
on  peut  meme  constater  que  depuis  I'Ordonnance  de  li98  lapres- 
sion  est  devenue  plus  forte;  I'Ordonnance  de  1S39  consacre  des 
rigueurs  nouvelles.  Cependant  I'appel  etait  toujours  possible  en 
matiere  criminelle ;  et  depuis  longtemps  il  etait  toujours  porte  de- 
vant  les  juges  royaux.  Imbert,  qui  reconnait  encore  aux  juges  sei- 
gneuriaux  un  certain  ressort  en  matiere  civile ,  ne  leur  en  recon- 
nait aucun  en  matiere  criminelle  (2).  L'Ordonnance  de  Cremieu  de 
1536,  confirmant  un  usage  anterieurement  etabli,  donnait  aux 
«  appelants  de  peine  afflictive  de  corps,  »  la  faculte  de  sauter 
par-dessus  le  juge  moyen,  et  d'aller  directement  du  juge  inferieur 
a  la  cour  souveraine,  pourvu  qu'ils  exprimassent  formellement 
leur  volonte  (art.  22)  L'Ordonnance  de  1539  alia  plus  loin.  Dans 
son  article  163 ,  elle  decida  que  dorenavant  tous  appels ,  en  cause 
criminelle,  devaient  «  ressortir  immediatement  et  sans  moyen  en 
cour  souveraine,  de  quelque  chose  qu'il  soit  appele,  dependant 
des  matieres  criminelles.  »  C'etait  peut-etre  depasser  la  juste 
mesure;  aussi  une  Declaration  du  21  novembre  1541  decida  que 
la  disposition  precitee  ne  s'appliquerait  qu'aux  "  appellations  des 
sentences  et  jugements  de  torture  et  autres  peines  afflictives  de 
corps ,  comme  mort  civile  ou  naturelle ,  fustigation ,  mutilation 
de  membre ,  bannissement  perpetuel  ou  a  temps ,  condamnation 
a  oeuvres  ou  services  publics.  »  L'appel,  ici  comme  en  matiere 
civile,  devait  en  principe  etre  forme  aussitSt  que  la  sentence  etait 
rendue ,  mais  ce  n'etait  la  qu'une  apparence  mgme  au  civil ,  car 
on  obtenait  facilement  des  lettres  «  de  relief,  »  qui  permettaient 

(1)  SHU  de  Boyer.  Edit.  1610,  partie  IV,  tit.  12,  p.  239. 

(2)  L'ordre  6tait  :  1»  le  jage  seigneurial  ou  pr6v6t  royal;  2o  le  bailli  ou  senS- 
chal  de  la  provinoe;  3»  le  Pariement.  (Imbert,  1.  Ill,  ch.  n,  n™  1-7.) 


154  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

d'appeler  posterieurement;  en  matiere  crimiaelle  c'etait  de  droit, 
«  quand  I'accuse  est  prisonnier,  il  releve  toujours  de  Villico  (1).  » 
11  parait  meme  que  le  condamne  a  una  peine  afflictive  n'avait  pas 
besoin  de  «  relever  »  son  appel ;  a  quand  I'accuse  est  condamne 
le  plus  souvent  il  ne  releve  point ;  car  s'il  est  condamne  a  la  peine 
corporelle,  il  est  mene  avec  son  proces  a  la  cour  ou  devant  le 
juge  moyen  superieur.  »  On  pouvait  interjeter  appel,  non-seule- 
ment  des  sentences  definitives ,  mais  encore  de  toutes  les  deci- 
sions du  juge ,  decrets ,  reglements  a  I'extraordinaire ,  sentence 
de  torture ,  etc.  En  general  I'appel  avait  un  effet  suspensif. 

Nous  n'avons  pas  parle  de  la  procedure  par  contumace ,  depuis  - 
que  nous  en  avons  decrit  les  premieres  formes.  Elle  avait  subi 
d'assez  profondes  modifications.  Les  delais  en  particulier  avaient 
ete  changes;  on  ne  connaissait  plus  a  cet  egard  de  difference 
entre  le  gentilhomme  et  le  simple  roturier.  Le  Registre  criminel 
de  Saint-Martin-des-Champs  contient  plusieurs  cas ,  tous  concor- 
dants,  de  procedure  par  contumace.  II  y  avait  un  premier  ajour- 
nement  donne  a  trois  jours  consecutifs ,  I'accuse  etant  ajourne  «  sur 
ban,  a  bouche,  »  par  un  ou  plusieurs  sergents  (2).  Puis  ve- 
naient  quatre  nouvelles  citations  a  quinzaine ,  dont  les  trois  pre- 
mieres seulement  paraissent  avoir  ete  rigoureusement  exigees  (3) ; 
au  dernier  defaut  intervenait  le  bannissement.  Voici  deux  de  ces 
procedures  completes  et  detaillees  :  «  De  I'an  lii  (1352)  Girart 
de  Neelle...  fu  souffisamment  appele  et  semons  par  Philipotde 
la  Villette  et  Jehan  Lefournier  nos  sergents  ,  a  son  domicile  aus 
gens  de  son  hostel  et  aus  voisins ,  segnefie  ledit  adjournement 
pour  la  souspegon  de  la  mort  de  monseigneur  Guillaume  des 
Essars...  a  III  jours  pour  faict  de  corps,  c'est  a  scavoir  au  dy- 
menche  apres  la  Saint  Denys ,  au  lundi  et  au  mardi  ensuivans 
(14,  15,  16  octobre) ,  des  quix  jours  il  fu  tenuz  pour  defaillant, 
et  de  chascun  d'iceux  appelez  a  chascun  desdits  jours  en  juge- 
ment  par  Girart  la  Souris,  nostre  sergent,  et  pour  ce  que  depuis 

(l)Imbert,  IV,  ch.  i,  n»  1. 

(2)  P.  32-74  :  «  Perrin-Duport  k  III  jours  semons  a  bouche  par  Phelipot  Mal- 
gars,  et  Colin  de  Montmartre.  »  Cf.  p.  85. 

(3)  «  Fust  appel6  a  venir  h.  nos  drois  et  aus  drois  du  maire  et  de  la  cour,  une 
fois  II  et  III  et  la  quarte  d'abondant ,  »  pp.  211 ,  212. 


DU  Xm°   AU  XVII"   SIECLE.  ISS 

il  fu  appele  a  venir  a  nos  drois  et  aux  droits  du  maire  et  de  la 
court,  une  fois,  II,  III  et  la  quarte  d'abondant,  c'est  a  scavoir 
pour  la  premiere  quatorzaine  le  mercredi  veiUe  de  Saint  Luc 
evangeliste  (17  octobre)ran  cccui,  au  mercredi  veille  de  la  Touz 
Sains  (31  octobre)  pour  la  seconde ,  au  mercredi  apres  la  saint 
Martin  d'iver  (14  novembre)  et  au  mercredi  veille  Saint  Nicolas 
(S  decembre) ,  des  quiex  jours  il  fu  tenuz  pour  defaillant  et  ne 
vint  ne  ne  comparut  pour  prendre  droit  sur  ledit  cas ;  fu  banys  a 
tous  jours  sur  la  hart  en  la  maniere  accoustumee  (1).  »  —  «  10- 
12  Janvier  13S2...  fu  mis  en  deffaut  Jehan  Millon,  pour  la  sous- 
pegon  de  la  mort  de  feu  Symon  de  Cappeval...  et  pour  ce  de- 
puis  icelluy  Jehan  Millon  fu  appelle  aus  drois  de  la  cour  et  du 
maire  dudit  lieu,  c'est  a  scavoir  par  trois  fois  et  a  paine  de  ban- 
nissement ;  et  au  lieu  et  en  la  maniere  accoustumee ,  c'est  a  sca- 
voir pour  la  premiere  quatorzaine  le  dymenche  apres  la  Tiphaine 
(13  Janvier),  pour  la  premiere;  au  dymenche  apres  la  Conver- 
sion saint  Pol  (27  Janvier) ,  pour  la  seconde ;  au  dymenche  que 
Ton  cha.Tite  Reminiscere  (17  fevrier)  pour  la  tierce,  et  au  dymenche 
que  Ton  chante  Lsetare  Jerusalem  (3  mars)  pour  la  quarte,  des 
quix  jours  il  fu  tenu  pour  defaillant ,  fut  banny  de  toute  la  terre 
de  monseigneur  de  Saint-Martin  ledit  Jean  Millon  sur  la  hart  (2). » 
Des  lors  il  y  a  deux  phases  dans  la  procedure  par  contumace; 
d'abord  une  citation  a  trois  jours  rapproches,  puis  trois  ou 
quatre  citations  a  quinzaine.  Mais  le  proces  etait  fort  long ,  I'Or- 
donnance  de  1539  I'abregea.  EUe  contient  deux  articles  sur  cette 
matiere  :  «  Art.  24.  En  toutes  matieres  civiles  et  criminelles  oil 
Ton  avoit  accoustume  de  quatre  defaulx,  suffira  d'en  avoir  deux 
bien  et  deuement  obtenus ,  par  adjournement  fait  a  personne  ou 
a  domicile,  sauf  que  les  juges  ex  officio  en  pourront  adjouster 


(i)P.  311,312. 

(2)  p.  213,  214.Parfois  le  Registre  ne  donne  pas  toute  la  procedure.  Ainsi 
pour  un  nomrn^  Guillon  il  indique  seulement  les  dfifauts  pour  les  trois  jours  con- 
steutifs  delapremifere  citation;  le  30,  31  dtembre  1332,  1"  Janvier  1333,  p.  32 
33.  —  Pour  un  nomm6  Perrin  Dupont  il  en  est  de  mfime ,  pp.  74,  75 ;  le  20  Jan- 
vier 1337  on  constate  le  difaut  4  trois  jours  de  Jehannin  de  Senlis  (p.  85),  puis 
le  21  Janvier  1337  onajoute  :  k  Par  Pons  le  Maire,  Jehannin  de  Senlis,  deffault 
pour  le  premier  jour  pour  le  cas  sp6cifl6  au  lundi  pr^c^dent,  »  et  c'est  tout;  cf. 
p.  133.  Evidemment  il  y  a  la  des  lacunes. 


1S6  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

un  troisiesme,  si  lesdits  adjourn ements  n'ont  ete  fails  a  personne, 
et  ils  Toyent  que  la  matiere  y  feust  disposes  (1).  »  —  «  Art.  25  : 
Que  es  matieres  criminelles  par  vertu  du  premier  deffault  donne 
sur  adjournement  personnel  sera  donnee  prise  de  corps  et  s'y  il 
y  a  deux  difaulx  sera  diet  que  a  faulte  apprehender  le  defaillant 
il  sera  adjourne  a  trois  briefs  jours  avec  annotation  et  saisie  de 
ses  biens,  jusqu'i,  ce  qu'il  ayt  obei.  »  Ces  textes  n'etaient  pas 
tres-clairs,  mais  la  pratique  etait  assez  nette.  On  constatait  d'a- 
bord  un  seul  defaut  ou  deux  defauts ,  suivant  que  le  decret  lance 
centre  raccuse  tendait  k  la  prise  de  corps  ou  seulement  a  I'ajour- 
nement  personnel  :  «  Quand  il  n'y  a  eu  qu'adjournement  per^ 
sonnel  convient  obtenir  deux  defauts  avant  que  proceder  par 
adjournement  a  trois  briefs  jours,  et  par  annotation;  mais  s'il  y  a 
prise  de  corps ,  on  peut  mettre  la  clause  d'adjournement  a  trois 
briefs  jours  et  annotation  par  le  meme  decret  (2).  »  On  n'etait 
pas  absolument  d'accord  sur  le  delai  indique  par  ces  trois  «  briefs 
jours.  »  D'apres  Imbert,  il  faut  «  qu'il  y  ait  intervalle  entre 
chacun  jour  de  trois  jours  entiers  et  francs,  quant  aux  deux 

premiers et  quant  au  dernier  et  tiers  jour  il  faut  qu'il  con- 

tienne  huitaine  ou  autre  terme  competent  selon  la  distance  des 
lieux.  »  Mais  selon  Boyer,  «  lesdits  adjournements  a  trois  briefs 
jours  doivent  estre  distincts  et  separez  par  un  meme  exploict 
avec  competent  intervalle  I'un  de  I'autre  comme  de  dix  ou  huict 
jours  poui'  le  moins;  aucuns  tiennent  que  de  style  suffit  trois 
jours  seulement ,  toutefois  par  la  loy  ad  peremptorum,  ff.  de  judi- 
ciis,  faut-il  qu'il  y  ait  intervalle  de  dix  jours  (3).  » 

La  contumace  aboutissait  a  une  condamnation  veritable  et  defi- 
nitive; dorenavant  d'ailleurs,  avant  que  celle-ci  fut  rendue,  les 
charges  etaient  verifiees.  C'etait  une  idee  bien  admise,  quoique 
contraire  aux  lois  romaines  :  «  Combien  que  selon  le  droit  civil 
on  ne  peut  bailler  sentence  definitive  a  I'encontre  d'un  contumax 
en  matiere  criminelle ,  toutesfois  nous  usons  du  contraire  en  ce 
royaume,  ce  qui  est  conforme  a  plusieurs  statuts  d'ltalie,  par 
lesquels  le  contumax  est  repute  comme  s'il  avait  confess^  le 

(l)Cf.  Jeaa  des  Mares ,  58. 

(2)  Imbert,  II,  ch.  3,  n"  5. 

(3)  Stile  de  Boyer,  p.  234,  v». 


DU  X1II°  AU  XVII°   SIECLE.  iS7 

delit  dont  il  est  charge  (1).  »  En  principe,  pour  faire  tomber  cette 
condamnation ,  il  fallait  toujours  des  lettres  du  prince ;  mais  I'i- 
dee ,  qui  consistait  a  considerer  la  sentence  comme  pouvant  etre 
purgee  et  aneantie  par  la  representation  du  condamne ,  cette  idee 
s'accentue  et  va  bient6t  triompher.  Imbert  indique  que  la  sen- 
tence peut  etre  attaquee  par  la  voie  de  I'appel,  et  s'il  mentionne 
qu'il  faut  ensuite  des  Uttres  on  voit  bien  qu'elles  sont  de  pure 
forme  :  «  Done  si  1' accuse  ne  compare  en  sa  personne ,  on  donne 
sentence  de  contumace  contre  lui ,  mais  il  se  peut  porter  tou- 
jours appelant  des  sentences  de  contumace,  et  apres  auroit  lettres 
royaux  adressans  au  premier  juge  royal  qui  a  donne  la  sen- 
tence ,  par  lesquels  sera  mande  le  recevoir  a  comparaitre  et  ester 
a  droit ,  nonobstant  les  sentences  de  contumace  lesquelles  seront 
mises  au  neant  par  lesdites  lettres  en  refondant  les  despens  (2).  » 
Boyer  va  plus  loin,  il  admet  que  par  la  representation  la  sen- 
tence tombe  de  plein  droit  (3).  Cependant  il  restera  longtemps 
des  traces  de  I'idee  primitive;  Serpillon  indique  que  la  question 
etait  encore  discutee  et  fut  tranchee  par  un  arrSt  en  1633  [i). 

Dans  cette  procedure ,  la  saisie  des  biens  du  rebelle ,  que  nous 
avons  vue  naitre  k  I'epoque  feodale ,  etait  regulierement  organi- 
see ;  c'etait  \' annotation.  Elle  intervenait  des  que  I'assignation  a 
trois  brefs  jours  avait  ete  donnee  (5).  L'Ordonnance  de  Roussillon 

(1)  Imbert,  loc.  cil.;  cf.  Constantin,  Commentavre  sur  I'ordonnance  de  1539,  p. 
56  :  «  Bartolus...  dicit  valere  statutum  vel  consuetudinem,  quod  judex  oondemnet 
et  procedat  contra  contumacem ,  quae  consuetudo  viget  in  toto  regno  Franciae.  » 
—  On  joignait  a  I'arrfit  la  clause  d'ex^cutlon  :  Si  pris  et  appr4hend6  peut  Stre. 

Voy.  Bornier  :  Ord.  de  1670,  tit.  17.  Art.  15  :  «  Cette  clause vraisemblable- 

ment  etoit  de  style  ancien ,  parce  qu'anciennement  on  exficutoit  les  sentences  den- 
udes par  contumace  sur  les  personnes  des  condamn^s  s'ils  se  trouvoient comme 

elle  nVtoit  introduite  que  ad  terrorem  et  qu'elle  n'6toit  pas  pratiqufie  en  France, 
rOrdonnance  I'a  fort  a  propos  abrog^e.  » 

(2)  Ch.  4,  p.  663. 

(3)  «  Encores  que  ledit  arrest  soil  ainsi  donne  et  ex6cut6,  toutesfois  le  d^faillant 
se  peut  toujours  purger  de  I'accusation  et  pour  ce  faire  est  tenu  de  soy  rendre 
prisonnier  en  la  conciergerie  du  Palais ;  et  ce  fait  fciudra  qu'il  Ifeve  acte  des  regis- 
tres  de  I'emprisonnement  pour  poursuivre  I'accusation  sur  I'instruction  du  procfes, 
autrement  estre  eslargy  ainsi  que  sera  diet  cy  aprfes.  y>  Stile,  p.  236,  v". 

(4)  «  On  doutoit  anclennement  si  la  representation  d'un  condamn^  k  mort  an^an- 
tissoit  la  contumace.  Ce  fut  la  matiSre  d'une  contestation  qui  fut  d^cid^e  par  ar- 
ret du  mois  de  juin  1633.  »  Code  criminel,  p.  851. 

(5)  Ord.  de  1539,  art.  25. 


158  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

(art.  80),  declare  que  si  les  accuses  ne  comparaisseut  pas  dans 
rannee  apres  la  saisie,  «  les  fruits  de  leurs  heritages  annotez 
et  saisis  seront  acquis  a  pure  perte  a  qui  ils  appartiendront.  » 
C'etait  un  trait  emprunte  au  droit  romain,  qui  s'etait  ajout§  a  la 
vieille  procedure  de  contumace,  toute  coutumiere  j  usque-la. 
L'Ordonnance  de  Moulins  (art.  28)  alia  plus  loin;  elle  decide 
que  si  la  sentence  porte  confiscation  ou  amende ,  les  contumax , 
faute  de  se  representer  dans  les  cinq  ans  a  compter  du  jour  de 
la  condamnation,  «  perdront  non-seulement  les  fruicts  de  leurs 
heritages  suivant  nos  dictes  ordonnances,  mais  encore  la  pro- 
priete  de  tons  leurs  biens  adjugez  par  justice.  Et  demeureront 
aux  parties  civiles  leurs  adjudications  sans  pouvoir  estre  repe- 
tees ,  et  a  nous  et  aux  seigneurs  haut-justiciers  ce  qui  leur  aura 
este  adjuge  par  amende  et  confiscation.  »  Le  texte  ajoutait  que  le 
roi  pouvait  accorder  des  lettres  pour  «  recevoir  les  condamnes  a 
ester  a  droit  et  a  se  purger  apres  le  dit  temps  et  leur  remettre  la 
rigueur  de  cette  nostre  ordonnance.  »  Les  lettres  de  grlce  repa- 
raissaient  dans  la  procedure  de  contumace.  On  considera  gene- 
ralement  que  cette  loi  avait  abroge  les  dispositions  de  rOrdon- 
nance  de  Roussillon.  L'Ordonnance  de  1670  ne  fera  que  reprendre 
ces  principes ,  en  les  developpant  et  parfois  en  les  completant. 


IL 

Nous  avons  vu  comment  et  par  quelles  degradations  des  an- 
ciennes  formes ,  s'etait  lentement  donstitue  le  systeme  consacre 
par  rOrdonnance  de  1339.  Ce  qu'il  est  moins  facile  de  comprendre, 
c'est  que  cette  procedure  ait  ete  acceptee  sans  resistance  par  la 
nation,  et  cependant  c'est  la  un  fait  certain;  les  Ordonnances 
que  nous  venons  d'etudier  coincident  avec  des  reunions  de  repre- 
sentants  du  pays,  qui  pouvaient  faire  entendre  la  voix  de  la 
France.  Cela  s'explique  cependant.  Cette  procedure ,  due  en 
grande  partie  a  la  pratique  des  juges  royaux ,  avait  grandi  en 
meme  temps  que  la'royaute ;  elle  reposait  sur  un  sentiment  d'in- 
faillibilite  propre  et  de  protection  rude,  que  la  Royaute  avait  em- 
prunte a  I'Eglise  et  qui  faisait  sa  force  intime.  Le  peuple ,  sor- 


DU   XII1°  AU   XVII"   SIECLE.  1S9 

tant  de  I'anarchie  du  Moyen-Age ,  et  des  grandes  guerres  centre 
I'Anglais ,  dechire  bient6t  par  les  cruelles  guerres  de  religion , 
sentait  avant  tout  le  besoin  de  securite  et  de  paix  (1).  Mieux 
qu'aucune  autre  loi ,  les  nouvelles  Ordonnances  assuraient  la  re- 
pression des  crimes ;  a  cet  egard ,  elles  furent  volontiers  accep- 
tees  et  presque  populaires.  Cependant  TOrdonnance  de  1S39  ne 
passa  point  sans  protestations  de  la  part  des  juristes;  des  voix 
faibles  et  des  voix  eloquentes  s'eleverent  centre  les  rigueurs 
qu'eUe  introduisait. 

Le  premier  sans  doute  de  ceux  qui  la  commenterent  fut  un 
avocat  de  Bordeaux ,  qui  ecrivait  en  I'an  1543  (2).  11  s'appelait 
Jean  Constantin,  et  son  commentaire  est  en  latin.  Ce  n'etait  point 
un  grand  esprit ,  et  Neron ,  dans  la  preface  de  son  recueil ,  lui 
donne  peu  d'eloges  (3).  En  realite,  c'est  un  honn§te  homme,  qui 
n'aime  point  les  prevots  des  marechaux ,  chose  assez  remarqua- 
ble  pour  son  temps  (4).  II  porte  avec  lui  une  erudition  indigeste, 
toute  farcie  des  textes  du  Corpus  juris  et  des  oeuvres  des  docteurs 
italiens ,  qu'il  allegue  a  tout  propos ,  entassant  citations  sur  cita- 
tions entre  les  divers  membres  d'une  meme  phrase ;  mais  c'etait 
la  mode  du  temps,  et  Constantin  merite  cependant  de  nous  arreter 
un  instant.  II  represente  la  pure  doctrine  des  docteurs  d'ltalie , 
et  il  montre  bien  que,  si  la  France  avait  emprunte  litteralement 

(1)  Pour  ne  parler  que  des  pieces  judiciaires ,  le  Registre  criminel  du  Ch&telet 
montre  k  chaque  page  les  brigandages  et  I'fitat  d'msficurit^ ,  dont  souffrait  la 
France  a  la  fin  du  xiv"  sifecle. 

(2)  Commentarii  Johannis  Constantini,  in  jure  licentiati  curiae  que  Parlamenti 
Burdigalensis  advocati,  in  leges  regias  seu'  ordinaiiones  de  litibus  hrevi  decidendi! 
recenler  editas.  —  P.  248  :  «  Hoc  anno  mlUesimo  quadragesimo  tertio.  » 

(3)  «  Dix  ans  aprfes  sa  publication  parut  un  commentaire  sur  oette  ordonnance, 
fait  en  latin  par  Maltre  Jean  Constantin,  avocat  au  Parlement  de  Bordeaux.  On 
ne  pent  pas  disconvenir  que  cet  ouvrage  ne  soil  tres-ample ,  mais  certainement 
il  y  a  dedans  peu  de  choses,  si  Ton  en  retranche  celles  qui  sent  inutiles,  et  si  Ton 
diminue  le  grand  nombre  de  citations  dont  il  est  charge.  »  Recueil  de  N6ron, 
preface.  Paris ,  1720. 

(4)  «  Isti  latrunculatores  etjudicesmaleflciorum  quos  prsepositos  maresoallorum 
nominamus,  et  qui  eis  talia  offlcia  committunt,  qui  cum  deberent  esse  litterati 
viri ,  sunt  ignari ,  et  omnium  bonorum  litterarum  expertes ,  tiranni  vindicatores 
sibi  et  suis  complacentes,  pereant  a  caterorum  commercio  et  exterminentur 
tales  tyranni  et  homicidse  et  eorum  officia  bonis  viris  et  litteratis  commlttant.  » 
p.  237. 


160  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

a  ces  docteurs  certains  points  de  sa  doctrine  criminelle ,  la  theo- 
rie  des  preuves  par  exemple ,  elle  avait  donne  a  la  procedure 
inquisitoire  une  tournure  propre  et  une  rigueur  que  ne  connais- 
saient  pas  les  ultramontains.  Les  expressions  elles-memes  avaient 
parfois  change  de  sens ,  en  passant  en  France ,  et  Constantin  en 
donne  un  curieux  exemple  (1).  Au  nom  des  docteurs,  il  protests 
centre  les  rigueurs  de  I'ordonnance. 

Sur  I'article  162,  il  s'eleve  centre  I'exclusion  des  avocats  : 
«  Practicam  antiquam  quae  hie  toUitur  et  aboletur  meminit  An- 
gelas in  sue  tractatu  maleficiorum...  ubi  dicit  quod  ipse  reus  vel 
ejus  advocatus  potest  interrogatoria  facere  (2).  »  Sur  les  articles 
157  et  158,  il  montre  quelles  faibles  ressources  la  loi  laisse  a 
I'accuse  pour  sa  defense  :  •<  Quomodo  potest  allegare  reus  aliquid 
ad  suam  defensionem  si  sibi  non  detur  copia  (la  copie)  testium  et 
totius  processus?  Ideo  quaero,  numquid  facta  et  completa  inquisi- 
tione ,  testes  et  totus  processus  debeant  publicari  et  de  his  fieri 
copia  ipsi  reo  (3).  »  La-dessus  il  se  lance  dans  une  longue  disser- 
tation, ou  il  cite  toutes  ses  autorites  et  d'oii  il  ressort  que  les 
docteurs  admettaient  en  principe  la  communication  des  pieces, 
qu'elle  etait  meme  de  droit,  toutes  les  fois  qu'il  y  avait  une  partie 
promovens  inquisitionem.  Quant  a  la  disposition  qui,  pendant  tout 
le  proces,  arrete  la  preuve  offerte  par  I'accuse  et  ne  laisse  passer 
a  la  fin  que  celle  des  faits  justiflcatifs ,  Constantin  non-seulement 
la  declare  odieuse ,  mais  se  refuse  absolument  a  I'admettre.  Voici 
ce  qu'il  dit  sur  I'article  158  :  «  De  severitate  hujus  articuli  satis 


(1)  «  Judices  maleficiorum  in  senatu  Burdigalensi  hoc  anno  millesimo  quingen- 
tesimo  quadragesimo  tertio  consedentes ,  qui ,  cum  me  ad  se  arcessissent ,  quod 
quemdam  furem  senlentia  torquendum  dixissem ,  et  ipsi  suo  arresto  cum  suis 
furtis  absolvendum,  qusesiverunt  inter  alia  quid  erat  ordinarife  procedere;  qui, 
quum  dixissem  quod  secundum  formam  et  ordinem  juris ,  subiidebant  dicentes, 
quod  imo  procedere  ordinarie  erat  sine  confrontationibus  et  extraordinarie  per 
confrontationes ,  et  quia  usus  non  eram  confrontationibus  in  prooessu  illius  furis 
dicebant  me  errasse  in  facto  et  in  jure ,  et  allegabant  advocatus  et  procurator 
regius  1.  Ordo,  If.  Depubliciis  judiciis;  quod  plusquam  asininum  est  et  tantis  viris 
indignum ;  sed  quia  coram  ipsis  non  audebam  aperte  loqui,  ideo  tacui :  nam  aliam 
esse  formam  et  ordinem  juris  in  criminibus  et  aliam  horum  statutorum  nemo  est 
qui  nesciat.  »  P.  248. 

(2)  P.  288. 

(3)  P.  281-282. 


DU  Xin°  AU  XVII°   SIECLE.  161 

patet  ex  supra  dictis ,  maxime  in  articulo  cxlvi  ubi  habes  quod 
istae  ordinationes ,  quae  excludunt  reum  a  defensione  ante  senten- 

tiam,  sunt  omnino  contra  jus  commune licet  |Angelus  dicat 

talia  statuta  excludentia  reum  a  defensione  valere,  ego  limito 
hoc  esse  verum  si  reus  petat  calumniose  se  admitti  ad  defensio- 

nem  alias  secus quia  confesso  et  condemnato  datur  defensio ; 

ergo  multamagis  non  confessus  nee  condemnatus,  volens  deinno- 
centia  sua  probare,  admittitur  quandoque  ante  sententiam ,  si  vi- 
deas  eum  hoc  calumniose  non  petere ,  ut  puta  quia  hoc  tempore , 
de  quo  loquitur  ordinatio  nostra,  non  habebat  probationes  et 
postea  reperit  velalia  modo  constat  de  sua  innocentia  (1).  »  Sur 
I'article  162,  qui  repousse  les  jugements  contradictoires  autrefois 
admis ,  il  est  plus  energique  encore  :  «  Nota  quod  dixi  articulo 
cxLix  quod  debet  assignari  terminus  reo  ad  suam  defensionem 
faciendam ;  alias  non  debet  damnari...  Ita  dicit  Bartolus,  et 
Imola...  quod  hanc  practicam  servat  totus  mundus,  qui  quidem 
terminus  tollitur  his  ordinationibus  ut  dicto  articulo  constat.  Ergo 
non  servamus  illam  practicam  quam  servat  totus  mundus,  juris  et 
iustitiae  ignari;  quare  dico  quod  non  valet  tale  statutum  per  quod 
tollitur  defensio  quae  est  de  jure  naturali...  cum  jus  naturale 
jure  civili  toUi  non  possit ,  et  quod  judex ,  ipso  non  obstante ,  po- 
test praefigere  terminum  ipsi  reo  ad  suam  defensionem  facien- 
dam  alias  poterit  laedi  innocens,  quod  non  esse  debet,  (2).  » 

Sans  doute  tout  cela,  mSme  debarrasse  des  citations  qui  I'encom- 
brent,  ne  forme  point  de  belles  phrases  ;  c'est  d'un  assez  pauvre 
style ;  mais  les  pensees  n'en  sont  pas  moins  genereuses. 

Gonstantin  n'est  pas  le  seul  praticien  qui  ait  blame  les  im- 
pitoyables  rigueurs  de  I'Ordonnance ;  on  trouve  aussi  ca  et  la 
dans  Imbert  de  breves  observations  dans  ce  sens.  Mais  des  voix 
plus  hautes  s'eleverent.  Ce  fut  d'abord  celle  de  Dumoulin ,  qui  a 
redige  sur  I'Ordohnance  de  1539  des  notes  d'un  style  bizarre, 
dans  un  latin  grossier,  mele  de  mots  francais.  Quelques-unes  de 
ses  observations  indignees  et  breves  ont  traverse  les  siecles, 
comme  une  durable  protestation.  II  a  cherche  d'abord  a  res- 

(1)  P.  284. 

(2)  P.  291-292. 

41 


162  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

■  treindre  autant  que  possible  la  portee  des  textes  par  une  inter- 
pretation favorable.  Voici  ce  qu'il  observe  sur  I'article  155,  qui  ne 
donne  a  I'aceuse  aucun  delai  pour  alleguei"  ses  reproches .:  «  Si 
hoc  verbum  {ddlay)  referatur  ad  singula  et  sic  ea  excludendo, 
esset  barbarica  iniquitas  :  ide6  debet  intelligi  quod  implicet  non 
distributive  sed  collective.  Ita  qjiod  judex  possit  dare  dilationem 
modicam  arbitrio  suo ,  et  sensus  est  quod  verba  non  excludunt 
aperte  dilationem  dari,  quod  est  favorabile  (1).  »  De  meme  il  re- 
pousse I'interpretation  litterale  de  I'article  157,  qui  ordonne  i 
I'aceuse  de  nommer  incontinent  ses  temoins  pour  la  preuve  des 
faits  justificatifs  (2).  Mais  ce  sont  surtout  deux  exclamations  qui 
sont  restees  celebres,  I'une  sur  I'article  158,  par  laquelle  il  attache 
au  nom  de  Poyet  cette  epithete  d'impie  qui  y  est  restee  fixee  : 
«  Vide  tyrannicam  opinionem  illius  impii  Poyeti  (3) ;  »  I'autre, 
sur  I'article  15i,  qui  n'oblige  point  le  juge  a  ^ecole^^es  temoins 
a  decharge  :  «  Vide  duritiem  iniquissimam  per  quam  etiam  de- 
fensio  aufertur,  sed  nunc  judicio  Dei  justo  redundat  in  authorem, 
quia  major  pars  judicum  voluit  banc  servare  constitutionem  hoc 
mense  octobris  1544.  Sed  est  perniciosissima  consequentia  (4).  » 
Mais  plus  haut  encore  que  Dumoulin  parle  un  autre  homme, 
qu'on  ne  saurait  assez  louer,  c'est  Pierre  Ayrault.  C'etait  un 
grand  esprit  et  un  grand  coeur.  Dans  son  principal  ouvrage, 
VOrdre,  formalite  et  instruction  judiciaire,  nous  allons  aujou^ 
d'hui  encore  puiser  de  precieux  renseignements  sur  le  droit  cri- 
minel  des  Remains ;  et  cette  ceuvre  savante  est  ecrite  dans  une 
langue  admirable,  chaude  et  coloree.  S'elevant  bien  au-dessus 
de  ses  contemporains,  il  demoritra  jusqu'a  I'evidence  les  dangers 
de  la  procedure  criminelle  que  la  France  s'etait.donnee.  On  nous 
permettra  de  citer  les  principaux  passages  dans  lesquels ,  soute- 

(1)  Recueil  de  Niron,  torn.  I,  p.  250. 

(2)  Ibid.,  p.  251  :  «  Nommer  intellige  quacumque  demonstratione,  quia  non  sem- 
per innocens  scit  nomina  eorum  per  quos  probabitur  absentia  allegata;  faits  jus- 
tificatifs :  etiam  de  facto  vidi  d  Mascon  1550  reQU  post  21  menses  et  dicere  etiam 
variando  quae  nova  facta  estoient  venus  a  sa  mimoire  et  nommer  tesmj)ins  'pour  ce 
<prouver  et  ad  requestam  du  procureur  du  Roy  et  tantum  non  vocato  accusa- 
tore.  » 

(3)  Ibid.,  p.  251. 

(4)  Molineei  opera ,  t.  II,  p.  792. 


DU  xra"  AU  XVII°  SIECLE.  163 

nant  une  cause  imprescriptible,  quoique  perdue  pour  longtemps , 
il  revendique  I'oralit^  des  debats ,  la  publicite ,  la  liberie  de  la 
defense. 

II  a  su  tout  d'abord  degager  les  vices  fondamentaux  du  systeme 
qu'il  combat ,  le  secret ,  I'importance  funeste  des  pieces  ecrites , 
le  pouvoir  immense  laisse  au  juge.  «  On  faict  de  la  justice,  dit- 
il,  comme  des  saincts  et  saCres  mysteres,  qui  ne  se  communiquent 
qu'au  prestre  (1)...  Anciennement  a  Rome  et  en  la  Grece,  toute 
cette  instruction,  recolement,  confrontation  et  jugement  se  faisoit 
a  huis  ouvert  et  en  public ,  present  le  peuple ,  tous  les  juges  et 
parties  presentes.  Notre  stile  n'est  pas  plus  contraire  en  autre 
chose,  car  nous  requerons  si  estroictement  que  les  proces  criminels 
soient  instruicts  a  part  et  en  secret,  que  nous  les  jugerions  nuls  si 
autre  que  le  juge  et  son  greffier  y  avoit  assiste.  D'ou  vient  cette 
difference?  Est-ce  que  la  raison  seroit  autre  es  republiques  oi  le 
peuple  a  part  a  I'administration ,  autre  oii  I'fitat  ne  depend  que 
d'un  seul?  II  est  certain  qu'en  France  nous  en  usions  ainsi  il  n'y  a 
pas  longtemps...  Ce  n'est  done  pas  la  diversite  de  I'Estat  qui  ap- 
porte  cette  difference  d'instruction  secrete  ou  apparente...  II  est 
facile  a  huis-clos  d'adjouster  ou  de  diminuer,  de  faire  brigues  ou 
impressions.  L'audience  est  au  contraire  la  bride  des  passions , 
c'est  le  fleau  des  mauvais  juges.  Cette  instruction  publique  si 
elle  sert  de  bride  aux  mauvais ,  elle  engendre  un  incroyable  los  et 
repos  aux  bons  juges.  L'innocent  ne  sera  jamais  pleinement  absous 
ou  le  coupable  puny  trop  justement ,  il  y  aura  toujours  quelque 
chose  a  redire  si  leur  proces  n'a  este  veu,  faict  et  examine  en 
public.  Cette  face  composee  de  plus  d'yeux ,  de  plus  d'oreilles , 
de  plus  de  testes  que  celle  de  tous  les  monstres  et  geants  des 
Poetes,  a  plus  de  force,  plus  d'energie,  pour  penetrer,  jusques 
aux  consciences  et  y  faire  lire  de  quel  cote  git  le  bon  droit  que 
nostre  instruction  si  secrete  (2).  »  —  «  Est-il  raisonnable  d'ad- 
jouster foy  a  ce  qu'un  juge  et  un  clerc  mercenaire  rapportent  de  ce 
que  dix  ou  vingt  ont  depose?...  Telles  depositions  ne  sont  ny  le 
dire  ny  le  langage  du  deposant.  C'est  I'artifice  d'un  sergent ,  d'un 

(1)  L'ordire  et  formaliti,  etc.  Livre  III ,  art.  3 ,  n»  21. 

(2)  Op.  eit.,  1.  Ill ,  art.  3 ,  vfi^  58  ,  59 ,  60 ,  63 ,  64. 


164  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

enquesteur,  d'un  examinateur,  voire  d'un  juge  mesme ,  s'il  I'a  re- 
ceue ,  lesquels  font  parler  le  tesmoin  comme  il  leur  semble.  N'y 
a-t-il  rien  qu'on  peut  reprendre,  si  y  a-t-il  neanmoins  grande 
difference  aux  termes ,  et  Ja  premiere  grace,  dont  a  use  le  temoin 
en  deposant ,  n'y  est  plus ,  quand  nous  venons  a  nos  recolements 
et  confrontations  ordinaires.  J'ay  souventes  fois  ouy  dire  au  feu 
sieur  lieutenant  general  de  ce  siege ,  homme  bien  advise ,  que  les 
tesmoins  ressembloient  aux  cloches.  Tout  ainsi  qu'on  leur  faict 
dire  tout  ce  qu'on  veut ,  ainsi  le  tesmoin ,  selon  qu'il  est  examine, 
et  selon  les  termes  dont  on  orne  et  habille  son  dire ,  charge  ou 
descharge...  pour  cette  occasion  il  disoit  qu'il  n'y  a  rien  de  si 
pernicieux  a  la  justice  dont  nous  usons  que  d'y  avoir  introduict 
des  mestiers  et  offices  d'ouyr  tesmoins.  Au  rapport  d'un  examina- 
teur et  enquesteur  le  juge  croit  a  gens  qu'il  n'a  point  veus,  et 
s'il  les  fait  revenir  d'adventure,  ils  ne  lui  chantent  le  plus  souvent 
autre  chose ,  sinon  :  qu'on  me  lise  ma  deposition ,  je  me  tiens  a 
ce  qui  y  est  escrit  (1).  »  —  «  La  bouche  ment  le  plus  souvent 
ou  se  tient  close  tout  expres  de  peur  de  se  couper  et  se  surpren- 
dre  soy  mesme,  mais  nos  gestes  et  mines  exterieures,  le  veuilions 
ou  non,  parlent  toujours  et  parlent  vray,  si  ce  n'est  en  une  facon, 
c'est  en  1' autre  (2).  » 

Jamais  on  n'a  mieux  defendu  ni  dans  un  meilleur  langage  la 
procedure  orale  et  publique.  Ayrault  ne  depeint  pas  moins  vi- 
goureusement  la  puissance  terrible  du  juge  d'instruction  et  la 
faiblesse  de  la  defense.  «  Je  dy  que  ce  qu'il  y  avoit  de  plus 
beau  en  I'instruction  criminelle  des  anciens  estoit  que  cette  action 
d'interroger  les  parties  dependoit  d'eux  mesmes  ou  de  leurs  ad- 

vocats  non  pas  desjuges C'est  avoir  bien  change  de  forma- 

lite ,  veu  que  la  nostre  est  si  contraire  que  si  autre  que  le  juge 
avoit  interroge  1' accuse  et  s'il  I'avoit  faict  en  presence  de  la  partie 
tout  seroit  perdu...  ostant  aux  parties  ceste  faculte  de  s'inter- 
roger,  ouyr  et  examiner  leurs  tesmoins ,  nous  I'avons  tellement 
attachee  au  juge  qu'il  semble  que  les  pauvres  parties  soient 
aujourd'huy  en  curatelle  et  plus  aveugles  que  ceux  qui  escri- 

(1)  Op.  cit.,  1.  Ill,  art.  3,n»38. 

(2)  Ibid..  1.  Ill,  art.  3,n»  64. 


DU  XIII'AU  XVII"  SIECLE.  165 

vent  en  plein  minuict aujourd'huy  que  toutes  les  fonctions 

qui  residaient  aux  parties  et  aux  advocats  sont  en  luy  (le  juge),  il 
faut  qu'il  approche  tellement  du  nom  de  ruse  et  de  finesse ,  s'il 
veut  bien  tirer  les  vers  du  nez  d'un  criminel ,  qu'a  grand  peine 
sauroit-on  dire  si  ces  artifices  se  doibvent  appeler  justice  ou  cir- 
convention  (1).  » 

C'est  surtout  la  theorie  des  reproches  et  des  faits  justificatifs 
qui  parait  insupportable  a  la  bonne  foi  d'Ayrault.  «  Le  tesmoi- 
gnage  estoit  bien  mieux  destruict  par  dispute,  argumentation 
et  refutation  faicte  a  propos  que  par  blasme  et  reprehension  de 
la  personne.  Cependant  puisque  nous  sommes  sur  les  reprosches, 
voyons  par  maniere  de  disputer  si  Tordonnance  introduicte  par 
M.  le  chancelier  Poyet,  que  I'accuse  les  doit  alleguer  auparavant 
qu'avoir  entendu  la  deposition  du  tesmoin  et  qu'apres  la  lecture 
il  n'y  sera  plus  regeu,  est  juste  et  equitable...  il  falloit  done 
ordonner  par  le  mesme  moyen  qu'on  n'ameneroyt  jamais  tes- 
moins  que  les  parens,  voisins  et  concitoyens  de  I'accuse...  I'ac- 
cuse peut-il  scavoir  a  I'instant  si  le  tesmoin  est  corrompu  ou  s'il 
a  soUicite  centre  luy  :  ses  parents ,  ses  amis ,  ses  solliciteurs  et 
procureurs  ne  peuvent  pas  mesmes  sitost  le  decouvrir,  comment 
le  fera-t-il  en  prison?  Car  I'invention  d'alleguer  les  reproches 
auparavant  la  lecture  a  apporte  qu'a  toutes  aventures  les  accuses 
sont  contraints  de  reprocher,  et  que  la  plupart  de  leurs  reproches 
sont  de  style...  il  faut  principalement  pourvoir  aux  simples... 
tous  n'entendent  pas  I'ordonnance,  quelque  advertissement  qu'on 
leur  fasse.  Y  a-t-il  apparence  d'establir  tellement  une  formalite 
que  pour  ne  pas  la  faire  devant  ou  apres,  il  y  aille  de  la  vie  ou  de 
I'honneur?...  tant  de  pauvres  accuses  qui  ne  scavent  ne  A  ne  B 
ne  scavent  que  c'est  que  reprocher  ou  recuser  (2).  Tout  ce  que 

(1)  L.  Ill,  art.  Sjiios  21  et  22.  Ces  inconv^nients  sont  noUs  dans  Imbert  (III, 
ch.  10,n"s  2  et  3),  qui  donne  aujuge  interrogateur  de  sages  conseils,  etbleime 
les  pratiques  desmagistratscauteleux. 

(2)  Imbert  proteste  egalement  a  cet  figard  :  «  Lesquelles  ordonnances,  dit-il, 
sont  merveilleusement  rigoureuses ,  et  est  advenu  a  I'auteur  d'icelles  comme  k 
Perillus ;  car  c'est  chose  fort  s6v6re  et  dure  qu'un  pauvre  prisonnier  eimuy6  de 
la  prison  d'un  an  ou  demy-an,  soit  tenu  nommer  promptement  ses  diets  tesmoins ; 
aussi  que  le  prisonnier  n'4utre  pour  lui  ne  pourra  parler  aux  tesmoins  qui  vien- 
dront  pour  estre  ouys  pour  luy,  et  qu'il  faut  que  le  procureur  du  roy,  qui  est  par- 


166  LA  PROCEDURE   CEIMINELLE 

dessus  me  donne  quelque  foUe  hardiesse  a  dire  que  je  ne  scay 
pas  bonnement  ce  qui  meut  aussi  le  diet  chancelier  Poyet  a  chan- 
ger ceste  belle  et  honeste  fagon  de  proceder  que  tout  a  coup  las 
deux  parties  faisoient  leurs  preuves ,  et  que  celle  qu'il  nous  a 
introduicte  d'interloquer  pour  informer  des  faicts  justificatifs  et 
reproches,  nous  I'ayons  tous  regeue  si  constamment...  D'oi  peut 
venir  cette  invention  que  I'accuse  ne  face  ses  preuves  que  celles 
de  I'accusateur  ne  soient  faictes  et  arretees...  Y  a-t-il  de  la  jus- 
tice a  cela  que  I'un  se  peine  et  se  tourmente  a  faire  des  preuves 
et  que  I'autre  cependant  soit  aux  escoutes...  Le  duel  ne  seroit 
pas  ny  juste  ni  a  beau  a  voir,  dont  la  paction  seroit  telle  qu'un 
seul  tirast  le  premier  tous  les  coups  et  I'autre  apres.  Voila  en  ce 
faysant  comme  aujourd'huy  les  jugements  sont  arbitraires  et  les 
hommes  faciles  ci  s'arrester  plutost  a  ce  qu'ils  se  sont  imprimez 
qu'a  ce  qui  est  escrit ,  les  accusez  au  hasard  de  se  voir  condam- 
ner  nonobstant  et  sans  avoir  esgard  a  leurs  faicts  justificatifs  et 
de  reproches  :  bref ,  est-ce  bien  juger  un  proces  que  de  n'y  voir 

que  d'un  seul  coste? Or  en  ceste  ordonnance  que  nous  at- 

tribuons  au  diet  sieur  Poyet  chancelier,  il  y  a  encore  deux 
choses  si  esloignees  des  anciennes  formes  qu'elles  font  douter 
de  son  equite  :  il  est  dit  que  I'accuse  nommera  ses  tesmoins 
sur-le-champ ,  et  que  ce  ne  sera  pas  luy  qui  les  fera  venir,  ains 
le  procureur  du  roy.  Que  veut  dire  cela?  L'aecusateur  aura  delay 
de  faire  son  inquisicion  et  I'accuse  devinera  a  I'instant  quels 
temoins  peuvent  le  justifier  I  Et  ceux  qu'il  nomme  pour  sa  defense, 
un  tiers  les  fera  venir  et  non  pas  luy  :  son  innocence  dependra 
done  de  la  fidelite  ou  prevarication,  diligence  ou  nonchalance 
d'autruy.  Y  a-t-il  procureur  du  roy  si  curieux  de  la  justification 
de  I'aceuse  que  I'accuse  lui-meme  (1)?  » 

Ayrault  s'eleve  encore  contre  I'abus  de  la  detention  preven- 
tive et  des  monitoires.  Apres  avoir,  dans  une  magnifique  ampli- 
-fieation,  loue  la  pratique  de  la  liberte  sous  caution  et  glorifie 

tie  adverse,  les  face  venir  et  par  adventure  on  en  baillera  la  charge  a  un  sergent, 
qui  sera  pratiqu6  par  la  partie  adverse  du  prisonnier.  Et  par  ce  seroit  bon  de 
modSrer  un  peu  les  diotes  ordonnances.  »  (III,  ch.  xiii,  n»  16.)  II  s'agitladela 
preuve  des  fails  justificatifs  et  des  reproches. 
(1)  Ayrault,  op.  cit.,  1.  Ill,  art.  3,  n™  50-52.   ' 


DU  XIII"  AU  XVII"  SIECLE.  167 

les  anciens  de  I'avoir  admise,  voici  ce  qu'il  dit  de  la  prison  : 
«  On  la  pent  quasi  mettre  aujourd'huy  parmi  les  formalites  les 
plus  requises.  II  se  faict,  ne  seals  comment,  que  ce  qui  est 
quelquefois  le  plus  beau  et  le  plus  raisonnable  a  discourir,  I'u- 
sage  en  est  toutesfois  peu  profitable.  II  a  este  necessaire  pour  la 
securite  publique  laisser  les  exemples  des  hommes  libres  et  se 
servir  de  ceux  des  ennemis  jurez,  des  vagabonds,  des  esclaves, 
pour  lesquels  avoient  este  inventes  les  prisons,  les  questions, 
les  gibets.  Toutes  nos  autres  raisons  soient  si  belles  et  bonnes 
que  Ton  voudra,  ainsi  que  le  style  de  nostre  justice  est  com- 
pose, I'experience  nous  monstre  que  si  les  accusez  ne  tiennent 
prison,  il  est  impossible  d'en  convaincre  pas  un ;  il  n'y  a  tesmoin 
qui  ose  parler  ny  jugement  qui  ne  soit  illusoire  (1).  »  —  «  N'y  a 
rien  de  si  vulgaire  aujourd'huy  que  pour  avoir  preuve  et  reve- 
lation du  crime  poursuivy  ou  a  poursuivre  par  devant  nous , 
aller  aux  monitoires  et  censures  ecclesiastiques.  Avons-nous 
point  quelque  remarque  aux  anciens  qu'a  ces  fins  ils  soient  allez 
mendier  de  leurs  pontifes  telles  imprecations  et  maledictions?... 
j'ai  idee  que  non...  d'allecher  les  tesmoins  a  prix  d'argent  ou 
par  crainte  d'estre  punys  par  devant  Dieu  ou  devant  les  hom- 
mes ils  ne  le  firent  jamais.  Com  me  c'est  crime  a  I'accuse  de 
corrompre  les  tesmoins  de  sa  partie;  aussi  seroit-ce  a  I'accu- 
sateur  de  les  forcer,  marchander  et  achepter.  Les  anciens  enfin 
estoient  plus  curieux  de  leur  reUgion  que  nous  ne  le  sommes. 
Le  public  n'a  point  taut  d'interet  a  averer  et  verifier  un  crime 
qu'il  remporte  de  detriment  par  la  profanation  et  pollution  des 
choses  saintes  (2).  )> 

On  nous  pardonnera  d'avoir  multiplie  ces  citations;  il  n'etait 
pas  inutile  de  montrer  que ,  dans  notre  pays ,  le  sentiment  de  la 
liberte  vraie  subsistait  dans  quelques  ames  elevees ,  alors  meme 

(1)  Op.  cit.,  1.  in,  art.  2,  n"  30.  Chose  curieuse,  quanta  I'horrible  institution 
de  la  torture,  nous  ne  trouvons  dans  Ayrault  que  la  parole  de  regret  contenue 
dans  ce  passage.  —  Sur  la  detention  preventive ,  cf.  Imbert :  «  Combien  que  ce 
soit  beaucoup  arbitraire,  si  est-ce  toutesfois  qu'il  seroit  bon  de  designer  par  Or- 
doimance  expresse  les  cas  pour  lesquels  on  pourroit  decreter  ordonnance  de  prise 
de  corps,  pour  refresner  la  licence  que  plasieurs  juges  en  cest  endroit  usurpent. » 
L.  Ill,  ch.  2,n»4. 

(2)  Ayrault,  op.  cit.,  1.  Ill,  art.  2,  n»  31. 


168  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

que  les  institutions  s'en  eloignaient  le  plus.  II  n'est  pas  tres- 
exact  de  dire  que  «  lorsque  les  Ordonnances  royales  changerent 
la  forme  des  proces  criminels,  pour  substituer  I'instruction 
ecrite  aux  traditions  de  la  vieille  [procedure  orale ,  aucune  voix 
ne  s'eleva  pour  rappeler  les  garanties  individuelles  (1).  »  Ce 
qui  est  vrai ,  c'est  que  ces  protestations  trouverent  I'opinion  pu- 
blique  indifferente.  Le  cri  douloureux  de  Pierre  Ayrault,  que 
nous  recueillons  aujourd'hui  avec  une  admiration  profonde, 
tomba  alors  dans  le  vide  :  Vox  clamantis  in  deserto,  Le  pays 
acceptait  avec  reconnaissance  tout  ce  qui  tendait  a  reprimer  les 
desordres  dont  il  avait  si  longtemps  souffert.  «  Vers  la  fin  du 
Moyen-Age,  dit  M.  Picot,  apres  cette  terrible  guerre  de  Cent- 
Ans  qui  avait  bouleverse  la  France ,  la  royaut§  comprenait  que 
le  premier  besoin  de  la  nation  etait  I'ordre  interieur.  On  vit 
alors  le  pays  tout  entier  s'eprendre  avec  passion  des  garanties 
qui  devaient  le  mettre  a  I'abri  des  violences  de  la  force.  »  D'ail- 
leurs  le  mouvement  qui  avait  transforme  la  procedure  crimi- 
nelle  en  France ,  se  produisait  en  meme  temps  chez  les  nations 
voisines  du  continent ;  il  y  avait  la  une  force  toute-puissante. 


III. 


Aussi  toutes  les  fois  que  la  nation  va  parler  par  I'organe  de 
ses  representants ,  dans  les  fitats-Generaux  ou  dans  les  assem- 
blees  de  notables ,  elle  approuvera  la  revolution  qui  s'est  faite 
dans  la  procedure  criminelle.  A  peine  le  Tiers-fitat,  par  un  vague 
instinct  de  liberie  qui  ne  I'abandonna  jamais ,  et  la  Noblesse 
par  un  sentiment  de  jalouse  independance ,  elevent-ils  des  re- 
clamations sur  certains  points  de  detail.  A  mesure  qu'on  avance, 
la  satisfaction  est  plus  marquee,  et  les  racines  qu'enfonce  la 
nouvelle  procedure  sont  plus  fortes  et  plus  tenaces. 

Cette  approbation  de  la  procedure  secrete  et  inquisitoire  par 
les  Etats-Generaux  a  ete  signalee  a  diverses  epoques.  L'avocat 
general  Seguier  la  rappelait  en  1786  devant  le  Parlement  de 

(1)  M.  G.  Picot,  Histoire  des  itats-G^niraux ,  iom.  IV,  p.  231. 


DU  XIII°  AU  XVI1°  SIECLB.  169 

Paris ,  dans  un  requisitoire  celebre ,  ot  il  condamnait  les  desirs 
de  reforme.  «  Une  observation  qui  ne  doit  pas  nous  echapper, 
disait-il,  se  fait  jour  au  milieu  des  grandes  Ordonnances  du 
royaume.  L'Ordonnance  de  Villers-Cotterets  est  de  1539,  I'Or- 
donnance  d'Orleans  de  1560, 1'Ordonnance  de  Moulins  de  1566, 
et  rOrdonnance  de  Blois  de  1579.  Elles  sont  toutes  du  meme 
siecle;  elles  ont  toutes  pour  objet  la  reformation  de  la  justice. 
Les  trois  dernieres  ont  ete  rendues  sur  les  plaintes ,  doleances  et 
remontrances  des  trois  Eltats  du  royaume...  et  dans  toutes  ces 
loix  solennelles ,  ou  la  nation  demandoit  pour  ainsi  dire  justice 
k  son  souverain,  on  ne  trouve  aucune  reclamation  contre  la  forme 
de  procedure  ni  contre  la  barbaric  de  I'Ordonnance  de  Fran- 
cois I".  Eh!  quoil  la  nation  entiere  assemblee  pour  deliberer 
sur  ses  interets  a  ete  assez  aveugle  pour  ne  pas  demander  en 
cette  partie  la  reformation  d'une  legislation  bizarre  et  contraire 
a  la  loi  naturelle  (1)?  »  Plus  tard,  lors  de  la  redaction  du  Code 
d'Instruction  Criminelle ,  lorsqu'on  introduisait  dans  nos  lois  les 
juridictions  prevotales  sous  le  nom  de  tribunaux  spMaux,  les 
redacteurs  rappelaient  que  les  Etats-Generaux  du  xvi°  siecle 
avaient  appro uve  cette  institution.  «  II  sufflra  aux  besoins  de  la 
discussion  de  remarquer  que ,  retablie  sur  toutes  les  parties  de 
la  France  par  Francois  I"  au  commencement  du  xvi°  siecle ,  une 
institution  speciale ,  analogue  a  celle  que  nous  vous  proposons , 
fut  reconnue ,  reclamee  par  les  Etats-Generaux  tenus  a  Orleans , 
a  Moulins  et  a  Blois ,  sanctionnee  et  reorganisee  dans  les  cele- 
bres  Ordonnances  rendues  sur  les  remontrances  de  ces  Etats  (2).» 
Seguier  et  M.  Real  trouvaient  dans  la  conduite  des  Etats-Gene- 
raux une  justification  de  la  procedure  de  I'Ordonnance  de  1539; 
la  seulement  etait-  leur  erreur. 

II  est  interessant  de  voir  d'un  peu  plus  pres  quel  fut  au  juste 
le  langage  tenu  par  les  fitats;  cela  nous  est  facile,  grice  a  la 
belle  Histoire  des  &tatSTG6n6raux  de  M.  Picot.   . 

Aux  JEtats  de  1560,  la  Noblesse  demanda  seulement  que  le 
procureur  du  roi  fM  «  tenu  de  declarer  le  denonciateur  a  peine 

(1)P.  240,  241. 

(2)  Exposi  des  motifs  du  titre  VI,  livre  II,  du  Code  d'Instruction  Criminelle,  par 
M.  R6al.  (LocrS,  torn.  XXVIII,  p.  47.) 


170  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

d'etre  pris  en  son  propre  et  prive  nom.  »  Le  Tiers  et  le  Clerge 
reclament  un  redoublement  d'activite  dans  I'exercice  de  Tac- 
tion publique ,  et  I'Ordonnance  d'Orleans  (art.  63)  enregistre  ce 
vcEu  dans  la  loi  (1).  Le  Tiers  cependant  proteste  contre  la  dis- 
position qui  «  oblige  les  accuses  a  alleguer  immediatement  leurs 
reproches  contre  les  tesmoins ,  qui  est  chose  dure  et  s'ensuit 
souvent  que  I'innocence  de  plusieurs  est  grevee.  »  II  desirait  que 
le  juge  put  accorder  ua  delai;  le  Conseil  du  roi  repondit  que 
«  I'Ordonnance  seroit  gardee  (2).  »  La  preoccupation  la  plus  vive 
des  fitats  se  porta  vers  les  prevots  des  marechaux ;  si  le  Tiers 
reclama  et  obtint  la  concurrence  au  profit  de  certains  sieges 
royaux  pour  les  faits  dont  connaissaient  les  prevots  (3) ,  les  trois 
ordres  furent  unanimes  pour  demander  qu'on  activat  et  rendit 
plus  efficace  le  service  de  la  marechaussee. 

En  1576,  El  Blois,  le  Tiers-Etat  voudrait  que  I'accuse  fM  «  re- 
gulierement  informe  du  nom  de  son  denonciateur  avant  toute 
confrontation  (4.).  »  Ce  vceu  ne  devait  point  6tre  entendu;  mais 
il  ne  fut  autrement  d'un  autre,  egalement  forme  par  le  Tiers, 
portant  «  que  tous  ceux  qui  informeront  de  crimes  seront  tenus 
enquerir  des  tesmoins  sur  la  pleine  verite  du  fait ,  tant  de  ce 
qui  concernera  la  charge  que  I'innocence  de  I'accuse.  »  On  pen- 
sait  par  la  faire  assez  pour  la  defense,  en  en  remettant  le  soin 
a  la  conscience  du  juge;  ce  n'etait  au  fond  qu'une  satisfaction 
de  pure  forme,  et  la  disposition  fut  inseree  dans  I'Ordonnance 
de  Blois  (art.  203);  elle  passera  dans  I'Ordonnance  de  1670 
(titre  V,  art.  10).  Ce  qui  etait  plus  important,  et  ce  qui  fut 
egalement  prescrit  par  I'Ordonnance  de  Blois ,  c'est  que  les  juges 
devaient  demander  aux  temoins  s'ils  etaient  «  parents,  allies, 
domestiques  ou  serviteurs  des  parties,  et  en  faire  mention  au 
commencement  de  leurs  depositions  a  peine  de  nuUite  et  des 
dommages-interets  des  parties  (5).  »  Mais  ce  qui  etait  demande 

(1)  M.  Picot ,  op.  cit.,  torn.  II,  pp.  169 ,  170. 

(2)  Ibid.,  op.  cit.,  torn.  II,  p.  171. 

(3)  Ord.  d'Orlgans,  art.  72. 

(4)  Picot,  op.  cit.,  lorn.  II,  p.  528. 

(5)  Ibid.,  op.  cit.,  torn.  II,  p.  528.  La  Noblesse  e<it  voulu  «  que  les  prfivenus 
61argis  faute  de  preuves  ne  pussent  6tre  recherchfe  apres  une  annfie  6coul6e  depuis 
que  Varrfit  avait  ordonni  le  plus  ample  inform^.  »  P.  526. 


DU  xm"  AU  XVU"  SlilCLE.  171 

avant  tout,  c'est  qu'une  impulsion  plus  active  fut  donnee  k 
I'exercice  de  Taction  publique  et  au  service  de  la  naarechaussee  : 
«  La  lecture  des  cahiers,  dit  M.  Picot,  indique  clairement  que 
les  deputes  etaient  emerveilles  de  I'Ordonnance  de  1539...  L'in- 
formation  en  elle-m§me  ne  leur  semblait  propre  qu'a  terrifier 
leg  mechants,  et  par  consequent  a  rassurer  les  gens  paisibles. 
Aussi  se  gardaient-ils  de  critiquer  I'instruction  secrete  (1).  » 

Aux  nouveaux  fitats  de  Blois,  en  1588,  ces  questions  preoccu- 
perent  encore  moins  les  deputes ,  «  ni  le  Clerge ,  ni  le  Tiers  ne 
s'occuperent  de  I'instruction  criminelle  (2).  »  La  Noblesse  re- 
clama  I'acceleration  des  procedures ;  elle  manifesta  le  desir  de 
reveiller  les  poursuites  individuelles  en  face  de  Taction  du  minis- 
tere  public,  proposant  une  disposition,  qui  d'ailleurs  a  passe 
dans  nos  lois ,  la  decheance  de  tout  droit  «  contre  les  veuves , 
heritiers  ou  donataires  des  homicides  qui  ne  feront  poursuite  des 
meurtres  et  assassinats  commis  en  la  personne  de  leurs  maris  ou 
parents  (3).  » 

Les  fitats  de  la  Ligue  de  1593  avaient  une  mission  exclusive- 
ment  politique  et  la  legislation  criminelle  n'6tait  point  le  fait  de 
cette  assemblee,  dont  la  M^nipp^e  contient  la  satire  immortelle. 
L'assemblee  des  notables,  tenue  a  Rouen  en  1596,  n'eut  egale- 
ment  aucune  influence  en  cette  matiere  (4). 

Ce  fut  aux  Etats  de  Paris  de  1614,  et  aux  assemblees  de  no- 
tables de  Rouen  (1617)  et  de  Paris  (1626,  1627),  que,  pour  la 
derniere  fois,  les  representants  du  pays  purent  manifester  leur 
opinion,  avant  la  redaction  de  I'Ordonnance  de  1670.  L'opinion 
publique  se  montra  de  plus  en  plus  favorable  a  la  procedure 
secrete  et  inquisitoriale  :  «  toute  une  generation  d'hommes  de 
loi  s'etait  formee  au  milieu  des  habitudes  mysterieuses  de  I'ins- 
truction ecrite ,  et  Tindolence  des  parties  lesees  avait  peu  a  peu 
accepte  cette  initiative  du  magistrat ,  qui  dispensait  le  citoyen  du 
soin  de  se  defendre ,  et  substituait  a  Taction  de  Tindividu  la  pro- 
tection de  TEtat  (S).  »  Nous  trouvons  mSme  dans  les  cahiers  des 

(1)  Op.  et  loc.  (At.,  p.  S30. 

(2)  Picot  j  op.  cit.,  torn.  Ill,  p.  184. 

(3)  Op.  et  loc.  cit.,  p.  184. 

(4)  Voy.  Picot,  torn.  Ill,  pp.  237,  323. 

(5)  Picot,  torn.  IV,  p.  61. 


172  LA.  PROC^DUEE   CEIMINELLE 

vceux  qui  tendent  h  aggraver  encore  les  duretes  de  la  procedure. 
C'est  sur  la  demande  du  Tiers  que  I'Ordonnance  de  1629  defendra 
expressement  de  plaider  sur  le  reglement  des  procedures  crimi- 
nelles  (art.  112),  de  peur  que  les  avocats  et  procureur  general  ne 
pussent  meme,  par  allusion,  designer  les  temoins  assez  clairemeM 
«  pour  donner  sujet  aux  prevenus  de  se  preparer  et  munir  de 
reproches  et  recourir  aux  artifices  centre  les  temoins  de  la 
charge  (1).  »  Les  trois  ordres  insistaient  pour  qu'un  seul  juge 
assiste  de  son  greffler  dirigeit  I'information  (2.) ,  il  est  vrai  qu'il 
y  avait  la  surtout  une  pensee  d'economie ;  c'etait  dans  le  meme 
esprit  que  I'OrdonnancI  de  Moulins  voulait  (art.  37)  «  que  dore- 
navant  fust  commis  un  seul  commissaire  et  non  deux  pour 
vacquer  a  I'instruction  des  procez ,  en  la  presence  toutefois  de 
son  greffier  ou  commis ,  le  tout  a  peine  du  quadruple.  »  Le  Tiers 
s'occupa  aussi  «  des  incidents  dilatoires  et  des  evocations,  le 
plus  souvent  pratiquees  pour  eluder  la  punition  des  crimes ;  il 
demandait  que  sous  divers  pretextes  I'instruction  ne  put  etre 
suspendue,  et  que  le  juge  ne  s'arretat  qu'au  moment  de  pronon- 
cer  la  sentence  definitive  (3).  »  —  Cependant  quelques  adoucis- 
sements  etaient  reclames.  La  Noblesse  «  persistait  a  demander 
que ,  des  le  debut  de  I'instance ,  les  procureurs  generaux  etant 
parties  fussent  forces  de  nommer  les  denonciateurs  (4).  »  Le 
Tiers  voulait  que  «  I'interrogatoire  de  I'accuse  eut  lieu  dans  les 
vingt-quatre  heures  de  I'arrestation  (5).  »  La  competence  des 
prevdts  des  marechaux  attira  I'attention  des  deputes;  iJs  propo- 
sent  que  leur  « juridiction,  qui  est  un  veritable  abus,  soit  reduite 
a  la  repression  des  desordres  commis  par  les  gens  de  guerre  (6).  » 
Les  plaintes  des  fitats  de  1614  et  des  assemblees  de  notables 
qui  les  suivirent,  donnerent  lieu  a  la  publication  d'une  Ordon- 
nance.  En  1627  Michel  de  Marillac  rassembla  autour  de  lui  un 
certain  nombre  de  conseillers  d'Etat  et  Ton  passa  en  revue  les 

(1)  Picot,  torn.  IV,  p.  61  et  187. 

(2)  Ibid.,  IV,  p.  64. 

(3)  Ibid.,  IV,  p.  64. 

(4)  Ibid.,  IV,  p.  60. 

(5)  Ibid.,  IV,  p.  61. 

(6)  Ibid.,  IV,  p.  65. 


DU  Xm"  AU  XVI1°  SIECLE.  173 

doleances  des  deputes  :  on  en  fit  une  Ordonnance ,  comprejjant 
un  grand  nombre  d'articles ,  dont  beaucoup  etaient  consacres  a 
I'administration  de  la  justice  et  k  la  procedure ;  mais  ce  n'etait 
point  une  codification  systematique  et  detaill§e.  Elle  fut  enregis- 
tree  au  Parlement  le  15  Janvier  1629.  Mais  ce  Code  Michaud, 
comme  on  I'appelle ,  ne  fut  guere  observe  dans  la  pratique. 

Au  xvii^  siecle ,  nous  venons  de  le  voir,  I'esprit  public  ne  de- 
mandait  point  de  reformes  dans  le  droit  criminel;  on  ne  soup- 
connait  mSme  pas  que  la  procedure  qu'on  suivait,  piit  etre 
mauvaise.  Mais  bientdt  on  sentit  le  besoin  d'un  code  criminel , 
precis  et  detaille ,  qui  fix§,t  tous  les  details ,  fit  disparaJtre  les 
irregularites  et  les  divergences  dans  Tadministration  de  la  jus- 
tice. La  misere  avait  ete  grande  au  temps  de  la  Fronde.  Les 
crimes ,  produit  fatal  des  mauvais  jours ,  avaient  pullule ;  et  en 
meme  temps,  par  un  phenomene  qui  se  reproduit  toujours  au 
milieu  des  troubles  politiques,  I'administration  de  la  justice 
criminelle  etait  devenue  plus  incertaine  et  moins  energique.  Cinq 
ans  apres  la  mort  de  Mazarin,  Denis  Talon  pouvait  dire  «  que 
le  nombre  des  meschants  estoit  venu  a  tel  exces  par  I'impunite 
des  crimes ,  qu'il  n'y  auroit  tantost  plus  de  surete  pour  la  liberte 
publique  (1).  »  En  1665,  les  grands -jours  d'Auvergne,  dont 
Flechier  nous  a  laisse  un  tres-interessant  recit  (2),  vinrent  mon- 
trer  d'une  facon  saisissante  les  desordres  et  les  hontes  qui  souil- 
laient  I'administration  de  la  justice.  D'autre  part ,  si  depuis 
longtemps  les  grandes  lignes  de  la  procedure  etaient  arretees, 
aucune  loi  generale  n'en  avait  reglemente  les  details.  Aussi 
I'incertitude  et  la  diversite  des  jurisprudences  etait  un  mal  plus 
sensible  tous  les  jours  :  «  Le  mal ,  dira  I'un  des  redacteurs  de 
rOrdonnance  de  1670,  a  passe  jusqu'a  ce  point,  que  dans  un 
mesme  Parlement  plusieurs  maximes  ont  change  deux  ou  trois 
fois  depuis  trente  ans ,  et  encore  a  present  elles  se  jugent  diffe- 
remment  dans  les  chambres  d'un  mesme  Parlement  (3).  »  Une  loi 

(1)  Cit6  par  M.  Pierre  Clement.  Lettres,  papiers  et  documents  de  Colbert,  torn. 
VI,  Introduction,  p.  xxxix. 

(2)  Grands-jowrs  d'Auvergne.  Edit.  Ch^ruel. 

(3)  Lettre  d'Auzanet  a  un  de  ses  amis.  Voy.  Pierre  Clement,  Lettres,  papiers  el 
dociments  de  Colbert,  torn.  VI,  App.,  p.  397. 


174      LA  PROCEDURE   CRIMINELLE  DU   Xm°  AU  XVII°   SIECLE. 

generale  pouvait  seule  apporter  un  remede ;  elle  etait  aussi  ap- 
pelee  a  corriger  un  autre  abus.  Dans  la  procedure  criminelle, 
depuis  qu'elle  etait  entierement  ecrite,  s'etaient  introduites  une 
foule  de  formalites  et  de  pieces  inutiles ,  dont  le  resultat  etait  de 
ralentir  I'expedition  des  affaires,  et  dont  le  veritable  but  etait 
d'augmenter  outre  mesure  les  frais  des  proces. 

La  monarchie  etait  sortie  triomphante  de  la  lutte,  desormais 
terminee,  qu'elle  avait  soutenue  pendant  des  siecles,  d'abord 
contre  la  feodalite ,  puis  centre  la  Noblesse ;  la  Fronde  avait  ete 
la  derniere  convulsion  des  forces  opposees.  Incontestee  dorena- 
vant,  la  Royaute  venait  d'asseoir  ce  gouvernement  absolu  et 
centralisateur,  qui  laissera  sur  la  France  une  empreinte  si  pro- 
fonde.  Le  moment  etait  favorable  pour  une  reforme  des  lois. 
Toutes  les  fois  qu'une  nation  arrive ,  apres  des  luttes  seculaires 
entre  des  forces  rivales ,  a  un  etat  qui  lui  semble  deflnitif  et 
qui,  en  realite,  doit  lui  assurer  la  stabilite  pendant  longtemps,  elle 
sent  le  besoin  de  refondre  et  d'unifier  ses  lois.  On  veut  reunir 
dans  un  ensemble  harmonieux  les  regies  de  droit  qui  se  sent 
lentement  formees  et  les  debarrasser  des  elements  heterogenes. 
Une  oeuvre  semblable  s'imposait  au  gouvernement  de  Louis  XIV. 
Ce  qui  montre  bien  qu'il  y  avait  la  un  besoin  veritable,  une  de 
cesidees  qui  «  sont  dans  I'air,  »  comme  on  dit  aujourd'hui,  c'est 
qu'en  meme  temps  deux  bommes  eminents ,  Lamoignon  et  Col- 
bert, songeront  a  une  codification  des  lois,  et  separement  com- 
menceront  dans  ce  but  les  premiers  travaux. 


-^~^ 


DEUXIEME   PARTIE. 


L'ORDONNANCE  DE  1670. 


TITRE  PREMIER. 

L'ORDONNANCE    DE    167  0. 

CHAPITRE  PREMIER. 
La  redaction,  de  rOrdonnance. 


I.  L'id^e  d'une  codification  se  produit :  Colbert ,  Pussort  et  Louis  XIV.  —  11.  Mi- 
moires  demandSs  par  le  roi  a  divers  membres  du  Conseil  d'fitat.  —  III.  Plan 
de  Colbert;  le  Conseil  de  justice  et  ses  premiers  travaux.  —  IV.  Entree  en 

,  scfene  des  parlementaires.  —  V.  Discussion  de  I'Ordonnance  de  1670  :  Lamoi- 
gnon  et  Pussort. 


I. 

Dans  plusieurs  passages  de  son  Journal  et  de  ses  Memoires , 
Louis  XIV,  parlant  des  Ordonnances  sur  la  justice  qui  datent  de 
son  regne,  s'en  attribue  non-seulement  la  gloire  mais  encore 
I'idee  premiere  (1).  Autour  de  lui  on  s'ingenia  en  effet  a  lui  per- 
suader qu'il  en  etait  le  veritable  auteur,  et  la  posterite  semble 
avoir  ete  du  meme  avis,  lorsqu'elle  a  donne  au  recueil  de  ces 
Ordonnances  le  nom  de  Code  Louis.  Aujourd'hui ,  grace  a  d'inge- 
nieux  travaux  et  a  des  publications  precieuses ,  il  est  possible  de 
faire  a  chacun  sa  part.  Dans  I'etude  que  nous  aliens  maintenant 
entreprendre ,  il  est  impossible  de  separer  I'Ordonnance  de  1670 
de  celle  de  1667;  ce  sont  deux  fragments  d'une  meme  ceuvre, 
executes  par  les  memos  ouvriers. 

La  gloire  de  I'entreprise  revient  a  Colbert  et  k  son  oncle  Pus- 
sort. Les  jurisconsultes  du  xvui*  siecle  le  sentaient  deja,  bien 
qu'ils  ne  connussent  que  le  proces-verbal  des  conferences  entre 

(1)  Uimoires  de  Louis  XIV  [i&\\..  Dreyss.),  torn.  II,  pp.  IS6,  224,  368. 

12 


178  l'ordonnance  de  1670. 

les  membres  du  Parlement  et  les  conseillers  d'Etat.  Parlant  de 
rOrdonnance  criminelle ,  ils  appelaient  Pussort  «  le  principal  re- 
dacteur  de  cette  loi.  »  Colbert  et  Pussort  etaient  deux  hommes 
capables  de  mener  a  bien  un  pareil  travail.  On  connait  I'apre  vo- 
lonte  du  premier,  et  le  second  etait  egalement  energique  et  intel- 
ligent; ecoutons  Saint-Simon,  qui  n'etait  pas  fait  pour  I'aimer. 
«  M.  Colbert  I'avoit  fait  ce  qu'il  etoit ,  son  merite  I'avoit  bien 
soutenu...   il   etoit  fort  riche  et  fort  avare,  chagrin,  difficile, 
avec  une  mine  de  chat  fache ,  qui  annongoit  tout  ce  qu'il  etoit  et 
dont  I'austerite   faisoit  peur...,  parmi   tout  cela  beaucoup  de 
probite ,  une  grande  capacite ,  beaucoup  de  lumiere  et  extreme- 
ment  laborieux ,  et  toujours  a  la  tete  de  toutes  les  grandes  com- 
missions du  Conseil  et  de  toutes  les  affaires  importantes  au  de- 
dans du  royaume  (1).  » 

La  pensee  de  Colbert  est  revelee  par  un  travail  ecrit  de  sa 
main  et  trouve  dans  ses  papiers  (2).  C'est  une  «  table  surle  faict 
des  Ordonnances  royales  faictes  par  nos  rois  pour  le  reglement 
de  justice ,  police ,  finances  et  milice  du  royaume.  »  Ce  tableau, 
destine  au  roi ,  va  du  regno  de  saint  Louis  a  I'annee  1626;  il  se 
fermine  par  ce  resume  :  «  Par  toutes  ces  tables  il  paroit  claire- 
ment  que  depuis  Charlemagne,  qui  a  fait  les  Capitulaires  qui  com- 
prennent  le  reglement  de  tons  les  ordres  de  son  royaume,  et  ceux 
de  Louis  le  Debonnaire ,  son  fils ,  aucun  roy  n'a  travaille  de  son 
mouvement  a  mettre  en  un  corps  toutes  les  Ordonnances  du 
royaume;  que  tons  nos  grands  rois  Charles  V,  Charles  VII, 
Louis  XII ,  Frangois  l"',  Henri  IV,  aussitot  qu'ils  ont  este  en  paix 
et  memo  bien  souvent  pendant  la  guerre,  ont  fait  des  Ordon- 
nances sur  le  fait  de  la  justice  et  autres  matieres ;  que  le  seul 
Henry  III  eut  la  pensee  de  reduire  le  tout  a  un  seul  corps,  a  quoi 
il  commit  le  president  Brisson,  qui  compila  le  code  Henry,  le- 
quel  n'a  point  eu  d'execution ;  le  garde  des  sceaux  Marillac  eut 
la  memo  fortune ;  en  sorte  que  ce  grand  travail  a  este  reserve  en 
entier  a  Louis  XIV.  »  On  ne  connait  pas  la  date  de  ce  memoirs, 
mais  on  peut  affirmer  que  des  1661,  le  laborieux  Pussort  travail-, 

(1)  Mimaires,  6dit.  Ch^ruel,  torn.  I,  p.  325. 

(2)  Lettres,  papiers  et  documents  de  Colbert,  publics  par  M.  Pierre  Clement, 
tome  VI,  App.,  p.  362. 


l'ordonnance  de  1670.  179 

lait  deja  a  la  realisation  du  plan  de  Colbert  :  «  J'ai  effleure,  ecri- 
vait-il  a  ce  dernier  le  6  septembre  1661,  le  travail  que  je  vous 
avois  propose  concernant  les  ordonnances ;  mais  j'ai  reconneu 
que  c'estoit  un  ouvrage  d'une  prodigieuse  estendue  et  d'epineuse 
discussion.  Je  ne  laisseray  pas  d'y  travailler  lorsque  je  n'aurai 
rien  de  plus  presse.  Si  vous  avez  besoin  de  moy  et  de  mon  tra- 
vail, disposez-en '(1).  »  C'etait  en  effet  une  oeuvre  immense  que 
la  codification  des  Ordonnances ,  meme  sans  y  comprendre  I'uni- 
fication  du  droit  civil;  aussi,  jusqu'en  1665,  I'idee  de  Colbert 
parait-elle  sommeiller. 

Le  ministre  autoritaire  voalait  que  I'oeuvre  nouvelle  fut  une 
oeuvre  directe  de  la  Royaute.  C'etait  une  maxime  de  I'ancien  droit 
que  le  pouvoir  legislatif  residait  dans  le  roi  et  dans  le  roi  seul  (2). 
Sans  doute  les  grandes  Ordonnances  des  xv°  et  xvi°  siecles  avaient 
ete  souvent  rendues  apres  des  convocations  d'Etats-Generaux  et 
d'apres  les  cahiers  des  deputes;  mais  legislativement  elles  n'en 
procedaient  pas  moins  du  roi  seul.  Les  Coutumes  avaient  ete 
redigees  par  les  delegues  et  representants  des  trois  ordres ,  mais 
elles  n'etaient  devenues  des  lois  ecrites  que  par  la  promulgation 
royale.  C'etait  la  un  point  inconteste.  Mais  le  roi,  pour  accomplir 
sa  tache  legislative  ,  devait  s'entourer  de  conseillers  et  de  redac- 
teurs  :  pour  des  Ordonnances  concernant  la  justice,  il  semblait 
naturel  de  s'adresser  aux  Parlements;  c'est  ceque  ne  voulait  pas 
Colbert.  Nous  trouvons  dans  ses  papiers,  a  la  date  meme  de  1665, 
une  minute  autographe  «  sur  les  moyens  de  remettre  le  Par- 
lement  dans  I'estat  ou  il  doit  estre  naturellement ,  et  luy  oster 
pour  toujours  les  maximes  sur  lesquelles  cette  compagnie  a  entre- 
pris  de  troubler  I'Estat,  en  voulant  prendre  part  A  I'administration 
d'iceluy  (3).  »  Le  ministre,  d'accord  avec  son  maitre ,  ne  vou- 
lait point  associer  les  parlementaires  a  I'entreprise  glorieuse  qu'il 
meditait;  il  ne  voulait  demander  aide  qu'aux  conseillers  d'Etat  et 


(1)  Lettres,  etc.,  de  Colbert,  tome  IV,  App.,  p.  368. 

(2)  Auxvm«  siecle  encore,  I'avocat  Barbier  se  fait  IMcho  de  la  tradition  sur  ce 
point :  «  Chaque  roi,  dit-il,  jouissant  d'un  plein  pouvoir,  peut  changer  et  abroger 
les  lois  de  ses  pr^decesseurs ,  comme  ceux-ci  ont  fait  des  lois  et  usages  qui  les 
4voient  pricfides. »  {Journal,  tome  VII,  p.  281.) 

(3)  Lettres,  etc.,  de  Colbert,  tome  II,  VI,  p.  15. 


180  l'ordonnance  de  1670. 

aux  praticiens  celebres,  aux  membres  illustres  du  barreau. 
«  Toutes  ces  grandes  choses ,  dira-t-il ,  ne  se  peuvent  presque 
executer  que  par  la  voie  des  conseillers  d'Estat ,  et  des  Maistres 
des  Requestes  (1).  » 

Colbert  communiqua  son  plan  au  roi  probablement  en  I'annee 
1664  ou  1665;  il  le  fit,  en  ayant  I'habilete,  d'ailleurs  facile,  de 
le  donner  comme  si  c'etait  une  idee  spontanee  de  la  Majeste 
royale.  C'est  ce  qu'il  declare  dans  un  important  memoire  du  15 
mai  1665.  «  Le  dessein  que  le  roy  tesmoigne  avoir  de  travailler 
a  la  justice  de  son  royaume  est  le  plus  grand  et  le  plus  glorieux 
qui  puisse  entrer  dans  I'esprit  d'un  roy. . .  Sa  Majeste  connoissant 
parfaitement  les  deux  devoirs  des  rois,  le  premier  de  la  pro- 
tection et  le  second  de  la  justice  qu'elle  doit  rendre  a  ses  peuples, 
et  s'estant  deja  si  parfaitement  acquittee  du  premier...  Elle  fait 
en  mesme  temps  connoistre  qu'elle  veut  s'acquitter  avec  la  mesme 
perfection  du  second..,  puisqu'EUe  ne  nous  laisse  pas  la  liberie 
de  dire  ce  qui  est  a  faire  pour  y  parvenir,  nous  ayant  dit  en  deux 
mots  tout  ce  que  la  plus  profonde  meditation  des  plus  habiles 
hommes  du  monde  pourroit  inventer  sur  ce  sujet  en  plusieurs , 
annees  (2).  » 


II. 

Tout  d'abord  Colbert  conseilla  au  roi  de  se  faire  remettre  par 
les  principaux  membres  du  Conseil  d'Etat  des  Memoires  sur  les 
abus  existants  et  sur  les  remedes  a  y  apporter.  C'etait  un  moyen 
de  recueillir  d'utiles  renseignements  et  en  meme  temps  de  con- 
naltre  les  plus  capables  parmi  les  conseillers  (3).  Ces.  Memoires 
furent  fournis,  et  lis  existent  a  la  Bibliotheque  Rationale  (4).  Col- 

(1)  Letires,  etc.,  de  Colbert,  torn.  VI,  p.  8. 

(2)  Ibid.,  torn.  VI,  p.  S,  6. 

(3)  «  II  semble  que  la  premiere  chose  que  Sa  Majesty  doive  faire  est  de  faire 
choix  des  sujets  capables  de  travailler  a  une  si  grande  ceuvre ;  et  c'est  ce  qu'il 
paratt  qu'elle  a  prudemment  resolu  en  ordonnant  4  tous  ceux  de  son  conseil  de 
luy  donner  leurs  avis ,  afln  de  pouvoir  former  avec  connaissance  de  cause  le 
nombre  de  personnes  dont  elle  veut  se  servir  a  un  si  grand  dessein. »  Lettres,  etc., 
torn.  VI,  p.  6. 

(4)  BiblioMque  Nationale.  Manuscrits  :  Milanges  CUrambauU,  n"  613. 


l'ordonnance  de  1670.  181 

bert  ne  parait  pas  en  avoir  fait  un  grand  cas ;  il  nous  reste  en 
effet  de  sa  main  un  «  extraict  abrege  »  de  ces  Memoires;  cette 
mention  revient  souvent :  «  rien  de  general ,  ni  qui  soit  propor- 
tionne  au  dessein  ni  a  la  grandeur  du  Roy.  »  Seul  le  Memoire  de 
Pussort  est  analyse  avee  soin  (1).  Cette  appreciation  de  Colbert 
'  ne  nous  empechera  pas  de  nous  arrSter  quelques  instants  sur  ces 
pieces  curieuses  et  inedites.  Sans  doute,  le  travail  de  Pussort  est 
bien  au-dessus  des  autres ;  il  est  remarquable  non-seulement  par 
la  fermete  des  idees ,  mais  encore  par  la  belle  langue  dans  la- 
quelle  il  est  ecrit ,  et  la  hauteur  des  sentiments  qu'il  exprime. 
Mais  les  autres  Memoires  pourront  nous  indiquer  ce  qu'on  atten- 
dait  des  reformes  projetees ;  en  particulier,  nous  verrons  ce  que 
pensaient  les  conseillers  de  la  legislation  criminelle,  et  quels  abus 
ils  voulaient  corriger. 

II  resulte  de  I'ensemble  des  Memoires  que  les  conseillers 
entendaient ,  par  reformation  de  la  justice ,  plut6t  la  reforme  de 
la  magistrature  que  celle  de  la  loi.  Sans  doute  on  se  plaint  de  la 
diversite  des  Coutumes ,  et  on  pense  qu'il  est  utile  de  codifier  les 
dispositions  eparses  dans  les  Ordonnances;  mais  ce  qu'il  faut 
surtout,  c'est  assurer  I'exacte  observation  des  lois.  Pussort,  a  cet 
egard,  exprime  bien  I'idee  generate.  «  La  France  a  I'honneur  des 
plus  belles  et  des  plus  sages  ordonnances  qui  soient  dans  I'Eu- 
rope ,  mais  elle  a  assez  la  reputation  de  les  faire  plus  mal  execu- 
ter  qu'aucun  autre  estat;  la  prevoyance  a  ete  si  exacte  en  cha- 
cune  matiere,  que  Vostre  Majeste  y  trouvera  pen  de  cbose  a 
adjouster.  Mais  a  I'esgard  des  moiens  de  la  faire  executor,  c'est 
en  ce  point  que  nous  avons  besoin  de  son  authorite  tout  entiere , 
parce  que  Ton  a  a  combattre  ou  la  nature  du  climat,  ou  une 
habitude  si  ancienne  et  si  fortement  establie,  qu'elle  imite  de  bien 
pres  les  mouvemens  de  la  nature  (2).   o  C'est  surtout  le  Code 

(1)  Leitres,  etc.,  torn.  VI,  p.  21. 

(2)  Milmges  CUrambault,  613,  p.  443.  Pussort  developpe  les  causes  de  ce 
desordre  :  «  La  cause  de  cette  InexScution  vient  premierement  du  penchant  natu- 
rel  de  la  nation,  qui  est  amatrice  de  la  nouveaut^,  pourvu  qu'elle  y  rencontre  les 
marques  de  I'honneur  et  de  la  vertu ,  mais  qui  n'a  point  assez  de  flegme  dans  sa 
constitution  pour  se  pouvoir  fixer  dans  le  choix  de  la  chose  qu'elle  a  cherchfi, 
estant  incontinent  emportS  par  les  apparences  d'un  autre  bien  plus  sp^cieux.  « 
P.  411.  Que  de  fois  dans  la  suite  ne  rfipetera-t-on  pas  ces  idees  en  de  moins 


182  l'ordonnance  de  1670. 

Michaud,  qu'on  regarde  comme  tres-bon  et  devant  etre  repris. 
«  J'estime  que  nous  devons  specialement  nous  attaclier  aux  der- 
nieres  Ordonnances,  entre  lesquelles  est  celle  de  M.  le  garde  des 
sceaux  de  Marillac,  qu'il  faut  avouer  avoir  este  dresses  avec 
grand  soin  et  avec  un  esprit  plein  de  zele  et  de  justice  (1).  »  — 
«  laquelle  quoique  tres-bonne  et  judicieuse  n'a  pas  este  receue 
avec  I'approbation  qu'elle  debvoit,  et  ne  se  pratique  quasy  point 
dans  les  Parlemens ,  qui  seroient  bien  empeschez  d'en  dire  les 
raisons  (2).  » 

Pour  la  reforme  de  la  magistrature ,  les  conseillers  montrent 
une  ardeur  veritable ;  ce  qu'ils  lui  reprocbent  surtout,  c'est  I'igdo- 
rance  et  la  cupidite,  resultats  inevitables  de  la  venalite  des  offices 
et  du  systeme  des  Apices.  «  On  y  a  mis,  dit  Pussort,  toutes 
sortes  de  personnes  indifferemment ,  des  enfans  au  sortir  du 
college  pour  juger  de  la  vie  et  des  biens  de  vos  sujets  et  donner 
les  advis  sur  les  plus  importantes  affaires  de  I'Estat ,  eux  que  les 
lois  n'ont  pas  juge  capables  de  se  defifendre  sans  I'autborite  d'un 
tuteur  dans  les  moindres  affaires  qui  -regardent  leur  interet ;  des 
ignorans  qui  sans  le  secours  de  leur  bien  seroient  demeures  dans 
la  lie  du  peuple ,  pour  decider  sans  aucune  application  les  ques- 
tions qui  out  fait  suer  les  docteurs  les  plus  esclairez ,  et  pour 
penetrer  ce  que  la  malice  et  la  ruse  des  hommes  a  subtilise  plus 
artificieusement;  des  corrompus  et  des  gens  nourris  dans  la  de- 
bausche  et  la  prostitution  que  leurs  peres  ou  eux  on  fait  de  la 
justice,  pour  acquitter  Vostre  Majeste  du  plus  grand  et  duplus 
saint  de  tous  les  debvoirs  de  sa  couronne  (3).  »  —  «  Le  plus 
grand  mal  que  le  temps  ait  introduit  dans  le  palais ,  et  qui  nour- 
rit  et  entretient  la  chicane  et  les  procez ,  c'est  ce  petit  et  sordide 
gain  des  especes,  qui  croist  tous  les  jours;  c'est  un  poison  qui  se 
repand  insensiblement  dans  les  plus  nobles  parties  et  en  etouffera 
a  la  fin  ce  qui  reste  de  1' esprit  de  justice  (4).  » 

bons  termes!  —  Dans  toutes  les  citations  des  Mimoires,  qui  vont  suivre,  nous 
conservons  I'ortliographe  du  manuscrit. 

(1)  Mimoire  de  d'Aligre,  p.  S. 

(2)  Mimoire  de  la  Maugrie,  p.  277. 

(3)  P.  406. 

(4)  Mimoire  de  Barillon  de  Morangis,  p.  33 ;  cf.  Mimoire  de  Boucherat,  p.  84. 


l'ordonnance  de  1670.  183 

Aussiies  conseillers  proposent-ils  des  mesures  qui  nous  eton- 
nent  d'abord  par  leur  hardiesse.  lis  reclament  des  garanties, 
assurant  le  savoir  et  la  moralite  des  magistrals ;  ils  demandent , 
quelques-uus  du  moins,  la  suppression  de  la  venalite  des  charges 
et  des  epices  (1),  meme  de  rinamovibilite  des  magistrats.  Ici ,  il 
est  vrai ,  c'est  le  sentiment  politique  qui  domine ;  on  se  souvient 
de  la  Fronde.  «  II  sera  necessaire  de  deroger  a  I'Ordonnance  de 
Louis  XII,  icelle  confirmee  dans  les  mauvais  temps  derniers  par 
Sa  Majeste  r^gnante,  portant  qu'il  ne  sera  pourveu  aux  offices 

de  judicature  que  par  mort,  resignation,  ou  forfaiture Mais 

le  Roy  donnant  les  charges  et  n'estant  plus  venales,  il  est  juste 
qu'elles  soient  revocables  a  sa  volonte  (2).  «  Pussort,  qui  de- 
mande  seulement  pour  le  moment  qu'on  retranche  un  quart  ou 
un  cinquieme  des  officiers  de  justice,  est  au  fond  du  meme 
avis.  «  II  n'y  a  que  les  seuls  offices  de  judicature  de  la  dispo- 
sition desquels  les  Roys ,  s'estant  depouilles ,  premierement  par 
la  venalite  qu'ils  y  ont  introduit ,  et  enfin  par  I'establissement  de 
la  Paulette,  les  ont  affranchis  de  leur  dependance  particuliere , 
et  se  sont  prives  des  seuls  moyens  qu'ils  avoient  de  pouvoir 
gratifier  ceux  qui  le  merileroient...  Si  ce  moien  eust  ete  en 
usage ,  nous  n'aurions  pas  veu  les  compagnies  souveraines  s'en- 
gager  indiscrettement  dans  les  caballes  et  les  mouvemens  qui 
ont  agite  ce  roiaume ,  les  chefs  n'auroient  pas  manque  de  faire 
souvenir  les  conseillers  de  leur  debvoir,  et  si  les  presidens  eus- 
sent  este  assez  aveugles  pour  oublier  ce  qu'ils  doibvent  a  leur 
Roy,  a  leur  honneur,  a  leurs  charges ,  ils  eussent  trouve  en  teste 
tous  les  principaux  officiers  de  leur  compagnie,  lesquels  aiant 
de  la  vertu,  du  coeur  et  de  I'ambition,  eussent  este  ravis  de 


(1)  «  Le  meilleur  des  expedients  serait  d'oster  entiferement  la  v6nalit6  aux  of- 
fices et  que  le  roy  en  disposast  absolument,  vacation  en  arrivant,  en  faveur  de 
ceux  qui  auroient  les  qualit^s  requises.  »  {M41.  Cler.,  n»  613 ,  p.  625.)  Pour  les 
epices,  voy.  pp.  suivantes.Ceci  est  extrait  d'un  M^moire,  qui,  dans  le  volume,  com- 
mence au  folio  609,  et  oii  nous  n'avons  pas  trouv6  de  nom  d'auteur.  II  y  a  seule- 
ment cette  mention  a  la  suite  du  litre  :  «  Ce  M^moire  a  este  porte  a  Monseigneur 
a  Saint-Germain,  le  19  juin  1665.  »  —  D'Estampes  propose  aussi  trfes-nettement 
I'abolition  de  la  vtoalitS  des  charges  et  des  epices,  p.  101 ;  cf.  Pussort,  p.  418.  — 
Boucherat,  p.  62. 

(2)  Mimoire  de  d'Esfampes ,  p.  107. 


184  l'ordonnance  db  1670. 

rencontrer  une  occasion  aussy  favorable  de  monter  par  leurs 
services  en  des  places  dent  leurs  chefs  se  seroient  rendus  indi- 
gnes  (1).  » 

Une  autre  proposition  bien  hardie,  et  qui  reviendra  dans  la 
discussion  de  I'Ordonnance  de  1670,  se  trouve  dans  plusieurs 
Memoires,  on  veut  supprimer  les  justices  seigneuriales  et  eccle- 
siastiques.  Pussort  signale  « le  grand  nombre  de  justices  qui  soot 
dans  le  royaume ;  il  en  nait  quatre  sortes  de  maux,  multiplication 
des  juges,  contention  entre  eux,  multiplication  des  proces,  et 
vexations  ^ux  sujets  de  Sa  Majeste.  Le  veritable  remede  i 
ce  desordre  seroit  de  reunir  toutes  les  justices  des  seigneurs, 
tant  ecclesiastiques  que  laiques  a  la  royalle,  de  laquelle  elles 
sent  emanees  (2).  n  —  «  II  est  de  la  grandeur  du  Roy  de  sup- 
primer  toutes  les  justices  seigneurialles  du  royaume,  et  d'en 
establir  de  royalles  aux  lieux  oil  I'establissement  sera  juge  ne- 
cessaire,  estant  peu  convenable  a  la  Majeste  royale  que  des  juges 
establis  par  des  seigneurs  particuliers ,  paisans  pour  la  plupart, 
incapables  de  toutes  fonctions ,  qui  deshonorent  le  caractere  du 
juge  et  jettent  la  justice  dans  le  mepris ,  soient  preposez  pour 
juger  des  bi^ens ,  de  I'honneur  et  de  la  vie  des  subjects  du  Roy, 
et  ayent  ce  droit  de  sang ,  c'est-a-dire  de  la  haulte  justice ,  qui 
est  le  droit-  qui  distingue  davantage  les  souverains  d'avec  le  reste 
des  hommes...  En  effet,  dans  I'antiquite  il  ne  se  trouveroyt 
point  que  des  personnes  priyees  en  ayent  joui...  et  aujourd'huy 
mesmfes  dans  tons  les  Estats  de  I'Europe,  il  est  inouy  que  ce 
droit  d'institution  des  juges  reside  en  d'autres  mains  qu'en  celles 
qui  ont  I'authorite  souveraine  dans  les  Estats.  Cela  est  constant 
en  Italie,  en  Espagne,  en  Angleterre,  a  Venise  et  ailleurs,  ex- 
cepte  en  AUemagne  (3).  »  Le  conseiller  Lemaistre  de  Bellejame 
propose  seulement  de  reserver  aux  seuls  juges  royaux  la  justice 
criminelle  (4).  De  Seve  demande  que,  si  dans  les  trois  jours  du 

■     (1)  Pussort,  p.  428-431. 

(2)  P.  445. 

(3)  Mdmoire  sans  mm  d'auieur,  pp.  615-616. 

(4)  Voici  ce  qu'il  dit  des  juridictions  ecclfeiastiques  :  «  La  justice  de  I'figlise 
n'est  pas  en  meiUeur  estat.  On  instruit  le  procfes  par  ccBur,  on  prend  espioes  et 
taxations ,  il  ne  se  faict  point  de  proems  criminels  s'il  n'y  a  partie  qui  advance 


l'ordonnance  de  1670.  185 

crime ,  les  juges  seigneuriaux  n'ont  pas  informe ,  le  juge  royal 
les  previenne  (1).  Deshameaux  veut  que  « les  officiers  des  moyens 
et  has  justiciers  ne  puissent  prendre  autre  connoissance  que  de 
ce  qui  concerne  les  mouvances,  censives ,  et  autres  droits  sei- 
gneuriaux. » 

Cependant ,  bien  qii'ils  aient  surtout  en  vue  la  reforme  de  la 
magistrature ,  les  auteurs  des  Memoires  pensent  qu'il  est  neces- 
saire  aussi  de  refondre  et  renouveler  les  Ordonnances.  On  veut 
«  etablir  une  procedure  certaine  et  uniforme  dans  le  roiaume  (2),  » 
poser  «  des  maximes  generales  sur  la  justice  (3),  »  «  former 
un  corps  de  toutes  les  Ordonnances  que  Sa  Majeste  voudra  estre 
gardees  et  observees  dans  le  roiaume  (4),  »  imposer  «  une 
mesme  forme  et  pratique  (5).  »  Mais  une  question  se  posait 
necessairement  :  comment  proceder  a  cette  codification?  11  est 
curieux  de  voir  que  les  conseillers  songent  naturellement  aux 
Etats-Generaux ;  ils  n'acceptent  point  I'idee  d'une  convocation 
des  fitats,  mais  en  general  ils  croient  devoir  la  produire,  au 
moins  pour  la  refuter.  «  On  pourroit  proposer  a  Vostre  Majeste 
une  assemblee  d'Etats-Generaux  de  vostre  royaume ,  mais  elles 
ont  souvent  des  suites  de  consequence  et  sont  remplies  d'un  si 
grand  nombre  de  deputez ,  que  la  diversite  des  opinions  destruit 
les  bonnes  intentions.  Le  feu  Roy  de  glorieuse  memoire  se  servit 
d'assemblees  particulieres  de  notables  en  1617  a  Rouen  et  en 
1626  a  Paris,  composees  de  prelatz,  principaux  seigneurs  de 

les  frais ,  impunite  y  r^gne ,  et  tout  cela  provient  de  ce  qu'on  vend  les  charges 
d'offlcial,  de  promoteur  et  de  greffier.  »  P.  49. 

(1)  Mimoire  de  de  Sive,  p.  485. 

(2)  Mimoire  de  Boucher  at ,  p.  75. 

(3)  Mimoire  de  d'Estampes ,  p.  117. 

(4)  Pussort,  p.  447. 

(5)  Mimoire  sans  nom  d'auteur,  p.  494.  L'un  des  Memoires  (p.  646)  propose  m^me 
d'^tablir  un  droit  civil  uniforme ,  une  coutume  gen^rale  et  unique;  —  mais  d'au- 
tres  conseillers  pensent  qu'on  ne  pent  changer  les  Coutumes  (d'Estampes,  p.  1 17)  > 
et  de  Seve  les  d^signe  comme  «  des  lois  establies  par  le  consentement  gtoSral  des 
peuples  sous  I'authorit^  des  Roys ,  qui  sont  pour  la  plupart  aussi  anciennes  que 
la  monarchie,  et  s'appellent  Coutumes,  entre  lesquelles  je  voudrais  ranger  ce  qu'on 
appelle  Droict  Escrit  dans  aucunes  provinces  de  la  France ,  d'autant  que  ses  de- 
cisions n'emprumptent  point  leur  force  des  Empereurs ,  mais  des  peuples  qui  les 
ont  volontairement  embrass^s,  comme  a  escrit  Procope.  »  P.  465. 


186  l'ordonnance  de  1670. 

vostre  noblesse  et  officiers  de  vos  cours  souveraines ,  qu'il  vou- 
lut  choisir  avec  ceux  de  son  conseil,  par  I'advis  desquels  fust 
arrestee  une  nouvelle  Ordonnance  sur  la  reformation  de  la  jus- 
tice... et  apres  la  dite  assemblee  de  notables  de  1626  fut  faite 
rOrdonnance  de  1629...  Sans  assemblees  d'Estats  ni  de  nota- 
bles, qui  causent  de  tres-grands  embarras,  sur  les  memoires 
et  advis  que  Vostre  Majeste  nous  a  commande  de  dresser...  et 
par  telle  autre  maniere  que  sera  juge  convenable,  Vostre  Majeste 
pourra  faire,  si  elle  I'a  agreable,  son  Ordonnance  (1).  »  Mes- 
grigny  rappelle  aussi  les  Etats-Generaux  (2).  Pussort  lui-meme 
en  parle,  mais  c'est  pour  les  traiter  de  haul.  «  Faut  demeurer 
d'accord  que  les  reformations  des  Etats  qui  sont  les  plus  purs 
et  les  derniers  efforts  de  la  prevoyance  royale,  ne  compatissent 
guerre  avec  les  secousses  des  guerres  civiles  et  la  division  des 
subjets  d'avec  leur  souverain;  ce  sont  des  temps  auxquels  les 
rebelles  ne  manquent  jamais  de  demander  des  reformations  pour 
donner  couUeur  a  leur  revolte  et  profiler  des  occasions  d'afoi- 
blir  I'authorite  royalle ,  et  les  Roys  ne  manquent  jamais  de  leur 
accorder,  tant  pour  tesmoigner  leur  affection  pour  le  bien  de 
I'Estat ,  que  pour  separer  et  escarter  la  nuee.  Mais  on  ne  voit 
jamais  d'execution  de  ces  reformations,  parce  qu'il  n'estoit  pas 
le  dessein  de  ceux  qui  les  ont  demande  ny  de  ceux  qui  les  ont 
accorde ,  et  c'est  pent  etre  une  des  resons  (oultre  celles  que  j'ai 
marque  devant)  pour  laquelle  nous  n'avons  en  France  aucuns 
regleme'nts  qui  aient  este  pleinement  executez,  parce  que  si  on 
les  examine  soigneusement ,  on  trouve  qu'ils  ont  tous  pris  nais- 
sance  au  milieu  des  desordres  des  guerres  civilles ,  et  on  peut 
dire  que  le  bruit  des  canons  a  empesche  d'entendre  les  remon- 
trances  des  lois  (3).  »  Dans  la  discussion  au  Conseil  d'fitat,  le 
mot  d'Etats-Generaux  sera  aussi  prononce,  on  verra  avec  quel 
succes. 

La  plupart  des  Memoires  s'accordent  a  faire  participer  les 
officiers  de  justice  k  la  reformation.  «  Cette  matiere  est  plus 
propre  a  discuter  par  des  officiers  du  palais,  occupes  chaque 

(1)  Mimoire  de  la  Maugrie,  p.  227. 

(2)  P.  376. 

(3)  P.  422. 


l'ordonnance  t)e  1670.  187 

jour  dans  I'instruction  et  le  rapport  des  proces ,  qui  connoissent 
mieux  qu'aucuns  autres  les  abus  et  artifices  des  plaideurs  et  de 
ceux  qui  les  conduisent  (1).  »  « II  est  necessaire  d'avoir  I'advis  des 
principaux  officiers  des  Parlemens  (2).  »  On  desirerait  «  qu'il  fust 
mande  aux  premiers  presidents  et  procureurs  generaux  de  faire 
assembler  les  Parlemens  soit  en  corps  ou  par  deputez  pour  con- 
venir  des  maximes  generates  et  en  estre  dans  six  mois  au  plus 
tard  envoye  des  Memoires  a  Sa  Majeste  (3).  »  «  Sa  Majeste  fera 
prealablement  conferer,  s'il  lui  plaist ,  avec  les  principaux  offi- 
ciers de  ses  cours  souveraines  de  Paris,  qui  sauront  les  abus 
particulliers  qui  s'y  commettent  et  dans  les  bailliages  et  jus- 
tices inferieures,  sur  lesquels  on  dit  mesme  qu'ils  travaillent 
presentement  (4).  »  «  II  semble  a  propos...  d'ecrire  aux  Par- 
lemens et  autres  compagnies  souveraines  de  choisir  en  corps 
de  deputez  parmi  eux  quatre  ou  six  des  plus  notables  d'entre 
eux ,  sans  plus  grand  nombre  afin  d'oster  confusion ,  pour  revoir 
les  Ordonnances  et  compiler  celles  qui  ne  s'observent  pas ,  pour 
en  faire  recueil  (5).  »  Seul  Pussort,  qui  sait  oii  il  va,  dresse 
un  plan  tres-pj-ecis ,  dans  lequel  la  magistrature  ne  joue  aucun 
role.  «  Get  ouvrage ,  dit-il ,  qui  est  de  grande  estendue  peut  et 
doit  estre  I'occupation  de  plusieurs  personnes  auxquelles  les 
matieres  pourront  estre  distribuees  selon  leurs  capacites  et  les 
connoissances  particulieres  que  les  emplois  qu'ils  ont  eu  peu- 
vent  leur  avoir  acquis. 

«  Je  suis  persuade  que  six  hommes  sufflsent  pour  la  perfection 
de  ce  travail ,  qu'un  moindre  nombre  causeroit  du  retardement  et 
qu'un  plus  grand  y  apporteroit  de  la  confusion. 

«  Je  croirois  qu'il  seroit  a  propos  qu'ils  quittassent  tout  autre 
employ,  et  se  sequestrassent  meme  par  une  retraite  a  la  campagne 
de  toutes  les  occasions  d'affaires  qui  les  pourroient  destourner, 
afin  qu'appliquez  entierement  a  celle-la  ils  pussent  s'en  acquitter 
au  plus  tost  et  avec  plus  d' exactitude. 

(l)D'Aligre,  p.  4. 

(2)  Barillon  Morangis ,  p.  31. 

(3)  D'Estampes,  p.  117. 

(4)  La  Maugrie,  p.  277. 

(3)  P.  493 ;  —  cf.  Mimoire  de  Mauroy,  p.  355. 


188  l'ordonnance  de  1670. 

«  Ces  six  personnes  travailleroient  tous  separement,  puis  rap- 
porteroient  en  commuD  I'un  des  jours  de  la  semaine  ce  qu'ils 
auroient  fait. 

«  Je  voudrois  preposer  a  ceste  assemblee  une  personne  deme- 
rite,  de  suffisance  et  de  consideration  qui  conduiroit  I'ouvrage, 
feroit  la  distribution  des  matieres ,  presideroit  aux  assemblees ,  et 
feroit  rapport  a  Vostre  Majeste  des  choses  plus  importantes  sur 
iesquelles  il  seroit  besoin  de  recevoir  ses  ordres  (1).  »  On  verra 
plus  loin  quel  succes  aura  le  plan  de  Pussort. 

Que  nous  apprennent  les  Memoires  sur  ce  qui  nous  interesse 
specialement,  sur  la  procedure  criminelle?  On  proclame  qu'il  n'y  3 
qu'a  reprendre,  en  la  developpant,  I'Ordonnance  de  1539,  qui  est 
un  parfait  modele.  «  Ceste  mesme  Ordonnance  a  demesle  ce  qu'il 
y  avoit  de  confus  dans  I'instruction  de  la  procedure  criminelle,  es- 
tant  surtout  qu'auparavant  il  n'y  avoit  aucune  rfegle  certaine  pour 
I'instruction  des  proces  criminels ,  et  ainsy  il  arrivoit  souvent  que 
par  le  defaut  d'une  valable  instruction  plusieurs  crimes  demeuroient 
impunis,  ou  se  punissoient  quelquefois  avec  trop  de  severite ,  soil 
que  le  fait  ne  fut  pas  suffisamment  esclaircy ,  ou  que  les  preuves 
eussent  depery  par  la  longueur  de  la  procedure  (2).  »  «  II  ne  faut 
obmettre  la  justice  criminelle  qui  est  I'objet  ordinaire  de  leur  ne- 
gligence (aux  juges)  et  ou  je  voy  peu  de  remede,  puisqu'elle  des- 
pend  de  leur  seule  conscience.  Car  pour  la  formalite  il  n'y  a  rien  a 
adjouster  aux  articles  de  I'Ordonnance  de  1539  qui  regardentles 
procedures  criminelles ,  que  de  tenir  la  main  a  ce  qu'ils  soient 
executez  (3).  »  Quanta  trouvercette  procedure  trop  severe,  on  n'y 
songe  point ;  tout  au  contraire ,  si  on  lui  reproche  quelque  chose, 
c'est  plut6t  sa  trop  grande  douceur,  et  quelques-unes  des  aggra- 
vations, que  contiendra  I'Ordonnance  de  1670,  sont  visees  dans 
les  Memoires.  «  L'impunite  des  crimes  est  le  plus  grand  de  tous  . 
les  desordres  qui  se  rencontrent  en  I'administration  de  la  justice , 
elle  nait  de  I'interpretation  favorable  et  condescendante  que  les 
juges  out  donne  de  temps  en  temps  aux  Ordonnances  qui  ont  este 

(1)  Pussort,  p.  447. 

(2)  Boucherat,  p.  62;  voy.  aussi  d'Estampes,  p.  118. 

(3)  De  S&ve,  p.  483. 


l'ordonnance  de  1670.  189 

faictes  sur  ceste  matiere  (1).  »  —  «  II  ne  sera  donne  liberie  aux 
accuses  de  communiquer  avec  qui  que  ce  soit  avant  leurs  inteiro- 
gatoires  ni  aucun  conseil  avant  la  confrontation  des  tesmoings , 
pourvu  qu'elle  se  fasse  dans  un  mois  ou  deux  au  plus  tard ,  selon 
qu'il  sera  ordonne  par  les  juges  apres  I'emprisonnement,  passe 
lequel  temps  les  accuses  pourront  avoir  conseil  libra ,  sans  toute- 
fois  qu'il  prejudicie  a  la  surete  et  garde  des  prisonniers  ainsy  que 
de  tous  temps  il  a  este  practique ,  sinon  qu'il  s'agisse  de  crime 
d'Estat,  dont  le  secret  imports,  auquel  cas  ils  n'auront  ni  commu- 
nication ni  conseil  sans  I'ordre  et  permission  des  juges  (2).  »  — 
«  Les  affaires  criminelles  qui  ont  este  traictees  depuis  quelques 
annees  ont  fait  connoistre  que  les  Ordonnances  n'ont  pas  pourveu 
a  toutes  les  formes  necessaires  par  les  instructions  des  proces  cri- 
minels,  comme  sur  le  fait  des  appointements  a  ouir  droit,  sur  les 
conseils  a  donner  aux  accuses  libres  ou  en  presence,  faire  les  dis- 
tinctions que  Ton  y  peut  apporter;...  il  semble  que  les  condamnes 
par  contumace  soient  traites  trop  favorablement  par  I'Ordonnance 
qui  leur  donne  cinq  annees  pour  se  faire  restituer  (3).  » 

Ce  que  revelent  surtout  ces  documents  ce  sont  les  prevarica- 
tions et  abus,  tels  que  ceux  qui  apparaissent  aux  Grands-jours  de 
Clermont.  Pussort  parle  «  de  I'appui  que  les  personnes  puissantes 
qui  ont  este  accusees  ont  regeu  des  officiers  de  la  robbe  par  les 
liaisons  qu'ils  pratiquent  avec  eux ,  erf  sorte  qu'il  est  rare  de  voir 
la  punition  d'un  crime  quelque  qualiffie  qu'il  soit ,  et  fort  ordi- 
naire de  voir  ceux  qui  ont  fait  les  poursuites  ruines  et  accables 
paries  frais  excessifs  des  procedures.  »'I1  signale  «  ces  societes 
de  crimes  appuiees  de  I'authorite  des  magistrats  et  mises  en 
quelque  facon  sous  la  protection  des  lois  (4).  »  —  «  Rien  li'est 
si  dangereux  que  de  souffrir  des  rebellions  a  justice ,  des  asiles 
dans  les  maisons  des  grands  pour  les  criminels ,  que  les  huissiers 
n'ayent  pas  liberte  de  faire  leurs  saisies  et  executions  et  que  la 
justice  demeure  sans  etre  obeye.  Un  huissier  avec  sa  baguette 

(1)  Passort,  p.  400. 

(2)  p.  525  Mimoire  sans  mm  cCauteur. 

(3)  P.  646. 

(4)  P.  400. 


190  l'ordonnance  de  1670, 

porte  I'authorite  du  prince  (1).  »  On  denonce  Tabus  des  frais  et 
la  rapacite  des  juges  (2).  A  Rouen  on  ne  communique  les  proces 
aux  gens  du  roi  que  pour  donner  des  conclusions  definitives  (3) ; 
"  a  Toulouse  on  charge  d'epices  les  arrets  rendus  par  contumace 
«  ce  qui  empesche  egalement  I'absolution  des  innocents  et  la 
punition  des  coupables,  centre  I'esprit  de  I'Ordonnance  qui,  pour 
faciliter  I'une  et  I'autre,  a  pris  un  soin  tres  particulier  de  charger 
de  peu  d'espices  les  proces  criminels  (4).  »  On  signale  en  parti- 
culier cet  abus  si  grave  des  informations  faites  par  des  incapables 
ou  des  gens  tares.  «  Je  suis  oblige  de  dire  a  Votre  Majeste  un 
mauvais  usage  qui  se  pratique  en  quelques  presidiaux...  Pour 
multiplier  la  pratique  et  la  chicane  ils  establissent  des  commis  es 
villes  et  bourgades  de  leur  ressort,  lesquels,  pour  de  I'argent, 
distribuent  des  commissions  pour  informer  de  crimes  et  de  delits 
adressantes  au  premier  sergent  royal ,  lesquelles  sent  intitulees 
du  Presidial,  du  Lieutenant  general  ou  du  Lieutenant  criminel,  et 
comme  Ton  delivre  de  telles  commissions  a  tous  venans  sans 
cognoissance  de  cause,  bien  souvent  le  coupable  faict  informer 
contre  I'innocent,  porte  I'information  decreter;  I'innocent  est 
amene  prisonnier,  ce  qui  faict  beaucoup  de  vexations  (5).  »  Le 
conseiller  de  Seve  montre  un  double  vice  dans  la  procedure; 
d'un  cote  il  y  avait  une  tendance  a  prendre  la  voie  de  la  proce- 
dure extraordinaire,  meme  pour  des  delits  tres-legers;  d'autre 
part,  meme  en  cas  de  crimes  graves,  s'il  n'y  avait  point  de  partie 
civile  qui  se  constituat,  bien  souvent  la  poursuite  etait  negli- 
gee (6). 

Mais  I'institution  la  plus  defectueuse  ,etait  bien  cette  terrible 
juridiction  prevotale ,  dont  le  nom  restera  avec  une  signification 
funebre.  Quelques-uns  des  Memoires  sont  a  ce  sujet  d'une  vivacite 
remarquable.  «  II  seroit  expedient  pour  le  bien  de  la  justice  de 
supprimer  les  petites  mareschaussees ,  ou  les  reunir  aux  grandes 

(1)  Barillon  Morangis  ,  p.  30. 

(2)  Boucherat ,  p.  73. 

(3)  Boucherat,  p.  83. 

(4)  Boucherat,  p.  84;  of.  Barillon,  p.  75. 

(5)  D'Estampes,  p.  382. 

(6)  P.  485. 


'  l'ordonnance  de  1670.  191 

qui  sont  dans  les  villes  ou  il  y  a  des  presidiaux.  Car  les  petites 
mareschaussees  font  une  ruine  incroiable  au  pauvre  peuple ;  le 
prevost  demeure  en  un  lieu ,  le  lieutenant  en  une  bourgade  et 
I'assesseur  encore  en  une  autre.  Comme  ils  n'ont  pas  des  archers, 
ils  commettent  des  gens  de  sac  et  de  corde  et  vont  prendre  les 
pauvres  paisans ,  qu'ils  croient  avoir  quelque  peu  de  bien ,  leur 
font  croire  qu'ils  ont  vole ,  qu'ils  ont  porte  des  armes  a  feu ,  les 
emprisonnent  en  chartres  privees  jusqu'a  ce  qu'ils  en  aient  tire 
de  I'argent.  Apres  la  paix  il  n'y  a  point  de  paisan  en  Morvan,  qui 
n'ait  paie  aux  petits  prevosts  des  mareschaux  ou  leurs  lieutenants 
ou  assesseurs,  deux  pistoles  chascun  pour  le  port  d'armes.  J'ou- 
bliois  de  dire  que  si  Vostre  Majeste  ne  supprime  pas  les  petites 
mareschaussees ,  au  moins  elle  doit  supprimer  les  assesseurs ,  qui 
font  plus  de  mal  que  les  autres,  a  cause  qu'ils  sont  graduez ,  ils 
scavent  mieux  les  detours  de  la  chicane  (1).  »  D'Estampes  cons- 
tate aussi  que  les  prevosts  ne  font  pas  leur  devoir,  parce  que  les 
archers  ne  sont  pas  payes  et  il  veut  qu'on  leur  fasse  defense 
expresse  de  prendre  de  I'argent  des  parties  (2).  Mesgrigny  et 
d'Estampes  demandent  I'un  et  I'autre  que  les  prevosts  fassent  les 
proces  «  incontinent  et  sans  delai,  »  et  qu'ils  soient  tenus  de 
declarer  aux  accuses  qu'ils  vont  les  juger  prevotalement  et  en 
dernier  ressort,  «  des  le  premier  interrogatoire ,  affin  que  les 
accusez  ne  soient  point  surpris  et  puissent  proposer  leur  declina- 
natoire  et  incompetence,  laquelle  sera  jugee  en  la  maniere  accous- 
tumee  suivant  les  Ordonnances...  i'esprit  de  I'homme  estant 
autrement  agite  quand  il  doit  estre  juge  en  dernier  ressort ,  que 
quant  il  y  a  appel  (3).  »  Tous  deux  s'accordent  pour  vouloir  qu'on 
defende  aux  juges  superieurs  de  prendre  connoissance  des  appels 
des  prevosts ,  vice-baillifs ,  et  vice-seneschaux  (4) ;  cela  etonne 
d'abord  de  la  part  de  gens  qui  n'aiment  guere  cette  juridiction , 
mais  Mesgrigny  donne  la  raison  de  ce  voeu.  «  Depuis  I'Ordon- 
nance  de  1629,  il  y  a  eu  une  declaration  qui  attribue  aux  prevosts 

(1)  Mesgrigny,  p.  383;  cf.  une  lettre  de  I'evSque  de  Tarbes  a  Colbert,  du  21 
mai  1664.  {Correspondance  administrative  sous  Louis  XIV,  tome  11,  p.  133.) 

(2)  P.  132. 

(3)  D'Estampes,  p.  133. 

(4)  D'Estampes,  p.  132;  Mesgrigny,  p.  382. 


192  '     l'ordonnance  de  1670. 

des  mareschaux  le  pouvoir  de  juger  a  la  charge  de  I'appel,  qui 
est  une  tres-mauvaise  institution,  car  les  prevosts  en  abusent,  et 
quand  un  ennemi  veut  faire  injure  a  un  bourgeois  domicilie, 
mesme  souvent  a  un  gentilhomme  qualifie,  c'est  a  eux  qu'il 
s'adresse  (1).  »  Ce  qui  paraissait  absolument  necessaire,  c'etait 
de  determiner  etroitement'  la  competence  flottante  encore  des  pre- 
vots  (2).  L'Ordonnance  fera  cette  determination ;  mais  11  faudray 
revenir  encore  au  siecle  suivant. 

Nous  nous  sommes  arretes  longtemps  sur  ces  Memoires; 
mais  ces  documents  inedits  nous  ont  paru  presenter  quelque 
interfit.  On  y  parle  franc ,  plus  qu'on  ne  le  fera  souvent  dans  la 
discussion  au  Conseil  d'Etat  ou  dans  les  Conferences. 


III. 

Colbert  avait  adopte  pleinement  le  plan  propose  par  Pussort. 
Dans  la  note  qi^'il  a  redigee  sur  les  Memoires ,  il  inscrit  cette 
mention  :  «  Pour  ce  qui  concerne  le  corps  de  toutes  les  Ordon- 
nances,  nommer  six  personnes  habiles  avec  un  president  qui 
se  retireront  a  la  campagne  pour  composer  le  corps  de  toutes 
les  Ordonnances  pour  etre  suivies  et  executees  dans  tout  le 
royaume  (3).j)  C'est  alors  qu'il  adressa  au  Roi  ce  Memoire  du 
15  mai  1665,  dont  nous  avons  parle  plus  haut.'  II  y  etablit 
nettement  d'abord  qu'il  s'agit  d'une  vaste  codification.  «  Comme 
Sa  Majeste  ne  pense  et  n'execute  rien  que  de  proportionne  a 
I'estendue  de  son  esprit,  elle  nous  a  suffisamment  fait  cognoistre 
qu'elle  ne  veut  pas  entreprendre  ce  dessein  pour  suivre  I'exemple 
des  rois  ses  predecesseurs ,  qui  se  sont  contentes  de  faire  quel- 
ques  ramas  d'Ordonnances ,  de  I'execution  duquel  ils  ne  se  sont 
pas  mis  fort  en  peine.  Sa  Majeste  nous  ayant  dit  qu'elle  veut 
reduire  en  un  seul  corps  d'Ordonnances  tout  ce  qui  est  ne- 
cessaire pour  etablir  la  jurisprudence  fixe  et  certaine  et  reduire 
le  nombre  des  juges...  il  ne  nous  reste  qu'a  expliquer  nos  sen- 

(1)  P.  383. 

(2)  Barillon  Morangis,  p.  76. 

(3)  Lettres,  etc.,  torn.  VI,  p.  21. 


l'ordonnance  de  1670.  193 

timents ,  suivant  I'ordre  qu'il  a  plu  a  Sa  Majeste  nous  en  donner, 
des  moyens  que  Ton  peut  pratiquer  pour  parvenir  a  ces  deux 
grandes  fins.  » 

Le  plan  que  va  proposer  Colbert,  est,  comme  on  I'a  remar- 
que ,  celui  qui  fut  suivi  plus  tard  pour  la  redaction  des  Codes 
qui  nous  regissent  encore  aujourd'hui.  Il^comprend  deux  parties  : 
une  discussion  au  Conseil  d'Etat  de  projets  prepares  par  des 
commissions  ou  sous-commissions ;  et ,  en  meme  temps ,  pour 
faciliter  le  travail,  une  vaste  enquete  ouverte  dans  tout  le  pays 
parmi  les  corps  competents. 

On  formera  d'abord  «  un  Conseil  de  justice  »  compose  des 
membres  les  plus  habiles  du  Conseil  d'Etat.  «  II  faudrait  en 
fegler  la  seance  a  jour  fixe,  une  fois  la  semaine  ou  en  treize 
jours,  et  en  mesme  temps  falre  le  departement  des  matieres, 
scavoir  :  I'examen  de  tout  le  corps  des  Ordonnances  pour  con- 
noistre  tons  les  changements  qu'il  y  auroit  a  faire.  Pour  ceste 
matiere ,  qui  est  la  plus  grande  et  la  plus  etendue  de  tout  ce 
travail,  il  seroit  necessaire  de  mettre  quatre  ou  six  des  plus 
habiles  conseillers  d'Estat ,  qui  prendroient  avec  eux  les  quatre 
ou  six  plus  habiles  avocats  du  Parlement,  dont  il  seroit  com- 
pose une  compagnie  particuliere ,  qui  se  tiendroit  chez  le  doyen 
des  conseillers  d'Estat.  —  11  seroit  encore  necessaire  de  separer 
ceste  matiere  de  celle  de  la  justice  distributive  civile.  —  En 
chacune  de  ces  matieres  deux  conseillers  d'Estat  et  deux  avocats 
travailleroient ;  pour  examiner  dans  I'assemblee  des  douze ,  ce 
qui  auroit  ete  regie  par  les  quatre ,  et  ensuite  apporter  le  tout 
bien  digere  au  Conseil  du  Roy.  »  Colbert  ne  se  contente  pas  de 
dessiner  cette  sage  division  du  travail  et  d'assigner  a  chacun 
son  role;  il  indique  de  plus  I'esprit  dans  lequel  le  travail  doit 
etre  fait.  Void  ce  qu'il  dit  de  la  procedure  criminelle  :  "  Exami- 
ner tout  ce  qui  concerne  la  justice  criminelle  du  royaume , 
comme  la  plus  importante ,  en  retrancher  toute  chicane ,  et 
prendJ^  garde  d'establir  des  moyens  assures ,  pour,  en  conser- 
vant  et  en  assurant  les  innocents ,  parvenir  promptement  a  la 
punition  des  criminels.  »  On  verra  comment  Colbert  fut  compris. 

Four  YenquSte,  dont  nous  avons  parle,  il  fallait  «  des  la  pre- 
miere seance  faire  choix  de  huit  maitres  des  Requetes  habiles  et 

13 


194  l'ordonnance  de  1670. 

de  probite,  autant  qu'il  se  pourroit,  pour  aller  servir  actuelle- 
ment  dans  tous  les  Parlements  du  royaume ;  » ils  recevraient «  une 
ample  instruction ;  »  et  dans  les  assemblees  p^riodiques  des  com- 
pagnies,  ils  recueilleraient  les  doleances  et  observations  qu'ils 
adresseraient  au  Conseil  de  justice.  Afin  de  faciliter  les  rapports, 
on  devrait  designer  certains  membres  du  Conseil  pour  recevoir 
les  communications  de  tel  ou  tel  maitre  des  Requites  en  mission, 
«  pour  tenir  correspondance  avec  tous  les  maistres  des  requestes 
faisant  leurs  visites  dans  les  provinces ;  faire  rapport  au  conseil 
de  tous  les  desordres  qu'ils  trouveront  sur  le  fait  de  la  justice, 
pour  y  apporter  sur-le-champ  les  remedes  qui  seroient  trouves 
convenables  et  porter  ensuite  en  I'assemblee  particuliere  des  six 
ce  qui  concerneroit  la  redaction  de  I'Ordonnance.  »  Cela  s'executa, 
au  moins  en  partie  (1) ;  mais  nous  n'avons  point  les  resultats  de 
cette  vaste  information.  Cost  a  elle  que  Louis  XIV  fait  sans 
doute  allusion,  lorsque,  dans  «  ses  feuillets  pour  1667,  »  il  in- 
dique,  en  parlant  de  la  redaction  des  Ordonnances,  des  «  Me- 
moires  envoyes  des  autres  Parlements  (2).  » 

Le  Conseil  de  justice,  propose  par  Colbert,  se  reunit  pour  la 
premiere  fois  au  Louvre  le  25  septembre  1665.  Des  lors  le  grand 
travail  est  commence,  il  se  continuera  sans  interruption  jusqu'a 
complet  achevement.  L'histoire  de  ces  discussions  ne  nous  est 
pas  integralement  connue.  Tandis  que  le  proces-verbal  des  con- 
ferences ,  tenues  plus  tard  entre  les  membres  du  Conseil  et  les 
delegues  du  Parlement,  fut  publie  de  bonne  heure  et  servit  de 
fondement  a  I'interpretation  des  Ordonnances;  pendant  long- 
temps  rien  ne  transpira  des  seances  du  Conseil  d'Etat.  Un  pro- 
ces-verbal de  ces  seances  fut  pourtant  redige,  et  un  manuserit 
de  la  Bibliotheque  Sainte-Genevieve  en  contient  une  partie  sous 

(1)  Au  dernier  feuillet  du  volume  613  des  Milanges  CUrambauU,  nous  trouvons 
une  note  du  2  octobre  1665,  contenant  les  noms  des  «  maistres  des  requestes 
rtpartis  pour  servir  dans  les  dSpartements ,  »  avec  des  observations  sur  chacuii 
d'eux. 

(2)  Mimoires,  edit.  Dreyss,  torn.  II,  p.  252.  Colbert,  d'ailleurs,  accumulaitles 
documents.  Nous  trouvons  au  mois  de  septembre  1665  (sans  indication  de  jour), 
une  note  par  laquelle  il  demande  J.  M.  de  Gomont,  cfilfebre  avocat,  «  de  faire 
un  plan  ou  projet  de  la  conduite  que  le  roi  pent  et  doit  tenir  pour  la  reformation 
de  la  justice  de  son  royaume.  »  Lettres,  torn.  VI,  p.  12. 


l'ordonnance  de  1670.  j9S 

le  litre  :  «  Deliberation  du  conseil  de  la  reformation  de  la  justice.  » 
Ce  document  signale  et  utilise  pour  la  premiere  fois  par  M.  Fran- 
cis Monnier  (1),  a  ete  publie  en  entier  par  M.  Pierre  Clement 
dans  ses  Lettres,  mSmoires  et  instructions  de  Colbert  (2).  Mais  ce 
n'est  malheureusement  qu'ua  fragment;  il  ne  contient  que  le 
proces-verbal  de  trois  seances.  D'autre  part,  nous  possedons  une 
lettre  tr6s-int6ressante  de  I'avocat  Auzanet  a  I'un  de  ses  amis  sur 
la  reformation  de  la  justice.  C'est  le  temoignage  d'un  des  princi- 
paux  acteurs,  mais  il  est  tres-bref,  et  on  voit  que  I'auteur  ne 
veut  point  completement  devoiler  ces  mysteres  (3).  Ces  deux 
documents  se  rapportent  surtout  a  la  redaction  de  I'Ordonnance 
de  1667;  neanmoins,  comme  la  marche  adoptee  au  debut  fut 
suivie  jusqu'au  bout,  il  n'est  pas  inutile  pour  nous  de  les  exami- 
ner rapidement. 

La  premiere  seance  du  Conseil  de  justice  se  tint,  comme  nous 
I'avons  dit,  le  25  septembre  1665 ,  «  dans  le  cabinet  de  Sa  Ma- 
jeste,  a  Tissue  de  la  messe.  »  On  avait  choisi  pour  composer  le 
Conseil  MM.  Voisin,  de  Villeroy,  Colbert,  Hotman,  le  chance- 
lier  Seguier,  de  Machault ,  de  Verthamon ,  Poncet ,  Boucherat  et 
Pussort.  Le  chancelier  Seguier  paraissait  pour  la  premiere  fois 
dans  la  grande  entreprise ;  jusque-la  Colbert  avait  tout  mene ,  et 
le  Chancelier  6tait  si  peu  au  courant  de  ce  qu'on  projetait ,  qu'il 
commit  dans  cette  premiere  seance  un  certain  nombre  de  mala- 
dresses  (i). 

(1)  Guillaume  de  Lamoignon  et  Colbert.  Essai  sur  la  legislation  frauQuise  au 
xvn»  siicle,  1862.  (Extrait  da  compte-rendu  de  rAcadSmie  des, Sciences  morales 
et  politiques.) 

(2)  Tom.  VI,  App.,  pp.  369,  ssq. 

(3)  «  Vous  m'avez  souvent  sollicit6  de  vous  faire  scavoir  le  detail  de  tout  ce  qui 
s'est  passe  dans  toutes  les  assemblees  qui  se  sent  tenues  pour  la  reformation  de 
la  justice,  ilquoije  n'ai  peu  ni  deu  satisfaire,  k  cause  du  secret  qui  avoit  est6 
ordunn^;  mais  comme  les  choses  les  plus  particuliferes  se  decouvrent  dans  la 
suite  des  temps,  a  present  que  cette  affaire  a  est^  rendue  publique,  et  que  j'jiy 
liberty  de  satisfaire  vostre  curiosity ,  je  vous  expliqueray  les  causes  de  cette 
assembl^e  et  les  ordres  qui  ont  esU  donnas  et  suivis  a  ce  sujet.  »  Lettres,  etc., 
de  Colbert,  torn.  VI,  Append.,  pp.  396,  ssq. 

(4)  «  Colbert  k  I'oreille  du  roi,  et  c'est  lui  qui  devientle  veritable  chancelier,  en 
mfime  temps  qu'il  reforme  toutes  les  branches  de  radministration...  Siguier 
preside  toutes  les  commissions  de  reforme,  mais  c'est  I'inspiration  de  Colbert  qui 
domiue  dans  ces  conseils.  »  Le  chancelier  Siguier,  par  M.  Rene  de  Kerviler, 
p.  379. 


196  l'oedonnance  de  1670. 

La  seance  s'ouvrit  par  une  allocution  du  roi  :  il  declara  qu'il 
voulait  la  reforme  de  la  justice ,  «  qu'il  etoit  resolu  de  s'y  appli- 
quer  avec  assiduite,  et  que  le  Gonseil  qu'il  avoit  assemble  au- 
jourd'huy  n'estoit  pas  pour  une  ou  plusieurs'annees,  mais  qu'il 
entendoit  I'employer  et  I'appeler  aupres  de  luy  pendant  le  cours 
de  toute  sa  vie.  »  Le  Chancelier,  apres  avoir  loue  le  dessein  du 
roi,  dit  qu'on  devait  commencer  par  ce  qui  regarde  I'etat  eccle- 
siastique ;  «  il  distribua  les  matieres  k  Messieurs  du  Gonseil  qui 
estoient  a  sa  gauche.  »  Le  roi  evidemment  n'etait  pas  satisfait.; 
«  quoique  les  choses  ne  se  passassent  point,  ni  dans  le  dessein, 
ni  dans  Tagrement  du  Roy,  Sa  Majeste,  avec  une  moderation 
extraordinaire,  a  laisse  agir  M.  le  Chancelier  pour  cette  distribu- 
tion ;  »  cherchant  alors   dans  les  poches  de  son  justaucorps, 
«  entre  plusieurs  memoires  et  papiers,  en  a  tire  un  ecrit  de  sa 
main ,  qu'il  a  dit  avoir  compose  estant  a  Villers-Cotterets  pour 
expliquer  ses  intentions  sur  les  principaux  points  du  sujet  de 
I'assemblee.  »  Quel  etait  ce  memoire?  Le  souvenir  de  I'Ordon- 
nance  de  1S39  avait-il  inspire  le  roi  a  Villers-Cotterets,  oun'etait- 
ce  que  le  rapport  adresse  par  Colbert?  Ce  qui  est  certain,  c'est 
que  Louis  XIV  proposa  tout  d'abord  deux  des  mesures  indiquees 
par  son  ministre  :  des  reformes  dans  le  Conseil  d'Etat ,  et  ren- 
voi de  maitres  des  Requetes  dans  les  provinces.  La-dessus  on  se 
separa. 

La  seconde  seance  se  tint  le  U  octobre  1665,  toujours  au 
Louvre.  MM.  d'Estampes,  de  Morangis  et  de  Seve  figuraient 
pour  la  premiere  fois  au  Conseil;  M.  Poncet  n'y  etait  plus.  On 
allait  cette  fois  arreter  la  marche  a  suivre.  Aussi  Colbert  avait-il 
prepare  un  discours ,  dont  nous  avons  I'original  dans  ses  papiers, 
mais  qui ,  semble-t-il ,  ne  fut  pas  prononce  :  il  y  insiste  sur  cette 
idee  que  c'est  bien  une  veritable  codification  que  le  roi.  de- 
sire (1). 

Hotman  parla  le  premier  comme  le  plus  jeune;  il  parut  tout 
a  fait  instruit  des  projets  de  Colbert;  il  montra  qu'il  s'agissait 
non  pas  de  faire  des  lois  vraiment  nouvelles ,  mais  de  reformer 
les  lois  anciennes,  observant  en  particulier  que  «  la  juridiction 

(1)  Letlres,  etc.,  torn.  VI,  p.  14. 


l'ordonnance  db  1670.  197 

criminelle  a  trop  peu  de  lois  et  de  reglements...  et  qu'ainsy 
on  voit  un  style  de  proceder  si  estendeu  et  si  different  dans 
les  matieres  criminelles,  ou  I'indulgence  des  derniers  temps  a 
introduit  tant  de  relaschement ,  qu'il  semble  absolument  neces- 
saire  d'y  pourvoir  par  des  reglements  certains  et  qui  confirment 
et  assurent  toutes  les  formes.  »  II  propose  a  Sa  Majeste  «  d'en 
partager  les  soins  aux  personnes  qu'elle  a  voulu  assembler;  »  il 
demande  aussi  une  large  enquete.  «  MM.  les  commissaires  recher- 
cheront  les  moyens  d'y  parvenir  par  les  avis  qu'ils  retireront 
des  provinces ,  scavoir  en  matiere  criminelle  par  I'avis  des  lieu- 
tenants criminels,  et  anciens  procureurs  du  roy,  des  juges  et 
des  assesseurs  dans  les  mareschaussees.  » 

M.  Voisin,  qui  parla  ensuite,  proposa  de  suivre  le  Code 
Henry  et  d'employer  des  commissaires.  Pussort  declara  que  Jus- 
tinien  a  dans  un  pareil  dessein,  avoit  employe  dix  annees  d'ap- 
plication  assidue  de  douze  des  plus  habiles  et  experimentes 
jurisconsultes ,  »  et  que  par  suite  «  il  ne  pouvoit  presentement 
donner  un  avis  motive.  »  M.  Boucherat  dit  que  la  «  reformation 
des  Ordonnances  estant  d'une  estendue  infinie  et  meritant  les 
soins  et  I'application  d'un  grand  roi,  ne  pouvoit  pas  estre  re- 
solue  ni  entreprise  sans  une  grande  et  serieuse  meditation ;  que 
les  rois  et  predecesseurs  de  Sa  Majeste  avoient  tantost  assemble 
les  Estats,  quelquefois  des  personnes  notables  et  en  des  ren- 
contres les  premiers  officiers  du  Conseil  et  des  compagnies  du 
royaume;  et  qu'ainsi  il  croyoit  que  le  plan  de  Sa  Majeste  me- 
ritant une  grande  attention  ,  on  ne  pouvoit  s'y  resoudre  sur-le- 
champ  (1).  »  II  est  curieux  d'entendre  prononcer  ici  ce  mot 
d'Etats-Generaux ,  que  nous  avons  deja  trouve  dans  les  M€moires. 
II  est  clair  que  Boucherat  voulait  faire  participer  a  I'ceuvre  les 
corps  qui  representaient  plus  ou  moins  directement  le  pays ;  cet 
homme,  que  Saint-Simon  traite  fort  cavalierement  (2),  exprima 
alors  la  pensee  la  plus  elev6e.  Aussi  voit-on  se  ranger  a  son 
avis  MM.  de  Morangis,   de    Seve  et  Le   Tellier.   Cela  devait 

(1)  Lettres,  etc.,  torn.  VI,  p.  374. 

(2)  « II  est  difficile  de  comprendre  comment  M.  de  Turenne  s'en  coiffa,  et  com- 
ment ce  magistrat  soutint  les  emplois ,  quoique  fort  ordinaires ,  par  lesquels  il 
passa.  »  M6moires,  torn.  II,  p.  217. 


198  l'ordonnance  db  1670. 

deplaire  fort  a  Colbert,  mais  M.  de  Verthamont  revint  au  projet 
de  travailler  simplement  par  commissaires ;  puis  on  ferait  le  rap- 
port en  presence  du  roi  pour  que  «  la  decision  fut  resolue  at 
establie  par  les  grandes  lumieres  que  Dieu  avoit  departies  a 
Sa  Majeste,  ce  qu'il  ne  disoit  pas  par  I'honneur  qu'il  avoit 
d'estre  en  sa  presence,  mais  par  la  connoissance  publique  de 
tous  les  sujets  de  Sa  Majeste  ainsi  que  des  estrangers,  qui  es- 
toient,  obliges  d'avouer  que  Dieu  luy  avoit  departi  une  intelli- 
gence et  uQ  genie  tout  extraordinaire  et  tout  a  fait  eleve  au 
dessus  des  autres  hommes.  »  II  ne  s'arreta  pas  la  et  continua 
par  des  rapprochements ,  qu'il  dut  trouver  fort  ingenieux ,  entre 
Justinien  ei  Louis  XIV.  II  y  avait  la  de  quoi  rasserener  le  roi, 
M.  de  Machault  fut  d'avis  «  qu'il  suffisoit  de  prendre  les  con- 
ferences des  Ordonnances,  le  Code  Henry,  ou  I'Ordonnance  de 
M.  de  Marillac,  pour  ajouter  les  choses  omises,  retrancher  les 
superflues  et  mettre  en  peu  de  temps  les  choses  en  estat  de  loy 
parfaite.  » 

Ce  fut  au  tour  de  Colbert  de  prendre  la  parole.  II  commenca 
par  louer  le  roi ;  puis  bientot  d'une  fagon  nette  et  breve ,  il  exposa 
le  plan  qui  devait  etre  suivi,  c'est  celui  que  nous  connaissons 
deja.  Alors  tout  le  monde  s'y  rallia.  Le  roi  demanda  son  avis 
au  Chancelier,  qui  suivit  le  courant.  «  L'ouvrage  de  la  refor- 
mation des  lois  estoit  une  prerogative  de  la  souverainete,  tous 
les  avis  et  meme  les  reglements  des  compagnies  ne  pouvoient 
avoir  aucune  force  de  loy,  dont  la  forme  ne  pouvoit  estre  impri- 
mee  que  par  le  caractere  du  prince.  »  II  adopta  la  distribution 
des  matieres  a  des  conseillers  aides  par  des  avocats,  et  pro- 
posa  qu'on  tint  chez  lui  des  conferences  pour  preparer  ce  qui  se- 
rait  porte  au  conseil  du  roi.  Le  roi  declara  que  c'etait  la  ce 
qu'il  avait  resolu ;  mais  il  repoussa  I'idee  de  conferences  chez  le 
Chancelier  :  «  en  toutes  affaires  il  avoit  toujours  souhaite  qu'on 
s'adressat  a  lui  directement  afm  de  connoistre  librement  et  plus 
naturellement  les  sentiments  de  tous  ceux  qui  traitoient  ses  af- 
faires, ce  qui  ne  pourroit  se  reconnoistre ,  si  avant  que  parler 
en  sa  presence,  on  estoit  d'accord  et  dans  des  sentiments  uni- 
formes.  »  Ce  langage  n'etonne  point  dans  la  bouche  de  Louis  XIV. 
Le  Chancelier  fit  alors  au  roi  des  propositions  pour  la  distribution 


l'ordonnance  de  1670.  199 

des  matieres ;  mais  «  le  roi  se  levant  a  dit  qu'il  en  confereroit 
avec  lui  dans  le  particulier  et  que  la  chose  meritoit  quelque  dis- 
cussion. » 

Le  mardi  13  octobre,  Colbert,  par  ordre  du  roi,  remit  au  Chan- 
celier  la  liste  des  commissaires  choisis.  Elle  etait  dressee  par 
avance,  car  elle  se  trouve  jointe  au  M^moire  du  mois  de  mai, 
dont  nous  avons  parle  plus  haut ;  elle  n'avait  subi  presque  aucun 
changement.  Nous  trouvons  :  «  pour  la  justice  {k  subdiviser  en 
civile,  criminelle  et  police),  MM.  de  Verthamont,  Colbert,  Pus- 
sort,  Voisin,  Caumartin,  Le  Pelletier  de  LaReynie;  pour  servir 
de  secretaire,  M.  Hotman.  —  Avocats  qui  doivent  servir  a  la 
dite  reformation  :  MM.  Auzanet ,  I'Hoste  I'aine ,  de  Gomont ,  Ra- 
gueneau,  Rellain  etun  sixiemequi  sera  nomme  (1).  » 

Le  travail  utile  allait  commencer ;  mais  ici  nous  trouvons  une 
lacune  considerable  dans  nos  documents.  Nous  n'avons  plus  que 
le  proces-verbal  d'une  seule  seance  de  Conseil  de  justice,  celle 
du  dimanche  25  octobre  1665.  Le  debat  porta  sur  les  articles  qui 
composerent  plus  tard  le  titre  I  de  I'Ordonnance  de  1667,  sur 
I'observation  des  Ordonnances.  C'etait  le  point  auquel  tenaient  le 
plus  le  roi  et  Colbert.  II  s'agissait  de  dompter  les  Parlements  et 
de  rendre  illusoire  le  droit  d'enregistrement.  Lamoignon  disait 
de  I'Ordonnance  de  1667  :  «  qu'elle  commence  d'abord  par  des 
menaces  centre  les  Parlements  et  toutes  les  compagnies  souve- 
raines.  »  Une  discussion  interessante  eut  lieu  au  Conseil  de  jus- 
tice; on  declara  que  les  tribunaux  ecclesiastiques  devaient  au 
meme  titre  que  les  autres  etre  soumis  aux  lois  de  I'Etat ,  et  qu'il 
fallait  supprimer  la  qualification  de  «  Cours  souveraines  »  attri- 
buee  aux  Parlements.  Louis  XIV  intervint  avec  sa  hauteur  habi- 
tuelle.  «  Le  Roy  a  dit  que  pendant  sa  vie  les  remontrances  ne 
feroient  aucun  prejudice ,  parce  qu'il  sauroit  bien  retrancher  les 
inutiles  et  tumultueuses ,  et  faire  consideration  de  celles  qui  se- 
roient  respectueuses  etraisonnables. »  Mais  tout  cela  nous  eloigne 
de  notre  sujet. 

Cependant  les  conferences  des  commissaires  et  des  avocats 

(1)  «  Depuis  le  16  dudit  mois  d'octobre,  le  roy  a  nornm^  M.  Foucault,  greffier 
de  la  Chambre  de  justice,  pour  travailler  en  quality  d'avocat.  »  Lettres,  etc., 
torn.  VI,  p.  377. 


200  l'ordonnance  de  1670. 

avaient  commence ;  nous  en  connaissons  la  physionomie  par  cette 
lettre  d'Auzanet  que  nous  avons  citee.  Cast  au  mois  d'octobre 
1665,  probablement  tres-peu  apres  le  13,  que  M.  de  Vertha- 
mont,  qui  devait  presider  la  commission,  «  envoya  des  billets 
chez  les  avocats,  portant  ordre  de  se  rendre  chez  M.  le  Chan- 
celier.  »  lis  s'y  rendirent  en  robe  et  furent  regus  par  Seguier, 
qui  les  avertit  de  ce  qu'on  attendait  d'eux.  «  Peu  de  jours  apres 
les  commissaires  s'estant  rendus  chez  M.  de  Verthamont,  mon- 
dit  sieur  de  Verthamont  prit  la  seance  au  bout  d'en  haut  du 
bureau  ou  de  la  table  dans  un  fauteuil;  a  sa  main  droite  estoit 
M.  Pussort,  conseiller  d'Estat,  aussi  dans  un  fauteuil,  ensuite 
MM.  de  Caumartin  et  Le  Pelletier  de  La  Reynie,  maistres  des 
Requestes ,  et  les  sieurs  L'Hoste ,  de  Gomont,  et  Foucault, 
avocats;  et  a  main  gauche  estoient  MM.  Voisin  et  Hotman, 
maistres  des  Requestes ,  les  sieurs  Auzanet ,  Ragueneau  et  Bel- 
lain,  avocats.  »  C'est  la,  comme  nous  dirions  aujourd'hui ,.  la 
photographic  de  la  seance.  Cette  preoccupation  des  questions 
d'etiquette,  qui  se  montre  dans  plusieurs  passages  de  la  lettre 
d'Auzanet ,  troublera  plus  tard  quelque  peu  la  premiere  confe- 
rence avec  les  parlementaires. 

D'abord  il  y  eut  deux  vacations  par  semaine  ;•  puis ,  le  roi 
etant  a  Fontainebleau ,  on  ne  fixa  qu'un  jour  et  on  se  reunit  a 
Essonne,  «  afin  que  MM.  les  conseillers  d'Estat  et  MM.  des  Re- 
questes de  leur  part,  et  les  avocats  d'autre  part,  fissent  chacun 
la  moitie  du  chemin.  »  Au  cours  des  travaux,  M.  de  VerthamoBt 
mourut,  et  I'assemblee  fut  transferee  chez  Pussort.  «  Le  sieur 
L'Hoste  ayant  ete  appele  a  la  direction  des  hopitaux ,  on  ne  le 
remplaga  point  et  le  nombre  des  commissaires  fust  reduit  a  neuf 
personnes.  »  Plus  tard,  Colbert  vint  a  ce  conseil,  «  le  ministre 
d'Estat,  dit  Auzanet,  dans  les  soins  duquel  le  roy  confioit 
I'ordre,  I'administration  et  les  plus  importantes  fonctions  de 
I'Estat ;  »  il  ne  voulut  point  presider  et  «  a  quelque  instance  qui 
lui  fust  faite ,  il  se  contenta  de  la  seconde  place.  » 

On  devait  s'occuper  en  premier  lieu  de  I'observation  des  Or- 
donnances  et  les  articles ,  qui  furent  discutes  au  Conseil  de  jus- 
tice, le  25  octobre,  furent  presentes  comme  ayant  ete  elabores  par 
les  commissaires.  En  realite,  ceux-ci  n'y  toucherent  point.  «  Cela 


l/ORDONNANCE   DE    1670.  201 

ne  demeura  pas  longtemps  sur  le  tapis,  dit  Auzanet,  car  en 
I'assemblee  suivante ,  le  roy  nous  fist  scavoir  sa  volonte  sur  ce 
sujet  et  envoya  les  huit  articles ,  qui  composent  le  premier  titre 
de  rOrdonnance  de  1667.  »  Pour  le  reste,  voici  comment  on  pro- 
ceda. 

Pussort  faisait  d'abord  un  travail  preparatoire ,  cela  ressort 
du  moins  d'un  passage  du  proces-verbal  des  conferences  poste- 
rieures  ,  publie  en  1709  par  le  sieur  Foucault.  «  Entre  Mes- 
sieurs les  commissaires  du  Conseil,  M.  Pussort  fut  charge  de 
dresser  le  plan  des  articles  de  la  reformation.  Ce  grand  homme 
s'y  appliqua  avec  beaucoup  de  soin  et  d'exactitude ;  son  travail 
fut  anime  de  cette  vive  penetration,  et  de  cet  attachement  in- 
violable pour  la  justice ,  que  chascun  reconnoissoit  estre  la  plus 
excellente  de  ses  sublimes  qualites.  »  Puis  les  matieres  etaient 
distribuees  «  a  chascun  des  avocats  pour  y  travailler  en  son 
particulier,  ,a  I'effet  de  diviser  les  matieres  par  articles  et  de 
mettre  les  articles  par  ordre.  Et  dans  I'assemblee,  apres  la  lec- 
ture du  titre  entier,  chacun  article  estoit  exaniine ,  couche  et 
arreste  a  la  pluralite  des  voix,  et  bien  que  fort  souvent  les 
opinions  aient  este  differentes,  neanmoins  aucun  n'a  fait  pa- 
roistre  la  moindre  jalousie  ni  contention  pour  faire  prevaloir  son 
avis ,  mais  le  tout  a  passe  avec  tout  I'honneur  et  la  civilite  que 
Ton  peut  desirer  (1).  »  Les  articles,  ainsi  fixes,  etaient  portes 
au  Conseil  de  justice.  «  Apres  que  les  articles  estoient  arrestes 
entre  nous ,  on  les  portoit  au  Conseil  du  roi ,  et  la  en  la  presence 
de  Sa  Majeste,  on  autorisoit  ceux  qui  estoient  trouves  justes, 
et  les  autres  estoient  reformes  ou  rejetes  absolument.  »  Les  avo- 
cats n'assistaient  point  a  ces  discussions,  car  Auzanet  ajoute  : 
«  en  plusieurs  rencontres  le  roy  a  fait  I'honneur  a  notre  com- 
pagnie.de  prendre  son  avis  sur  les  affaires  proposees,  qui  se 
traitoient  directement ,  et  devoient  estre  resolues  au  Conseil ,  en 
la  presence  de  Sa  Majeste.  » 

(1)  Auzanet.  Lettres,  etc.,  de  Colbert,  torn,  VI,  p.  399. 


202  l'ordonnance  de  1670. 


IV. 


Cependant  I'Ordonnance  sur  la  procedure  civile  se  trouva 
completement  elaboree.  «  Nos  assemblees,  dit  Auzanet,  ayant 
continue  I'espace  de  quinze  mois,  on  trouva  qu'il  y  avoit  assez 
de  matiere  pour  faire  un  premier  volume,  et  pour  en  faciliter 
I'execution.  »  11  semblait  qu'il  n'y  eut  plus  qu'a  publier  ce 
travail,  quand  tout  a  coup,  on  ramena  en  scene  le  Parlement. 
De  nouvelles  conferences  vont  s'ouvrir,  mais  cette  fois  a  cote 
des  conseillers  d'Etat  et  des  maitres  des  Requetes,  figureront  les 
delegu6s  du  Parlement  de  Paris.  Comment  expliquer  ce  coup  de 
theMre?  Auzanet  rapporte  le  fait,  et  dit  simplement  que  le  roi 
«  trouva  bon  »  d'agir  ainsi.  Louis  XIV  lui-meme  s'est  expli- 
que  sur  ce  point.  «  A  I'egard  du  reglement  general  de  la  justice, 
dont  je  vous  ai  deja  parle ,  voyant  un  bon  nombre  d'articles  redi- 
ges  en  la  forme  quej'avois  desiree,  jenevoulus  pas  plus  long- 
temps  priver  le  public  du  soulagement  qu'il  en  attendoit;  mais 
je  ne  crus  ni  les  devoir  simplement  envoyer  au  Parlement,  de 
peur  qu'on  y  fist  quelque  chicane ,  qui  me  faschast ,  ni  les  porter 
aussi  d'abord  moi-meme ,  de  crainte  que  Ton  ne  put  alleguer  un 
jour  qu'ils  avoient  este  verifies  sans  aucune  connoissance  de 
cause ;  c'est  pourquoi ,  prenant  une  voie  de  milieu ,  qui  remedioil 
a  la  fois  a  ces  deux  inconvenients ,  je  fis  lire  tous  les  articles 
chez  mon  chancelier,  oil  se  trouvoient  les  deputes  de  toutes  les 
Chambres  avec  des  commissaires  du  Conseil;  et  quand  dans  la 
conference  il  se  formoit  quelque  difficulte  raisonnable ,  elle 
m'estoit  incontinent  apportee  pour  y  pourvoir,  ainsi  que  j'avi- 
serois.  Apres  laquelle  discussion  j'alloi  enfin  en  personne  faire 
publier  I'Edit  (1).  »  Ces  scrupules  et  ces  crainles  sont  assez 
peu  vraisemblables  chez  le  prince,  qui,  peu  de  temps  aupara- 
vant,  traitait  de  si  haut  le  droit  de  remontrances  du  Parlement; 
aussi  a-t-on  cherche  ailleurs  la  cause  de  ce  fait,  et  voici  ce  qu'on 
a  trouve. 


(1)  Mimoirespour  1667,  6dit.  Dreyss,  tome  II,  p.  224. 


L'ORDONNANCE   DE    1670.  203 

Le  premier  president  de  Lamoignon  avail  ete  frappe ,  presque 
en  meme  temps  que  Colbert,  de  la  necessite  de  codifier  les  lois. 
Ne  pouvant  aborder  une  semblable  entreprise ,  il  voulait  seule- 
ment  fixer  les  points  controverses  dans  le  ressort  du  Parlement 
de  Paris.  II  voulut  employer  a  ce  travail  des  magistrats  et  aussi 
des  avocats ,  et  parmi  ces  derniers  ce  meme  Auzanet  que  nous 
avons  vu  tout  a  I'heure  choisi  egalement  par  Colbert.  Cette  mar- 
que d'estime  venant  des  c6t6s  opposes ,  etait  pour  cet  homme  un 
supreme  eloge ;  c'est  encore  par  lui-meme  que  nous  savons  ce  qui 
se  passa.  «  M.  de  Lamoignon,  Premier  president  du  Parlement  de 
Paris,  souffrant  avec  impatience  la  diversite  des  sentiments  dans 
sa  compagnie,  et  pour  y  apporter  le  remede  necessaire,  ayant  sceu 
qu'autrefois  j'avois  commence  quelques  memoires  sur  une  partie 
de  ces  questions  douteuses ,  il  m'ordonna  de  faire  recherche  de 
ces  memoires  et  d'y  ajouter  ce  que  je  jugerois  a  propos,  ce  qui 
fut  execute ;  et  ensuite  M.  le  Premier  president  ayant  propose 
et  fait  agreer  son  dessein  au  Roy,  il  fit  assembler  trois  ou  quatre 
fois  en  son  hostel  jusqu'au  nombre  de  douze  avocats,  et  prit 
leurs  sentiments  sur  les  premiers  articles.  Et  en  d'autres  jours 
furent  assembles  aussi  dans  son  hostel  deux  deputes  de  la 
Grand  Chambre  et  pareil  nombre  de  chacune  des  Chambres  des 
Enquestes ,  en  presence  desquels ,  lecture  ayant  ete  faite  des 
memos  articles  et  des  avis  des  avocats,  quelques  articles  furent 
resolus  et  les  autres  laisses  sans  decision.  Mais  les  choses  s'y 
passerent  avec  si  peu  de  satisfaction  que  M.  le  Premier  presi- 
dent jugea  des  lors  qu'il  n'arriveroit  jamais  ou  il  pretendoit 
par  cette  voie ,  et  rompit  le  cours  de  ces  assemblees  (1).  »  Cepen- 
dant  Lamoignon  n'abandonna  pas  completement  son  projet;  il 
demanda  a  Auzanet  de  continuer  son  travail,  employant  aussi  un 
autre  avocat  au  Parlement,  Bonaventure  Fourcroi.  «  Ce  travail 
a  dure  plus  de  deux  annees ,  pendant  lesquelles  on  tenoit  deux 
assemblees  par  chacune  semaine,  I'une  en  des  lieux  particuliers, 
ten  laquelle  se  trouvoient  les  deux  avocats  avec  MM.  de  Brillac, 
conseiller  en  la  Grand  Chambre,  et  M.  Le  Pellefier,  president 
aux  Enquestes ,  pour  digerer  les  matieres  et  donner  la  forme 

(1)  Auzanet.  Lettres,  etc.,  de  Colbert,  tome  VI,  p.  397,  398. 


204  l'ordonnance  de  1670. 

aux  articles ,  et  I'autre  en  la  presence  de  M.  le  President  pour 
conclure  et  arrester  par  son  advis  les  articles...  Voila  oii  le  pre- 
mier ouvrage  s'est  termine,  en  attendant  qu'il  voye  le  jour 
sous  I'autorite  publique  (1).  »  Ce  ne  fut  jamais  qu'une  oeuvre 
privee ,  on  le  salt ;  11  n'en  est  reste  que  les  «  arretes  du  president 
de  Lamoignon.  » 

L'entreprise  de  Lamoignon ,  qui  s'etait  attaque  du  reste  a  la 
partie  la  plus  difficile  de  la  legislation ,  au  droit  civil,  n'avait  pas 
abouti.  Le  President  dut  trouver  bien  dur  cependant  de  se  voir 
mis  en  dehors  de  la  grande  oeuvre  offlcielle,  lui  qui,  d'apres 
Auzanet,  avait  ete  autorise  par  Louis  XIV  lui-meme  a  tenter 
quelque  chose  de  semblable.  Avec  sa  haute  intelligence  et  son 
loyal  caractere ,  il  alia  droit  au  roi ;  mais ,  avec  une  grande  habi- 
lete,  il  eut  I'air  de  ne  pas  savoir  ce  qui  se  faisait  en  dehors  de  lui. 
11  vint  faire  a  Louis  XIV  une  proposition  semblable  a  celle  que 
Colbert  avait  produite  et  fait  adopter ;  c'est  du  moins  ce  que  nous 
apprend  son  biographe  Gaillard.  «  Colbert  avait  charge  Pussort 
d'un  travail  pour  la  reformation  de  la  justice.  Son  projet  etaitde 
ne  communiquer  I'Ordonnance  a  personne,  et  de  la  publier  par  la 
seule  autorite  souveraine,  en  I'enregistrant  dans  un  lit  de  jus- 
tice. M.  de  Lamoignon,  averti  de  ce  projet,  alia  trouver  Louis 
XIV,  et  lui  proposa,  comme  un  moyen  d'illustrer  son  regne, 
cette  idee  de  reformer  la  justice  apres  les  finances.  Le  roi  lui  dit : 
M.  Colbert  emploie  actuellement  M.  Pussort  a  ce  travail;  voyez 
M.  Colbert  et  concertez-vous  ensemble  (2).  »  Surpris  de  la  confi- 
dence que  le  roi  avait  faite  au  Premier  president ,  Colbert  vit  ses 
projets  deconcertes.  «  Alors  commencerent  des  conferences  dont 
le  proces-verbal  a  este  publie  et  prouve  combien  elles  etoient  ne- 
cessaires,  quantite  d'articles  ayant  este  modifies  (3).  »  Ce  cu- 
rieux  recit  est-il  bien  con  forme  a  la  realite?  On  pent  revoquer  en 
doute  la  ruse  de  Lamoignon  et  la  reponse  de  Louis  XIV,  mais  ce 
qui  parait  certain ,  c'est  que  le  Premier  president  alia  voir  le  roi , 
et  celui-ci ,  songeant  peut-gtre  aux  encouragements  qu'il  avait 

(1)  Ceci  se  passait  avaat  1665. 

(2)  Vie  du  president  de  Lamoignon,  citSe  par  M.  Pierre  Clement.  Lettres,  etc., 
torn.  VI,  p.  14. 

(3)  IMi. 


l'oedonnance  de  1670.  205 

donnes  jadis  au  chef  du  Parlement  de  Paris,  ordonna  les  nou- 
velles  conferences;  il  est  fort  possible  que  Louis  XIV  en  mfime 
temps  ait  ete  heureux  de  supprimer  par  la  toute  difficulte  pour 
I'enregistrement. 

Quoi  qu'il  en  soit,  « le  24  Janvier  1667,  le  roi  en  ecrivit  au  Par- 
lement, et  en  particulier  a  M.  le  Premier  president  et  a  M.  le 
Procureur  general,  avec  ordre  a  M.  le  Premier  president  et  a  mes- 
sieurs les  autres  presidents  du  Parlement ,  a  quatre  conseillers 
de  la  Grand  Chambre  et  aux  cinq  anciens  presidents  des  Cham- 
bres  des  Enquestes,  avec  les  doiens  des  memes  Chambres,  al'an- 
cien  president  des  Requestes  du  palais  et  au  doien  de  la  premiere 
Chambre  et  a  messieurs  les  avocats  et  procureurs  generaux ,  de 
s'assembler  incessamment  chez  M.  le  Chancelier  pour  conferer 
avec  lui  et  a  MM.  les  Commissaires  du  conseil  par  I'avis  desquels 
les  articles  avoient  ete  dresses.  »  Ceci  se  trouve  dans  le  proces- 
verbal  des  conferences,  mais  ce  n'etait  pas  le  Chancelier  qui 
avait  fait  decider  ce  point ;  il  est  mSme  a  pen  pres  certain  qu'il 
n'en  fut  averti  que  lorsque  tout  etait  pret.  Voici  en  effet  le  billet 
que  lui  adressait  le  secretaire  d'Etat  Guenegaud  :  «  Monseigneur, 
suivant  I'ordre  du  roi,  j'ai  escrit  au  Parlement  de  Paris,  pour  lui 
faire  entendre  que  Sa  Majeste ,  n'ayant  pas  juge  a  propos  de 
faire  publier  les  articles  d'Ordonnances  qu'elle  a  fait  rediger  en 
corps  pour  la  reformation  de  la  justice ,  qu'elles  n'aient  este  au- 
paravant  veues  et  examinees  avec  vous  et  aucuns  de  messieurs 
du  Conseil  par  plusieurs  principaux  des  officiers  du  Parlement 
que  Sa  Majeste  a  nommes ,  et  que  M.  le  Premier  president  as- 
sembleroit  incessamment  et  le  plus  frequemment  que  faire  se 
pourroit  en  vostre  maison ,  pour  sur  le  tout  donner  leur  avis  a 
Sa  Majeste,  dont  j'ai  creu,  Monseigneur,  devoir  vous  avertir, 
afin  que  vous  scachiez  ce  qui  se  passe  en  ceste  affaire  (1).  »  Les 
conferences  commencerent  le  mercredi  26  Janvier  a  I'hotel  Se- 
guier.  11  y  eut  d'abord  quinze  seances ,  dont  la  derniere  eut  lieu 
le  17  mars  1667.  Les  commissaires  du  Conseil  etaient  neuf,  y 
compris  le  Chancelier,  et  les  deputes  du  Parlement  vingt-neuf ,  y 
compris  le  Premier  president,  le  Procureur  general  et  deux  Avo- 

(1)  Lettre  citee  par  M.  de  Kerviler.  Le  president  Siguier,  p.  385-6. 


206  l'ordonnance  de  1670. 

cats  gen^raux  (1).  Le  greffier  de  I'assemblee  etait  M.  Joseph 
Foucault.  II  y  eut  une  discussion  serieuse  et  digne ,  oii  brillerent 
surtout  Pussort,  defendant  les  articles  comme  son  oeuvre  propre, 
et  le  Premier  president. 

Apres  la  cloture  de  la  discussion ,  les  divers  articles  dont  on 
avait  demande  la  modification  furent  de  nouveau  soumis  au  con- 
seil  du  roi ,  qui  statua  definitivement ,  et  enfin  Auzanet  nous  ap- 
prend  comment  la  derniere  main  fut  donnee  a  I'Ordonnance 
civile.  «  Pour  ce  que  les  articles,  qui  avoient  este  composes  par 
diverses  personnes  se  trouvoient  concus  en  des  styles  differents, 
le  Roy  commit  MM.  Morangis,  Pussort  et  Boucherat,  conseil- 
lers  d'Estat ,  et  M.  Hotman ,  maistre  des  Requestes,  et  moy  seul 
avocat,  pour  donner  la  forme  a  I'Ordonnance,  reduyre  a  un 
mesme  style  et  mettre  les  titres  en  ordre.  Et  a  cela  il  fut  vaque 
durant  I'espace  de  sept  semaines  entieres,  en  donnant  cinq  et 
quelquefois  six  vacations  par  semaine ;  et  a  la  fin  la  premiere 
Ordonnance  se  trouva  redigee  en  la  forme  qu'elle  paroist  aujour- 
d'huy  au  mois  d'avril  1667,  portee  au  Parlement  de  Paris  et 
publiee  en  la  presence  du  Roy  seant  en  son  Parlement  le  20  du 
mesme  mois  d'avril  (2).  » 


Tout  ce  que  nous  venons  de  raconter,  c'est  I'histoire  de  la 
redaction  de  I'Ordonnance  civile,  mais  c'est  aussi  I'histoire  de  la 
redaction  de  I'Ordonnance  criminelle.  Toutes  les  deux  sont  des 
parties  de  la  meme  oeuvre.  L'organisme  qui  avait  produit  la  pre- 
miere ,  produisit  la  seconde  et  par  le  meme  travail. 

Ici  nous  avons  beaucoup  moins  de  details  sur  la  preparation 
des  articles  par  les  commissaires  et  sur  la  discussion  dans  le 
Conseil  de  justice.  Auzanet,  terminant  cette  lettre  du  1"  de- 
cembre  1669,  que  nous  auroos  bientot,  piece  a  piece,  citee  dans 
son  entier,  declare  que  I'elaboration  de  I'Ordonnance  criminelle 
commenca  au  mois  de  mai  1667,  et  elle  n'etait  pas  encore  ter- 

(1)  Proas-verbal  de  I'Ordonnance  de  1667,  p.  4. 

(2)  Lettres,  etc.,  de  Colbert,  t.  VI,  p.  400. 


l'ordonnance  de  1670.  207 

minee  au  moment  ot.  il  ecrit.  «  Au  mois  de  may  1667,  les 
mesmes  commissaires,  reduits  au  nombre  de  neuf,  ont  continue, 
comma  ils  font  encore  tons  les  jours,  a  travailler  aux  dites  ma- 
tieres  en  la  maniere  cy-dessus  remarquee,  pour  faire  at  com- 
poser d'autres  Ordonnances  lorsque  Sa  Majeste  le  jugera  a  pro- 
pos.  »  Ge  fut  saulement  au  milieu  da  I'annee  1670  que  ce  travail 
preparatoire  fut  tormina. 

Alors  commencerent  de  nouvelles  conferences  avec  les  deputes 
du  Parlement.  Le  proces-verbal  indique  qu'an  realite  elles  6taient 
la  suite  das  conferences  de  1667  :  «  Le  sixiesme  juin  1670, 
messieurs  les  commissaires  du  Roy  et  messieurs  les  deputes  du 
Parlement  se  sont  assembles  chez  M.  le  Chancalier,  sur  les  trois 
heures  apres-midy,  et  ont  pris  leur  seance  dans  la  gallerie  basse, 
en  la  maniere  et  disposition  qu'ils  avoient  faite  lors  de  la  con- 
ference de  I'annee  mil  six  cent  soixante-sept.  »  La  composition 
da  I'assemblee  diflferait  assez  peu  de  celle  de  1667;  la  voici  : 

I.  Commissaires  du  conseil  :  le  chancelier  Seguier,  MM.  d'Ali- 
gre  ,  de  Morangis,  d'Estampes,  de  Seve,  Poncet,  Boucherat, 
Pussort,  Voisin,  Hotman. 

II.  Deputes  du  Parlement  :  le  Premier  president  (1),  les  Pre- 
sidents de  Maisons ,  de  Novion ,  de  Mesrbes ,  Le  Coigneux ,  de 
Bailleul,  Mole  de  Champlastreux ,  de  Nesmond;  —  conseillers  de 

(1)  Vers  la  fin  de  I'ana^e  1663,  Colbert  sMtait  fait  remettre  par  I'autorltS  ad- 
ministratiye  una  note  sur  le  personnel  des  Parlements .  II  est  interessant  de  voir 
comment  y  sont  jug^s  les^ prinoipaux  deputes  du  Parlement.  Voy.  Correspond, 
administrative  sous  Louis  XIV,  torn.  11,  p.  33,  ssq.  :  —  Lamoignon,  «  soubz 
I'affectation  d'une  grande  probite  et  d'une  grande  intSgritfi ,  conservant  pour  cet 
effet  une  grsinde  liaison  avec  tous  les  devests  de  quelque  parti  et  caballe  que  ce 
soit,  tesmoignant  vouloir  une  reformation  qui  ne  lui  concilie  pas  MM.  de  la  Grand 
Chambre;  a  m^diocres  biens  et  n'en  acquerra  que  par  voies  legitimes.  »  —  Pot- 
tier  de  Novion,  «  est  homme  de  grande  prfisomption  de  peu  de  seuretfi.  »  — 
De  Mesmes  «  est  homme  d'int^grit^  dans  la  discipline,  et  de  regularity  au  palais, 
oi  il  a  acquis  grande  reputation.  »  —  Le  Coigneux,  «  homme  violent,  fier,  et 
affectant  la  justice  pour  s'acqu^rir  credit ,  et  neanmoins  peu  aime  du  barreau , 
pour  quelque  mauvais  traitement  qu'il  a  faict  k  des  advocats;  s'applique  peu 
aux  lettres,  aime  ses  int^rfits  et  ses  divertissements. »  —  Bailleul,  «  doux ,  d'hu- 
meur  facile ,  s'acquerant  par  sa  civilite  beaucoup  d'amis  dans  le  palais  et  a  la 
cour,  ou  il  en  recherche  volontiers.  »  —  De  Champlastreux  «  est  picqui,  fier,  de 
peu  de  seurete ,  a  peu  d'amis  dans  la  compagnie ,  et  conservant  peu  ceux  du 
dehors.  »  II  serait  interessant  de  rapporter  egalement  les  notes  sur  les  autres 
deputes,  mais  cela  nous  mSnerait  trop  loin ,  sans  grand  profit  pour  notre  etude. 


208  l'ordonnance  de  1670. 

la  Grand  Chambre  :  MM.  de  Catinat,  de  Brillat,  Fayet,  de  Re- 
fuges, Paris,  Royault;  —  deputes  des  Enquestes  :  MM.  Potier 
de  Blanc -Mesnil,  de  Bermond,  de  Bragelone,  Maudet,  de 
Fourcy,  Faure ,  Le  Pelletier,  Le  Vasseur,  Maupeou ,  Malo ;  — 
deputes  des  Requestes  du  Palais  :  MM.  Charton  et  Leboult;  en- 
fin  MM.  de  Harlay,  Procureur  general;  Talon  et  Bignon,  pre- 
mier et  second  Avocats  generaux. 

II  y  eut  seulement  sept  conferences,  dont,  la  derniere  se  tint 
le  mardi  8  juillet  1670.  Apres  une  revision  dans  le  Conseilde 
justice,  rOrdonnance  criminelle  fut «  donnee  a  Saint- Germain-en- 
Laye  au  mois  d'aoust  I'an  de  gr^ce  mil  six  cent  soixante-dix , 
puis  enregistree  a  Paris  en  Parlement  le  26  aoust  1670.  »  Le  pro- 
ces-verbal  de  ces  conferences,  comme  celui  des  conferences  de 
1667,  fut  publie  de  bonne  heure.  De  nombreuses  copies  manus- 
crites  circulerent  d'abord ,  et  dans  le  cours  du  xvii°  siecle  il  en 
parut  deux  editions  imprimees.  Mais  en  1709  il  s'en  publia  une 
nouvelle  edition  quasi  officielle  «  chez  les  associes  choisis  par 
ordre  de  Sa  Majeste  pour  I'impression  de  ses  nouvelles  Ordon- 
nances.  »  II  ressort  du  «  privilege  du  Roy  »  mis  en  tete,  que 
cette  publication  est  faite  par  le  sieur  Foucault ,  conseiller  d'Es- 
tat  et  du  Conseil  prive,  et  que  celui-ci  reproduit  un  manuscrit, 
qui  lui  aurait  ete  remis  par  «  le  sieur  Foucault,  secretaire  d'Es- 
tat  et  directeur  des  finances,  son  pere.  »  Ce  dernier  etait  le  secre-  . 
taire  des  conferences  de  1667  et  peut-etre  aussi  de  celles  de 
1670  (1). 

Nous  avons  done  des  renseignements  suffisants.  La  physio- 
nomie  generale  de  la  discussion  pent  etre  aisement  resumee. 
Trois  hommes,  deux  surtout,  sont  au  premier  plan  :  ce  sont  Pus- 
sort,  le  president  de  Lamoignon,  et  I'avocat  general  Talon. 

Pussort  et  Lamoignon  qui  deJEi  s'etaient  heurtes  I'un  contre 
I'autre  en  1667,  sont  cette  fois  de  veritables  adversaires,  tout  en 
conservant  la  plus  inalterable  dignite;  et  il  n'est  point  d'article 
important  sur  lequel  ils  n'aient  pris  la  parole.  Pussort  represen- 
tait  I'esprit,  dans  lequel ,  selon  le  voeu  de  Colbert ,  on  avait  re- 
dige  la  loi  nouvelle.  On  avait  voulu  avant  tout  debarrasser  la 

(1)  C'est  cette  Edition  que  nous  citons  toujours. 


l'ordonnance  de  1670.  209 

procedure  des  complications  et  des  chicanes  qui  I'entravaient , 
arracher  toutes  les  plantes  parasites  ,  diminuer  les  lenteurs  et  les 
frais.  On  voulait  aussi  avoir  un  instrument  de  repression  ener- 
gique  et  stir,  sans  qu'on  s'inquietclt  beaucoup  des  droits  de  la 
defense. 

Lamoignon  se  montra  sous  un  double  aspect.  Esprit  eleve  et 
ame  genereuse ,  il  protesta  contre  les  rigueurs  de  cette  procedure 
terrible;  lui  seul  dans  cette  assemblee  fit  entendre  la  voix  de 
I'humanite  ,  comme  on  dira  au  siecle  suivant ;  par  la  il  depasse 
de  beaucoup  ses  contemporains.  Nous  le  verrons  protester  contre 
le  serment  impose  aux  accuses,  contre  la  disposition  qui  leur 
refuse  I'assistance  des  conseils ,  contre  Particle  qui  punit  comme 
faux  temoin  celui  qui  se  retracte  a  la  confrontation.  Enfin,  s'il 
s'eleve  avec  moins  de  force  contre  la  question,  ce  n'en  est  pas 
moins  un  grand  honneur  pour  un  magistrat  du  xvii"  siecle ,  que 
d'avoir  declare  :  «  qu'il  voioit  de  grandes  raisons  de  I'oster,  mais 
qu'il  n'avoit  que  son  sentiment  particulier  (1).  » 

Mais  d'autre  part  Lamoignon  avait ,  au  plus  haut  degre ,  I'es- 
prit  de  corps  et  le  respect  de  la  tradition ;  et  cette  tendance 
conservatrice  I'amena  a  combattre  un  certain  nombre  d'articles , 
qui  cependant  realisaient  un  progres.  C'est  ainsi  qu'il  defend  les 
justices  seigneuriales  ,  qu'une  disposition  menagait  de  ruiner. 
C'etaient  cependant  le  plus  souvent  de  singulieres  justices ;  mais 
les  supprimer  eut  ete  «  depouiller  les  seigneurs  de  la  principale 
partie  de  leur  bien,  sans  laquelle  les  terres  n'auroient  plus  de 
consideration ,  etant  certain  que  les  gentilshommes  n'ont  rien  de 
plus  a  coeur  que  la  conservation  de  leurs  justices,  parce  qu'il 
n'y  a  rien  qui  les  distingue  plus  d'avec  les  autres  sujets  du 
Roy  (2).  »  II  proteste  contre  la  necessite  imposee  d'interroger 
I'accuse  dans  les  vingt-quatre  heures  de  son  arrestation  (3),  et 
contre  la  disposition  excellente  qui  veut  que  les  jugements  en 
premier  ressort  soient  rendus  au  moins  par  trois  juges  et  ceux 
en  dernier  ressort  par  sept  au  moins  (4).  On  sent  ici  le  magis- 

(1)  Prods-verbal,  p.  222. 

(2)  Ibid.,  p.  15. 

(3)  Ibid.,  p.  151. 

(4)  Ibid.,  p.  246. 

14 


210  l'ordonnance  de  1670. 

trat  qui  s'inquiete  avant  tout  de  la  facilite  du  service.  Cast 
surtout  centre  les  articles ,  qui  reduisent  les  droits  et  profits  pe- 
cuniaires  des  officiers  de  judicature,  que  nous  voyons  protester 
le  Premier  president  :  il  parle  en  faveur  des  greffiers  (1),  des 
procureurs  du  roi  (2),  meme  des  geoliers  (3).  La,  comme  lors- 
qu'il  s'agissait  des  justices  seigneuriales ,  il  defend  le  droit  de 
propriete.  «  Ce  sent  des  charges  qu'ils  ont  achetees  cherement, 
et  qui  composent  la  plus  grande  partie  de  leur  bien.  » 

Talon  prit  souvent  la  parole  et  avec  une  grande  autorite ;  mais 
le  caractere  de  ses  observations  est  beaucoup  moins  tranche.  II 
appuya  tant6t  Pussort  et  tant6t  le  Premier  president ;  il  parut 
avec  les  traits  propres  aux  magistrals  du  ministere  public.  II 
etait  magistrat,  mais  il  etait  en  meme  temps  «  I'homme  du  roi.  » 
Les  autres  magistrals  et  conseillers,  le  Chancelier  lui-meme, 
jouerent  un  r61e  peu  important.  Ceux  qui  prirent  le  plus  sou- 
vent  la  parole,  gengralement  sur  des  points  de  detail,  furent 
MM.  Boucherat  et  de  Novion.  Ce  dernier  etait  bien  un  homme 
fait  pour  controler  les  details ,  si  Ton  en  croit  Saint-Simon  :  «  il 
n'etoit  ni  injuste  ni  malhonnete,  comme  I'autre  premier  presi- 
dent de  Novion ,  son  grand-pere ;  mais  il  ne  savoit  rien  de  son 
metier  que  la  basse  procedure ,  a  laquelle  a  la  verite  il  excelloit 
comme  le  plus  habile  procureur ;  mais  par  de  la  cette  tenebreuse 
science  il  ne  falloit  rien  attendre  de  lui  (4).  »  On  est  etonne  de 
I'attitude  effacee  de  MM.  de  Harlay  et  Bignon  ;  c'etaient ,  en 
effet,  des  hommes  de  haute  valour,  ficoutons  encore  Saint-Si- 
mon. «  Issu  de  ces  grands  magistrals,  Harlay  en  eut  touts  la 
gravite ,  qu'il  outra  en  cynique ,  en  afFectant  le  desinteressement 
et  la  modestie...  II  estoit  scavant  en  droit  public,  il  possedoit 
fort  le  fond  des  diverses  jurisprudences;  il  egaloit  les  plus  verses 
en  Belles-Letttres ;  il  connoissoit  bien  I'histoire  (b).  »  —  «  Bi- 
gnon etoit  un  magistrat  de  I'ancienne  roche,  pour  le  scavoir,  I'in- 
tegrite,  la  modestie;  digne  du  nom  qu'il  portoit,  si  connu  dans 

(1)  ProcH-verlal,  p.  82. 

(2)  Ihid.,  p.  108. 

(3)  Ihid,,  p.  135. 

(4)  Mimoires,  torn.  XIV,  p.  216. 

(5)  Mimoires;  torn.  I,  p.  136. 


l'ordonnance  de  1670.  211 

la  robe  et  dans  la  republique  des  Lettres ,  et  qui ,  comme  son 
pere ,  avoit  ete  avocat  general  en  grande  reputation  (3).  » 

Apres  avoir  ete  discutes  dans  ces  conferences ,  les  articles 
repassaient,  nous  le  savons,  devant  le  Conseil  de  justice;  quel- 
quefois  on  tint  compte  des  observations  qui  avaient  ete  faites 
au  nom  du  Parlement ,  mais  bien  souvent  on  passa  outre.  Plus 
tard  on  regrettera  de  n'avoir  pas  mieux  ecoute  la  voix  du  presi- 
dent de  Lamoignon. 

(1)  Memoires,  torn.  I,  p.  392. 


212  l'orbonnance  de  1670. 

CHAPITRE'  DEUXIEME. 
La  procedure  d'apr&s  I'Ordonnance  de  1670. 


I.  Les  rfegles  de  competence.  —  II.  La  procedure.  —  III.  La  justice  retenue 
et  les  lettres  royaux. 

Nous  ne  saurioos  songer  a  commenter  I'Ordonnance  de  1670; 
mais  il  est  necessaire  d'indiquer  brievement  ce  qu'elle  apportait 
de  nouveau ,  et ,  pour  cela ,  de  relever,  a  vol  d'oiseau  pour  ainsi 
dire ,  ses  principales  dispositions.  Elle  contenait  el  des  regies  de 
competence  et  des  regies  de  procedure  criminelle  proprement 
dite;  c'est  done  la  une  division  qui  s'impose  a  nous  (1). 


I. 


Depuis  le  xiii"  siecle,  un  mouvement  continu  s'etait  produit, 
nous  I'avons  vu ,  appauvrissant  et  depouillant  au  profit  des  juri- 
dictions  royales  les  juridictions  seigneuriales  et  ecclesiastiques. 
Pour  arriver  a  ce  resultat,  les  juristes  avaient  pen  h  peu  modifle 
les  anciennes  regies  de  competence;  la  competence  du  tribunal 
du  lieu  du  delit,  la  theorie  de  la  prevention,  la  theorie  des  cas 
royaux  avaient  ete,  en  dehors  de  I'appel,  leurs  principales  inven- 
tions; voyons  ce  qu'elles  etaient  devenues  dans  la  loi  nouvelle, 
aujourd'hui  que  la  victoire  appartenait  irrevocablement  a  la 
Roy  ante. 

I.  La  competence  du  tribunal  du  lieu  du  delit  triomphait  deflni- 

(1)  Nous  citerons  les  principaux  Commentateurs  de  rOrdonuance  d'aprSs  les 
Editions  suivantes  :  Bornier,  Conference  des  novvelles  Ordonnances  de  Louis  XIV, 
6dlt.  1703.  —  Jousse,  Commentaire  sur  I'Ordonnance  criminelle,  1766.— Muyart 
de  Vouglans,  Institutes  au  droit  criminel,  edit.  1757;  Instruction  criminelle,  1762. 
—  Rousseau  de  La  Combe,  Traits  des  matUres  criminelles,  edit.  1769;  —  Serpil- 
lon,  Code  criminel,  66.it.  1767.  —  Pothier,  Procidure  criminelle,  6dit.  Bugnet. 


l'ordonnancb  de  1670.  213 

tivement.  C'etait  meme  le  seul  tribunal  competent  (tit.  I,  art.  1) ; 
on  ecartait  le  tribunal  du  domicile  de  I'accuse  et  celui  du  lieu  de 
la  capture.  Le  president  de  Lamoignon ,  dans  la  discussion ,  pro- 
testa  centre  cette  disposition,  montrant  les  difficultes  qui  en 
resulteraient  dans  la  pratique;  mais  I'article  fut  maintenu.  «  II 
etoit  important  d' avoir  un  juge  certain,  »  avail  dit  Pussort  (1). 

Du  reste ,  en  realite  cette  competence  n'etait  point  exclusive 
de  toute  autre  :  si  le  plaignant  a  saisi  un  autre  juge ,  et  que 
I'accuse  ne  reclame  pas  son  renvoi  avant  la  lecture  de  la  premiere 
deposition ,  lors  de  la  confrontation ,  le  proces  continuera. 

II.  L'article  11  du  titre  premier  enumerait  les  cas  royaux  attri- 
bues  aux  baillis,  senechaux,  et  juges  presidiaux,  «  privative- 
ment  a  nos  autres  juges  et  a  ceux  des  seigneurs.  »  Nous  savons, 
que  toutes  les  Ordonnances ,  qui  jusque-la  ayaient  fait  une  sem- 
blable  enumeration,  I'avaient  terminee  invariablement  par  la 
clause  :  «  et  tous  autres  touchant  au  droit  royal.  »  Dans  le  projet 
des  commissaires ,  pour  la  premiere  fois  cette  clause  manquait. 
On  avait  sans  doute  considere  comme  inutile  de  conserver  cette 
arme,  aujourd'hui  que  la  lutte  etait  finie.  Lamoignon  demanda 
le  retablissement  de  ces  mots  dans  un  long  discours  :  c'est  la 
une  preuve  de  cet  esprit  de  conservation  que  nous  avons  signale 
chez  le  Premier  president.  Pussort  repliqua,  que  I'intention  du  roi 
n'avait  pas  ete  d'etendre  son  pouvoir,  etant  maitre  absolu ,  mais 
de  trancher  toutes  les  contestations  :  «  L'edit  de  Cremieu  a  spe- 
cifie  cinq  ou  six  cas  royaux  et  a  ajoute  «  et  autres,  »  mais  c'est 
une  matiere  a  proces.  »  Lamoignon,  ici  plus  royaliste  que  les 
gens  du  roi ,  revint  a  la  charge  et  obtint  gain  de  cause ;  on  tor- 
mina la  lists  par  la  mention  :  «  et  autres  cas  expliques  par  nos 
Ordonnances  et  reglements.  » 

III.  Quant  a  la-  prevention  des  juges  royaux  sur  ceux  des  sei- 
gneurs ,  le  projet  contenait  un  article  qui  ruinait  de  fond  en 
comble  les  justices  seigneuriales.  «  Nos  juges,  etait-il,  dit,  pre- 
viendront  les  juges  subalternes  et  non  royaux  de  leur  ressort 
s'ils  ont  informe  et  decrete  le  meme  jour;  »  les  tribunaux  des 
seigneurs  n'auraient  plus  retenu  que  les  causes,  qui  auraient 

(1)  Prods-verbal,  p.  4-6. 


214  l'ordonnance  de  1670. 

echappe  a  la  vigilance  des  officiers  royaux,  ou  que  ceux-ci 
auraient  dedaignees.  Le  Premier  president  se  porta  encore  ici 
I'energique  defenseur  du  passe;  c'etait,  selon  lui,  une  question 
de  justice  absolue  et  de  propriete.  Pussort  soutint  le  projet;  il 
montra  que  la  plupart  des  juges  seigneuriaux  etaient  «  sans 
capacite ,  »  que  I'administration  de  la  justice  etait  onereuse  aux 
seigneurs  eux-memes;  il  revendiqua  enfin  hautement  les  droits 
de  la  royaute.  «  La  veritable  propriete  de  la  justice  (criminelle), 
qui  s'appelle  jus  gladii,  est  un  droit  de  sang  sur  les  sujets  du 
Roy,  residant  a  proprement  parlor  en  la  main  de  Sa  Majeste , 
qui  le  communique  a  ses  officiers  (1).  »  Mais  la  Royaute  n'eut 
pas  la  hardiesse  de  reduire  a  rien  les  seigneurs  justiciers.  Deux 
modifications  furent  apportees  a  I'article  :  on  donna  la  preven- 
tion seulement  aux  baillis  et  aux  senechaux  et  non  point  a  tous 
les  juges  royaux ;  on  fixa  un  terme  aux  juges  des  seigneurs,  avant 
I'arrivee  duquel  la  prevention  ne  pourrait  pas  intervenir  (2). 
Pussort  avait  admis  le  premier  temperament ,  et  il  avait  repousse 
le  second;  tous  deux  figurent  dans  la  redaction  definitive. 

Quant  aux  juges  royaux ,  dans  leurs  rapports  entre  eux ,  les 
prevdts  pouvaient  etre  prevenus  par  les  baillis  «  trois  jours  apres 
le  crime  commis  (3) ;  »  on  maintint  aussi  la  disposition  tradition- 
nelle,  d'apres  laquelle  les  prevdts  ne  connaissaient  point  des 
crimes  des  gentilsbommes  (J^). 

IV.  Pour  ce  qui  est  de  I'appel,  I'Ordonnance  en  traitait  longue- 
ment  dans  son  titre  XXVI;  mais  sur  ce  point  la  Royaute  avait  rem- 
porte  sur  les  seigneurs  une  victoire  si  decisive  qu'elle  ne  jugeait 
pas  necessaire  de  I'enregistrer  formellement.  Les  juges  d'appel 
etaient  toujours  des  juges  royaux ;  en  seconde  instance ,  les  juri- 
dictions  des  seigneurs  n'intervenaient  jamais.  «  II  n'y  a  que  les 
lieutenants  criminels  des  bailliages  et  senechaussees  royales  qui 
aient  droit  de  ressort  au  criminel.  C'est  ce  qui  est  decide  par 
I'article  22  de  I'edit  de  Cremieu ,  et  encore  plus  clairement  par 
I'article  de  I'Ordonnance  qui  ne  parle  que  des  baillis  et  senechaux 

(1)  Procis-verhal ,  p.  15-17. 

(2)  C'est  un  d^lai  de  24  heures,  tit.  i,  art.  9. 

(3)  Tit.  I,  art.  7. 

(4)  Tit.  I,  art.  10. 


l'ordonnance  de  1670.  215 

royaux;  en  sorte  que  les  juges  des  seigneurs,  qui  connoissent 
au  civil  de  I'appel  des  sentences  de  quelques  autres  juges,  n'ont 
pas  le  mfime  droit  au  criminel  (1).  » 

V.  La  juridiction  eccl^siastique  avail  peu  a  pen  perdu  du  ter- 
rain, grace  a  la  theorie  du  delit  commun  et  du  cas  privil^gie.  Le 
delit  commun  pouvait  etre  retenu  par  le  juge  laique ,  tant  que  le 
renvoi  n'etait  pas  demand^ ;  et  dans  ce  cas  c'etaient  seulement 
les  baillis  et  senechaux  royaux  qui  etaient  competents ,  a  I'exclu- 
sion  des  juges  seigneuriaux  (2).  Quant  au  cas  privilegie,  le  juge 
laique  ne  s'en  dessaisissait  point.  L'Ordonnance  de  Moulins  avait 
decide  que  le  juge  seculier  retiendrait  I'ecclesiastique  accuse, 
jusqu'a  ce  que  son  proces  fut  fait  et  parfait;  seulement  il  devait 
le  remettre  ensuite  au  juge  d'Eglise  pour  ce  que  celui-ci  jugeeit 
le  delit  commun  compris  dans  le  cas  privilegie  (3).   De  cette 
intervention  successive  des  deux  juges  naissaient  de  grandes  dif- 
flcultes.  On  imagina  de  reunir  en  une  seule  les  deux  instances; 
cela  fut  decide  par  I'edit  de  Melun  de  1380,  dans  son  article  22. 
«  L'instruction  des  proces  centre  les  personnes  ecclesiastiques 
pour  cas  privilegies  sera  faite  conjointement  tant  par  les  juges 
ecclesiastiques  que  par  les  juges  royaux ,  et  en  ce  cas  seront 
ceux  desdits  juges  royaux  tonus  d'aller  au  siege  de  la  juridiction 
ecclesiastique.  »  Mais   cette   instruction  conjointe   etait,  on  le 
congoit ,  fertile  en  conflits  et  en  complications ,  elle  n'avait  pour 
but  que  de  realiser  un  compromis  entre  les  droits  de  la  Royaute 
et  les  vieilles  immunites  de  I'Eglise.  Maintenant  que  la  Royaute 
redigeait  une  loi  nouvelle ,  n'allait-elle  pas   se  debarrasser  de 
cette  gene?  On  le  tenta,  et  le  projet  primitif  contenait  deux  articles 
qui  ne  conservaient  de  competence  aux  juges  d'Eglise  que  pour 
les  delits  purement  ecclesiastiques.  .G'etait  fort  raisonnable,  et 
c'6tait  ce  qu'avaient  a  plusieurs  reprises  demande  les  Etats-Gene- 
raux;  mais  cela  ne  put  point  passer,  la  Royaute  ceda  devant 

(1)  Serpillon ,  Code  crim.,  p.  1139. 

(2)  Muyart  de  Vouglans.  Instr.  crim.,  III^  partie,  p.  50,  51. 

(3)  «  Ordonnons  que  dos  officiers  instrairont  et  jugeront  en  tous  cas  les  dSlits 
privilegies  eatre  les  personnes  ecclesiastiques,  avant  que  de  les  deiaisser  au 
juge  d'Eglise,  lequel  deiaissement  sera  fait,  i  la  charge  de  tenir  prison  pour  la 
peine  du  delit  privilegie,  oil  elle  n'auroit  este  satisfaite,  de  quoy  les  officiers  de 
I'Evesque  devront  respondre  en  cas  d'eslargissement.  » 


216  l'ordonnance  de  1670. 

I'Eglise ,  comme  elle  avait  cede  devant  les  seigneurs.  Ici  encore 
ce  fut  Lamoignon  qui  vint  defendre  le  passe.  «  II  etoit  oblige  de 
representer  au  Roi  que  les  deux  articles  touchent  beaucoup  au 
privilege  clerical,  et  semblent  presque  I'aneantir...  Cependant  ce 
privilege  clerical  est  observe  par  tout  le  monde  oil  il  y  a  des 
catholiques ,  et  Ton  pent  dire  que  cet  usage  general  est  comme 
attache  a  I'autel  (1).  »  Et  il  refaisait  I'histoire  des  immunites  de 
I'Eglise ,  rappelant  que  ce  privilege  «  etoit  confirme  par  une 
possession  de  pres  de  quatorze  cents  ans ;  »  il  invitait  «  Sa  Ma- 
jeste  a  faire  les  reflexions  qu'elle  trouvera  necessaires.  »  Pussort 
se  leva  alors  et  vint  retablir  les  droits  de  la  puissance  civile. 
«  L'intention  du  Roy  n'est  pas  de  restreindre  la  juridiction  eccle-"'"' 
siastique ,  mais  de  la  regler. . .  A  I'egard  du  spirituel ,  on  laisse 
absolument  la  discipline  aux  juges  de  I'Eglise...  II  est  vrai  que 
I'article  est  centre  I'usage ,  mais  il  est  conforme  a  la  raison...  il  y 
a  de  I'indecence  au  magistral  royal  d'etre  I'assesseur  d'un  autre 
juge...  ainsi  I'article  est  juste  (2).  »  On  ne  pouvait  mieux  dire, 
mais  Pussort  invoquait  la  raison,  une  autorite  dont  le  regne  ne 
viendra  qu'un  siecle  plus  tard ,  et  il  avait  contre  lui  la  tradition 
toute-puissante.  Talon  vint  au  secours  du  Premier  president. 
Etant  des  «  gens  du  roi ,  »  il  commenga  par  faire  hommage  a  la 
royaute.  "  11  est  vrai ,  dit-il ,  que  ce  privilege  est  une  grice  que 
les  princes  ont  faite  au  clerge ,  par  des  motifs  de  piete  et  par  le 
respect  qu'ils  ont  de  la  saintet^  de  leur  ministere...  ainsi  Ton  ne 
pent  pas  douter  qu'il  ne  soit  au  pouvoir  du  prince  de  revoquer  ou 
limifer  un  privilege  accorde  par  ses  predecesseurs ;  »  mais  il 
concluait  au  maintien  de  I'immunite ,  «  il  suffit  de  donner  des 
bornes  a  ce  privilege ;  par  la  on  corrigera  autant  qu'il  sera  pos- 
sible le  mauvais  effet  qu'il  produit  en  quelques  rencontres ;  on 
previendra  les  plaintes  que  les  eveques  et  tout  le  clerge  du 
royaume ,  et  le  Pape  lui-meme  ne  manqueraient  pas  de  faire ,  si 
d'un  seul  trait  on  renversait  un  privilege  fonde  sur  les  constitu- 
tions des  empereurs  romains,  renouvelees  par  Charlemagne  et 
confirmees  par  quatorze  cents  ans  de  possession  (3).  » 

(1)  Prods-verbal,  p.  44,  45. 

(2)  Procis-verbal,  p.  46,  47. 

(3)  Procis^erhal,  p.  47,48. 


l'ordonnance  de  1670.  217 

Cette  opposition  formidable ,  que  Talon  indiquait ,  fit  reflechir 
le  roi,  qui,  dans  le  Conseil  de  justice,  avait  semble  cependant 
tenir  beaucoup  a  ces  articles.  On  les  supprima  et  on  les  rem- 
plaga  par  un  texte  qui  maintenait  le  statu  quo  :  «  Art.  13.  N'en- 
tendons  deroger  par  le  precedent  article  aux  privileges  dont  les 
ecclesiastiques  ont  accoutumedejouir.  »  Cependant  TOrdonnance 
ne  reglant  point  la  procedure  conjointe,  il  etait  necessaire  de  lui 
faire  une  sorte  de  Code  a  part.  Ce  fut  I'objet  de  plusieurs  lois  : 
d'abord  I'Edit  du  mois  de  fevrier  1678  developpa  des  principes 
contenus  dans  I'Edit  de  Melun ,  il  n'y  apportait  qu'une  restriction 
de  nature  a  menager  I'amour-propre  des  Parlements  (1) ;  puis 
vinrent  une  Declaration  du  mois  de  juillet  1684,  I'fidit  general 
sur  la  juridiction  ecclesiastique  de  1695,  et  enfin  une  Declaration 
du  4  fevrier  1711  (2). 

VI.  Quant  aux  juridictions  des  villes,  maires,  echevins,  con- 
suls, etc.,  rOrdonnance  ne  s'en  occupait  point  et  ne  modifiait 
en  rien  leurs  droits.  Partout  elles  avaient  la  simple  police;  c'etait 
ce  que  les  Etats-Generaux  avaient  demande  pour  elles  a  Or- 
leans (3);  c'est  ce  que  leur  accorda  I'Ordonnance  de  Moulins , 
art.  71  et  72.  Cependant  ces  textes,  qui  enlevaient  auxjuridicT- 
tions  municipales  la  connaissance  des  affaires  civiles ,  leur  lais- 
saient  celle  des  causes  criminelles ,  lorsqu'elles  en  etaient  en  pos- 
session. Mais  individuellement  la  plupart  des  villes  perdaient  la 
haute  justice.  La  Royaute  cependant  ne  reussissait  pas  toujours 
dans  ces  usurpations,  et  nous  avons  un  curieux  document  du 
temps  meme  de  Louis  XIV,  qui  nous  fait  assister  a  I'un  de  ces 
petits  drames.  C'est  une  lettre  de  Colbert  a  Talon;  il  y  est 
question  d'une  suppression  des  justices  echevinales  operee  dans 
le  Hainaut.  «  Par  tout  ce  qui  nous  revient  de  ces  pays  fron- 
tieres ,  il  paroit  que  rien  ne  fait  une  plus  mauvaise  impression 
dans  les  esprits  que  la  suppression  de  leurs  justices  echevinales 


(1)  Lorsqu'xl  devait  fitre  procSdS  en  Parlement  centre  un  ecclesiastique,  les 
eveques  ttaient  obliges  «  de  donner.  leur  vicariat  a  I'un  des  conseillers  clercs, 
pour  conjointement  avec  celui  des  conseillers  laics  de  ces  Cours  qui  sera  commfs 
a  cet  effet,  6tre  le  proces  fait  et  parfait  aux  dits  eccl6siastiques.  » 

(2)  Muyart  de  Vouglans  :  Instr.  crim.,  IIIo  partie ,  p.  70,  ssq. 

(3)  Picot  :  Histoire  des  ]Stats-G(ti6raux,  torn.  II,  p.  216,  ssq. 


218  l'ordonnance  de  1670. 

et  I'etablissement  qu'on  a  fait  des  sieges  en  la  maniere  usitee 
dans  le  royaume ,  pares  qu'ils  sont  prevenus  que  la  plupatt  des 
officiers  n'achetent  ces  charges  que  pour  exercer  avec  plus  de 
facilite  des  exactions  sur  eux  (1).  »  Aussi  Colbert  conclut-il  qu'H 
faut  sous  main  racheter  les  charges  et  retablir  I'ancien  ordre  de 
choses.  Ici  on  s'etait  brise  centre  le  vieil  esprit  communal  des 
Flandres ;  dans  un  certain  nombre  de  villes  du  Midi  on  rencon- 
tra  les  memes  resistances.  II  en  resulta  que ,  sinon  d'une  facon 
generale ,  au  moins  dans  bien  des  cas ,  «  les  villes  ont  conserve 
jusqu'a  la  Revolution,  un  droit  de  jugement  en  matiere  crimi- 
nelle.  La  royaute  leur  avait  pris  la  juridiction  civile ,  et  chose 
etrange,  elle  leur  avait  laisse  la  juridiction  criminelle  (2).  » 

Ainsi  etait  fixee  la  competence  des  juges  royaux  en  face  des 
autres  juridictions.  Mais  nous  avons  vu  que,  dans  I'ensembledes 
tribunaux  de  la  royaute ,  flguraient  un  certain  nombre  de  tribu- 
naux  d'exception.  L'Ordonnance ,  pour  le  plus  grand  nombre 
d'entre  eux,  s'en  referait  simplement  aux  lois  existantes,  mais 
elle  avait  detache,  pour  en  traiter  specialement ,  une  de  ces  juri- 
dictions ,  la  plus  importante ,  celle  des  prevots  des  marechaux. 

Nous  Savons  comment  la  juridiction  prevotale ,  toute  militaire 
a  I'origine,  avait  peu  a  peu  etendu  son  empire;  c'etait  un 
solide  instrument  aux  mains  de  la  Royaute,  pour  reprimer  les 
desordres  qui  troublaient  la  securite  publique ,  mais  c'etait  ua 
terrible  tribunal.  Ces  «  gens  d'^rmes  »  jugeaient  sommairement, 
rudement  et  sans  appel.  On  trouvait  que  c'etait  assez  bon  pour 
leurs  justiciables ,  ceux  qu'Imbert  appelle  le  «  gibier  des  prev6ls 
des  marechaux;  »  c'etaient  autrefois  les  vagabonds  et  surtout 
«  les  gens  d'armes  tenant  les  champs  et  mangeant  la  poule  du 
bonhomme  (3).  »  Cependant  les  fitats-Generaux  s'etaient  plaints 
souvent  des  desordres  qu'eatrainait  cette  juridiction  (.4).  L'Or- 
donnance nouvelle  devait  au  moins  la  regler  d'une  fagon  precise : 
ce  fut  I'objet  d'une  partie  du  litre  I,  et  du  titre  II  dans  son  entier. 
L'article  13  du  titre  premier  elargissait  en  realite  la  competence 

(1)  Letires,  etc.  de  Colbert,  torn.  VI,  p.  2. 

(2)  Laboulaye  :  Revue  des  cours  littiraires,  annie  1865,  p.  723. 

(3)  Imbert,  liv.  II,  ch.  b,  n"  4. 

(4)  Picot,  op.  cit.,  I,  447;  II,  135,  172-75,  529-530;  IV,  63-65. 


l'oedonnance  de  1670.  219 

des  prevots;  aussi  ne  passa-t-il  pas  sans  difficulte  (1).  Le  presi- 
dent de  Lamoignon  dficlara  «  qu'il  se  peut  dire  que  le  plus  grand 
abus  qui  se  rencontre  dans  la  justice  criminelle  a  precede  de  ces 
offlciers...  qui  oppriment  les  innocents  et  dechargent  les  coupa- 
bles.  La  plupart  sont  plus  a  craindre  que  les  voleurs  eux-memes.  » 
II  y  avait  la  un  mal  si  grand,  que  ceux  qui  defendent  I'institution 
sont  eux-m6mes  obliges  de  le  reconnaitre.  «  Les  prevots  des  ma- 
rechaux,  selon  Pussort,  ayant  vecu  avec  peu  d'integrite,  leur 
mauvaise  conduite  les  a  fort  decries.  »  Talon  dit  de  son  cote  que, 
«  comme  les  offlciers  ni  leurs  archers  n'ont  point  de  gages  pour 
subsister,  il  n'y  a  point  de  malversations  auxquelles  ils  ne  se 
soient  abandonnes ;  ils  ne  font  aucune  fonction  s'lls  n'esperent  en 
retirer  de  remolument.  »  Enfin  le  president  de  Novion  ajouta 
«  que  ce  n'estoit  pas  etablir  le  repos  public  que  d'etendre  le  pou- 
voir  des  prevosts  des  marechaux  (2).  »  Cependant  la  Royaute 
voulait  le  maintien  de  cette  juridiction ,  et  la  discussion  ne  pou- 
vait  porter  que  sur  les  details ;  on  admit,  a  peu  de  choses  pres ,  la 
liste  des  cas  prevotaux  que  contenait  le  projet. 

En  maintenant  la  juridiction  prevotale ,  on  maintint  aussi  et 
on  augmenta  les  garanties  que  la  jurisprudence  avait  imaginees , 
pour  la  regler  et  la  contenir. 

1°  Les  prevots  devaient  de  toute  necessite  faire  juger  leur  com- 
petence par  le  Presidial ,  dans  le  ressort  duquel  la  capture  aurait 
ete  operee,  «  dans  les  trois  jours  ou  plus  tard,  encore  que  I'ae- 
cuse  n'ait  point  propose  de  declinatoire  (3).  » 

2°  Dans  les  vingt-quatre  heures  de  la  capture ,  I'accuse  devait 
etre  interroge  par  le  prevot  en  presence  de  Vassesseur  de  la  pre- 
v6te,  lequel  etait  un  gradv£  en  droit;  et  des  ce  premier  interro- 
gatoire  il  fallait  declarer  a  I'accuse  qu'on  entendait  le  juger 
prevdtalement. 
3°   Les  jugements  de  competence  ne  pouvaient  etre  rendus 

(1)  Outre  les  d^lits  commis  par  les  vagabonds  et  exc6s  des  gens  de  guerre,  les 
prevots  devaient  juger  « les  assemblies  illicites  et  vols  sur  les  grands  chemins,  les 
vols  faits  nuitamment  dans  les  villes ,  les  sacrileges  avec  effraction ,  assassinats 
prem^dit^s ,  seditions ,  Amotions  populaires,  fabrication  de  fausse  monnaie ,  quelle 
que  itX  la  quality  des  auteurs.  » 

(2)  Procis^erlal,  p.  28,  ssq. 

(3)  Tit.  II,  art.  15;  voy.  aussi  art,  19,  20. 


220  l'ordonnance  de  1670. 

qu'au  nombre  de  sept  juges,  comme  d'ailleurs  toutes  les  sen- 
tences prevotales,  preparatoires ,  interlocutoires  at  definitives  (1). 

4°  Lorsqu'il  s'agissait  de  crimes  prev6taux  ;)ar  leur  nature,  et 
non  pas  par  la  qualite  des  personnes,  s'ils  avaient  ete  commis 
dans  les  villes  de  la  residence  des  prevots ,  ceux-ci  ne  pouvaient 
pas  en  connaitre.  Cette  disposition  rappelait  le  vrai  caractere 
de  I'institution.  Les  prevots,  «  guetteurs  de  chemins,  »  avaient 
ete  crees  pour  battre  la  campagne  dans  des  chevaucbees  inces- 
santes;  les  anciennes  Ordonnances  etaient  strictes  a  cet  egard. 
«  Allans  par  les  champs,  ne  sejourneront  en  un  lieu  plus  d'un 
jour,  si  ce  n'est  pour  cause  necessaire  (Orleans,  68;  Moulins, 
art.  43).  »  Appeler  les  prevots  a  juger  les  crimes  commis  dans 
les  villes  de  leur  residence,  eut  ete  les  engager  a  resider  effecti- 
vement. 

5°  Des  precautions  minutieuses  etaient  prises  pour  eviter  les 
desordres  et  les  malversations  (2) ;  en  particulier  on  devait 
dresser  inventaire  de  tout  ce  dont  le  captif  etait  trouve  saisi, 
et  cela  «  en  presence  de  deux  habitants  les  plus  proches  du  lieu 
de  la  capture,  qui  signeront  a  I'inventaire  (31.  » 

6°  On  donnait,  ou  plutot  on  confirmait,  aux  Presidiaux  le 
droit  de  prevention  sur  les  marechaux;  ils  connaissaient  des 
cas  prevotaux,  «  preferablement  aux  prevots  des  marechaux, 
lieutenants  criminels  de  robe  courte ,  vice-baillis  et  vice-sene- 
chaux ,  s'ils  ont  decrete  ou  avant  eux  ou  le  meme  jour ;  »  pour 
juger  en  dernier  ressort  ils  devaient  se  conformer  a  toutes  les 
regies  que  nous  venons  d'etablir.  Les  juges  ordinaires ,  pour  un 
cas  prevotal,  ne  pouvaient  qu'informer  et  decreter  en  cas  de 
flagrant  debt,  et  devaient  renvoyer  I'affaire  a  qui  de  droit. 

L'Ordonnance  de  1670  ne  devait  pas  Stre  le  dernier  mot  de 
I'ancien  droit  sur  cette  matiere;  en  1731  (5  fevrier)  fut  donnee 
une  Declaration  royale  sur  les  cas  prevotaux  et  presidiaux.  EUe 
comprenait  30  articles  et  etait  beaucoup  mieux  redigee  que  les 
titres  correspondants  de  I'Ordonnance.  EUe  distinguait  nettement 
pour  la  premiere  fois  les  cas  prevotaux  par  la  qualite  des  per- 

(1)  Tit.  n,  art.  18,  24. 

(2)  Voy.  tit.  u,  art.  10,  14. 

(3)  Tit.  II,  art.  9,  11. 


l'ordonnance  de  d670.  221 

sonnes  et  ceux  qui  I'etaient  par  la  nature  des  crimes.  Elle  etait 
aussi  sur  plusieurs  points  plus  douce  que  la  loi  ancienne  (1).  Les 
gentilshommes,  non  condamnes  anterieurement,  etaient  soustraits 
a  la  juridiction  prevotale  ou  presidiale  en  dernier  ressort.  —  Si 
nous  avons  assez  longuement  insiste  sur  la  juridiction  prevotale , 
ce  n'est  pas  seulement  a  cause  de  la  grande  place  qu'elle  tient 
dans  I'Ordonnance  et  dans  I'ancienne  societe  frangaise ;  mais 
aussi  parce  que  nous  la  verrons  reparaitre  au  commencement  du 
xix°  siecle,  pour  disparaitre  ensuite  a  tout  jamais. 

Pour  terminer  cet  expose  des  principes  sur  la  competence, 
disons  que  les  ecclesiastiques ,  gentilshommes ,  secretaires  du  roi 
et  offlciers  de  judicature  avaient  le  droit  d'etre  juges  dans  la 
«  Grand  Chambre  des  Parlements  et  non  dans  la  Tournelle 
criminelle...  sur  appel  seulement,  et  lorsqu'ils  demandoient 
d'etre  renvoyes  avant  que  les  opinions  aient  ete  entamees  en  la 
Tournelle  (2).  » 


II. 

L'Ordonnance  laissait  reposer  la  poursuite  sur  les  regies  qu'a- 
vait  etablies  la  jurisprudence  anlerieure.  Dorenavant  et  plus  que 
jamais,  il  est  vrai  de  dire  qu'il  n'y  a  qu'un  veritable  accusateur, 
le  procureur  du  roi  ou  du  seigneur;  la  partie  privee  ne  pent 
demander  que  des  dommages-interets.  Gependant  les  dernieres 
traces  du  vieux  systeme  accusatoire  n'avaient  pas  encore  disparu. 
Pour  les  delits  qui  ne  meritaient  pas  peine  afflictive,  la  tran- 
saction intervenue  entre  la  partie  lesee  et  le  coupable ,  arretait  et 
eteignait  encore  Taction  publique  (3).  Le  titre  III,  a  cote  des  d& 
nonciateurs,  parle  des  accusateurs  (4);  et  la  loi  place  toujours  les 
particuliers  en  premiere  ligne  pour  la  poursuite  des  crimes  : 
«  S'il  n'y  a  point  de  partie  civile  ,  les  proces  seront  poursuivis  a 
la  diligence  et  sous  le  nom  de  nos  procureurs  ou  des  procureurs 


(1)  Voy.  art.  17  et  20. 

(2)  Tit.  I,  art.  21,  22. 

(3)  Titre  xxv,  art.  19. 

(4)  Tit.  in,  Des  plaintes,  dinonciations  et  accusations. 


222  L'ORDdNNANCE  DE    1670. 

des  justices  seigneuriales  (1).  »  Le  ministere  public  n'a  I'air  de 
venir  qu'a  la  suite  at  a  defaut  des  plaignants;  mais  c'est  IS,  une 
vaine  apparence  ;  ou  plut6t,  si  cette  fagon  de  presenter  les  choses 
a  quelque  realite,  c'est  au  point  de  vue  fiscal;  s'il  y  a  une  partie. 
civile ,  c'est  elle  qui  fait  les  frais  du  proces ;  sinon  c'est  le  roi  ou 
le  seigneur  justicier  (2).  D'ailleurs  la  theorie  de  Taction  civile, 
telle  qu'elle  est  venue  jusqu'a  nous,  est  definitivement  arretee 
dans  ses  grandes  lignes ;  c'est  en  commentant  le  titre  des  Plaintes, 
que  nos  anciens  auteurs  en  ont  fait  cette  etude  si  ingenieuse  et 
si  approfondie,  qui  peut  encore  aujourd'liui  servir  de  modele. 

I.  L'Ordonnance  distingue  nettement  les  denoaciations  et  les 
plaintes.  Les  denonciateurs  s'adressent  au  procureur  du  roi;  ils 
ecrivent  et  signent  leur  denonciation,  ou  le  greffier  I'inscrit  en  leur 
presence;  plus  tard,  si  I'accuse  est  absous ,  ils  peuvent  etre  con- 
damnes  comme  calomniateurs  ou  imprudents ;  mais  ils  ne  figurent 
pas  dans  I'instance.  Quant  aux  plaintes,  laloi  innove.  Elles  pourront 
se  faire  par  requete  adressee  au  juge ,  lequel  y  repondra  (art.  1) , 
c'est  I'ancienne  demande  de  permission  d'informer;  ou  encore 
elles  seront  ecrites  par  le  greffier  en  presence  du  juge ;  mais  c'est 
toujours  au  juge  qu'il  faut  s'adresser.  L'Ordonnance,  fidele  a 
I'esprit  de  reforme  dans  lequel  elle  est  congue,  repousse  ici 
les  huissiers ,  sergents ,  archers  et  notaires.  Mais  voici  ce  qui 
etait  vraiment  nouveau  et  fecond.  Jusque-la  toute  plaints, 
etant  la  demande  d'une  permission  d'informer,  constituait  par 
la  meme  le  plaignant  a  I'etat  de  partie  civile,  lui  imposant  la 
lourde  charge  des  frais.  Les  particuliers  devaient  done  hesiter 
k  saisir  le  juge ;  ils  restaient  inactifs  ou  se  portaient  denoncia- 
teurs pres  du  procureur  du  roi,  qui  n'agissait  pas  toujours.  L'Or- 
donnance declare  que  «  les  plaigpants  ne  seront  reputes  parties 
civiles ,  s'ils  ne  le  declarent  formellement  par  la  plainte  (3).  »  On 
faisait  plus ;  jadis  la  constitution  de  partie  civile  n'avait  lieu  que 
par  une  plainte ;  on  ne  la  concevait  pas  intervenant  au  cours  du 
proces.  Dorenavant  elle  pourra  se  produire  dans  un  «  acte  sub- 
sequent qui  pourra  se  faire  en  tout  etat  de  cause.  »  Enfin,  par  une 

(1)  Tit.  Ill,  art.  8. 

(2)  Tit.  XXV,  art.  16,  17. 

(3)  Tit.  Ill,  art.  5. 


l'ordonnance  de  1670.  223 

derniere  faveur,  on  permettait  a  la  partie  civile  de  se  desister 
((  dans  les  vingt-quatre  heures  et  non  apres ;  »  et  en  cas  de  desis- 
tement  elle  n'etait  point  tenue  des  frais  faits  posterieurement. 
C'etaient  autant  d'innovations  contenues  dans  un  seul  article ; 
elles  etaient  heureuses,  et  le  president  de  Lamoignon  le  remarqua : 
«  II  dit  que  I'article  est  nouveau ,  mais  qu'il  parait  bon  (1).  » 

Le  juge  etant  saisi,  il  s'agissait  tout  d'abord  pour  lui  de  cons- 
tater  le  corps  du  delit,  et  I'Ordonnance  contenait  des  prescriptions 
tres-sages  sur  les  proces-verbaux  des  juges ,  et  sur  les  rapports 
des  medecins  et  chirurgiens  (2). 

II.  Le  titre  VI,  dans  cette  loi,  qui  jusqu'ici  suivait  I'ordre  chro- 
nologique  des  faits,  etait  consacre  aux  informations,  et  c'etaitla  par- 
tie  capitale  du  proces.  Le  principe  du  secret  de  la  procedure  etait 
rigoureusement  suivi  :  «  Les  temoins  seront  ouis  secretement 
et  separ6ment  (3).  —  Defendons  aux  greffiers  de  communiquer 
les  informations  et  autres  pieces  secretes  du  proces  (4).  »  Ces 
dispositions  semblaient  tellement  'naturelles  qu'elles  ne  souleve- 
rent  aucune  observation.  Mais  a  c6te  de  cette  sev6rite  tradi- 
tionnelle ,  I'Ordonnance  contenait  des  reformes  de  detail  excel- 
lentes.  On  abolissait  entierement  I'usage  de  faire  informer  «  par 
un  sergent  et  un  notaire.  »  Dorenavant  la  deposition  sera  ecrite 
«  par  un  greffier  en  presence  du  juge  (5).  »  —  Les  temoins,  avant 
de  deposer,  devaient  faire  '<  apparoir  I'exploit  qui  leur  aura  ete 
donne  pour  deposer,  dont  sera  fait  mention  dans  leurs  deposi- 
tions. »  C'etait  un  moyen  de  faire  respecter  la  regie  qui  voulait 
que  les  temoins  ne  fussent  administres  que  par  la  partie  publique 
et  par  la  partie  civile  (6) ;  pour  eviter  que  des  temoins  de  I'accuse 
ne  se  glissassent  dans  le  nombre,  il  etait  necessaire  de  faire 
produire  la  citation  (7).  —  Le  serment  a  faire  preter  aux  te- 

(1)  Procis-^erbal,  p.  66. 

(2)  Tit.  IV  et  T. 

(3)  Tit.  VI,  art.  11. 

(4)  Tit.  VI,  art.  IS.     . 

(5)  Tit.  VI,  art.  9,  cf.  art.  6. 

(6)  Tit.  VI,  art.  1. 

(7)  Cette  disposition  a  61&  reproduite  dans  le  Code  d'Instruotion  criminelle 
(art.  74);  mais  elle  n'a  pas  la  mfime  valeur,  I'accusi  ou  prSvenu  pouvant  toujours 
citer  a  I'audience  les  temoins  a  d^cbarge. 


224  l'ordonnance  de  1670. 

moins  ,  les  questions  a  leur  poser,  la  lecture  des  depositions ,  la 
defense  de  laisser  des  interlignes ,  la  necessite  d'approuver  les 
ratures,  la  tenue  materielle  du  registre  (art.  5,  9,  11,  12),  tout 
etait  calcule  pour  que  I'information ,  cette  piece  si  importante , 
ftit  sincere  et  non  alteree ;  toutes  ces  prescriptions  etaient  impo- 
sees  a  peine  de  nullite. 

La  taxe  des  temoins  etait  faite.par  le  juge  (art.  13).  Le  projet 
des  commissaires  ajoutait  que  le  paiement  serait  fait  par  les 
mains  du  greffier,  defendant  aux  parties  de  rien  donner  en 
plus ;  mais  le  Premier  president  fit  observer  "  que  les  temoins 
sont  quelquefois  eloignes ;  et  si  les  parties  ne  prennent  soin  de 
les  faire  venir  et  de  payer  la  depense  de  leur  voyage,  ils  neglige- 
ront  de  se  trouver  aux  assignations.  »  On  supprima  les  mots 
«  par  la  main  du  greffier,  »  defendant  seulement  aux  parlies 
de  rien  donner  au  dela  de  la  taxe.  Lamoignon  avail  conlribue 
a  maintenir  un  abus. 

Apres  les  informations,  les  monitoires  (tit.  VII).  Les  juges 
decernaient  la  permission  de  les  obtenir,  et  I'official  devait 
obeir.  Cela  etait  possible  «  alors  meme  qu'il  n'y  avoit  aucun 
commencement  de  preuve  ou  refus  de  deposer  des  temoins;  » 
c'etait  exorbitant,  d'autant  qu'il  etait  dit  que  le  jugement  qui 
interviendrait  sur  I'opposition,  s'il  y  en  avail  une,  serait  execute 
nonobstant  «  appellation  meme  comme  d'abus.  »  Lamoignon  fit 
observer  «  que  Ton  ne  commence  pas  I'instruction  d'un  proces 
par  un  monitoire  (1);  »  mais  tout  passa. 

III.  L'information ,  si  elle  contenait  des  charges,  donnait  lieu 
au  Mcret,  qui  devait  toujours  etre  rendu  sur  les  conclusions  du 
procureur  du  roi  (2).  Le  projet  decidait  que  pour  ces  conclusions 
il  ne  pourrait  etre  reclame  «  ni  epices  ni  droits.  »  Lamoignon 
protesta.  Pussort  eut  beau  dire  "  que  le  roi  n'avoit  point  eu 
en  vue  de  diminuer  les  emoluments  de  ses  officiers,  mais  bien 
de  retrancher  les  proces,  en  leur  otant  I'occasion  de  requerir 
des  decrets  avec  trop  de  facilite  et  sans  beaucoup  de  fonde- 
ment  (3) ;  »  la  disposition  fut  supprimee. 

(1)  Procis-verhal ,  p.  74. 

(2)  Tit.  X,  art.  1. 

(3)  Procds-verbal,  p.  108. 


l'ordonnance  de  1670.  225 

L'Ordonnance  admettait  trois  sortes  de  decrets,  celui  d'as- 
signe  pour  etre  oui,  celui  d'ajournement  personnel ,  et  celui  de 
prise  de  corps.  Le  premier,  que  nous  n'avons  pas  trouve  dans 
Imbert,  avait  ete  introduit  par  la  jurisprudence;  il  etait  plus 
doux  que  rajournement  personnel,  en  ce  qu'il  n'entrainait  point, 
comme  ce  dernier,  I'interdiction  d'exercer  toutes  fonctions  (1). 
Pour  choisir  entre  ces  differents  decrets ,  il  fallait  se  rapporter 
a  la  qualite  des  crimes,  des  preuves  et  aussi  «  des  personnes;  )> 
on  ne  pouvait  decemer  un  decret  de  prise  de  corps  centre  un 
domicilie,  «  si  ce  n'est,  pour  peine  afflictive  ou  infamante.  » 
Le  decret  d'assigne  pour  etre  oui',  faute  de  comparution,  etait 
converti  en  decret  d'ajournement  personnel ,  et  celui-ci ,  dans  le 
meme  cas ,  en  decret  de  prise  de  corps  (2) ,  a  moins  que  I'accuse 
n'eiit  fait  valoir,  dans  les  formes  determinees  par  le  litre  XI,  un 
empechement  ou  excuse.  C'etaient  la  les  «  essoines  des  accuses;  » 
et  c'est  la  derniere  fois  que  cette  sorte  d'exception  dilatoire,  si 
importante  jadis  dans  la  procedure  f6odale,  paraitra  dans  nos 
lois  avec  son  sens  propre  (3). 

Les  decrets  ne  pouvaient  etre  decernes  sans  information  pre^ 
cedente;  c'etait  un  principe  general,  mais  il  subissait  bien  des 
exceptions,  non-seulement  en  cas  de  flagrant  debt,  mais  aussi 
dans  d'autres  hypotheses  moins  favorables.  «  Pourra  etre  de- 
cerne  prise  de  corps  sur  la  seule  notorite  pour  crime  de  duel , 
sur  la  plainte  de  nos  procureurs  centre  les  vagabonds,  et  sur 
celle  des  maitres  pour  les  crimes  et  debts  domestiques  (4).  » 

(1)  Tit.  X,  art.  10  et  12. 

(2)  Tit.  X,  art.  3  et  4. 

(3)  Si  celui  qui  6tait  personnellement  ajourn^  comparaissait,  on  ne  pouvait  I'em- 
prisonner  a  moins  qu'il  ne  survlnt  de  nouvelles  charges  (art.  7) ;  ou  que  «  par 
deliberation  secrfete  de  nos  cours,  il  ait  6t6  rfisolu  qu'en  comparaissant  il  sera 
arrfite,  ce  qui  ne  pourra  fitre  ordonn^  par  aucun  autre  de  nos  juges.  »  —  Ce  re- 
tentmm  indique  bien  I'esprit  de  cette  procedure,  qui  souvent  joue  au  plus  fin  avec 
I'accuse. 

(4)  Tit.  X,  art.  8,  of.  art.  5  et  6.  —  Les  decrets  pouvaient  etre  decernes  par 
le  juge  d'instruction  seul.  Bornier  les  considerait,  il  est  vrai,  comme  nuls  « lors- 
qu'ils  etaient  rendus  par  un  seul  juge  sans  autres  opinants,  »  p.  348;  mais  I'opi- 
nion  contraire  etait  dominante.  «  Les  decrets  se  rendent  ordinairement  par  le 
juge  d'instruction.  >•  Jousse,  Comment.,  p.  187.  —  «  L'usage  contraire  prouve 
assez  que  le  sentiment  de  Bornier  n'est  pas  conforme  aux  rdgles.  »  Serpillon . 
Code  crim.,  p.  532. 

15 


226  l'oedonnance  de  1670. 

Le  decret  de  prise  de  corps  constituait  I'accuse  en  6tat  de 
detention  preventive;  et,  pour  que  relargissement  eftt  lieu,  il 
fallait  toujours  une  ordonnance  du  juge  (art.  23).  Mais  la  miss 
en  liberte  provisoire  sous  caution  n'etait  pas  possible  toutes 
les  fois  qu'il  y  avait  reglement  a  I'extraordinaire  (1).  Cepen- 
dant,  apres  I'interrogatoire ,  s'il  n'y  avait  eu  k  I'origine  qu'un 
ajournement  personnel ,  et  que  le  decret  de  prise  de  corps  n'eiit 
ete  rendu  que  faute  de  comparaitre,  on  pouvait  elargir  rac- 
cuse  (art.  21).  Cette  loi  etait  fort  dure,  et  menageait  tres-peu 
la  liberte  individuelle ;  pourtant  elle  etait  plus  precise  qu'aucune 
des  Ordonnances  qui  I'avaient  precedee,  et  contenait  quelques 
garanties.  Les  procureurs  du  roi  etaient  tenus  d'envoyer  deux 
fois  par  an  aux  procureurs  generaux  un  «  etat ,  signe  des  lieu- 
tenants criminels  et  par  eux,  des  ecroues ,  et  recommandations 
faites  pendant  les  six  mois  precedents  es  prisons  de  leur  siege , 
et  qui  n'avoient  point  ete  suivies  d'un  jugement  definitif ,  conte- 
nant  la  date  des  decrets ,  ecroues ,  recommandations ,  le  nom, 
surnom ,  qualite  et  demeure  des  accuses  et  sommairement  le  titre 
de  I'accusation  et  I'etat  de  la  procedure  (2).  »  C'etait  la  une 
mesure  excellente,  et  elle  a  inspire  certainement  les  articles 
249  et  250  du  Code  d'Instruction  criminelle. 

Les  redacteurs  de  I'Ordonnance,  apres  avoir  parle  des  decrets, 
etaient  tout  naturellement  amenes  a  se  preoccuper  de  la  police 
des  prisons;  c'est  ce  qu'ils  firent  dans  le  titre  XIII. 

Aux  XVII*  et  xviii°  siecles ,  les  prisons  furent  d'atroces  sejours. 
«  Osez  descendre  un  moment  dans  ces  noirs  cachets ,  oi  la  lu- 
miere  du  jour  ne  penetre  jamais ,  et  sous  des  traits  defigures 
contemplez  vos  semblables ,  meurtris  de  leurs  fers ,  a  demi 
converts  de  quelques  lambeaux ,  infectes  d'un  air  qui  ne  se  re- 
nouvelle  jamais  et  semble  s'imbiber  du  venin  du  crime ,  roughs 
vivants  des  memes  insectes  qui  devorent  les  cadavres  dans  leurs 
tombeaux,  nourris  k  peine  de  quelques  substances  grossieres 
distribuees  avec  epargne,  sans  cesse  consternes  des  plaintes 
de  leurs  malheureux  compagnons  et  des  menaces  de  leurs  gar- 

(l)Tit.  XV,  art.  12. 
(2)  Tit.  X,  art.  20. 


l'ordonnance  de  1670.  227 

diens  (i).  »  G'est  un  magistral  qui  parle  ainsi  dans  un  discours 
de  rentree,  et  sous  Famplification  oratoire  on  sent  la  verity 
poignante.  Voltaire  dira  aussi  :  «  II  ne  faut  pas  qu'une  prison 
ressemble  a  un  palais,  il  ne  faut  pas  non  plus  qu'elle  ressemble 
a  un  charnier.  On  se  plaint  que  la  plupart  des  ge61es  en  Europe 
soient  des  cloaques  d'infection,  qui  repandent  des  maladies  et 
la5  mort ,  non-seulement  dans  leur  enceinte ,  mais  dans  le  voisi- 
nage.   Le  jour  y  manque,  I'air  n'y  circule  point.  Les  detenus 
ne  se  communiquent  que  des  exhalaisons  empestees.  lis  eprou- 
vent  un  supplice  cruel  avant  d'etre  juges.  La  charite  et  la  bonne 
police  devraient  remedier  a  cette  negligence  inhumaine  et  dan- 
gereuse  (2).  »  Dans  le  meme  sens  les  cahiers  de  1789  fournis- 
sent   un   temoignage    irrecusable.   Le    Tiers -Etat    demande    a 
I'unanimite  que  «  les  prisons  soient  saines  et  sures ,  qu'elles 
n'alterent  plus  la  sante  des  detenus  et  qu'il  y  soit  etabli  des 
infirmeries  (3).  »  —  Memes  reclamations  dans  les  cahiers  de  la 
Noblesse  :  «  les  prisons*  dit  I'un  d'eux,  sont  dans  un  etat  in- 
humain  et  indecent  (4).  »  Le  Clerge  eleve  sa  voix  avec  une 
force  egale  :  «  que  les  prisons ,  oii  gemit  trop  souvent  I'innocent 
a  cote  du  coupable,  cessent  d'etre,  centre  I'intention  de  la  loi,  ~ 
un  s^jour  d'horreur  et  d'infection ;  que  les  malheureux  y  jouis- 
sent  au  moins  d'un  air  salubre ,  d'une  nourriture  saine  et  suffi- 
sante;  que  les  infirmeries  des  prisons  soient  aerees,  et  tene- 
ment disposees  qu'on  y  puisse  faire  le  service  des  malades  (5).  » 
Ce  sont  la  des  faits  incontestables ;  cependant  il  ne  faudrait 
point  croire  que  les  legislateurs  et  les  magistrats  de  I'ancienne 
France  se  montrassent  indifferents  au  sort  des  prisonniers.  Cette 
durete  de  regime  et  ces  souiTrances  leur  semblaient  naturelles 
et  necessaires;   mais  d'autre  part  on  prenait  des  precautions 
multiples  pour  empecher  les  malversations  et  les  vexations  de 
la  part  des  gedliers.  Certains  usages  des  Cours  avaient  quel- 
que  chose  de  touchant.   C'est  ainsi  que  la  Tournelle  du  Par- 

(1)  Servan  :  Discours,  etc.,  p.  14. 

(2)  Idee  de  la  justice  et  de  I'humaniU,  art.  xxv. 

(3)  Prudhomme  :  Risumi  des  cahiers.  III,  p.  588 ,  173,  174. 

(4)  Prudhomme  :  op.  cit.,  t.  II,  p.  152  et  411. 

(5)  Prudhomme  :  op.  cit.,  I,  p.  165  et  357. 


228  l'oedonnance  de  1670. 

lement  de  Paris  tenait  tous  les  ans,'  la  veille  de  I'Ascension,  une 
seance  au  Chatelet  pour  recevoir  les  plaintes  et  s'inquieter  du 
sort  des  prisonniers  (1).  Les  Parlements  faisaient  souvent  des 
reglements  pour  la  police  des  prisons  de  leur  ressort ;  celui  du 
Parlement  de  Paris,  du  1"  septembre  1717,  est  celebre  et  fort 
etendu. 

C'est  le  meme  sentiment  qui  inspira  les  redacteurs  de  I'Or-' 
donnance.  Dans  le  titre  XIll,  nous  trouvons  peu  de  dispositions 
concernant  la  question  p^nitentiaire ,  comme  nous  dirions  aujour- 
d'hui.  Les  hommes  et  les  femmes  devront  etre  separes  (art.  20); 
les  guichetiers  visiteront  tous  les  jours  les  prisonniers  dans  les 
cachots,  et  devront  indiquer  ceux  qui  sont  malades,  pour  qu'ils 
soient  visites  par  les  medecins  et  au  besoin  trarisferes  dans  des 
chambres  (art.  21);  on  donnera  aux  prisonniers  «  du  pain,  de 
I'eau  et  de  la  paille  bien  conditionnes ,  suivant  les  reglements 
(art.  25).  »  C'est  tout.  Presque  tous  les  autres  articles  ont  pour 
but  de  reprimer  les  vexations  des  gardiens  :  ils  revelent  des 
desordres  graves  et  surtout  une  venalite  honteuse  (art.  2,  6, 
7,  9,  15,  19,  10,  11,  14,  18,  22,  28,  30,  33).  A  chaque  instant, 
on  defend  aux  geoliers  de  prendre  de  I'argent  pour  des  actes 
obligatoires  de  leur  ministere.  II  est  ordonne  aux  procureurs  du 
roi  ou  des  seigneurs  «  de  visiter  les  prisons  une  fois  chaque  se- 
maine ,  pour  y  recevoir  les  plaintes  des  prisonniers  (art.  25)  (2). » 

IV.  L 'accuse,  cite  ou  prisonnier,  devait  etre  interroge  par 
le  juge.  C'etait  un  acte  des  plus  importants.  Nous  verrons  que 
dans  la  plupart  des  cas,  sans  I'aveu  de  I'accuse,  on  ne  pouvait*; 
pas  prononcer  les  peines  les  plus  graves.  Aussi,  dans  cette 
procedure  secrete ,  I'art  d'interroger  etait  une  qualite  tout  a  fait 
precieuse  chez  le  magistrat  instructeur.  Les  auteurs  des  traites 

(1)  «  Le  jeudi  de  I'Ascension ,  grande  f6te  de  I'aanfie ,  le  Parlement  tient  sa 
seance  au  ChStelet  pour  les  prisonniers.  C'est  le, president  a  mortier  dernier  re^u 
qui,  a  dix  heures  et  demie ,  se  transporte  au  Ch4telet  avec  les  conselUers  de  la 
Tournelle;  quand  ils  arrivent  I'audience  cesse,  le  lieutenant  civil  quitte  sa  place,  ' 
et  pendant  que  le  Parlement  tient  I'audience ,  le  lieutenant  civil ,  le  lieutenant  de 
police,  le  lieutenant  criminel ,  le  procureur  du  roi,  le  lieutenant  criminelde  robe 
courte  sont  dans  le  banc  des  gens  du  roi ,  pour  toe  en  6tat  de  rfipondre  s'il  y 
avait  quelque  plainte  contre  eux.  »  Barbier;  Journal,  II,  p.  328. 

(2)  Comparez  les  art.  610  et  suivants  du  Code  d'Instruction  criminelle. 


l'ordonnance  de  1670-  229 

de  droit  criminel  exposaient  a  ce  sujet  une  serie  de  preceptes 
devenus  classiques ,  fruits  de  I'experience  et  de  la  meditation. 
Les  observations,  dont  Jousse  a  fait  preceder  le  titre  XIV  de 
rOrdonnance ,  sont  restees  comme  le  plus  judicieux  de  ces  petits 
traites ,  qui  rappellent  vaguement  les  manuels  du  confesseur. 

Une  amelioration  legere  §tait  apportee  dans  la  pratique  des 
interrogatoires ,  qui  devaient  etre  commences  dans  les  vingt- 
quatre  heures  de  I'emprisonnement  au  plus  tard ;  mais  les  regies 
severes  introduites  par  la  jurisprudence  et  les  Ordorinances  an- 
ciennes  etaient  maintenues  et  meme  renforcees.  L'inte^rrogatoire 
devait  avoir  lieu  en  secret,  devant  le  juge  et  son  greffier.  Le 
serment  introduit  par  I'usage,  etait  formellement  impose  a  I'ac- 
cuse  (art.  7). 

lei ,  on  le  salt ,  intervint ,  dans  les  conferences  preparatoires , 
une  discussion  memorable.  Le  president  de  Lamoignon  montra 
toute  la  hauteur  de  sa  grande  ame ,  et  on  crut  entendre  la  voix 
des  anciens  magistrats,  dont  il  cita  les  exemples.  II  lutta  de  toutes 
ses  forces  pour  faire  ecarter  la  necessite  du  serment :  il  montra 
que  ce  n'etait  qu'un  simple  usage,  qui  s'etait  introduit ,  «  comme 
ces  choses  dont  on  ne  connoit  pas  bien  ni  I'origine  ni  la  raison.  » 
II  rappela  la  saintete  du  serment.  «  S'il  est  obligatoire ,  c'est  en- 
gager infailliblement  I'accuse  a  commettre  un  nouveau  crime ,  et 
ajouter  au  mensonge ,  qui  est  inevitable  dans  ces  rencontres  ,  un 
parjure  qui  se  pourroit  eviter.  S'il  n'est  pas  obligatoire,  c'est 
prendre  le  nom  de  Dieu  en  vain.  »  —  «  En  France  tout  le  monde 
dit  qu'il  faut  le  faire  ainsi  sans  examiner  pourquoi  on  le  fait; 
car  il  n'y  a  aucun  des  peuples  dont  nous  avons  tire  toutes  nos 
bonnes  maximes,  qui  I'ait  pratique  ainsi.  »  II  fit  voir  "  que  le 
droit  civil,  bien  loin  de  I'autoriser,  y  etoit  certainement  contraire, 
et  que  meme  dans  le  droit  canonique ,  avant  qu'il  fut  embrouille 
des  formalites  de  I'inquisition ,  il  n'y  en  avait  pas  la  moindre 
trace ;  »  il  fit  remarquer  que  la  Caroline  n'en  parlait  pas ,  et  que 
dans  les  Pays-Bas  tout  au  moins  il  n'avait  pu  s'introduire.  II 
invoqua  enfln  la  tradition  de  I'ancienne  magistrature  francaise. 
«  Nul  n'est  tenu  de  se  condamner  soi-meme  par  sa  bouche ,  » 
avait  ditle  president  Lemaitre;  et  de  Thou,  «  dont  la  memoire 
est  en  si  grande  veneration  au  pa,lais  et  partout  ailleurs...  inter- 


230  l'oedonnance  de  1670. 

rogeant  ua  accuse  de  crime  qualifle ,  ne  voulut  jamais  lui  faire 
preter  serment,  pares  qu'il  n'y  avoit  aucune  Ordon  nance  qui 
obligeat  les  juges  de  I'exiger  de  I'accuse^  et  qu'il  ne  vouloit  pas 
I'engager  a  un  parjure  manifesto  (1).  » 

Pussort  chercha  a  refuter  cette  vigoureuse  argumentation; 
mais  il  fut  tres-faible.  «  On  ne  convient  pas  des  principes  qui 
ont  este  avances ,  n'etant  jamais  permis  en  aucun  cas  de  fairs 
un  mal  afm  qu'il  arrive  au  plus  grand  bien ;  la  loi  naturelle  etant 
combattue  par  celle  du  Christianisme,  elle  lui  doit  naturellement 
ceder,  personne  ne  revoquant  en  doute  que  la  mort  ne  soit  pre- 
ferable i  un  peche  mortel...  I'usage  du  serment  est  tres-ancien 
et  s'observoit  avant  I'Ordonnance  de  1539...  et  I'usage  en  est 
d'autant  plus  solennel  qu'il  a  este  establi  sans  loi...  il  n'est  pas 
meme  entierement  inutile...  il  se  trouvoit  des  consciences  ti- 
morees  que  la  crainte  du  parjure  pouvoit  entrainer  a  reconnoitre 
la  verite.  »  M.  Talon  vint  au  secours  de  Pussort,  il  soutint 
«  qu'en  Espagne ,  en  Italie ,  et  Ton  pent  dire  parmi  toutes  les 
nations  de  I'Europe  on  fait  prater  le  serment  aux  accuses  avant 
de  les  interroger...  Cette  difficulte,  dit-il,  aiant  este  levee,  il  est 
absolument  necessaire  d'en  faire  un  article  d'Ordonnance.  »  La- 
moignon ,  a  qui  Ton  n'avait  point  repondu  en  realite ,  demanda 
qu'on  en  parlftt  au  roi ;  le  roi  maintint  I'article. 

Mais  il  ne  suffit  pas  qu'une  chose  soit  commandee  pour  qu'elle 
soit  executee.  Comment  faisait-on  si  I'accuse  refusait  de  preter 
serment?  L'Ordonnance  avait  prevu  I'hypothese  oil  I'accuse  re- 
fusait absolument  de  repondre  (2) ;  elle  decidait  qu'on  lui  ferait 
alors  son  proces  comme  a  un  muet  volontaire  (3).  Apres  trois 


(1)  Procis-verbal,  p.  153,  159. 

(2)  Titre  xriii ,  Des  muets  et  sourds  et  de  ceux  qui  refusent  de  ripondre. 

(3)  On  n'admettait  point  qu'un  present  p(it  6tre  contumax.  «  II  y  avoit  au- 
trefois une  contiimace  de  presence  qui  6toit  celle  qui  s'instruisoit  oontre  les  muets 
volontaires ,  mais  cette  forme  de  procedure  fut  biamee  par  arrfet  du  Parlement 
de  Paris  du  1"  dScembre  1663.  »  Serpillon  :  Code  crim.,  p.  900.  —  «  Ancienne- 
ment  on  donnoit  un  curateur  aux  muets  volo«taires ,  mais  I'Ordonnance  a  cru 
devoir  abroger  cet  usage,  et  les  priver  d'un  secours  dont  ils  se  rendent  indi- 
gnes. »  Muyart :  Instr.  crm.,  1™  part.,  p.  684.  —  «  L'usage  du  Chatelet  a  change 
dans  les  diff^rents  temps  sur  la  forme  de  faire  le  procfes  aux  muets  volontaires ; 
anciennement  on  leur  cr^oit  un  curateur,  mais  on  y  a  reconnu  de  rinconvenient 


l'ordonnance  de  1670.  231 

interpellations  d'avoir  a  repondre  et  trois  avertissements  sur 
les  consequences  de  ce  mutisme,  le  juge  passait  outre,  consta- 
tant ,  toutes  les  fois  qu'il  y  avait  lieu  de  faire  comparaitre  I'ac- 
cuse,  qu'il  refusait  de  parler.  Tous  les  actes  etaient  valables 
cependant ,  et  quand  meme  I'accuse  voulait  repondre  plus  tard , 
on  ne  recommensait  rien ,  pas  meme  la  confrontation.  Cette  pro- 
cedure tres-rigoureuse ,  plus  dure  que  celle  suivie  en  cas  de 
contumace ,  fournissait  un  moyen  de  contraindre  indirectement 
I'accuse  au  serment.  On  assimilait  a  un  muet  volontaire  celui 
qui  etait  pret  a  jrepoadre,  mais  sans  preter  serment.  C'est 
ce  que  decidait  Jousse;  apres  avoir  parle  du  muet  volontaire, 
il  ajoute  :  «  il  en  est  de  m^me  si  I'accuse  refuse  de  preter  le 
serment,  comme  cela  arrive  quelquefois  (1).  »  Et  Serpillon,  en 
protestant  centre  cette  jurisprudence,  semble  bien  la  constater. 
«  On  ne  pent  regarder  comme  tel  (comme  muet  volontaire)  celui 
qui  repond  en  disant  qu'il  ne  veut  pas  prater  serment;  il  ne 
refuse  pas  de  repondre,  il  ne  fait  pas  le  muet,  et  il  n'y  a  aucune 
peine  prononcee  contre  celui  qui  refuse  de  preter  serment.  II 
est  cependant  vrai  que  MM.  les  commissaires  du  Parlement  de 
Paris ,  dans  la  procedure  de  I'infame  Damiens ,  firent ,  le  8  fe- 
vrier,  trois  interpellations  a  cet  accuse  de  preter  le  serment 
qu'il  refusa ;  ce  qui  prouve  leur  usage  a  cet  egard  (2).  » 

L'assistance  des  conseils  etait  de  nouveau  interdite  par  I'Or- 
donnance ;  les  accuses  devaient  toujours  repondre  par  leur  bou- 
che.  .Cela  s'appliquait  non-seulement  au  premier  interrogatoire , 
oil  cela  pouvait  tres-bien  se  concevoir,  mais  encore  a  tout  le 
cours  de  I'instruction ,  soit  devant  le  lieutenant  criminel,  soit 
devant  le  siege  assemble.  Cependant,  s'il  s'agissait  d'un  crime 
non  capital ,  «  les  juges  pouvaient ,  apres  I'interrogatoire ,  per-  , 
mettre  de  communiquer  avec  qui  bon  leur  semblera,  »  sans 
qu'il  ptit  jamais  etre  question  d'une  defense  traduite  dans  un 
plaidoyer.  S'agissait-il,  au  contraire,  d'un  crime  capital,  toute 
communication  etait  interdite  «  nonobstant  tous  usages  contraires 

en  ce  qu'il  falloit  recommencer  la  procedure  lorsque  I'accus^  ofTroit  de  repondre 
par  sa  bouche.  »  M.  Talon  :  Procis-verbal,  p.  217. 

(1)  Comment.,  p.  384. 

(2)  Code  crim.,  p.  902. 


232  l'ordonnance  de  1670. 

que  nous  abrogeons,  si  ce  n'est  pour  crime  de  peculat,  con- 
cussion ,  banqueroute  frauduleuse ,  vol  de  commis  ou  associes 
en  matiere  de  finance  ou  de  banque ,  a  I'egard  desquels  crimes 
las  juges  pourront  ordonner,  si  la  matiere  le  requiert ,  que  les 
accuses,  apres  I'interrogatoire ,  communiqueront  avec  leurs  com- 
mis. »  Tel  etait  le  projet  propose  :  en  ayant  I'air  d'edicter  une 
prohibition  moins  absolue  que  celle  de  I'Ordonnance  de  1539, 
on  rencherissait  en  realite  sur  cette  derniere,  dont  les  termes 
un  peu  vagues  laissaient  un  certain  pouvoir  aux  juges.  Lamoi- 
gnon  ici  encore  eleva  la  voix  en  faveur  des  accuses.  «  Get  ar- 
ticle defend  aux  juges  de  donner  conseil  aux  accuses,  meme 
apres  la  confrontation,  ce  qui  est  nouveau  et  rigoureux  envers 
les  accuses.  »  Prenant  en  main  la  cause  de  la  libre  defense,  il 
prononfa  des  paroles,  qui  semblent  antidatees  d'un  siecle.  «  Si 
le  conseil  a  sauve  quelques  coupables ,  il  pourroit  arriver  aussi 
que  des  innocents  periroient  faute  de  conseil.  —  Entre  tons  les 
maux  qui  peuvent  arriver  dans  I'administration  de  la  justice, 
aucun  n'est  comparable  k  celui  de  faire  mourir  un  innocent ,  at 
il  vaudroit  mieux  absoudre  mille  coupables.  —  Ce  conseil  qu'on  ' 
.a  accoutume  de  donner  aux  accuses  n'est  point  un  privilege 
accorde  par  les  Ordonnances  ni  par  les  lois,  c'est  une  liberte 
acquise  par  le  droit  naturel ,  qui  est  plus  ancien  que  toutes  les 
lois  humaines.  —  Nos  Ordonnances  ont  retranche  aux  accuses 
tant  d'avantages  qu'il  est  bien  juste  de  leur  conserver  ce  qui  leur 
reste.  —  Si  on  vouloit  comparer  notre  procedure  a  celle  des  Re- 
mains et  des  autres  nations,  on  trouveroit  qu'il  n'y  en  avoit 
point  de  si  rigoureuse  que  celle  qu'on  observe  en  France ,  parti- 
culierement  depuis  I'Ordonnance  de  1539.  —  On  pouvoit  bien  or- 
donner en  general  que  les  juges  ne  donneroient  point  de  conseil 
aux  accuses  que  pour  les  crimes  meles  de  beaucoup  de  fails, 
mais  il  paroissoit  extremement  dangereux  de  declarer  en  par- 
ticulier  quels  etoient  ces  crimes,  et  d'en  exclure  par  la  tous  les 
autres  (1).  » 

En  face  de  Lamoignon ,  Pussort  se  fit  de  nouveau  I'avocat  de 
la  repression  inflexible  :  «  I'experience  faisoit  connoilre  que  le 

(1)  Prods-verbal,  p.  162-164. 


l'Ordonnance  de  1670.  233 

conseil  qui  etoit  donne  se  faisoit  honneur  et  se  croyoit  permit 
en  toute  stirete  de  conscience  de  prouver  par  toutes  voies  I'iin- 
punite  de  I'accuse.  »  II  osa  rappeler  le  proces  du  chancelier 
Poyet  pour  marquer  la  portee  de  I'Ordonnance  de  1539.  a  II  est 
vrai ,  dit-il ,  que  le  silence  de  I'Ordonnance  a  ete  interprete'  dif- 
feremment...  cela  a  donne  lieu  aux  juges  d'en  user  differemment, 
les  uns  refusant  (le  conseil)  absolument,  les  autres  I'accordant 
a  toutes  sortes  d'accusations ,  et  d'autres  seulement  en  certains 
cas...  L'on  sait  combien  ces  sortes  de  conseils  sont  feconds  |en 
ouvertures  pour  former  des  conflits  de  juridiction ,  combien  ils 
inventent  de  subtilites  pour  trouver  des  nuUit'es  dans  les  proce- 
dures et  pour  faire  naitre  une  infinite  d'incidents.  Cependant, 
comme  on  ne  refuse  rien  a  un  accuse,  et  qu'il  faut  lire  toutes 
les  pieces  du  proces,  aussi  bien  celles  qui  vont  a  sa  decharge 
que  celles  qui  sont  a  sa  conviction,  pourvu  qu'il  ait  moien  de 
faire  travailler  beaucoup  d'avocats  et  de  fournir  aux  frais,  les 
expedients  ne  manquent  pas  pour  immortaliser  son  proces. 
Ainsi,  c'est  proprement  aux  riches  et  pour  I'impunite  que  le 
conseil  est  accorde  (1).  »  Ici,  comme  I'a  fait  observer  un  eminent 
criminaliste ,  Pussort  se  trouvait  en  face  d'une  verite  d'expe- 
rience.  Par  une  logique  necessaire,  il  se  fait  que  la  procedure 
ecrite  et  secrete,  surchargee  de  formalites  pour  pouvoir  me- 
riter  encore  le  nom  de  procedure ,  offre  a  la  chicane  un  terrain 
admirablement  prepare. 

M.  Talon  proposa  un  temperament.  II  voulait  qu'on  exclut  le 
conseil  d'une  facon  generale  «  dans  les  causes  qui  dependent 
purement  des  tesmoins ,  »  mais  que  d'une  facon  generale  aussi , 
et  sans  proceder  a  une  enumeration  dangereuse ,  on  Taccordat 
((  dans  les  accusations  oii  il  y  a  des  pieces  rapportees  pour  la 
conviction  de  I'accuse  et  ou  il  pent  en  produire  pour  sa  de- 
fense. »  II  cita  comme  exemples  les  suppositions  de  part  et  de 
personnes,  et  voulait  qu'on  ajoutat  cette  clause  :  «  et  autres 
de  cette  nature.  »  L'article  passa  avec  cette  modification  :  on 
ajouta  aux  cas  ou  le  defenseur  serait  admis  «  les  suppositions  de 
part  et  autres  crimes ,  ou  il  s'agisse  de  I'etat  des  personnes  (2).  » 

(1)  Procis-verbal,  p.  164-165. 

(2)  Tit.  XIV,  art.  8. 


234  l'ordonnance  de  1670. 

Pour  assurer  les  droits  de  la  defense ,  on  crut  assez  faire  eu  ins- 
crivant  cette  reserve  dans  le  texte  :  «  Laissons  au  devoir  et  a 
la  religion  des  juges  d'examiner  avant  le  jugement  s'il  n'y  a  point 
de  nuUite  dans  la  procedure.  »  C'etait  la  meme  idee  qui  avait 
fait  dire  que  dans  I'information  les  temoignages  seraient  redi- 
ges  a  a  charge  et  a  decharge.  »  Le  juge,  dans  ce  systeme,  a 
quelque  chose  de  la  Providence ;  il  est  infaillible  et  defend  I'ac- 
cuse  en  meme  temps  qu'il  le  poursuit. 

Toutes  les  formalites  de  I'interrogatoire  etaient  du  resteminu- 
tieusement  et  soigneusement  reglees  (1).  L'interrogatoire  etait 
ensuite  communique  a  la  partie  publique  et  a  la  partie  civile 
(art.  17,  18),  lesquelles,  s'il  y  avait  aveu,  pouvaient  prendre  droit 
immediatement,  c'est-sl-dire  demander  jugement,  mais  celaseu- 
lement ,  comme  nous  I'expliquerons  plus  tard ,  si  le  crime  ne 
meritait  pas  peine  afflictive.  L'accuse  dans  le  meme  cas  pouvait 
demander  a  prendre  droit  par  les  charges ,  qui  alors  lui  etaient 
communiquees ;  dans  ces  deux  hypotheses,  11  y  avait  des  re- 
quetes  adressees  au  juge  par  les  poursuivants ,  et  des  reponses 
de  la  part  de  l'accuse  (art.  20).  S'il  n'y  avait  pas  lieu  de  prendre 
droit  ainsi,  les  parties  civile  et  publique  donnaient  leurs  conclu- 
sions tendant  au  reglement  a  I'extraordinaire.  L'accuse  pouvait 
aussi  presenter  requete  pour  etre  regu  en  proces  ordinaire ;  mais 
cette  civilisation  du  proces  n'etait  admise  que  lorsque  le  delit  en- 
trainait  simplement  une  peine  pecuniaire  (2). 

V.  Le  reglement  a  I'extraordinaire  resultait  d'un  jugement 
portant  que  les  temoins  entendus  dans  I'information  seraient 
«  oui's  de  nouveau,  recoles  en  leurs  depositions,  et,  si  besoin  est, 
confrontes  a  l'accuse  (3).  »  Par  qui  ce  jugement  si  important 
allait-il  etre  rendu?  «  Par  le  juge,  »  disait  I'Ordonnance.  II  sem- 
blait  logique  d'en  conclure  qu'il  s'agissait  la  du  juge  d'instruc- 
tion  seul ,  qui  seul  du  reste  a  jusqu'ici  paru  en  scene.  Gependant 
Jousse,  consid§rant  sans  doute  quel  immense  pouvoir  on  allait 

(1)  Voy.  art.  9,  H,  13,  16. 

(2)  II  rSsuUait  d'un  article  de  rOrdonnance  (tit.  xx,  art.  3)  que  la  conversion  en 
procfes  ordinaire  pouvait  avoir  lieu  mdme  apres  le  reglement  a  I'extraordinaire , 
pourvu  que  ce  Mt  avant  la  confrontation. 

{3)Tit.  XV,  art.  1. 


l'ordonnance  de  1670.  233 

mettre  ainsi  aux  mains  d'un  homme ,  decidait  au  contraire  «  que 
ce  jugement  doit  etre  rendu  a  la  Chambre ,  comme  jugement  au 
fond,  par  trois  juges  si  le  jugement  est  st  charge  de  I'appel,  et  par 
sept  lorsque  le  jugement  est  en  dernier  ressort  (1).  »  Mais  c'etait 
la  une  opinion  isolee.  «  Dans  les  bailliages  et  autres  justices  su- 
jettes  i,  I'appel,  il  ne  faut  que  le  juge  d'instruction  pour  rendre 
un  jugement  de  recolement  et  confrontation.  —  II  y  a  lieu  d'etre 
surpris  que  M.  Jousse ,  si  verse  dans  cette  matiere ,  ait  observe 
sur  cet  article  que  le  jugement  a  I'extraordinaire  doit  etre  rendu 
par  trois  juges,  si  le  jugement  est  a  charge  de  I'appel;  cela  est 
contraire  aux  autorites  qu'il  cite,  puisqu'elles  ne  parlent  que  du 
dernier  ressort ,  ce  qui  decide  tacitement  que  les  lieutenants  cri- 
minels  peuvent  les  rendre  seuls  a  I'ordinaire ,  comme  une  infinite 
de  reglements  I'ont  decide :  d'ailleurs ,  c'est  I'usage  de  tons  les 
tribunaux  du  royaume ,  que  le  juge  d'instruction  rende  seul  ces 
jugements  a  I'ordinaire.  II  serait  ennuyeux  de  rapporter  les  re- 
glements pour  refuter  cette  erreur  (2).  » 

Le  recolement  etait  necessaire  pour  que  la  deposition  fit  charge 
contre  I'accuse;  mais  dans  la  visite  du  proces  il  etait  au  con- 
traire fait  lecture  des  depositions  des  temoins  a  decharge, 
quoiqu'ils  n'eussent  ete  ni  recoles  ni  confrontes,  pour  y  avoir 
egard  par  les  juges  (3).  Par  suite,  on  se  demandait  s'il  etait 
utile  de  confronter  tous  les  temoins ;  cela  paraissait  plus  juste , 
mais  pourtant  on  decidait  communement  que  cenx-la  seulement, 
qui  faisaient  charge,  devaient  etre  confrontes. 

La  confrontation  etait  la  premiere  occasion,  que  cette  procedure 
impitoyable  donnait  a  I'accuse ,  de  saisir  I'accusation ,  jusque-la 
pour  lui  enveloppee  de  voiles;  mais  I'Ordonnance  rendait  cette 
ressource  presque  entierement  illusoire.  Dans  I'origine,  le  recole- 
ment avait  eu  pour  but  de  faire  contrSler  par  le  juge  I'informa- 
tion,  qu'avait  recueillie  un  simple  sergent  assiste  d'un  notaire; 
aujourd'hui  cette  utilite  n'existait  plus,  le  juge  informant  toujours 
lui-meme.  On  fit  du  recolement  un  moyen  d'immobiliser  le  te- 

(1)  Commmt.  sw  I'ord.  de  1670,  p.  296. 

(2)  Serpillon  :  Cod.  crim.,  p.  690. 

(3)  Tit.  XV,  art.  10 . 


236  l'ordonnance  de  1670. 

moignage  et  de  rendre  inutile  tout  debat  a  la  confrontation ;  « les 
temoins,  disait  I'article  11,  qui  depuis  le  recolement  retracteront 
leurs  depositions  ou  les  changeront  dans  des  circonstances  essen- 
tielles,  seront  poursuivis  et  punis  comme  faux  temoins.  »  Lamoi- 
gnon  protegta  en  faveiir  de  la  defense ,  comme  il  I'avait  fait  deux 
fois  deja.  «  II  pent  etre  dangereux  de  fairs  une  loi  si  exacts, 
parce  que  quelquefois  un  accuse  peut  redrssser  un  temoin  a  la 
confrontation  en  des  circonstances  considerables  st  Is  faire  souve- 
nir de  la  vsrite  d'un  fait  qui  lui  auroit  echappe.  Cela  peut  se  fairs 
quelquefois  de  bonne  foi  de  la  part  des  accuses  et  de  la  part  dss 
temoins ,  st  c'cst  rsndre  la  condition  de  I'accuse  bien  plus  mau- 
vaise  si  on  oblige  le  temoin  a  ne  se  point  retracter  a  la  confron- 
tation, a  moins  que  d'etre  traite  comme  un  criminsl...  Tout  est 
centre  I'accuse  jusqu'a  la  confrontation  :  car  c'est  la  ou  il  com- 
mence a  se  reconnaitre  st  a  etrs  informs  ds  la  qualits  du  crime 
st  de  la  preuvs.  C'est  pourquoi  il  ssmbloit  plus  a  propos  de  kis- 
ser cela  a  la  discretion  du  juge ,  qui  peut  connaitre  si  la  contra- 
rists  qui  se  trouve  entre  la  deposition ,  le  recolement  et  la  con- 
frontation du  temoin  tient  de  sa  mauvaise  foi  ou  bien  de  son 
ignorance  (1).  »  II  etait  impossible  de  parler  d'une  facon  plus 
sensse ;  mais  Pussort  declara  «  que  jusqu'ici  il  avoit  passe  pour 
une  loi  constante,  fetablie  par  les  autsurs  st  confirmee  par  I'u- 
sage ,  que  tout  homme  qui  a  prete  deux  serinents  a  la  face  de  la 
justice  ne  peut  changer  impunement...  que  Ton  avoit  cru  I'article 
necessaire  a  la  slirete  publiqus ,  st  bisn  loin  de  produire  de  faux 
temoins ,  dans  la  necessite  oti  il  les  jstte  de  soutenir  Isur  tsmoi- 
gnage  vrai  ou  faux  lors  de  la  confrontation,  qu'au  contraire,  il 
obligera  les  temoins  a  s'observer  et  a  ne  pas  rsndrs  legerement 
leur  deposition...  qu'au  surplus  ess  mots  ds  circonstances  essen- 
tisllss,  qui  sent  dans  I'articls,  satisfont  a  tout.  »  On  est  vraiment 
etonne  de  la  puissance  ds  csrtainss  idsss  prsconcues.  Aprss  avoir 
dscide  I'article ,  comme  le  voulait  Pussort ,  on  insera  cette  depo-' 
sition  :  «  Si  I'accuse  remarque  dans  la  deposition  du  temoin 
quelqus  contrarists  ou  circonstancs  qui  puisse  eclaircir  Is  fait  ou 
justifisr  son  innocencs ,  il  pourra  requ^rir  le  jugs  d'interpeller  le 

(I)  ProUs-verbal ,  p.  178. 


l'ordonnance  de  1670.  237 

temoin  de  la  reconnaltre.  »  Cela  a  presque  Fair  aujourd'hui  d'une 
raillerie. 

Si  la  confrontation  ne  devait  plus  guere  servir  a  1' accuse  pour 
discuter  les^  depositions ,  elle  lui  elait  toujours  utile  pour  propo- 
ser ses  reproches ;  mais  on  avait  conserve  la  regie  introduite  en 
1539,  d'apres  laquelle  il  devait  les  produire  £i  brtlle-pourpoint  et 
avant  la  lecture  de  la  deposition  (1);  plus  tard,  il  n'etait  plus 
regu  a  les  faire  valoir.  Cela  passa  sans  observation;  c'etait  un 
point  admis  depuis  longtemps.  On  eut  soin  seulement  de  declarer 
expressement  que  I'accuse  pourrait  «  en  tout  etat  de  cause  pro- 
poser des  reproches,  s'ils  etoient  justifies  par  ecrit  (art.  20).  » 

VI.  Lorsque  les  informations  ,  interrogatoires ,  recolements 
et  confrontations  etaient  termines ,  le  proces  etait  dit  instruit , 
et  sortait  des  mains  du  juge  d'instruction  pour  passer  aux  mains 
du  rapporteur,  qui  devait  depouiller  la  procedure ,  et  en  exposer 
les  resultats  au  siege  entier  assemble.  Mais  auparavant  le  «  sac  » 
etait  confie  au  procureur  du  roi,  pour  qu'il  prit  ses  conclusions 
definitives  (2),  ce  qu'il  etait  tenu  de  "  faire  incessamment.  »  Ces 
conclusions  pouvaient  tendre  a  I'application  de  la  peine ,  mais 
elles  pouvaient  tendre  aussi  a  I'application  de  la  torture  ou  a  la 
preuve  des  faits  justificatifs.  Elles  etaient  «  donnees  par  ecrit  et 
cachetees,  »  et  ne  devaient  etre  ouvertes  que  plus  tard,  apres 
le  rapport;  elles  ne  devaient  pas  «  contenir  les  raisons  sur  les- 
quelles  elles  etaient  fondees  (3).  »  C'etait  alors  que  le  rapport 
intervenait  :  «  lorsque  le  proces  a  regu  son  entiere  instruction, 
et  que  le  procureur  du  roi  ou  fiscal ,  apres  en  avoir  pris  commu- 
nication, I'a  remis  au  greffe  avec  ses  conclusions  cachetees,  le 
proces  doit  etre  remis  a  I'un  des  juges  qui  en  fait  le  rapport  au 
siege  assemble  (4).  »  Cela  avait  une  extreme  importance;  sans 
doute  toutes  les  pieces  de  la  procedure  etaient  lues  devant  les 
conseillers;  mais  comment  ces  magistrats,  qui  intervenaient  pour 
la  premiere  fois  dans  I'affaire ,  pouvaient-ils  en  prendre  une  con- 
naissance  suffisante?  lis  jugeaient  d'apres  le  rapport.  Aussi  le 

(1)  Tit.  XV,  art.  15  et  16. 

(2)  Tit.  XXIV,  art.  1. 

(3)  Tit.  XXIV,  art.  3. 

(4)  Pothier  :  Instr.  crim.,  p.  466. 


238  l'ordonnancr  de  1670. 

rapporteur  devait-il  «  opiner  le  premier.  G'est  I'usage  inviolahle 
de  tous  les  tribunaux,  parce  que  le  rapporteur  est  presume  mieux 
instruit  des  fails  du  proces  que  les  autres  offlciers  (1).  »  Le 
rapporteur  ayant  une  autorite  fort  grande,  le  choix  de  ce  ma- 
gistral elait  grave ;  cependanl  c'etail  un  point  que  I'Ordonnance 
ne  decidait  pas.  Dans  les  bailliages  les  lieutenants  criminels 
rapportaient  les  proces,  «  ils  ont  droit,  dit  Serpillon,  de  rap- 
porter  tous  les  proces  de  leur  juridiction,  ce  droit  est  fonde  sur 
I'Edit  de  mai  1553;  »  il  cite  aussi  un  Edit  de  iSS7,  et  une  in- 
finite d'arrets  et  de  reglements ,  qui  montrent  que  c'etait  la  sur- 
tout  une  question  £  if  ices  (2).  Mais,  d'autre  part,  le  lieutenant 
criminel  etait  le  juge  instructeur ;  le  proces  etait  done  presque 
remis  a  son  entiere  discretion.  C'etait  un  abus  que  I'Ordonnance 
de  Blois  avait  voulu  supprimer  (3) ;  mais  comme  elle  ne  parlait 
que  des  Parlements ,  on  n'appliqua  point  sa  disposition  aux  ja- 
ridictions  jugeant  en  premier  ressort.  On  est  etonne  de  voir  que 
les  redacteurs  de  I'Ordonnance,  si  preoccupes  d'ordinaire  d'as- 
surer  les  details  de  I'administration  de  la  justice ,  aient  passe 
ce  point  sous  silence. 

Personne  autre  que  les  juges  n'assistait  a  la  visite  du  proces  et 
au  rapport  :  on  excluait  meme  expressement  les  «  gens  du 
roi  (4).  »  Cependanl  avant  de  passer  au  jugement,  on  faisail  com- 
paraitre  I'accuse  pour  qu'il  subit  un  dernier  interrogatoire ;  c'etait 
la  premiere  fois  que  les  magistrals ,  autres  que  le  juge  d'instruc- 
tion ,  le  voyaient  et  entendaient  sa  voix.  Lorsque  les  conclusions 
du  ministere  public  tendaient  a  une  peine  afflictive,  le  dernier  in- 
terrogatoire devait  avoir  lieu  sur  la  sellette  (5),  dans  les  autres 
cas ,  il  avait  lieu  «  derriere  le  barreau ,  ou  parquet  de  la 
chambre...  les  accuses  sont  alors  debout  et  decouverts  derriere 
la  barre  qui  ferme  le  barreau  (6).  »  L'Ordonnance  ne  parlait, 

(1]  Serpillon  :  Code  crim.,  p.  1052. 

(2)  Op.  cit.,  p.  1230,  »sq. 

(3)  Art.  130  :  «  Les  proc6s  criminels  fails  ou  instruits  aux  Parlements  en  pre- 
miere instance,  ne  pourront  fitre  rapport^s  par  celui  qui  aura  fait  les  r^colements, 
les  confrontations,  et  instruit  lesdits  proems.  » 

(4)  Tit.  XXIV,  art.  2. 

(5)  Tit.  xiT,  art.  21. 

(6)  Serpillon  :  Code  crim.,  p.  682. 


l'ordonnance  de  1670.  239 

comme  d'une  formalite  necessaire,  que  des  interrogatoires  sur 
la  sellette.  Aussi  I'abus  s'etait  glisse  dans  plusieurs  sieges  de  ne 
pas  entendre  les  accuses  lorsqu'il  n'y  avait  point  de  conclusions 
a  des  peines  afflictives.  Une  Declaration  royale  du  13  avril 
1703,  supprima  cet  abus  :  «  I'esprit  de  notre  Ordonnance  de 
1670,  etait-il  dit,  n'a  jamais  6t6  de  priver  les  accuses  dans 
aucun  cas  du  droit  nature!  qu'ils  ont  de  se  defendre  par  leur 
bouche ,  n'y  d'oter  aux  juges  les  moyens  qu'ils  ont  de  s'eclaircir 
par  ces  voies  des  circonstances  des  actions  qui  se  poursuivent 
extraordinairement.  »  Les  accuses  devaient  toujours  etre  enten- 
dus  ou  sur  la  sellette  ou  derriere  le  barreau. 

II  pouvait  se  faire  cependant  que  I'instruction  du  proces  ne 
fut  pas  terminee.  «  Lorsqu'apres  la  visite  du  proces  et  que 
I'accuse  a  subi  son  dernier  interrogatoire ,  le  juge  vient  k  recon- 
naitre  que  la  preuve  n'est  pas  suffisamment  acquise ,  et  qu'il  lui 
reste  encore  des  doutes  sur  le  jugement  qu'il  doit  porter,  alors 
ou  ces  doutes  sont  combattus  par  des  presomptions  violentes, 
qui  s'elevent  contre  I'accuse  de  maniere  k  le  faire  regarder  plutot 
comme  coupable  qu'innocent,  et  qu'il  ne  manque  plus  que  sa 
propre  confession  pour  le  convaincre;  c'est  le  cas  ou  il  peut 
ordonner  la  torture  ...  ou  bien  ces  doutes  sont  tels  qu'ils  font 
pencher  la  balance  en  faveur  de  I'accuse,  comme  lorsque  par 
son  dernier  interrogatoire  et  sa  confrontation  il  a  articule  cer- 
tains faits  ou  fourni  certains  reproches  contre  les  temoins ,  dont 
la  preuve  une  fois  acquise  pourroit  servir  a  justifier  entierement 
son  innocence;  alors  le  juge  doit,  sur  la  requete  qui  lui  est  pre- 
sentee par  cet  accuse ,  ou  mgme  d'office ,  choisir  parmi  ces  faits 
ou  ces  reproches  ceux  qui  lui  paraissent  les  plus  relevans ,  pour 
en  faire  la  matiere  d'une  enquete  qu'il  ordonnera  par  un  juge- 
ment particulier,  et  c'est  ce  qu'on  appelle  admettre  I'accuse  a  , 
ses  faits  justificatifs  (1).  »  Examinons  les  deux  branches  de  cette 
alternative. 

VII.  La  torture ,  dont  nous  avons  raconte  les  lamentables  pro- 
gres ,  presentait  plusieurs  varietes.  Envisagee  au  point  de  vue  de 
I'intensite  des  tourments,  elle  se  divisait  en  question  ordinaire, 

(1)  Muyart  de  Vouglans  :  Inst,  crim,.,  p.  390. 


240  l'ordonnance  de  1670. 

et  question  extraordinaire  :  le  juge  avait  toujours  plein  pouvoir 
pour  s'arreter  a  I'une  ou  pour  pousser  jusqu'a  I'autre  (1).  Si 
Ton  envisageait  la  torture  sous  le  rapport  de  la  fonction  qu'elle 
remplissait,  on  distinguait  la  question  pr^paratoire ,  qui  servait 
a  arracher  a  un  accuse  I'aveu  de  son  crime ,  et  la  question  pr^ala- 
ble  qui  etait  donnee  aux  condamnes  pour  les  forcer  i,  reveler  leurs 
complices.  C'est  de  la  question  preparatoire  qu'il  est  ici  parle. 

L'Ordonnance  reglait  les  conditions  moyennant  lesquelles  on 
pourrait  recourir  a  la  torture.  Elle  exigeait  que  le  corps  du 
delit  fut  constate;  et  qu'il  y  eut  deja  «  preuve  considerable  (2).  » 
Les  sentences ,  pronongant  la  question  etaient  de  droit  soumises 
a  I'appel  (3).  L'accuse,  interroge  avant  d'etre  tourmeate,  de- 
vait  I'etre  encore  immediatement  apres ,  pour  qu'on  vit  s'il  main- 
tiendrait  ses  aveux.  Point  important ,  «  quelque  nouvelle  preuve 
qui  survint,  l'accuse  ne  peut  pas  etre  applique  deux  fois  a  la 
question  pour  le  meme  fait  (4) ;  »  et  «  s'il  avoit  ete  delie  et  en- 
tierement  6te  de  la  question ,  il  ne  pouvoit  plus  y  etre  remis  (5).  « 
C'etaient  la  quelques  adoucissements  apportes  a  cette  horrible 
procedure ;  mais  en  revanche  I'Ordonnance  consacrait  la  ques- 
tion avec  reserve  des  preuves ,  que  la  jurisprudence  avait  intro- 
duite  et  dont  nous  parlerons  plus  loin.  Tout  cela  passa  sans 
soulever  de'difficulte.  C'etait  chose  naturelle  a  cette  epoque.  Ce- 
pendant,  Lamoignon  et  Pussort,  etonnes ,  sans  doute,  de  se 
trouver  d'accord ,  parlerent  tons  les  deux  centre  la  question  pre- 
paratoire, mais  sans  insister,  et  comme  par  acquit  de  cons- 
cience. Pussort  declara  «  que  la  question  preparatoire  lui  avoit 
toujours  semble  inutile,  et  que  si  Ton  vouloit  oter  la  prevention 
d'un  usage  ancien,  Ton  trouveroit  qu'il  est  rare  qu'elle  ait  tire 
la  verite  de  la  bouche  d'un  condamne.  »  M.  le  President  «  a  dit 
qu'il  voioit  de  grandes  raisons  de  I'dter,  mais  qu'il  n'avoit  que 
son  sentiment  particulier  (6).  » 

(1)  On  se  rappelle  «  le  petit  et  le  grand  tresteau ,  »  dans  le  Registre  crimiul 
du  Chdtelet. 

(2)  Tit.  xrx,  art.  I. 

(3)  Tit.  XIX,  art.  7. 

(4)  Tit.  XIX,  art.  12. 
(5) Tit.  XIX,  art.  10. 

(6)  Prods-verbal,  p.  225. 


l'ordonnance  de  1670.  241 

Cependant  Lamoignon  proposait  quelque  chose  de  plus  pra- 
tique. Aucune  regie  fixe  n'existait  sur  la  maniere  de  donner 
la  torture;  les  usages  des  compagnies  etaient  la  seule  loi.  N'e- 
tait-il  pas  urgent  de  faire  cesser  ici  tout  arbitraire?  «  II  seroit  a 
souhaiter  que  la  maniere  de  donner  la  question  fut  uniforme 
dans  tout  le  royaume ,  parce  qu'en  certains  endroits  on  la 
donne  si  rudement  que  celui  qui  la  souffre  est  mis  hors  d'etat 
de  pouvoir  travailler  et  demeure  souvent  estropie  le  reste  de  ses 
jours.  »  A  cela  Pussort  fit  cette  reponse  etonnante  :  «  11  etoit 
difficile  de  rendre  la  question  uniforme...  la  description  qu'il 
en  faudroit  faire  sei'oit  ind^cente  dans  une  Ordonnance...  mais 
il  est  sous-entendu  dans  I'article  que  les  juges  prendront  garde , 
lorsqu'ils  la  feront  donner,  que  les  condamnes  n'en  demeurent 
pas  estropiez  (1).  » 

Rien  ne  fut  done  fixe  a  cet  egard ,  et  les  jurisprudences  varie- 
rent  comme  par  le  passe.  C'est  ainsi  que  nous  trouvons  dans 
Muyart  de  Vouglans  une  description  sommaire  des  methodes 
les  plus  usitees.  «  Au  Parlement  de  Paris,  la  question  se  donne 
de  deux  manieres,  a  I'eau  et  aux  brodequins.  »  Le  Parlement, 
par  arret  du  18  juiUet  1707,  avait  donne  un  memoire  detaille 
pour  la  question,  qui  comprend  vingt-trois  articles.  C'est  une 
piece  fort  curieuse  ou  tout  est  prevu  (2).  Ge  reglement  fut  adopte 
dans  beaucoup  de  ressorts ,  mais  dans  certains  autres  on  con- 
serva  les  anciennes  habitudes.  «  Au  Parlement  de  Bretagne  on 
la  donne  (la  question)  en  serrant  le  pouce  ou  autres  doigts ,  ou 
une  jambe  du  patient  avec  des  machines  de  fer  appelees  valets... 
Au  Parlement  de  Bretagne,  on  approche  les  pieds  du  patient 
assis  et  attache  sur  une  chaise  devant  un  feu,  les  pieds  nus... 
Au  Parlement  de  Besangon ,  la  question  se  donne  de  deux 
facons.  Le  patient,  ayant  les  bras  lies  derriere  le  dos ,  est  eleve 
en  I'air  par  une  poulie  attachee  aux  bras  hes,...  pour  la  ques- 
tion extraordinaire,  on  attache  aux  orteils  de  chaque  pied  du 
patient  un  gros  poids  de  fer  ou  de  pierre ,  qui  lorsqu'on  I'eleve 
demeure  suspendu  a  ses  pieds  (3).  »  Serpillon,  de  son  c6te,  decri- 

(1)  Proeis-^erhal ,  p.  224. 

(2)  Voy.  dans  Serpillon  :  Code  crim.,  p.  930,  ssq. 

(3)  Muyart :  Inst,  crim.,  p.  403. 

16 


242  l'ordonnance  de  1670. 

vant  la  question  par  I'huile  bouillante ,  telle  qu'elle  se  donne  au 
presidial  d'Autun,  ajoute  :  «  Je  ne  connois  dans  la  province  ni 
ailleurs  aucun  tribunal  qui  soit  dans  I'usage  de  cette  cruelle 
torture,  que  Ton  dit  avoir  eu  lieu  anciennement  dans  toute  la 
France  (1).  » 

Pour  la  question  prealable ,  I'Ordonnanee  declarait  seulement 
que  le  «  jugement  pourroit  I'ordonner.  » 

Les  anciens  principes  sur  les  faits  justiflcatifs  etaient  main- 
tenus  et  plus  formellement  exprimes  qu'ils  ne  I'avaient  jamais 
ete.  ,11  elait  «  defendu  aux  juges,  meme  aux  Cours,  d'ordon- 
ner  la  preuve  d'aucuns  faits  justiflcatifs,  ni  d'entendre  aucuns 
temoins  pour  y  parvenir,  qu'apres  la  visite  du  proces  (2).  »  Ne 
pouvaient  etre  recus  en  preuve  que  «  les  faits  choisis  par  le  juge 
du  nombre  de  ceux  que  I'accuse  aura  articules  dans  les  interroga- 
toires  et  confrontations,  »  et  celui-ci  devait  nommer  sur-le-champ 
les  temoins,  qui  etaient  assignes  a  la  requete  du  ministere  public 
et  entendus  sans  que  I'accuse  les  vit.  On  voit  combien  la  de- 
fense elait  faible;  cependant  on  devait  communiquer  a  I'accuse 
les  requetes  que  la  parlie  civile  presentait  aux  juges  et  les  pieces 
y  attachees,   «  en  sera  bailie  copie  a  I'accuse,   autrement  les 
requetes  et  pieces  seront  rejetees  (3).  » 

VIII.  Le  jugement  allait  etre  rendu.  L'Ordonnance  renouve- 
lait  les  prescriptions  traditionnelles  qui  command  aient  aux  juges 
de  faire  passer  les  affaires  criminelles  avant  les  causes  civiles, 
et  qui  leur  defendaient  de  juger  de  relev^e  les  proces  conside- 
rables (4).  Mais  elle  contenait  aussi  des  dispositions  nouvelles  et 
importantes. 

(i)  Code  crim.,  p.  907. 

(2)  Tit.  XXVIII,  art.  I. 

(3)  Tit.  XXIII,  art.  3.  On  se  demandait  si  Ton  devait  communiquer  k  I'accus^  les 
depositions  des  temoins  sur  les  faits  justiflcatifs.  Voy.  Poullain  du  Pare  :  Prin- 
cipes du  droit  frangais,  torn.  XI,  p.  374.  «  L'article  8  n'ordonne  la  communica- 
tion de  I'enqu^te  qu'a  la  Partie  publique  et  k  la  Partie  civile,  ce  qui  donne  lieu 
de  croire  que  I'accuse  ne  peut  pas  en  demander  la  communication.  Cependant  ce 
n'est  pas  une  information,  c'est  una  enqufite;  et  puisque  la  partie  civile  en  doit 
avoir  la  communication ,  il  parott  injuste  qu'elle  soit  refuses  a  I'accusfi.  Le  silence 
de  I'Ordonnanee  n'est  point  nSgatif  de  cette  communication,  quoiqu'il  fasse  natlre 
une  grande  difflcultS  sur  cette  question.  » 

(4)  Tit.  XXV,  art.  1  et  9. 


l'ordonnance  de  1670.  243 

Dans  toutes  les  justices ,  oii  Ton  jugeait  a  charge  de  I'appel , 
la  sentence  devait  etre  rendae  par  trois  juges  au  moins,  «  si 
tant  y  a  dans'  le  siege,  ou  gradues,  et  se  transporteront  au  lieu 
ou  s'exerce  la  justice,  ou  I'accuse  est  prisonnier,  et  seront  pre- 
sents au  deruier  interrogatoire  (1).  »  C'etait  une  reforme  excel- 
lente,  surtout  si  Ton  songe  a  ce  qu'etaient  les  juges  des  sei- 
gneurs. Cependant  Lamoignon  fit  quelque  opposition ;  il  defendit 
encore  les  interets  des  justices  seigneuriales ;  il  voulait  meme 
qu'on  n'exigeeit  pas  que  les  assesseurs  fussent  toujours  gradues  , 
«  dans  les  petites  justices,  il  peut  y  avoir  des  gens  de  bon  sens 
et  propres  a  etre  officiers,  qui  ne  sont  pas  neanmoins  gradues.  » 
Mais  Pussort  lui  repondit  victorieusement  :  «  On  ne  pouvoit 
apporter  trop  de  precautions,  lorsqu'il  s'agit  de  la  vie  et  de 
I'honneur  des  sujets  du  roi,  particulierement  si  Ton  considere 
que  des  gentilshommes  pouvoient  etre  justiciables  des  juges  des 
seigneurs,  qui  sont  tous  sans  experience  et  qui  peuvent  etre 
facilement  corrompus  (2).  » 

Quant  aux  jugements  en  dernier  ressort,  ils  devaient  toujours 
etre  rendus  par  sept  juges,  qu'il  s'agit  de  sentences  d'instruction 
ou  d'arrets  au  fond ;  a  defaut  de  juges  on  appelait  des  gradues  (3). 
Le  partage  des  voix  profitait  toujours  a  I'accuse,  et  s'il  s'agissait 
d'une  sentence  en  dernier  ressort,  I'avis  le  plus  severe  ne  pou- 
vait  passer  qu'a  la  majorite  des  deux  voix  (art.  12);  c'est  cette 
derniere  disposition  que  Montesquieu  appelait  une  loi  divine. 

Pour  qu'on  sut  quel  etait  I'avis  le  plus  severe,  I'Ordonnance 
etablissait  une  echelle  des  peines  (i).  Gela  etait  fort  important, 
etant  donne  le  systeme  des  peines  arbitraires  qui  dominait  dans 
I'ancien  droit.  On  remarquera  que  dans  cette  enumeration,  la  tor- 
ture figurait  comme  une  peine,  alors  qu'on  etablissait  d'autre 
part  que  ce  n'etait  qu'un  moyen  d'instruction ;  on  avait  ete  oblige 
de  revenir  a  la  verite  des  faits.  Le  bienfait  que  semblait  assurer 

(1)  Tit.  XXV,  art.  10. 

(2)  Prods-verbal ,  p.  246. 

(3)  Tit.  XXV,  art.  11. 

(4)  Art.  13  :  «  Aprfes  la  peine  de  mort  naturelle  la  plus  rigoureuse  est  celle 
de  la  question  avec  la  reserve  des  preuves  en  leur  entier,  des  galferes  perp6- 
tuelles ,  du  bannissement  perpituel ,  de  la  question  sans  reserve  des  preuves,  des 
gaUres  a  temps ,  du  fouet,  de  1' amende  honorable  et  du  bannissement  a  temps.  » 


244  l'ordonnance  de  1670. 

cet  article  n'etait  pas  tres-grand  en  realite.  Cette  liste  des  peines 
n'etait  pas  complete ;  la  jurisprudence  en  connaissait  beaucoup 
d'autres ,  comme  il  est  facile  de  s'en  assurer  en  parcourant  les 
anciens  auteurs  (1).  EUes  se  divisaient  en  peines  corporelles  et 
afflictives,  peines  simplement  afflictives,  peines  infamantes  et 
peines  legeres  qui  n'etaient  point  infamantes. 

L'Ordonnance  n'exigeait  point  que  les  sentences  fussent  moti- 
vees.  Cependant  les  juges  inferieurs  «  devoient  exprimer  la  cause 
de  la  condamnation  ou  celle  de  I'absolution.  Aussi  toutes  les  fois 
que  cela  se  rencontre  (qu'ils  ne  I'expriment  pas) ,  le  Parlement 
ou  autre  cour  inflrme  la  sentence  ou  le  jugement  et  prononce 
neanmoins  la  mSme  chose  que  la  sentence;  mais  a  I'egard  des 
Parlements  et  Cours  ils  ne  sont  point  astreints  a  cette  formalite , 
on  met  seulement  dans  I'arret  que  I'accuse  est  condamne  pour  les 
cas  resultant  du  proces  (2).  » 

Les  anciennes  dispositions  sur  le  paiement  des  frais  etaient 
maintenues.  lis  etaient  supportes  par  la  partie  civile ,  s'il  y  en 
avait  une  au  proces ,  sinon  par  le  roi  ou  par  les  seigneurs.  L'ac- 
cuse  n'y  etait  jamais  condamne  directement,  seulement  la  partie 
civile  pouvait  recourir  centre  lui,  et  lorsque  le  roi  faisait  les  frais 
du  proces,  on  pronongait  centre  I'accuse  une  amende,  qui  etablis- 
sait  une  sorte  de  compensation. 

Les  arrets  de  condamnation  devaient  etre  executes  le  m§me 
jour  qu'ils  etaient  prononces.  Seulement  on  differait  I'execution 
des  femmes  grosses,  jusqu'a  I'accouchement.  On  devait  offrir  aux 
condamnes  a  mort  le  sacrement  de  confession  (3). 

Si  I'accusation  etait  jugee  mal  fondee,  il  semble  que  toujours 
I'absolution  dut  etre  prononcee ;  cependant  il  n'en  etait  pas  ainsi. 
Lorsque  la  condamnation  n'intervenait  pas,  trois  solutions  etaient . 
possibles  :  I'absolution ,  la  mise  hors  cour,  et  le  plus  amplement 
inform^.  L'absolution  etait  le  rejet  pur  et  simple  de  I'accusa- 
tion et  donnait  a  I'accuse  le  droit  d'agir  en  dommages-interets 
centre  la  partie  civile.  Le  «  hors  cour  »  etait  une  absolution 
moins  complete  :  «  quand  I'accuse  n'est  pas  renvoye  absous,  mais 

(1)  Voyez  en  particulier  I'^numfiration  que  donne  Jousse.  Comment.,  p.  208-211. 

(2)  Rousseau  de  Lacomhe ,  Mat.  crim.,  p.  457. 

(3)  Titre  xxv,  art.  23  et  24. 


l'ordonnance  de  1670.  245 

seulement  mis  hors  cour,  il  ne  peut  pretendre  des  dommages- 
interets ,  il  n'est  pas  entierement  lave.  Gette  facon  de  prononcer 
laisse  des  soupcons  centre  I'aceuse  qui  s'echappe  faute  de 
preuve  (1).  »  Ce  genre  de  sentence  n'etait,  du  reste,  permis 
qu'aux  cours  souveraines  (2).  Enfm ,  le  plm  amplement  inform^ 
etait  seulement  une  absolution  provisoire ;  «  ce  dernier  paroit  le 
plus  siir  et  le  plus  regulier  de  tous ,  comme  le  plus  conforme  ^ 
I'esprit  de  I'Ordonnance ,  et  il  doit  avoir  lieu  lorsqu'il  n'y  a  pas 
assez  de  preuves  pour  condamner  et  qu'il  y  en  a  assez  pour  ne 
pas  absoudre  (3).  »  II  etait  a  temps,  ou  indefini :  «  le  plus  ample- 
ment informe  a  temps  a  lieu  pour  les  crimes  qui  ne  sent  point 
absolument  atroces  ou  dent  les  indices  sont  legers ;  il  a  lieu  aussi 
dans  tous  les  cas  oil  il  n'y  a  d'autre  partie  que  le  procureur  du 
roi  ou  celui  des  seigneurs ,  et  qu'il  y  aurait  lieu  de  mettre  hors 
de  cour,  s'il  y  avait  une  partie  civile...  le  plus  amplement  in- 
forme indefini  n'est  au  contraire  prononce  que  dans  les  cas  graves 
et  dont  les  indices  sont  considerables;  ce  qui  fait  que  I'aceuse 
demeure  toujours  incerti  et  duhii  status,  et  que  le  ministere  pu- 
blic peut ,  s'il  survient  de  nouvelles  preuves ,  reprendre  la  pour- 
suite  centre  lui...  il  est  la  peine  non  du  crime,  mais  des  pre- 
somptions  et  des  indices  violents  qui  n'ont  point  ete  purges  (i).  » 
Une  fois  qu'on  etait  pris  dans  I'engrenage  de  cette  procedure ,  il 
semble  qu'il  fallait  necessairement  y  laisser  quelque  pen  de  son 
honneur  et  de  sa  liberte. 

IX.  L'Ordonnance  consacrait  un  titre  entier  (tit.  XXVI)  aux 
appellations,  et  ici  en  apparence  elle  etait  liberale.  L'accuse  pou- 
vait  appeler  de  toutes  les  decisions  du  juge ,  non-seulement  des 
jugements  sur  le  fond ,  mais  encore  des  sentences  d'instruction 
preparatoires  et  interlocutoires  (5).  S'il  s'agissait  d'une  condam- 
nation  a  une  peine  afflictive,  I'appel  etait  directement  porte  de- 
vant  les  Cours ;  dans  les  autres  cas  porte  aux  bailliages  ou  aux 
Cours  «  au  choix  et  option  des  accuses.  »  Pour  certaines  condam- 

(1)  Serpillon  :  Code  crim.,  p.  409. 

(2)  Ihid.,  p.  1069. 

(3)  Muyart  :  Inst,  crim.,  p.  362. 

(4)  Muyart  de  Vouglans  :  Inst,  crim.,  p.  363. 

(5)  Tit.  XXVI,  art.  1. 


246  l'ordonnance  de  1670. 

nations  tres-graves;  «  a  peines  corporelles,  galeres,  bannissement 
aperpetuite,  amende  honorable,  » I'appel  etait  de  droit  et  la  cause 
necessairemeot  portee  aux  Cours  (1). 

L'appel  pouvait'offrir  quelque  ressource  aux  accuses,;  la  pro- 
cedure n'y  etait  pas  necessairement  secrete  ni  I'assistance  des 
avocats  absolument  interdite.  Avant  I'Ordonnance  de  1670- du 
moins,  il  parait  qu'une  distinction  devait  etre  faite.  S'agissait-jl 
d'une  sentence  emportant  peine  afflictive  ou  torture,  le  proces.en 
appel  se  continuait  dans  les  memes  formes  qu'en  premiere,  ins- 
tance et  sans  plaidoiries ;  les  autres  appellations ,  au  contraire ,  et 
particulierement  celles  dirigees  contre  les  decisions  d'instruction, 
se  jugeaient  en  la  meme  forme  que  les  appels  civils  (2);  elles  se 
jugeaient  done  a  I'audience  et  sur  plaidoyers,  si  I'appelant  choi- 
sissait  la  procedure  orale,  Vappellation  verbale  (3),  et  non  la  pro- 
cedure par  ecrit,  comme  il  pouvait  le  faire.  L'Ordonnance  de  1670 
confirma  cette  pratique.  L'article  2  du  titre  XXVI  declare  en 
effet  «  que  les  appellations  de  permission  d'informer,  des  decrets 

(1)  Tit.  xxvr ,  art.  6. 

(2)  Pratique  de  Boyer,  p.  117  v»  :  «  Les  appellations  interject^es  des  juges  ordi- 
naires  de  toutes  sentences  et  jugemens  de  torture  ou  autres  afflictions  de  corps, 
comme  de  mort  civile ,  naturelle ,  fustigalion ,  mutilation  de  membres ,  bannisse- 
ment perpStuel  ou  a  temps,  condamnation  a  oeuvre  ou  service  public,  amende  ho- 
norable a  justice,  et  autres,  ne  se  relevent,  ains  faut  incontinent  que  l'appel  est 
interjects  faire  bailler  et  dSlivrer  le  prisonnier  au  rabais  pour  le  mener  en  la 
conciergerie  du  Palais  avec  son  procfes  pour  ^tre  jug6  par  la  Cour.  »  —  P.  219  : 
«  Les  autres  appellations  gfeneralement  quelconques  des  sentences  donnies  ea 
matifere  criminelle,  dScret  de  prise  de  corps  et  adjournement  personnel,  et  autres 
qui  ne  sont  de  la  qualite  cy-dessus  dSclarSe  se  doibvent  relever  par  lettres  royaux, 
et  la  poursuite  s'en  fait  tant  pour  les  adjournements ,  anticipations,  desertions, 
appellation  verballe,  proems  par  escrit  tout  ainsy  et  en  la  forme  qu'il  a  este  dit 
cy-dessus  (pour  les  affaires  civiles).  « 

(3)  Ibid.,  p.  220-221  :  a  Quant  aux  appellations  verballes  des  matiferes  crimi- 
nelles,  elles  se  poursuivent  et  vuident  a  raudience  en  la  chambre  de  la  Tour- 
nelle,  oii  Ton  plaide  les  samedis  ,  tout  ainsi  et  en  la  forme  et  maniere  que  les  au- 
tres appellations  verballes,  en  matifere  civile...,  fors  et  excepts  que  lorsque  les 
causes  sont  appelies  et  plaidfes  i  I'audience,  tons  appelans  de  d^cret  de  prise  de 
corps  ou  d'adjournement  personnel  sont  tenus  de  comparoir  et  de  se  rendre  in 
statu  suivant  les  ordonnances ,  autremeut  est  donn6  congi. »  —  P.  221  v°  :  «  La 
poursuite  desdits  procez  par  escrit  criminels  se  fait  en  la  mesme  forme  et  ma- 
nifere  qu'il  aesti  dit  cy-dessus  en  matifires  civiles...  et  concluant  6s  diets  proofs 
criminels,  Ton  met  au  bout  de  I'appointement  de  conclusion :  sauf  a  faire  collation 
des  pieces  non  secrettes.  » 


l'ordonnance  db  1670.  247 

et  de  toutes  autres  instructions  seront  portees  a  I'audience  de 
nos  Cours  et  juges.  »  Mais  on  cherchait  a  restreindre  cetle  dispo- 
sition, qui  n'avait  ete  edictee  que  pour  accelerer  le  jugement 
des  appels  sur  las  mesures  d'instruction.  «  Les  appels  des  ju- 
gements  d'instruction  ou  preparatoires ,  dit  Muyart  de  Vouglans, 
doivent  etre  portes  devant  les  cours  et  juges  £i  I'audience ;  par 
consequent,  I'appel  des  jugements  interlocutoires ,  dont  il  n'est 
pas  parle  dans  cet  article ,  doit  comme  celui  des  jugements  defl- 
nitifs  etre  juge  en  la  chambre  a  huis-clos  et  avec  espices;  de 
meme  que  ceux  sur  les  proces  par  escrit  (1).  »  D'ailleurs  cette 
faculteelait  rendue  presque  illusoire  parl'article  de  FOrdonnance 
qui  decidait  que  «  aucune  appellation  ne  pourroit  empecher  ou 
retarder  I'executioU  des  decrets,  I'instruction  et  le  jugement  (2).  » 
Si  le  proces  etait  juge  au  fond  assez  rapidement,  I'appel  sur 
rincident  se  jugeait  dans  le  meme  temps  et  dans  la  meme  fotme 
que  I'appel  sur  le  fond  (3).  Cependant  il  y  avait  la  une  porte 
ouverte  a  la  defense.  On  pouvait  faire  plaider  sa  cause  non  sur 
le  fond ,  mais  sur  un  incident ;  seulement  il  fallait  se  hater,  et 
pour  cela  avoir  du  credit  et  de  I'argent.  En  fait ,  il  y  eut  done 
encore  des  audiences  criminelles  :  «  au  petit  criminel  et  dans  les 
debats  suscites  par  divers  incidents  relatifs  aux  appellations  et 
a  certains  actes  d'instruction,  la  plaidoirie  ne  tarda  pas  a  etre 
admise.  Aussi  le  president  Seguier  fait-il  remarquer  que  la  Tour- 
nelle  a  donne  audience  «  dans  la  suite  et  depuis  tres-longtemps.  » 
Les  feuilles  d'audience  constatent  cet  usage  (4).  » 


(1)  Instruct,  mm.,  p.  832. 

(2)  Tit.  XXVI,  art.  3. 

(3)  Serpillon  :  Code  crim.,  p.  H41  :  «  Get  article  ne  porte  pas  que  les  appella- 
tions, dont  il  fait  meation,  seront  jug^es  a  I'audience,  il  veut  seulement  qu'elles  y 
Solent  portees;  ce  qui  laisse  la  liberty  au  juge,  lorsque  depuis  rappellation  il  est 
intervenu  dans  la  premiere  justice  une  sentence  definitive ,  de  juger  par  escrit  en 
cause  d'appel;  il  s'agit  alors  de  prononcer  non-seulement  sur  Tinstruction ,  mais 
encore  sur  I'appel  de  la  sentence  definitive  rendue,  a  vfl  de  pieces ;  si  cette  maxime 
n'a  pas  lieu  dans  le  ressort  du  Parlement  de  Paris ,  nous  sommes  en  Bourgogne 
dans  I'usage  de  la  suivre.  » 

(4)  Notice  sur  les  archives  du  Parlement  de  Paris, 'pai  A.  Grun,  dans  Boutaric  , 
Actes  du  Parlement,  t.  I ,  p.  227.  —  On  tendait  cependant  k  ramener  le  petit  cri- 
minel a  la  procedure  purement  ecrite : «  En  Bourgogne,  le  petit  criminel  est  souvent 
jug6  comme  procfes  par  ecrit  (Serpillon,  p.  977).  »  Remarquons ,  en  sens  inverse, 


248  l'ordonnance  de  1670. 

Pour  les  sentences  definitives  dans  les  proces  regies  k  I'ex- 
traordinaire ,  les  accuses  trouvaient  dans  la  procedure  d'appel 
pour  seule  garantie  la  valeur  plus  grande  des  magistrats.  II  n'y 
avait  point  de  debat  veritable.  L'avocat  general  Seguier  est  force 
d'avoiier  «  que  I'Ordonnance  borne  presque  toute  la  procedure 
d'appel  a  interroger  les  accuses  sur  la  sellette  ou  derriere  le  bu- 
reau (1).  »  —  «  Get  interrogatoire  en  la  Cour  est  le  moment  ou 
I'accuse  peut  proposer  ses  griefs  contre  la  sentence ,  et  par  con- 
sequent sa  justification.  C'est  pour  ceia  que  dans  les  arrets  on 
met  toujours  :  Oui  le  dit  accuse  en  ses  causes  d'appel  et  cas  a 
lui  imposes  (2).  »  Ici,  plus  que  jamais,  le  rapporteur  etait  tout 
puissant.  11  ne  faut  point  oublier,  d'ailleurs ,  que  les  accuses  de 
crimes  prev6taux  et  presidiaux  etaient  juges  en  dernier  ressort 
par  les  prev6ts  des  marechaux  ou  les  presidiaux. 

La  partie  publique  pouvait  appeler  de  son  cote.  « II  est  permis 
aux  procureurs  du  roi  ou  procureurs  fiscaux  d'interjeter  appel 
a  minima  des  sentences  dont  lis  estimeraient  les  condamnations 
n'etre  pas  proportionnees  a  la  qualite  et  gravite  du  crime,  et 
n'etre  pas  en  cela  conformes  a  leurs  conclusions  (3).  »  La  partie 
civile  pouvait  aussi  appeler  «  en  ce  qu'il  ne  lui  a  pas  ele  adjuge 
assez  de  reparation  civile ,  interets  civils  ou  dommages  interets. » 
Dans  les  cas  oi  I'appel  n'etait  pas  de  droit  les  diverses  parties 
pouvaient  le  former  tant  que  Taction  n'etait  pas  prescrite ,  mais 
on  admettait  la  renonciation  a  ce  droit  et  I'acquiescement  au 
jugement. 

L'appel  en  principe  etait  suspensif  (nous  parlons  de  I'appel 
interjete,  non  du  delai  pour  le  former).  S'agissait-il  d'une  sen- 
tence de  condarhnation ,  I'execution  des  peines  etait  suspendue; 
mais  les  condamnations  pecuniaires  etaient  executees  par  provi- 
sion lorsqu'elles  ne  depassaient  pas  certains  chiffres  (4).  Quant 
11  s'agissait  au  contraire  de  decisions  d'instruction,  I'appel  n'etait 

qu'il  y  avait  encore  d^bat  a  I'audience  et  plaidoirie,  lorsqu'un  monitoire  6tait  lanc6 
et  qu'une  opposition  6ta.it  form^e  4  sa  publication. 

(1)  Riquisitoire  de  1786  ,  p.  157. 

(2)  Ibid.,  p.  139. 

(3)  Rousseau  de  Lacombe  :  MatUres  crim.,  p.  481. 

(4)  Tit.  XXV,  art.  6. 


l'ordonnance  de  1670.  249 

pas  suspensif;  il  n'en  etait  autrement  que  lorsque  I'execution 
aurait  cause  un  dommage  irreparable ,  comme  pour  les  sentences 
de  torture.  Cependant  on  n'abrogeait  point  completement  I'usage 
des  «  arrets  de  defense  de  continuer  I'instruction ;  »  mais  on  le 
restreignait  (1).  Quant  aux  sentences  d'absolution ,  s'il  y  avait 
appel  du  ministere  public ,  I'accuse  devait  rester  en  prison ,  et, 
si  «  I'appel  a  minima  n'avait  ete  interjete  qu'apres  que  le  pri- 
sonnier  auroit  ete  elargi  et  mis  hors  des  prisons  a  I'instant  de  la 
prononciation  de  la  sentence,  le  prisonnier  seroit  tenu  de  se 
rendre  en  etat  lors  du  jugement  du  proces  (2).  »  Si  la  partie  civile 
avait  seule  appele ,  I'appel  se  poursuivait  comme  dans  un  proces 
civil.  Pour  les  details ,  I'Ordonnance  reglait  minutieusement  la 
procedure  sur  appel;  elle  restreignait  aussi  le  droii  d'evocation 
des  cours  (3). 

X.  Un  dernier  recours  pouvait  etre  ouvert  au  condamne,  mais 
I'Ordonnance  n'en  parlait  pas,  et  nous  aliens  dire  pourquoi;  c'e- 
tait  le  recours  au  Conseil  du  roi,  le  pourvoi  en  cassation. 

Les  sentences  des  Cours  souveraines  etaient  definitives  et  en 
principe  inattaquables.  Cependant  elles  pouvaient  etre  annulees, 
grace  a  une  theorie  qui  joue  un  grand  r61e  dans  I'ancien  droit, 
et  dont  nous  aurons  a  parler  bientot,  celle  de  Injustice  retentie. 
Toute  justice  residait  dans  le  roi  et  emanait  de  lui ;  en  en  dele- 
guant  I'exercice  a  ses  officiers ,  il  n'en  conservait  pas  moins  la 
plenitude  en  lui-meme,  et  pouvait  aneantir  jusqu'aux  decisions 
des  juridictions  souveraines  (4).  Mais  le  pourvoi  ne  pouvait  re- 
poser  que  sur  une  violation  de  la  loi.  «  II  y  a  pareillement  lieu 
de  demander  la  cassation  d'un  arret  lorsqu'il  a  ete  rendu  centre 
les  dispositions  des  Ordonnances  et  des  Coutumes  :  la  raison  en 
est  que  les  Cours  souveraines  ne  sent  pas  moins  assujetties  que 
les  juges  inferieurs  a  I'observation  des  lois  (5).  »  L'avocat  general 

(1)  Tit.  XXVI ,  art.  4. 

(2)  Rousseau  de  Lacombe  :  Mat.  crim.,  p.  480. 

(3)  Tit.  xxvr,  art.  5. 

(4)  Avant  que  la  theorie  du  pouvoir  en  cassation  se  format,  ii  existait  un  autre 
moyen  d'attaquer  les  arrets  des  Cours  souveraines,  c'itaient  les  propositims  d'er- 
reur,  qui  subsisterent  d'ailleurs  longtemps  a  c6t6  du  recours  en  cassation  et  qu'a- 
brogea  TOrdonnance  de  1667.  Voy.  Guyot,  Ripertowe,  V"  Cassation. 

(5)  Guyot  :  Ripert.,  V"  Cassation. 


2S0  l'okbonnance  de  1670. 

Seguier,  dans  un  requisitoire  que  nous  avons  plusieurs  fois  cite, 
exposait  largement  la  theorie.  «  Le  legislateur  h'a  pas  oublie  que 
la  dignite  de  la  magistrature  ne  mettoit  pas  le  magistrat  a  I'abri 
des  surprises  et  des  faiblesses  attachees  a  la  nature.  11  a  reconnu, 
peut-elre  par  sa  propre  experience,  que  I'erreur  eloit  le  partage 
de  I'huraanite,  et  que  rhomme  meme  le  plus  attentif  etoit  capable 
de  se  tromper,  sans  pouvoir  etre  accuse  de  partialite  et  de  pre- 
varication. La  loi,  garante  des  regies  qu'elle  a  fixees,  jalouse 
des  formes  qu'elle  a  consacrees ,  et  auxquelles  seules  elle  recon- 
nait  son  ouvrage ,  la  loi  par  un  exces  de  precaution  a  cru  devoir 
permettre,  malgre  I'epuisement  de  tous  les  degres  de  juridiction, 
de  recourir  encore  au  Souverain  lui-meme,  dans  le  cas  oil  Ton  au- 
roit  juge  centre  la  disposition  des  Ordonnances,  et  dans  tous  ceux 
oii  les  formes  prescrites  n'auroient  pas  ete  exactement  observees. 
Tout  homme  condamne  a  done  une  voie  pour  echapper  a  la  con- 
damnation  (1).  »  La  requete  etait  portee  au  Conseil  des  parties 
ou  Conseil  prive  «  compose  du  Chancelier,  des  quatre  secretaires 
d'Etat ,  des  conseillers  d'Etat  et  de  maitres  des  Requetes ,  qui  y 
servent  par  quartiers...  les  maitres  des  Requetes  rapportent  les 
affaires  au  Conseil  prive  (2).  »  II  y  avait,  suivant  les  cas,  rejet  de 
la  demande  ou  cassation  et  renvoi  a  une  nouvelle  juridiction.  La 
procedure  fut  fixee  d'une  fagon  definitive  par  le  Reglement  du 
Conseil  du  28  juin  1738,  dont  les  dispositions,  on  le  sail,  ont 
passe  en  partie  dans  notre  legislation  moderne.  En  matiere  cri- 
minelle,  ce  reglement  exigeait  la  consignation  d'une  amende  et 
la  mise  en  etat ,  dispositions  qui  furent  adoptees  par  notre  Code 
d'lnstruction  criminelle. 

II  semble  qu'il  y  eut  la  une  arme  puissante  mise  aux  mains  des 
accuses.  Ces  procedures,  ecrites  et  herissees  de  formalites,  de- 
vaient  etre  bien  souvent  semees  de  nullites,  et  devant  le  Conseil  du 
roi  on  pouvait  presenter  des  memoires,  qu'on  ne  manquait  pas  de 
publier  (3).  II  n'en  etait  rien  cependant.  La  possibilite  d'intenter 

(1)  HiquisUoire  de  1786,  p.  9. 

(2)  Guyot  :  Bipert.  V"  Conseil;  il  remarque  que  «  aucune  requSte  en  cassation 
ne  pent  6tre  portee  au  Conseil  qu'auparavant  elle  n'ait  6te  communiqu^e  aux  com- 
missaires  nomm^s  en  general  pour  I'examen  des  demandes  en  cassation.  » 

(3)  Guyot  :  R6pert.  V»  Cassation.  «  line  peut  dtre  distribufi  aucune  requite,  ni 


l'ordonnance  de  1670.  '        2S1 

ce  recours  ne  resultait  souvent  que  d'une  faveur  royale.  Ea  effet, 
le  recours  en  cassation  intente  ne  suspendait  point  ] 'execution  de 
I'arret.  En  matiere  civile,  cela  n'empechait  point  la  demande  de 
produire  son  resultat,  I'execution  n'ayant  pas  des  consequences 
irreparables.  En  matiere  criminelle,  la  main  du  bourreau  fut  sou- 
vent  intervenue,  avant  qu'on  efit  pu  saisir  le  Conseildu  roi;  pour 
que  la  cassation  fut  possible ,  il  fallait  une  grace  nouvelle  de  la 
Majeste  royale,  un  ordre  du  Souverain  arretant I'execution.  «  En 
maftere  civile,  I'arret  que  Ton  attaque  n'en  regoit  pas  moins 
son  execution ;  mais  en  matiere  criminelle ,  le  remede  extraor- 
dinaire du  recours  au  Souverain  doit  etre  precede  d'une  sur- 
seance  a  I'execution  du  jugement,  parce  qu'il  n'est  pas  au  pou- 
voir  des  magistrats  de  suspendre  la  con  damnation  qu'ils  ont 
prononcee  (1).  »  Get  ordre  sauveur  intervenait  assez  frequem- 
ment,  et  ce  ne  sont  pas  seulement  les  dernieres  annees  de  la 
monarchic  absolue  qui  nous  en  offrent  de  frequents  exemples  (2). 
Mais  pour  I'obtenir,  il  fallait  des  sollicitations  puissantes ,  ou  un 
heureux  hasard ,  comme  le  passage  d'un  grand  personnage  dans 
la  province;  souvent  le  messager,  qui  portait  I'ordre  du  roi,  n'ar- 
rivait,  comme  dans  les  yieux  contes,  qu'au  moment  oule  supplice 
sepreparait  deja(3). 
Le  pourvoi  en  cassation  etait  la  seule  voie  de  recours  extraor- 

consultatioD ,  ni  memoire  imprime  relativement  aux  demandes  en  cassation,  avant 
qu'il  ait  6te  ordonne  que  ces  demandes  seront  communiquSes ;  c'est  pourquoi  ii 
est  defendu  aux  avocats  au  Conseil  de  signer  des  ecrits  de  ce  genre.  Les  par- 
ties ou  leurs  defenseurs  peuvent  seulement  distribuer  aux  commissaires  ou  aux 
autres  juges  des  pieces  manuscrites  de  leurs  moyens.  » 

(1)  Siguier  :  Riquisitoire  cite,  p.  9,  10. 

(2)  Voyez  par  exemple  :  Correspon  ance  administrative  sous  Louis  XIV,  tom.  II, 
p.  184;  il  s'agit  de  sorciers  condamnes  au  bflcher,  le  courrier  arrive  le  jour  mgme 
de  I'execution;  —  p.  190,  il  s'agit  d'une  femme  pendue  une  premiere  fois  et  qui  a 
sarvecu;  cf.  p.  206. 

(3)  Voici  ce  que  .nous  lisons  dans  un  memoire  que  nous  examinerons  plus 
loin  :  «  Reprenez  vos  sens,  lui  dit  I'abbfe,  tout  n'est  pas  perdu;  tachez  de  dire 
votre  affaire;  monseigneur  Ic  garde  des  sceaux  est  ioi  (et  cela  6tait  vrai);  je 
lui  ferai  presenter  une  requete  par  une  personne  qui  a  du  credit  4  la  cour  de 
France...  La  sagesse  du  l^gislateur,  la  vigilance  du  tres-digne  chef  de  la  justice 
envoyerent  a  M.  le  marquis  de  Belbceuf,  procureur  general  au  Parlement  de  Rouen, 
Tordre  de  surseoir  a  I'execution...  il  6toit  temps,  car  les  ordres  ^toient  donnas  et 
I'execution  fixSe  au  lendemain  (Memoire  de  Lecauchois,  p.  7,  8,  11).  » 


2S2  l'ordonnance  de  1670. 

dinaire  ouverle  contre  les  arrets  criminels  en  dernier  ressort. 
lis  ne  pouvaient,  en  effet,  etre  attaques  par  la  requete  civile  (1). 

XI.  La  procedure  par  contumace  que  contient  I'Ordonnance 
est  celle  du  droit  anterieur,  simplifiee  et  precisee.  Faute  de 
pouvoir  executer  le  decret  de  prise  de  corps  contre  I'accuse.il 
y  avait  lieu  a  la  perquisition  de  sa  personne  et  a  rannotation 
de  ses  biens ;  puis  venaient  une  assignation  a  quinzaine  et  une 
citation  a  huitaine  par  un  seal  cri  public ;  tout  autre  delai  etait 
defendu(2).  Mors,  surles  conclusions  du  ministere  public,  inter- 
venait  un  jugement  ordonnant  le  recolement  des  temoins ,  lequel 
valait  confrontation;  enfln  «  le  meme  jugement  declarera  la 
contumace  bien  instruite,  en  adjugera  le  profit  et  contiendra 
la  condamnation  de  I'accuse.  » 

Le  caractere  essentiellement  revocable  de  I'arret  de  contu- 
mace ,  etait  nettement  etabli ,  on  defendait  d'y  inserer  la  clause  : 
«  Si  pris  et  apprehende  peut  estre.  »  A  la  place  de  Texecution 
reelle ,  impossible ,  on  organisait  une  execution  par  effigie  pour 
la  peine  de  mort ;  pour  quelques  autres  peines ,  I'afflche  sur  un 
tableau  en  place  publique;  pour  les  autres  enfin  la  signification 
du  jugement  au  domicile  de  I'accuse.  Gela  avait  une  grande 
importance  :  cela  faisait  courir  les  delais ,  a  I'expiration  desquels 
de  graves  decheances  etaient  encourues. 

A  quelque  epoque  que  le  condamne  se  represents,  tant  que 
Taction  n'etait  pas  prescrite,  le  jugement  par  contumace  torn- 
bait  de  plein  droit  (3) ;  mais  au  bout  d'un  an  ou  de  cinq  ans 
certains  eifets  persistaient.  Au  bout  d'un  an,  les  fruits  percus 
sur  les  biens  du  contumax  et  le  prix  provenant  de'  la  vente  de 

(1)  Le  oontraire  semblerait  ressortir  de  certains  tdmoignages  de  nos  anciens 
jurisconsuUes ,  voy.  Muyart  de  Vouglans  :  Institutes,  p.  368;  mais  cela  ne  doit 
s'entendre  que  du  cas  ou  le  proems  suivait  la  forme  ordinaire,  celle  des  procJs 
civils.  Jousse  I'explique  fort  bien  :  «  On  peut  aussi  se  pourvoir  par  requ6te  civile 
contre  les  arrSts  et  jugements  en  dernier  ressort  rendus  ei^  matifere  criminelle, 
quoique  definitifs,  quand  its  ont  iU  rendus  a  I'audience,  et  en  general  contre  tous 
oeux  d'instruotion  [Commentaire  sur  I'Ordonnance ,  p.  329).  »  —  Guyol  :  Ripert. 
V"  Revision  :  «  Les  lettres  de  revision  sont  en  matiere  criminelle  a  peu  prfes  oe 
que  sont  les  lettres  de  requite  civile  en  matifere  civile.  »  Cf.  Dupaty  :  Moyens  de 
droit,  p.  67. 

(2)  Tit.  XVII,  art.  7-10. 

(3)  Tit.  XVII,  art,  28. 


l'ordonnance  de  1670.  2S3 

ses  meubles  etaient  definitivement  perdus  pour  lui ;  au  bout  de 
cinq  ans ,  « les  condamnations  pecuniaires ,  ameudes  et  confisca- 
tions etaient  reputees  contradictoires  et  valaient  comme  ordon- 
nees  par  arret  (1).  »  La  mort  civile  etait  alors  encourue  d'une 
fagon  definitive  si  la  peine,  portee  dans  le  jugement,  etait  de 
nature  a  I'entrainer. 

Lorsque  la  contumace  etait  purgee,  on  procedait  a  la  con- 
frontation des  temoins  avec  I'accuse,  bien  que  jadis  un  juge- 
ment eut  declare  que  le  recolement  vaudrait  confrontation  (2); 
cependant,  si  les  temoins  etaient  decedes ,  ou  qu'il  fut  impos- 
sible de  les  confronter,  leurs  depositions  restaient  valables  :  il 
etait  fait  seulement  une  confrontation  UtUrale,  et  les  seuls  re- 
proches  possibles  etaient  ceux  justifies  par  pieces. 

Si  I'accuse  avail  ete  capture  au  debut ,  et  s'etait  evade ,  mais 
seulement  depuis  son  interrogatoire ,  lie  proces  continuait  con- 
tradictoirement ,  malgre  son  absence  (3). 

A  cote  des  procedures  que  nous  avons  esquissees,  et  qui 
etaient  normales ,  TOrdonnance  en  decrivait  quelques-unes  faites 
pour  les  cas  extraordinaires  :  c'etaient  les  proces  faits  aux  muets 
et  aux  sourds  (4),  ceux  faits  a  des  communautes  de  villes, 
bourgs,  villages,  corps  et  compagnies;  enfin  les  odieuses  pour- 
suites  que  I'ancien  droit  dirigeait  parfois  centre  le  cadavre  ou 
centre  la  memoire  d'un  defunt  (5). 


III. 

Telles  etaient  les  regies  de  la  procedure  criminelle  d'apres  I'Or- 
donnance  de  1670,  mais  certains  faits  pouvaient  y  porter  le 
trouble  ou  en  arreter  le  cours. 

Dans  I'ancienne  France,  il  etait  absolument  vrai  de  dire  que 

(1)  Jusqae-la  les  parties  avaient  pu  poursuivre  le  paiemeot  de  leurs  dommages- 
interSts,  mais  en  dormant  caution  (Serpillon,  p.  870).  Ce  systSme  ^tait  fort  sim- 
ple, et  il  6cartait  bien  des  difficult6s  qui  se  pr^sentent  sous  la  loi  actuelle. 

(2)  Tit.  XVII,  art.  10. 

(3)  Tit.  xvm,  art.  24. 

(4)  Tit.  xviii. 

(5)  Tit.  xxn. 


254  l'ordonnance  db  1670. 

toute  justice  emanait  du  roi;  sans  doute  il  en  avait  delegue 
I'exercice  aux  officiers  de  judicature,  mais  il  pouvait  intervenir 
quand  bon  lui  semblait.  C'etait  la  theorie  de  la  Justice  retenue;  de 
la  les  Lettres  de  grace  emanant  du  roi ,  terme  generique  qui 
comprenait  de  nombreuses  varietes.  «  Rien  n'etait  plus  digne  de 
la  bonte  de  nos  rois  que  la  reserve  qu'ils  out  faite  de  ce  pouvoir, 
en  meme  temps  qu'ils  ont  confie  aux  magistrats  le  soin  de  rendre 
la  justice  a  leurs  sujets ;  c'est-a-dire  que  le  pouvoir  de  ceux-ci 
est  uniquement  borne  a  poursuivre  le  crime,  en  prononcer  les 
peines  et  les  faire  executer ;  mais  les  poursuites ,  les  condamna- 
tions  et  cette  execution  cessent  d'avoir  lieu  aussitdt  qu'il  plait  au 
prince  d'interposer  son  autorite  et  de  declarer  le  crime  et  Faccu- 
sation  eteinte  (1).  »  Ce  n'etait  pas  tout  :  le  roi,  depositaire  de  la 
toute-puissance,  non-seulement  pouvait  arreter  le  cours  de  la  jus- 
tice ,  il  pouvait  aussi  suppleer  a  son  action  d'une  facon  myste- 
rieuse ,  au  moyen  des  lettres  de  cachet.  Examinons  d'un  peu  pUis 
pres  ces  deux  sortes  de  lettres. 

Le  terrae  de  grace,  dit  Jousse,  est  un  terme  generique  qui, 
comprend  toutes  les  lettres  emanees  directement  de  la  souveraine 
puissance  (2).  Les  especes  en  etaient  nombreuses  et  I'Ordonnance 
avait  pris  le  soin  de  les  enumerer,  mais  elles  se  ramenaient  toutes 
a  deux  types.  Les  unes  intervenaient  apres  une  cdndamnation 
prononcee ,  pour  en  arreter  I'effet ;  les  autres ,  plus  energiques , 
arretaient  toute  procedure  et  effacaient  le  crime  meme ,  elles  cor- 
respondaient  a  ce  que  nous  appelons  aujourd'hui  un  acle  d'am- 
nistie,  avec  cette  difference  qu'elles  etaient  delivrees  dans  I'in- 
teret  d'un  simple  particulier. 

Les  plus  importantes  parmi  les  lettres  de  grace  etaient  celles 
d'abolition.  «  Ce  sent  celles  que  Sa  Majeste  accorde  pour  des 
particuliers ,  prevenus  de  crimes  qui  meritent  la  mort  suivant  la 
disposition  des  lois  et  ordonnances  du  royaume ;  elles  ne  s'accor- 
dent  que  rarement  et  pour  de  grandes  considerations  et  ne  s'ex- 
pedient  que  dans  la  grande  chancellerie.  »  Elles  intervenaient 

(1)  Muyart :  Imt.,  p.  103. 

(2)  Comment. ,  p.  322.  Elles  se  distinguaient  des  lettres  de  justice  proprement 
dites,  comme  celles  d'appel,  de  requite  civile,  qui  etaient  pour  ainsi  dire  de  sim- 
ples formalit^s  de  procedure. 


l'ordonnance  de  1670.  25S 

generalement  avant  la  condamnation ,  cependant  «  corame  le  roi 
declare  qu'il  pardonne  le  cas  de  quelque  maniere  qu'il  soit  ar- 
rive... elles  peuvent  etre  obtenues  meme  apres  le  jugement  de 
condamnatioa  (1).  »  Les  lettres  de  remission  avaient  un  caractere 
assez  curieux;  elles  etaient  accordees  pour  les  «  homicides  invo- 
lontaires  seulement  ou  qui  seront  commis  daas  la  necessite  d'une 
legitime  defense  de  la  vie.  »  Pourquoi  ces  lettres  de  grace,  alors 
que  la  legitime  defense  exclut  toute  culpabilite?  C'est  qu'ea 
France,  a  cette  epoque,  «  quoique  le  crime  ait  ete  commis  pour 
cause  raisonnable  et  dans  la  necessite  d'une  legitime  defense, 
on  seroit  puni  d'homicide  sans  lettres  de  remission  (2).  »  Pour 
I'homicide  involontaire  ou  casuel,  la  meme  chose  etait  admise.  Au 
fond  il  n'y  avail  la  qu'un  precede  fiscal.  II  y  avail  aussi  une  autre 
espece  de  lettres  de  remission ;  c'elail  une  reproduction  des 
lettres  d'abolition ,  congues  en  termes  differents.  Les  lettres  de 
pardon  etaient  accordees  pour  les  cas  «  auxquels  il  n'echoit 
peine  de  mort  et  qui  neanmoins  ne  peuvent  etre  excuses.  » 
Toutes  ces  lettres ,  qui  arretaient  le  cours  de  la  justice ,  etaient 
I'un  des  fleaux  de  Taocien  regime  et  souvent  les  filats-Gene- 
raux  avaient  proteste  contre  cet  abus  (3) ;  mais  tout  ce  qu'on  put 
obtenir,  ce  furent  des  declarations  'contenues  dans  les  Ordon- 
nances ,  et  par  lesquelles  le  roi  renoncait  au  droit  de  faire  grace 
dans  les  cas  les  plus  graves;  I'Ordonnance  de  1670  contenait  une 
enumeration  de  ce  genre  (4). 

Les  autres  lettres ,  dont  il  nous  reste  a  parler,  n'intervenaient 
qu'apres  la  condamnation.  C'etaient  d'abord  les  lettres  pour  ester 
a  droit,  qui  etaient  necessaires  au  contumax  cinq  ans  apres 
I'execution  par  effigie ,  pour  faire  tomber  la  confiscation  de  ses 
biens ;  puis  les  lettres  de  rappel  de  ban  de  galeres  et  les  lettres 
de  commutation  de  peine  semblables  aux  lettres  de  grace  qui  sont 
en  vigueur  aujourd'hui ;  les  lettres  de  rehabilitation,  «  accordees 

(1)  Muyart  :  Instil.,  p.  110. 

(2)  Rousseau  de  Lacombe,  p.  83,  cf.  Muyart  :  Inst,  p.  512.  Cela  n'^tait  pas 
trfes-conforme  k  la  thSorie  qui  voulait  qu'on  classSt  la  legitime  defense  parmi  les 
faits  justificatifs.  Voy.  Jousse,  p.  495. 

(3)  Voy.  Picot,  I,  p.  121 ;  II,  191,  555,  556;  III,  186;  IV,  84. 

(4)  Tit.  XVI ,  art.  4. 


236  l'ordonnance  de  1670. 

pour  retablir  le  condamne  en  son  honneur  et  en  ses  biens;  elles 
supposent  toujours  qu'il  a  satisfait  a  la  peine  et  paye  les  in- 
terets  civils ;  elles  s'obtiennent  egalement  et  pour  les  personnes 
vivantes  et  pour  celles  qui  sont  decedees,  »  Venaient  enfin  les 
lettres  de  revision  «  accordees  par  le  roi  pour  revoir  et  faire  juger 
a  nouveau  un  proces  criminel ,  soit  a  cause  des  vices  de  nullite 
dont  il  peut  etre  infecte  dans  la  forme ,  soit  a  cause  de  I'injustice 
evidente  qu'il  renferme  au  fond.  Elles  sont,  en  matiere  crimi- 
nelle,  ce  que  sont  pour  le  civil  les  lettres  en  forme  de  requete 
civile  (1).  » 

Toutes  ces  lettres ,  bien  qu'elles  constituassent  I'exercice  de 
la.  justice  retenue,  se  rattachaient  cependant  a  la  juridiction  de- 
leguee  en  ce  qu'elles  devaient  6tre  enregistrees ,  ent6rin6es,  par 
les  tribunaux;  a  savoir,  par  les  Cours,  s'il  s'agissait  de  gen- 
tilshommes,  et  par  les  presidiaux  et  bailliages  s'il  s'agissait  de 
roturiers  (art.  12  et  13).  Get  enterinement  n'etait  point  toujours 
une  simple  formalite;  dans  certains  cas,  les  juges  devaient  ve- 
rifier si  les  lettres  etaient  «•  conformes  aux  charges  et  informal  • 
tions,  »  et  s'il  n'y  avail  point  concordance  ils  passaient  outre 
au  jugement;  «  la  Majeste  royale  ayant]  ete  trompee,  le  crime 
qui  se  poursuit  alors  n'est  point  celui  que  Sa  Majeste  a  par- 
donne.  »  II  en  etait  ainsi  pour  les  lettres  d'abolition,  de  re- 
mission et  de  pardon.  Si  d'autre  part  le  crime  etait  enqrine, 
ou  surtout  s'il  s'agissait  d'un  de  ceux  pour  lesquels  le  roi  avail 
renonce  au  droit  de  grice,  les  tribunaux  pouvaient  adresser 
des  remontrances ,  les  Cours  directement  au  roi ,  les  autres 
juridictions  au  Chancelier.  S'il  s'agissait  de  lettres  de  rappel 
de  ban  de  galeres,  de  commutation  de  peine,  de  rehabilita- 
tion, elles  devaient  6tre  enterinees  «  sans  examiner  si  elles 
etaient  conformes  aux  charges  et  informations,  sauflexlroit  de 
representation;  »  mais  comme  garantie  de  sincerite,  I'arret  ou 
jugement  de  condamnation  devait  etre  attache  «  sous  le  contre- 
sceel  de  ces  lettres.  »  L'Ordonnance ,  pour  I'enterinement  des 
lettres ,  organisait  une  sorte  de  procedure  contentieuse  ou  figu- 
raient  la  partie  civile  et  la  partie  publique.  Les  lettres  de  revision 

(1)  Muyart  :  Inst.,  p.  Hi. 


l'ordonnance  de  1670.  257 

donnaient  lieu  k  un  veritable  proces ;  pour  les  obtenir,  il  fallait 
intenter  una  action  devant  le  Conseil  du  roi.  (Art.  8-10.) 

Les  lettres  de  cachet  constituaient  un  acte  bien  plus  fort  de 
la  puissance  royale.  Elles  tiraient  leur  nom  de  leur  forme  : 
«  C'est  une  letlre  ecrite  par  ordre  du  Roi ,  contresignee  par  un 
secretaire  d'Etat  et  cachetee  du  cachet  du  roi  (1).  »  Elles  pou- 
vaient  contenir  toutes  sortes  de  commandements,  et  en  particulier 
un  ordre  d'exil  ou  d'emprisonnement  :  «  le  roi  etant  considere 
comme  la  source  de  toute  justice,  avait  le  singulier  privilege 
de  pouvoir  disposer  de  la  liberie  et  des  proprietes  des  citoyens 
sans  jugement,  par  sa  volonte  particuliere  (2).  »  Bien  entendu 
^  il  n'etait  pas  question  d'adresser  ces  lettres  aux  cours  de  jus- 
tice, on  etait  sur  le  domaine  du  bon  plaisir  :  «  Ces  sortes  de 
lettres  sont  portees  a  leur  destination  par  quelque  officier  de 
police...  celui  qui  est  charge  de  remettre  la  lettre  fait  une  espece 
de  proces-vei'bal  de  I'execution  de  sa  commission  (3).  »  On  salt 
quel  usage  fit  la  royaute  de  cette  ressource  deplorable.  Les  lois 
criminelles  etaient  muettes  sur  ce  point.  On  ne  reglemente  pas 
ce  qui  de  son  essence  est  arbitraire.  Cependant  souvent  des  pro- 
testations se  faisaient  jour,  et  qui  parfois  partaient  de  haut. 
Malesherbes,  en  particulier,  parlant  au  nom  de  la  Cour  des 
Comptes  adressa  un  jour  a  Louis  XV  des  remontrances  d'une 
male  energie  (4) ;  et  le  Parlement ,  dans  ces  luttes  qui  agiterent 
le  regne  de  Louis  XV  et  que  des  recherches  recentes  ont  mises 
en  lumiere,  en  arriva  a  contester  les  lettres  de  cachet.  En  1753 
(avril),  a  propos  de  certaines  remontrances,  voici  comment  s'ex- 
prime  I'avocat  Barbier  :  «  On  parle  surtout  de  I'article  des  let- 
tres de  cachet  qui  va  jusqu'a  attaquer  I'autorite  de  tons  les 
ministres,  et  d'ailleurs  qui  attaque  aussi  la  personne  du  roi, 
comme  si  on  supposait  qu'il  signat  des  lettres  de  cachet  sans 
qu'il  sut  de  quoi  il  s'agit,  ou  que  les  ministres  soient  maitres 

(1)  Guyot :  Rip.  V"  Lettre  de  cachet.  Voy.  Mirabeau  :  «  Des  lettres  de  cachet 
et  des  prisons  d'Etat.  »  Ouvrage  compose  en  1778,  Hambourg,  1782  (toute  la 
premiere  partie). 

(2)  Laboulaye  :  Revue  des  Cours  littiravres,  ann^e  1866,  p.  9. 

(3)  Guyot :  loc.  cit. 

(4)  Voy.  Laboulaye  :  Revue  des  Cours  litUraires,  1864,  p.  643. 

17 


238  l'ordonnance  de  1670. 

d'en  delivrer  sans  en  parler  au  roi  (1).  »  Dans  lameme  annee, 
il  dit  encore  :  «  On  n'a  point  encore  les  remontrances  du  Par- 
lement  de  Rouen  imprimees ,  mais  les  Jansenistes  ont  fait  courir 
dans  Paris  les  motifs  de  ces  remontrances,  qui  ne  peuvent  pas 
etres  les  veritables,  d'autant  qu'ils  attaqueraient  ouvertement 
I'autorite  souveraine.  On  y  dit  formellement  que  le  roi  ne  peut 
user  de  lettres  de  cachet  qu'a  I'egard  de  ses  ministres  et  des 
officiers  de  sa  maison,  mais  non  pas  envers  aucun  sujet  parti- 
culier ;  que  s'il  est  coupable  ou  soupgonne  de  I'etre  en  quelque 
chose,  le  roi  doit  le  deferer  a  la  justice  pour  6tre  juge  par  les 
tribunaux  et  suivant  les  lois  (2).  » 

Une  autre  manifestation  de  la  puissance  souveraine  etait  la 
nomination  par  le  roi  de  commissaires  charges  de  juger  les  pro- 
ces  criminels ,  ou  les  Evocations  qu'il  en  faisait  a  son  conseil. 
«  En  France ,  on  distingue  les  commissaires  nommes  par  le  roi 
et  les  commissaires  nommes  par  les  cours  et  autres  juges... 
La  commission  generale  se  donne  par  des  lettres  de  chanceUerie 
et  il  n'y  a  que  le  roi  qui  puisse  la  donner.  II  n'y  a  que  le  roi 
qui  puisse  donner  des  commissions  extraordinaires ,  et  ces  com- 
missions doivent  contenir  I'etendue  et  les  bornes  du  pouvoir 
accorde  aux  commissaires.  Toutes  sortes  de  particuliers  peuvent 
etre  choisis  par  le  souverain  soit  pour  Juger  soit  pour  reformer... 
Les  commissaires  ainsi  nommes  doivent  faire  publier  leurs  lettres 
de  commission  au  lieu  oii  ils  veulent  en  faire  usage,  surtout  lors- 
qu'il  s'agit  de  faire  quelque  acte  de  justice  ou  de  rigueur,  sinon 
on  pourra  leur  refuser  obeissance.  Dans  I'instruction  et  le  juge- 
ment  des  affaires  pour  lesquelles  il  a  ete  nomme  des  commis- 
saires ,  ils  sont  tenus  ainsi  que  les  autres  juges  de  se  conformer 
aux  lois  et  aux  ordonnances  du  royaume.  On  n'est  point  admis 
a  appeler  d'un  jugement  de  commissaires  nommes  par  le  roi  a 
moins  qu'ils  n'aient  excede  les  bornes  de  leur  commission... 
Lorqu'ils  sont  etablis  pour  le  jugement  de  quelque  affaire  crimi- 
nelle ,  ils  peuvent  annuler  leur  procedure  si  elle  est  vicieuse  et 
ordonner  qu'elle  sera  recommencee.  Au  reste,  on  regarde  en 

(1)  Journal,  VI,  p.  368. 

(2)  Journal,  V,  p.  415. 


l'ordonnance  de  1670.  2S9 

general  les  commissions  extraordinaires ,  comme  etant  d'une  dan- 
gereuse  consequence.  C'est  pourquoi  les  parlements  ne  les  admet- 
tent  pas  aisement  (1).  »  On  sait  quel  abus  fit  parfois  la  royaute  de 
cette  institution ,  centre  laquelle  protesterent  maintes  fois  les 
Etats-Generaux. 

(1)  Guyot  :  Rupert.  V»  Commissaires. 


260  l'ordonnance  db  1670. 

CHAPITRE  TROISIEME. 
La  thSorie  des  preuves  16gales. 


I.  Les  preuves  du  vieux  droit  coutumier;  les  pr^somptions;  changements  dans 
la  th^orie  :  le  droit  romala  et  les  docteurs.  —  II.  La  th^orie  des  preuves  ISgales; 
le  corps  du  d^lit;  la  culpability.  La  preuve  complete,  temoins,  ecritures,  aveu, 
pr^somptions.  Les  indices  prochains  «  ou  semi-preuves ;  »  la  torture. 

La';  procedure  criminelle  que  nous  avons  etudiee  jusqu'ici,  ce 
mecanisme  terrible  qui  s'organise  peu  a  peu  pour  arriver  a  sa 
tension  extreme  dans  I'Ordonnance  de  1670,  ne  peut  bien  se 
comprendre  que  si  Ton  en  rapproche  la  theorie  des  preuves  qui 
s'etait  formee  en  meme  temps.  G'est  le  systeme  qu'on  appelle 
dans  rWstoire  du  droit,  celui  des  preuves  Ugales.  Pour  que  le 
juge  condamne  dans  ce  systeme ,  il  faut  qu'il  reunisse  certaines 
preuves  determinees  d'avance ;  mais  d'atitre  part ,  mis  en  face  de 
ces  preuves,  il  doit  necessairement  condamner;  peu  importe  dans 
I'une  ou  I'autre  hypothese  sa  conviction  intime.  La  grande  maxima 
de  I'ancien  droit,  c'est  qu'on  doit  juger  «  secundum  allegata  et 
probata  (1).  »  Le  juge  est  comme  un  clavier,  qui  repond  inevita- 
blement  lorsqu'on  frappe  certaines  touches. 

La  procedure  inquisitoire  et  secrete  appelait  comme  un  conlre- 
poids  necessaire  cette  tyrannic  des  preuves ,  et  il  semble  que  ce 
soit  dans  I'interet  de  la  defense  qu'on  ait  exige  ces  preuves  plus 
lucides  «  que  le  clair  jour  luisant  a  midi.  »  Mais,  d'autre  part,  la 

(1)  Loysel  :  Inst.  cout.  Titre  des  jugements,  rfegle  11.  —  «  Nee  praesumant  judi- 
cesjudicare  secundum  eorum  conscientias,  ut  faciunt  Veneti  juris  et  justitiae  ignari, 
sed  solum  secundum  leges  et  jura  et  probationes  sibi  factas,  licet  aliud  viderint 
ooulata  fide,  vel  habeant  in  conscientia  sua  quantum  sit  probatum,  nisi  eis  esset 
notum  ut  judici'. »  Constantin  {Comment,  de  VOrd.  de  1539,  p.  238).  —  «  II  ne  suffit 
pas  que  le  juge  ait  la  conviction  que  peut  avoir  tout  homme  raisonnable,  sur  un 
assemblage  de  prfisomptions  et  d'indices.  Rien  n'est  plus  fautif  que  cette  mani^re 
de  juger  qui,  dans  la  v^rite,  n'est  qu'une  opinion  plus  ou  moins  fondle. »  Poul- 
lain  du  Pare,  Principes  du  droit  franQais,  torn.  XI,  p.  112. 


l'ordonnance  de  1670.  261 

th^orie  des  prevfves  legales ,  rendant  la  conviction  du  coupable 
plus  difficile  a  obtenir,  fit  resserrer  de  plus  en  plus  les  mailles  de 
la  procedure  criminelle  :  il  y  eut  un  double  mouvement  tendant 
fatalement  dans  le  meme  sens. 

Ce  sysleme  s'introduisit  peu  a  peu;  c'est  dans  les  textes  du 
droit  remain  que  les  baillis  et  les  prev6ts  en  trouverent  les  pre- 
miers elements ;  mais  il  existait  en  puissance  le  jour  oil  les  ju- 
ristes  remplacerent  les  hommes  jiigeurs  dans  les  cours  feodales. 
Lorsque,  pendant  longtemps,  un  corps  de  magistrats  permanents 
a  seul  administre  la  justice  criminelle ,  la  formation  lente  d'un 
systeme  de  preuves  legales  est  inevitable ,  et  si ,  par  impossible , 
le  jury  disparaissait  de  nos  lois,  on  pourrait  s'attendre  a  voir  re- 
paraitre  cette  subtilite  et  cette  casuistique,  qui  sont  aujourd'hui  si 
loin  de  nous. 

L'Ordonnance  de  1670  ne  contenait  point  I'expose  de  ces  regies 
minutieuses  et  compliquees,  mais  elle  les  supposait.  Une  telle 
exposition  ne  pouvait  guere  convenir  a  une  ceuvre  legislative; 
mais  pour  ne  se  trouver  que  dans  -les  livres  de  doctrine  et  de  ju- 
risprudence, ces  regies  n'en  avaient  pas  moins  I'autorite  de  lois 
veritables.  Nous  nous  proposons  d'examiner  rapidement  comment 
ces  pfincipes  s'introduisirent  dans  notre  droit ,  et  apres  avoir  de- 
gage  la  theorie,  telle  qu'elle  etait  formulee  aux  xvu'  et  xvni^  sie- 
cles,  nous  montrerons  comment  elle  s'harmoniait  avec  les  formes 
de  la  procedure. 

I. 

Dans  la  procedure  feodale  si  les  preuves  etaient  grossieres, 
souvent  peu  raisonnables ,  leur  appreciation  etait  du  moins  fa- 
cile; le  juge,  simple  spectateur,  n'avait  le  plus  souvent  qu'a 
constater  un  fait  materiel.  L'avea  etait  la  plus  complete  des  preu- 
ves et  dispensait  meme  de  toute  procedure  ulterieure ,  mais  au- 
cune  violence,  aucune  ruse  n'etaient  employees  pour  le  provo- 
quer.  Ce  sont  les  traits  que  conserve  aujourd'hui  encore  la  pro- 
cedure anglaise.  L'accuse  niait-il?  on  recourait  au  duel  judiciaire 
ou  aux  temoins ;  dans  la  bataille ,  la  victoire  ou  la  defaite  ne  lais- 
saient  aucun  doute ,  et  le  temoignage ,  a  I'origine,  consistait  dans 


262  l'ordonnance  de  1670. 

une  formule  que  le  juge  n'appreciait  pas.  Riea  de  plus  simple 
que  ces  modes  de  preuve ,  et  c'etait  leur  simplicite  qui  les  faisait 
accepter  de  ces  esprits  primitifs,  alarm^s  par  ce  probleme  si  grave 
en  lui-meme  :  comment  prouver  et  mettre  hors  de  doute  une  chose 
niee? 

La  liste  cependant  ne  s'arretait  pas  la ,  on  connaissait  aussi  les 
presomptions ;  mais ,  elles  etaient  egalement  simples ,  brutales ,  et 
pour  ainsi  dire  formalistes.  Ainsi  Ton  admettait  que  I'accuse  em- 
prisonne ,  qui  prenait  la  fuite ,  reconnaissait  par  la  meme  sa  cul- 
pabilite.  «  Li  presontions  qui  est  si  clere  qu'ele  vaut  prueve  du 
fet  si  est  quant  aucuns  est  tenus  en  prison  pour  aucun  souspecon 
de  vilain  fet  et  il  brise  le  prison,  car  quant  il  a  le  prison  brisee,  le 
presontion  est  si  grans  qu'il  n'oza  atendre  droit  et  por  ce  s'il  est 
repris  il  est  justicies  du  fet  por  lequel  il  est  repris  (1).  »  —  «  Ceux 
qui  sont  prins  et  arrestez  en  la  cause  declairee  par  aucun  meffait 
ou  pour  souspegon  d'aucun  meffait  et  ils  brisent  leurs  prisons  ou 
trespassent  bonnes  (2),  et  ilz  sont  prins  au  dehors  de  leurs  bonnes, 
ilz  sont  actaints  du  meffait  par  quoi  ils  estoient  prins  et  seront 
puniz  selon  le  meffait  (3).  »  De  mSme  les  defauts  multiplies,  qui 
amenent  si  la  mise  hors  ban  dans  la  procedure  par  contumace,  sont 
consideres  par  les  coutumiers  comme  une  presomption  invincible 
de  culpabilite  (4). 

Dans  la  procedure  particuliere  qui  se  deroulait  lorsque 
I'homme  soupconne  acceptait  I'enquite  du  pays,  le  juge  avait 
sans  doute  une  appreciation  plus  libre  et  une  tache  plus  deUcate ; 
mais  nous  n'avons  guere  de  renseignements  sur  cette  forme  de 
jugement ,  qui  devait  de  tres-bonne  heure  disparaitre  de  nos  lois. 

Lorsque  I'Ordonnance  de  1260  eut  supprime  le  temoignage 
formaliste  fourni  en  pleine  audience ,  la  theorie  de  la  preuve  se 
modifia  par  la  meme;  le  juge  avait  a  apprecier  la  deposition; 


(1)  Beaum.,  xxxix,  15;  xxx,<13. 

(2)  Bonnes-bomes;  il  s'agit  d'un  individa  laissfi  en  liberty,  mais  i.  condition 
qu'il  ne  s'Sloignera  pas  d'un  certain  lieu. 

(3)  Livre  des  Droiz,  §  333. 

(4)  Beaum.,  xxxix,  16;  xxx,  13.  Livre  des  Droiz,  §  331.  On  est  alors  dans  le 
syst^me,  d'aprfes  lequel  la  contumace  aboutit  k  une  condamnation  sur  le  fait  et 
non  plus  k  une  simple  mise  hors  la  loi. 


l'ordonnance  de  1670.  263 

mais  on  conserva  le  vieux  principe  qui  voulait,  pour  une  con- 
damnation,  deux  temoins  oculaires  et  concordants.  Ge  fut  sur- 
tout  V uprise ,  qui ,  augmentant  les  pouvoirs  du  juge ,  eut  une 
grande  influence  sur  le  developpement  de  la  theorie  des  preu- 
ves  (1).  Des  le  debut  on  se  montra  dispose  a  gtre  tres-exigeant 
quant  a  la  preuve,  mais  en  meme  temps  la  jurisprudence  s'inge- 
nia  a  trouver  des  combinaisons  d'indices  qu'on  avail  negligees 
jusque-la  :  ce  furent  surtout  les  presomptions  qu'on  etudia. 

Quelques-unes  des  anciennes  presomptions  et  des  anciennes 
preuves  perdirent  de  leur  force.  Cela  arrivera  bientdt  pour  I'a- 
veu;  ilne  formera  plus  par  lui-meme  et  isole,  une  preuve  com- 
plete. C'est  qu'il  n'etait  plus  libre  et  spontane,  mais  arrache 
par  d'habiles  interrogatoires ,  et  c'est  une  regie  qui  ne  com- 
porte  guere  d'exceptions  dans  I'histoire  du  droit  :  I'aveu  ne  fait 
preuve  entiere  centre  le  coupable  que  la  ou  il  est  absolument 
volontaire.  II  semblerait  meme,  d'apres  un  texte,  qu'a  un  moment 
donne  on  aurait  exige  k  la  fois  pour  condamner  et  I'aveu  et  le 
temoignage,  mais  le  passage  du  Livre  des  Droiz,  Jqui  affirme 
cela ,  ne  doit  etre  regarde  que  comme  demontrant  la  force  de 
croissante  de  I'aveu  parmi  les  modes  de  preuve  (2).  La  presomp- 
tion  de  culpabilite  que  contenait  la  contumace  s'attenuera  aussi , 
et  on  arrivera  a  admettre  que  le  juge  ne  doit  pas  alors  necessaiT 
rement  condamner.  La  fuite  du  prisonnier  ne  sera  pas  non  plus 
une  charge  invincible  centre  lui. 

Mais,  d'autre  part,  de  nouvelles  presomptions,  plus  fines  que 
les  anciennes ,  s'introduisent ,  un  tres-petit  nombre  d'entre  elles , 
il  est  vrai ,  pouvant  motiver  une  condamnation.  Beaumanoir  les 
divise  ainsi  :  «  les  unes  poent  donner  le  fet  si  cler  que  il  est 
proves  par  les  presontions  et  les  autres  sent  si  douteuses  que 
li  meffet  ne  se  proevent  pas  par  elles  (3).  »  Parmi  les  premieres , 

(1)  Voy.  Beaumanoir,  xxxix ,  12 ,  13  ,  14. 

(2)  §  644  :  «  II  est  droit  que  si  un  homme  est  condamn^  a  mort  par  aucune 
justice,  il  peut  appeler  au  souverain  juge  ou  autre  de  son  lignage  pour  lui...  Et 
dit  droit  que  si  cellui  qui  est  condempn6  n'est  convaincu  par  confession  et  par  ga- 
rans  que  sa  condamnation  n'est  nulle;  et  si  la.  confession  y  esloit  sansgarans  ou  les 
garans  sans  confession,  que  ces  demo  choses  n'y  fussent ,  que  la  bondempnacion  se- 
rojt  centre  droit.  » 

(3)  Beaum.,  zxxix,  11. 


264  l'ordonnance  de  1670. 

il  en  enumere  quelques-unes  qui  garderont  jusqu'au  bout  toute 
leur  energie ,  celle  par  exemple  qui  consiste ,  en  cas  de  meurtre , 
en  ce  que  deux  temoins  ont  vu  I'accuse  s'enfuir  tenant  a  la  main 
un  couteau  nu  et  ensanglant§  (1). 

Mais  d'autres  s'affaibliront,  telle  est  celle  qui  consiste  en  ce  que 
des  menaces  ont  ete  adressees  avant  le  crime ;  I'auteur  des  me- 
naces, lorsqu'il  les  niait,  etait  considere  comme  I'auteur  du 
crime,  «  quant  manece  est  faite  et  apres  la  manece  la  coze  est 
fete  qui  en  la  manece  fut  promise  (2).  »  Bientot  ce  ne  sera  plus 
la  qu'un  indice  prochain.  Mais  le  nombre  des  presomptions  qui 
pouvaient  faire  condamner  un  homme  etait  fort  limite ,  et  quel 
que  fut  le  nombre  des  autres  indices  ils  ne  pouvaient  entrainer 
une  condamnation.  «  Nus  ne  doit  autrui  justicer  par  presontion, 
se  la  presontion. n'est  moult  aperte  si  comme  noz  avons  dit  des- 
sus ,  tant  soit  qu'il  ait  moult  de  presontions  douteuses  contre 
celui  qui  est  tonus  (3).  » 

Une  semblable  theorie,  empreinte  peut-etre  de  scrupuleuses 
exagerations ,  n'aurait  rien  eu  que  de  bienfaisant ;  mais  le  juge 
arrete  par  des  obstacles  accumules  chercha  un  moyen  de  les 
surmonter,  ce  moyen  ce  fut  la  torture,  nous  1' avons  deja  dit. 
Lorsqu'il  n'y  avait  qu'un  temoin  oculaire  deposant  contre  I'ac- 
cuse ou  lorsqu'il  existait  une  presomption  tres-forte  mais  non 
invincible  suivant  le  droit ,  la  justice  n'hesita  pas  a  recourir  a  la 
question,  placee  qu'elle  etait  dans  cette  alternative,  ou  de  laisser 
echapper  un  homme  qu'elle  sentait  coupable,  ou  de  completer  sa 
preuve ,  coute  que  coute. 

(1)  « lis  virent  que  Jehan  se  partit  de  la  presse  le  coutel  nu  et  ensanglant^  et  vi- 
rent  que  eel  qui  mourust  dist :  « II  m'a  mort.  »  Et  en  cheste  aprise  ne  pot  en  veir 
fet  notoire  fors  par  presontion ,  car  nus  ne  vit  le  coup  doner ;  ne  porquant  li  dis 
Jehans  fut  condampn^s  et  justici6s  par  cele  presontion.  »  jjoix,  12. 

(2)  Beaum.,  xxxix,  13,  14;  —  Ancienne  coutume  de  Bourgogne,  art.  53  :  « Item 
se  je  menace  aucun  de  son  corps  et  de  ses  biens  ej  aprfes  ce ,  mal  ou  dommaige 
lui  vinct  et  je  lui  nye  sa  menace  et  il  la  prouve,  le  juge  aura  et  tiendra  pour 
prouv6  ce  qui  aura  6te  fait  au  menacii ;  et  se  je  lui  confesse  la  menace  et  jure 
que  par  moy  ne  par  mon  pourchain  mal  ne  domaige  ne  lui  est  venus ,  combien  que 
je  I'aye  menace  il  en  sera  quictes  pourtant;  et  s'il  offre  de  prouver  aprfes  mon 
serment ,  que  pour  ladite  menace  mal  et  dommaige  lui  est  venus ,  il  ne  prouvera 
pas  par  tesmoings  ne  par  enqueste,  si  n'est  par  gaige  de  bataille.  »  Ch.  Giraud; 
Essai  sur  I'histoire  du  droit  [ran^ais ,  II,  p.  278. 

(3)  Beaum.,  xxxix,  18. 


l'ordonnance  de  1670.  265 

Ces  principes  nouveaux,  les  juristes  croyaient  les  trouver  et  les 
trouvaient  meme  en  grande  partie  dans  les  textes  du  Digests  et 
du  Code.  A  Rome ,  tant  que  les  juges  avaient  ete  les  jures  des 
qusestiones  perpetuae,  aucune  theorie  des  preuves  bien  precise 
ne  s'etait  developpee.  Les  rheteurs  avaient  seulement  degage 
un  certain  nombre  de  regies  qui  devaient  faciliter  la  composition 
des  plaidoyers  et  rendre  plus  stir  le  triomphe  de  I'orateiir.  Mais 
lorsque  le  pouvoir  de  juger  passa  aux  mains  de  magistrals 
permanents,  en  meme  temps  que  le  principe  des  peines  arbi- 
traires  et  la  ressource  de  I'appel ,  naquit  une  theorie  des  preuves 
legales  :  elle  fut  Tceuvre  de  la  jurisprudence,  et  les  juriscon- 
sultes  de  I'epoque  classique  contribuerent  grandement  a  sa  for- 
mation, sans  que  cependant  elle  arrival  jamais  a  un  complet 
developpement  (1).  On  admit  bient6t  que  I'aveu  ne  serait  une 
preuve  complete  qu'autant  qu'il  serait  appuye  par  des  fails 
concordants  (2).  On  determina  les  causes  qui  pourraient  faire 
ecarter  un  temoignage,  limitant  ainsi  la  libre  appreciation  du 
juge;  on  trouve  meme  les  traces  d'un  classement  des  indices 
et  les  rudiments  d'une  theorie  de  la  preuve  ecrite.  Ehfm ,  I'u- 
sage  de  la  torture  est  ramene  a  des  regies  fixes ,  qui  enseignent  - 
d'un  c6te  que  ce  n'est  qu'une' ressource  qui  doit  etre  employee 
seulement  a  defaut  de  toute  autre,  et  d'autre  part,  qu'il  faut 
pour  I'admettre  trouver  deja  de  graves  presomptions  (3). 

Ge  sont  ces  principes  que  les  auteurs  du  xv"  et  du  xvi"  siecle 
developperent  en  les  precisant  :  ils  en  firent  sortir  une  theorie 
qui  certes  n'etait  tout  au  plus  qu'en  germe  dans  les  lois  ro- 
maines.  Cette  theorie,  due  surtout  aux  criminalistes  Italiens, 
s'imposa  partout  oii  s'introduisait  la  procedure  inquisitoire.  Nous 
en  avons  trouve  des  traces  certaines  dans  Bouteiller,  et  I'Or- 
donnance  de  1498  lui  doit,  entre  autres,  une  bien  curieuse  dis- 
position. Elle  declare,  nous  I'avons  vu ,  que  si  Ton  n'a  pu  arriver 
a  aucun  resultat  par  le  proces  extraordinaire,  il  faut  renvoyer 
les  parties  au  proces   ordinaire,   c'est-a-dire  aux  formes  ci- 

(1)  Geib  :  Geschichle  der  Rom.  Criminalprozess  bis  auf  Justinian,  p.  611,  ssq. 

(2)  L.  I,  §§  17,  27,  D.  48,  18. 

(3)  L.  8,  pr.  L.  1,  §  1.  L.  18,  §  2.  L.  20,  D.  48,  18. 


266  l'ordonnance  de  1670. 

viles  (1) ;  cela  s'explique  si  Ton  songe  que  pour  prononcer  les 
peines  capitales,  but  normal  des  proces  extraordinaires ,  il  fal- 
lait  des  preuves  toutes  speciales. 


II. 

Aux  XVI'  et  xvii"  siecles  le  systeme  des  preuves  legales 
etait  completement  arrete;  il  subsista  tant  que  dura  la  proee- 
dure  criminelle  de  I'Ordonnance ,  c'est-a-dire  jusqu'eu  1789. 
Nous  aliens  tclcher  de  I'exposer  rapidement ;  nous  emprunte- 
rons  surtout  nos  renseignements  a  Muyart  de  Vouglans,  qui 
a  consacre  a  cette  matiere  la  sixieme  partie  de  ses  Institutes  au 
droit  criminel,  resumant  et  coordonnant  les  opinions  des  doc- 
teurs,  celles  du  moins  qu'avait  recues  la  jurisprudence  frem- 
caise. 

Quatre  moyens  de  preuve  etaient  adnais,  qui  se  retrouvent 
du  reste  dans  toutes  les  legislations  :  les  temoins,  I'aveu  ou 
preuve  vocale,  les  ecrits  ou  preuve  instrumentale ,  et  les  pre- 
somptions  ou  preuve  conjecturale  (2).  Mais  ces  divers  modes 
peuvent  donner  lieu  a  bien  des  combinaisons ,  qui  sont  propres 
au  systeme. 

Ce  qu'on  cherche,  c'est  une  preuve  complete,  permettani 
d'asseoir  une  condamnation  capitale;  car  c'est  la  I'hypothese 
dans  laquelle  se  plagaient  toujours  les  criminalistes ,  les  crimes 
capitaux  etant ,  suivant  eux ,  le  fond  meme  du  droit  criminel  (5). 
Dans  les  accusations  moins  graves ,  on  ne  maintient  point  la 
rigueur  des  principes  quant  a  la  preuve  (-4).  Procedant  avec  une 

(1)  Voy.  ci-dessus,  p.  139. 

(2)  C'est  ce  que  reconnalt  implicitement  I'Ordonnance,  tit.  xxv,  art.  5  :  «  Les  pro- 
c6s  pourront  estre  instruits  et  jug6s,  encore  qu'il  n'y  ait  point  d'information ,  si 
d'ailleurs  il  y  a  preuve  suffisante  par  les  interrogatoires  ou  par  pieces  authentiquBS 
ou  reoonnues  de  I'accusi,  ou  autres  pr^somptions  et  circonstances  du  prooJs.  » 

(3)  «  Comme  il  n'y  a  aucune  loi  qui  puisse  autoriser  la  punition  de  I'innocent,  il 
faut,  sur  quelque  crime  que  ce  soit,  une  preuve  complette,  pour  prononcer  une 
peine  capitale ,  et  cette  preuve  ne  pent  6tre  faite  que  dans  les  formes  prescrites 
par  la  loi...  Sans  cela  tout  jugement  de  condamnation  est  au  moins  tSmSraire ;  et 
Ton  peut  dire  en  quelque  sorte  qu'il  est  injuste ,  quand  mfime  dans  la  v6rit6  I'ac- 
cus§  seroit  coupable.  »  PouUain  du  Pare,  torn.  XI,  p.  112,  113. 

(4)  Ibid.,  p.  116  :  «  Dans  les  accusations  qui  ne  sont  pas  capitales,  il  est  evi- 


l'ordonnance  de  1670.  267 

logique  parfaite,  nos  anciens  auteurs  enseignaient  que,  pour  la 
conviction  de  I'accuse,  il  fallait  6tablir  deux  points  :  1°  un  crime 
a  ete  commis ;  2°  I'accuse  en  est  I'auteur. 

fitablir  le  premier  point,  c'etait  constater  le  corps  du  Mlit  : 
a  De  re  priusquam  de  reo  inquirendum  (1).  »  Cette  constatation 
prealable  etait  exigee  deja  dans  le  vieux  droit  coutumier;  mais 
elle  etait  alors  grossiere  et  formaliste ,  il  fallait  montrer  au  juge 
mdme  la  plaie  ou  le  cadavre.  «  L'en  doibt  scavoir  que  en  telles 
suytes,  si  le  sang  et  le  mesfaict  ou  il  y  ait  peril  de  corps,  si 
comme  de  mort  ou  de  mehaing ,  n'est  montre  a  la  justice  et  veu 
suffisamment ,  bataille  n'en  doibt  estre  gaigee  (2).  »  Quand  il 
le  fallait,  les  juges  se  transportaient  sur  les  lieux,  pour  proce- 
der  «  a  la  vue,  »  qu'ils  venaient  ensuite  recorder.  «  Du  temps 
de  saint  Louis,  la  violence  ne  pouvait  etre  constatee  que  par 
I'inspection  par  les  juges  du  sang  de  la  blessure  ou  de  la  plaie... 
la  preuve  sur  I'auteur  du  delit,  c'est-a-dire  le  combat,  n'etoit 
accordee  a  I'accusateur  qu'autant  que  le  fait  etoit  constant  et 
reel  et  prouve  par  I'effusion  du  sang,  ou  blessure,  plaie  vue  en 
justice  (3).  ))  Mais  bientot  ce  mode  grossier  fit  place  a  I'inspec- 
tion  par  les  hommes  de  I'art.  Dans  le  Registre  de  Saint-Martin,  le 
«  mire  jure ,  »  et  la  «  matrone  juree  »  jouent  un  rfile  important 
et  font  de  nombreux  rapports. 

Quant  a  la  constatation  du  corps  du  delit,  on  distingua  deux 
sortes  de  delits.  Les  premiers  etaient  ceux  qui  laissent  des  traces 
materielles ,  «  delicta  facti  permanentis ,  »  par  exemple ,  I'homi- 
cide,  I'incendie,  le  vol  avec  effraction.  Ici  Ton  pouvait  saisir  le 
fait  dans  sa  materialite ,  et  la  constatation  des  traces ,  qu'il  avait 
laissees,  etait  le  premier  devoir  du  juge.  Elle  s'operait  au  moyen 

dent  qu'il  ne  faut  pas  des  preuves  aussi  fortes...  Mais  lorsqu'il  n'y  a  que  de  forts 
indices,  leur  force  ne  peut  determiner  qu'a  des  peines  pecuniaires,  si  le  juge  ne 
se  porte  pas  au  renvoi  quousque,  c'est-a-dire  auplus  amplement  inform^.  » 

(1)  Muyart  de  Vouglans  :  Inst.,  p.  308. 

(2)  Grand  Coutumier  de  Normandie,  oh.  lxxv.  Comparez  la  formule  de  la  plainte 
dans  le  Livre  de  Jostice  et  de  Plet ,  xix,  9,  §  1  :  «  Et  vez-ci  le  mahaing  aperte- 
ment. »  —  Ihid.,  xix,  2,  §  2  :  «  Et  se  aucuns  apMe  aucun  de  la  mort  d'un  homme 
qui  ne  soit  pas  trovez  Ten  demande  qu'en  dit  droiz?  Et  l'en  respont  que  ce  n'est 
pas  demande,  come  nus  n'est  pas  veuz  mort,  s'il  n'est  veuz  mort  ou  s'il  n'est  veuz 
morir.  Cil  est  bien  veus!  morir  qui  est  getez  en  Loire  et  n'est  pas  trovez.  » 

(3)  Dupaty  :  Moyens  de  droit  pour  trois  hommes  condamnis  d  la  roue,  1786,  p.  117, 
ssq. 


268  l'orbonnance  de  1670. 

des  proces-verbaux  du  magistrat,  qui  se  transportait  sur  les 
lieux ;  s'il  s'agissait  de  faits  dont  I'examen  exigeait  des  connais- 
sances  techniques ,  au  moyeu  des  rapports  des  medecins ,  chi- 
rurgiens  et  experts.  En  principe,  aucune  autre  preuve  n'etait 
admise  (1),  sauf  dans  des  cas  exceptionnels  oil  il  etait  impossible 
d'agir  ainsi  (2).  Cette  matiere  des  proces-verbaux  et  des  rap- 
ports d'experts  avait  ete  soigneusement  reglee  par  rOrdon- 
nance  (tit.  iv  et  v),  et,  chose  curieuse,  I'ancienne  jurisprudence 
reconnaissait  a  I'accuse  le  droit  de  demand  er  une  contre-exper- 
tise.  «  II  peut  demander  la  permission  de  faire  faire  une  contre- 
visite  a  ses  frais  par  d'autres  chirurgiens,  ce  qu'ii  obtient  aise- 
ment  sur  sa  requete ,  pourvu  qu'elle  soit  presentee  peu  de  jours 
apres  la  premiere  visite  (3).  » 

Pour  les  delits  qui  ne  laissent  pas  de  traces  durables ,  a  delicta 
facti  transeuntis,  »  par  exemple  les  injures  verbales,  la  consta- 
tation  du  corps  du  delit  ne  pouvait  Stre  separee  de  la  preuve  de 
la  culpabilite.  Dans  ce  cas,  certains  auteurs,  comme  Jousse,_ 
declaraient  que  « le  corps  du  delit  ne  pouvait  point  etre  prouve ; » 
d'autres,  et  parmi  eux  Muyart  de  Vouglans,  disaient  qu'alors 
«  la  preuve  du  corps  du  delit  ne  peut  s'acquerir  autrement  que 
par  la  confession  de  I'accuse  jointe  a  des  indices  et  conjectures.  » 
Mais  au  fond  il  n'y  avait  la  que  des  facons  de  parler  differentes 
pour  exprimer'une  seule  et  meme  chose. 

Pour  demontrer  le  second  point  vise  plus  haut,  a  savoir  la 

(1)  Muyart  de  Vouglans :  Instit.,  p.  308,  309  :  «  Cette  preuve  est  tellement  essea- 
tielle,  qu'elle  ne  peut  €tre  suppl^^e  nl  paf  la  deposition  des  temoins,  ni  parde 
simples  indices  et  conjectures ,  quelles  qu'elles  soient  d'ailleurs ,  pas  m6me  par  la 
confession  de  I'accus^.  » 

(2)  PouUain  du  Pare ,  torn.  XI ,  p.  81  :  «  Dans  tous  les  cas  oi  il  n'est  pas  pos- 
sible de  constater  le  corps  du  dSlit ,  il  n'en  r^sulte  pas  que  le  crime  doive  Stre 
impuni.  Mais  les  juges  doivent  agir  et  juger  avec  une  plus  grande  circonspection , 
parce  qu'il  est  possible  que  le  crime  soit  imaginaire ,  comme  on  I'a  vu  dans  I'af- 
faire  de  Pivardifere  et  dans  plusieurs  autres.  »  P.  109  :  «  Lorsque  le  corps  du 
delit  ne  se  trouve  pas,  il  faut  des  preuves  6videntes,  qui  aillent,  en  quelque  sorte, 
jusqu'a  pouvoir  dire  qu'll  est  impossible  que  le  crime  u'ait  pas  6li  commis.  » 

(3)  Muyart  de  Vouglans  :  Instit.,  p.  226.  II  est  vrai  que  souvent  la  premiere 
visite  etait  faite  a  la  requite  de  la  partie  civile,  avant  que  le  juge  ne  fflt  saisi. 
Les  procfes-verbaux  n'etaient  point  communiques  a  I'accuse.  PouUain  du  Pare, 
torn.  XI,  p.  90  :  «  II  est  de  maxime  oonstante  en  Bretagne  que  I'accuse  ne  doit 
pas  6tre  appeie  au  procSs-verbal  du  juge  ni  aux  rapports  des  experts.  » 


l'ordonnance  de  1670.  269 

culpabilite  de  I'accuse,  la  theorie  des  preuves  intervenait  dans 
toute  sa  largeur.  Tous  les  modes  de  preuve ,  consideres  quant  a 
leur  energie,  etaient  divis^s  en  trois  classes,  les  preuves  com- 
putes, les  indices  prochains  et  les  indices  6loign6s,  chaque  classe 
comprenant  des  modes  tres-divers. 

La  preuve  complete  seule  suffisait  par  elle-meme ,  pour  asseoir 
une  condamnation  capitale.  «  Lorsque  toutes  les  conditions  mar- 
quees par  la  loi  se  trouvent  remplies ,  alors  la  preuve  est  censee 
juridique  et  parfaite ,  et  c'est  celle  qui  est  abSolument  necessaire 
pour  operer  condamnation  a  une  peine  capitale  (1).  »  Elle  pou- 
vait  du  reste  etre  obtenue  par  le  temoignage ,  la  production  des 
ecrits ,  ou  les  presomptions.  L'aveu  formait-il  une  preuve  com- 
plete? Celan'etait  pas  generalement  admis. 

1°  La  preuve  par  temoins  etait  consideree,  et  cela  est  naturel, 
comme  la  preuve  par  excellence  au  criminel,  «  la  plupart  des 
crimes  ne  pouvant  se  prouver  d'une  autre  maniere ;  »  mais  pour 
etre  complete,  elle  devait  reunir  de  nombreuses  conditions. 

II  fallait  de  toute  necessite  qu'il  y  eut  deux  temoins  deposants 
du  meme  fait;  c'etait  la  tradition  incontestee.  «  Testis  unus,  testis 
nullus,  ))  ou  comme  dira  Loysel  :  «  Voix  d'un,  voix  de  nun.  » 
Un  temoignage  isole  n'etait  point  considere  comme  n'ayant  au- 
cune  valeur,  mais  il  ne  pouvait  faire  prononcer  une  condamna- 
tion capitale  (2) ;  «  il  est  certain  en  general  que  les  depositions 
des  temoins  qui  roulent  sur  des  faits  singuliers  et  differents  entre 
eux  ne  peuvent  former  aucune  preuve  (3).  »  II  fallait  en  outre 
que  les  deux  temoins  fussent  des  temoins  oculaires,  «  qu'ils  eus- 
sent  vu  I'accuse  commettre  le  crime.  »  Les  temoins  par  out-dire 
ne  pouvaient  jamais,  quel  que  fut  leur  nombre,  former  une 
preuve  complete;  ni  ceux  appeles  testes  ex  auditu  propria,  qui 
declaraient  «  avoir  entendu  les  menaces  de  I'accuse  et  les  cris 
d'un  mourant ;  »  ni  ceux  dits  testes  ex  parte  accusati ,  qui  af fir- 

(1)  Mnyart  de  Vouglans,  op.  cit.,  p.  307 

(2)  On  ne  pouvait  tirer  une  preuve  complete  de  la  deposition  de  deux  temoins 
singuliers,  c'est-a-dire  deposants  de  faits  difT^rents,  quelorsqu'ils'agissait  de  cri- 
mes «  qui  se  commettent  par  des  aotes  rtit^r^s  tels  que  I'inceste ,  I'adultere ,  le 
blaspheme,  la  sodomie,  le  peculat,  la  concussion,  I'usure  et  le  vol.  »  Muyart  de 
Vouglans. 

(3)  Muyart  de  Vouglans,  op.  cit.,  p.  322-323. 


270  l'oedonnancb  de!  1670. 

maient  avoir  recu  de  I'accuse  I'aveu  de  son  crime ;  ni  a  plus  forte 
raison  les  simples  temoins  par  oui-dire,  testes  ex  auditu  alieno. 

Ce  n'est  pas  tout ,  les  temoins  devaient  donner  une  deposition 
concluante  et  en  rendre  raison.  S'ils  s'exprimaient  en  termes  non 
affirmatifs,  «  comme  :  je  crois...  si  je  ne  me  trompe...  il  peut  se 
faire...  si  je  m'en  souviens  bien,  »  ils  etaient  dits  vacillants  ei 
ne  «  pouvaient  servir  en  matiere  criminelle,  ne  formant  pas  meme 
un  indice.  »  La  deposition  devait  avoir  ete  toujours  identique  a 
elle-meme,  dans  les  trois  interrogatoires  que  le  temoin  avait 
subis,  dans  I'information ,  au  recolement  et  a  la  confrontation. 
Nous  Savons  d'ailleurs  que  I'Ordonnance  avait  pris  ses  precau- 
tions pour  qu'a  la  confrontation  au  moins  aucune  variation  ne 
fut  possible.  Enfm  les  temoins  ne  devaient  Stre  ni  reprochables 
ni  reproches.  Si  Ton  avait  singulierement  entrave  I'usage  du  droit 
de  reproche  dans  la  procedure,  la  jurisprudence  avait,  par 
contre-coup,  multiplie  les  causes  de  reproches  :  I'affection,  la 
crainte,  I'inimitie  capitale,  la  faiblesse  de  I'age  et  de  I'esprit, 
I'infamie,  I'interet  personnel,  la  parente,  et  bien  d'autres  causes 
encore  elaient  admises.  La  liste  de  personnes  reprochables  que 
donne  Muyart  de  Vouglans  commence  par  les  parents  et  finit  par 
«  les  pauvres  et  les  mendiants ,  »  dont  on  peut  ecarter  le  temoi- 
gnage  sous  de  certaines  conditions. 

Les  deux  temoins  parfaits  quand  ils  se  rencontraient ,  ((7'arx 
aves,  »  entrainaient  inevitablement  la  condamnation;  le  juge  etait 
enchaine. 

2°  Apres  la  preuve  testimoniale  venait  la  preuve  ecrite,  beau- 
coup  plus  rare  en  matiere  criminelle ,  si  rare  meme  que  certains 
criminalistes  soutenaient  qu'elle  n'y  etait  point  possible.  Cette 
opinion ,  bien  que  fausse ,  se  congoil ,  quand  on  songe  que  dans 
ce  systeme,  la  preuve  devait  constater  directement  la  perpetra- 
tion du  crime  (1).  En  examinant  les  choses  de  pres,  on  avait 
reconnu  qu'il  y  avait  certains  crimes  qui  ne  pouvaient  guere  se 
prouver  que  par  ecrit,  «  parce  qu'ils  consistent  principalement 

(1)  Muyart  reconnatt  qu'il  y  a  des  cas  nombreux  oil  la  preuve  testimoniale  exclut 
entiferement  la  preuve  instrumentale,  «  comme  lorsqu'il  s'agit  de  crimes  tels  que 
I'injure  verbale,  le  blaspheme,  I'adultdre,  le  rapt,  la  fabrication  de  fausse  mon- 
naie.  »  Op.  cit.,  p.  327. 


l'ordonnance  de  1670.  271 

dans  la  pensee,  tels  quel'heresie,  la  confidence  (?),  la  conjura- 
tion envers  le  prince,  I'usure,  la  subornation  des  temoins;  » 
et  d'autres  «  ou  la  preuve  testimoniale  et  instrumentale  con- 
courent ,  »  comme  le  faux. 

Pour  que  I'ecriture,  dans  le  cas  oti  elle  etait  ainsi  admise, 
formit  une  preuve  complete,  il  fallait  d'abord  «  qu'elle  fut  precise 
sur  le  fait  du  crime,  e'est-k-dire ,  s'il  s'agit  de  faits  d'injure, 
de  debauche ,  de  subornation  ou  conspiration ,  il  faut  que  les  faits 
soient  contenus  expressement  dans  la  piece  meme  dont  on  veut 
exciper  centre  I'accuse ,  en  sorte  que  si  Ton  s'en  sert  seulement 
pour  tirer  des  inductions  contre  lui,  elle  cesse  des  lors  d'etre 
regardee  comme  preuve  litterale,  et  rentre  dans  la  classe  des 
simples  preuves  conjecturales  (1).  »  En  second  lieu,  il  fallait  que 
r^crit  fut  authentique,  ou,  s'il  etait  sous  signature  privee,  qu'ii 
fut  reconnu  par  I'accuse.  Cela  ressortait  implicitement  de  I'art.  5, 
tit.  XXIV,  de  I'Ordonnance  de  1670.  Jamais  done  une  verification 
d'ecriture  ne  pouvait  fournir  une  preuve  complete.  «  En  efifet , 
dit  Muyart  de  Vouglans ,  outre  que  les  experts  s'expliquent  tou- 
jours  d'une  maniere  vague  et  incertaine ,  par  ces  mots  :  «  Nous 
croyons ,  nous  estimons ,  »  personne  n'ignore  que  leur  art  est  par 
lui-meme  sujet  a  une  infinite  d'erreurs  (2).  »  —  "  Si  c'est  une 
ecriture  privee  et  qu'il  soit  besoin  d'une  verification  en  justice 
pour  faire  foi  contre  I'accuse,  ce  n'est  plus  proprement  une 
preuve  litterale,  puisque  ce  n'est  plus  la  piece  qui  prouve  par 
elle-meme...  de  sorte  que  ce  n'est  qu'une  simple  conjecture  et 
une  preuve  testimoniale  (3).  »  Ces  reserves  etaient  fort  raisonna- 
bles  :  I'art  des  experts  etait  incertain,  et  Ton  pent  dire  qu'il  Test 
encore.  Dans  le  projet  discute  entre  les  parlementaires  et  les  com- 
missaires  en  1670,  il  y  avait  meme  un  article  ainsi  concu  :  «  Sur 

(1)  Muyart  de  Vouglans,  op.  cit.,  p.  330.  —  «  II  faut  que  la  pifece  contienne  et 
prouve  pr^cistoent  le  fait  dont  11  s'agit ,  car  si  le  titre  ne  contient  point  formel- 
lement  le  crime  ou  delit  dont  est  question ,  et  qu'on  s'en  serve  seulement  pour  en 
tirer  des  consequences  et  des  inductions ,  alors  cette  preuve  ne  s'appelle  plus 
preuve  litterale  complete;  ce  n'est  qu'une  preuve  litterale  conjecturale  et  im- 
parfalte.  »  Rousseau  deLacombe  :  Matiires  crminelles ,  p.  371. 

(2)  Muyart,  op.  cii.,p.  330. 

(3)  Rousseau  de  Lacombe  :  Mat.  crim.,  p.  371,  372.  Cf.  PouUain  du  Pare,  torn. 
XI,  p.  191,  ssq. 


272  l'ordonnance  de  1670. 

la  seule  deposition  des  experts  et  sans  autres  preuves ,  admini- 
cules ,  ou  presomptions ,  ne  pourra  intervenir  aucune  condamna- 
tion  de  peine  afflictive  ou  infamante  (1).  »  II  fut  supprime,  sur 
Tobservation  de  M.  Talon  ,  que  les  juges  n'etaient  «  que  trop 
circonspects  sur  ces  matieres ,  sans  qu'il  soit  besoin  de  leur  lier 
les  mains  (2).  »  Mais  la  theorie  n'en  subsista  pas  moins  telle 
qu'elle.  Dans  ce  systeme,  les  papiers  domestiques  de  I'accuse, 
alors  meme  que  celui-ci  les  reconnaissait ,  ne  pouvaient  jamais 
faire  preuve  complete  centre  lui,  car  ils  ne  pouvaient  contenir 
qu'une  confession  extra-judiciaire ,  et  la  confession  judiciaire, 
nous  aliens  le  dire  bientot,  n'avait  pas  elle-meme  cette  ener 
gie(3). 

3°  La.  preuve  complete  enfin  pouvait  encore  resulter  despr^- 
somptions ,  a  condition ,  bien  entendu ,  que  le  fait  dont  on  allait 
tirer  des  consequences,  fdt  lui-meme  etabli  d'une  facon  sufflsante, 
c'est-a-dire  par  deux  temoins  oCulaires ,  ou  par  ecrit.  La  juris- 
prudence avait  en  effet  conserve  quelques-unes  de  ces  presomp- 
tions invincibles  comme  nous  en  avons  trouve  dans  le  tres-an- 
cien  droit ;  on  les  appelait  indices  manifestes  et  n^cessaires  et  on 
les  comparait  souvent  aux  presomptions  juris  et  de  jure  du  droit 
civil.  En  voici  un  exemple  :  «  Lorsqu'en  fait  de  meurtre  deux 
temoins  irreprochables  deposent  avoir  vu  1' accuse,  qui  avait  I'epee 
nue  et  ensanglantee  a  la  main ,  sortir  du  lieu ,  ou  quelque  temps 
apres  le  corps  du  defunt  a  ete  trouve  blesse  d'un  coup  d'e- 
pee  (4).  » 

Quant  a  I'aveu  de  I'accuse,  fait  en  justice,  les  auteurs  n'e- 
taient point  d'accord  sur  sa  valeur  comme  preuve.  II  en  etait 
et  des  plus  celebres,  Jousse   par  exemple,  qui  tenaient  pour 

(1)  C'Stait  I'art.  15  du  litre  viii. 
(2)Procis^erbal,  p.  99. 

(3)  Muyart,  op.  cit.  p.  336.  L'Ordonnance  (tit.  iv,  art.  2 ;  tit.  xiv,  art.  10 ;  tit.  n, 
art.  9),  Youlait  n^anmoins  qu'on  fit  I'inventaire  des  papiers  de  I'accus^. 

(4)  Muyart  de  Vouglans ,  op.  cit.,  p.  346.  Cf.  PouUain  du  Pare,  torn.  XI,  p.  118 : 
«  II  ne  parott  pas  ^galement  juste  d'admettre  la  comparaison  des  indices  mani- 
festes avec  la  pr^somption /uris  et  dejure...  la  preuve  n'est  presque  jamais  re^ue 
centre  la  pr6somption jMris  et  de  jure,  au  lieu  qu'en  matifere  criminelle  la  preuve 
est  refue  contre  les  indices  manifestes.  »  Cette  preuve  contraire  dont  parle  Poul- 
lain  du  Pare,  ce  sent,  comme  il  I'explique,  les  faits  justificatifs ,  p.  ex.,  la  legi- 
time defense. 


l'ordonnance  de  1670.  273 

I'ancienne  opinion  d'apres  laquelle  c'etait  la  preuve  par  excel- 
lence et  la  plus  complete  :  «  de  toutes  les  preuves  qu'on  pent  avoir 
en  matiere  criminelle ,  la  confession  de  I'accuse  est  la  plus  forte 
et  la  plus  certaine ,  et  par  consequent  cette  preuve  est  suffi- 
sante...  une  pareille  confession  est  la  plus  complete  des  preuves 
qu'on  pent  desirer  (1).  »  Jousse  s'appuyait  sur  I'autorite  de  Bar- 
tole ,  de  Paul  de  Castro  et  de  Julius  Clarus ;  il  faisait  remarquer 
«  qu'on  ne  presumera  jamais,  sans  renverser  toutes  les  lois  de  la 
nature ,  qu'un  homme  veuille  de  sang-froid  s'accuser  d'un  crime 
dont  il  n'est  pas  I'auteur.  »  II  invoquait  aussi  dans  le  sens  de 
son  opinion  les  formalites  des  interrogatoires  si  bien  reglees 
d'apres  I'Ordonnance ;  eut-on  pris  tant  de  soin  pour  obtenir  un 
aveu,  s'il  n'avait  pas  eu  une  valeur  decisive  (2)? 

G'etaient  en  realite  ces  formalites  m  ernes  des  interrogatoires 
qui  empechaient  d'attribuer  a  I'aveu  sa  force  naturelle.  Aussi 
I'opinion  de  Jousse  restait  isolee,  et  voici  ce  qu'on  decidait 
generalement.  S'il  s'agissait  d'un  crime  grave  pouvant  entrainer 
une  peine  capitale  ou  meme  une  peine  afflictive,  I'aveu  ne  suffi- 
sait  point  pour  faire  prononcer  une  telle  condamnation  :  Nemo 
auditur  perire  volens;  il  fallait  qu'a  la  confession  il  s'ajoutslt  des 
indices  pressants  ou  la  deposition  d'un  bon  temoin.  C'etait  deja 
I'opinion  de  Louet  (3);  c'etait  I'avis  de  Domat  (4),  et  de  Duples- 
sis  (5).  Les  auteurs  du  xviii°  siecle  ne  sent  pas  moins  formels  : 

(1)  Jousse  :  Comm.  sur  I'Ordonn.  de  1670 ,  sur  I'art.  5,  tit.  xxv,  n™  1  et  2. 

(2)  Du  reste,  Jousse  ne  voyait  dans  I'aveu  une  preuve  complete  que  lorsque  le 
«  corps  du  d^lit  est  constant  et  bien  vfirifie  au  moyen  d'une  visite,  ou  d'un  pro- 
cfes-verbal  ou  par  la  deposition  des  t^moins.  »  Si  au  contraire  le  crime  6tait  un 
de  ceux  «  que  la  volonte  seule  pent  commettre ,  comma  I'iiiresie,  dans  des  senti- 
ments non  manifestos  a  I'exterieur...  le  corps  du  dfelit  ne  pouvant  6tre  prouvfi,  la  ■ 
confession  de  I'accuse  ne  peut  suffire  pour  le  faire  condamner.  »  Op.  oil.,  p.  434. 

(3)  LettreC,  no34. 

(4)  Le  droit  public ,  livre  III,  tit.  i ,  Des  crimes  et  des  dilits :  a  Si  I'accusO  re- 
connolt  le  crime  et  que  le  crime  soit  capital,  on  ne  laisse  pas  d'achever  les  preu- 
ves; car  il  ne  seroitpas  juste  de  condamner  un  innocent  sur  une  fausse  confes- 
sion. » 

{5J  Riponse  de  Duplessis  it  Colbert  sur  le  prods  de  la  Voisin  :  «  L'aveu  par  un 
criminel  de  son  crime  ne  peut  op&ret  sa  condamnation,  s'il  est  toiit  nu,  mais  si, 
outre  son  aveu,  il  y  a  un  seul  tOmoin,  cela  suffit  pour  le  condamner.  De  m€me ,  si ' 
outre  son  aveu  il  y  a  quelque  indice ,  ou  reel  ou  procfidant  de  la  deposition  m6me 
d'un  seul  temoin,  cela  sufflt  pour  la  condamnation.  »  Lettres,  etc.  de  Colbert, 
torn.  VI,  Append.,  p.  429. 

18 


274  l'ordonnance  de  1670. 

«  La  confession  ne  pent  de  sa  nature  operer  la  condamnation  k 
une  peine  capitale ,  et  il  faut  pour  cela  le  concours  de  plusieurs 
autres  conditions...   elle   doit  estre   accompagnee   de  quelques 
indices  pressans  ou  de  la  deposition  d'un  bon  tesmoin  (1).  »  — 
«  La  confession  libre  et  volontaire  de  I'accuse  ne  forme  point  une 
preuve  complete  contre  lui  :  Nemo  non  auditur  perire  volens  (2).  » 
Enfm  Serpillon  combat  I'opinion  de  Jousse  de  la  facon  la  plus 
respectueuse  mais  la  plus  energique  en  meme  temps  (3).  S'il  s'a- 
gissait  au  contraire  d'une  peine  legere ,  on  admettait  que  I'aveu 
fait  en  jugement  pouvait  entrainer  la  condamnation,  pourvu 
que  le  corps  du  delit  fut  constate  d'une  facon  certaine  :  «  II  est 
vrai  qu'il  y  a  des  arrets ,  qui ,  sur  la  confession  seule  des  accu- 
ses, les  ont  condamnes,  mais  a  des  peines  moindres  que  celles 
que  meritaient  les  crimes  (4).  » 

Du  reste,  les  dispositions  de  I'Ordonnance  de  1670  etaient  Men 
conformes  a  cette  theorie.  L'article  5  du  titre  xxv  declare  «  que 
les  proces  criminels  pourront  etre  instruits  et  juges ,  encore  qu'il 
n'y  ait  point  d'informations ,  et  si  d'ailleurs  il  y  a  preuve  sutfi- 
sante  par  les  interrogatoires  et  par  pieces  authentiques  ou  re- 
connues  par  I'accuse ,  et  par  les  autres  presomptions  et  circons- 
tances  du  proces.  »  On  voit  par  la  que  pour  eviter  de  recourir  a 
la  preuve  testimoniale  il  ne  suffit  pas  d'avoir  obtenu  I'aveu  du 
coupable ,  il  faut  y  joindre  encore  la  preuve  ecrite  ou  des  pre- 
somptions (5).  L'article  17  du  titre  xiv  decide  qu'aussitdt  apres 
la  comparution  de  I'accuse,  et  avant  qu'il  soit  passe  outre,  «  les 
interrogatoires  seront  incessamment  communiques  a  nos  procu- 
reurs  ou  a  ceux  des  seigneurs ,  pour  prendre  droit  par  eux  ou 
requerir  ce  qu'ils  aviseront,  »  et  les  auteurs  ont  toujours  entendu 
cette  disposition  en  ce  sens ,  que  s'il  s'agissait  d'un  crime  meri- 
tant  une  peine  grave,  les  requisitions ,  malgre  I'aveu ,  ne  pour-  , 


(1)  Muyart,  op.  cit.,  p.  339. 

(2)  Rousseau  de  Laoombe ,  op.  cit.,  p.  372. 

(3)  Code  criminel ,  p.  1012. 

(4)  Serpillon,  loc.  cit. 

(5)  II  s'agit  14  des  ((indices  r^els  qui  se  trouvent  naturellement  dans  la  chose 
et  ne  procedent  point  de  la  deposition  des  tSmoins.  »  Duplessis  [Lettre  a  Colbert, 
ciWe). 


l'ordonnance  de  1670.  275 

raient  point  tendre  a  une  condamnation  immediate.  «  Si  le  cas 
lui  parait  grave,  (la  partie  publique)  conclut  au  reglement  extraor- 
dinaire de  recolement  et  confrontation  ;  car  dans  ce  dernier  cas , 
'  quand  meme  I'accuse  aurait  avoue  tons  les  chefs  de  I'accusation 
qui  lui  sont  imputes,  il  ne  faudrait  pas  moins  une  instruction 
complete  a  I'extraordinaire  (1).  »  Enfin,  I'article  19  de  ce  meme 
titre  XIV  est  encore  en  complete  harmonie  avec  toute  cette  th^orie ; 
il  permet  a  I'accuse  de  crime  «  auquel  il  n'echerra  peine  afflic- 
tive, »  de  prendre  droit  par  les  charges  apres  I'interrogatoire. 
Cette  faculte  rappelle  de  bien  loin  le  «  plead  guilty  »  de  la  pro- 
cedure anglaise;  elle  etait  utile  a  I'accuse,  en  lui  permettant 
d'eviter  les  longueurs  d'une  procedure  a  I'extraordinaire;  elle 
n'existait,  cela  se  congoit,  qu'autant  qu'il  y  avait  aveu,  mais 
I'aveu  ne  suffisait  pas ,  il  fallait  encore  que  le  crime  ne  meritat 
pas  une  peine  afflictive,  sinon  on  etait  force  de  poursuivre  la 
procedure  jusqu'au  bout.  Quoique  parfois  les  anciens  auteurs 
aient  cherche  a  expliquer  autrement  cette  decision,  elle  ne  se 
congoit  bien  que  si  Ton  admet  que  dans  les  crimes  graves  I'aveu 
ne  constituait  point  une  preuve  complete.  L'imporlance  de  I'aveu 
etait  cependant  considerable;  joint  a  ce  qu'on  appelait  un  indice 
prochain ,  il  formait  une  preuve  veritable  et  suffisante ;  et  les 
indices  prochains  se  trouvaient  bien  plus  frequemment  que  les 
preuves  completes. 

II.  Les  indices  prochains  etaient  aussi  appeles  des  semirpreuves. 
Ce  mot ,  contre  lequel  protestera  plus  tard  le  bon  sens  de  Vol- 
taire ,  n'etait  pas  adopte  par  tous  les  juristes  (2) ;  mais  neanmoins 
il  etait  usite ,  et  n'etait  pas  deraisonnable ,  etant  donne  le  sys- 
teme  general. 

Les  indices  prochains  ne  pouvaient  par  eux-memes  motiver  la 
condamnation  capitale  de  I'accuse.  Cependant  quelques-unes  de 

(1)  Serpillon,  sur  cet  article. 

(2)  «  Quelques  auteurs  out  defini  la  seml-preuve  un  moyen  de  prendre  le  faux 
pour  le  vral.  »  Denisart ,  V"  Semi^reuve.  —  «  II  n'y  a  point  de  seml-prenves ; 
plusieurs  auteurs  bUment  cette  fason  de  s'exprimer.  C'est  un  nom  barbare  et 
imaginaire,  ce  qui  est  si  vrai  qu'on  ne  trouve  pas  un  seul  texte  de  droit  qui  en 
parle.  On  ne  pent  dicouvrir  a  demi  la  v6rite ;  il  n'y  a  point  de  demi-v6rit6...  il 
est  aussi  impossible  qu'il  y  ait  des  demi-preuves ,  qu'il  est  impossible  qu'il  y  ait 
des  demi-hommes.  »  Serpillon ,  Code  criminel,  p.  1074. 


276  l'ordonnance  de  1670. 

ces  presomptions  etaient  si  fortes ,  qu'il  semblait  bien  difficile  de 
ne  pas  infliger  au  coupable  les  chatiments  qu'il  meritait.  Si  Ton 
avait  eu  I'aveu  volontaire  cela  eut  ete  possible ;  a  defaut  de  con- 
fession volontaire  il  fallait  se  procurer  une  confession  forc6e ,  et 
cela  au  moyen  de  la  torture.  Le  principal  effet  des  indices  pro- 
chains  dans  les  accusations  graves  etait  done  de  permettre  I'ap- 
plication  a  la  question.  Cela  est  dit  avec  la  meme  nettete  aux 
xvi%  xvii'=  et  xviii'=  siecles.  «  Oii  il  n'y  auroit  preuve  pleine  ni 
entiere  centre  I'accuse,  mais  il  y  auroit  preuve  semi-pleine  du 
cas  par  un  tesmoing  de  notable  qualite  et  non  de  vile  condition 
deposant  du  fait  principal ,  qui  seroit  sans  aucun  reproche  ni 
suspicion  quelconque,  ou  qu'il  y  aura  vehementes  iconjectures 
et  indices  equipollents  pour  le  moins  a  la  dite  semi-pleine  preuve, 
non  elidez  ou  diminuez  par  la  preuve  qui  aura  etle  faite  ex  officio 
pour  la  justification  de  I'accuse ,  sufflsans  pour  bailler  torture, 
procedera  (le  juge)  au  jugement  de  torture  et  question  (1).  » 
«  II  est  vrai  de  dire  que  chaque  indice  fait  semy-preuve  qui  peut 
suffire  pour  faire  donner  la  question  (2).  »  «  Parmi  les  crimes  il 
y  en  a  qui  sent  de  nature  a  meriter  la  mort ,  et  c'est  dans  ceux-ci 
singulierement  que  les  indices  peuvent  donner  lieu  a  la  tor- 
ture (3).  »  Ainsi  cette  theorie,  en  apparence  si  favorable  a  I'ac- 
cuse ,  aboutit  a  rendre  la  torture  presque  inevitable ;  elle  devenait 
le  complement  indispensable  de  ce  systeme  de  preuves. 

Un  autre  moyen  d'arriver  a  une  condamnation  capitale  eM  ete 
d'additionner  les  indices  et  certains  jurisconsultes  I'admettaient : 
(c  S'il  y  avoit  deux  indices  pressans ,  prouves  chascun  par  deux 
tesmoins ,  ils  pourroient  faire  preuve  entiere ,  sans  question , 
selon  leur  qualite...  si  ces  indices  estoient  de  telle  qualite,  qu'ils 
eussent  une  liaison  naturelle ,  I'un  avec  I'autre  sans  aucune  con- 
tradiction, et  qu'ils  fussent  tous  du  nombre  des  indices  prochains 
et  pressans ,  on  pourroit  dire  que  ces  indices  seroient  prouves 
I'un  par  I'autre,  et  que  les  preuves  imparfaites  sur  chaque  fait 
se  joindroient  ensemble  pour  faire  une  preuve  parfaite ,  qui  suf- 

(1)  Pratique  de  Lizet,  1577,  p.  28,  vo. 

(2)  Duplessis  :  Lettre  i  Colbert,  cit6e. 

(S)  Muyart  de  Vouglans,  op.  cit.,  p.  351. 


l'ordonnanoe  de  1670.  277 

firoit  pour  la  condamnation  (1).  »  Mais  on  se  refusait  generale- 
ment  a  admettre  ces  combinaisons  :  «  La  semi-preuve  n'a  rien  de 
plus  concluant  qu'une  demi-verite,  et  par  la  meme  raison  que 
deux  incertitudes  ne  peuvent  pas  operer  una  certitude,  deux 
semi-preuves  ne  peuvent  pas  non  plus  operer  une  preuve  com- 
plete (2).  » 

Les  indices  prochains,  s'ils  ne  suffisaient  pas  pour  faire  pro- 
noncer  la  peine  de  mort ,  permettaient  d'ailleurs  au  juge  d'infli- 
ger  «  quelques  peines  afflictives,  infamantes  ou  pecuniaires  (3),  » 
s'il  les  jugeait  assez  forts  pour  cela.  Mais,  on  faisait  remarquer 
avec  soin  qu'  «  avant  de  prononcer  une  peine  inferieure  a  la 
nature  du  crime,  par  le  motif  que  les  preuves,  quoique  conside- 
rables ,  ne  le  sont  pas  assez  pour  operer  la  peine  de  mort ,  il  faut 
que  les  juges  ayent  epuise  tous  les  moyens  que  les  Ordonnances 
indiquent  pour  la  preuve  et  I'approfondissement  du  crime  (4).  » 

On  avait  essaye  de  soutenir  parfois  que  dans  les  crimes  atroces 
la  preuve  complete  n'etait  point  necessaire  pour  la  condamnation 
capitale  :  In  atrocissimis  leviores  conjecturae  sufjiciunt  et  licet 
judici  jura  transgredi.  «  Jamais ,  dit  PouUain  du  Pare ,  cette 
proposition  barbare  et  absurde  n'a  ete  admise  en  France.  C'est  le 
caractere  de  la  tyrannic  et  d'un  cruel  despotisme.  Plus  le  crime 
est  atroce ,  plus  la  punition  doit  etre  terrible ;  et  consequemment 
les  preuves  doivent  etre  d'autant  plus  evidentes  contre  I'accuse , 
a  proportion  de  I'atrocite  du  crime  qu'on  lui  impute  (5).  » 

Quels  faits  constituaient  des  indices  prochains?  Ici  encore 


(1)  Daplessis ,  loc.  cit. 

(2)  Denisart.  V"  Semifreuve. 

(3)  Muyart  de  Voaglans,  op.  cit,  p.  346,  351.  PouUain  du  Pare  (torn.  XI, 
p.  115)  demontre  mSme  que  le  juge  peut  aloTs  prononcer  la  peine  des  galferes  a 
perp6tuit6  :  «  La  question  pr6paratoire  avec  la  reserve  des  preuves  est  plus 
rigoureuse  que  les  galferes  perpetuelles ;  et  puisqu'elle  peut  etre  ordonn^e  sur 
des  preuves  considerables,  quoiqu'insufflsantes  pour  condamner  amort,  on  doit 
necessairement  conclure  que  le  juge  peut  condamner  aux  galeres,  quelque  atroce 
que  soit  le  crime ,  sur  des  preuves  considerables ,  lorsqu'il  n'y  en  a  pas  assez 
pour  prononcer  la  peine  de  mort.  De  mfime ,  si  les  preuves  sont  moins  conside- 
rables ,  le  juge  peut  modifier  la  peine.  » 

(4)  PouUain  da  Pare,  XI ,  p.  116. 

(5)  Ibid.,  p.  110.  Cf.  Dupaty  :  Mimoire  et  Moyens  de  droit  pour  trois  hommes 
condamnis  a  la  roue,  passim. 


278  '  l'ordonnance  de  1670. 

rOrdonnance  n'avalt  rien  precise.  Elle  disait  seulement  que 
pour  que  la  question  put  etre  donnee,  il  fallait  que  le  crime 
meritat  la  mort,  at  qu'il  y  eut  preuve  considerable,  laquelle 
pourtant  «  ne  fut  pas  suffisante  (1).  »  Cela  laissait  forcement 
une  grande  latitude  aux  juges.  «  L'Ordonnance ,  n'ayant  point 
determine  dans  I'article...  la  qualite  des  presomptions  et  des 
circonstances  qu'elle  veut  faire  servir  de  preuves  dans  les  proces 
criminels,  semble  s'en  Stre  rapportee  a  la  prudence  des  juges 
sur  ce  point  (2).  »  —  «  Quand  les  temoins  ne  deposent  point 
d'avoir  vu  faire  le  coup ,  et  qu'ils  ne  rap{)ortent  tous  que  des 
indices,  les  indices  pouvant  estre  plus  pressans  et  plus  con- 
cluans  les  uns  que  les  autres ,  et  les  juges  pouvant  estre  plus 
touches  des  faits  les  uns  que  les  autres..;  la  chose  depend 
ordinairement  de  I'arbitrage  des  juges  (3).  »  Mais  cependant  des 
regies  etaient  determinees  par  la  jurisprudence. 

Parmi  les  demi-preuves  nous  trouvons  d'abord  la  preuve  tes- 
timoniale  ou  ecrite  imparfaite ,  la  deposition  d'un  temoin  ocu- 
laire  unique,  ou  une  ecriture  privee  verifiee  par  des  experts, 
et  aussi  I'aveu  extrajudiciaire  de  I'accuse  lorsqu'il  etait  deni6 
par  lui ,  mais  qu'il  etait  prouve  «  par  deux  bons  temoins ,  » 
ou  par  les  « journaux  et  papiers  domestiques  (4).  »  Puis  dans 
cette  classe  des  indices  prochains  venaient  se  ranger  une  foule 
de  presomptions.   Muyart  de  Vouglans  les   divise  en   indices 
generaux  et  indices  speciaux  a  certains  crimes.  II  en  enumere 
seize ,  appartenant  a  la  premiere  categorie  et  dont  quelques-uns 
sont  bien  etranges ;  nous  y  trouvons ,  «  la  qualite  de  I'accusa-  ' 
teur,  si  c'est  une  personne  considerable ,  ou  un  maitre  pour  les 
delits  commis  par  ses  domestiques;  »  la  «  qualite  de  I'accuse, 
si  c'est  un  vagabond  ou  un  non  domicilie.  »  Les  indices  spe- 
ciaux aux  differents  crimes  sont  indiques  avec  grand  soin;  et 
pour  quelques-uns  d'entre  eux  la  nomenclature  serait  risible, 
si  Ton  n'entrevoyait  la  torture  par  derriere.  Ainsi  nous  trouvons 
ranges  parmi  les  indices  prochains  du  crime  de  magie  et  de 

(1)  Ord.  de  1670,  tit.  xix,  art.  1. 

(2)  Muyart  de  Vouglans,  op.  cit.,  p.  347. 

(3)  Duplessis  :  Lettre  citfee. 

(4)  Muyart  de  Vouglans  :  Inslit.,  p.  336,  350. 


l'ordonnance  de  1670.  279 

sortilege  les  faits  suivants  :  «  Si  Ton  a  trouve  chez  I'accuse  des 
livres  ou  instruments  qui  ont  rapport  a  la  magie ,  comme  hos- 
ties ,  membres  humains  ,  images  de  cire  transpercees  d'aiguilles , 
ecorces  d'arbres,  os,  clous,  cheveux,  plumes  entrelacees  en 
forme  de  cercle  ou  a  peii  pi^es,  epingles,  charbons,  paquet  de 
charbons  trouve  au  chevet  du  lit  des  enfants...  2°  Si  Ton  a  vu 
mettre  quelque  chose  dans  une  etable ,  et  que  le  betail  peu  de 
teB»ps  apres  soit  peri.  So  Si  Ton  a  trouve  un  ecrit  contenant  un 
pacte  fait  avec  le  demon...  7°  Si  Ton  a  vu  changer  de  demeure  a 
ceux  qui  vivaient  en  liaison  avec  I'accuse,  aussit6t  apres  qu'il 
a  este  arreste...  8°  S'il  a  continuellement  le  nom  du  diable  dans 
la  bouche  et  s'il  a  coutume  d'appeler  de  ce  nom  ses  enfans  ou 
ceux  d'autrui  (1).  »  Cela  s'ecrivait  au  dix-huitieme  siecle ! 
Muyart  de  Vouglans  ajoute,  il  est  vrai  :  «  Tous  ces  indices 
peuveat,  suivant  les  auteurs,  donner  lieu  a  la  torture,  mais 
nous  verrons  en  traitant  de  ce  crime  (le  sortilege)  avec  quelle 
circonspection  le  juge  doit  se  comporter  dans  une  matiere  aussi 
delicate  et  que  la  trop  grande  credulite  des  peuples  pourroit 
faire  degenerer  en  des  superstitions  dangereuses.  » 

Tous  les  indices  prochains  pouvaient  en  principe  donner  lieu 
a  I'application  de  la  torture ,  pourvu  qu'ils  fussent  prouves  eux- 
memes ,  un  seul  temoin  suffisant  pour  cela.  Cependant ,  pour  un 
assez  grand  nombre  de  semi-preuves,  il  fallait  y  joindre  un  indice 
eloign^  tout  au  moins ,  pour  justifler  la  torture.  C'etait  alors 
qu'intervenait  cette  troisieme  classe  d'indices ,  sous  le  nom  d'arf- 
minicules  :  ils  ne  valaient  que  comme  soutien  (2).  C'etait  la  une 
bien  faible  garantie ,  car  en  fait  d'indices  eloignes  on  se  conten- 
tait  de  peu.  Muyart  de  Vouglans  en  donne  les  exemples  sui- 
vants :  «  L'inconstance  des  discours  de  I'accuse ,  le  tremblement 
de  sa  voix,  le  trouble  de  son  esprit,  sa  taciturnite...  la  proxi- 
mite  de  la  maison  de  I'accuse  du  lieu  ou  le  crime  a  ete  commis... 
I'affectation  de  I'accuse  d'avoir  I'oreille  dure,  ou  d'avoir  perdu 
I'esprit  ou  la  memoire  lorsqu'on  I'interroge...  la  mauvaise  phy- 
sionomie  de  I'accuse  ou  le  vilain  nom  qu'il  porte  (3).  »  Les  in- 

(1)  Muyart  de  Vouglans  :  Instit.,  p.  353. 

(2)  Voy. Muyart  de  Vouglaus  :  Instil.,  p.  346,  350-351. 

(3)  Ibid.,  p.  350. 


280  l'ordonnance  de  1670. 

dices  eloignes  devaient  etre  prouves  par  deux  temoins,  ou  par 
le  proces-verbal  du  juge. 

Cependant  certains  auteurs  se  montraient  plus  exigeants.  «  II 
faut,  oa  ne  peut  trop  le  repeter,  plusieurs  indices  joints  pour 
fournir  une  preuve  considerable ,  telle  que  I'exige  eel  article  de 
rOrdonnance  (1).  La  plupart  des  auteurs  en  exigent  trois;  mais 
il  faut  distinguer,  il  y  a  les  indices  manifestes  et  des  indices 
eloignes  ;  les  premiers  fournissent  des  consequences  necessaires 
d'un  fait  certain...  par  exemple,  un  indice  manifeste  est  le  cas 
de  deux  temoins  sans  reproche  qui  deposent  avoir  vu  I'accuse 
sortir  d'un  lieu ,  ou  il  vient  d'etre  commis  un  meurtre ,  ayant  son 
epee  nue  et  ensanglantee ;  cet  indice  parait  luce  clarior  (2).  Ce- 
pendant ,  pour  condamner  a  la  question ,  il  faudrait  encore  d'au- 
tres  indices  appeles  eloignes,  comme  des  menaces  precedentes, 
une  inimitie  prouvee  et  autres  pareils  adminicules  ,  a  moins  que 
ce  ne  fut  un  vagabond  ou  un  homme  mal  fame  qui  fiit  ac- 
cuse (3).  »  Duplessis  professe  une  opinion  semblable.  «  On  dis- 
tingue communement  trois  sortes  d'indices,  savoir :  1°  les  indices 
generaux  et  eloignes ,  comme  la  mauvaise  vie  de  I'accuse ,  s'il  a 
este  deja  prevenu  de  semblables  crimes ,  et  ceux-la  ne  peuvent 
guere  servir  sinon  a  emouvoir  les  juges  et  a  leur  donner  de  sim- 
ples soupgons.  2°  Les  indices  plus  proches  mais  non  attaches  a 
Taction ,  comme  si  en  matiere  d'homicide  I'accuse  estoit  ennemy 
mortel  de  celui  qui  a  este  tue ,  ou  qu'il  I'ait  menace ,  ou  se  soit 
vante  qu'il  le  tueroit  et  ainsy  des  autres  semblables ,  et  ceux-la 
sont  un  peu  plus  forts ,  mais  pourtant  ils  ne  concluent  rien  abso- 
lument  et  ne  font  pas  mesme  semy-preuve;  3°  les  indices  pro- 
chains,  attaches  a  Taction,  comme  s'il  y  a  eu  un  homme  tu6  dans 
une  maison  ou  dans  un  bois ,  et  que  dans  le  mesme  temps  I'ac- 
cuse ait  ete  vu  sortir  de  la  maison  ou  du  bois ,  Tepee  nue  et  en- 
sanglantee et  s'enfuyant...  Ge  sont  des  indices  bien  concluants 


(1)  II  s'agit  de  1' article  1,  tit.  xiv,  qui  indique  a  quelles  conditions  la  sentence 
de  torture  peut  §tre  prononc6e. 

(2)  II  y  a  ici  un  classement  qui ,  compare  a  celui  de  Muyart  de  Vouglans,  sem- 
ble  faire  descendre  les  divers  indices  d'un  degr6.  Cf.  Poullain  de  Pare ,  XI  i 
p.  H9. 

(3)  Serpillon,  Code  criminel,  p.  912. 


l'ordonnance  de  1670.  281 

que  c'est  I'accuse  qui  a  commis  le  crime ,  mais  ils  ne  sent  pas 
pourtant  absolumeiit  infaillibles ;  ces  sortes  d'indices  s'appellent 
indices  plains,  et  ils  font  ordinairement  semy-preuve  {i).  »  Au 
fond ,  il  fallait  reconnaitre  qu'il  etait  difficile  d'indiquer  avec  une 
precision  suffisante  las  preuves  sur  lesquelles  on  ferait  donner  la 
torture.  «  La  difficulte  est  de  savoir  quelles  sont  les  preuves  qui 
doivent. passer  pour  considerables.  Celles  qui  peuvent  I'etre  a 
regard  d'un  vagabond  ou  autre  mal  fame  ne  doivent  pas  estre 
regardees  de  meme  ceil,  quand  I'accuse  est  domicilie  et  bien 
fame,  par  consequent  rien  n'est  si  arbitraire  ni  si  difficile  a  fixer. 
Cela  depend  du  lieu ,  du  temps ,  de  la  qualite  des  personnes ,  et 
d'une  infinite  d'autres  circonstances  (2).  » 

Les  indices  eloignes ,  a  eux  seuls ,  permettaient  au  juge  de  pro- 
noncer  des  peines  pecuniaires ,  ou  un  plus  amplement  inform^; 
il  pouvait  encore ,  s'il  y  avait  une  partie  civile ,  regler  le  proces  a 
I'ordinaire.  «  Et  oil  par  le  proces  il  n'y  aura  ni  pleine  ni  semy- 
pleine  preuve ,  mais  il  y  aura  seulement  quelques  indices  ou  con- 
jectures moindres  que  la  dicte  semy-pleine  preuve  et  non  suffi- 
santes  pour  mettre  a  la  torture,  et  verisimilitude  resultant  du 
proces  que  le  demandeur  en  matiere  d'exces  pourroit  plus  ample- 
ment prouver  et  verifier  les  cas  par  luy  pretendus  contre  I'accuse 
en  proces  ordinaire ,  en  ce  cas  si  le  juge  a  faict  ce  que  Ton  peul 
et  doit  faire  pour  la  perfection  du  proces  extraordinaire,  ap- 
poinctera  les  parties  en  proces  ordinaire  (3).  »  «  Lorsqu'il  n'y  a 
que  de  forts  indices,  leur  force  ne  pent  determiner  qu'a  des 
peines  pecuniaires,  si  le  juge  ne  se  porte  pas  au  renvoi  quousque, 
c'est-a-dire  au  plus  amplement  informe  (4).  » 

Au  milieu  des  hesitations  ,  que  nous  avons  relevees  plus  haut , 
il  restait  un  point  certain,  reconnu  de  tons,  c'est  qu'oQ  ne  pou- 
vait point  condamner  a  mort ,  s'il  n'y  avait  une  preuve  complete ; 
et  il  etait  excessivement  difficile  de  s'en  procurer  une.  Hors  le 
cas  ou  elle  avait  ete  obtenue,  aux  indices  pressants  il  fallait  neces- 
sairement  joindre  I'aveu  de  I'accuse.  Dans  ce  but  on  avait  orga- 

(1)  Duplessis ,  loc.  cit, 

(2)  Serpillon  :  Code  crim.,  p.  911. 

(3)  Pratique  de  Lizet ,  p.  28  v". 

(4)  PouUain  du  Pare,  torn  XI,  p.  116. 


282  l'ordonnance  de  1670. 

nise  deux  machines  puissantes  :  I'unie  etait  I'interrogatoire  subtil 
et  secret,  oil  I'accuse  sans  defense  devait  jurer  de  reveler  la 
verite  et  par  lequel  on  obtenait  Faveu  soi-disant  volontaire; 
I'autre  etait  la  question  par  laquelle  on  obtenait  la  confession 
forcde.  Voila  a  quoi  aboutissait  le  systeme  des  preuves  legales ; 
et  c'est  en  lui  qu'il  faut  rechercher  la  vraie  raison  du  maintien 
de  la  torture.  Muyart  de  Vouglans  le  declare  d'une  facon  expli- 
cite.  «  Les  raisons  qui  semblent  devoir  I'autoriser  sont  fondees 
sur  ce  qu'etant  souvent  impossible  d'acquerir  une  entiere  convic- 
tion du  crime ,  soit  par  les  depositions  des  temoins  soit  par  les 
pieces,  soit  par  les  indices  qui  concourent  rarement  ensemble 
pour  former  cette  preuve  plus  claire  que  le  jour  qu'il  faut  pour 
condamner,  il  n'y  aurait  pas  moins  d'injustice  a  renvoyer  absous 
celui  qui  d'ailleurs  est  suspect  de  crime ,  qu'il  y  en  auroit  a  con- 
damner celui  qui  n'est  pas  entierement  convaincu ,  outre  que  le 
bien  de  I'humanite  demande  que  les  crimes  ne  demeurent  point 
impunis.  C'est  pour  cela  que  faute  d'autres  moyens  pour  parve- 
nir  a  cette  entiere  conviction ,  on  s'est  vu  oblige  de  tourmenter 
le  corps  de  I'accuse  (1).  »  Ces  paroles  si  froides  n'etonnent  point 
chez  Muyart  de  Vouglans  qui  s'est  fait  toujours  I'avocat  de  cette 
odieuse  procedure;  mais  elles  exprimaient  une  necessite  logique 
qui  s'imposait  a  tons.  «  Dans  I'embarras  ou  se  trouvent  les  juges, 
dit  Poullain  du  Pare,  lorsqu'ils  voyent  de  tres-forts  indices  centre 
un  accuse,  et  que  tous  les  moyens  de  preuve  sont  epuises,  ils 
sont  reduits  a  la  ressource  de  la  question  preparatoire  (2).  » Void 
enfin  ce  que  dit  Serpillon ,  qui ,  lui ,  a  commence  par  protester 
centre  la  question  :  «  II  y  a  environ  vingt-cinq  ans  que  nous 
fttmes  encore  forces  de  condamner  a  la  question  preparatoire  le 
nomme  Auribaut,  de  la  paroisse  de  Planche-en-Nivernois,  accuse 
de  dix  ou  douze  crimes ,  dont  la  plus  grande  partie  etoient  des 
assassinats  sur  les  grands  chemins ,  sans  qu'il  y  en  etit  un  seul 
parfaitement  prouve  (3).  »  Par  quoi  Serpillon  etait-il  force?  par 
la  theorie  des  preuves  legales. 
Cependant  il  pouvait  rester  une  derniere  ressource  a  i'accuse. 

{i)  Instil.,  p.  341. 

(2)  Tom.  XI,  p.  114. 

(3)  Code  crim.,  p.  909. 


l'ordonnance  de  1670.  283 

S'il  resistait  aux  tourments  et  n'avouait  pas  a  la  question  ,  I'accu- 
sation  etait  sans  doute  completement  purgee,  etles  indices  graves, 
qui  avaient  permis  d'appliquer  la  torture ,  effaces  a  tout  jamais. 
Ce  dernier  espoir  pouvait  etre  vain ;  on  connaissait  en  efifet  la 
question  avec  reserve  des  preuves.  Alors  si  I'accuse ,  &,  force  de 
Constance,  refusait  tout  aveu,  on  pouvait  cependant,  en  vertu  des 
indices ,  le  condamner  a  une  peine  autre  que  la  mort.  L'usage  de 
la  question  avec  reserve  des  preuves  remontait  assez  haut,  et  void 
en  quels  termes  extraordinaires  ij  est  decrit  par  Imbert.  Apres 
avoir  dit  qu'il  y  a  des  criminels  «  si  fins  et  si  malicieux  que  quel- 
que  chose  qu'ils  aient  confesse  a  la  torture ,  quand  ils  sont  le  len- 
demain  interroges,  ils  nient  tout;  »  il  ajoute  :  «  Au  moyen  de 
quoy,  quand  le  juge  voit  qu'il  n'y  a  preave  suffisante  pour  as- 
seoir  punition  corporelle ,  mais  pecuniaire  seulement ,  afln  qu'en 
niant  tout  par  la  question ,  il  n'evade  la  peine  pecuniaire  qu'il 
devrait  souffrir  et  qu'a  raison  de  cela  il  ne  s'endurcisse  plus  a 
souffrir  la  question ,  il  ordonne  que  le  delinquant  sera  mis  en 
torture,  sans  que  pour  cela  les  indices  resultant  du  proces  soient 
purgez.  Car  jagoit  que  par  indices,  voire  indubitables ,  on  ne 
doive  asseoir  punition  de  mort,  ou  autre  corporelle  fort  grieve, 
toutesfois,  on  pent  adjuger  peine  pecuniaire  et  quelque  corporelle 
legere  (1).  »  N'eut-on  pas  pu  inscrire  au  fronton  des  cours  cri- 
minelles  :  "  Vous  qui  entrez  ici ,  quittez  toute  esperance  I  » 

(1)  Pratique,  liv.  Ill,  ch.  14  (p.  739). 


284  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

CHAPITRE  QUATRIEME. 
La  proc6dure  criminell©  k  l'6tranger, 


I.  L'ltalie.  —  II.  L'Espagne.  —  III.  L'AUemagne,  les  Pays-Bas.  — 
IV.  L'Angleterre. 

La  procedure  criminelle  qui  s'etait  etablie  en  France,  n'etait 
point  une  institution  purement  nationale;  elle  formait  au  con- 
traire  le  droit  commun  de  I'Europe.  II  suffira  pour  s'en  con- 
vaincre  de  jeter  un  coup  d'oeil  sur  les  nations  qui  entouraient  la 
nfitre  :  l'ltalie ,  I'Espagne ,  I'AlIemagne  et  les  Pays-Bas.  La  aussi 
s'etait  accomplie  la  meme  evolution ;  la  aussi  le  droit  canon  avail 
introduit  le  proces  inquisitoire  et  le  droit  romain  exerce  son 
influence.  A  la  procedure  accusatoire  et  publique  avait  succede 
I'instruction  ecrite  et  secrete;  aux  rudes  preuves  de  I'epoque 
feodale  la  theorie  savante  des  indices.  Mais  cependant  la  proce- 
dure frangaise  se  distinguait  des  autres  procedures  congeneres 
par  des  traits  qui  lui  etaient  propres.  NuUe  part  les  formes 
n'avaient  ete  mieux  precisees ,  les  regies  plus  nettement  et  plus 
solidement  etablies,  et  a  ce  point  de  vue  Muyart  de  Vouglans  ■ 
pourra  ecrire  sans  exageration  :  «  On  pent  dire  k  I'honneur  de 
notre  France  que  la  jurisprudence  y  a  ete  portee  a  un  degre 
de  perfection  qui  lui  fait  tenir  un  rang  distingue  parmi  les  nations 
policees  (1).  »  Mais  en  meme  temps  nulle  part  les  rigueurs  du 
systeme  n'avaient  ete  poussees  plus  loin  et  la  defense  plus  etroi- 
tement  entravee.  En  bien  comme  en  mal  le  systeme  avait  ete 
pousse  a  I'extreme.  II  faut  cependant  faire  une  exception  pour 
ce  qui  est  de  la  torture;  l'ltalie  et  I'AlIemagne  en  particiilier 
I'appliquerent  avec  un  acharnement  qui  depassait  ce  qu'on  pra- 
tiquait  en  France.  Une  institution  surtout  distinguait  la  France 

(1)  Lettre  svr  le  Uvre  des  dilits  et  des  peines,  p.  20. 


A  l'ktranger.  28S 

des  nations  voisines,  c'est  celle  du  ministere  public.  Ce  n'est  pas 
qu'on  ne  la  trouve  aussi  a  I'etranger,  mais  ou  bien  elle  a  ete 
introduite  par  I'influence  frangaise ,  ou  elle  est  imparfaite  et  ne 
forme  pas  comme  chez  nous  une  piece  essentielle  du  mecanisme 
de  la  procedure  (1). 

En  face  de  la  France,  de  I'autre  c6te  de  la  Manche,  commen- 
gait  un  nouveau  monde.  L'Angleterre  avait  conserve  la  procedure 
accusatoire  et  publique,  la  libre  defense  des  accuses.  Develop- 
pant  des  elements,  qu'avaient  aussi  possedes  les  autres  nations 
europ^ennes,  mais  qu'elles  avaient  laisse  perir,  elle  avait  cree 
la  procedure  par  jures,  qui  constituait  alors  une  sorte  d'anomalie, 
mais  qui,  par  un  puissant  rayonnement,  devait  s'etendre  sur  I'Eu- 
rope  entiere. 

Essayons  d'exposer  en  quelques  pages  ce  que  nous  venons 
d'enoncer  en  quelques  lignes. 


I. 

L'ltalie  sous  la  domination  des  Lombards  avait  connu  la  pro- 
cedure et  le  droit  criminel  des  coutumes  germaniques ,  les 
compositions ,  1' accusation  privee ,  le  debat  oral  et  public ,  les 
disculpations  par  le  serment  et  les  cojurantes,  les  ordalies  et 
specialement  le  duel  judiciaire  (2).  Mais  l'ltalie  etait  la  terre  oil 
s'etait  developpe  le  droit  de  la  Rome  antique ,  oii  celui  de  la 
Rome  moderne  s'elaborait  peu  a  pen ;  plus  que  tout  autre  pays 
elle  devait  ressentir  I'influence  du  droit  romain  et  du  droit 
canon.  II  est  demontre  aujourd'hui  que  I'etude  du  droit  romain 
n'y  fut  jamais  interrompue.  L'ecole  de  Bologne  n'est  pas  une 
resurrection;  c'est  la  floraison  nouvelle  d'un  vieil  arbre,  qui  pen- 
dant longtemps  n'avait  pousse  que  de  maigres  rameaux,  mais 
dont  la  seve  avait  toujours  coule  sous  I'ecorce. 

Les  ecoles  de  droit  se  succedent  en  se  continuant,  a  Rome 
d'abord,  puis  a  Ravenne,  a  Pavie  des  la  premiere  moitie  du 
xi°  siecle ,  a  Verone  a  la  meme  epoque.  On  arrive  ainsi  a  l'ecole 

(1)  Biener  :  Beilragezu  der  Geschichte  des  Inquisitionsprozesses,  p.  208,  ssq. 

(2)  Voy.  Sclopis  :  Histoire  de  la  Ugislation  Italienne,  torn.  I ,  p.  199,  ssq. 


286  LA  PROCEDUKE   CRIMINELLE 

de  Bologne  qui ,  des  la  premiere  moitie  du  xii=  siecle ,  s'eleve  k 
une  telle  hauteur  que  «  tout  ce  qui  I'avait  precedee  est  tombe 
bientot  dans  uq  profond  oubli  (1).  »  Les  professeurs  de  Bologne 
etaient  en  meme  temps  des  praticiens.  "  L'ecole  de  Bologne 
n'a  pas  ete  seulement  I'initiatrice  d'un  mouvement  scientifique,, 
elle  eut  aussi  son  influence  dans  la  pratique  du  droit;  car  les 
glossatores  s'etudiaient  a  appliquer  les  lois  aux  faits  de  la 
vie  (2).  »  Dans  le  Corpus  juris,  s'ils  voyaient  dominer  le  systeme 
accusatoire,  ils  trouvaient  en  meme  temps  la  torture;  ils  y 
trouvaient  aussi  les  germes  de  cette  theorie  des  indices,  qu'ils 
furent  les  premiers  a  construire ,  et  qui  de  I'ltalie  se  repandit  sur 
I'Europe.  A  cote  d'eux,  les  canonistes  construisaient  la  proce- 
dure inquisitoire  qu'allait  consacrer  definitivement  la  papaute. 
Des  lois  positives  naissaient  aussi.  C'etaient  d'abord  les  sta- 
tuts  municipaux,  les  lois  des  cites  libres.  «  Les  cites,  s'inspi- 
rant  du  principe  romain  et  chretien  levaient  haut  leurs  vues  et 
punissaient  les  delits  pour  eux-memes  et  pour  le  bien  commun. 
Dans  la  revision  constante  de  ces  statuts,  I'influence  du  droit 
romain  allait  toujours  en  augmentant  (3).  »  II  en  etait  de  meme 
pour  le  droit  canonique ,  et  peu  a  pen  la  procedure  inquisitoire 
prenait  place  a  cote  de  I'accusation.  L'organisation  judiciaire 
variait  suivant  les  cites,  cependant  on  pent  distinguer  deux 
types  successifs  de  gouvernement  communal.  D'abord  les  villes 
sont  administrees  par  des  consuls  (4).  L'origine  de  cette  magis- 
trature  est  douteuse.  M.  Fertile  pense  que  les  consuls  sortirent 
au  debut  du  conseil,  dont  les  eveques  s'entouraient  pour  I'admi- 
nistration  de  leurs  dioceses  et  souverainetes  temporelles  (5).  Au 

(1)  M.  Rivier :  La  science  du  droit  dans  la  premUre  moilii  du  Moyen-Age  (Nou- 
velle  revue  historique  de  droit  frangais  et  stranger  1877,  p.  1 ,  ssq). 

(2)  Pessina  :  Elementi  di  diritto  penale  (3«  6dit.,  p.  51)  cf.  Fertile  :  Storia  del 
diritto  Italiano,  §  168  :  «  I  glossator!  e  i  loro  successori  commentavano  ed  inse- 
guavano  come  legge  viva  ed  universale  anche  11  diritto  criminale  delle  Pandette 
e  del  Codice.  » 

(3)  Fertile,  op.  cit.,  §  168.  Le  paragraphe  66,  qui  traitera  en  detail  des  statuts 
communaux  consid6r6s  au  point  de  vue  du  droit  criminel,  fera  partie  d'un  volume 
qui  n'a  pas  encore  paru. 

(4)  Fertile,  op.  cit.,  torn.  It,  part.  1 ,  §  48.  Prime  governo  comunale. 

(5)  Op.  cit.,  torn.  II,  1,  p.  25  :  «  Con  maggiore  verisimiglianza  si  potrebbe  far 
uscire  i  consoU  da  consiglio  del  vescovo ,  oioe  dal  numero  di  colore  que  egli  solea 


A  l'etranger.  287 

nombre  de  deux  ou  de  trdis ,  selon  les  lieux  et  les  temps ,  ils 
jugeaient  au  civil  et  au  criminel ,  exercant  en  commun  la  juri- 
diction  repressive  (1).  lis  etaient  assistes  d'ailleurs  d'un  college 
de  juges  ou  d'un  conseil  de  praticiens  (2).  line  revolution  trans- 
forma  dans  la  suite  le  gouvernement  des  cites  ,  et  remit  le  pou- 
voir  aux  mains  d'un  seul  (3),  lequel  presida  ii  la  justice  comme 
aux  autres  branches  de  radministration ;  mais  pour  la  juridic- 
tion  les  formes  changerent  peu.  «  Lorsqu'on  chercha  a  reunir 
dans  un  faisceau  plus  serre  les  formes  politiques  et  civiles,  et 
qu'on  appela  du  dehors  le  podestat,  dont  on  fit  le  premier 
magistrat  de  la  republique,  on  exigea  que  celui-ci  eut  avec  lui 
des  juges,  ou  bien  on  lui  adjoignit  les  conseils  de  justice  (4).  » 
Ces  conseillers,  ces  assesseurs,  etaient  presque  toujours  de  sa- 
vants jurisconsultes ,  de  celebres  professeurs. 

Parmi  les  vieilles  lois  de  I'ltalie  il  faut  citer  celles  donnees  a 
la  Sardaigne  {Carta  di  Logu),  ou  sont  determinees  «  les  regies  de 
la  procedure;  I'accusation  y  est  la  regie,  mais  on  reconnait  la 
necessite  d'une  inquisitio,  faute  d'accusateurs  (5).  »  Dans  I'ltalie 
inferieure  paraissaient  les  Constitutiones  Regni  siculi,  reunies  en 
un  code  par  Frederic  II  en  1231.  Dans  ces  lois  on  abolissait  les 
justices  feodales  et  ecclesiastiques ,  mettant  a  leur  place  les 
baillis  et  justiciers  et  la  grande  cour  du  royaume  (6).  Le  droit 
penal  fut  specialement  ravive  a  la  source  romaine ,  on  abolit  les 
violences  des  guerres  privees  et  le  duel  judiciaire.  L'influence 


consultare  nelle  cose  di  govemo ,  come  pure  nelle  elezioni  dei  parocci  e  nell' 
amministrazione  dei  beni  delle  diocesi ,  il  che  ci  renderebbe  ragione  delle  parte 
ch'ebbero  da  prima  nel  consolato  la  nobilita  et  in  particolare  i  vasalli  dei  ves- 
covi.  » 

(1)  Fertile,  op.  cit.,  t.  II,  part.  1,  p.  25  :  «  Giudicavano  nelle  materie  civlli  et 
penali...  quanto  alia  giurisdizione ,  la  penale  che  rechiedieva  il  banao  di  sangue 
la  tenuero  in  comune.  »  P.  43,  44. 

(2)  Ibid.,  p.  49  :  «  I  consoli  erano  assistiti  nel  lore  ufficio  dal  collegio  dei  giu- 
dici  od  avTOcati  et  dai  sapientes.  I  primi  aveano  per  prinoipale  incarico  d'aiutare 
i  consoli  nell'  amministrazione  della  giustizia.  » 

(3)  Fertile,  op.  cit.,  §  40.  Secondo  govemo  comunale. 

(4)  Sclopis,  op.  cit.,  torn.  II,  p.  293." 

(5)  IbU.,  II,  il3,  ssq. 

(6)  Ibid.,  II,  254,  ssq. 


288  LA   PKOCEDUKE   CRIMINELLE 

du  droit  romain  se  fait  aussi  sentir  par  I'introduction  de  la  pro- 
cedure inquisitoire  (1). 

Mais  ce  furent  a  vrai  dire  la  pratique  et  les  ecrits  des  juriscon- 
sultes  qui  amenerent  la  procedure  crimiQelle  a  son  complet 
developpement  :  rapidement  la  procedure  de  Vinquisitio  prit  le 
dessus,  et  elouffa  I'aiicienne  accusation.  Nous  ne  pouvons  donner 
la  longue  liste  des  docteurs  dont  les  CEuvres  contribuerent  a 
cette  evolution  (2).  Nous  ne  citerons  que  quelques  noms  qui 
dominent  les  autres,et  marquent  des  etapes.  Vers  1271  Guil- 
laume  Durand  public  son  Speculum  juris  (3).  Canoniste  il  decrit 
surtout  Vinquisitio  d'apres  le  droit  canon ,  mais  montre  qu'elle  a 
lieu  egalement  selon  le  droit  civil  :  «  leges...  semiplene  de  inqiai- 
sitione  tractant ,  sad  secundum  canones  plenius  patet  forma  et 
natura  inquisitionis  et  quando  et  qualiter  in  ea  procedatur.  » 
Albertus  Gandinus,  mort  probablement  en  I'an  1300,  admet  la 
procedure  inquisitoire ,  comme  une  institution  de  droit  commun : 
«  hodie  de  jure  civili  judices  potestatum  de  quolibet  maleflcio 
cognoscunt  ex  officio  suo  per  inquisitionem.  Et  ita  servant  judices 
de  consuetudine  et  ita  vidi  communiter  observari,  quamvis  sit 
contra  jus  civile  (4).  »  Bartole  et  Balde  au  commencement  du 
xiv°  siecle  decrivent  et  expliquent  Vinquisitio  (5).  Au  xv°  siecle, 
c'est  Angelus  de  Gambilionibus  de  Aretio ,  qui  dans  son  Tractatus 
de  maleficiis  expose  longuement  le  proces  inquisitoire ,  la  torture, 
la  theorie  des  indices  (6).  Mais  c'est  surtout  au  xvi'  siecle  que 
les  criminalistes  italiens  brillent  d'un  eclat  incomparable.  L'ltalie 
semble  alors  la  patrie  du  droit  criminel ,  et  chose  curieuse ,  de 
nos  jours  un  mouvement  semblable  parait  se  reproduire.  Hippo- 
lytus  de  Marsiliis  (7),  Julius  Glarus  (8),  Farinacius  (9),   Meno- 

(1)  Pessina  :  Elementi,  p.  46,  47. 

(2)  Voy.  M.  A.  du  Boys  :  Histoire  du  droit  criminel  4e  la  France  du  xvi»  au  xix' 
slide,  compar6  avec  celui  de  l'ltalie,  etc.,  torn.  I,  p.  125,  ssq.  —  Biener  :  Bei- 
trdge,  iv"  chapitre ;  Glossatoren  und  italienische  Praktiker,  p.  78,  ssq. 

(3)  Sur  Durand,  voir  M.  Glasson.  Nouvelle  Revue  historique,  1881,  p.  417, 418. 

(4)  Biener,  op.  cit.,  p.  96. 

(5)  Ibid.,  p.  98,  ssq. 

(6)  Du  Boys,  op.  cit.,  I,  p.  300,  311;  Biener,  op.  cit.,  p.  106,  110. 

(7)  Practica  causarum  criminalium,  Lugduni,  1528.  V.  Biener,  op.  dt.,  p.  110, 112. 

(8)  Sententiarum  receptarum  liber  quintus.  Lyon ,  1772. 

(9)  Farinacii  opera  (Duaci  1618). 


A  l'etranger.  289 

chius  (1),  pour  ne  citer  que  les  docteurs  les  plus  celebres  de 
cette  epoque ,  etablissent  definitivement  les  principes  de  la  pro- 
cedure criminelle  et  le  systeme  des  preuves  legales  :  Hippolytus 
de  Marsiliis  etudia  specialement  la  torture,  et  Menochius  la 
theorie  des  indices. 

Tous  a  c6te  de  I'inquisitio ,  admise  presque  sans  restriction, 
connaissent  encore  I'accusation-;  mais  celle-ci  ne  joue  plus  qu'un 
r61e  secondaire  et  efface  (2).  Le  juge  se  met  en  mouvement  soit 
ex  officio,  soit  ad  instantiam partis ,  et  dans  ce  dernier  cas  nous 
avons  Vinquisitio  cum  promovente,  dont  nous  avons  parle  plu- 
sieurs  fois.  Clarus  decrit  aussi  soigneusement,  a  c6te  de  I'accusa- 
tion ,  la  querela  partis  offensse  qui  ressemble  fort  a  notre  action 
civile  (3).  Avant  tout,  s'il  s'agit  d'un  delictum  facti  permanentis , 
il  faut  que  le  corps  du  delit  soit  constate.  Cela  fait,  le  juge  pro- 
cede  a  une  informatio ,  qui  a  pour  but  d'etablir  la  diffamatio;  il 
entend  en  secret  les  temoins  et  recueille  par  ecrit  leurs  depo- 
sitions. Cette  premiere  phase  du  proces  se  termine  par  la  redac- 
tion de  la  charta  inquisitionis  ou  libellus  criminalis,  sorte  d'acte 
d'accusation ,  qui  servira  de  base  a  la  procedure  posterieure  (4). 


(1)  De  prwsumpHonibus ,  conjecturis ,  signis  et  indiciis  commenlaria  {id.  1628). 

(2)  Jul.  Clarus  :  Practica  mm.,  qu.  3,  n»s  6,  8,  p.  416  :  «  Sed  certe,  quidquid 
sit  de  jure  communi  haec  omnia  cessant  ex  consuetudine  prsesentis  temporis ;  nam 
etiam  de  jure  civili  hodie  in  quocumque  casu  permissum  est  procedere  ex  officio 
et  sic  per  Inquisitionem . . .  et  consequenter  hodie  superilua  est  etiam  ilia  practica 
quam  tradit  Alex,  in  apast.  ad  Bar.  quod  scilicet  judex  omniao  statuat  parti  offen- 
sse lerminum  ad  accusandum,  quo  elapso  poterit  deinde,  ubi  pars  non  accusal,  ex 
officio  procedere ,  nee  poterit  postea  pars  etiamsi  velit  accusare  impedire  proces- 
sum  ipsius  judicis  inquirentis.  » 

(3)  Qu.  10,  n">  1,  p.  428  :  «  Licet  isti  duo  modi  procedendi  sc.  ad  querelam  et  ex 
officio  videantur  non  modo  diversi ,  sed  etiam  quodammodo  incompatibiles ,  ta- 
menconsuetudo  admittit  quod  super  querela  partis  judex  statim  incipiat  inquirers. 
Scias  autem  quod  hsec  querela multum  differt  ab  accusatione...  si  non  esset  via 
aperta  judici  ad  inquirendum  aliter  quam  per  querelam,  puta  quia  non  praecederet 
denunciatio  neque  diffamatio  neque  aliquid  ex  his...  non  deberet  judex  procedere 
super  hujusmodi  querela, nisi  haberet  legitima  requisita,  licet  contrarium  plerum- 
que  pbservetur  de  consuetudine...  Si  talis  instigator  prius  querelavit  et  ad  ejus 
querelam  judex  Inquisivit ,  tenet  locum  partis  et  ideo  est  citandus.  » 

(4)  Jul.  Clarus,  qu.  7,  n"  1,  p.  424  :  «  Facta'denuntiacione ,  judex  super  ea 
assumit  informationes  et  indicia ,  et  eis  assumptis  format  libellum ,  sive  inquisi- 
tionem,  in  quo  narrat  quomodo  propter  denunciationem  datam...  inteudit  ex  offi- 
cio procedere,  et  Ita  communiter  servatur  in  practica.  » 

49 


290  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

Alors  I'accuse  est  cite  ou  capture,  et  on  lui  soumet  le  Ubellus;  il 
doit  repondre  sur  les  points  qui  y  sont  contenus.  S'il  nie,  le  juge 
entend  de  nouveau  les  temoins,  apres  qu'ils  ont  prgte  serment 
en  presence  de  I'accuse  (1) ;  puis  viennent  la  question ,  s'il  y  a  lieu 
de  la  donner,  et  enfin  le  jugement.  Cette  procedure  ecrite  se 
faisait  en  secret  (2).  Tout  cela  ressemble  fort  au  proces  criminel 
que  nous  avons  decrit  en  France.  En  Italic  nous  trouvons  seu- 
ment  le  Ubellus  criminalis  en  plus  et  la  confrontation  en  moins  (3). 
II  faut  reconnaitre  aussi  que  la  liberte  de  la  defense  y  etait  plus 
grande  et  le  sort  de  I'accuse  moins  dur  que  chez  nous.  Sans 
doute  on  faisait  generalement  preter  serment  a  I'accuse  lors  de 
i'interrog'atoire  [i),  il  n'assistait  pas  la  deposition  des  temoins  et 
ne  pouvait  point  meme  donner  une  liste  des  questions  a  leur 
poser  (5).  Mais  il  recevait  communication  des  depositions  ecrites, 
selon  les  anciens  principes  ^6),  et  pouvait  faire  entendre  des 
temoins  a  decharge.  Seulement  il  ne  pouvait  user  de  ces  facultes 
qu'apres  avoir  repondu  a  I'interrogatoire  (7).  II  faut  remarquer 
surtout  que  I'assistance  des  avocats  etait  permise,  et  que  meme 
les  juges  en  donnaient  parfois  d'office  aux  accuses  (8).  On  n'ad- 
mettait  point  ces  defenseurs  a  assister  leur  client  lors  de  I'inter- 

(1)  Jul.  Clarus,  qu.  7,  d"  I,  p.  552  :  «  Si  neget,  iteram  examiDaut  testes,  eo  ci- 
tato ad  videndum  eos  jurare,  et  valde  graviter  erraret  judex  qui,  omissa  tali  repe- 
titione  testium ,  procederet  ad  torturam  vel  condemnationem ;  nam  testes  reeepti 
ante  litiscontestationem  nuUam  fidem  faciunt  contra  reum.  » 

(2)  Voy.  Sclopis,  op.  cU.,  I,  p.  208,  ssq. 

(3)  EUe  n'etait  pas  inconnue ,  mais  n'Stait  point  necessaire. 

(4)  Jul.  Clarus ,  qu.  45,  n"  9,  p.  551  :  «  Magis  est  communis  opinio  quod  defe- 
rendum  reo  juramentum  de  veritate  dicenda.  » 

(5)  En  cela  son  sort  6tait  semblable  a  celui  de  I'accusateur  priv6.  Clarus,  qu.  23, 
n"  3,  p.  457  :  «  Consuetudo  observat  quod  inquisitus  vel  accusatus  nunquam  dat 
interrogaloria  testibus  pro  fisco  deponentibus  non  etiam  dat  accusator  interfoga- 
toria  deponentibus  ad  defensam  :  sed  judex  aut  fiscalis  eos  interrogat,  prout'sibi 
videtur.  » 

(6)  Ibid.,  qu.  49,  n»  3,  p.  580  :  ;;  Eliamsi  contra  aliqu'em  procedatur  per  viam 
inquisitionis  nomina  testium  contra  eum  productorum  nee  non  et  dicta  ipsorum 
(competenter)  publicanda  sunt,  ad  effectum  utpossit  se  ipsum  defendere.  » 

(7)  Ibid.,  qu.  45,  n"  8,  p.  551  :  «  Consuetudo  servat  totum  oppositum,  quodsc. 
reus  interrogetur  et  examinetur  ante  datas  defensiones  et  copiam  indiciorum.  » 

(8)  Ibid.,  qu.  49,  n"  11  :  «  Dicit  Blanc,  quod  ita  quotidie  servatur,  quod  scilicet 
judices  dant  advocates  carceratis.  » 


A  LETRANGER.  291 

rogatoire  (1);  on  hesitait  a  leur  donner  copie  de  I'information  (2); 
mais  ce  n'en  etait  pas  moins  la  un  grand  secours.  Farinacius 
composa  une  partie  de  ses  oeuvres  avec  les  plaidoyers  que,  dans 
la  premiere  partie  de  sa  carriere,  11  avait  prononces  pour  la  de- 
fense des  accuses. 

L'institution  du  ministere  public  existait-elle  en  Italie?  II  est 
d'abord  une  autre  institution  qu'il  ne  faudrait  point  confondre 
avec  elle ,  et  qui  pourtant  repondait  en  partie  au  meme  besoin. 
Les  juges  avaient  souvent  des  fonctionnaires  places  sous  eux, 
qui  devaient  leur  denoncer  les  crimes  dont  ils  avaient  connais- 
sance;  mais  ces  subalternes  n'etaient  en  realite  que  des  denon- 
ciateurs  officiels.  «  Albertus  Gandinus,  Bartolus,  Angelus  Are- 
tinus , ' Hippolytus  de,  Marsiliis  connaissent  ces  personnages  et 
leur  donnent  le  nom  de  syndici,  consules  locorum  et  villarum,  mi- 
nistrales,  officiales.  Je  trouve  ces  officiers  dans  quelques  statuts 
de  villes  Italiennes ;  dans  les  statuts  de  Verone  ils  sont  appeles 
jurati  contratarum  et  massarii  villarum;  dans  les  statuts  de 
Roveredo,  massarii ,  jurati ,  syndiQi  villarum  etplebatuum  (3).  » 

Mais  il  est  aussi  question  d'un  veritable  procurator  fiscalis 
dans  les  auteurs  (4).  «  Vers  la  fin  du  Moyen-Age  Venise  eut  xme 
magistrature  qui  reunissait  tous  les  caracteres  d'un  ministere 

(1)  Jul.  Clarus,  qu.  45, n"  11  :  «  Quaero etiam ,  quando  fit  examen  rei,  debeant 
esse  patroni  causarum?  Resp.  quod  de  jure  videtur  dici  posse  quod  sic;  sedcerte 
usus  et  curiarum  stylus  hoc  non  observat.  « 

(2)  Ibid.,  qu.  6,  n"  23  :  «  Reus  dicit  judici  ut  priusquam  ad  alteriora  procedat 
det  ei  copiam  indiciorum  quae  super  diffamatione  assumpsit.  Angel,  dicit  quod  cauti 
advocati  hoc  petunt,  ut  possint  impugaare  testes  diffamantes...  non  video  quo- 
modo  sit  danda  ejus  copia  reo  petenti.  « 

(3)  Biener  :  Beitrage,  p.  92,  93.  L'auteur  remarque  en  note  que  dans  Farinacius 
(liv.  I,  tit.  1,  n"  17) ,  ils  sont  appel6s  .  »  Antiani  seu  parochiani,  qui  statutis  te- 
nentur  denunciare  delicta  commissa  in  eorutn  villis  seu  parochiis.  (»  Mais  peut- 
Stre  y  a-t-il  la  un  souvenir  des  testes  synodales. 

(4)  Julius  Clarus  distingue  nettement  les  trois  classes  de  personnages  qui  peu- 
vent  provoquer  I'inquisition.  Qu.  10,  n"  3,  p.  428  :  «  Scias  igitur  quod  tria  sunt 
genera  eorum  qui  instigatores  seu  promotores  inquisitionis  appellantur.  Aliqui 
enim  id  faciunt  ex  necessitate ,  vel  saltern  ex  debito  eorum  officii ,  prout  sunt 
advocati  et  procuratores ,  seu  syndici  fiscales ,  ad  quos  maxime  pertinet  instare 
assidue  ut  judices  contra  delinquentes  inquirant.  Alii  vero  'faciunt  ex  praecepto 
sive  deputatione  judicum ,  qui  solent  deputare  aliquem  coadjutorem ,  qui  loco 
partis  seu  fiscalis  assistat  inquisition!.. .  postremo  aliqui  id  faciunt  sponte  quia 
comparent  in  judicis  et  subministrant  testes  et  indicia  contra  reos  inquisitos.  » 


292  LA.  PROCEDURE   CRIMINELLE 

public  largement  constilue ;  c'est  Vavouerie  de  la  commune  qui 
existait  des  le  xiii^  siecle  (d).  »  Mais  en  general  I'institution  ne 
se  developpa  qu'imparfaitement.  Voici  du  moins  ce  que  nous 
lisons  dans  d'eminents  auteurs.  «  En  Italie,  au  xvi'  siecle,  on 
trouve  plus  nettement  qu'auparavant  la  procedure  inquisitoire 
avec  participation  d'un  procurator  fiscalis,  en  particulier  i  Rome, 
a  Naples  et  a  Milan.  Mais  quelle  etait  cette  participation  du 
fiscal ,  on  ne  pourrait  le  determiner  que  par  de  difficiles  recher- 
ches ,  pour  lesquelles  generalement  les  sources  font  defaut,  car 
on  ne  trouve  que  des  institutions  locales.  Julius  Clarus  lui-meme, 
qui  dans  ses  ouvrages ,  fondes  principalement  sur  le  droit  com- 
mun,  donne  tant  de  renseignements  sur  la  pratique  Milanaise, 
ne  mentionne  qu'en  passant  les  procureurs  flscaux  de  Milan, 
parce  que  ce  n'est  pas  une  institution  de  droit  commun.  En 
somme  11  faut  admettre  que  c'est  seulement  a  partir  du  xv"  sieele 
que  les  fiscaux  out  ete  introduits  dans  certaines  contrees  d'ltalie, 
et  la  cause  principale  de  leur  introduction  fut  I'influence  exercee 
par  la  France  et  par  I'Espagne  sur  I'ltalie.  Specialement  au  xvi' 
siecle  nous  trouvons  en  Savoie  la  procedure  criminelle  avec  un 
fiscal  tout  a  fait  dans  la  forme  francaise ,  ce  qui  doit  6tre  attribue 
a  I'influence  que  la  France  exerca  sur  la  Savoie  a  partir  du  xv" 
siecle  (2).  »  —  «  Les  fiscaux  que  nous  trouvons  indiques,  dans 
Julius  Clarus  par  exemple ,  ne  sont  pas  a  proprement  parler 
un  ministere  public  :  ils  interviennent  pour  soutenir  I'accu- 
sation,  lorsque  le  juge  s'est  saisi  sur  denonciation  ou  d'office, 
mais  ils  n'ont  pas  I'initiative  de  la  poursuite...;  »  c'est  seu- 
lement «  I'inquisition  etant  ouverte ,  qu'ils  sont  admis ,  comme 
le  seraient  I'accusateur  prive  ou  le  plaignant,  a  proposer  des 
indices  et  a  comparaitre  en  jugement  (3).  »  Ces  observations 
sont  bien  fondees;  mais  peut-etre  doivent  elles  etre  precisees 
davantage.  11  faut  reconnaitre  en  eifet  que  Julius  Clarus  a  plu- 
sieurs  reprises  declare  nettement  que  le  procureur  fiscal  est 
vraiment  partie  au  proces  criminal  (4);  et  si,  d'autre  part,  le 

(1)  Sclopis,  op.  cit.,  p.  260. 

(2)  Biener  :  Beitrdge,  p.  213-214. 

(3)  Du  Boys,  op  cit.,  I,  p.  322. 

(4)  Jul.  Clarus,  qu.  10,  n<>  4  ,  p.  429  :  «  Quaero  numquid  instigator  sit  citandus 


A  l'etranger.  293 

fiscal  ne  peut  tout  d'abord  que  provoquer  le  juge  a  ouvrir  une 
information,  ne  prenant  un  rSle  actif  que  lorsque  celle-ci  a 
donne  des  resuttats ,  cela  est  tout  a  fait  conforme  aux  principes 
qui  aux  xv'  et  xvi"  siecles  determinent  en  France  les  pouvoirs  du 
ministere  public  (1).  / 


II. 

L'Espagne  avait  etc  profondement  impregnee  de  civilisation 
Romaine,  et  lorsqu'elle  eut  ete  envahie  par  les  barbares,  elle 
eut  encore  la  loi  qui,  parmi  les  Leges  barbarorum,  porte  le  plus 
largement  Tempreinle  du  droit  romain.  Aussi  certaines  prati- 
ques, que  le  reste  de  I'Europe  ne  devait  reprendre  qu'a  la  re- 
naissance du  droit  romain,  la  torture  par  exemple,  n'ont  jamais 
disparu  de  I'Espagne.  La  question  se  trouve  dans  le  Forum  judi- 
cum,  avec  quelques  restrictions  il  est  vrai  (2).  Le  Fuero-Juzgo 
connaissait  aussi  I'institution  des  delateurs ,  qu'il  recompensait 
mgme  (3) ,  liiais  il  maintenait ,  comme  principe ,  le  systeme  ac- 
cusatoire  (4). 

La  conquete  musulmane  et  les  luttes  qui  la  suivirent  firent  a 
I'Espagne  une  situation  toute  speciale  dans  I'histoire  de  I'Eu- 
rope, et  au  milieu  de  ces  convulsions  le  code  des  Wisigoths 
tomba  dans  I'oubli.  «  La  majeure  partie  des  peuples  ignoraient 

in  causa  inquisitionis?  Resp.  De  advocalo  seu  syndico  fiscali  nulU  dubium  est 
quin  sit  citandus ;  nam  in  quocumque  judicio ,  in  quo  potest  ex  officio  procedi, 
fiscvs  est  loco  partis.  » 

(1)  Jul.  Qarus,  q.  10,  n»  6  :  «  Tu  scis  quod  hodie,  nemine  quasrelante,  fiscus 

Succedit  loco  accusatoris Numquid  debet  eo  casu  fiscus  querelam  seu  accusatio- 

nem  porrigere,  super  qui  judex  deinde  procedat?  Resp.  quod  non,  sed  taritum 
proceditur  ad  informationem  eo  instante.  Et  ita  se  habet  communis  observantia 
omnium  curiarum,  et  dicunt  semper  instare  fiscum  ut  prooedatur  contra  delinquen- 
tes,  etiam  si  de  hujusmodi  instantia  in  actis  non  appareat;  debet  tamen  prius  esse 
aperta  viae  judici  ad  inquirendum  aliter  quam  per  instigationem  ipsius  fiscalis.  « 

(2)  Voyez  ci-dessus ,  page  95,  cf.  Bistoria  del  Derecho  Espanol,  por  Don  Juan 
Sempere.  (Lib.  II,  chap,  xix,  p.  99.) 

(3)  L.  VII,  tit.  i. 

(4)  «  Ni  el  conde  ni  el  juez  podien  proceder  de  oficio  en  causa  alguna  criminal, 
como  no  constava  por  pruebas  muy  manifestas  el  autor  de  delitto.  »  (Sempere,  op 
cit.,  p.  40.)  Cf.  Voyez  cependant  quant  i  la  poursuite  d'offlce  ci-dessus  page  82 
note  1. 


294  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

qu'il  existat  un  Fuero-Juzgo ,  et  n'avaient  comme  regie  de  gou- 
vernement  que  I'imitation  de  ce  qu'ils  voyaient  pratiqiier  dans 
d'autres  parties  du  pays;  les  seules  lois  qui  presidassent  a 
radministration  de  la  justice  etaient  le  bon  sens  de  quelques 
hommes  pratiques ,  les  exemples  des  sentences  prononcees  dans 
des  cas  semblables  (1).  »  En  meme  temps  se  constituait  la 
feodalite  Espagnole,  et  avec  elle  la  procedure  criminelle,  qui 
domina  partout  dans  les  Cours  feodales ,  et  dont  le  duel  judi- 
ciaire  etait  le  principal  ressort  (2). 

Sous  I'influence  de  la  royaute  il  se  produisit  un  mouvement 
considerable,  celui  des  Fueros.  Les  villes  en  tres-grand  nombre 
obtinrent  des  chartes,  leur  assurant  certains  privileges  et  organi- 
sant  leurs  juridictions.  Bientdt  ce  droit  privilegie  devint  un  droit 
commun  (3) ;  c'est  ce  que  les  auteurs  Espagnols  appellent  gene- 
ralement  le  gouvernement  foral  «  gobierno  foral  (4).  »  Les  fiieros 
remontent  aux  xi' ,  xn'  et  xiii»  siecles ;  deux  des  plus  cele- 
bres  furent  celui  de  Leon,  concede  par  Alphonse  V  et  le  Fnero 
Viejo  de  Castille.  En  general,  le  droit  criminel  qu'ils  con- 
tiennent  est  celui  que  connaissent  a  cette  epoque  les  villes  des 
autres  pays.  On  y  trouve  la  procedure  accusatoire ,  le  serment 
purgatoire,  les  ordalies  par  le  fer  rouge,  mais  aussi  Vinformadon 
de  temoins  veridiques.  La,  comme  dans  les  villes  de  France,  on 
voit  les  commencements  de  la  poursuite  d'office,  c'est  I'enquete  ou 
pesquisa  dont  nous  parlerons  bientot  (5).  Cependant  des  fails  se 
produisaient  qui  allaient  donner  au  droit  Espagnol  une  direction 
decisive.  C'est  d'abord  I'influence  toujours  grandissante  de  I'fi- 
glise  et  du  droit  canon  en  Espagne ,  amenant  ce  que  les  auteurs 

(1)  Sempere,  op.  cit.,  p.  132. 

(2)  Sempere,  op.  cit.,  1.  II,  chap,  in  a  v. 

(3)  Sempere  :  «  Aquellas  cartas  pueblas  y  al  parer  cartas  privilegios  fueron 
ampliBoando  cosi  insensiblemente  los  derechos  y  representacion  del  estado  ge- 
neral. » 

(4)  Sempere,  op.  cit.,  1.  II,  ch.  vii,  ssq.  —  Doa  Francisco  Martinez  Marina; 
Ensayo  historico  critieo  sohre  la  legislacion  y  principales  cuerpos  legates  de  Leon 
y  CasUlla  (II.  IV  et  V).  —  Historia  de  la  legislacion  y  recitaciones  del  derecho  civil 
de  Espana,  por  los  abogados  Amalio  Marichalar  marquez  de  Montesa  y  Cayetano 
Manrique.  1861-1876,  spScialement ,  t.  II ,  p.  162,  ssq. 

(5)  Sempere,  p.  161.  —  Alb.  du  Boys,  Histoire  du  droit  criminel  en  Espagne, 
p.  54-130. 


A  l'btranger.  295 

Espagnols  appellent  la  nueva  jurisprudencia  ultramontana  (1); 
c'est  en  second  lieu  I'etude  du  droit  romain  renouvele ,  qui  fut 
accueillie  avec  enthousiasrae.  «  Lorsque  les  ecoles  de  droit  ro- 
main s'ouvrirent  a  Bologne  et  dans  les  autres  villes  d'ltalie  au 
milieu  du  xii»  siecle ,  un  grand  nombre  d'Espagnols  accoururent 
dans  ces  ecoles;  jusqu'a  I'annee  1300,  ou  se  fonda  I'Universite 
de  Lerida ,  tons  les  lettres  d'Aragon  se  formerent  dans  ces 
ecoles....  au  commencement  du  xin''  siecle  avait  ete  fondee  I'Uni- 
versite de  Valencia,  qui  dura  peu  de  temps;  depuis  fut  erigee 
celle  de  Salamanca ,  et  les  chaires  les  mieux  dotees  furent  celles 
de  droit  civil  et  canon.  II  faut  noter  que  dans  I'enseignement  du 
droit ,  alors  qu'il  n'y  avait  qu'une  chaire  de  droit  civil ,  il  y  en 
avait  trois  de  Decretales ,  ce  qui  prouve  clairement  quelle  etait 
alors  la  preponderance  des  nouvelles  idees  ultramontaines... 
Elles  grandirent  si  vite  que  bientot  on  oublia,  on  mit  de  c6te  les 
lois,  fueros  et  coutumes  nationales,  pour  suivre  les  nouvelles 
maximes  italiennes.  Pour  contenir  cet  abus ,  les  cortes  de  Barce- 
lona, en  1251,  demanderent  qu'on  proscrivit  absolument  I'usage 
du  droit  civil  et  du  droit  canon  dans  les  tribunaux  civils  (2).  » 

C'est  alors  qu'Alphonse  X  le  Sage  crut  necessaire  de  fixer 
les  lois  dans  de  nouvelles  codifications.  D'abord  parut  le  Fuero 
real,  ou  Fuero  de  las  leyes  «  excellent  corps  de  lois,  bref,  clair, 
methodique ,  comprenant  les  lois  les  plus  importantes  des  fueros 
municipaux ,  accommodes  aux  coutumes  de  Castille  et  au  Fuero- 
Juzgo,  dont  les  decisions  etaient  maintes  fois  litteralement  co- 
piees  (3).  »  Le  livre  IV  et  dernier  est  consacre  au  droit  criminel 
et  il  n'est  pas  surprenant  d'y  rencontrer,  a  cote  de  I'accusation , 
qui  forme  la  regie ,  la  pesquisa  ou  information ,  qui  est  la  pour- 
suite  ex  officio  et  qui  prend  la  forme  sous  laquelle  elle  se  mon- 
trera  partout  en  Europe  (4). 

Mais  le  roi  meditait  la  promulgation  d'une  loi  plus  vaste  et 
plus  detaillee ;  ce  fut  le  Code  des  sept  parties ,  le  Septenario  ou 

(1)  Sempere,  op.  cit.,  1.  II,  ch.  xviii  k  xxn. 

(2)  Sempere,  op.  cit.,  p.  160-162. 

(3)  Marina,  Ensayo,  p.  277. 

(4)  Liv.  IV,  tit.  XX  :  «  Accusationes  y  pesquisas.  »  —  Voy.  du  Boys,  op.  cit., 
p.  175-185. 


296  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

Siete  partidas  (1).  Cette  oeuvre  fut  commencee  en  1256,  et  ache- 
vee  en  1263  ou  1265.  Une  pareille  codification,  entreprise  au 
milieu  des  transformations  que  subissait  alors  I'Espagne ,  devait 
etre  quelque  peu  hS,tive.  «  De  frequentes  contradictions  se  ren- 
contrent  a  chaque  pas  dans  la  melee  confuse  de  tant  de  legisla- 
tions ,  ecclesiastique ,  profane ,  feodale ,  forale  et  royale  (2).  » 

La  procedure  criminelle  se  trquve  dans  les  Parties  III  et  VII. 
Deja  elle  etait  fixee  dans  ses  traits  defmitifs.  La  loi  connait  trois 
modes  de  poursuite,  I'accusation  qui  tient  encore  le  premier  rang, 
la  denonciation  et  la  poursuite  d'office;  celle-ci  se  realise  par  la 
pesquisa  ou  inquisition,  qui  intervient  ainsi  en  cas  de  denon- 
ciation (3),  et  il  est  utile  de  la  decrire  rapidement  d'apres  les 
Siete  Partidas.  «  Pesquisa  en  roman  signifie  la  meme  chose 
qu'en  latin  inquisitio  et  elle  touche  a  beaucoup  de  choses...  Les 
pesquisas  peuvent  se  faire  de  trois  manieres...  I'une  quand  on 
fait  une  pesquisa  generale  sur  un  grand  territoire  ou  sur  aucune 
cite  ou  ville  ou  autre  lieu ,  la  pesquisa  etant  faite  sur  tous  ceux 
qui  y  demeurent,  et  sur  aucuns  d'eux  [i).-.  La  seconde...  quand 
on  la  fait  sur  les  faits  d'aucuns  qui  sont  diffames,  ou  autres 
faits  signales ,  qu'on  ne  salt  qui  les  fit ;  la  troisieme  maniere  est 
quand  les  parties  se  presentent ,  demandant  que  le  roi  ou  celui 
qui  a  pouvoir  de  juger  ordonne  de  faire  la  pesquisa  (5).  »  Mais 
le  droit  de  faire  faire  Vinquisitio  parait  avoir  ete  au  debut,  comme 


(l)Voy.  los  Codigos  Espanoles  concordadosy  anotados ,  2=  edit.  Madrid,  1872- 
73,  torn.  III. 

(2)  Sempere ,  op.  cit.,  p.  276. 

(3)  Ces  trois  modes  sont  aussi  ceux  indiquSs  dans  les  coutumes  de  Tortosa  du 
xiiie  siecle;  voy.  :  «  Historia  del  Derecho  en  Cataluna  Mallorcay  Valencia,  Co- 
digo  de  las  Costwmbres  de  Tortosa,  »  por  el  Doctor  Bienvenido  Olivier,  torn.  Ill, 
p.  590,  ssq. 

(4)  C'est  Vinquisitio  generalis  des  caaoaistes  et  des  docteurs. 

(5)  Parlida  III,  tit.  17,  ley.  1  :  «  Pesquisa  en  romance  tanto  qaiere  dezir  en 
latin  como  inquisitio  et  tiene  a  muclias  cosas...  las  pesquisas  pueden  se  fazer  en 
tres  maneras.  La  una  quando  fazen  pesquisa  communalmente  sobre  una  gran 
tierra,  o  sobre  alguna  cibdad,  o  villa  o  otro  lugar,  que  sea  fecha  pesquisa  sobre 
todos  los  que  y  moraren,  o  sobre  algunos  d'ellos...  La  segunda. ..  quando  la  fa- 
zen sobre  fechos  senalados ,  que  non  saben  quien  los  fizo.  La  tercera  quando  las 
partes  se  avienen  queriendo  que  el  Rey  o  aquel  quel  pleyto  ha  de  judgar  mande 
fazer  la  pesquisa.  » 


A  l'etranger.  297 

en  France,  un  privilege  de  la  souverainete  (1).  Les  enqueteurs 
ou  pesqtiesidores  doivent  toujours  avoir  mandat  du  roi  ou  du 
«  Merino  major,  »  et,  pour  les  villes  et  cites,  de  celui  qui  a  droit 
dejugerdans  ces  lieux;  on  trouve  aussi  des  enqu§teurs  aposte 
fixe  :  «  otrosi  pueden  poner  pesquisidores  los  senores  de  algu- 
nos  lugares  honrrados ,  si  han  poder  de  fazer  justicia  en  aquel 
lugar,  do  quieren  fazer  pesquisa.  Otrosi  pesquesidores  y  a  que 
deven  ser  puestos  para  pesquesir  (2)  en  las  cibdades  e  en  las 
villas.  Et  estos  deven  poner  aquellos  que  han  poder  de  judgar 
0  de  fazer  justicia  con  el  consejo  et  con  omes  buonos  senalados 
de  cada  coUacion  (3).  » 

L'inquisitio  ne  doit  en  principe  etre  faite  d'office  que  pour  sa- 
voir  la  verite  sur  les  choses  douteuses  et  cachees ,  dont  quelques 
personnes  sontsoupgonnees  d'etre  les  auteurs  et  diflfamees  pour 
cela  {i).  Les  enqueteurs  doivent  etre  deux  au  moins  avec  un 
greffier,  «  dos  pesquesidores  a  los  menos  e  un  escrivano  (5) ;  » 
ce  doivent  etre  «  des  hommes  craignant  Dieu  et  de  bonne  re- 
nommee;  car  par  leur  pesquisa  mainte  personne  pent  mourir 
ou  souffrir  autre  peine  en  son  corps  (6).  » 

La  pesquisa  se  fait  en  secret;  les  enqueteurs  font  preter  ser- 
ment  aux  temoins ,  "  puis  ils  prennent  chacun  d'eux  a  part  et  les 
interrogent ;  puis  quand  ils  les  ont  interroges ,  et  que  ceux-ci  ont 
dit  qu'ils  n'avaient  plus  rien  a  dire,  ils  doivent  leur  defendre  par 
le  sciiuent  qu'ils  ont  fait  de  rien  reveler  a  homme  qui  soit  au 
monde  de  ce  qu'ils  ont  dit  en  la  pesquisa  (7).  »  Lorsque  I'en- 

(1)  Part.  VII,  tit.  16,  ley.  2  :  «  Si  el  Rey  de  su  oficio  mandasse  fazer  pesquisa.  » 
Cf.  ibid.,  loi  3.  —  Sur  le  justicia  d'Aragoa  et  son  pouvoir  d'enquerir.  Voy.  Ma- 
richalar  et  Manrique,  op.  cit.,  tome  VI,  p.  332,  ssq. 

(2)  Glose  :  «Istos  intellige  eos  qui  de  jure  communi  syndic! ,  vel  officiales  ju 
rati  seu  testes  synodales  dicuntur.  »  Ce  ne  seraient  pas  alors  k  proprement  parler 
des  enqueteurs,  mais  des  d^nonciateurs  officiels. 

(3)  Part.  Ill,  tit.  17,  ley.  2. 

(4)  Part.  Ill,  tit.  16,  ley.  3  :  «  Uamanlos  (los  lestigos)  por  saber  dellos  la  verdad 
de  las  cosas  dubdosas,  que  son  mal  fecbas  abscondidamente ,  de  que  algunos 
son  infamados.  » 

(5)  Pari.  Ill,  tit.  il,ley.  4.  —  Glose:  « Optima  certe provisio  si  esset  in  usul  » 

(6)  Ibid.,  ley.  4  :  «  Buenos  omes  que  temon  a  Dios  e  de  buena  fama  deven  ser 
los  pesquesidores ,  puesque  por  su  pesquisa  han  muchos  de  morir  o  de  sofrir 
otra  pena  en  lor  cuerpos.  » 

(7)  Partida  III,  tit.  17,  ley.  9. 


298  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

quete  est  terminee  elle  doit  etre  remise  aux  juges  «  e  si  deven  la 
dar  a  aquellos  que  la  ovieren  de  judgar  (1).  » 

L'occuse  est  alors  cite  ou  capture ,  on  precede  a  son  interf o- 
gatoire ;  le  juge  lui  fait  preter  serment  de  dire  la  verite  et  fait 
ecrire  ses  reponses  par  le  greffier  (2).  La  torture  etait  largement 
employee  « les  sages  anciens  ont  tenu  pour  bon  de  tourmenter 
les  hommes  pour  savoir  d'eux  la  verite  (3).  »  —  «  D'apres  le 
Fuero-Juzgo  le  juge  ne  devait  pas  proceder  a  la  torture ,  si  ce  n'est 
sur  la  demande  de  la  partie ;  la  partida  declare  que  c'est  I'affaire 
du  magistrat  et  I'oblige  meme  a  faire  donner  parfois  la  question 
ex  officio;  la  loi  gothique  restreignait  cette  procedure  aux  causes 
graves  et  importantes,  la  partida  ne  lui  assigne  pas  de  li- 
mite  (i).  »  Cependant  les  partidas  k  I'exemple  de  la  loi  romaine 
prennent  soin  de  soustraire  certaines  classes  de  personnes  a  la 
torture  (5).  La  torture  n' etait  pas  un  trait  particulier  a  la  proce- 
dure inquisitoire,  et  il  semble  qu'on  doive  en  dire  autant  du  ser- 
ment exige  de  I'accuse  (6). 

Quelle  liberte  etait  laissee  a  lar  defense  dans  le  proces  qni 
suivait  I'enquSte.  L'accuse  devait  en  principe  recevoir  communi- 
cation et  copie  de  la  pesquisa,  afin  d'avoir  centre  ceux  qui  y 
auraient  depose  «  toutes  les  defenses  qu'il  aurait  centre  d'autres 
temoins  (7).  »  Cependant  le  texts  ajoute  que  si  le  roi  ou  autre 

(1)  Partida  III.  tit.  17,  ley.  9. 

(2)  Part.  VII,  tit.  29  :  De  como  deven  ser  recabdados  los  presos  .  «  E  estonce 
el  Rey  o  autel  Judgador  (que  lo  mande  prender)  deven  le  fazer  jurar  que  diga  la 
verdad  de  aquel  feoho  sobre  que  la  recabdaron ,  et  deve  lo  todo  fazer  escreir  lo 
que  dixere  et  andar  adelaate  en  el  pleyto.  »  —  Et  la  glose  .  «  Per  istam  legem 
est  quotidie  in  practica  quod  accusato  vel  inquisito  recipitur  ab  eo  juramentum 
de  veritate  dicenda.  » 

(3)  Part.  VII,  at.  30,  de  los  tormentos.  «  Porende  tenieron  por  bien  los  sabios 
antiguos  que  fizieroa  tormentar  a  los  omes,  por  que  pudiessen  saber  la  verdad 
ende  dellos.  » 

(4)  Marina  :  Ensayo,  p.  390. 

(5)  Part.  VII,  tit.  30,  ley.  2 ;  ne  peuvent  6tre  tortures  :  «  Menor  de  catorce 
anos,  cavallero,  fidalgo,  maestro  de  las  leyes  o  de  otro  saber,  ome  quo  fuesse  con- 
sejero  senaladamente  del  Rey  o  del  comun  de  alguna  cibdad ,  o  villa  del  Rey, 
los  fijos  dessos  sobre  dichos ,  mujer  que  fuesse  prenada.  » 

(6)  Voyez  la  glose  cit^e  plus  haut  note  2. 

(7)  Part.  Ill,  tit.  17,  ley.  11  :  «  Seyendo  la  pesquisa  fecha  en  qualquier  de  las 
maneras  que  suso  diximos,  dar  deve  el  Rey  o  los  judgadores  traslado  della  a 


A  l'etranger.  299 

pour  lui  qui  a  mande  de  faire  I'enquete ,  le  trouve  bon ,  on  ne 
communiquera  point  a  I'accuse  les  noms  et  les  dires  des  temoins. 
—  «  Pero  si  el  Rey  o  otro  alguno  per  el,  que  mandassa  fazer 
pesquisa  sobre  conducho  tornado,  estonce  non  deven  ser  mos- 
trados  los  nomes  ni  los  dichos  de  las  pesquisas  a  aquellos  con- 
tra quien  fuere  fecha  la  pesquisa,  e  esto  mismo  deve  ser  guar- 
dado  quando  las  partes  se  avienen  en  tal  manera ,  que  se  libre 
el  pleyto  por  ella,  e  non  sean  mostrados  los  testigos  nin  los 
dichos  d'ellos  (1).  »  La  glose  indique  bien  d'ailleurs  I'origine 
de  cette  disposition  :  «  Vide  casum  specialem ,  in  quo  non  datur 
inquisito  copia  testium  et  nominum  eorum ;  sic  etiam  in  causa 
haeresis  propter  timorem  futuri  scandali  subticentur  nomina  tes- 
tium. »  D'apres  les  Siete  partidas  le  ministere  du  defenseur, 
personero ,  est  interdit  dans  les  proces  criminels ,  I'accuse  devra 
se  defendre  par  lui-mgme  (8). 

«  Dans  les  Partidas ,  il  n'est  pas  question  du  procureur  fiscal. 
Mais  dans  les  Leyes  de  recopilacion ,  parues  en  1566  sous  Phi- 
lippe II ,  il  existe  un  titre  qui  porte  la  rubrique  «  de  los  pro- 
curadores  flscales  (3).  »  On  y  trouve  plusieurs  Ordonnances  de 
1436,  qui  etablissent  des  procureurs  pour  agir  devant  les  cours 
de  justice  faute  d'autres  accusateurs,  et  determinent  leur  role. 
Dans  la  procedure  de  I'lnquisition  Espagnole  en  matiere  d'he- 
resie  on  trouve  aussi  des  le  debut,  c'est-a-dire  a  la  fin  du  xv* 
siecle,  un  promdtor  fiscal,  dont  I'influence  est  tres-grande.  Cette 
institution  parait  s'etre  etablie  en  Espagne  dans  la  premiere 

aquellos  a  quien  tanxere  la  pesquisa  de  los  nombres  de  los  testigos  et  de  los  di- 
chos ,  por  que  se  pueden  defender  a  su  derecho ,  diziendo  contra  las  personas  de 
la  pesquisa  o  en  los  dichos  dellos,  et  ayan  todas  las  defensiones  que  aurian  contra 
otros  testigos.  » 

(1)  Part.  Ill,  tit.  17,  ley.  11  :  Les  derniers  mots  semblent  faire  allusion  a  une  pra- 
tique qui  rappeUerait  un  peu  V acceptation  de  I'enquete  du  vieux  droit  franjais ;  sur 
ce  point  voici  ce  qu'observe  la  glose  :  «  Videbatur  contrarium  dicendum  in  causa 
criminali,  ubi  non  potest  renuntiari  deFensio.  » 

(2)  Part.  Ill,  tit.  5,  ley.  12  :  «  En  pleyto  sobre  que  puede  venir  sentencia  de 
muerte  o  de  perdimiento  de  miembro  o  de  desterramiento  de  tierra  para  siempre... 
non  deve  ser  dado  personero ,  ante  diximos  que  todo  homo  est  tenudo  de  de- 
mander  o  defender  se  en  tal  pleyto  come  esta  por  si  mismo  e  non  por  perso- 
nero. »  Cf.  Marina,  Ensayo,  p.  367. 

(3)  Liv.  U,  tit.  13. 


300  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

moitie  du  xv°  siecle ,  et  avoir  ete  transportee  dans  I'lnquisition 
contre  les  heretiques ,  qui  prit  aussi  le  caractere  d'une  institution 
d'Etat  (1).  Dans  tons  les  cas,  il  y  a  d'abord  une  instruction  pre- 
paratoire ;  le  Fiscal  ne  peut  pas  accuser  avant  que  I'existence  du 
fait  et  les  indices  aient  ete  reveles  par  une  denonciation  ou  par 
■  la  notoriete  publique.  Alors  le  Ubellus  criminalis  est  communique 
a  raccusateur  prive  ou  au  Fiscal ;  puis  la  procedure  suit  son 
cours  dans  la  forme  accusatoire  (2).  » 

Les  Siete  Partidas  devinrent ,  apres  quelques  contestations  il 
est  vrai,  la  loi  generale  de  I'Espagne.  En  matiere  criminelle,  leS 
lois  qui  vinrent  ensuite ,  la  Nueva  recopilacion ,  et  la  Novissima 
recopilacion,  ne  flrent  que  reprendre  avec  plus  de  details  les 
principes  qu'elles  avaient  poses  (3).  Le  systeme  de  procedure 
criminelle ,  sans  atteindre  jamais  la  precision  qu'il  avait  en 
France,  presente  les  caracteres  esseijtiels  qui  le  font  aisement 
reconnaitre  :  c'est  la  procedure  secrete  et  ecrite ,  la  defense  en- 
travee  et  la  torture  (4). 


in. 

L'Allemagne  conserva  longtemps  dans  son  organisation  judi- 
ciaire  et  dans  sa  procedure  les  vieux  usages  germaniques.  Pour 
les  hommes  de  condition  entierement  libre ,  on  trouve  encore  aux 


(1)  Nous  laissons  completement  de  c6t6  Vlnquisition  d'Espagne  proprement  dite. 

(2)  Biener  :  Beitrage,  p.  208,  209. 

(3)  Marina  :  Ensayo,  p.  434,  ssq.  Sempere,  op.  cit.,  p.  457,  ssq.  — Voy.  No- 
vissima recopilacion.  Lib.  XII,  tit.  32  :  «  De  las  causas  criminales,  y  de  modo 
de  proceder  en  ellas  y  en  el  examen  de  testigos.  »  (Los  Codigos  Espanoles, 
torn.  X.)  —  La  Nueva  recopilacion  de  las  leyes,  date  du  rfegne  de  Philippe  II,  la 
premiere  Edition  parut  en  1569  aAlcala  de  H^nares.  Voy.  Marichalar  et  Manri- 
que,  op.  cit.,  tome  IX,  p.  2S1,  ssq.  —  La  Novissima  recopilacion  date  du  r6gne  de 
Charles  IV;  elle  est  de  1806.  Voy.  Marichalar  et  Manrique,  IX,  p.  533,  ssq. 

(4)  Ces  rigueurs  furent  acceptfies  comme  en  France.  Cependant  il  faut  enregis- 
trer  une  protestation  des  Cortes  de  1592  contre  I'excfes  des  tourments  infligfe 
aux  accuses.  Voyez  Marichalar  et  Manrique,  op.  cit.,  IX,  p.  318  :  «  Clamaron 
(las  cortes)...  contra  el  rigor  de  los  jueces  en  aplicar  el  tormento  a  los  processa- 
dos,  usando  de  medios  crueles  e  unusitados  hasta  el  punto  de  que  los  reos, 
desperados  de  sutrir  los  se  hayan  levantando  testimonios  a  si  mismos  y  culpado 
a  otros  falsamente.  u 


A   L  ETRANGER.  301 

XIII'  et  xiv°  siecles  la  juridiction  de  I'ancien  mallus  legitimus 
sous  le  nom  de  Landgerichte ;  les  causes  criminelles ,  ou  ne  figu- 
raient  que  des  personnes  de  condition  quasi -servile,  elaient 
jugees  par  la  Dizaine  ou  Zent.  Naturellement  devant  ces  tribu- 
naux  les  vieilles  formes  de  la  procedure  germanique  s'etaient 
maintenues.  En  principe,  11  n'y  a  pas  de  poursuite  d'office;  il 
faut ,  pour  qu'un  proces  criminel  ait  lieu ,  qu'il  se  presente  un 
accusateur  :  «  War  kein  Klager  ist ,  darin  soil  och  Kein  Richter 
sein;  »  la  ou  il  n'y  a  pas  d'accusateur  11  n'y  a  pas  de  juge  (1). 
Et  Taccusation  n'appartient  qu'aux  «  parentes  et  consanguinei , 
swertmach.  »  Le  debat  etait  oral  et  public ;  les  preuves  etaient  le 
serment  avec  cojurantes ,  les  ordalies  unilaterales  et  avant  tout  le 
duel  judiciaire.  L'accusateur  et  I'accuse  devaient  tous  les  deux 
tenir  la  prison ,  comme  dans  notre  vieille  accusation  par  partie 
formee  (2).  Mais  la  comme  dans  nos  coutumiers  du  Moyen-Age, 
le  flagrant  delit  jouait  un  role  tres-important ;  il  permettait  de  se 
passer  d'accusateur,  et  les  ordalies  pas  plus  que  le  serment  purga- 
toire  n'etaient  alors  admises.  Nous  retrouvons  la  clameur  de  haro 
sous  le  nom  de  Geriichte  ou  Gerilfte.  D'apres  certains  usages  une 
sorte  d'accusation  publique  etait  aussi  connue,  c'etait  ce  qu'on 
appelait  les  Rugegerichte.  Dans  les  assemblees  judiciaires  a  cer- 
tains jours  le  maire,  Bauermeister,  ou  les  simples  paysans  etaient 
tenus  de  denoncer  ceux  qu'ils  savaient  coupables  de  crimes 
graves ,  et  cela  suffisait  pour  que  I'individu  denonce  fut  oblige  de 
se  disculper  (3).  Cette  coutume  remontait  sans  aucun  doute  aux 
institutions  ecclesiastiques  et  laiques  de  I'epoque  Carolingienne 
que  nous  avons  decrites  plus  haut  (4). 

Parfois  le  juge  se  portait  lui-meme  accusateur ;  « lorsqu'il  avait 

(1)  Haltaus  :  Glossarium  Germanicum  medii  CBvi.  V"  AnUage. 

(2)  Sur  tous  ces  points  :  Voyez  ZoepQ  :  Deutsche  Rechisgeschichtg,  tome  III, 
§  131.  — Biener  :  Beitrage,  p.  134,  ssq.  —  Sachsenspiegel,  I,  63,  §  2  ;  III,  28;  — 
Schwabenspiegel ,  ch.  78,  79,  234. 

(3)  ZoBpfl,  op.  cit.,  torn.  Ill,  p.  432.  —  Biener,  op.  cit.,  p.  135. 

(4)  Haltaus.  Yo  Riigen  «  specialissime  publicare,  indicare,  denuntiare  magis- 
tratui  aliquid,  deferre  delictum  vel  excessum  denuntiatione  certa,  fldeli,  et  ju- 
rats quae  pro  fundamento  sit  inquisitioni  et  convictioni ,  ad  eum  finem  ut  magis- 
tratus  mulctet  aut  puniat.  In  instrumento  notarii  anno  1457  :  Yillani  de  Synodo 
sancte  tanquam  obedientes  filii  representare ,  ibidemque  excessus  commissos 
contra  ritum  statutorum  sanctse  matris  Ecclesiae  publicare.  » 


302  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

par  sa  propre  connaiskance  la  conviction  qu'une  personne  etait 
coupable,  faute  d'autre  moyen  de  preuve/il  devait  affirmerpar 
serment  la  culpabilite,  soutenu  par  des  cojurantes  (1).  »  A  cela 
se  rapporte  I'institution  curieuse  du  Besiebnen.  Void  ce  qu'en  dit 
Haltaus  :  «  Deinde  moribus  datum  erat  libertati  gentis  nostrsB 
ut  maleficus  in  facto  non  deprehensus,  semper,  sive  adesset 
accusator  sive  minus,  per  septem  testes  paris  conditionis  et  status 
esset  convincendus ,  durch  das  Besiebnen.  Cum  vero  aegre  tantus 
inveniretur  testium  numerus  et  magna  esset  pejerandi  licentia, 
seepe  etiam  maleficia  transmitterentur  impunita ;  his  quoque  in- 
commodis,  his  malis  quaerendum  erat  remedium.  Itaque  non 
paucae  civitates  saeculo  xiv  et  sequenti  impetrarunt  per  privOe- 
gium  ut  quemcumque  major  pars  magistratus  sub  jurisjurandi 
sui  obtestatione  maleflcilm  ex  publica  infamia  afflrmasset,  is  con- 
demnaretur  pro  maleficio  (2).  »  Dans  cette  transformation  on 
pent  voir  les  premieres  traces  de  Vinquisitio,  qui  se  cache  sous 
les  vieilles  formes  et  les  vieux  noms.  Ce  deguisement  des  insti- 
tutions etrangeres  se  produira  plus  d'une  fois  en  Allemagne. 

Bient6t  I'institution  se  precise;  les  juges  de  diverses  cites 
obtiennent  le  droit  de  poursuivre  et  de  juger  sur  la  mauvaise 
renommee  «  auf  bosen  Leumund.  »  Des  1258,  nous  trouvons  par 
exemple  que  I'archeveque  de  Cologne  peut  «  contra  publice  infa- 
matos  inquirers  et  judicare  etiam  nullo  conquerente  (3).  »  C'est 
bien  Vinquisitio  du  droit  canon  qui  s'introduit. 

Au  xv°  siecle ,  un  travail  profond  s'opere  qui  modifie  partout 
le  vieil  etat  de  choses.  Les  anciennes  juridictions,  les  Schoffenge- 
richte,  les  Landgerichte  cessent  d'etre  des  assemblees  judiciaires. 
La  population  du  reste ,  fatiguee  du  service  de  plaid ,  accepte  avec 
joie  le  soulagement  qu'on  lui  offre.  Le  soin  de  rendre  la  justice 

(1)  Zoepfl,  op.  et  loc.  cit.,  p.  437. 

(2)  V"  Faem;  voyez  a  la  suite  les  chartes  que  cite  Haltaus;  il  ajoute  «  habes 
lector,  si  non  origines ,  at  memoriam  et  veram  indolem  processus  inquisitorii  in 
Germania,  jam  inde  a  medio  saeculi  xiii,.quem  ex  inquisitorio  et  accusatorio  mix- 
tum  appellaveris.  « 

(3)  Haltaus.  V»  Faem.  —  Biener,  op.  cit.,  p.  138,  ssq.  —  Parfois  encore  le  juge 
itablit  un  accusateur  d'office ,  (c'est  ce  qu'on  nomme  Klagen  von  Amtswegen,)  sur- 
tout  lorsqu'il  s'agit  de  gens  pauvres ,  victimes  d'un  crime.  Voy.  Haltaus.  V"  Elm- 
dig  :  Biener,  op.  cit.,  p.  140,  ssq. 


A  l'etkanger.  303 

tend  i  passer  aux  mains  des  juristes  et  des  hommes  instruits. 
Dans  les  justices  seigneuriales  infeodees ,  les  juges  sont  des  fonc- 
tionnaires  nommes  par  les  seigneurs;  a  c6te  d'eux  siegent  les 
jugeurs,  les  echevins,  semblables  au  conseil  de  praticiens  que 
que  nous  avons  trouve  chez  nous  autour  du  juge;  La  Caroline 
les  mentionne  encore  au  xvi°  siecle  (1).  La  procedure,  issue  du 
droit  romain  et  canonique ,  telle  que  I'avaient  fixee  les  docteurs 
d'ltalie ,  fait  de  rapides  progres.  Au  commencement  du  xv"  siecle 
le  Klagspiegel ,  dent  le  succes  fut  si  grand,  a  c6te  de  la  proce- 
dure accusatoire  decrit  soigneusement  la  procedure  inquisitoire. 
Lorsque  le  juge  aura  constate  la  diffamation  «  Leumund,  Ges- 
chrei,  »  il  pourra  faire  le  proces  d'office,  pourvu  qu'il  s'agisse 
d'un  crime  grave.  L'emploi  de  la  torture  est  admis ,  lorsqu'il  y  a 
des  indices  {Warzeichen)  sufflsants  (2).  «'Le  motif  de  l'emploi  de 
la  torture,  a  I'exemple  des  Italiens,  fut  que  d'un  c6te  on  ne 
croyait  plus  aux  ordalies  et  aux  cojur antes,  et  que  d'autre  part 
on  ne  voulait  pas  prononcer  une  condamnation  sur  des  indices 
seulement,  quelle  que  fut  leur  force  (3).  »  «  A  la  fin  du  xv® 
siecle ,  ces  principes  empruntes  a  la  doctrine  Italienne  ont  triom- 
phe  en  Allemagne ,  et  sont  confirmes  dans  plusieurs  lois  particu- 
lieres,  telles  que  la  Wormser  Reformation  de  1498,  et  la  Tiroler 
Malefizordnung  de  1499  (4).  » 

Mais  ces  transformations  ne  s'accomplirent  point  sans  donner 
lieu  a  de  graves  abus.  Gette  procedure,  nous  I'avons  vu,  avec  sa 
theorie  compliquee  des  preuves ,  etait  un  outil  delicat  et  difficile 
a  manier.  Or,  les  jugeurs  et  les  echevins  allemands ,  avaient  sou- 
vent  pour  toute  culture  les  lecons  de  la  pratique  locale.  lis  ne 
pouvaient  aller  puiser  les  connaissances  necessaires  dans  les 
livres  savants  qui  les  contenaient.  Incapables  le  plus  souvent  de 
combiner  et  d'apprecier  la  valeur  des  indices,  ils  se  trouvaient 
fort  perplexes.  Graignant  de  n'avoir  pas  reuni  un  corps  de  preu- 
ves assez  complet,  ils  employaient  la  question  pour  arracher  un 

(1)  Ch.  I :  «  Voa  Richtern,  urtheilern  und  gerichtspersonen.  »  Voy.  Stintzing  : 
Geschichte  der  deutschen  Rechtswissenschaft,  p.  61,  ssq. 

(2)  Stintzing,  op.  cit.,  p.  43,  ssq.;  609. 

(3)  Zoepfl,  op.  et  loc.  cit. 

(4)  Stintzing,  op.  cit.,  p.  610. 


304  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

aveu,  quels  que  fussent  d'ailleurs  les  indices  deja  obtenus.  A  la 
fin  du  xv«  siecle  des  plaintes  generales  s'elevent  contre  la  justice 
sanglante  et  arbitraire,  qui  s'administre  en  Allemagne  (1).  En 
1498,  d'apres  une  decision  de\&Reichs-Kammergericht,l'emfe. 
reur  impose  d 'office  un  docteur  en  droit  comme  president  si  ■ 
chaque  justice  seigneuriale.  Mais  le  meilleur  remede  a  ces  desor- 
dres  devait  etre  une  loi  ecrite ,  simple ,  claire  et  assez  detaillee 
pour  servir  de  guide  fidele  aux  magistrats.  Aussi  voyons-nouS 
se  produiredans  ce  sens  un  mouvement  legislatif  important,  qui 
eut  pour  principal  organe  un  homme  eminent ,  Johann  Freiherr 
zu  Schwarzenberg  und  Hohenlandsberg  (2). 

Ce  n'etait  point  un  savant ,  mais  un  homme  d'Etat  et  un  puis- 
sant vulgarisateur.  Apres  une  jeunesse  agitee  ,  nous  le  trouvons 
au  service  de  I'evSque  de  Bamberg,  dont  il  devint  le  premier 
fonctionnaire ,  le  Hofmeister.  La  il  participa  a  Tadministration  de 
la  justice,  et  concut  I'idee  d'une  reforme  de  la  procedure  pe- 
nale.  Cette  idee  aboutit  a  la  redaction  d'une  Ordonnance,  la 
Bambergische  Halsgerichtsordnung ,  que  I'eveque  Georges  publia 
en  1507  avec  force  de  loi.  Schwarzenberg  mena  a  bonne  fin  son 
oeuvre,  en  s'entourant  de  coUaborateurs  savants  et  devoues.  C'est 
ainsi  qu'il  faisait  traduire  Giceron  et  le  publiait ,  sans  savoir  lui- 
meme  le  latin  (3).  L'Ordonnance  parut  sous  la  forme  d'unlivre 
de  pratique,  avec  des  figures  [Figuren  und  Reime). 

Schwarzenberg  ,  passant  dans  la  suite  au  service  des  mar- 
graves Gasimir  et  Georges  de  Brandebourg ,  une  adaptation  nou- 
velle  fut  faite  de  I'Ordonnance  de  Bamberg,  sous  le  nom  de 

(1)  SUntzing,  op.  cit.,  p.  610,  ssq.  Voy.  speoialement ,  p.  611  :  «  Es  warder 
Ausdruck  des  AUgemeinea  Nothstaades ,  als  des  Kammergericht  dem  Reichstage 
zu  Lindau  1496  sine  Vorstellung  iibergab ,  in  der  es  hiess  dass  ihm  taglich  die 
Klagen  gegen  Fttrsten ,  Reiohstadte  uad  andere  Obrigkelten  vorgebracht  wiir- 
den,  das  sie  Leute  unverschuldet  ohne  Recht  und  redliche  Drsache  zum  Tode 
verurtheilen  und  richten  liessen.  » 

(2)  La  vie  de  Schwarzenberg,  ainsi  que  la  legislation  qui  6mane  de  lui  ou  qu'il 
inspira,  a  616  r^cemment  I'objet  d' etudes  int^ressantes.  Weissel  :  Hams  Fr. 
V.  Schwarzenberg,  1878.  —  Giiterbock  :  die  Entsfehungsgeschichte  der  Karolina, 
1876.  —  Brunnenmeister  :  die  Quellen  der  Bambergensis,  1879.  —  Stintzing  :  Ges- 
chicMe  der  deutschen  Rechtswissenschaft  (ch.  14),  1880.  M.  Stintzing  a  rtsumi  et 
complete  les  recherches  de  ses  prfed^cesseurs. 

(3)  Stintzing,  op.  cit.,  p.  613,  617,  ssq. 


A  l'etranger.  305 

Brandenburger  Halsgerichtsordnung.  »  Mais  une  oeuvre  plus  large 
devait  etre  entreprise ;  il  s'agissait  de  donner  un  Code  criminal 
a  I'Empire. 

Aux  dietes  de  Fribourg  (1497-1498)  et  d'Augsbourg  (1500),  la 
proposition  avait  ete  faite  et  acceptee  de  rediger  une  Ordonnance 
criminelle  unique  pour  tout  I'Empire ;  on  en  avait  confle  le  soin 
au  gouvernement  de  I'Empire,  assiste  dela. Reichs-Kammergericht. 
Mais  cependant  la  chose  tratna  en  longueur ;  et  ce  fut  seulement 
a  la  diete  que  Charles-Quint  ouvrit  a  Worms  en  Janvier  1521, 
qu'un  pas  decisif  fut  fait  en  avant.  Une  commission  fut  nommee 
pour  rediger  I'Ordonnance ,  et  un  premier  projet  presente  par 
elle  au  mois  d'avril.  Las  commissaires ,  chose  assez  naturalle , 
avaiant  pris  pour  base  de  leur  travail  la  Bambergemis  deja  cele- 
bre  (1).  La  diete  de  1521  delegua  au  gouvernement  de  I'Empire 
le  soin  de  soumettre  a  une  revision  le  projet  redige  (2).  Cepen- 
dant I'entreprise  sommailla  encore  pendant  un  certain  temps.  En 
1524  un  nouveau  projet  fut  presente  a  la  diete  de  Nuremberg, 
mais  ne  fut  pas  discute;  un  troisieme  fut  soumis  en  1529  a  la 
diete  de  Spire,  et  enfm  debattu  a  celle  d'Augsbourg  en  1530.  II 
ne  fut  point  cependant  definitivement  adopte ,  devant  I'opposition 
de  certains  Etats,  qui  refusaient  de  renoncer  a  leurs  coutumes 
particulieres.  Enfin,  en  1532,  a  la  diete  de  Regensbourg,  le  vote 
deflnitif  fut  obtenu ,  grkce  a  I'insertion  d'une  clause ,  dite  salvato- 
rische  Clausel,  qui  garantissait  a  chaque  Etat  le  maintien  de  ses 
bonnes  et  antiques  coutumes  (3).  Le  22  juin  1532  les  fitats  an- 
noncerent  a  I'empereur  I'achevement  de  I'oeuvre.  II  y  avait  35  ans 
que  le  travail  etait  entrepris  (4). 

(1)  Stintzing,  op.  cit.,  p.  621,  623. 

(2)  Sohwarzenberg  appartint  au  gouvernement  de  I'Empire  de  1521  a  1S24 
(Stintzing,  op.  cit,  p.  623). 

(3)  Voici  cette  clause  :  «Doch  woUen  wir  durcli  diess  gnadige  Erinnerung  Kur- 
fursten,  Fiirsten  und  Standen  an  ihren  alten  woUhergebrachten  rechtmassigen 
vmd  billigen  Gebrauchen  nichts  benommen  haben.  »  —  «  Malgr6  cela ,  dit 
M.  Stintzing  (p.  627) ,  la  Caroline  fut  promulgude  comme  veritable  loi  de  I'Em- 
pire ,  dont  la  force  obligatoire  £tait  ind^pendante  de  la  volenti  des  £tats ;  mais  la 
salvatorische  Clausel  lui  donna  la  place  d'un  droit  subsidiaire ;  il  la  fait  marcher 
derridre  les  legislations  particularistes ,  alors  que  I'intention,  lorsque  I'oeuvre 
avait  ete  entreprise,  avait  ete  d'etablir  un  rapport  absolument  inverse.  » 

(4)  Stintzing,  op.  cit.,  p.  621,  625. 

20 


306  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

L'Ordonnance  fut  promulguee  comme  loi  de  I'Empire  le  27 
juia  1332  par  Charles-Quint,  sous  le  titre  de  «  Keyser  Karls  des 
fimften  und  des  heyligen  romischen  Reichs  peinlich  Gerichtsor&\ 
nung.  »  Bientot  on  I'appela  surtout  la  «  Constitutio  crimimlis 
Carolina,  »  ou  simplement  la  «  Caroline  (1). 

Toutes  ces  lois  ne  sont  point  des  codes  savants,  elles  ont 
pour  but  de  fournir  un  guide  commode  aux  praticiens  peu  ins- 
truits.  Elles  melangent  le  droit  penal  et  la  procedure  crinii- 
nelle ,  et  la  plus  grande  partie  de  leurs  dispositions  est  consacree 
a  exposer  la  theorie  des  preuves  et  des  indices ,  ce  mecanisme 
si  complique  surtout  pour  des  esprits  peu  cultives  (2).  Le 
droit  qu'elles  formulent  est  du  reste  celui  qu'avait  cree  I'action 
combinee  du  droit  canon  et  du  droit  romain ;  chose  fort  remar- 
quable,  elles  contiennent  sur  bien  des  points  les  formes  ex- 
terieures  suivies  d'apres  le  vieil  usage  germanique;  mais  ces 
formes  ne  sont  plus  en  quelque  sorte  qu'un  decor,  et  le  drame 
veritable  se  passe  dans  la  coulisse. 

La  Caroline ,  que  nous  prenons  comme  type  de  ces  lois  con- 
generes,  expose  encore  longuement  les  regies  de  la  proce- 
dure accusatoire  (3) ;  on  y  trouve  I'emprisonnement  de  I'acou- 
sateur  et  de  I'accuse  selon  les  vieux  principes,  les  cautions, 
les  promesses  de  preuve  de  la  part  de  I'accusateur.  An  con- 
traire  la  poursuite  d'office  n'occupe  que  peu  d'articles;  mais 
.dans  ces  textes  qui  s'adressent  aux  praticiens,  c'est  elle  qu'on 
place  la  premiere  dans  I'ordre  des  articles  (4).  Elle  parait  bien 
d'ailleurs  avec  ses  caracteres  traditionnels ;  c'est  le  cas  oil  « je- 
mandt  eyner  ubelthat  durch  gemeinen  leumut  beriichtiget  oder 
andere  glaubwirdige  anzeygung  verdacht  und  argkwonig,  und 

(1)  Souvent  dans  les  citations  on  I'indique  ainsi :  C.  C.  C.  La  Bambergensis ,  la 
Brandehurgensis ,  la  Caroline  avec  ses  divers  projets  pr^paratoiresj,  se  trouvent 
r^unies  dans  I'Edition  suivante  :  Die  peinliche  Gerichtsordnung  Kaiser  Karl's\F, 
nebst  der-Bamberger  und-Brandenb%rger  Halsgerichtsordnung,  Iierausgegeben  von 
Heinrich  Zuepfl ,  zweite  Auflage,  1876. 

(2)  M.  Stintzing  dit  de  la  Caroline  :  «  C'est  a  la  fois  un  Code  et  un  manuel,  a 
peu  pr§s  comme  les  Institutes  de  Justinien.  »  Op.  cit,  p.  629. 

(3)  Carol.,  art.  11,  ssq.;  Bamb.,  art.  17,  ssq. 

(4)  Carol,,  art.  6-10  :  «  Annemen  der  angegeben  ubelthetter  von  der  oberkeyt 
und  ampts  wegen.  »—  Bamb.,  art.  10-16. 


,    A  l'etranger.  307 

derhalb  durch  die  oberkeyt  von  ampts  halben  angenommen 
wurde  (1).  » 

Qu'il  s'agisse  d'accusation  ou  d'inquisition  les  temoins  sont 
entendus  par  des  commissaires  dans  la  forme  bien  connue  de 
I'enquete,  at  les  temoignages  recus  par  ecrit  (2).  La  preuve 
complete  ne  pent  resulter  que  de  I'aveu  ou  de  la  deposition 
«  de  deux  ou  trois  temoins  bons  et  croyables  (3).  »  Si  Ton  n'a 
point  cette  preuve  il  faut  recourir  a  la  torture ,  et  Ton  s'est  etudie 
k  exposer  dans  le  detail  quels  indices  suffisent  pour  faire  donner 
la  question  (4).  II  semble  d'ailleurs  qu'on  ne  puisse  se  passer 
de  I'aveu  obtenu  par  la  torture.  Ainsi  Ton  emploiera  les  tourments 
alors  memo  qu'il  s'agit  d'un  fait  manifeste,  d'un  voleur  pris 
en  flagrant  delit  saisi  encore  de  I'objet  vole ,  et  cela  «  afin  que 
pour  de  tels,  faits  publics  et  indeniables  le  jugement  final  et 
la  peine  puissent  etre  poursuivis  avec  le  moins  de  frais  pos- 
sibles (5).  »  D'apres  la  Bambergensis ,  art.  80,  alors  meme  qu'il 
y  avait  preuve  suffisante,  on  n'en  devait  pas  moins  torturer 
le  coupable  pour  lui  arracher  un  aveu  (6) ;  mais  la  Caroline 
ne  contient  plus  cette  disposition  monstrueuse  (art.  69). 

La  Caroline  pour  le  dernier  acte  du  drame  judiciaire ,  le  terme 
final  «  entlich  rechttag ,  »  a  conserve  les  formes  et  I'appareil 
traditionnels  (7).  «  Au  jour  fixe ,  dit  le  vieux  texte ,  lorsque  vient 
I'heure  du  jour  accoutumee,  on  pent  annoncer  I'audience  crimi- 
nelle,  comme  de  coutume,  a  son  de  cloches,  et  le  juge  et  les 

(1)  Carol.,  art.  6. 

(2)  Carol.,  art.  6. 

(3)  Carol.,  art.  70  a  87;  Bamberg.,  art.  81-90;  Carol.,  art.  65-68;  Bamberg., 
art.  77-79. 

(4)  Carol,  art.  19-45;  Bamb.,  art.  27-55. 

(5)  Carol.,  16  :  «  So  soil  jn  der  rlchter  mit  peinlicher  ernstUcher  frage  zu  be- 
kantnuss  der  warheyt  halten ,  damit  inn  solchen  unzweiffenlichen  misthatten ,  die 
entlich  urtheyl  und  straff  mit  dem  wenigsten  kosten,  als  gesein  kan,  gefurdet 
und  volntzogen  werde.  » 

(6)  « Item  so  der  beclagt  nach  gnugsam  beweysong  noch  nicht  bekennen  wolte 
sol  der  alssdann  vor  der  verurtheilung  mit  peynliclien  frage  weiter  angezogen 
werden ,  mit  anzeygung  das  er  der  missetat  uberwisen  sey,  ob  man  dadurch  sein 
bekentnuss  dester  ee  auch  erlangen  mocht ,  ob  er  aber  nicht  bekennen  wolt ,  des  er 
doch  (als  ob  stet)  gnngsam  bewisen  were ,  so  solt  er  nichts  dester  weniger  der 
beweysten  missetat  nach  verurteylt  werden.  » 

(7)  Carol.,  art.  78,  ssq.;  Bamb.,  art.  91,  ssq. 


308  LA.  PROCEDURE   CRIMINELLE 

jugeurs  doivent  se  rendre  au  lieu  de  justice ,  oii  doit  sieger  la 
justice  d'apres  la  bonne  coutume ,  et  le  juge  doit  dire  aux  ju- 
geurs de  s'asseoir,  et  lui-meme  doit  s'asseoir  ayant  dans  sa 
main  son  baton  ou  son  epee  nue ,  selon  I'usage  ancien  de  cha- 
que  lieu ,  et  rester  gravement  assis ,  jusqu'a  ce  que  tout  soil 
fini  (1).  »  La  le  juge  et  les  jugeurs  constatent,  en  prononcantde 
vieilles  formulas  que  tout  est  dans  I'ordre  (2).    L'accuse  est 
amene,  et  I'accusateur  present,  s'il  y  en  a  un;  on  donne  aux 
parties  des  avant-parliers  (3) ,  Fiirsprecher.  II  y  en  a  toujours  un 
pour  la  demande  et  un  pour  la  defense;  alors  mema  que  la 
poursuite  a  lieu  d'office  un  avant-parlier  vient  prononcer  la 
formule  de  la  demande  au  nom  du  souverain  {i).  Celui  de  l'ac- 
cuse  prononce   un   petit    discours    pour    demander  I'acquitte- 
ment  (S).  Cela  ressemble  bien  a  un  vrai  debat  oral.  Mais  cela 
n'est  que  pour  la  forme;  les  juges  ont  arrete  leur  sentence  avant 
le  jour  de  I'audience ,  et  le  jugement  est  ecrit.  «  Avant  le  terme 
final ,  le  juge  et  les  jugeurs  doivent  se  faire  lire  tout  ce  qui  a 
ete  ecrit  (c'est-a-dire  le  proces)...  et  qui  a  ete  apporte  devant 
eux.  Puis  le  juge  et  les  jugeurs  conferent  entre  eux  et  decident 
quelle  sentence  ils  veulent  rendre ;  s'ils  sont  perplexes ,  ils  doi- 
vent chercher  conseil  pres  des  jurisconsultes ,  comme  cela  est 
determine  par  cette  ordonnance,  et  ils  doivent  faire  mettre  par 
ecrit  la  sentence  arretee...   afin  qu'elle  soit  ouverte  au  terms 
final  (6).  »  En  effet,  au  moment  voulu,  le  juge  ouvre  le  pli  qui 
contient  le  jugement  et  en  donne  lecture  ii  haute  voix  (7). 

Toute  cette  procedure  etait  fort  dure;  cependant  on  trouve 
des  traces  d'un  esprit  moins  implacable  dans  ces  lois.  On  y 
trouve  cette  maxime  «  qu'il  vaut  mieux  acquitter  un  coupable 
que  de  condamner  a  mort  un  innocent  (8).  »  On  y  a  un  certaia 

(1)  Carol.,  art.  82 ;  Bamb.,  art.  95. 

(2)  Carol.,  84-85 ;  Bamb.,  97. 

(3)  Carol.,  art.  88 ,  ssq.;  Bamb.,  101 ,  ssq. 

(4)  Carol,  art.  89  :  «  Bitt  des  fursprechen  der  von  ampts  megen  oder  sunst 
klagt.  »  —  Bamb.,  art.  103. 

(5)  Carol.,  art.  90 ;  Bamb.,  105. 

(6)  Carol,  art.  81;  Bamft.,  94. 

(7)  Car.,  art.  94;  Bamb.,  110. 

(8)  Bamberg.,  art.  13  :  «  1st  besser  den  schuldigen  ledig  zulassen  dass  den  uns- 
chuldigen  zum  tode  zuuerdampnen.  » 


A  l'etranger.         '  309 

souci  de  la  defense.  Avant  I'application  a  la  torture,  le  juge 
doit  avoir  soin  de  demander  a  I'accuse  s'il  ne  peut  point  avan- 
cer  quelque  fait  justificatif,-un  alibi  par  exemple,  qui  demontre 
qu'il  est  innocent ;  et  Ton  observe  que  cet  avertissement  est  ne- 
cessaire  «  parce  que  beaucoup,  par  simplicite  ou  par  terreur, 
bien  qu'ils  soient  innocents,  ne  savent  point  proposer  les  moyens 
de  se  justifier  (1).  » 

Ce  n'etait  point  surlout  la  loi ,  mais  la  science  qui  devait  re- 
gulariser  la  procedure  criminelle  de  TAlleniagne.  Cependant 
d'abord  le  mouvement  scientifique  fut  peu  satisfaisant ;  les  au- 
teurs  puisaient  toutes  leurs  connaissances  dans  les  docteurs  Ita- 
liens,  dont  ils  presentaient  de  piles  copies.  lis  faisaient  peu  de 
cas  de  la  Caroline,  et  la  jurisprudence  devait  etre  alors  quelque 
chose  de  confus  et  d'incertain  (2).  En  1620  le  Landrecht  prussien 
emprunte  sa  procedure  criminelle  a  I'ouvrage  du  Flamand  Dam- 
houder,  dont  nous  parlerons  bientot  (3).  Mais  en  1635  parut  I'ou- 
vrage d'un  grand  jurisconsulte ,  dont  la  portee  fut  immense ;  c'est 
la  Practica  nova  imperialis  Saxonica  rerum  criminalium  de  Carp- 
zov.  L'auteur  a  utilise  le  droit  remain,  canonique,  saxon,  la 
Caroline;  il  est  arrive  a  construire  un  systeme  complet  et  lo- 
gique. 

Pour  Carpzov,  la  procedure  accusatoire  est  encore  la  procedure 
ordinaire  (4).  Mais  il  fait  la  plus  large  place  a  la  procedure  in- 
quisitoire  «  nullo  accusatore  existente.  »  II  est  vrai  qu'il  se  de- 
mande  longuement  si  cette  forme  peut  se  defendre  en  droit 
«  num  processus  inquisitorius  jure  defendi  queat  (5) ;  »  mais  ce 
n'est  la  qu'une  these  d'ecole,  et  non  une  difficulte  serieuse.  II 
veut  seulement  demontrer  que  la  procedure  inquisitoire  se  fonde 
sur.des  textes  du  droit  remain;  il  finit  par  reconnaitre  que  de 
son  temps  c'est  le  «  remedium  ordinarium.  »  Cependant  il  ne 


(1)  Carol.,  art.  47  :  «  Und  solcher  erinnerung  ist  darumb  not,  das  mancher  auss 
eynfalt  oder  sohrecken,  nit  furschlagen  weist,  ob  er  gleich  unschuldig  ist,  wie  er 
sich  des  entscliuldigen  und  aussfiiren  soil.  » 

(2)  Biener  :  BeitrSge,  p.  160-161;  cf.  Stintzing,  op.  cU.,  p'.  630,  ssq. 

(3)  Biener,  op.  cil.,  p.  164-165. 

(4)  QutBstio  103,  no  17. 

(5)  Qumslio  103,  n»»  23-50. 


310  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

I'admet  que  pour  les  crimes  graves.  11  reconnait  enfin  un  cumul 
et  un  melange  possible  des  deux  formes  (1). 

II  divise  I'inquisitio  en  deux  parties.  L'inquisitio  generalis ,  qui 
n'est  autre  chose  que  notre  information  :  «  Tantummodo  praepa- 
ratoria  ad  inveniendum  delictum  et  ■  investigandum  delinquen- 
tem ;  »  puis  la  specialis  qui  «  solennis  et  ordinaria  est  ad  puden- 
dum et  condemnandum  (2).  »  Les  regies  sur  la  reception  des 
temoignages  dans  I'information  etaient  a  peu  pres  les  memes  que 
dans  les  autres  pays.  L'inquisitio  specialis  debutait  par  la  com- 
parution  de  I'accuse  qu'on  interrogeait  sur  les  «  articuli  inquisi-  ' 
tionales,  »  arretes  a  I'avance,  piece  essentielle  de  la  procedure. 
Puis  venait  la  production  des  preuves ;  cependant  on  doutait  que 
les  tSmoins  dussent  toujours  etre  confrontes  avec  I'accuse  (3).  La 
theorie  des  preuves ,  la  torture  intervenaient  dans  les  conditions 
deja  connues. 

Mais  la  defense  etait  admise  par  Carpzov  avec  une  largeur  in- 
connue  en  France.  «  Cum  in  processu  inquisitorio  nee  interroga- 
toria  inquisiti  nee  reprobatio  admittatur,  utique  omnis  facultas 
probandi  reo  adempta  sit ,  remedium  defensionis  legitime  dedu- 
cendae  ac  probanda  ipsi  concedendum  erit.  Idque  tanto  minus 
inquisitio  est  denegandum  quanto  certius  est  defensionem  esse 
juris  naturalis ,  adeo  ut  ne  bestiis  quidem ,  nedum  homini  imo 
diabolo  auferri  debeat  (4).  »  —  «  II  faut,  dit-il  encore,  tenir  pour 
sur  et  indubitable  qu'il  a  le  droit  (de  se  defendre)  pendant  tout  le 
cours  du  proces  inquisitoire...,  soit  qu'il  offre  de  prouver  son 
innocence  avant  la  preuve  du  delit  et  la  deposition  des  temoins, 
soit  qu'il  I'offre  plus  tard  et  meme  apres  la  torture ,  il  doit  etre 
ecoute  (5).  »  Bien  que  dans  les  numeros  suivants  il  apporte 
qaelques  restrictions  a  ce  principe  si  large ,  nous  voila  bien  loin 
des  «  faits  justificatifs  »  de  I'Ordonnance  de  1670. 

Quant  aux  moyens  de  presenter  la  defense ,  la  doctrine  de 
Carpzovius  est  tres-large  egalement  :  «  Moribus  fori  saxonici 

(1)  Qucestio  107,  n»  37. 

(2)  Qu(Bstio  107,  no  14. 

(3)  Qucestio  114,  nos  75-76. 

(4)  Qucestio  lib,  n"  1. 

((5)  Qucestio  115,  no'  21-23. 


A  l'etranger.  311 

hactenus  triplex  modus  procedendi  obtinuit.  Aut  enim  1°  inqui- 
situs  causas  et  argumenta  innocentise  judici  significat,  eaque 
simul  articulis  inquisitionalibus  includit ,  ac  testes  super  iis  exa- 
minari  rogat;  2°  aut  peculiares  articulos  defensionales ,  quibus 
argumenta  innocentiee  continentur,  judici  exhibet,  testes  que 
producit  ac  eos  desuper  examinari  facit;  3°  vel  etiam  absque 
productione  testium  argumenta  defensionis  suae ,  quse  vel  in  jure 
forsan  consistunt ,  vel  jam  in  inquisitione  probata  fuerunt ,  pro 
informatione  judicis  in  scriptis  disputat ,  deductionem  innocentia 
conficit,  vulgo  ein  Defension-Schrift ,  eamque  judici  exhibet  (1).  » 
Carpzov  n'hesite  pas  a  admettre  que  I'accuse  peut  etre  assists 
d'unavocat,  et  il  repousse  tres-bien  I'objection  qii'on  tirait  du 
droit  remain ,  lequel  declare  qu'on  ne  peut  pas  faire  representer 
dans  un  proces  criminel  (2).  Ce  n'est  pas  cependant  qu'il  aime 
beaucoup  les  avocats  et  qu'il  les  admette  tous  indistinctement : 
«  Non  tamen  indifferenter  admittendi  sunt  advocati ,  sed  tantum- 
modo  honesti,  probi  et  docti  viri,  non  litium  criminalium  confu- 
sores,  nee  tabulae  loquentes  non  eloquentes...  quales  advocati 
ipsius  diaboli  sunt  mancipia  quae  lites  alunt  ut  sua  farciant  mar- 
supia,  et  litigaturientes  denudent...  idque  ut  assequantur  ma- 
jusque  pretium  lucrentur  in  deductione  innocentiae  farraginem 
allegatorum  hinc  inde  coUigunt  et  scripta  sua  in  infinitum  fere 
extendunt ,  quod  saepissime  baud  absque  taedio  et  insigni  molestia 
acta  inquisitionalia  legens  expertus  sum  (3).  »  Mais  ce  qui 
I'exaspere  le  plus  c'est  I'outrecuidance  des  avocats,  qui  osent 
faire  la  logon  au  juge.  «  Audent  scilicet  informare  judicem  alle- 
gationibus  suis  et  demonstrare  ex  Corpore  juris,  Glossa  aut, 
interpretibus  quid  delite  criminali  judicandum,  id  quod  venditant 
pro  magisterio ,  es  sey  ein  Meister-Stuck,  quod  tamen  aeque  ridi- 
culum  et  inconveniens  est  ac  si  aegrotus  medico  curam  praescri- 

(1)  Qumtio  115,  no  69. 

(2)  Ibid.,  n»9  88-90 :  «  Quseritur  num  ex  parte  inquisiti  ad  deduoendam  et  proban- 
dam  ejusdem  innocentiam  advooatus  intervenire  queat?  Quod  adfirmare  non 
dubito ,  et  si  enim  procurator  inquisiti  non  admittitur,  ut  qui  nee  domious  litis 
est  nee  in  eum  sententia  capitalis  ferri  potest,  aliter  tamen  res  se  habet  in  advo- 
cato  qui  litis  dominus  non  fit  sed  reum  in  judicio  praesentem  defendit  et  consilio 
sue  juvat.  » 

(3)  Ibid.,  n»8  93-95. 


312  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

here  vellet  (1).  »  Mais  il  est  plein  de  respect  pour  les  bons  avo- 
cats  :  «  Abstineant  ergo  probi  advocati  (quorum  officium  hones- 
tissimum  et  humane  generi  non  minus  proficuum  est  quami 
militia)  a  tali  stultitia  et  malitia  (2).  » 

Pour  que  la  defense  puisse  6tre  utile,  il  faut  que  I'accus^  con- 
naisse  les  charges.  Carpzov  reconnait  que  selon  le  droit  commun 
on  lui  en  donne  copie,  mais  d'apres  les  usages  de  Saxe  on  se 
contente  de  communiquer  les  acta  a  I'avocat.  «  Denique  quse- 
ritur  :  an  inquisito  innocentiam,  ac  defensionem  suam  probanti 
ac  deducenti  danda  sit  copia  indiciorum  aliorum  que  actorum 
inquisitionialium?  quod  de  jure  communi  difficultatem  et  du- 
bium  non  habet  secundum  Julium  Clarum,  I.  V.  Sentent.  §  ulUm. 
qusest.  i^,  n°  2...  et  quod  danda  sit  reo  copia  indiciorum  dicit 
esse  communem  opinionem  Ripa...  sed  in  foro  Electoratus  Saxo- 
niae  paulo  aliter  res  se  habet  :  facultas  enim  indicia ,  testium  atte- 
stata  alia  que  acta  inquisitionalia  in  judicio  inspiciendi  inquisito 
ejusque  advocato  conceditur,  ita  ut  liberum  sit  ipsis  indicia  alia 
que  quae  sibi  proflcua  fore  putant,  ex  actis  inquisitionalibus  de- 
cerpere  et  consignare. . .  Copia  vero  actorum  dari  non  solet  (3). » 

L'Allemagne  ne  connaissait  point  I'institution  du  ministere  pu- 
blic :  sans  doute,  dans  certaines  contrees,  on  trouve  des  fis- 
caux,  mais  lis  ne  sent  que  les  organes  de  la  procedure  accusa- 
toire  qui  «  suit  la  meme  marche  qu'on  se  trouve  en  face  d'un 
accusateur  prive  ou  d'un  fiscal.  Dans  la  Landesordnung  de  Ba- 
viere  de  1553  I'institution  d'un  accusateur  public  pour  les  crimes 
est  decretee.  Une  Ordonnance  criminelle  pour  Treves  de  I'an 
1726  regie  avec  beaucoup  de  precision  I'accusation  d'office  par 
un  procureur  fiscal  (4).  »  Mais  il  n'y  eut  jamais  la  une  institution 
nationale. 

Dans  les  Pays-Bas  le  mSme  mouvement  s'etait  produit  que 
dans  les  contrees  deja  visitees  par  nous.  Dans  ce  pays  d'echevi- 
nages  I'administration  de  la  justice  criminelle  resta  aux  mains  des 
officiers  municipaux,  mais  la  aussi  s'introduisirent  la  procedure 

(1)  QucesUo  115,  n»  96. 

(2)  Ibid.,  n"  97. 

(3)  Ibid.,  n<"  99,  101,  102. 

(4)  Biener  :  Beilrage,  p.  142-4. 


A  l'etranger.  313 

inquisitoire ,  secrete  et  ecrite ,  la  theorie  des  preuves  legales  et 
la  torture.  Au  xvi°  siecle ,  la  transformation  est  complete.  Sans 
doute,  les  Ordonnances  des  5  et  9  juillet  1570,  imposees  par 
le  due  d'Albe ,  parurent  iniques  et  «  causerent  presque  a  elles 
seules  une  revolution  (1).  a  Mais  cependant  elles  correspon- 
daient  assez  bien  a  la  pratique  generalement  admise ,  et  si  elles 
furent  suspendues  par  la  pacification  de  Gand  (art.  5),  de  fait, 
on  continua  a  observer  un  certain  nombre  de  leurs  disposi- 
tions (2).  Du  reste,  I'un  de  leurs  redacteurs,  le  Brugeois  Jo- 
doce  Damhouder  avait  publie  une  Praxis  rerum  criminalium , 
que  I'edition  donnee  en  1601,  apres  la  mort  de  I'auteur,  qualifie 
«  opus  absolutissimum,  »  et  que  nous  pouvons  considerer  comme 
le  fidele  miroir  de  la  pratique  flamande. 

Damhouder  met  encore  au  premier  rang  I'accusation  (3) ,  mais 
11  fait  une  large  place  a  Vinquisitio  «  quam  vulgo  informationem 
praecedentem  appellamus.  »  II  I'admet  dans  tons  les  cas  graves  : 
«  ad  hoc  requiritur  ut  crimen  sit  magnum ,  inquisitione  dignum ; 
non  enim  inquirendum  est  nisi  de  majoribus  criminibus,  puta 
Isesae  majestatis ,  homicidii,  sodomiae,  simonise,  adulterii,  per- 
jurii,  incestus,  raptHs,  furti  et  hujusmodi  (4).  »  Sous  le  nom 
dHnquisitio  il  ne  comprend  du  reste  que  V information ,  laquelle 
devait  avoir  lieu  d'office ,  ou  a  la  suite  d'une  denonciation ,  ou  a 
I'instigation  du  fisc.  Puis  viennent  les  autres  parties  du  proces , 
sauf  le  recolement  et  la  confrontation  qui  manquent  (5),  c'est-a- 
dire  I'interrogatoire ,  la  visite  du  proces  et  le  jugement.  La 
theorie  des  preuves  legales  et  la  question  jouaient  leur  r61e 
accoutume.  Damhouder  est  memo  un  des  auteurs  qui  ont  fourni 
les  plus  amples  details  sur  la  torture ,  cependant  il  a  formule , 
quant  a  son  emploi  comme  moyen  de  preuve ,  une  maxime  dont 

(1)  Voy.  AUard  :  Bisloyre  de  la  procedure  criminelle  au  xvi'  slide,  §  236. 

(2)  Ibid.,  p.  425. 

(3)  Ch»p.  V,  edit.  1601. 

(4)  Chap.  VIII,  no  6. 

(5)  Chap,  vui,  no  19  :  «In  inquisitionibus  per  judicem  aut  flscum  aut  quempiam 
ex  ipsorum  mandato  peragendis,  nee  ante  nee  post  litiscontestationem  vocanda 
fuerit  pars  ad  videndam  informationis  deductionem  vel  ad  audienda  testium  jura- 
menta.  » 


314  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

il  faut  lui  tenir  compte  :  «  Nunquam  maleficus  traditur  quaes- 
tioni  cum  pars  formalis  et  adversa  offert  criminis  manifestam 
probationem  aut  quum  res  percipi  potest  per  probationem  ordina- 
riam  (1).  »  D'autre  part  il  admet  certains  droits  de  la  defense 
meconnus  en  France.  C'est  d'abord  I'assistance  des  conseils. 
«  In  quovis  crimine  tarn  capitali  quam  alio  concessum  est  reo  per 
se  et  item  per  causidicos ,  advocatos  et  procuratores  in  judicio 
respondere  et  proponere  quaslibet  suas  exceptiones  dilatorias, 
declinatorias ,  et  peremptorias ,  sive  rectius  elusorias ,  perinde 
atque  in  civilibus  negotiis  :  verum  in  principali  rerum  cardine 
plane  oportet  reum  ipsum  respondere,  proprio  ore  fateri  aut 
diffiteri  (2).  »  Quant  a  la  copie  des  pieces ,  Damhouder  admet  en 
principe  qu'il  faut  la  donner  a  I'accuse ,  surtout  quand  il  s'agit 
d'une  poursuite  intentee  sur  la  plainte  d'un  particulier  :  «  judex 
et  fiscus  obligantur  dare  parti  inquisitionis  copiam  priusquam 
partem  ream  cogere  possint  ad  respondendum,  potissimum  si 
fuisset  facta  inquisitio  ex  auctoritate  voto  et  mandato  ad  instan- 
tiam  partis ,  teste  Angelo  summi  judicii  viro  (3).  »  Mais  lorsque 
la  poursuite  a  ete  intentee  d'office  par  le  juge  il  etablit  que  les 
usages  sont  plutdt  en  sens  contraire.  «  Sin  autem  facta  fuerit  ex 
mero  judicis  officio  absque  alicujus  requisitione ,  non  debet  reo 
dejure  tradi  informationis  copia.  In  praxi  autem  seu  Concilio 
Flandrise  Procurator  generalis  nunquam  dat  parti  inquisitionis 
seu  informationis  prsecedentis  copiam;  licet  id  fieri  videamus 
in  multis  aliis  Flandrise  curiis  ubi  obligantur  accusato  aut  denun- 
ciato  etiam  dare  testium  nomina  ac  cognomina  nee  non  totius 
inquisitionis  seu  informationis  copiam ,  si  quando  id  postu- 
let  (4).  » 

Dans  les  Provinces-Unies  au  xvii°  siecle  les  memos  prineipes 
dominaient.  Nous  en  avons  pour  temoin  un  criminaliste  illustre, 
Antonius  Matheeus,  professeur  a  Utrecht,  qui  dans  son  livre 

(1)  Chap,  xixv,  n°  1. 

(2)  Chap.  XXXII,  n»s  1,  2. 

(3)  Chap,  vni,  n»  19. 

(4)  Chap.  VIII,  nos  21-23.  On  apu  voir,  par  nos  diverses  citations,  que  Damhou- 
der  connatt  rinstitution  du  ministfere  public  et  la  voit  fonctionner  en  Flandre.  Elle 
6tait  venue  de  France.  Voy.  Biener  :  Beitrage,  p.  211,  212. 


A  l'etranger.  315 

de  Criminibus,  apres  avoir  etudie  les  livres  xlvii  et  xlviii  du 
Digeste,  commente  les  statuts  de  sa  ville.  11  constate  la  com- 
plete disparition  du  systeme  accusatoire  :  «  Accusatoris  in  jure 
municipali  civitatis  hujus  mentio  vix  nulla;  sermo  omnis  ad  prae- 
torem  dirigitur ;  cur  id  fiat  non  est  obscurum ,  fere  enim  desie- 
runt  accusare  privati,  solusque  Fisci  procurator  ac  praetor  eo 
munere  funguntur.  Accedit  quod  Gallorum  et  reliquorum  Belga- 
rum  moribus  privatis  quidem  licet  deferre,  nunciare  crimina, 
actione  civili  damnum  pecuniarium  persequi,  non  tamen  accu- 
sare (1).  »  II  traite  tres-clairement  de  I'information  et  du  decret 
qui  la  suit ,  puis  de  I'interrogatoire ;  il  repousse  le  serment  exige 
del'accuse  :  «  Cur  enim  deferatur  jusjurandum  pejeraturo?  aut 
cur  speremus  eum  qui ,  spreto  Numine ,  caedibus ,  adulteriis ,  sa- 
crilegio  se  contaminavit ,  idem  Numen  reveriturum  injecta  juris- 
jurandi  religione  (2)?  »  Enfln,  il  admet  I'intervention  d'un  de- 
fenseur  :  «  post  interrogationem  et  responsionem  rei,  quoniam 
non  solum  de  facto  sed  et  de  jure  quaeri  solet,  advocatus  denegari 
non  debet  (3).  »  Mais  il  declare  que  I'information  ne  sera  pas 
communiquee  a  I'accuse  :  «  vero  informatio  reo  non  editur.  » 


IV. 

En  France ,  et  hors  de  France  dans  tous  les  pays  qui  entourent 
le  n6tre,  s'6tait  developpe  le  meme  systeme  de  procedure  cri- 
minelle  :  inquisition ,  preuves  legales  ,  torture  et  secret  des  pro- 
cedures, tels  en  etaient  les  traits  principaux.  En  face  de  nous 
pourtant,  mais  «  outre  mer,  »  vivait  un  peuple  qui  avait  su  se 
preserver  de  cette  terrible  contagion.  L'Angleterre  avait  conserve 
en  matiere  criminelle  toutes  les  garanties  que  possedaient  au- 
trefois les  autres  nations  d'Europe,  le  systeme  accusatoire,  la 
publicite  des  procedures ,  I'oralite  des  debats ;  de  plus ,  elle  avait 
developpe  cette  institution  du  jury  a  qui  appartenait  I'avenir,  et 
qui  etait  appelee  a  conquerir  I'Europe  et  I'Amerique ,  a  faire  le 

(1)  De  criminibm,  Mil.  1715  (p.  627-8). 

(2)  Ibid.,  p.  632. 

(3)  Ibid.,  p.  633. 


316  LA   PROCEDURE   CRIMINELLE 

tour  du  monde.  La  France  devait  etre  la  premiere  nation  conquise 
en  Europe  :  lorsque  FOrdonnance  de  1670  tombera ,  c'est  a  I'Aii- 
gleterre  que  nous  irons  demander  un  code  pour  la  remplacer.  II 
est  done  naturel  que  nous  examinions  rapidement  la  procedure 
criminelle  anglaise ;  c'est  un  anneau  de  la  chaine  dont  nous  rele- 
vons  successivement  tons  les  chainons. 

Comment  I'Angleterre  avait-elle  resiste  au  mouvement  qui  en- 
trainait  le  rests  de  I'Europe?  Sa  legislation  et  celle  des  autres 
nations  occidentals  ne  sont-elles  pas  le  produit  des  memes  ele- , 
ments,  combines,  il  est  vrai,  dans  des  proportions  diverses? 
,Mieux  que  les  autres  pays  I'Angleterre  avait  ecarte  a  rinfluence 
du  droit  remain  et  du  droit  canonique;  elle  s'etait  attachee  aux 
vieux  usages  avec  cette  opinisLtrete  qui  caracterise  son  peuple, 
et  pour  les  accommoder  aux  besoins  modernes,  elle  avait  heureu- 
sement  developpe  quelques  institutions ,  dont  les  rudiments  se 
trouvaient  dans  le  vieux  fond  commun  aiix  peuples  de  meme  race 
et  de  meme  origine.  Sans  doute  elle  avait  eu  a  lutter  centre  les 
memes  influences  qu'ailleurs  on  avait  subies  :  elle  avait  connu 
pendant  longtemps  la  Chambre  titoiUe,  ou  les  offlciers  de  la  cou- 
ronne  venaient  porter  des  accusations  sur  de  simples  «  informa- 
tions, »  franchissant  ainsi  le  double  rempart  des  liberies  an- 
glaises,  le  jury  d'accusation  et  le  jury  de  jugement  (1).  II  parait 
meme  certain  qu'a  une  epoque  nefaste ,  sous  Henri  VIII ,  la  tor- 
ture fut  employee  contre  les  accuses,  les  complices  et  les  te- 
moins  (2) ;  parfois  la  royaute  employa  les  moyens  d'intimidation 
les  plus  violents  pour  pervertir  le  jugement  des  jures.  Mais  ce 
furent  des  obstacles  bientot  tournes  ou  enleves.  Au  moment 
meme  ou  les  commissaires  de  Louis  XIV  redigeaient  TOrdon- 
nance ,  un  proces  c61ebre ,  celui  de  W^illiam  Penn  et  de  Mead , 


(1)  Blakstone  :  Commentaries  on  the  laius  of  England,  Book  IV,  ch.  23,  n»  3. 

(2)  Voy.  Mittermaier  :  Traiti  de  la  ProMwre  criminelle  en  Angleterre  (trad. 
Chauffard),  p.  10,  11,  et  les  autorit^s  qu'il  cite.  —  Blakstone,  liv.  IV,  ch.  25, 
n»  1  :  «  Jadis  quand  les  dues  d'Exeter  et  de  Suffolk  et  autres  ministres  d'Henri  VI 
avaient  formfi  le  dessein  d'introduire  le  droit  civil  dans  ce  royaume  comme  rfegle 
de  gouvernement ,  tout  d'abord  lis  firent  dresser  un  chevalet  pour  la  torture ,  le- 
quel  fut  appeW  par  derision  la  fille  du  due  d'Exeter,  et  existe  encore  a  la  Tour 
de  Londres,;  et  Ik,  plus  d'une  fois ,  on  I'employa  sous  le  rfegne  d'Elisabeth  comme 
machine  d'Etat,  non  comme  instrument  de  la  loi  (as  an  engine  of  state  not  of  law). » 


A  l'btranger.  317 

attestait  la  forme  de  'resistance  du  jury  (1).  L'act6  d'habeas 
corpus  allait  etre  rendu ,  et,  si  de  criminelles  entreprises  devaient 
amener  la  revolution  de  1688,  on  a  pudire  cependant  que  «  d'a- 
pres  la  loi  telle  qu'elle  existait  alors...  le  peuple  jouissait  de 
toute  la  liberie  qui  est  compatible  avec  I'etat  de  societe,  et  il 
avait  entre  ses  mains  un  pouvoir  suffisant  pour  defendre  cette 
liberie  contre  les  entreprises  de  la  royaute  (2).  »  Quelle  etait 
alors  la  procedure  criminelle? 

I.  —  Le  droit  anglais  avait  conserve  le  principe  accusatoire ;  il 
le  connaissait  m^me  sous  deux  formes,  dont  la  premiere  etait,  k 
peu  de  chose  pres,  la  reproduction  exacte  de  la  vieille  accusation 
feodale;  eUe  en  porte  d'ailleurs  le  nom  :  appeal,  I'appel. 

Vappeal  est  I'accusation  qu'un  particulier  elevait  contre  un  autre 
dans  un  interet  prive  :  «  accusation  by  a  private  subject  against 
another,  this  method  of  prosecution  is  still  in  force  (3).  »  II  n'e- 
tait  possible  qu'a  la  victime  meme  du  delit  dans  les  crimes  de 
larcin ,  rapt ,  incendie  et  mayhem  (4) ;  en  cas  de  meurtre ,  il  etait 
ouvert  a  I'heritier  et  a  la  veuve.  La  poursuite  avait  lieu  directe- 
ment  devant  la  cour  de  justice,  sans  intervention  prealable  du 
jury  d'accusation  (5).  La  meme  procedure  pouvait  avoir  lieu  dans 
le  cas  d'un  «  approvement ,  »  c'est-a-dire  d'une  revelation  faite 
en  Cour  par  un  complice  (6). 

L'accuse  ou  appellee  pouvait ,  pour  sa  justification ,  provoquer 
I'accusateur  au  duel  judiciaire  :   «  The  trial  by  battle  may  be 


(1)  Mitterinaier,  op.  cit.,  p.  15,  ssq. 

(2)  Blakstone,  livre  IV,  ch.  33,  n"  5.  II  ajoute  en  note  :  «  Le  point  precis  auquel 
je  m'arr^terais  pour  determiner  cette  perfection  thSorique  de  notre  droit  public 
est  I'annee  1679,  apres  que  I'acte  A'habeas  corpus  eut  6te  promulgu6  et  que  celui 
pour  I'imposition  {licensing)  de  la  presse  eut  6t&  retire ,  bien  que  les  ann^es  sul- 
vantes  aient  6t6  en  fait  une  Spoque  de  grande  oppression.  » 

(3)  Blakstone,  edit.  Oxford,  1778,  t.  IV,  p.  312. 

(4)  Mayhem,  c'est  la  mutilation ,  le  vieux  «  mihaing  »  de  nos  coutnmiers. 

(5)  Cette  observation  que  fait  Blakstone,  nous  Sloigne  des  origines;  lejury  d'ac- 
cusation ne  fut  crS6 ,  nous  aliens  le  dire ,  que  pour  supplier  k  I'appel.  —  Sur  les 
actions  criminelles  dans  la  procedure  anglo-normande,  voy.  Melville  Madison  Bi- 
gelow  :  History  of  procedure  in  England  from  the  Norman  conquest.  The  Norman 
Period.  London ,  1880 ,  sp^cialement  p.  248,  ssq. ;  277,  ssq. ;  346,  ssq.  La  ressem- 
blance  est  complete  avec  les  sources  frangaises  de  la  periods  feodale. 

(6)  Blakstone,  1.  IV,  ch.  25,  no  2.  —  Bigelow,  op.  cit.,  p.  328 ,  330. 


318  LA  PROCEDURE   CRIMINELLE 

demanded  at  the  election  of  the  appellee  in  either  an  appeal  or 
an  approvement  (1).  »  Mais  il  pouvait  aussi  en  appeler  au  juge- 
ment  du  pays,  c'est-a-dire  au  jury  (2).  Si  I'accusateur  etait  une 
femme,  un  enfant,  un  pretre,  un  aveugle,  il  pouvait  meme 
forcer  I'accuse  a  prendre  cette  derniere  voie  «  to  put  himself  on 
the  country  (3).  »  En  cas  de  conviction,  I'application  de  la  peine 
normale  etait  faite  par  le  juge  (i).  ^ 

II.  —  La  seconde  forme  d'accusation  reposait  sur  le  principe 
de  I'accusation  publique,  ouverte  a  tons;  elle  s'etait  constituee 
peu  a  peu,  et  devait  forcement  passer  devant  le  double  jury  d'ac- 
cusation et  de  jugement.  Nous  en  decrirons  rapidement  les  di- 
verses  phases,  car  c'etait  elle  qui  devait  nous  servir  plus  tard 
de  modele. 

Elle  debutait  par  une  sorte  d'instruction  preparatoire  tres- 
courte,  tout  a  fait  rudimentaire.  L'accusateur  commengait  par 
demander  centre  celui  qu'il  accusait  un  ordre  d'arrestation  ou 
un  mandat  de  citation ,  et  a  cet  effet  il  devait  generalement  s'a- 
dresser  au  magistrat  qui  etait  devenu  le  principal  officier  de  police 
judiciaire,  au  juge  de  paix  «  Justice  of  peace.  »  Celui-ci  examinait 
les  fails  allegues  par  le  poursuivant ,  auquel  il  pouvait  demander 
un  serment  affirmatoire ,  et  delivrait,  s'il  y  avait  lieu ,  le  warrant 


(1)  Blakstone,  1.  IV,  ch.  27,  n"  3..— Bigelow,  op.  cit.,  p.  296.  C'est  seulemeat 
en  1820  que  le  duel  judiciaire  fut  l^gislativement  aboli  en  Angleterre  :  «  L'ancien 
droit  i  la  preuve  par  bataille ,  aprfes  avoir  6t6  loi%temps  oublie ,  fut  invoqufe  avec 
succfes  en  I'ann^e  1819,  et  aboli  I'ann^e  suivante.  »  Bigelow,  p.  288. 

(2)  C'est  dans  cette  substitution  de  la  preuve  par  le  pays  k  la  preuve  par  «  ba- 
taille, »  qu'il  faut  ohercher  poiir  partie  I'origine  du  jury  de  jugement.  Voy.  Blener : 
Beitrage,  p.  281 ,  ssq.  —  Brunner  :  Entstekung  der  Schivurgerichte ,  p.  469,  ssq. 
—  Max  Biidinger:  Vorleswngeniiber  Englische  Verfasswmgsgeschichte.  Wien.  1880, 
p.  147,  ssq.  Mais  cela  ne  fut  pas  admis  sans  difficult*.  Voy.  Bigelow,  op.  cit., 
p.  295  :  «  In  issues  of  right  the  court  was  bound  in  ordinary  case  to  order  the 
duel ,  unless  the  defendant  had  put  himself  upon  the  grand  assise ,  when  the  court 
was  bound  to  allow  that  mode  of  trial.  »  —  P.  296  :  « Indeed ,  as  a  rule ,  ih  all 
cases  of  appeals  the  court  was  bound ,  if  asked ,  to  award  the  duel. »  —  Le  jury 
de  jugement  fut  introduit  d'abord  dans  les  cas  oi  il  y  avait,  non  pas  appeal,  mais 
presentment. 

(3)  Blakstone,  1.  IV,  ch.  27,  no  3. 

(4)  Ibid.  :  «  If  the  appellee  is  found  guilty  he  shall  suffer  the  same  judgement 
as  if  he  had  been  convicted ;  »  dans  ce  cas  mfime ,  le  roi  ne  pouvait  pas  faife 


A  l'etranger.  319 

ou  ordre  d'arrestation  (1).  L'officier  charge  de  ramener  le  war- 
rant a  execution  ,  devait  conduire  la  personne  arrStee  devant  le 
juge  de  paix,  lequel  faisait  dors  une  sorte  d'instruction.  «  Pour 
cela,  d'apres  le  statut  2  et  3  de  Philippe  et  Marie,  il  doit  rediger 
par  6crit  I'interrogatoire  (examination)  du  prisonnier  et  les  de- 
positions de  ceux  qui  le  poursuivent ;  M.  Lambard  observe  que 
ce  fut  la  premiere  fois  que  I'autorisation  fut  donnee  d'interroger 
un  criminal ,  car  selon  le  common  law  :  Nemo  tenebatur  prodere 
seipsum  (2).  »  Ce  sera  le  seul  interrogatoire  que  subira  I'accuse 
dans  tout  le  cours  de  la  procedure ;  et  meme ,  depuis  I'epoque  a 
laquelle  nous  nous  placona ,  la  coutume  anglaise  dans  sa  sollici- 
tude  a  decide  que  le  juge  de  paix  doit  formellement  avertir  I'ac- 
cuse qu'il  n'est  pas  oblige  de  repondre ,  et  qu'on  pourra  plus  tard 
se  servir  contre  lui  de  ce  qu'il  va  dire.  —  Cette  premiere  par  tie 
de  la  procedure  pouvait  etre  secrete. 

Le  juge  de  paix  prend  alors  une  decision.  N'y  a-t-il  aucune 
charge  serieuse ,  il  met  le  prisonnier  en  liberie  et  le  decharge  de 
la  poursuite ;  dans  le  cas  contraire ,  il  doit  s'assurer  de  sa  per- 
sonne et  le  mettre  en  etat  de  detention  preventive,  c'est  le 
«  commitment.  »  Mais  la  coutume  et  la  loi  decidaient  que  si 
I'accuse  fournissait  une  caution  suffisante ,  il  devait  6tre  laisse  en 
liberie  provisoire  {bail).  Cependant  encore  a  I'epoque  de  Blak- 
stone ,  si  la  liberte  sous  caution  etait  de  droit  pour  les  crimes 
inferieurs ,  elle  n'etait  pas  possible  quand  il  s'agissait  d'un  crime 
capital  (3).  Certaines  classes  de  personnes  suspectes,  determi- 
nees  d'avance,  etaient  declarees  not  bailables.  La  liberte  indi- 
viduelle  etait  protegee  par  les  lois ,  qui  punissaient  le  magistral 
lorsque  sans  droit  il  refusait  la  caution  ou  exagerait  frauduleu- 
sement  le  montant  de  I'engagement  ,  et  par  I'acte  d'Habeas 
corpus ,  qui  permettait  de  porter  les  reclamations  contre  I'em- 

(1)  Blakstone,  1.  IV,  ch.  21,  n"  1 :  «  The  justice  of  peace  is  fitting  to  ezamine 
upon  oath  the  party  requiring  a  warrant ,  as  well  to  ascertain  that  there  is  a  fe- 
lony or  other  crime ,  without  wich  no  warrant  should  be  granted.  »  P.  290. 

(2)/6id.,  p.  296. 

(3)  Md.,  1.  IV,  ch.  22,  n"  1  :  «  Commitment  being  only  for  safe  custody,  where 
a  bail  will  answer  the  same  intention  it  ought  to  be  t^ken ,  as  in  most  of  the  infe- 
rior crimes,  but  in  felonies  and  other  offences  of  a  capital  nature  no  bail  can  be 
a  security  equivalent  to  the  actual  custody  of  person.  »  P.  296. 


320  LA.  PROCEDURE   CRIMINELLE 

prisonnement  illegal  devant  toutes  les  cours  des  grands  juges 
d'Angleterre. 

A  cette  phase  du  proces,  il  fallait,  avant  d'aller  plus  loin, 
demander  au  «  grand  jury,  »  de  prononcer  la  mise  en  accusation. 
Ge  grand  jury  etait  compose  de  «  freeholders  »  que  le  sMrijf  de- 
vait  rassembler,  pour  statuer  sur  les  accusations,  a  chaque  session 
d'assises  tenue  par  les  grands  juges  dans  chaque  comte.  Le  grand 
jury  comprend  douze  personnes  au  moins  et  vingt-trois  au  plus 
et  rend  ses  decisions  a  la  majorite  de  douze  voix. 

II  avait  ete  prealablement  dresse  un  acte  d'accusation  «  indict- 
ment, »  piece  capitale  dans,  la  procedure  anglaise  et  dont  la 
redaction  formaliste  presentait  d'assez  grandes  difficultes.  Les 
indictments  etaient  presentes  au  nom  du  roi  par  les  officiers  de  la 
couronne,  mais  a  la  requete  des  particuliers  (1).  Outre  les  ren- 
seignements  contenus  dans  I'acte  d'accusation,  les  jures  enten- 
daient  des  temoins ,  mais  seulement  «  du  cote  de  la  poursuite ;  » 
ensuite  ils  decidaient  souverainement  si  les  charges  etaient  suffi- 
santes  et  s'il  y  avait  lieu  ou  non  a  I'accusation  ;  dans  un  cas,  ils 
inscrivaient  au  dos  de  I'indictment  «  billa  vera  ou  a  true  hill,  » 
dans  I'autre  :  «  ignoramus  ou  not  found.  » 

Quelle  est  I'origine.de  cette  procedure  devant  le  grand  jury? 
On  I'a  souvent  cherchee  fort  loin.  Les  uns  I'ont  trouvee  dans  le 
principe  de  la  responsabilite  des  centaines  ou  hundreds  pour 
les  crimes  commis  sur  leur  territoire ,  laquelle  existait,  chez  les 
Anglo-Saxons ,  comme  dans  la  plupart  des  fitats  fondes  par  les 
populations  germaniques ,  et  il  est  possible  que  cet  usage  y  ait 
ete  pour  quelque  chose  (2).  Mais  il  est  probable  que  cette  insti- 
tution derive  de  ces  denonciations  imposees  sous  la  foi  du  ser- 
ment,  que  nous  avons  trouvees  dans  les  synodes  de  I'Eglise  et 
dans  les  reunions  judiciaires  de  I'empire  carolingien.  L'figUse 
en  avait  maintenu  I'usage,  et  la  tradition  s'en  etait  conservee 
aussi  dans  maintes  juridictions  seculieres ;  qu'on  se  rappelle  les 
franches  virit6s  du  pays  flamand.  Les  Normands  apporterent  avec 

(1)  «  Indictments  are  preferred  to  them  in  the  name  of  the  King  but  at  the  sunit 
of  any  private  prosecutor.  »  Blakstone,  IV,  p.  303. 

(2)  Voy.  Biener  :  Beitrage,  p.  207,  209. 


A  l'etrangee.  321 

eux  cette  vieille  coutume  (1),  dont  on  peut  retrouver  d'autre  part 
des  traces  dans  les  lois  des  Anglo-Saxons  (2).  On  congoit  qu'on 
ait  developpe  avec  amour  une  institution  qui  permettait  de  faire 
echec  a  I'etroitesse  du  vieux  systeme  accusatoire,  dans  lequel 
I'appel  n'etait  ouvert  qu'aux  interesses.  Par  bien  des  traits  le 
jury  d'accusation  rappelle  cette  origine. 

II  y  eut  d'ailleurs  au  debut  plusieurs  formes  de  «  grand 
jury,  »  si  Ton  peut  s'exprimer  ainsi.  «  L'assise  de  Clarendon  en 
1166,  confirmee  dix  ans  plus  tard  par  celle  de  Northampton, 
decida  que  dans  chaque  comte  et  chaque  centaine ,  il  serait  en- 
quis  sous  la  foi  du  serment  de  douze  hommes  legaux  de  la  cen- 
taine et  de  quatre  hommes  de  chaque  manoir,  si  personne  n'etait 
accuse  d'etre  un  larron,  un  meurtrier,  un  voleur,  ou  un  rece- 
leur  (3) .  »  L'enquSte  etait  conduite  devant  les  justiciarii  itine- 
rantes  ou  devant  le  sheriff.  Les  accus6s  devaient  se  disculper 
devant  les  justiciers  (4.).  D'autre  part,  «  lorsque  quelqu'un  etait 
charge  d'un  crime  enorme,  comme  d'un  complot  ayant  pour 
but  une  sedition  ou  la  mort  du  roi ,  et  qu'il  etait  accuse  par  la 
voix  publique ,  et  non  par  un  appelant  (appellor) ,  il  etait  em- 
prisonne  ou  mis  en  liberte  sous  caution.  Puis  la  verite  etait  re- 
cherchee  devant  les  justiciers  par  des  inquisitions  et  des  ques- 
tions posees  sans  doute  aux  hommes  duvoisinage,  la  cour  prenant 
en  consideration  les  indications  raisonnables  et  les  suggestions 
pour  ou  contre  I'accuse.  Cela  avait  pour  but,  il  semble,  de  deter- 
miner s'il  existait  une  presomption  suffisante  contre  le  prevenu 
pour  permettre  a  la  cour  de  le  contraindre  a  subir  les  ordalies , 
auxquelles ,  lorsqu'il  n'y  avait  point  d'appelant ,  devait  recourir 
la  partie  suffisamment  accusee ,  si  elle  contestait  I'accusation. 
Le  resultat  des  enquetes  ainsi  faites  par  les  juges ,  lorsqu'elles 
soutenaient  I'accusation ,  correspondait  a  la  declaration  des  douze 
hommes  legaux  ou  chevaliers  d'apres  les  assises  de  Clarendon 

(1)  Brunner  :  Entstehung  der  Schwurgerichte ,  p.  465-466. 

(2)  Max  Budinger,  op.  cit.,  p.  ISO,  151. 

(3)  Bigelow,  op.  cit.,  p.  99;  cf.  ibid.,  p.  288,  293,  297,  323. 

(4)  Ibid.,  p.  100  :  «  Aud  then  the  accused  were  thus  to  make  their  law 
(the  ordeal)  «  before  the  justiciars.  » 

21 


322  LA.  PROCEDURE   CRIMINELLE 

et  de  Northampton,  si  meme  les  enquetes  n'etaient  pas  poursui- 
vies  sur  la  presentation  d'un  de  ces  corps  (1).  » 

On  a  pu  voir,  par  quelques-uns  des  passages  que  nous  venons 
de  citer,  que  le  resultat  de  ces  presentations  ou  de  ces  enquetes , 
etait  de  forcer  I'accuse ,  s'il  ne  voulait  pas  avouer,  a  se  soumettre 
aux  ordalies  (2).  C'etait  bien  la  mSme  procedure  que  nous  avons 
trouvee  dans  les  judicia  synodalia  de  I'epoque  carolingienne(3). 
D'autre  part,  les  jures  ont  toujours  pu  dans  la  suite  prononcer 
spontanement  sur  I'accusation ,  a  raison  d'un  crime  dont  eux- 
mlmes  avaient  connaissance ,  c'est  ce  qui  s'appelait  un  ((pre- 
sentment (4).  D'ailleurs,  M.  Brunner  fait  remarquer  ((  que  le 
jury  d'accusation  posterieur  ne  pent  point  etre  ramene  aux  for- 
mes du  jury  de  denonciation  {Rugejury)  pris  dans  la  centaine 
et  qui  parut  d'abord ;  il  derive  de  la  Grande  EnquSte  qui  parait 
au  xiv°  siecle ;  c'etait  un  jury  de  24,  puis  de  23  jures  qui  operaient 
devant  les  justiciarii  itinerantes  et  etaient  choisis  dans  tout  le 
comte  (5).  » 

A  I'origine ,  il  n'y  avait  point  i'accusateur  soumettant  sa  pour- 
suite  au  jury  d'accusation ;  ce  dernier  ayant  pour  fonction  de 
suppleer  au  contraire  au  manque  d'accusateurs.  Mais  les  deux 
systemes  se  fondirent  en  un  seul.  ((  La  transition  d'une  forme 
a  I'autre  s'opera  des  I'epoque  du  Moyen-Age ,  les  parties  prefe- 
rerent,  au  lieu  d'in tenter  un  appel,  apporter  une  denonciation 
au  jury  d'accusation,  afin  d'obtenir  de  cette  fagon  une  mise  en 
accusation  (6)...  Cette  procedure  refoula  peu  a  peu  Taction  for- 
malists, V appel...  D'autre  part,  la  denonciation  spontanee  par  le 

(1)  Bigelow,  op.  cit.,  p.  278.  On  peut  remarquer  que  cette  procedure  ressemble 
par  certains  o6t6s  a  la  prise  par  soupQon  de  nos  coutumiers. 

(2)  Bigelow,  op.  cit.,  p.  323  :  «  In  case  of  presentments,  where  compurgation 
had  probably  been  the  common  mode  of  trial ,  the  assises  of  Clarendon  and  Nor- 
thampton had  provided  for  trial  by  ordeal.  See  also  Glanvill.,  lib.  14,  c.  1,  §  2.  » 

(3)  Biener :  Beitrage,  p.  276-278. 

(4)  (( A  presentment  is  the  notice  taken  by  a  grand  jury  of  any  offence  from  their 
own  knowledge  or  observation  without  any  bill  laid  before  them  at  the  suit  of 
the  king.  »  Blakstone  ,  IV,  p.  301. 

(5)  Entstehimg  den  Schwurgerichte,  p.  468. 

(6)  On  peut  remarquer  que  tous  les  indictments  sont  pr^sentSs  au  jury  non  pas 
au  nom  des  accusateura  priv6s ,  mais  au  nom  du  roi ,  d'o4  I'expression  a'pleas 
of  the  crown.  » 


A  l'etranger.  323 

jury  d'accusation  est  devenue  tres-rare  sans  avoir  ete  suppri- 
mee  (i).  »  L'accusation ,  sous  cette  forme  nouvelle,  ayant  ete  a 
Torigine  une  denonciation ,  on  con^oit  qu'elle  put  etre  ouveyte 
a  tous ,  et  devint  publique  (2). 

La  mise  en  accusation  etant  prononcee ,  il  fallait  proceder  au 
jugement.  II  y  avait  lieu  non  pas  aux  ordalies ,  comme  aux  an- 
ciens  jours,  mais  a  I'intervention  du  jury  de  jugement  ou  petit 
jury.  Ges  jugements  se  faisaient  aux  assises,  qui,  a  I'epoque 
alaquelle  nous  nous  reportons,  etaient  deja  de  deux  sortes.  Les 
unes  dites  sessions  «  d'oyer  et  terminer  aud  general  gaol  deli- 
very, »  etaient  tenues  deux  fois  par  an  dans  chaque  comte  par  les 
grands  juges  des  Cours  de  Westminster  (3).  Leur  nom  venait  de 
ce  que  les  juges  devaient  terminer  toutes  les  afifaires  et  vider 
les  prisons  de  tous  les  individus  detenus  preventivement.  Les 
autres  assises  ou  quarter  sessions  etaient  temies  par  les  juges  de 
paix  du  comte  reunis  tous  les  trimestres  en  assemblee ,  mais  on 
n'y  jugeait  que  les  delits  peu  graves.  Les  jures  «  boni  et  legates 
homines  de  vicineto,  »  etaient  convoques  par  le  sheriff  au  nom- 
bre  de  48 ;  e'etait  parmi  eux  qu'on  prenait  les  12  jugeurs. 

D'oii  vient  cette  institution  du  jury  de  jugement?  Ici  les  hy- 
potheses produites  ont  ete  plus  nombreuses  encore  que  pour  le 
jury  d'accusation ,  et  sur  ce  point  beaucoup  de  savants  livres  ont 
ete  composes.  On  a  songe  tour  a  tour  aux  assemblees  judiciaires 
des  Anglo-Saxons,  aux  cojurantes  des  coutumes  germaniques, 
aux  jugeurs  des  cours  feodales  (4).  Mais  recemment,  comme 
nous  avons  eu  I'occasion  de  le  dire ,  on  a  montre  que  le  jury  du 
jugement  derivait  de  cette  enqu&te  du  pays ,  dont  nous  avons 
longuement  parle,  et  qui  s'etait  particulierement  developpee  dans 
la  coutume  normande.  Seulement  en  Angleterre  on  semble  n'y 

(l)Brunner,  op.  cit.,  p.  468. 

(2)  Les  inconv^nients  du  systfeme  accusatoire  ont  6te  combattus  aussi  par  d'au- 
tres  moyens.  En  cas  de  mort  violente,  le  coroner  intervient  d'office,  et  provoque 
la  poursuite ;  le  droit  d'arrestation  sans  warrant  appartient  trfes-largement  aux 
constables;  enfin  le  soUicitor  general  pent  directement  intenter  des  poursuites  au 
nom  de  la  couronne. 

(3)  Sur  ces  tournies  des  grands  juges  et  leur  origine,  voy.  Max  Bildinger,  op. 
cit.,  p.  153,  ssq.  Bigelow,  op.  cit.,  ch.  m. 

(4)  Voy.  Brunner,  op.  cit.,  p.  1-33. 


324  LA.   PROCEDURE    CRIMINELLE 

avoir  eu  recours  que  lorsque  les  ordalies  tomberent  en  discredit. 
«  Ellas  recurent  un  coup  fatal  du  decret  bien  connu  du  concile  de 
Latran,  de  Fan  1215,  qui  ordonnait  que  les  ordalies  ne  seraient 
plus  employees  dans  la  chretiente...  On  doit  remarquer  que  I'or- 
dalie  tenait  la  place  d'un  jugement  par  le  petit  jury  dans  les 
temps  modernes...  Par  les  assises  de  Clarendon  at  de  Northam- 
pton ,  et  par  I'ancienne  loi  d'Angleterre ,  les  personnas  accusees , 
contre  lesquelles  une  presomption  de  culpabilite  avait  ete  elevee 
par  un  presentment  ou  par  I'accusation  de  la  clameur  publique , 
avaiant  droit  constitutionnellemant  a  una  nouvelle  epreuve..- 
Mais  quand  a  la  fin  las  ordalies  furent  considerees  comma  abo- 
lies ,  (il  n'y  eut  aucune  autorite  legislative  connue  qui  las  abolit 
en  Angleterre),  les  juges  furent  fort  perplexes  de  savoir  ce  qu'il 
fallait  faire  du  prisonnier.  II  avait  la  droit  constitutionnel  d'etre 
soumis  a  I'ordalie ,  pouvait-il  etre  force  de  se  soumettre  a  un 
autre  mode  da  preuve?...  II  semble  qu'occasionnellament,  avant 
le  concile  de  Latran  de  1215,  on  a  constate  la  pratique  de  sou- 
mettre la  presentment  a  un  autre  jury,  dans  la  forme  generalament 
suivie  dans  les  temps  modernes.  Cela  avait  lieu  probablement  a 
la  requete  du  prisonnier,  peut-etre  par  href  du  roi  [Under  the 
King's  writ)...  he  meme  mode  de  preuve  se  presaiitait  naturelle- 
ment  a  I'esprit  des  juges,  apres  la  disparition  des  ordalies  (1).  » 
Catta  hypothese  de  M.  Brunner  sur  Forigine  du  jury  da  juge- 
ment, accuaillia  avec  une  faveur  da  plus  en  plus  grande  (2),  nous 
parait  completament  etablie.  Ella  va  trouver  encore  sa  demons- 

(1)  Bigelow,  op.  cit.,  p.  323-324.  On  peut  remarquer  que,  d'aprfes  un  passage 
du  Grand  Coutumier  de  Normandie,  cit6plus  haul,  p.  47,  I'asage  frequent  de  I'en- 
qu^te  est  egalement  attribue  a  la  disparition  des  ordalies  :  «  Jadis  se  expur- 
geoient...  les  hommes  par  eaue  ou  par  ignise  quand  la  justice  ou  femmes  les  suy- 
virent  de  causes  criminelles.  Et  pour  ce  que  sainte  Eglise  a  ost6  ces  choses,  nous 
usons  souvent  de  I'enqueste.  » 

{2)  Voy.  M.  Max  Budiuger,  op.  cit.,  p.  148,  ssq.  Voy.  aussi  M.  Bigelow,  op.  cit., 
lequel,  aprfes  avoir  d^crit  les  enquiles  si  curieuses  qu'ou  trouve  dans  les  sources 
islandaises,  continue  en  ces  termes,  p.  334  :  «  Quelque  ressemblance  qu'on  puisse 
decouvrir  entre  les  modes  de  preuves  norsques  et  le  jury  anglais  moderne;  il  est 
parfaitement  clalr  que  ,  ni  le  tolftarkvidr,  ni  le  buakvidr,  ni  aucun  des  modes  in- 
fSrieurs  de  preuve  de  la  m^me  nature  (il  semble  y  en  avoir  eu  deux  ou  trois),  n'a 
port6  son  fruit  dans  le  jury  moderne.  Cette  institution  est  purement  anglo-nor- 
mande ,  descendant  en  ligne  directe  de  la  procedure  d'inquisition  introduite  de 
Normandie  par  Guillaume  le  Conqufirant.  » 


A  l'etranger.  325 

tration  dans  la  procedure  de  V arraignment,  a  laquelle  nous  amene 
la  suite  de  notre  exposition.  La  mise  en  accusation ,  decidee  par 
le  grand  jury,  ne  suffisait  pas  pour  que  I'accuse  dut  et  put  etre 
juge  par  le  jury  du  jugement ,  il  fallait  encore  qu'il  eM  nie  en 
cour  sa  culpabilite  et  qu'il  acceptat  le  jugement  par  jures  (1).  A 
cet  effet ,  le  prisonnier  etait  amene  en  audience  publique ,  c'est 
Varraignment. 

On  commencait  par  lire  a  I'accuse  I'acte  d' accusation  «  en  langue 
anglaise  »  et  ensuite  le  juge  lui  demandait  s'il  etait  coupable  ou 
non  coupable  « guilty  or  not  guilty.  »  S'il  confessait,  I'intervention 
du  jury  etait  inutile,  il  n'y  avait  qu'a  appliquer  la  peine.  On 
reconnait  la  cette  force  de  I'aveu  que  nous  a  montree  la  procedure 
feodale;  c'est  la  force  qu'il  conserve  naturellement  dans  toute 
procedure  oii  aucun  effort  n'est  fait  pour  I'obtenir.  Si  I'accuse 
plaidait  non  coupable,  il  fallait  de  plus  qu'il  acceptat  ou  du 
moins  qu'il  ne  refusat  pas  de  se  soumettre  au  jugement  du  pays. 
S'il  refusait  absolument  de  repondre,  ou  si  ayant  plaide  non 
coupable  il  refusait  de  se  mettre  «  on  the  country,  »  lamarche 
du  proces  etait  entravee,  le  jugement  ne  pouvait  intervenir  (2). 
C'est  la  un  trait  bien  frappant,  que  nous  avons  deja  trouve  dans 
I'ancienne  procedure  de  VenquSte  du  pays;  la  aussi  il  fallait  que 
I'accuse  acceptat  I'enquete ,  et  ce  rapprochement  nous  semble  tres 
fort  pour  demontrer  la  commune  origine  de  ces  deux  institutions, 
dont  le  sort  fut  si  different.  Mais  de  meme  que ,  selon  nos  Cou- 
tumiers ,  on  cherchait  a  imposer  a  la  partie  poursuivie  I'accepta- 
tion  de  I'enqufite,  les  Anglais  avaient  imagine  un  moyen  de 
contrainte,  qui  s'appelait  la  peine  forte  et  dure.  Le  statut  de  West- 
minster, 1-3  Edouard  I",  ch.  12,  decide  que  ceux  qui  ne  voudront 
pas  se  mettre  en  enquSte  {upon  inquests)  devant  les  juges,  sur  la 
poursuite  du  roi,  seront  mis  en  la  prison  forte  et  dure  (3).  A 

(1)  C'est  ce  qui  s'appelle  «  put  himself  on  tJie  country,  u 

(2)  A  I'origine,  semb'.e-t-il,  et  cela  est  conforme  aux  vieilles  traditions ,  on 
consid^rait  comme  avouant  celui  qui  ne  rdpondait  rien;  mais  on  ne  pouvait 
donner  la  mtoe  decision  lorsqu'il  y  avait  un  refus  positif. 

(3)  Cela  consista  bient6t  en  une  chose  horrible.  Le  prisonnier  itait  mis  dans  un 
cachet,  nu  et  6tendu  sur  le  dos;  on  pla^ait  sur  lui  un  poids  de  fer  aussi  lourd 
qu'il  pouvait  le  supporter ,  et  on  ne  lui  donnait  pour  subsistance  qu'un  morceau 
de  pain  le  premier  jour ,  le  second  jour  trois  gorgees  d'eau  dormante ,  la  plus 


326  LA   PROCEDURE    CRIMINELLE 

I'origine ,  cette  procedure  ne  devait  s'appliquer  qu'a  ceux  qui 
niaient  et  refusaient  I'enquete ,  non  a  ceux  qui  restaient  muets 
et  qui  etaient  tonus  pour  coupables ;  mais  plus  tard ,  sauf  dans 
las  cas  de  haute  trahison ,  le  mutisme  absolu  ne  put  donner  lieu 
qu'a  I'application  de  la  peine  forte  et  dure.  Au  xviii'  siecle, 
tel  etait  encore  I'etat  de  la  legislation  et  ce  n'est  que  sous 
Georges  III  que,  dans  tous  les  cas,  le  muet  volontaire  fut  assi- 
mile  a  celui  qui  avoue  (1). 

On  concoit  que  generalement  I'accuse  acceptait  le  jugement 
par  le  jury;  alors  on  procedait  au  debat,  trial  (2).  Le  jury  de 
jugement  etait  forme.  Les  noms  des  jures  etaient  tires  au  sort 
et  I'accuse  avait  le  droit  de  recusation;  il  pouvait  toujours  re- 
cuser  en  alleguant  un  motif  «  for  cause,  »  mais  il  pouvait  aussi 
exercer  trente-cinq  recusations  peremptoires.  Les  douze  jures 
ainsi  obtenus  pretaient  serment  et  le  debat  commencait.  Rien  de 
plus  simple  que  ce  debat ,  qui  ne  comporte  aucun  interrogatoire 
de  I'accuse.  On  lisait  I'acte  d'accusation ,  puis  I'avocat  de  la  par- 
tie  poursuivante,  que  ce  fut  le  roi  ou  un  particulier  qui  pour- 
suivit,  produisait  ses  preuves,  faisait  entendre  ses  temoins;  le 
debat  etait  essentiellement  oral  (3). 

proche  de  la  prison ,  et  ainsi  de  suite  en  alternant ,  jusqu'a  ce  qu'il  mourflt  ou 
r^pondtt.  Avant  de  prononcer  cette  sentence,  il  6tait  fait  une  triple  admonestation, 
trina  admonitio,  qui  rappelle  celle  que  nous  avons  trouvfee  chez  nous  dans  les  pro- 
ems fails  aux  muets  volontaires.  —  Voy.  Blakstone,  IV,  p.  327,  ssq. 

(1)  M.  Bigelow  explique  un  pen  diffSremment  rintroduction  de  la  peine  forte 
et  dure.  Apr^s  avoir  dit  quel  6tait  I'embarras  des  juges  lors  de  la  disparition  des 
ordalies,  quand  un  presentment  ameuait  devant  eux  un  accuse,  il  ajoute,  p.  324, 
32S  :  «  La  r^ponse  k  ces  questions  explique  I'introduction  de  la  procedure  connue 
comme  peine  forte  et  dure,  laquelle  probablement  date  du  xm»  si6cle...  Evi- 
demment  I'accus^  ne  pouvait  Stre  forc6 ,  si  ce  n'est  par  un  pouvoir  arbitraire , 
de  se  soumettre  k  un  jury  de  jugement :  il  n'y  avait  point  de  loi  qui  I'exigeM. 
Le  mfeme  mode  de  preuve  se  prfisentait  naturellement  a  I'esprit  des  juges ,  apres 
la  disparition  des  ordalies ;  mais  comment  imposer  le  jugement  par  le  jury ,  alors 
que  le  prisonnier  avait  le  droit  de  choisir?  La  r^ponse  6tait  qu'il  devait  toe 
soumis  aux  privations  et  aux  souffrances,  s'il  refusait,  jusqu'a  ce  qu'il  consentlt 
a  se  soumettre  au  verdict  d'un  jury  de  jugement.  » 

(2)  II  pouvait  y  avoir  un  inter valle  entre  V arraignment  et  le  trial,  mais  le  plus 
souvent  ils  se  suivaient  immidiatement. 

(3)  «  When  the  jury  is  sworn...  the  indictment  is  usually  opened,  and  evidence 
marshalled  examined  and  enforced  by  the  counsel  of  the  crown  or  prosecution. » 
Blakst.,  1.  IV,  ch.  xxvii  p.  355. 


327 

Chose  curieuse  dans  cette  legislation  oii  Ton  respectait  I'accuse 
au  point  de  ne  pas  lui  faire  subir  un  interrogatoire ,  deux  traits 
rappelaient  cependant  la  procedure  suivie  sur  le  continent  : 
1°  aucun  conseil  ne  pouvait  Mre  accorde  a  I'accus^  s'il  s'agissait 
d'un  crime  capital,  et  la  jurisprudence  anglaise  justifiait  cette 
regie  comme  I'Ordonnance  de  1670 ,  en  disant  que  le  juge  est  le 
conseil  du  prisonnier,  "  the  judge  shall  be  the  counsel  for  the 
prisoner  (1) ;  »  2°  il  etait  admis ,  comme  pratique  commune 
cf  derivee  du  droit  civil  et  observee  encore  aujourd'hui  dans  le 
royaume  de  France,  »  dit  Blakstone,  que  I'accuse  ne  pouvait 
point  produire  de  temoins  pour  se  disculper  :  «  he  cannot  excul- 
pate himself  by  the  testimony  of  any  witnesses  (2).  »  Cependant 
I'usage  s'introduisit  lentement  d'entendre  les  temoins  de  la  part 
du  prisonnier,  mais  non  sous  la  foi  du  serment  :  «  not  upon 
oath  (3).  »  Ce  ne  fut  que  sous  Guillaume  III  et  sous  la  reine  Anne 
que  disparut  cette  derniere  restriction. 

Chose  remarquable  encore ,  la  procedure  anglaise  connaissait 
une  theorie  des  preuves  legales.  Sans  doute,  c'est  seulement 
dans  certaines  accusations ,  celles  de  haute  trahison ,  que  les  lois 
exigeaient  deux  temoignages  concordants  pour  prononcer  la  con- 
damnation,  mais  dans  tous  les  cas  des  regies  arretees  par  la 
jurisprudence  sur  la  valeur  des  differentes  preuves  s'etaient  in- 
troduites  et  subsistent  encore.  II  est  vrai  qu'on  ne  pent  expliquer 
leur  empire  que  par  la  grande  influence  que  le  juge  anglais 
exerce  sur  les  jures. 

Les  debats  etant  termines,  les  jures  devaient  rendre  leur 
verdict.  Ayant  regu  les  instructions  du  juge,  ils  se  retiraient 
pour  deliberer  et  voter  si  le  cas  presentait  quelque  difficulte. 
L'unanimite ,  dans  un  sens  comme  dans  I'autre ,  etait  necessaire 
pour  que  la  decision  fut  valable.  C'est  Id  une  regie  curieuse, 
qui,  du  reste,  parait  n'avoir  pas  ete  toujours  admise  en  Angle- 


(1)  Blakstone ,  1.  IV,  ch.  xxvii;  il  ajoute,  il  est  vrai,  que  cette  disposition 
«  n'est  pas  du  tout  en  harmonie  avec  la  fagon  humaine,  dont  sur  les  autres  points 
la  loi  anglaise  traite  les  accuses.  » 

(2)  Blakstone ,  IV,  359. 

(3)  Ibid.,  3S9,  360. 


328  LA   PROCEDTJEE    CRIMINELLE   A   l'ETRANGER. 

terre  (1) ;  on  sait  d'ailleurs  quels  moyens  de  contrainte  indirecte 
la  loi  anglaise  permet  d'employer.  Le  verdict  etant  prononce , 
le  juge  n'avait  plus  qu'a  y  conformer  la  sentence ,  suivant  la 
division  etablie  entre  la  question  de  culpabilite  at  celle  de  la 
peine ,  entre  le  fait  et  le  droit. 

La  sentence  ainsi  rendue  n'etait  en  principe  susceptible  d'aucun 
recours;  le  jury  n'est  pas  compatible  avec  le  systeme  de  I'appel. 
Sauf  le  cas  ot  la  decision  avait  ete  rendue  par  un  jury  incompe- 
tent ,  un  jury  «  non  legal ,  »  comme  dira  plus  tard  notre  loi ,  11 
n'y  avait  de  ressource  que  dans  la  proposition  d'erreur  {writ  af 
error).  Elle  etait  intentee  centre  les  decisions  des  juridictions 
inferieures  devant  la  cour  du  Banc  du  Roi,  et  contre  les  decisions 
de  cette  demiere  devant  la  Ghambre  des  Lords  (2).  Mais  elle  n'e- 
tait possible  qu'au  cas  d'une  erreur  de  droit,  s'il  y  avait  eu  par 
exemple  fausse  application  de  la  peine  ou  omission  d'une  forma- 
lite  essentielle.  En  dehors  de  ces  cas,  le  condamne  ne  pouvait 
que  demander  sa  grace  au  roi. 

Enfin,  la  loi  anglaise  connaissait  une  procedure  par  contumace 
assez  curieuse ,  qui  aboutissait  a  la  confiscation  des  biens  et  a 
la  mise  hors  la  loi  de  I'accuse  {outlawry),  continuant  ainsi  les 
traditions  de  I'epoque  feodale. 

Telle  est  dans  ses  grandes  lignes,  et  en  laissant  de  c6t6  un 
grand  nombre  de  details  parfois  tres-interessants  (par  ex.  le  bene- 
fit of  clergy),  la  marche  de  cette  procedure  anglaise ,  qui ,  ei  cote 
de  graves  imperfections ,  presentait  la  forme  de  proces  criminel 
la  plus  raisonnable  que  les  hommes  eussent  encore  connue ;  aussi 
la  philosophie  du  xvin°  siecle  la  considerera-t-elle  comme  la  per- 
fection meme.  Elle  avait  cependant  ses  parties  faibles ,  c'etaient 
surtout  la  poursuite  et  I'instruction  preparatoire;  et  pour  avoir 
voulu  I'imiter  meme  sur  ces  points ,  nous  verrons  la  legislation 
frangaise  s'egarer  dans  ses  premieres  reformes ,  et  osciller  long- 
temps  avant  de  trouver  son  equilibre. 

(1)  Voy.  Brunner,  op.  cit,  p.  363,  371;  cf.  Blakstone ,  1.  Ill,  ch.  23. 

(2)  Blakstone ,  1.  IV,  ch.  30. 


TITRE  DEUXIEME. 

L'ORDONNANCE  DE  1670  APPLIQUEE. 

CHAPITRE  PREMIER. 

Influence  de  I'Ordonnance  de  1670  sur  I'administration 
de  la  Justice. 


I.  La  procedure  r6gularis6e  et  pr^cisfie  par  I'Ordonnance.  —  II.  Comment  I'Or- 
donnance 6tait-elle  observfie.  —  III.  Vices  persistants  dans  I'administration  de 
la  justice;  la  question  d'argent;  la  procedure  ecrite.  —  IV.  Le  credit  et  I'argent 
faisant  cfider  les  dispositions  rigoureuses  de  TOrdonnance.  —  V.  L'Ordonnance 
et  ses  commentateurs. 


L'Ordonnance  de  1670  etait  venue  non  pas  innover  mais  re- 
former. Les  principes  qu'elle  consacre  existaient  avant  elle,  et 
les  rigueurs ,  qu'elle  enregistre,  nouvelles  en  apparence ,  se  trou- 
vaient  deja  dans  la  pratique  pour  la  plupart.  Cependant  son 
influence  fut  tres-grande.  L'apparition  d'un  Code  dans  un  pays 
a  toujours  une  extreme  importance.  Cast  le  droit  uniformise 
et  immobilise  en  mSme  temps.  La  diversite  des  jurisprudences, 
si  elle  ne  disparait  pas ,  ne  pent  plus  porter  que  sur  des  details ; 
la  transformation  des  institutions  par  un  progres  insensible  est 
impossible  desormais;  seule  I'interpretation  scientifique  a  prise 
sur  ces  lignes  arretees ,  et  pent  parfois  developper  la  loi.  L'Or- 
donnance de  1670  est  un  code  veritable;  elle  est  precise  dans 
les  details,  precise  aussi  dans  les  termes  qu'elle  emploie,  et 
qu'un  long  usage  a  eprouves.  EUe  pouvait  prendre  solidement 
racine ;  I'avenir  lui  reservait  une  vie  de  cent  vingt  annees. 


330  l'ordonnance  de  1670 


Au  moment  oii  Louis  XIV  faisait  rediger  TOrdonnance ,  I'ad- 
ministration  de  la  justice  etait  incertaine.  Les  jurisprudences 
diverses  poussaient  drues  et  vigoureuses  comme  de  mauvaises 
herbes.  Les  abus  etaient  partout  :  inobservation  des  formes, 
qui  constituaient  alors  la  seule  garantie  des  accuses;  influence 
desastreuse  des  offlciers  et  agents  subalternes  sur  lesquels  les 
juges  se  dechargeaient  d'une  partie  de  leur  tiche;  cherte  de 
la  justice,  gratifications  anormales  s'ajoutant  aux  frais  avoues 
et  considerables ;  tout  cela  a  ete  constate  par  les  documents  au- 
thentiques  que  nous  avons  analyses. 

L'Ordonnance  de  1670  unifia  les  formes  de  la  procedure  cri- 
minelle.  Sans  doute ,  elle  respecta  quelques  usages  particuliers , 
specialement  ceux  du  Chatelet  de  Paris ,  dont  la  situation ,  au 
coeur  de  la  grande  ville ,  justifiait  d'ailleurs  certains  privileges ; 
mais  cela  fut  fort  rare  (1).  Si  des  divergences  purent  se  pro- 
duire  a  I'avenir,  ce  ne  fut  que  sur  les  points  non  prevus  par  I'Or- 
donnance,  qui,  il  est  vrai,  en  avait  parfois  passe  sous  silence 
d'assez  importants  :  souvenons-nous  qu'elle  etait  muette  sur  la 
facoD  de  donner  la  torture  et  sur  le  choix  des  rapporteurs  des 
proces  criminels.  On  pourrait  douter  de  Taction  regulatrice  de 
notre  loi ,  quand  on  voit  les  nombreux  reglements  des  diverses 
compagnies,  arrgtes  entre  les  officiers  ou  etablis  par  arret  de  Par- 
lement  (2) ;  mais  en  y  regardant  de  pres ,  on  verra  qu'ils  concer- 
nent  ou  des  questions  de  reglementation  interieure,  qu'aucun 
Code  ne  pent  prevoir,  ou  des  matieres ,  comme  celle  des  cas 
royaux,  oii  une  incertitude  voulue  dans  la  redaction  de  la  loi 
avait  necessairement  ouvert  la  porte  a  I'arbitraire. 

L'Ordonnance  defendait  absolument  de  confier  a  des  sergents , 
notaires  etgreffiers,  les  missions  si  importantes  (informations, 

(1)  Voy.  tit.  I,  art.  29 ;  tit.  ii,  art.  28;  tit.  iir,  art.  3;  tit.  xiv,  art.  14 ;  tit.  xxv, 
art.  9. 

(2)  Dans  le  Code  criminel  de  Serpillon,  ils  ne  tiennent  pas  moins  de  232  pages 
(de  la  p.  1229  a  la  p.  1463). 


APPLIQUEE.  331 

interrogatoires)  qu'on  leur  abandoanait  autrefois  (1).  Dans  les 
tribunaux  inferieurs  on  imposait  au  juge  des  assesseurs,  et  au 
moyen  de  rapports  adresses  au  procureur  du  roi,  on  les  sou- 
mettait  k  une  surveillance,  qpi'on  s'efforgait  de  rendre  effec- 
tive (2).  On  s'etait  applique  k  rendre  les  proces  moins  coMeux, 
en  supprimant  une  quantite  de  frais  inutiles  (3).  Dans  de  nom- 
breux  articles  I'Ordonnance  defendait,  sous  des  peines  severes, 
aux  divers  fonctionnaires  de  prendre  aucun  droit,  qui  n'etait 
pas  strictement  du;  elle  adressait  ces  defenses  non-seulement 
aux  geoliers  et  concierges  des  prisons  (4) ,  et  aux  grefflers ,  mais 
encore  aux  juges  (5). 

Des  economies  d'argent  etaient  encore  realisees  par  d'autres 
articles ,  qui  avaient  pour  but  direct  et  principal  de  hater  la  pro- 
cedure, en  la  degageant  des  ecritures  inutiles  dont  on  I'avait 
embarrassee  :  «  Abrogeons  les  appointements  a  ouir  droit,  pro- 
duire,  bailler  defense  par  attenuation,  causes  et  moyens  de 
nullite ,  reponses  pour  fournir  moyens  d'obreption  et  en  infor- 
mer, donner  conclusions  civiles  et  tons  autres  appointements; 
abrogeons  aussi  I'usage  de  fournir  des  conclusions  civiles,  aver- 
tissements,  inventaires,  contredits,  causes  et  moyens  de  nullite, 
d'appel,  griefs  et  reponses,  commandements  et  forclusions  de 
produire  ou  contredire  pris  a  I'audience  ou  au  greffe  (6).  »  On 
voit  par  la  longueur  de  cette  liste  quel  allegement  dut  se  pro- 
duire. «  Toutes  ces  anciennes  formes  de  proceder,  dit  Serpillon, 
consommaient  les  parties  en  frais  et  causaient  des  lenteurs  inde- 
finies ,  mais  cet  article  les  a  abrogees ,  afin  de  simplifier,  autant 
qu'il  a  ete  possible,  la  procedure  criminelle  (7).  »  II  faut  remar- 
quer  aussi ,  quant  a  I'acceleration  de  la  procedure ,  les  restrictions 
apportees  k  I'abus  qu'on  faisait  des  arrSts  de  defenses. 

L'Ordonnance  determinait  les  formalites  pour  les  divers  actes 

-   (1)  Tit.  m,  art.  2;  tit.  xiv,  art.  2. 

(2)  Tit.  X,  art.  20. 

(3)  Voy.  p.  ex.  tit.  vi,  art.  9,  18 ;  tit.  vii,  art.  7. 

(4)  Tit.  xu,  art.  19,  22,  29,  30,  33. 

(5)  Tit.  XIV,  art.  16. 

(6)  Tit.  XXIII. 

(7)  Code  crm.,  p.  977. 


332  l'ordonnance  de  1670 

avec  une  grande  precision ;  les  juges  avaieat  desormais  un  guide 
sur  et  methodique,  et  ils  ne  pouvaient  plus  invoquer,  pour 
justifier  leur  negligence,  la  force  des  usages  ou  le  silence  des 
lois.  Le  legislateur,  pourmieux  assurer  I'execution  de  ses  ordres, 
avait  eu  soin ,  dans  la  plupart  des  cas ,  d'exiger  que  le  proces- 
verbal  constatat  Taccomplissement  des  formalites.  G'est  la  garan- 
tie  a  laquelle  a  recours  toute  procedure  formaliste  et  ecrite ,  il 
est  vrai  qu'avec  le  secret  des  procedures  elle  perd  beaucoup  de 
son  efflcacite.  Parfois,  I'Ordonnance  edictait  des  peines  severes 
contre  les  juges  fautifs;  c'etait  generalement  I'interdiction  de 
leur  emploi ,  ou  encore  de  fortes  amendes  et  une  action  en  dom- 
mages  et  interets  ouverte  aux  parties  lesees.  Le  systeme  etait 
fort  severe ,  et  Lamoignon ,  defenseur  fidele  de  la  magistrature , 
protesta  vivement  contre  ces  dispositions,  comme  il  avait  deja 
proteste  lors  de  la  redaction  de  I'Ordonnance  de  1667  (1).  On 
s'etait  specialement  attache  a  faire  en  sorte  que  toutes  les  ecri- 
tures  fussent  regulieres  et  sinceres  :  la  defense  de  laisser  des 
interlignes  et  des  blancs ,  I'approbation  necessaire  des  ratures , 
la  signature  des  officiers  et  des  parties  sont  rappelees  a  chaque 
pas.  On  avait  compris  que  ce  n'etait  point  s'abaisser  a  des  de- 
tails insignifiants ,  mais  au  contraire  servir  un  interet  de  premier 
ordre  :  il  devra  en  ^tre  de  meme  dans  toute  procedure  ecrite. 
On  avait  voulu  meme  que  chaque  categorie  d'actes  fut  redigee 
sur  un  cahier  separ6  :  « I'Ordonnance  a  voulu  eviter  les  confu- 
sions, il  faut  un  cahier  d 'information ,  sur  lequel  tons  les  de- 
crets  et  l'ordonnance  d'instruction  doivent  6tre  ecrits,  aussi 
bien  que  les  conclusions  de  la  partie  civile  a  la  reserve  des  defi- 
nitives ;  il  faut  des  cahiers  separes  pour  chaque  interrogatoire , 
un  autre  pour  le  recolement  des  temoins,  un  autre  pour  le 
recolement  des  accuses ;  il  faut  aussi  autant  de  cahiers  de  con- 
frontation qu'il  y  a  d'accuses  (2).  » 

On  pent  affirmer  que  ces  diverses  dispositions  de  I'Ordon- 
nance etaient  bienfaisantes.  La  procedure  regularises,  acceleree, 
delivree  de  frais  tres-lourds,  fut  purgee  de  graves  abus.  Mais 


(1)  Prods-verbal  de  I'Ord.  civile,  p.  476  et  sqq. 

(2)  Serpillon  :  Code  crimmel,  p.  733. 


APPLIQUEE.  333 

d'autre  part,  cette  precision  de  la  loi  rendait  impossibles  cer- 
taines  toMrances  des  magistrals,  precieuses  pour  la  defense. 
Desormais  les  tribunaux ,  qui ,  sous  I'empire  de  rOrdonnance  de 
1539,  «  accordaient  des  conseils  dans  toutes  les  accusations,  » 
ou  «  dans  certains  cas ,  »  comme  le  constatait  Pussort ,  durent  se 
montrer  plus  rigoureux ;  une  loi  formelle  chassait  les  avocats  des 
cours  criminelles.  Dorenavant,  les  magistrats  ne  pouvaient  plus 
imiter  de  Thou ,  refusant  de  faire  prater  serment  ^  un  accuse 
«  parce  qu'il  savait  qu'aucune  Ordonnance  n'obligeait  les  juges 
de  I'exiger  des  accuses.  »  Quelle  que  fut  leur  conviction  intime, 
les  juges  devaient  a  I'avenir  condamner  comme  parjure  le  temoin 
qui  «  variait  dans  quelque  circonstance  essentielle  a  la  confron- 
tation. »  Mais  comme  de  son  propre  mouvement  la  jurisprudence 
tendait  a  ces  exlremites ,  il  faut  reconnaitre  qu'a  son,  apparition 
rOrdonnance  de  1670  fut  plutot  bienfaisante  que  rigoureuse.  Les 
abus  qu'eUe  supprimait  ne  se  fussent  point  corriges  d'eux- 
memes ,  les  rigueurs  qu'elle  consacrait  s'etaient  imposees  sans 
loi. 

II. 

Mais  en  realite  comment  I'Ordonnance  etait-elle  observee?  La 
reponse  est  assez  difficile.  Pour  determiner  exactement  I'in- 
fluence  qu'eut  le  nouveau  code  de  procedure  criminelle ,  il  fau- 
drait  avoir  pour  les  xvii°  et  xviii"  siecles  des  statistiques  precises 
de  la  justice  criminelle,  et  nous  n'en  avons  point.  Cependant  nous 
ne  sommes  pas  absolument  depourvus  de  documents.  La  Cor- 
respondance  administrative  sous  Louis  XIV  contient  toute  une  par- 
tie  consacree  a  la  justice.  D'autre  part,  les  criminalistes  du 
xviii^  siecle  font  parfois  des  observations  d'autant  plus  impor- 
tantes,  qu'en  general  ils  se  contentent  d'interpreter  les  textes. 
Enfin,  les  debats  qui  signalerent  un  certain  nombre  de  proces 
criminels,  a  la  veille  meme  de  la  Revolution  frangaise,  con- 
tiennent  des  critiques  ameres  et  de  graves  constatations.  Tout 
cela  nous  permettra  d'etablir  un  certain  nombre  de  faits  (1). 

(1)  On  consultera  aussi  avec  beauooup  de  fruit  les  Archives  de  la  Bastille, 


334  l'ordonnance  de  1670 

Voyons  d'abord  ce  qui  concerne  I'unite  et  la  regularite  des 
formes  de  la  procedure  criminelle.  Realiser  cette  unite  avait  ete 
Fun  des  buts  principaux ,  sinon  le  principal  des  redacteurs  de 
rOrdonnance.  Tout  d'abord  il  semble  qu'ils  aient  reussi.  Peu 
de  temps  apres  la  publication  de  la  loi  nouveUe ,  voici  ce 
que  disait  Duplessis ,  dans  un  memoire  adresse  a  Colbert ,  que 
nous  avons  deja  cite  :  «  II  est  difficile  de  trouver  des  nuUites 
dans  la  procedure ;  les  procedures  sont  fort  simples  en  matiere 
crimineUe,  il  n'y  a  que  rinformation ,  les  interrogatoires ,  les 
recolements  et  la  confrontation  qui  soient  de  I'essence ,  et  les  for- 
malites  sont  si  bien  marquees  par  I'Ordonnance  qu'il  n'est  pas 
facile  de  s'y  tromper  (1).  »  Mais  c'etait  la  en  realite  une  appre- 
ciation trop  favorable.  Rien  n'etait  si  complique  que  cette  pro- 
cedure ecrite ,  herissee  de  formalites ;  nous  aliens  saisir  sur  le 
vif  les  irregularites  qui  se  commettaient ,  et  bientot  I'existence 
des  jurisprudences  locales.  Le  17  juin  1687,  le  chancelier  de 
Pontchartrain  ecrit  au  Parlement  de  Rennes  :  «  J'ai  appris  qu'il 
s'est  introduit  plusieurs  abus  dans  votre  compagnie  et  dans  les 
sieges  de  votre  ressort,  auxquels  il  me  parait  necessaire  de  re- 
medier,  s'ils  sont  establis...  1°  On  pretend  que  tant  les  juges 
royaux  que  ceux  des  seigneurs,  qui  sont  dans  le  ressort  du  Par- 
lement, font  publier  des  monitoires  dans  tous  les  proces  crimi- 
nels ,  qui  sont  portes  devant  eux ,  quelque  preuve  qu'il  y  ait  du 
crime  soit  par  les  informations ,  soit  par  les  interrogatoires  des 
accusez ,  et  cela  dans  la  seule  crainte  que  le  Parlement  -ne  casse 
leurs  procedures  s'ils  y  avaient  manque ,  ce  qu'on  assure  estre 
arrive  fort  souvent.  Get  usage  est  tres-abusif  et  meme  tres-dange- 
reux...,  la  voie  des  monitoires  n'ayant  ete  introduite  parmi  nous 
dans  les  proces  extraordinaires  qu'au  defaut  de  toutes  autres 
voies ,  lorsque  la  verite  ne  pent  etre  connue  d'ailleurs ;  les 
accusez  pourroient  se  servir  de  ce  moyen  pour  faire  entendre 

documents  inMits  publUs  et  recueillis  ^slt  M.  Franfois  Ravaisson,  dont  une 
grande  partie ,  il  est  vrai,  se  rfeffere  h  une  6poque  ant^rieure  k  1670.  On  y  trouve 
c6te  k  c6te  des  procedures  riguliferes,  interrogatoires  et  proces  verbaux  de  torture, 
et  des  lettres  et  rapports  qui  montrent  dans  tout  son  jour  le  rfile  des  lettres  de 
cachet. 
(1)  Lettres,  etc.,  de  Colbert,  torn.  VI,  App.,  p.  422. 


APPLIQUEE.  335 

des  temoins  a  leur  decharge  et  sur  tels  faits  qu'ils  jugeroient  a 
propos...  30  On  pretend  que  vous  ne  faites  aucune  difflculte  a 
recevoir  un  accuse  a  s'inscrire  en  faux  centre  les  depositions 
des  temoins,  ce  qui  est  tres-abusif;  outre  que  cela  multiplie  les 
frais  et  esloigne  le  jugement  des  affaires  (1),  ce  seroit  admettre 
I'accuse  i,  ses  faits  justificatifs  avant  la  visite  du  proces,  ce  qui 
est  expressement  defendu  par  I'article  premier  du  titre  XXVIll 
de  rOrdonnance  de  1670  (2).  »  Le  meme  Pontchartrain ,  le  28 
septembre  1710,  adresse  de  vifs  reproches  aux  magistrals  de  la 
ville  et  chatellenie  de  Furnes ;  il  declare  «  qu'il  est  inouy  qu'on 
.ait  jamais  condamne  contradictoirement  un  accuse  sans  I'entendre 
auparavant,  comme  il  est  porte  expressement  par  les  articles  5 
et  15  du  litre  XXVI  de  I'Ordonnance  de  1670,  qui  veulent  que 
dans  ce  cas  I'accuse  soil  envoye  dans  les  cours  ou  ressortissent 
les  juges  qui  I'ont  juge  en  premiere  instance,  et  qu'il  y  soil 
interroge  sur  la  sellette  lors  du  jugement.  II  ne  sufflt  pas  que 
toute  la  procedure  faite  centre  luy  y  soil  apportee ,  parce  qu'on 
pense  apprendre  par  le  nouvel  interrogatoire  de  I'accuse  des 
circonstances  qui  peuvent  servir  a  I'absoudre  ou  a  le  condamner 
a  des  peines  plus  ou  moins  fortes  (3).  »  Parfois  les  tribunaux 
exageraient  encore  les  rigueurs  de  la  loi  :  le  6  aout  1679,  le 
chancelier  Le  Tellier,  ecrivant  a  d'Aguesseau ,  intendant  du  Lan- 
guedoc,  est  oblige  de  declarer  «  qu'il  n'y  a  pas  d'inconvenient 
qu'un  temoin,  apres  avoir  dit  dans  sa  deposition  qu'il  a  vu  I'ac- 
cuse dans  Taction  et  y  avoir  persiste  dans  son  recolement ,  puisse 
douter,  a  la  confrontation  qui  lui  est  faite  dudit  accuse ,  s'il  est  le 
mesme  dont  il  a  entendu  parler  (4).  » 

(1)  Cf.  Poullain  du  Pare  :  Principes,  torn.  XI,  chap.  14,  pp.  350,  ssq. 

(2)  Correspondance  adminisfrative  sous  Louis  XIV,  torn.  II,  pp.  450,  452. 

(3)  Corresp.  administrative,  torn.  II ,  p.  489 ;  cf.  pour  certains  usages  du  Parle- 
ment  de  Toulouse,  ibid.,  p.  484. 

(4)  Ibid.,  p.  215.  Cette  correspondance  contient  parfois  de  curieuses  interpre- 
tations des  usages.  Voici  ce  que  le  president  de  Lamoignon  6crit  au  procureur 
g^n^ral  de  Harlay  :  «  J'ai  toujours  oui-dire  que  le  Parlement  ne  donnoit  jamais 
les  motifs  de  ses  arrests  par  escrit;  cela  se  pratique  seulement  h  regard  des  Par- 
lements  de  province.  Entre  plusieurs  raisons  qu'on  pourroit  dire  de  cette  diffe- 
rence ,  il  y  en  a  une  essentielle  qui  est  recevable  en  tons  temps;  c'estjque  les 
procureurs  g^nfiraux  des  autres  Parlements  s'expriment  par  escrit  estant  61oi- 
gnes ;  mais  celuy  du  Parlement  de  Paris  est  auprfes  du  roy  et  lui  doibt  de  bou- 


336  l'ordonnance  de  1670 

Les  auteurs  font  egalement  de  fsicheuses  observations  sur 
I'article  20  du  titre  X  de  I'Ordonnance ,  qui  ordonne  aux  procu- 
reurs  du  roi  d'envoyer  tous  les  six  mois  au  procureur  general 
I'etat  des  ecrous  avec  un  etat  des  procedures.  Serpillon  declare 
«  qu'il  n'y  a  pas  d'article  de  TOrdonnance  plus  mal  execute  que 
celui-la ,  quoique  tres-important ,  pour  que  jles  superieurs  puis- 
sent  connoitre  les  procedures  qui  auront  este  negligees  ou  as- 
soupies...  Ce  n'est  pas  que  dans  tous  les  temps  il  n'y  ait  eu  a 
ce  sujet  des  arrets  de  reglement  (1).  » 

D'Aguesseau,  de  son  cote,  protestera  centre  les  coutumes 
locales ,  attestant  «  qu'en  matiere  criminelle  les  coutumes  memes 
des  provinces ,  a  plus  forte  raison  de  leurs  tribunaux ,  ne  sau- 
raient  jamais  prevaloir  contre  les  dispositions  de  I'Ordonnance.  « 
A  la  fin  du  xviii°  siecle,  c'est  une  chose  bien  constatee  que  la 
diversite  des  jurisprudences  en  matiere  criminelle.  «  J'avoue- 
rai  done  que  le  defaut  de  redaction  que  j'attaque  est  un  usage 
dans  le  Parlement  de  Paris  et  peut-etre  dans  d'autres  Parle- 
mens  du  royaume.  A  la  verite,  les  autres  Parlemens,  et  c'est 
le  plus  grand  nombre,  s'en  tiennent  a  I'esprit  et  a  la  lettre  de 
I'Ordonnance,  qui  leur  commande,  disent-ils,  imperieusement 
la  redaction  par  ecrit  (2).  »  «  Plusieurs  tribunaux  souverains 
admettent  a  deposer  les  parents  des  accusateurs  et  d'autres ,  au 
contraire,  les  repoussent;  de  sorte  qu'il  en  est  dans  les  tribu- 
naux de  certaines  depositions  comme  des  monnaies  dans  les  Em- 
pires; certaines  depositions  ont  cours  dans  un  tribunal  et  ne 
I'ont  pas  dans  un  autre  (3).  »  Poulain  du  Parc^  dans  les  vo- 
lumes qu'il  consacre  au  droit  criminel,  s'arrete  souvent  pour 
constater  la  pratique  particuliere  du  Parlement  de  Bretagne  (4). 

Cette  diversite  des  jurisprudences  etait  d'ailleurs  un  fait  natu- 
rel  et  inevitable.  Les  redacteurs  des  Ordonnances  avaient  certes 


che  rendre  compte  de  toutes  les  choses  dont  Sa  Migest6  veut  estre  esclairee.  » 
P.  174. 

(1)  Code  criminel,  p.  374. 

(2)  Dupaty  :  Mdmoire  pour  trois  hommes  condamnis  ^  la  roue,  1786 ,  p.  116;  il 
sagit  de  la  redaction  du  dernier  interrogatoire. 

(3)  Dupaty  :  Mimoire,  etc.,  p.  180 ;  of.  Moyens  de  droit,  pour  les  mfimes,  p.  36. 

(4)  Voy.  par.  ex.  torn.  XI,  pp.  65,  350. 


APPLIQUEE.  337 

cherche  a  eviter  ce  resuUat.  Pussort  avait  indique  le  mal  avec 
sa  nettete  et  son  energie  habituelles.  «  II  reste  pour  dernier 
remede  de  retrancher  aux  compagnies  souveraines  la  liberie 
qu'elles  ont  usurpe  d'interpreter  les  Ordonnances.  C'est  une  en- 
treprise  sur  I'authorite  royalle,  a  laquelle  seule  appartenant  de 
faire  les  lois,  c'est  d'elle  aussi  que  doibvent  proceder  les  inter- 
pretations. C'est  un  droit  que  les  empereurs  romains  se  sont 
toujours  reservez,  jusques-la  que  les  juges  qui  estoient  dans 
les  provinces  estoient  obligez  de  les  consulter  toutes  fois  et 
quantes  qu'il  y  survenoit  quelque  cas  qui  n'eust  pas  este  prevu 
par  les  loix,  ou  sur  lequel  les  Joix  ne  s'estoient  pas  assez  nette- 
ment  explique ,  et  I'empereur  Justinien ,  qui  a  compile  et  rap- 
porte  ce  que  les  empereurs  Julien  et  Adrien  en  avoient  or- 
donne ,  en  donne  une  belle  raison ,  parce  que ,  dit-il ,  que  Dieu 
n'a  esleve  les  empereurs  au  gouvernement  des  hommes ,  qu'afin 
qu'ils  puissent  reformer  ce  qui  y  seroit  deffectueux  et  prescrire 
des  bornes  et  regies  certaines  aux  choses  qui  surviennent  de 
nouveau  et  n'ont  point  este  preveues.  Ceste  regie  a  este  suivie 
par  tous  les  jurisconsultes ,  qui  ont  decide  unanimement  qu'il 
n'appartenoit  point  aux  cours  pretoriennes  (en  la  place  des- 
quelles  sont  en  ce  royaume  les  souveraines)  d'interpreter  les 
loix  sous  quelque  pretexte  d'equite  que  ce  soit ,  par  deux  rai- 
sons  qui  sont  puissanfes  et  sensibles.  La  premiere  est  que  si  on 
leur  laissoit  ceste  liberte  ils  pourroient  aneantir  par  leurs  inter- 
pretations I'authorite  des  loix  et  s'eriger  eux-m§mes  en  legis- 
lateurs ,  et  la  deuxieme  que  si  cela  estoit  receu ,  tous  les  juge- 
mens  seroient  arbitraires  et  dependroient  de  la  fantaisie,  de 
Thumeur,  de  la  passion  et  de  I'interest  des  juges  et  rien  n'y 
seroit  certain  (1).  »  Aussi  I'Ordonnance  de  1667  portait-ellei  (tit.  II, 
art.  7)  :  «  Si  dans  les  jugemens  des  proces  qui  seront  pendans 
en  nos  cours  de  Parlement  et  nos  autres  cours ,  il  survient  aucun 
doute  ou  difficulte  sur  I'execution  de  quelques  articles  de  nos 
Ordonnances,  Edits,  Declarations  et  Lettres-patentes ,  nous  leur 
defendons  de  les  interpreter;  mais  voulons  qu'en  ce  cas  elles 
ayent  a  se  retirer  pardevant  Nous  pour  apprendre  ce  qui  sera 

{i)  Melanges  CUrambault,  n»613,  p.  438  (M^moire  de  Pussort). 

22 


338  l'ordonnance  de  1670 

de  Notre  intention.  »  Mais  cette  defense  ne  pouvait  qu'etre 
vaine ,  Pussort  luttait  contre  une  sorte  de  loi  naturelle ,  contre 
une  necessite  logique ,  et  il  devait  etre  vaincu. 


III. 

Plusieurs  causes  surtout  devaient  rendre  I'Ordonnance  inef- 

flcace  sur  bien  des  points.  En  premiere  ligne  etait  la  question 

d'argent.   Nous  savons  deja  par  les  Memoires  des  Conseillers 

d'Etat  quel  r61e  jouaient  les  epices,  meme  en  matiere  crimi- 

nelle,  et  a  cet  egard  rien  n'avait  ete  change  (1),  si  ce  n'est  que 

quelques  economies  avaient  ete  operees.  Mais  ce  n'etait  pas  tout. 

Lorsqu'il  n'y  avait  pas  de  partie  civile  au  proces,  c'etaient  les 

-seigneurs  pour  leurs  justices,  les  fermiers  des  domaines  pour 

les  justices  royales  qui  devaient  faire  les  frais.  Or,  les  uns  pas 

plus  que  les  autres  n'etaient  disposes  a  financer ;  il  en  resultait 

que  souvent,  faute  d'argent,  Taction  de  la  justice  etait  suspendue. 

En  1664,  le  procureur  general  du  Parlement  de  Bordeaux  ecri- 

vait  a  Colbert  :  «  II  est  impossible  d'obliger  les  receveurs  ou 

fermiers  de  fournir  aux  frais  qui  sent  necessaires  pour  punir  les 

criminels  et  les  conduire  dans  leur  appel ,  ils  disent  qu'ils  n'ont 

point  de  fonds,  si  bien  qu'il  y  a  beaucoup  de  crimes  enormes 

qui  demeurent  impunis  (2).  »  En  1679,  en  Guyenne,  on  ne  pent 

faire  partir  la  chaine  des  forgats  faute  d'argent  (3);  en  1707,  une 

lettre  du  chancelier  de  Pontchartrain  a  I'intendant  de  Bourgogne 

signale  de  semblables  inconvenients  :  «  II  y  a  des  condamnes  au 

fouet  qui  languissent  dans  les  prisons  de  Bourg  en  Bresse ,  parce 

qu'on  ne  pent  contraindre  le  fermier  a  remetti'e  60  livres  a 

I'executeur  de  Dijon  (4).  »  Avec  le  desordre  croissant  des  fi- 

(i)  Voy.  Leitre  du  chancelier  Le  Tellier  a  Daulfede ,  premier  president  du  Par- 
lement de  Guyenne,  21  juillet  1679;  il  constate,  entre  autres  choses,  que  les 
rapporteurs  ne  remettent  les  arrets  aux  greffes  qu'aprSs  avoir  616  pay^s  de  leurs 
Apices  {Corresp.  administ.  sous  Louis  XlV.loms  11,  p.  214).  Voy.  aussi  11  juin 
1664 :  Lettre  de  I'intendant  Courtin  a  Colbert,  d6crivant  les  concussions  des  offi- 
ciers  de  judicature  d' Arras  {Ibid.,  p.  136). 

(2)  Ibid.,  p.  133. 

(3)  Corresp.  administ.  sous  Louis  XIV,  tome  II,  p.  214. 

(4)  Ibid.,  p.  448. 


APPLIQUEE.  339 

nances  de  la  monarchie,  ces  scandales  n'etaient  pas  pres  de 
cesser. 

La  question  d'argent  n'entravait  pas  seulement  les  poursuites , 
elle  les  viciait  souvent.  Elle  s'elevait  a  chaque  instant  devant  les 
accuses  au  cours  de  la  procedure.  Rousseau  de  La  Combe  remar- 
que  sur  I'article  H  du  titre  X  de  I'Ordonnance  :  «  II  est  defendu 
a  tons  greffiers,  gedliers  et  au  plus  ancien  prisonnier  dans  la 
prison,  qui  s'appeloit  doyen  ou  prevdt,  de  rien  prendre  ni  exiger 
des  prisonniers  en  argent,  vin  ou  vivres  pour  la  bienvenue  du 
prisonnier,  c'est  ce  qui  s'appeloit  droit  d'entree  ou  de  bienvenue. 
C'etoit  une  mauvaise  coutume  que  I'Ordonnance  a  supprimee, 
corrigee  et  defendue ;  on  battoit  meme  et  insultoit  le  prisonnier 
qui  ne  vouloit  pas  faire  cette  depense ,  et  encore  a  present  on  a 
bien  de  la  peine  a  empecher  totalement  cet  abus  (1).  »  En  1786, 
un  ancien  concierge  des  prisons  rappelle  comme  une  chose  na- 
turelle  cette  exploitation  des  detenus  :  «  11  falloit  payer  le  loyer 
d'une  chambre  pour  ne  point  etre  confondu  sur  la  paille  avec  les 
plus  vils  criminels,  et  se  procurer  les  autres  secours  habituels, 
sans  lesquels  la  prison  devient  un  sejour  affreux ,  pire  que  la 
mort  (2).  »  Ici  I'Ordonnance  avait  ete  totalement  impuissante ;  la 
venalite  des  charges  depuis  les  plus  hautes  jusqu'aux  plus  basses, 
le  systeme  deplorable  des  finances ,  etaient  d'insurmontables  obs- 
tacles. 

Les  redacteurs  de  I'Ordonnance  avaient  cherche  a  assurer  aux 
accuses  la  seule  garantie  que  comportat  le  systeme  qu'ils  adop- 
taient,  a  savoir,  la  sincerite,  la  regularite  des  ecritures,  I'obser- 
vation  des  formes.  Mais  ici  encore  ils  se  heurtaient  a  des  impos- 
sibilites  materielles.  Cette  procedure  ecrite  etait  trop  minutieuse  et 
trop  compliquee ,  pour  qu'elle  ne  se  faussat  pas ,  surtout  aux 
mains  des  officiers  inferieurs.  A  la  veille  de  la  Revolution,  les 
temoignages  abondent,  attestant  les  abus.  Lorsqu'il  s'agissait  en 

(1)  Matures  criminelles,  p.  34.  Ces  usages  venaient  de  loin.  Voy.  Edit  d'octo- 
bre  1485  (Isambert,  xi,  p.  150).  Art.  38  :  «  La  quarte  de  vin  de  bien  veniie,  le 
parler  dessous  la  ceinture,  le  voler,  le  parler  latin ,  telles  truffes  sent  d^fendues ; 
car  les  prisonniers  sont  assez  chargez  de  payer  les  d^pens  n^cessaires.  » 

(2)  Mimoire  &  consulter  et  consultation  pour  le  sieur  Lecarde,  ci-devant  greffier 
des  prisons  de  la  conciergerie  du  palais  b.  Rouen,  centre  M.  Lecauchois,  avocat 
au  Pariement  de  Rouen.  Paris,  1786,  p.  22. 


340  l'ordonnance  de  1670 

particulier  des  reponses  des  accuses  ou  des  temoins ,  n'etait-il  pas 
incontestable  que  la  transcription  qu'en  faisait  le  greffier,  etait 
bien  souvent  un  echo  eloigne  des  paroles  prononcees  :  «  Je  prie- 
rois  de  considerer  que  la  traduction  que  subissent  souvent  danS 
les  premiers  tribunaux  les  reponses  des  accuses ,  et  I'idiome  des 
questions  souvent  inintelligible ,  ne  sauroit  etre  que  tres-infidele ; 
en  voici  un  exemple  dans  cette  procedure.  Le  prevot  demande  a 
Simare  s'il  n'a  pas  eu  de  relations  avec  Bradier.  Simare ,  qui  ne 
sait  pas  ce  que  veut  dire  ce  terme,  repond  :  Non.  Gependant  Bra- 
dier est  son  beau-frere.  Gependant  a  la  question  suivante,  Simare 
convient  avoir  ete  avec  Bradier  a  Salon.  Les  malheureux!  on  les 
interroge  et  ils  ne  comprennent  pas !  et  on  ne  les  comprend  pas ! 
Vous  redigez  votre  question  et  traduisez  leurs  reponses...  Ah! 
que  le  metier  des  premiers  juges ,  qui  seuls  interrogent ,  qui  seuls 
traduisent,  qui  seuls  redigent,  est  delicat  (1)1  »  Un  semblable 
vice  etait  en  realite  irreparable.  Et  encore,  il  arrivait  souvent  que 
la  redaction  ne  se  faisait  pas  sur-le-champ,  le  greffier  prenait 
seulement  des  notes,  et  redigeait  plus  tard  a  loisir  :  «  Je  me 
rappelle  en  fremissant  que  c'est  maintenant  un  usage  dans  plus 
d'un  tribunal  du  royaume  de  ne  prendre  dans  le  tribunal  que  des 
notes  des  depositions  des  temoins,  ou  des  reponses  des  accuses 
et  de  les  rediger  ensuite  a  son  aise  et  a  son  gre  hors  du  Pa- 
lais (2).  «  Sans  doute  la  loi  defendait  tout  cela;  mais  la  nature 
y  poussait  et  rien  n'etait  plus  facile  lorsque  I'accuse.et  le  temoin 
ne  savaient  pas  signer. 

Ges  pieces  ecrites  sur  lesquelles  I'arret  devait  etre  rendu, 
Iqs  magistrals  ne  les  lisaient  point  tons.  On  ecoutait  le  rappor- 
teur et  on  se  fiait  a  lui  :  «  Je  vis  qu'il  falloit  au  moins  quatre 
heures  et  demie  pour  la  seule  lecture  du  proces ,  d'ou  je  calculai 
qu'il  avoit  ete  impossible  que  ce  proces  eM  ete  rapporte  au 
parquet  en  trois  quarts  d'heure  en  I'absence  de  M.  le  procureur 
general  du  roy  (3).  »  Enfin  trop  souvent  les  expeditions  qui 
etaient  envoyees  aux  juges  d'appel  etaient  fautives  :  «  On  ne 

(1)  Dupaty  :  Mimoire  pour  trois  hommes  condamnSs  a  la  roue,  p.  139. 

(2)  Ibid.,  p.  66. 

(3)  Memoire  jusUficatif  pour  Marie ,  Franfoise ,  Victoire  Salmon ,  par  M.  Le- 
cauchois ,  avocat  au  Parlement  de  Rouen.  Paris,  1786,  p.  10. 


APPLIQUEE.  341 

juge  dans  tous  les  tribunaux  souverains  que  sur  des  expedi- 
tions faites  et  envoyees  par  un  greffier  de  juridiction  seigneu- 
riale,  souvent  un  greffier-commis.  Cela  fait  trembler,  je  pourrois 
rapporter  plusieurs  exemples  comme  celui-ci  oii  les  expeditions 
ont  ete  falsifiees.  Et  on  veut  qu'on  se  taise  sur  notre  Ordonnance 
criminelle  (1)1  » 

C'etait  surtout  dans  les  juridictions  inferieures  seigneuriales 
et  royales  que  les  fautes  des  officiers  etaient  nombreuses,  et 
les  regies  de  I'Ordonnance  violees.  «  Sans  doute  le  conseil  de 
Sa  Majeste  est  loin  d'accueillir  ce  systeme  vraiment  inquietant , 
qui  par  la  corruption  des  moBurs  et  la  foiblesse  des  caracteres 
fait  tous  les  jours  de  nouveaux  progres,  qu'il  ne  faut  point 
par  des  rigueurs,  quoique  legitimes,  envers  les  juges  inferieurs, 
decourager  leur  ministere  et  en  diminuer  encore  le  nombre  qui 
diminue  deja  trop...  Une  plainte  s'est  elevee  depuis  peu  de 
tous  les  cotes  contre  les  prevarications  des  tribunaux  infe- 
rieurs, et  ce  cri  a  ete  traite  de  seditieux  par  quelques  personnes. 
Non,  ce  cri  n'est  point  seditieux  :  si  cette  plainte  se  taisoit,  c'est 
que  depuis  deux  siecles  peut-etre  on  en  etouffait  la  voix  (2).  »  Ce 
n'etait  point  de  I'exageration  lorsqu'on  disait  que  cerlaines  causes 
venaient  reveler  «  les  mysteres  des  justices  subalternes  (3).  » 


IV. 

Si  I'Ordonnance  de  1670  n'etait  pas  toujours  respectee  dans  ses 
dispositions  bienveillantes ,  elle  ne  I'etait  pas  non  plus  quant  aux 
regies  de  rigueur.  Un  point  specialement  est  a  relever.  L'Ordon- 
nance  faisait  du  secret  de  la  procedure  une  regie  inflexible. 
L'accuse  ne  devait  jamais  avoir  communication  des  charges, 
de  meme  que  jamais  il  n'avait  de  conseil  avant  son  interrogatoire, 
et  qu'il  en  avait  rarement  apres.  Mais  il  est  facile  de  montrer 
que  ces  principes  cedaient  assez  aisement  devant  deux  choses , 

(1)  Dupaty  :  Mimoi/re,  p.  232  —  Voyez  Mimoire  pour  Catherine  Estinfis  contre 
les  officiers  du  sifege  royal  de  Rivifere,  par  M.  Lacroix,  avocat.  Toulouse,  1786, 

(2)  Dupaty  :  Moyens  de  droit  pour  Bradier  Simare,  etc.  Paris,  1786,  p.  60. 

(3)  Mimoire  poor  Catherine  Estlines,  p.  54. 


342  l'ordonnance  de  1670 

toujours  puissantes  et  qui  I'etaient  surtout  alors  :  le  credit  des 
gens  en  place,  et  I'argent. 

La  faveur  ou  I'argent  faisaient  obtenir  communication  des 
pieces  soil  aux  accuses ,  soil  a  leurs  amis ;  c'est  vainement  que  la 
defense  inscrite  dans  la  loi  est  rappelee  par  ceux  qui  dirigent 
I'administration  de  la  justice ,  et  par  ceux  qui  commeritent  I'Or- 
donnance.  Le  25  juillet  1677,  le  marquis  de  Seignelay  ecrit  au 
lieutenant  du  siege  de  I'Amiraute  a  Dieppe  :  «  Je  vous  diray 
que  les  informations  sont  des  pieces  qui  doivent  estre  tenues  se- 
cretes, et  que  vous  ne  devez  communiquer  a  personne  sans  I'ordre 
expres  de  Sa  Majeste  (1).  »  Voici  quelques  temoign-ages  recueillis 
dans  les  Archives  de  la  Bastille.  Un  homme  de  justice  ecrit  a 
Seignelay,  le  22  mai  1695  :  «  M.  de  Pomponne  avait  donne  a 
M.  I'ambassadeur  de  Savoie  copie  du  premier  interrogatoire ,  qui 
sur  cela  avait  fait  des  consultations  en  faveur  de  Colonna ;  il  est 
venu  me  demander  copie  de  la  suite  des  procedures...  j'ai  cru 
devoir  me  tenir  dans  les  regies  et  la  refuser.  M.  de  Pomponne 
m'ayant  fait  I'honneur  de  m'ecrire  que  c'etait  la  volonte  du  Roi, 
j'ai  obei  (2).  »  Autre  lettre  du  24  avril  1676,  d'un  agent  qui 
s'interesse  a  I'accuse  :  «  Je  n'ai  pu  savoir  non  plus  precisement 
ce  que  Mainrot  a  dit  dans  son  interrogatoire  sur  la  sellette, 
quoique  j'aie  fait  agir  une  personne  aupres  du  greffier,  qui  n'a 
point  voulu  le  laisser  voir,  et  a  dit,  quand  on  le  lui  a  demande 
pour  le  lire,  qu'il  avait  ordre  de  le  tenir  secret  (3).  »  —  «  L'Ordon- 
nance,  dit  Serpillon ,  veut  que  les  temoins  soient  entendus  secre- 
tement,  et  I'article  15  defend  aux  greffiers  de  communiquer  les 
procedures.  Cependant  combien  de  contraventions  a  cette  regie 
si  etroitement  recommandee,  combien  d'officiers  qui,  contre  la  foi 
de  leurs  charges ,  communiquent  les  procedures  aux  parties,  sur- 
tout au  petit  criminel ,  s'imaginant  que  les  defenses  ne  concer- 
nent  que  les  matieres  graves,  tandis  que  les  Ordonnances  ne 
font  aucune  distinction.  Les  parties  civiles  en  abusent  pour 
suborner  les  temoins  lors  des  recollements  et  confrontations; 
I'accuse  concerte  ses  reponses  sur  la  connaissance  qu'il  a  des 

(1)  Corresp.  administ.  sous  Louis  XIV,  tome  II,  p.  206. 

(2)  Tome  VI,  p.  93. 
(3)/6W.,  p.  184. 


APPLIQUEE.  343 

depositions ;  par  ce  moyen  on  ne  pent  decouvrir  la  verite ,  la 
justice  n'est  pas  rendue ,  les  crimes  demeurent  impunis  (1).  » 
Jousse  n'est  pas  moins  net :  «  Cette  defense  de  communiquer  les 
procedures  secretes  est  assez  mal  observee  dans  I'usage,  et  il 
n'arrive  que  trop  souvent  qu'on  la  vide  impunement  (2).  » 

A  la  fin  du  siedle ,  alors  qu'on  parle  haut ,  on  dit  ouvertement 
comment  les  choses  se  passent.  Ce  sont  les  greffiers  qui  procu- 
rent  les  pieces,  et  les  avocats  les  citent  dans  leurs  memoires. 
Cependant  on  respecte  encore  les  formes  dans  certains  ecrits. 
Dans  le  memoire  de  I'avocat  Lacroix  pour  Catherine  Estines , 
I'auteur  emploie  souvent  cette  formule ,  quand  il  cite  la  deposi- 
tion d'un  temoin  :  «  Tel  temoin  doit  avoir  dit.  »  Ces  communica- 
tions subreptices  n'etaient  point  d'ailleurs  generalement  com- 
pletes, et  en  1786,  I'avocat  general  Seguier  pourra  dire  dans  un 
requisitoire  celebre  :  «  Personne  n'ignore  et  les  jurisconsultes 
eux-memes  en  conviennent,  qu'un  memoire  en  matiere  criminelle 
n'est  presque  toujours  qu'un  assemblage  de  faits  et  de  circons- 
tances  administres  par  les  accuses.  Les  defenseurs  sont  presque 
toujours  dans  la  triste  impossibilite  d'en  verifier  I'exactitude ; 
ils  sont  obliges  de  s'en  rapporter  a  la  declaration  de  leurs  pat 
ties  (3).  » 

Une  discussion  curieuse,  qui  eut  lieu  en  1790  a  I'Assemblee 
nationale ,  montre  que  dans  les  derniers  temps ,  I'application  de 
rOrdonnance,  quant  au  secret  des  procedures,  etait  devenue 
assez  incertaine.  On  discutait  la  loi  nouvelle  qui  allait  remplacer 
rOrdonnance.  «  Autrefois,  disait  M.  Rey,  on  faisait  le  recolement 
des  temoins  en  presence  de  I'accuse ;  les  magistrals ,  suivant  plu- 
tot  I'esprit  que  la  lettre  de  la  loi ,  permettaient  meme  la  commu- 
nication des  charges.  —  M.  FHteau  :  Je  dois  a  mon  caractere 
de  juge  de  declarer  que  ce  fait  est  faux.  J'ai  failli  etre  chasse 
du  Parlement  de  Paris  pour  avoir  pris  connaissance  des  charges 
d'une  procedure.  Non-seulement  I'accuse  n'avait  pas  ce  droit, 

(1)  Code  Criminel ,  p.  483. 

(2)  Comment,  sur  I'Ordonnance  de  1670,  p.  165. 

(3)  Riquisitoire  de  1786,  centre  le  memoire  de  Dupaty,  p.  14;  page  25,  il 
ndique  que  I'auteur  du  mtooire  «  par oit  avoir  eu  connoissance  de  la  proce- 
dure. » 


344  l'ordonnance  de  1670 

mai,s  encore  aucuns  moyens  humains  ne  lui  donnaient  la  faculte 
de  connaitre  les  charges,  et  quand  on  dit  que  le  projet  de  vos 
comites  est  plus  absurde  que  les  anciennes  Ordounances ,.  c'est 
une  chose  que  j'ai  le  droit  de  nier  au  nom  de  la  magistrature 
entiere.  —  M.  Goupil  :  Et  moi  j'atteste  qu'au  Parlement  de 
Rouen  on  donnait  aux  accuses  copie  des  charges  lorsqu'ils  la 
demandaient;  j'ai  eu  dans  mon  cabinet  les  charges  de  diverses 
procedures,  je  les  ai  citees  dans  des  memoires  en  lettres  ita- 
liques...,  il  n'est  pas  vrai  que  I'Ordonnance  de  1670  ait  defendu 
absolument  cette  communication ;  elle  la  defendait  seulement 
sans  ordonnance  des  juges  :  I'Ordonnance  pour  la  marine  redigee 
en  1681  sous  les  yeux  des  memos  magistrats  et  dans  le  memo 
esprit,  n'interdit  pas  aux  juges  le  droit  de  donner  communica- 
tion. —  M.  Rey  :  Dans  le  ressort  du  Parlement  de  Toulouse 
la  communication  etait  d'usage  (1).  » 

II  etait  egalement  possible  d'avoir  un  avocat  comme  conseil. 
Ce  n'est  pas  seulement  le  roman  du  xvm°  siecle  qui  nous  montre 
des  accuses  communiquant  avec  leur  defenseur,  m§me  avant 
I'interrogatoire ,  les  documents  juridiques  prouvent  aussi  que 
cette  irregularite  n' etait  pas  sans  exemple  (2).  En  tout  cas,  I'as- 
sistance  d'un  conseil  semble  de  droit  lorsque ,  apres  une  con- 
damnation  en  dernier  ressort,  un  sursis  etant  accorde,  I'accuse 
poursuivait  la  cassation  ou  la  revision  de  I'arret  (3).  Lorsqu'on 

(1)  Seance  da  28  octobre  1790  :  Moniteur  du  29. 

(2)  Voy.  Archives  de  la  Bastille,  VI,  p.  150.  «  Je  fus  ensuite  le  mgrne  jour  chez 
le  plus  fameux  avocat  du  Parlement  pour  les  matiferes  criminelles,  nomm6  M.  Beu- 
rey,  pour  le  consulter  sur  les  moyens  que  I'oq  pouvoit  prendre  pour  justifier  la 
calomnie  de  ce  que  Colonna  a  declare  dans  son  interrogatoire...,  mais  avant  que 
de  m'ouvrir  4  lui,  lui  ayant  demande  s'il  avoit  consulte  pour  quelqu'un  dans  1' af- 
faire de  Colonna ,  il  me  dit  qu'il  avoit  consulte  pour  le  marquis  de  Livourne  avec 
un  autre  avocat  nommfi  M.  Lambin.  » 

(3)  Dupaty  :  Mimoire ,  p.  221  :  «  J'arrive  a  la  prison,  je  demande  ces  trois  mal- 
heureux;  ou  me  les  amfene  dans  une  chambre  oii  j'atteadois.  »  —  Lecauchois, 
Mimoire  pour  la  fiUe  Salmon,  p.  16  :  «  Que  Ton  considfere  les  difQcules  que  j'ai 
da  ^prouver  dans  environ  50  a  60  heures  d'interrogatoire  que  j'ai  fai,t  prfiter  a 
cette  fiUe...,  quelles  precautions  il  m'a  fallu  prendre  pour,  a  I'aide  de  mes  d^cou- 
vertes  exterieures ,  tirer  de  I'accusee  les^  eclaircissements  4  sa  connoissance,  sous 
les  yeux  de  ses  argus ,  et  sans  n^anmoins  qu'ils  pussent  y  rieu  comprendre... 
Au  surplus ,  je  ne  cbnnois  pas  de  loi  qui  ordonne  que  le.  dSfenseur  ne  pourra 
interroger  son  client  ni  conferer  avec  lui  qu'en  presence  de  t^moins.  » 


APPLIQUEE.  348 

avait  gagne  la  compassion  ou  obtenu  la  connivence  des  geoliers 
ou  gardiens  des  prisons,  tout  allait  sans  difficulte  (1). 

Mais  tout  cela  etait  affaire  de  soUicitations  et  d'influences ; 
c'etait  toujours  I'arbitraire ,  parfois  la  liberie  de  la  defense  ache- 
tee  a  deniers  comptants.  C'etait  une  inegalite  choquante  entre  le 
riche  et  le  pauvre  :  on  le  dira  plus  tard.  «  fitrange  contradiction 
de  notre  Ordonnance  criminelle.  Elle  se  defie  tellement  des  lu- 
mieres,  de  I'exactitude ,  de  I'eloignement,  de  I'obscurite  des  pre- 
miers tribunaux  criminels,  qu'elle  accorde  aux  accuses  le  remede 
de  I'appel  de  tous  leurs  jugemens  quelconques  aux  tribunaux 
souverains;  et  Dependant  en  privant  les  accuses  d'un  conseil, 
elle  les  prive  par  la  meme  de  tout  moyen  de  faire  usage  de  Tap- 
pel.  —  Que  dis-je?  ils  auroient  pu,  ces  malheureux,  profiler  des 
ressources  que  leur  accordoit  I'Ordonnance ;  ils  auroient  pu 
meme  avoir  un  conseil.  Comment?  par  quel  moyen?  Le  dirai-je? 
S'ils  n'eussent  pas  ete  pauvres.  Helas !  oui ,  s'ils  n'avoient  pas 
ete  pauvres,  comme  les  riches  ils  auroient  eu  des  conseils; 
comme  les  riches  ils  auroient  fait  appel;  comme  les  riches,  ils 
auroient  connu  le  secret  de  la  procedure  a  I'audience ,  ou  ils  I'au- 
roient  achete  dans  les  greffes,  ils  auroient  presente  des  requites, 
ils  auroient  publie  des  memoires ;  enfin  croit-on  que  les  juges 
de  Chaumont  eussent  enseveli  dans  leurs  cachots  pendant  trente 
mois  trois  hommes  riches?  Quoi  done!  les  loix  destinees  a  secou- 
rir  les  malheureux  et  en  proportion  de  leurs  malheurs ,  les  loix 
opprimeroient-elles  au  contraire  les  malheureux  et  en  proportion 
de  leurs  malheurs !  Quoi  done !  les  pauvres ,  les  miserables ,  et , 
comme  dit  I'orgueil,  la  lie  de  la  nation ,  vingt  millions  d'hommes, 
seroient-ils  reduits  a  I'avenir  a  n'apprendre  qu'ils  ont  un  roi  que 
par  les  vexations  des  traitants,  des  magistrals  qu'a  la  vue  des 
echaffauds ,  et  un  Dieu  qu'apres  leur  mort  (2)  1  »  —  «  Hommes 

(1)  Dans  I'affaire  de  la  flUe  Salmon,  le  sieur  Lecarde ,  concierge  de  la  prison, 
rejoit  six  lettres  de  I'accusfee ,  alors  qu'elle  a  M  transferee  dans  une  autre  ge61e 
[Mimoire poarle  sieur  Lecarde,  pp.  6,  7,  8,  9,  12,  15).  Voy.  Archives  de  la  Bas- 
tille, VI,  p.  159  :  «  Avant-hier,  le  nomme  Rencontre  detenu  depuis  deux  ansfen 
cette  ville  dans  les  prisons  et  par  ordre  de  M.  le  procureur  gin&al  du  Parlement, 
charge  et  recommande  deux  fois ,  alia  boire  avec  le  geSlier  dans  un  cabaret  hors 
de  la  prison,  oil  il  I'enivra ,  et  se  sauva.  » 

(2)  Dupaty :  Mimoire,  p.  237. 


346  l'ordonnance  de  1670 

puissants  vous  n'etes  done  pas  contents  encore  de  votre  justice 
criminelle?  Voyez  cependant  tout  ce  qu'elle  a  deja  fait  pour  vous 
depuis  plus  de  deux  siecles ,  depuis  Poyet  jusqu'a  Pussort.  Elle 
a  retranche  de  la  defense  des  accuses  toute  communication  de  la 
procedure  et  tout  conseil ,  et  au  prejudice  seul  du  peuple ,  car 
vous  avez  de  I'or.  Elle  a  retranch6  de  la  defense  des  accuses  la 
publicite  qui  observe  la  justice  et  qui  la  tient  attentive,  au  pre- 
judice seul  du  peuple ,  car  vous ,  toute  votre  existence  est  si  im- 
portante  et  si  precieuse !  Elle  a  retranche  plus  d'a  moitie  de  la 
defense  des  accuses  la  faculte  de  se  justifler  et  au  prejudice  seul 
du  peuple,  car  vous,  qui  ose  en  effet  vous  inculper?  Elle  a  re- 
tranche enfin  des  peines  la  moderation  et  la  proportion  et  au 
prejudice  seul  du  peuple,  car  vous,  toute  la  justice  des  rois  est 
souvent  necessaire  pour  que  la  justice  des  loix  vous  atteigne  (1).  » 


Un  dernier  effet,  produit  par  la  publication  de  I'Ordonnance 
de  1670,  reste  k  signaler.  En  composant  ce  code,  les  redacteurs 
donnaient  une  base  solide  au  droit  criminel.  lis  appelaient  les 
savants  commentaires ,  qui  ne  manquerent  pas.  L'Ordonnance 
rendit  possible  une  etude  scientifique  de  la  procedure  penale. 
Jusque-la  on  avail  expose  des  usages  plutot  qu'interprete  des 
lois  :  dans  les  ceuvres  des  juristes  les  textes  des  Ordonnances 
n'intervenaient  que  par  moments,  comme  soutien  de  I'exposition, 
dont  elles  ne  constituaient  point  le  veritable  fondement ;  il  suffit 
de  parcourir  par  exemple  le  traite  d'lmbert  pour  se  convaincre 
de  cette  verite.  Desormais  I'interpretation  s'attaquera  corps  a 
corps  aux  articles  de  I'Ordonnance,  s'attachant  a  en  degager 
toutes  les  consequences.  Aux  pratiques  vont  succeder  les  com- 
mentaires; tout  au  moins  ceux-ci  tiendront-ils  le  premier  rang. 
L'exegese  ne  tirera  pas  seule  parti  de  I'Ordonnance;  plusieurs 
ouvrages  portent  des  titres  qui  revelent  une  large  synthese  : 
le  Code  Criminel,  ou  les  Institutes  de  droit  criminel.  Cela  con- 

(1)  Dupaty  :  Moyens  de  droit  pour  Bradier,  etc.,  p.  43-44, 


APPLIQUEE.  347 

tribua  puissamment  a  donner  &  la  procedure  criminelle  frangaise 
cette  nettete  et  en  meme  temps  cette  rigueur  que  ne  connurent 
jamais  les  usages  cong6neres  des  nations  voisines. 

Cette  importance  acquise  par  les  commentaires ,  le  principal 
auteur  de  I'Ordonnance,  Pussort,  ne  la  voulait  nuUement;  son 
desir  etait  tout  oppose ,  et  11  ne  cachait  point  sa  pensee  a  ce  su- 
jet.  II  conseillait  au  roi  «  de  faire  deffense  a  qui  que  ce  soit  de 
faire  aucunes  nottes  ni  commentaires  sur  les  Ordonnances,  ni 
aucun  recueil  d'arrestz  sous  peine  de  faux,  dix  mil  livres  d'a- 
mande  et  de  confiscation  des  exemplaires ;  les  commentaires  des 
Ordonnances  et  les  raisonnements  tirez  des  arrests  ne  tendant 
qu'a  en  affoiblir  I'authorite  sous  les  pretextes  specieux  d'equite  et 
de  la  force  des  choses  jugees  (1).  »  Mais  ici  encore  Pussort  vou- 
lait lutter  contre  une  tendance  fatale. 

Les  ouvrages  des  criminalistes ,  en  particulier  ceux  de  Jousse 
et  de  Muyart  de  Vouglans,  s'incorporerent  bientot  pour  ainsi 
dire  a  I'Ordonnance;  ils  furent  obeis  par  les  tribunaux  non 
moins  que  la  loi  elle-meme.  «  Jousse  a  ecrit  cela  et  Jousse  est 
I'esprit ,  la  raison  et  la  jurisprudence  des  tribunaux  du  royaume, 
oui,  la  jurisprudence.  Le  jurisconsulte  Meynard  ne  disoit-il  pas 
en  traitant  une  question  :  les  juriscon  suites  ont  ordonne?  Et  ils 
ont  en  effet  ordonne,  surtout  dans  la  justice  criminelle.  Toutes  les 
lacunes  de  notre  legislation  criminelle  si  incomplete,  si  decou- 
sue,  tombant  en  ruines,  sont,  si  je  puis  parler  ainsi,  bouchees  de 
maximes  des  criminalistes  (2).  »  —  «  Ce  n'est  point  sans  doute 
des  premiers  tribunaux  que  Ton  doit  attendre  et  encore  moins 
exiger  I'abjuration  de  toutes  les  maximes  barbares  que  les  crimi- 
nalisteis  ne  cessent  d'etablir  depuis  tant  de  siecles  dans  la  juris- 
prudence criminelle.  Car  la  jurisprudence  criminelle  a  ete  jus- 
qu'ici  abandonnee  aux  criminalistes  par  nos  monarques ,  trop  oc- 
cupes  la  plupart  d'accroitre  leur  puissance  pour  s'occuper  du 
bonheur  de  leurs  sujets  (3).  » 

(1)  Melanges  CUrambauU,  n»  613,  p.  453. 

(2)  Dupaty  :]Mimoire,  p.  156. 

(3)  Ibid.,  p.  227. 


348  l'ordonnance  de  1670 


CHAPITRE  DEUXIEME. 

La  proc6dure  criminelle  et  Tesprit  public 
aux  XVIIe  et  XYIII^  siScles. 


I.  Comment  la  procWure  criminelle  est  apprici^e  au  xvii»  siScle  :  La  BruyJre , 
Augustin  Nicolas,  Despeisses.  —  II.  Le  mouvement  philosophique  du  xviii* 
sificle.  —  III.  Montesquieu  et  Beccaria.  —  La  legislation  criminelle  dans  les 
CBuvres  de  Voltaire.  —  IV.  La  procedure  criminelle  apprficiee  par  les  juristes 
du  xvmo  sifecle.  —  V.  Les  R^formes  de  d'Aguesseau.  —  VI.  Progres  de  I'esprit 
de  rSforme  :  les  discours  de  rentrfie  des  magistrals;  Servan;  —  les  concours 
ouverts  par  les  soci^t^s  littfiraires,  Brissot  de  Warville;  —  Mfimoires  pour 
d'innocents  condamnfis;  le  barreau  et  la  magistrature. 


I. 

L'esprit  public,  au  xvii°  siecle,  n'etait  point  hostile  a  cette 
procedure  inquisitoire  et  secrete  que  nous  avons  decrite.  Elle 
semblait  alors  une  rigueur  necessaire;  on  I'acceptait  sans  diffi- 
culte  et  d'instinct  pour  ainsi  dire ,  comme  le  pouvoir  absolu  des 
rois  et  I'intolerance  religieuse.  Un  immense  besoin  de  soumis- 
sion  facile  emplissait  alors  les  esprits.  Ce  qui  le  montre  bien, 
c'est  qu'on  pouvait,  au  theHtre,  parler  de  ce  que  cette  proce- 
dure avait  de  plus  odieux ,  de  la  torture ,  et  cela  non  par  maniere 
d'clpre  satire,  mais  sous  forme  de  plaisanterie.  On  connait  la 
scene  des  Plaideurs  et  la  proposition  que  fait  Dandin  a  Isabelle  : 

D.  N'avez-vous  jamais  vu  donner  la  question? 

I.  Non ,  et  ne  la  verrai ,  que  je  crois ,  de  ma  vie. 
D.  Venez,  je  vous  en  veux  fairs  passer  I'envie. 

I.  He!  Monsieur,  peut-on  voir  soufTrir  des  malheureux? 
D.  Bon!  cela  fait  toujours  passer  une  heure  ou  deux  (1)  1 

Sans  doute ,  Racine  a  mis  la  dans  la  bouche  d'une  femme  une 
note  attendrie ;  mais  il  n'a  point  I'intention  de  faire  passer  Dan- 

(1)  Les  Plaideurs,  act.  Ill,  so.  4  (1668). 


APPLIQUEE.  349 

din  pour  un  monstre  et  d'exciter  I'horreur  du  public.  De  meme , 
Moliere  fait  dire  a  Harpagon ,  a  qui  Ton  a  vole  sa  cassette  :  «  Je 
veux  aller  querir  la  justice ,  et  faire  donner  la  question  a  toute 
ma  maison ,  a  servantes ,  a  valets ,  a  fils  et  a  fiUe ,  et  k  moi 
aussi  (1).  »  Cela  ne  fait  fremir  personne ,  et  pourtant  la  pensee 
d'Harpagon ,  quant  el  ses  valets ,  pouvait  Stre  une  realite  de  cha- 
que  jour  :  la  denonciation  du  maitre  etait  un  indice  prochain 
qui  suffisait  pour  faire  mettre  un  domestique  a  la  torture.  Ma- 
dame de  Sevigne  parle  fort  tranquillement  de  la  question  (2). 
Parmi  les  ecrivains  litteraires,  on  ne  trouve  guere  que  La 
Bruyere  qui  ait  proteste  contre  la  torture;  mais  la  protestation 
est  energique ,  elle  pent  6tre  mise  ei  cote  de  la  fameuse  tirade 
sur  le  paysan.  «  La  question  est  une  invention  merveilleuse  et 
tout  a  fait  sure  pour  perdre  un  innocent  qui  a  la  complexion 
faible,  et  sauver  un  coupable  qui  est  ne  robuste.  Un  coupable 
puni  est  un  exemple  pour  la  canaille ;  un  innocent  condamne  est 
I'affaire  de  tons  les  honn^tes  gens.  Je  dirais  presque  de  moi  : 
Je  ne  serai  pas  voleur  ou  meurtrier,  dire  ;  «  Je  ne  serai  pas  un 
jour  puni  comme  tel,  »  c'est  parler  bien  hardiment.  —  Une 
condition  lamentable  est  celle  d'un  homme  innocent  a  qui  la 
precipitation  et  la  procedure  ont  trouve  un  crime;  celle  mime 
de  son  juge  peut-elle  I'etre  davantage  (3)  ?  »  —  Et  ailleurs  :  «  II 
faut  des  prisons  et  des  supplices,  je  I'avoue,  mais  justice,  lois 
et  besoins  a  part,  ce  m'est  une  chose  toujours  nouvelle  de  con- 
templer  avec  quelle  ferocite  les  hommes  traitent  d'autres  hom- 
mes  (4).  »  Certes,  Beccaria  et  Voltaire  ne  diront  pas  mieux ,  mais 
cette  voix  eloquente  est  une  voix  isolee ! 

Cependant  vers  la  fin  du  xvii°  siecle,  onze  ans  apres  la 
grande    Ordonnance,    une   autre  voix   s'eleve,   haute  et   tou- 

(1)  L'Avare,  act.  IV,  so.  7. 

(2)  «  Enfin,  e'en  est  fait,  la  Brinvilliers  est  en  I'air;  son  pauvre  petit  corps  a 
6te  jet6  apres  I'ex^cution  dans  un  fort  grand  feu  et  les  cendres  au  vent...  On  I'a 
pr^sent^e  a  la  question ,  elle  a  dit  qu'il  n'en  6tait  pas  besoin  et  qu'elle  diroit 
tout...  Aprfes  cette  confession,  on  n'a  pas  laissfi  de  lui  donner  des  le  matin  la 
question  ordinaire  et  extraordinaire ,  elle  n'a  pas  dit  davantage.  »  Lettre  du  17 
juillet  1676.  Edit.  Monmerqufe ,  torn.  IV,  p.  S28-529. 

(3)  Les  caracUres.  De  quelques  usages. 

(4)  Les  caractires.  De  Thorame. 


330  l'ordonnance  de  1670 

chante;  c'est  celle  d'ua  magistral ,  Augustin  Nicolas,  president 
au  Parlement  de  Dijon.  _Celui-la  est  un  descendant  inteUectuel 
de  Pierre  Ayrault;  e'est  un  de  ces  magistrats  qui  unissaient  la 
science  a  la  hauteur  de  I'ame.  II  a  ete  revele  de  hos  jours ,  on 
peut  le  dire,  par  MM.  Laboulaye  et  Faustin  jHelie  (1).  II  est 
digne  de  figurer  a  cote  de  Lamoignon  dans  cette  etude  histo- 
rique  :  il  relie  Ayrault  aux  puhlicistes  du  xviiie  siecle ,  et  il  est 
bon  de  montrer  qu'en  France ,  meme  aux  plus  mauvais  jours 
de  la  procedure  criminelle ,  la  lumiere  du  vrai  ne  s'est  jamais 
eteinte,  et  que  des  hommes  genereux  se  sont  passe  de  I'un  a 
I'autre  le  sacre  flambeau. 

L'ouvrage  de  Nicolas  est  un  assez  petit  livre  (2).  II  ne  traite 
point  de  la  procedure  criminelle  en  entier.  L'auteur  a  concentre 
tout  son  efifort  sur  un  seul  point ,  le  plus  odieux ;  il  parle  de  la 
torture  et  specialement  de  son  emploi  dans  les  procedures  centre 
les  sorciers.  Augustin  Nicolas  n'est  point  du  reste  un  revolte, 
ce  qui  serait  bien  etrange  chez  un  magistral  du  xvii°  siecle ; 
il  est  respectueux  de  toutes  les  autorites ,  et  il  dedie  son  livre 
au  Roi  lui-meme.  Dans  sa  preface,  selon  le  goM  du  temps,  il 
compare  le  Roi  a  Hercule  :  «  Vous  feriez ,  Sire ,  avec  moins 
d'effort  que  luy  les  mesmes  effets  en  faveur  des  faibles  et  des 
innocens,  si  vous  daignez  embrasser  la  protection  de  cet  ou- 
vrage,  et  joindre  votre  pouvoir  aux,  raisons  qui  soutiennent 
son  raisonnement.  II  n'appartient ,  Sire,  qu'a  un  Roi  aussi 
grand  que  vous ,  de  corriger  dans  ses  Estats  les  abus  que  ces 
derniers  siecles  ont  puisez  dans  les  auteurs  les  plus  corrompus. 
G'est  a  un  monarque  de  France  d'extirper  de  son  royaume  par 
son  pouvoir  absolu  et  d'inviter  par  un  exemple  aussi  noble  les 
autres  princes  Chretiens  de  corriger  dans  leurs  Estats  tant  d'in- 
justes  moyens  de  Venir  a  la  connoissance  et  au  chastiment  des 
crimes.  Tant  de  pauvres  innocens  qui  perissent  des  si  long- 


(1)  Voy.  M.  Laboulaye  :  Revue  des  cours  littiraires ,  tome  II,  p.  770. 

(2)  II  est  intitule :  «  Si  la  torture  est  un  moyen  sHr  A.  virijier  les  crimes  secrets, 
dissertation  morale  et  juridique ,  par  laquelle  il  est  amplement  traiti  des  abus,  qui 
se  commettent  partout  en  I'instruction  des  prods  criminels ,  et  particuliirement  en 
la  recherche  du  sortiUge.  A  Amsterdam  chez  Abraham  Wolfgang,  pr6s  de  la 
Bourse.  1682. » 


APPLIQUKE.  3S1 

temps  par  les  horribles  violences  de  la  torture ,  tant  de  pauvres 
femmes  aussi  cruellemeat  martirisees  qu'injustement  condam- 
nees  de  sortilege  sur  des  confessions  arrachees  a  force  de  tour- 
mens  insupportables ,  tendent  leurs  mains  au  throne  du  grand 
Monarque  de  I'univers,  qui  vous  a  commis  le  gouvernement  de 
tant  de  peuplesl...  Ce  n'est  pas  le  premier  soin  que  Votre  Ma- 
jeste  ait  pris  pour  garantir  ses  Estats  des  tristes  effets  de  la  chi- 
cane et  du  brigandage  de  tant  de  procedures  abusives.  La  France, 
qui  fleurit  aujourd'hui  sur  tous  les  Estats  du  monde  en  toutes 
sortes  de  sciences  et  de  grands  esprits ,  vous  fournit  abondam- 
ment  ses  grands  genies  pour  soumettre  a  leur  censure  ce  petit 
effort  d'un  de  vos  sujets.  »  Nicolas  sent  tellement  quelle  est 
I'importance  des  idees  qu'il  agite,  qu'il  s'adresse  a  tous  les 
princes  de  la  chretiente  :  «  Comme  je  croy  en  ce  discours  rendre 
a  la  Republique  Chretienne  le  plus  grand  service  qu'on  lui  peut 
rendre ,  je  ne  crains  point  de  I'adresser  a  tous  les  princes  Chre- 
tiens ,  ni  de  les  supplier  en  tres-profond  respect  de  se  le  faire 
lire  et  examiner  serieusement  (1).  »  De  meme  quant  a  la  sorcel- 
lerie,  il  enappelle  au  prochain  concile  (2). 

II  respecte  non-seulement  les  autorites  etablies,  mais  meme 
les  prejuges  de  ses  contemporains.  Bien  que  tout  son  livre  mon- 
tre  qu'il  ne  croit  pas  aux  sorciers,  il  declare  que  «  c'est  une 
marque  tres-seure  d'ignorance  de  nier  qu'il  y  ait  des  sor- 
ciers (3).  »  II  sent  qu'il  a  contre  lui  la  formidable  puissance  des 
idees  recues ;  il  a  longtemps  hesite  devant  «  la  crainte  de  donner 
au  public  quelque  chose  qui  put  sembler  contraire  aux  opinions 
communes  (4).  »  II  sait  qu'il  aura  contre  lui  «  ceux  qui  croyent 
affoiblir  un  raisonnement ,  en  attaquant  son  autheur  par  les  re- 
proches  grossiers  d'avocat  de  sorciers  et  de  protecteur  de  I'im- 

(1)  P.  188. 

(2)  «  J'implore  trfes-humblement  le  premier  concile  giniral  qui  sera  assemble 
16gitimement  d'examiner  mes  raisons  sur  ces  matifires  avec  une  entifire  soumis- 
sion  a  son  jugement.  »  P.  109. 

(3)  P.  153;  mais  of.  p.  154  :  «  C'est  une  esp6ce  de  fur-eur  de  croire  que  les 
sorciers  fassent  tous  les  maux  qu'on  leur  attribue.  »  —  P.  137  :  «  Quoique  disent 
les  docteurs  allemands  de  la  quantity  des  sorciers  de  leur  pays ,  ils  ne  sont  pas 
tous  si  grands  sorciers  qu'ils  se  I'lmaginent.  » 

(4)  P.  7. 


352  l'ordonnance  de  1670 

punit6  (1) ;  »  mais  il  sent  aussi  qu'il  a  un  devoir  a  remplir,  et  il 
le  dit  en  nobles  termes  :  «  Si  Ton  attend  que  les  princes  en  re- 
viennent  d'eux-mesmes ,  c'estenvain.  Tandis  que  les  sgavans  et 
les  sages  n'oseront  leur  en  dire  leurs  sentiments ,  les  princes  qui 
s'en  reposent  sur  leurs  officiers ,  n'en  sauront  jamais  entierement 
le  precis  (2).  » 

Dans  ce  livre  il  y  a  deux  esprits  pour  ainsi  dire ,  qui  s'entre- 
melent  comme  deux  fils  differents  sur  la  trame  d'une  etoffe.  D'un 
cote  sont  les  demonstrations  qui  s'adressent  aux  contemporains ; 
elles  peuvent  nous  paraitre  longues ,  fastidieuses ,  pueriles  par- 
fois ;  mais  c'etaient  les  raisonnements  utiles  pour  les  hommes  de 
ce  temps ,  le  langage  qu'ils  comprenaient.  Ainsi  Nicolas  insiste 
sur  ce  que  la  torture  est  une  institution  du  paganisme  romain , 
et  il  allegue  ouvertement  que  c'est  une  invention  du  diable  (3). 
II  tient  beaucoup  a  montrer  qu'il  n'y  en  a  pas  trace  dans  la  loi  de 
Moi'se ,  ni  dans  la  douce  loi  du  Christ ,  et  que  le  droit  canon  ne 
I'admet  point  (4).  »  II  soumet  surtout  a  un  examen  attentif ,  trop 
long  pour  nous ,  tons  les  textes  des  lois  romaines ,  qui  reglemen- 
tent  la  question  et  les  passages  de  Ciceron  et  d'Aristote  qu'on 
invoque  en  favour  de  la  torture.  Cependant  il  faut  remarquer 
qu'il  fait  preuve  d'un  sens  historique  assez  sur  :  il  sait  bien  que 
«  les  premiers  Remains  qui  s'en  servirent ,  n'oserent  la  pratiquer 
que  sur  les  eclaves ,  »  et  qu'il  en  fut  ainsi  «  pendant  les  bons 
siecles  de  la  Republique  romaine  (5).  »  II  montre  nettement  que 
les  accusations  de  Majesty  de  la  loi  romaine  etaient  bien  diffe- 
rentes  des  crimes  de  lese-majeste  de  la  jurisprudence  fran- 
caise  (6).    ■ 

Mais  a  cote  de  cela ,  il  y  a  d'autres  raisons  ,  qui  certainement 
sont  pour  lui  les  bonnes  et  les  vraies ;  et  ici ,  parlant  par-dessus 

(1)  P.  S2. 

(2)  p.  189. 

(3)  Voici  un  passage  entre  beaucoup  d'autres,  p.  33  :  «  Quiconqiie  fera  reflexion 
sur  la  source  et  sur  les  autheurs  de  la  torture,  ne  pourra  qu'il  ne  demeure  d'ac-  > 
cord  que  c'est  une  invention  du  Diable,  sugg^rge  a  des  payens  et  a  des  tyrans, 
pour  I'oppression  d'une  infinite  de  gens  de  bien.  » 

(4)  P.  190,  cf.  p.  81,  ssq. 

(5)  P.  10. 

(6)  P.  66. 


APPLIQUEE.  3S3 

la  tete  de  ses  contemporains ,  il  s'adresse  aux  esprits  qui  vien- 
dront  plus  tard  et  qui  sauront  le  comprendre.  On  croit  entendre 
un  homme  de  la  fin  du  xvni°  siecle  quand  il  revendique  les  droits 
de  la  raison  et  du  bon  sens.  «  Quoique  je  revere  I'autorite  des 
Lois  humaines  autant  que  personne ,  je  ne  puis  pourtant  m'y  sou- 
mettre  lorsque  le  sens  commun  y  repugne  comme  ici,  et  que  la 
raison  naturelle  y  contredit  (1).  »  —  «  Nous  voilk  remis  h  I'ega- 
lite  naturelle  et  k  la  justice  de  droit  commun,  qui  veut  que  oii  le 
danger  est  plus  grand  on  abonde  de  soins  et  de  precautions  pour 
la  seurte  de  la  preuve  (2).  »  G'est  qu'en  effet,  a  bien  des  egards, 
Augustin  Nicolas  n'est  pas  un  homme  de  son  temps.  II  est  parti- 
san de  la  tolerance  religieuse  (3),  il  a  ce  souci  de  I'observation 
"precise,  du  detail  pittoresque  et  familier,  qui  distingue  nos  habi- 
tudes d'esprit  (4).  II  se  met  personnellement  en  scene  et  fait 
appel  a  la  conscience  individuelle  :  «  Je  me  compte  le  premier 
et  je  confesse  ingenuement  que  je  suis  de  ceux  qui  prefereroient 
une  prompte  mort  a  des  douleups  si  insupportables  (la  torture)..., 
et  je  ne  fais  aucun  doute  que  tout  Thomme  de  bien  qui  ne  soit  ni 
stoi'que  ni  athlete,  confessera  la  mesme  chose  de  soy  (5).  » 

Dans  cet  ordre  d'idees ,  on  devine  comment  Nicolas  considere 
la  torture  :  «  Personne ,  dit-il ,  n'ignore  qu'une  seule  demi-heure 
de  torture  ne  contienne  en  soi  plus  de  martire  que  trois  supplices 

(1)  P.  15. 

(2)  P.  26. 

(3)  «  Notre  profession  de  christianisme  n'a  pas  6le  exempte  de  ces  funestes 
excds,  lorsqu'un  zele  mal  menag6  nous  a  fait  armer  coutre  nos  frfires  rebelles  pour 
venger  sur  eux  I'interSt  de  la  Divinity  et  I'alt^ration  de  son  culte  et  la  foy  que 
nous  lay  devons.  »  P.  50. 

(4)  Voyez  sur  la  sorcellerie,  p.  105  :  «  Que  ces  songeurs  qu'on  condamne  sur 
la  confession  de  leurs  songes,  et  qu'on  croit  sur  des  complices  d'une  vision 
imaginaire ,  puissent  avoir  eu  des  id6es  du  sabat  par  leurs  propres  sens  exii- 
rieurs,  sans  les  avoir  regeues  en  une  assistance  reelle,  il  est  plus  Evident  que  la 
clarte  du  soleil.  Quel  estl'honime  ou  la  femme,  pour  rustiques  et  campagnards 
qu'ils  puissent  estre ,  qui  ne  scache  d^sormais  jusqu'aux  circonstances  les  plus 
menues,  de  ce  qu'on  dit  estre  fait  dans  ces  sabats.  II  ne  faut  qu'avoir  este  assis 
une  demy  heure  sous  rorme  ou  soubz  la  tille  devant  I'^glise  de  son  village  en 
conversation  avec  ses  commferes ,  au  four,  au  moulin ,  aux  veill^es  d'hyver,  pour 
sQavoir  ces  particularit^s  autant  a  peu  prfes  que  Remi,  Bodin,  del  Rio  et  le  Maillet 
des  sorciers  nous  en  oat  appris.  » 

(5)  P.  29. 


334  l'ordonnance  de  1670 

de  la  potence  ou  de  I'echaffaud...  au  nom  de  Dieu  sont-ce  la  de^ 
causes  suffisantes  a  nous  faire  demembrer  un  homme  tout  "vif 
et  a  nous  exposer  au  hazard  de  le  trouver  innocent  et  tout  au 
plus  de  le  rel4cher  quoique  criminel  s'il  a  le  bonheur  d'un  charme 
ou  un  temperament  a  soutenir  ces  tourmens ,  ou  de  combler  I'in- 
justice  en  ajoutant  a  un  innocent  qui  se  confesse  coupable  par 
force  un  dernier  supplice  aux  premiers  martyres  que  nous  lui 
avons  deja  fait  souffrir?  Est-ce  que  ceci  n'arrive  pas  tons  les 
jours  (1)?  »  II  fait  voir  des  exemples  nombreux  d'innocents  ayant 
avoue  a  la  question ,  et  montre  avec  una  verite  frappante  le  juge 
s'irritant  de  plus  en  plus  contre  I'accuse  qui  ne  veut  pas  avouer  (2). 
Quant  aux  tourments  il  se  refuse  a  les  decrire  :  «  Qui  voudra 
sgavoir  I'attirail  de  cette  boucherie  n'a  qu'a  lire  les  autheurs  Ita- 
liens  qui  en  traitent...  La  veille  d'Espagne  (torture  par  la  priva- 
tion de  sommeil)  qui  oblige  un  homme  a  se  soutenir  de  tous  ses 
muscles  en  I'air  I'espace  de  sept  heures ,  pour  ne  pas  s'appuyer 
sur  un  fer  pointu  qui  lui  entre-dans  le  siege  avec  des  douleurs 
insupportables ;  la  veille  de  Marsile  ou  de  Florence...  nos  trepieds 
a  demi  rouges  pour  asseoir  de  pauvres  femmes  idiotes  accusees 
de  sortileges ,  macerees  d'une  prison  effroiable ,  chargees  de  fers 
et  de  manoles,  a  demi  pourries  dans  les  ordures  d'un  croton 
puant  et  obscur,  decharnees  et  a  demi  mortes  ,  et  on  veut  qu'un 
corps  humain  resiste  i.  des  tortures  si  diaboliques  (3)  1  » 

Le  style,  on  le  voit,  est  pathetique  et  plein  d'images;  mais 
generalement  le  discours  est  modere ,  empreint  de  pitie  et  non  de 
colere  :  on  sent  la  conscience  d'un  sage  (i).  Parfois,  excite  par 
le  langage  des  auteurs  qui  parlent  de  la  torture  en  artistes  raf- 
fines ,  il  eleve  le  ton  a  une  puissante  ironie  :  «  Binsfeld  loue  I'in- 


(1)  P.  18. 

(2)  P.  29.  « 11  est  des  juges  criminels  si  acharnez  a  tirer  la  confession  de  tous 
accusez,  qu'ils  se  plaisent  a  inventer  de  nouveaux  tourments  oil  ils  ajoutent  quel- 
que  atrocity  aux  anciens  pour  r^duire  un  accuse  a  confesser  a  quelque  prix  que 
ce  soil.  » 

(3)  P.  36. 

(4)  Des  maximes  jelees  5a  et  li  attestant  cette  largeur  d'esprit  :  P.  134  :  «  II 
est  constant  que  la  plupart  des  controverses  humaines  ont  plus  ,de  passion  que 
de  raison.  »  —  P.  70  :  «  C'est  un  vice  assez  commun  aux  hommes  de  mesurer 
Dieu  i  leurs  mesures.  » 


APPLIQUEE.  355 

vention  de  Marsile,  qui  aYoit  trouve  un  doux  moyen  de  faire 
confesser  toutes  series  d'accuses  sans  leur  rompre  bras  ni  jambes 
(park  privation  du  sommeil)...  N'est-ce  pas  la  un  doux  moyen 
de  trouver  des  mensonges  et  de  perdre  des  innocens ,  et  ne  faut- 
il  pas  une  etrange  force  de  prejuge  pour  nous  passer  cela  par  la 
bouche  d'un  prestre  et  d'un  theologien  pour  un.  petit  martire, 
ou,  comme  dit  Marsile,  pour  un  tourment  ridicule  (1).  Ce  qui  est 
deplorable  en  ces  gens  qui  donnent  tout  a  I'autorite  sans  avoir 
egard  a  la  raison ,  c'est  qu'un  aussi  scavant  homme  que  Jean 
Bodin  s'est  laisse  infatuer  lui-mesme  de  la  rigueur  barbare  et 
inhumaine  de  ces  martires ,  appelant  la  question  des  Turcs ,  qui 
est  de  flcher  des  pointes  de  fer  comme  des  aleines  entre  les  ongles 
et  la  chair  du  patient  a  tous  les  doigts  des  pieds  et  des  mains, 
et  cette  facon  de  tourmenter  d'ltalie  qu'il  appelle  la  veille  floren- 
tine,  d'excellenles  sortes  de  tourmeos  pour  faire  dire  tout  ce 
qu'on  veut  a  un  patient...  Binsfeld  ne  sgavoit-il  pas  que  les  Ita- 
liens  sont  les  hommes  du  monde  les  plus  prompts  a  se  servir  des 
tourmens,  parce  que  c'est  une  invention  de  leur  pays.  11  dit  que 
Marsile  faisoit  confesser  les  plus  robustes ,  mais  il  ne  dit  pas  ce 
que  nous  scaurons  un  jour  trop  tard  pour  beaucoup  de  juges, 
combien  de  martyrs  il  a  fait,  croyant  rencontrer  des  crimi- 
nels  (2).  » 

A  tout  cela  que  pouvait-on  repondre?  II  y  avait  une  objection 
possible,  et  Nicolas  la  prevoit;  c'est,  qu'etant  donne  le  systeme 
des  preuves  legales  tel  que  nous  I'avons  decrit,  la  torture  en 
paraissait  le  complement  necessaire ,  etant  le  seul  moyen  d'eviter 
de  scandaleuses  impunites.  II  ne  s'arrete  point  a  cette  difficulte 
et  s'il  ne  formule  pas  d'une  facon  nette  la  theorie  des  preuves 
morales,  il  la  laisse  entrevoir  du  moins,  et  par  la,  rentrant  d,ans 
la  verite,  trouve  la  vraie  solution  :  «  Mais,  dira-t-on,  si  vous 
6tez  la  confession  arrachee  par  les  tourments,  vous  nourrissez 
I'impunitedes  crimes  dans  un  estat,  et  comme  la  conviction  n'est 
pas  toujours  tres-facile,  vous  serez  contraint  de  relascher  plu- 
sieurs  criminels  douteux  par  defaut  de  preuves  et  de  confessions. 
II  y  aura  assez  de  criminels  pour  les  exercer  (les  gens  de  justice) 

(1)  P.  30. 

(2)  P.  32. 


356  l'ordonnance  de  1670 

quand  la  justice  s'en  tiendra  aux  moyens  legitimes  de  la  convic- 
tion ,  sans  risquer  son  succes  et  I'equite  de  ses  arrets  sur  des 
confessions  arrachees  a  force  de  tourmens  insupportables ,  et 
Dieu  ne  sera  pas  moins  servi  qu'on  epargne  le  sang  de  tant  d'in- 
nocents  que  de  repandre  celui  de  quelques  coupables  (1)...  On  dit 
qu'il  faut  qu'un  juge  se  contente  d'une  surete  probable ,  et  repose 
sa  conscience  sur  ce  que  les  loix  et  la  pratique  lui  proposent  pour 
regie  de  sa  conduite.  Mais  si  sa  conscience  lui  reproche  evidem- 
ment  que  la  preuve  sur  laquelle  il  fonde  son  jugement  sur  la  vie 
d'un  homme  est  incertaine ,  je  ne  voy  pas  comment  en  une  ma- 
tiere  si  grave ,  il  pent  avoir  assez  d'assurance  pour  s'en  apaiser 
en  son  particulier,  ni  I'autorite  publique  qu'il  exerce  assez  de 
justification  devant  Dieu  ni  devant  les  hommes  (2).  »  II  montre 
surtout  I'inanite  de  ces  precautions  multiples  en  faisant  voir  que 
dans  les  crimes  secrets ,  on  arrive  a  admettre  meme  les  temoins 
reprochables  (3).  »  Le  livre  de  Nicolas,  bien  entendu,  ne  con  vain- 
quit  personne.  II  ne  faudrait  pas  croire  cependant  qu'il  passa 
inapercu ;  au  xvni^  siecle,  nous  verrons  Rousseau  de  La  Combe 
leciter  avec  les  plus  grands  eloges. 

Enregistrons  enfin  pour  le  xvn°  siecle  deux  autres  protesta- 
tions moins  eclatantes  centre  la  procedure  criminelle  alors  sui- 
vie.  G'est  d'abord  une  courte  note  de  I'abbe  Fleury,  le  precep- 
teur  du  due  de  Bourgogne.  Voici  ce  qu'il  dit  dans  son  Avis  a 
Louis,  due  de  Bourgogne,  puis  dauphin  (p.  146)  :  «  Reformer 
notre  procedure  criminelle  tiree  de  I'inquisition ;  elle  tend  plus  a 
decouvrir  et  punir  les  coupables  qu'a  justifier  les  innocents  (4).  » 
L'autre  critique  s'attaque  a  I'usage  de  la  torture.  Elle  est 
cachee  dans  le  Traite  des  crimes  et  de  Vordre  judiciaire  ob- 
serve es  causes  criminelles  de  Despeisses  (5)  :  «  II  ne  faut  pas 
toujours  ajouter  foy  a  ce  qui  est  dit  en  la  question...  pour  un 
fait  incertain  on  fait  souffrir  a  I'accuse  une  peine  certaine.  Cette 
invention  de  tourmenter  est  plutdt  un  essai  de  patience  que  de 

(1)  P.  43. 

(2)  P.  55. 

(3)  P.  n. 

(4)  Cit6  par  Poullain  du  Pare,  torn.  XI,  p.  5. 

(5)  Partie  I,  tit.  x  (Edit.  Lyon,  1750,  p.  1713). 


APPLIQUEE.  3S7 

verite;  car  celuy  qui  peul  souffrir  (les  tourmens)  cache  la  ve- 
rite ,  et  celuy  pareillement  qui  ne  les  peut  souffrir.  La  douleur 
me  forcera  aussitdt  de  dire  ce  quin'est  pas  comme  elle  m'obligera 
a  confesser  ce  qui  est.  Si  celuy  qui  n'a  pas  fait  ce  dont  on  I'ac- 
cuse  est  assez  patient  pour  supporter  ces  tourmens,  pourquoi 
ne  le  sera  pas  celui  qui  I'a  fait,  une  si  belle  recompense  que 
celle  de  la  vie  lui  estant  proposee?  Etiam  innocentes  coget  mentirt 
dolor!  D'oii  il  arrive  que  celui  que  le  juge  a  applique  a  la  ques- 
tion, pour  ne  pas  le  fair©  mourir  innocent,  il  le  fait  mourir 
innocent  et  supplicie !  car  mille  et  mille  ont  charge  leurs  tetes 
de  fausses  confessions.  C'est  chose  horrible  de  rompre  un  homme 
de  la  faute  duquel  on  est  encore  en  doute.  Que  peut-il  de  I'i- 
gnorance  que  les  juges  ont  du  fait?  Ne  semble-t-il  pas  injuste 
que  pour  ne  pas  le  tuer  sans  sujet ,  on  lui  fasse  pis  que  de  le 
tuer,  etant  cette  information,  plus  penible  que  le  supplice.  II 
y  en  a  qui  sont  si  endurcis  aux  tourmens  qu'ils  ne  peuvent  ja- 
mais par  iceux  dire  la  verite;  il  y  en  a  d'autres  qui  aiment 
mieux  mourir  en  avouant  faussement  ce  qu'ils  n'ont  pas  fait 
que  de  souffrir  les  tourmens.  » 

Mais  ces  reflexions  de  quelques  esprits  isoles  ne  s'adressaient 
pas  a  la  foule.  En  1750,  I'avocat  Barbier  ne  trouve  a  dire  que 
ceci  sur  un  innocent  mis  a  la  torture  :  «  On  a  condamne ,  apres 
une  longue  prison ,  un  pauvre  cabaretier  de  Charenton  a  la  ques- 
tion ordinaire  et  extraordinaire,  qu'il  a  soufferte  pour  vol  sur 
le  grand  chemin,  dont  il  etait  innocent  suiyant  la  declaration 
du  veritable  voleur,  qui  a  ete  pris  et  qui  a  ete  rompu.  Ce  qui 
fait  voir  la  delicatesse  de  la  fonction  de  juge  dans  les  affaires 
criminelles  (1) !  » 


II. 

Cependant  peu  a  peu  les  idees  anciennes ,  la  vieille  conception 
de  la  societe,  devaient  ceder  sous  la  poussee  d'un  esprit  nouveau. 
La  philosophie  du  xvin°  siecle  se  levait,  et  pour  la  decision  de 
toutes  les  questions  sociales,  elle  n'admettait  plus  que  deux 


(1)  Journal,  IV,  p.  446. 


3S8  l'ordonnance  de  1670 

principes  :  la  raison  et  ce  sentiment  de  sympathie  pour  I'espece 
humaine,  qu'on  appela  Vhumanite  ou  la  nature  (1).  Les  philo- 
sophes ,  salon  le  mot  de  I'un  de  leurs  disciples ,  avaient  pour  cri 
de  guerre  :  raison,  tolerance,  humanite  (2). 

Quoi  de  plus  deraisonnable  qu'une  procedure  criminelle  oii 
I'accusation  est  tout  et  la  defense  rien ;  ou  le  juge ,  arme  d'un 
pouvoir  terrible ,  se  sent  en  meme  temps  enchaine  par  une  theo- 
rie  des  preuves  qui  lui  dicte  sa  decision  et  domine  sa  conviction 
intime?  Quelle  etrange  idee  d'infaillibilite ,  contradictoire  dans 
ses  termes?  Quoi  de  plus  inhumain  que  ces  longs  emprisonne- 
ments,  ces  interrogatoires  secrets  et  perfides,  cette  torture  enfm, 
qui  vient  couronner  I'ceuvre?  «  J'entends  la  voix  de  la  nature 
qui  crie  centre  moi,  «  dit  Montesquieu,  voulant  expliquer  la 
question  (3).  —  «  Si  ces  hommes  sent  coupables,  dira  Servan, 
ils  sont  encore  dignes  de  pitie;  mais  si  ces  hommes  sent  inno- 
cents, 6  douleur!  6  pitie!  A  cette  idee ,  I'humanite  pousse  du. 
fond  du  ccEur  un  cri  terrible  et  tendre  (4)!  »  —  Beccaria  de- 
clare qu'il  vient  combattre  «  avec  les  armes  de  la  raison;  »  il 
appelle  le  temps  "  ovi  la  douceur  et  I'humanite  feront  pardohner 
aux  princes  leur  puissance  (5).  »  Devant  ces  autorites  nouvelles, 
le  vieux  droit  criminel  ne  pouvait  pas  tenir  longtemps. 

Ce  n'est  pas  tout.  Ces  intelligences  actives ,  qui  veulent  refor- 
mer le  monde,  ont  entrepris  une  vaste  enquete  dans  le  passe  et 
dans  le  present :  on  cherche  ce  qui  fut  jadis,  ce  qui  existe  actuel- 
lement  dans  les  pays  etrangers.  Et  dans  ces  investigations,  les 
institutions  de  deux  peuples  ont  surtout  attire  I'attention ;  celles 

(1)  Voy.  M.  Taine  :  Les  origines  de  la  France  contemporaine ,  torn.  I,  liv.  Ill, 
oh.  Ill,  pp.  266,  ssq;  276,  ssq;  lir.  IV,  pp.  384,  ssq. 

(2)  Condorcet :  Tableau  historique  des  progris  de  I'esprii  humain,  9»  6poque. 
Condorcet  dfifinit  ce  qu'on  enteudait  par  le  mot  humanite  ou  nature  :  «  C'est  le 
sentiment  d'une  compassion  tendre,  active  pour  tons  les  maux  qui  affligent  I'es- 
pece humaine,  d'uue  horreur  pour  tout  ce  qui,  dans  les  institutions  publiques, 
dans  les  actes  du  gouveruement ,  dans  les  actions  privies,  ajoutait  des  douleurs 
nouvelles  aux  douleurs  inevitables  de  la  nature.  » 

(3)  Esprit  des  Ms,  Uv.  XVI,  ch.  17. 

(4)  Discours  de  Servan  (en  tfite  du  Code  criminel  de  Serpillon,  p.  14),  il  termine 
par  ces  mots  :  «  Celui  qui  n'aime  pas  ses  semblables  est  un  aveugle  qui  m6con- 
nait  la  nature;  celui  qui  pourrait  les  hair  est  un  monstre  qui  I'outrage.  » 

(5)  Des  dilits  et  des  peines ,  preface. 


APPLIQUEE.  359 

des  Romains  et  celles  des  Anglais.  Or,  il  se  trouye  qa'k  Rome , 
a  I'epoque  la  plus  belle  de  son  histoire ,  et  en  Angleterre  a  ce 
moment,  meme,  on  decouvre  une  procedure  penale  toute  diffe- 
rente  de  celle  qu'on  subit  :  c'.est  la  publicite  des  debats ,  la  pleine 
liberie  de  la  defense ,  le  jugement  par  des  jures.  Sans  doute ,  on 
n'avait  point  ignore  jusque-la  quelle  fut  la  procedure  criminelle 
des  Romains.  Le  vieil  Ayrault  I'avait  exposee  avec  une  science , 
qui  fait  de  son  livre  admirable  un  ouvrage  classique ,  bu  la  cri- 
tique francaise  et  allemande  ya  de  nos  jours  encore  puiser  des 
renseignements.  C'etait  meme  cet  exemple  des  anciens  qu'il  invo- 
quait  sans  cesse  centre  les  methodes  detestables  de  son  temps. 
Mais  sa  voix  n'avait  pas  ete  entendue.  La  notion  historique  de 
ces  faits  n'en  subsista  pas  moins ;  c'est  ainsi  qu'on  la  trouve  dans 
Imbert  (1).  Lamoignon  disait  dans  les  conferences  sur  I'Ordon- 
nance  :  «  Si  on  vouloit  comparer  notre  procedure  criminelle  a 
celle  des  Romains  et  des  autres  nations,  on  trouveroit  qu'il  n'y  en 
a  point  de  si  rigoureuse  que  celle  qu'on  observe  en  France  (2).  » 
«  A  Rome,  ecrit  Muyart  de  Vouglans,  I'accusation  etoit  publique, 
I'accuse  avoit  I'avantage  de  connoitre  en  meme  temps  et  son 
accusateur  qu'il  pouvoit  recriminer,  et  les  temoins  qu'on  lui 
opposoit  qu'il  pouvoit  reprocher,  et  enfin  le  crime  dont  on  I'ac- 
cusoit,  centre  lequel  il  pouvoit  fournir  aussitot  ses  defenses, 
auxquelles  I'accusateur  etoit  oblige  de  repliquer  sur-le-champ 
ou  dans  un  bref  delai  qui  lui  etoit  accorde ;  il  pouvoit  de  plus 
se  faire  assister  d'un  avocat  (3).  »  Tout  cela  n'inquietait  point  nos 
jurisconsultes  et  ne  les  faisait  point  douter  de  la  bonte  de  leurs 
usages.  Le  droit  remain,  ailleurs  si  respecte,  n'avait  plus  d'in- 
fluence  sur  ce  point.  Mais  les  novateurs  s'empresseront  de  ramas- 
ser  cette  arme.  Montesquieu  cite  constamment  les  lois  de  Rome 
en  matiere  penale;  Voltaire  ecrit  :  «  Chez  les  Romains  les  te- 
moins etaient  entendus  publiquement ,  en  presence  de  I'accuse 
qui  pouvait  leur  repondre,-les  interl-oger  lui-meme  ou  leur  mettre 
en  tete  un  avocat.  Cette  procedure  etait  noble  et  franche ;  elle  res- 

(1)  Pratique,  liv.  Ill,  chap.  13,  n»  3. 

(2)  Prods-verbal ,  p.  163. 

(3)  Instit.  crim.,  part.  Ill ,  ch.  2 ,  p.  69. 


360  l'ordonnange  de  1670 

pirait  la  magnanimite  romaine  (1).  »  A  la  Constituante,  on  enten- 
dra  parler  du  jury,  «  comme  ckez  les  Romains  (2).  »  Mais  c'est 
surtout  vers  I'Angleterre  que  se  tournent  les  yeux ,  vers  I'Angle- 
terre  qui  a  su  conserver  la  liberte  politique  et  avec  elle  toutes  les 
autres.  Souvent  c'est  dans  la  bouche  d'un  Anglais  que  nos  philo- 
sophes  mettent  leurs  theories  politiques  (3).  Parmi  les  institutions 
du  peuple  anglais ,  il  n'en  etait  pas  de  plus  parfaite  que  la  proce- 
dure criminelle.  Montesquieu  la  cite  souvent  alors  memo  qu'il 
ne  la  nomme  pas  (4),  et  "Voltaire  ne  se  lasse  pas  de  rappeler  ce 
qui  se  passe  au  dela  de  la  Manche  :  «  C.  De  tous  les  Etats ,  quel 
est  celui  qui  vous  parait  avoir  les  meilleures  lois,  la  jurisprudence 
la  plus  conforme  au  bien  general  et  au  bien  des  particuliers?  — 
A.  C'est  notre  pays  (I'Angleterre)  sans  contredit.  La  preuve  en  est 
que  dans  tous  nos  demelesnous  vantons  toujours  notre  heureuse 
constitution ,  et  que  dans  presque  tous  les  autres  royaumes  on 
en  souhaite  une  autre.  Notre  jurisprudence  criminelle  est  equi- 
table et  n'est  point  barbare.  Nous  avons  aboli  la  torture ,  contre 
laquelle  la  nature  s'eleve  en  vain  dans  d'autres  pays.  Ce  moyen 
affreux  de  faire  perir  un  innocent  faible ,  et  de  sauver  un  cou- 
pable  robuste  a  fini  avec  notre  infame  chancelier  Jeffreys,  qui 
employait  avec  joie  cet  usage  infernal  sous  le  roi  Jacques  II;  on 
ne  refuse  point  comme  ailleurs  un  conseil  k  I'accuse ;  on  ne  met 
point  un  temoin  qui  a  porte  trop  legerement  son  temoigaage  dans 
la  necessite  de  mentir,  en  le  punissant  s'il  se  retracte ;  on  ne  fait 
point  deposer  les  temoins  en  secret,  ce  serait  en  faire  des  dela- 
teurs ,  la  procedure  est  publique ;  les  proces  secrets  n'ont  ete 
inventes  que  par  la  tyrannic  (5).  »  —  «  Heureusement ,  en  Angle- 
terre  aucun  proces  n'est  secret,  parce  que  le  chatiment  des 
crimes  est  destine  a  etre  une  instruction  publique  aux  hommes 
et  non  pas  une  vengeance  particuliere ;  les  interrogatoires  se  font 
a  portes  ouvertes  et  tous  les  proces  interessants  sent  publics  dans 

(1)  Commentaire  sur  le  TraiU  des  ddits  et  des  peines,  ch.  22. 

(2)  M.  Mougin  :  «  L'etablissement  de  quelques  jurfe  suivant  le  mode  qui  etait 
en  usage  chez  les  Romaios.  »  Seance  du  27  octobre  1790.  Monitevr  du  29. 

(3)  Mably  :  Des  droits  el  des  devoirs  du  citoyen. 

(4)  Espril  des  Lois,  1.  YI,  ch.  2  et  3  ;  liy.  XII ,  ch.  2. 

(5)  L'A  B  C,ou  Dialogues  entre  A,BetC  (quinziSme  entretien). 


APPLIQUEE.  361 

les  journaux  (1).  »  —  «  En  Angleterre,  un  simple  emprisonne- 
ment  ftiit  mal  a  propos  est  repare  par  le  ministre  qui  I'a  or- 
donne  (2).  »  —  «  En  Angleterre ,  ile  fameuse  par  tant  d'atroci- 
tes  et  par  tant  de  bonnes  lois,  les  jures  etaient  eux-memes  les 
avocats  de  I'accuse.  Depuis  le  temps  d'Edouard  VI  ils  aidaient 
sa  faiblesse ,  ils  lui  suggeraient  toutes  les  manieres  de  se  defen- 
dre ;  mais  sous  le  regne  de  Charles  II  on  accorda  le  ministere  de 
deux  avocats  a  tout  accuse ,  pares  qu'on  considere  que  les  jures 
ne  sont  juges  que  du  fait,  et  que  les  avocats  connaissent  mieux 
les  pieges  et  les  evasions  de  la  jurisprudence.  En  France,  le  Code 
criminel  parait  ^tre  dirige  pour  la  perte  des  citoyens ,  en  Angle- 
terre ,  pour  leur  sauvegarde  (3).  »  Bientdt  le  livre  imparfait  mais 
tres-lumineux  de  de  Lolme  attirera  I'attention  sur  la  procedure 
par  jures  comme  sur  toutes  les  institutions  anglaises  (4) ;  la  tra- 
duction des  Commentaires  de  Blakstone  passera  de  main  en 
main  (5) ;  et  lorsque  la  Revolution  viendra  realiser  le  programme 
des  philosophes ,  c'est  1' Angleterre  qui  fournira  pour  le  droit  cri- 
minel un  modele  aux  constituants. 

Voila  les  nouveaux  principes ,  et  les  nouveaux  modeles  qu'on 
se  propose  de  suivre.  Le  vieux  droit  penal ,  la  vieille  procedure 
sont  attaques  de  toutes  parts.  Des  1721,  Montesquieu,  dans  les 
Lettres  persanes,  etablit  ses  axiomes  profonds  sur  la  nature  et 
I'efficacite  des  peines  (6) ;  puis  dans  les  livres  VI  et  XII  de  VEs- 
prit  des  lois,  il  pose  les  vrais  principes  du  droit  penal  et  de  la 
procedure  criminelle.  Vient  ensuite  Beccaria ,  le  disciple  de  Mon- 
tesquieu (1766).  Rousseau,  preoccupe  avant  tout  des  questions 
de  morale  et  de  politique ,  s'occupe  peu  des  lois  criminelles ;  il 
leur  consacre  un  mot-  en  passant  dans  le  Contrat  social;  mais  sur 
le  droit  penal  ses  principes  devaient  avoir  dans  la  suite  la  plus 
haute  influence.  Voltaire  fut  surtout  en  ces  matieres  le  grand 

(1)  Histowe  d'Misabelh  Canning  et  de  Calas. 

(2)  Comment,  des  dUits  etdes  peines,  ch.  32. 

(3)  Prix  de  la  justice  el  de  V humanity ,  art.  32  (1777). 

(4)  Constitution  de  V Angleterre,  par  M.  de  Lolme  (nouTelle  Edition,  Geneve 
1790),  torn.  I,  liv.  I,  ch.  11  et  12.  De  la  justice  criminelle. 

(5)  Voyez  aussi :  Recherches  sur  les  cours  et  les  procedures  criminelles  d' Angle- 
terre, extraites  des  Commentaires  de  Blakstone,  1790. 

(6)  Lettres  persanes.  Lettre  78. 


362  l'ordonnance  de  1670 

ap6tre  et  le  propagateur  de  la  bonne  doctrine.  II  y  revientsans 
cesse  dans  de  nombreux  ecrits  :  Memoires  pour  les  Calas;  Histoire 
d' Elisabeth  Canning;  Relation  de  la  mort  du  chevalier  de  La  Barre; 
La  mdprise  d' Arras;  Proces  criminel  du  sieur  Montbailly  et  de  sa 
femme;  Commentaire  sur  le  Traite  des  dilits  et  des  peines;  Trait6 
de  la  tolerance ;  Prix  de  la  justice  et  de  I'humanite;  la  liste  est 
longue  et  elle  n'est  pas  complete. 

Ce  ne  sont  la  que  les  voix  les  plus  hautes ;  a  cote  des  maitres 
parlent  les  disciples ,  et  lis  sont  nombreux.  Nous  ne  pouvons  en- 
trer  dans  le  detail  de  ces  CEuvres ;  mais  il  nous  parait  utile  d'ana- 
lyser  les  idees  des  trois  hommes.  qui  firent  le  plus  parmi  les  , 
philosophes  pour  la  reforme  de  la  loi  criminelle  :  Montesquieu, 
Beccaria  et  Voltaire. 


III. 

Montesquieu,  pour  la  procedure  criminelle,  comme  pour  le 
droit  penal ,  s'en  tient  aux  idees  generales  :  «  La  liberte  politi- 
que ,  dit-il ,  consiste  dans  la  sdrete ,  ou  du  moins  dans  I'opinion 
qu'on  a  de  sa  stirete.  Cette  surete  n'est  jamais  plus  attaquee  que 
dans  les  accusations  publiques  ou  privees.  C'est  done  de  la  bonte 
des.lois  criminelles  que  depend  principalement  la  liberte  du 
citoyen...  Les  connaissances  que  Ton  a  acquises  dans  quelques 
pays,  que  Ton  acquerra  dans  d'autres  sur  les  regies  les  plus 
sures  que  Ton  puisse  tenir  dans  les  jugements  criminels,  inte- 
ressent  le  genre  humain  plus  qu'aucune  chose  qu'il  y  ait  au 
monde.  Ce  n'est  que  sur  la  pratique  de  ces  connaissances  que  a 
liberte  pent  etre  fondee ,  et  dans  un  etat  qui"  auroit  la-dessus  les 
meilleures  lois  possibles ,  un  homme  a  qui  on  feroit  son  proces 
et  qui  devroit  etre  pendu  le  lendemain ,  seroit  plus  libre  qu'un 
pacha  ne  Test  en  Turquie  (1).  »  Voila  un  axiome  capital  :  la 
procedure  criminelle  ne  regarde  pas  seulement  les  malfaiteurs ; 
elle  est  la  garantie  de  toutes  les  libertes ;  c'est  ainsi  que  Rossi 
dira  :  «  Le  Jury  et  le  Parlement  anglais  sont  les  colonnes  d'un 
meme  edifice.  » 

(1)  Esprit  des  Lois.  H\r.  XII,  ch.  2. 


APPLIQUEE.  363 

Mais  a  quelles  conditions  les  lois  criminelles  seront-elles  reel- 
lement  protectrices  ?  II  faudra  deux  choses  ;  des  formes  certaines 
et  la  possibilite  d'une  libra  defense.  «  Dans  les  republiques  il 
faut  pour  le  moins  autant  de  formalites  que  dans  les  monarchies. 
Dans  I'un  et  I'autre  gouvernement ,  elles  augmentent  en  raison 
du  cas  que  Ton  y  fait  de  I'honneur,  de  la  fortune ,  de  la  vie  et  de 
la  liberie  des  citoyens...;  dans  les  Etats  moderes,  ou  la  tete  du 
moindre  citoyen  est  considerable ,  on  ne  lui  ote  son  honneur  et 
ses  biens  qu'apres  un  long  examen,  on  ne  le  prive  de  la  vie  que 
lorsque  la  patrie  elle-meme  I'attaque ,  et  elle  ne  I'attaque  qu'en 
lui  laissant  tous  les  moyens  possibles  de  se  defendre  (1).  » 
Ajoutez  a  cela  la  necessite  de  lois  fixes  qui  ne  laissent  rien  a 
I'arbitraire  du  juge  (2),  et  on  aura  la  theorie  de  Montesquieu. 

Quant  au  detail,  avons-nous  dit,  il  I'a  peu  traite;  deux  ou 
trois  points  seulement  ont  ete  degages  par  lui.  Pour  I'accusation 
il  admet  I'institution  du  ministere  public,  qui  devait  en  effet 
survivre  a  I'ancien  droit ,  apres  une  courte  disparition  :  «  Nous 
avons  aujourd'hui  une  loi  admirable ;  c'est  celle  qui  veut  que  le 
prince,  etabli  pour  faire  executer  les  lois,  prepose  un  officier 
dans  chaque  tribunal  pour  poursuivre  en  son  nom  tous  les 
crimes ;  de  sorte  que  la  fonction  des  delateurs  est  inconnue  parmi 
nous,  et,  si  ce  vengeur  public  etait  soupconne  d'abuser  de  son 
ministere,  on  I'obligeroit  de  nommer  son  denonciateur  (3).  »  Mon- 
tesquieu a  fletri  la  torture  (4) ;  mais ,  chose  curieuse ,  il  approuve 
sinon  le  systeme  entier  des  preuves  legales,  au  moins  la  regie 
qui  veut  que  deux  temoins  soient  necessaires  pour  prononcer 
une  condamnation  (S) ;  sur  ce  point ,  Voltaire  sera  plus  clair- 
voyant. 

Le  Traits  des  Mlits  et  des  peines  du  marquis  de  Beccaria  fut 
publie  a  Milan  en  langue  italienne  (6),  mais  une  traduction  en 

(1)  Esprit  des  Lois.  Liv.  VI,  ch.  22. 

(2)  Ibid.  U<r.  VI,  ch.  3. 
{3)/6id.  Liv.  VI,  ch.  8. 
{i)  Ibid.  Liy.  VI,  ch.  17. 
(5)/6id.  Liv.XII,ch.  3. 

\(6)  Quant  k.  I'inflaence  des  philosophes  frangais  sur  Beccaria,  voyez  M.  Paul 
Janet  :  Histoire  de  laphilosophie  morale  et  politique,  tome  II,  pp.  412,  ssq. 


364  l'ordonnance  de  1670 

francais  par  Morellet  parut  au  mois  de  fevrier  1766  (1).  Son 
influence  fut  immense,  plus  grande  encore  en  France  qu'en 
Italie. 

Avec  Beccaria  nous  entrons  dans  le  detail;  apres  quelques 
chapitres  consacres  a  la  necessite  des  peines  fixes ,  il  attaque  les 
abus  de  la  detention  preventive  (ch.  vi),  les  accusations  secretes 
(ch.  ix),  le  serment  impose,  aux  accuses  (ch.  xi),  les  interroga- 
toires  suggestifs  (ch.  x),  et  enfin  la  torture.  II  demande  la^  pu- 
blicite  des  jugements  et  des  procedures  :  «  Que  les  jugements 
soient  publics ;  que  les  preuves  du  crime  soient  publiques ,  et 
I'opinion ,  qui  peut  etre  le  seul  lien  des  societes ,  mettra  un  freia 
a  la  violence  et  aux  passions  (ch.  vii).  « 

Quant  au  systeme  des  preuves ,  evidemment  il  tend  vers  les 
preuves  morales  :  il  prefere  «  I'ignorance  qui  juge  par  le  sen- 
timent ;  »  —  «  pour  juger  il  ne  faut  que  le  simple  bon  sens  et  ce 
guide  est  moins  trompeur  que  tout  le  savoir  d'un  juge.  »  Cepen- 
dant  il  dit  aussi  :  «  II  est  important ,  dans  une  bonne  legislation, 
de  determiner  d'une  maniere  exacte  le  degre  de  confiance  que 
Ton  doit  accorder  aux  temoins  et  la  nature  des  preuves  neces- 
saires  pour  constater  le  delit  (ch.  viii).  » 

Les  reformes  qu'il  reclame,  on  le  voit,  ne  sontpas  en  realite 
bien  hardies ;  elles  ne  vont  pas  beaucoup  au  dela  de  ce  que  deman- 
dait  jadis  le  president  de  Lamoignon.  Mais  toutcela  etait  reclame 
comme  les  droits  de  la  raison ,  et  Ton  comprend  I'emotion  pro- 
fonde  que  le  livre  causa ;  les  principes  du  droit  penal  proprement 
dit  y  tenaient  d'ailleurs  une  grande  place.  «  Beccaria,  dit  Con- 
dorcet,  refutait  en  Italie  les  maximes  barbares  de  la  jurispru- 
dence frangaise.  »  Morellet,  le  traducteur  de  I'ouvrage,  envoya 
a  Beccaria  les  felicitations  de  tous  les  philosophes  frangais  : 
«  Je  suis  particulierement  charge  de  vous  faire  les  remerciements 
et  les  compliments  de  M.  Diderot,  de  M.  Helvetius,  de  M.  de 
BuiTon...  J'ai  porte  votre  livre  a  M.  Rousseau;...  M.  Hume  ,  qui 
vit  avec  nous  depuis  quelque  temps ,  me  charge  de  vous  dire 


(1)  Lettre  de  Morellet,  a  Beccaria,  1766  :  «  C'est  M.  Malesherbes,  avec  qui  j'ai 
riionneur  d'etre  116,  qui  m'a  engag6  k  faire  passer  votre  ouvrage  dans  notre 
langue ,  il  y  a  aujourd'hui  huit  jours  que  ma  traduction  a  paru.  » 


APPLIQUBE.  365 

mille  choses  de  sa  part...  Je  ne  vous  parle  pas  de  M.  d'Alem- 
bert  qui  a  du  vous  ecrire  (1).  » 

Voltaire  a  commente  le  Timte  des  d&,its  et  des  peines;  mais 
ses  oeuvres  consacrees  a  la  legislation  criminelle  ont  pour  nous 
un  interet  bien  plus  vif  que  le  livre  de  Beccaria.  Dans  Voltaire, 
en  effet ,  nous  allons  trouver,  non  plus  de  nobles  generalites  ou 
des  tirades  genereuses ,  mais  la  critique  precise ,  presque  techni- 
que de  rOrdonnance  de  1670.  II  apporte  ici  la  lumiere  de  son 
admirable  bon  sens ,  jointe  a  ce  besoin  d'information  precise  qui 
lui  est  propre. 

«  L'Ordonnance  criminelle ,  dit-il ,  en  plusieurs  points  sem- 
ble  n'avoir  ete  dirigee  qu'a  la  perte  des  accuses.  C'est  la  seule 
loi  qui  soit  uniforme  dans  tout  le  royaume.  Ne  devrait-elle  pas 
etre  aussi  favorable  a  I'innocent,  que  terrible  au  coupable  (2)? 
Cette  procedure  est  bien  plus  rigoureuse  depuis  1670,  elle  eiit 
ete  bien  plus  douce,  si  le  plus  grand  nombre  des  commissaires  eM 
pense  comme  M.  de  Lamoignon  (3).  »  On  peut  suivre  toutes  les 
phases  de  la  procedure  dans  la  critique  que  Voltaire  en  fait.  ll  ne 
dit  rien  des  plaintes  et  denonciations  par  lesquelles  commence  le 
proces;  et,  en  effet,  il  n'y  avait  en  cette  matiere  que  de  sages 
prescriptions,  qui  ont  subsiste  (4).  Arrive  a  I'information ,  il  se 
trouve  en  face  de  deux  abus ,  le  secret  et  les  monitoires  :  «  S'il 
y  a  quelques  cas  ou  un  monitoire  est  necessaire ,  il  y  en  a  beau- 
coup  d'autres  ou  il  est  tres-dangereux ;  il  invite  les  gens  de  la  lie 
du  peuple  a  porter  des  accusations  centre  les  personnes  elevees 
au-dessus  d'eux  dont  ils  sent  toujours  jaloux...  II  n'y  a  peut-etre 
rien  de  plus  illegal  dans  les  tribunaux  de  I'lnquisition ,  et  une 
grande  preuve  de  I'illegalite  de  ces  monitoires ,  c'est  qu'ils  ne 
viennent  point  directement  des  magistrats ;  c'est  le  pouvoir  eccle- 
siastique  qui  les  decerne  (5).  » 

(1)  Lettre  de  Morellet  t  Beccaria,  f^vrier  1766. 

(2)  Commentaire  du  TraiU  des  dilits  et  des  peiiaes,  ch,  xxiii. 

(3)  Ibid. 

(4)  Par  ime  singuliere  idie,  il  regrette  la  disparition  de  rancienne  accusation 
par  parKe  formie  :  «  Heureuses  les  nations  assez  sages  pour  statuer  que  tout  accu- 
sateur  se  mettrait  en  prison  en  faisant  enfermer  I'accus^.  C'est  de  toutes  les  lois 
la  plus  juste.  »  Prix  de  la  justice  et  de  I'humaniti,  art.  xxii,  §  3. 

(5)  Relation  de  la  mart  du  chevalier  de  La  Barre.  «  II  n'y  avait  point  de  preuve 


366  l'okdonnancb  de  1670 

Sur  le  secret  de  la  procedure  les  remarques  abondent :  «  Toutes 
les  procedures  secretes  ressemblent  peut-etre  trop  a  la  meche 
qui  brule  imperceptiblement  pour  mettre  le  feu  a  la  bombe.  — 
Est-ce  a  la  justice  a  etre  secrete  ?  II  n'appartient  qu'au  crime  de 
se  cacher.  C'est  la  procedure  de  I'lnquisition  (1).  »  —  «  Chez 
nous  tout  se  fait  secretement.  Un  seul  juge  avec  son  greffler  en- 
tend  chaque  temoin,  I'un  apres  I'autre.  Cette  pratique,  etablie  par 
Francois  1",  fut  autorisee  par  les  commissaires  de  Louis  XIV,  qui 
redigerent  I'Ordonnance  de  1670.  Une  meprise  seule  en  fut  la 
cause.  On  s'etait  imagine  en  lisant  le  Code  de  Testibus  que  ces 
mots  :  testes  intrare  judicis  seeretum  signifiaient  que  les  temoins 
seraient  iaterroges  en  secret.  Mais  seeretum  signifie  le  cabinet  du 
juge  :  intrare  seeretum,  pour  dire  parler  secretement  ne  serait  pas 
latin.  Ce  fut  ua  solecisme  qui  fit  cette  partie  de  notre  jurispru- 
dence (2).  »  Ici  Voltaire  cede  a  ce  penchant  pour  I'anecdote  qui 
lui  fait  souvent  chercher  dans  de  petits  faits  la  cause  de  grands 
evenements ;  sans  doute ,  dans  Bornier  qu'il  cite ,  on  trouve  bien 
cette  meprise  indiquee  comme  la  cause  de  «  cet  usage  ou  plutot 
cet  abus  d'ouir  les  temoins  secretement  (3),  »  mais  nous  savons 
comment  s'introduisit  et  se  maintint  la  procedure  secrete.  Pen 
importe ,  le  publiciste  fait  fleche  de  tout  bois.  Le  recolement  ne 
parait  pas  a  Voltaire  moins  defectueux  que  la  premiere  deposi- 
tion :  «  Les  deposants  sent  pour  I'ordinaire  des  gens  de  la  lie  du 
peuple,  a  qui  le  juge,  enferme  avec  eux,  peut  faire  dire  tout  ce 
qu'il  voudra.  Ces  temoins  sont  entendus  une  seconde  fois,  tou- 
jours  en  secret ;  ce  qui  s'appUe  le  recolement  (4).  » 

Ces  temoins,  comment  I'accuse  pourra-t-il  les  confondre?  Au 
moyen  de  la  confrontation;  mais  <(  la  loi  semble  obliger  le  magis- 
trat  a  se  conduire  envers  I'accuse  plutot  en  ennemi  qu'en  juge. 
Le  juge  est  le  maitre  d'ordonner  la  confrontation  ou  de  I'omettre 


centre  mes  parents,  dit  Donat  Galas  dans  son  Mtooire ,  et  ne  pouvait  y  en  avoir, 
on  eut  recours  a  un  monitoire...  On  supposait  le  crime  et  on  demandait  la  reve- 
lation des  preuves.  » 

(1)  Prix  de  la  justice,  art.  xxu,  §  5. 

(2)  Comment,  sur  le  Traiti  des  dilits  etdespeines,  ch.  xxtii. 

(3)  Bornier,  surl'article  11,  titre  vtde  I'Ordonnance  de  1670  (torn.  II,  p.  82). 

(4)  Commenlaire  sur  le  Traiti  des  dilits  et  des  peines ,  art.  xxiii. 


APPLIQUEE.  367 

\^si  besoin  est,  confrontez  dit  rOrdonnance).  L'usage  semble  en 
ce  point  contraire  a  la  loi  qui  est  equivoque ;  il  y  a  toujours  con- 
frontation; mais  le  juge  ne  confronte  pas  toujours  tous  les  te- 
moins,  il  omet  ceux  qui  ne  lui  semblent  pas  faire  une  charge 
considerable ;  cependant  tel  temoin  qui  n'a  rien  dit  contre  I'accuse 
dans  I'information  peut  deposer  en  sa  favour  a  la  confrontation; 
le  temoin  peut  avoir  oublie  des  circonstances  favorables  au  pre- 
venu.  Le  juge  peut  lui-meme  n'avoir  pas  senti  d'abord  Timpor- 
tance  de  ces  circonstances  et  ne  pas  les  avoir  redigees  (1).  »  D'ail- 
leurs  la  confrontation  est  illusoire  :  «  Si  apres  le  recolement  ils 
(les  temoins)  se  retractent  dans  leurs  depositions  ou  s'ils  changent 
dans  des  circonstances  essentielles,  ils  sent  punis  comrae  faux- 
temoins.  De  sorte  que  lorsqu'un  hpmme  d'esprit  simple,  et  ne 
sachant  pas  s'exprimer,  mais  ayant  le  ccEur  droit  et  se  souvenant 
qu'il  a  dit  trop  ou  trop  pen ,  qu'il  a  mal  entendu  le  juge ,  ou  que 
le  jugel'a  mal  entendu,  revoque  ce  qu'il  a  dit  par  un  principe 
de  justice ,  il  est  puni  comme  un  scelerat  et  il  est  force  souvent 
de  soutenir  un  faux-temoignage  par  la  seule  crainte  d'etre  traite 
en  faux-temoin  (2).  » 

L'accuse  d'ailleurs  est  seul  et  sans  conseil  :  «  Plonger  un 
homme  dans  un  cachot  ,«l'y  laisser  seul  en  proie  ,  a  son  effroi  et 
a  son  desespoir,  I'interroger  seul  quand  sa  memoire  doit  etre 
egaree  par  les  angoisses  de  la  crainte  et  du  trouble  entier  de  la 
machine,  n'est-ce  pas  attirer  un  voyageur  dans  une  caverne  de 
voleurs  pour  I'y  assassiner?  C'est  surtout  la  methode  de  I'lnqui- 
sition.  Ce  mot  seul  imprime  I'horreur  (3).  »  «  S'il  s'agit  d'un 
crime,  leprevenu  ne  peut  avoir  d'avocat;  alors  il  prend  le  parti 
de  la  fuite.  C'est  ce  que  toutes  les  maximes  du  barreau  lui  con- 
seillent...  quoi,  votre  loi  permet  qu'un  concussionnaire ,  unban- 
queroutier  frauduleux  ait  recours  au  ministere  d'un  avocat  et 
tres-souvent  un  homme  d'honneur  est  prive  de  ce  secours  (4)  1  » 

Enfin  vient  la  derniere  cruaute ,  la  derniere  absurdite ,  la  tor- 
ture :  wpuisqu'il  est  encore  des  peuples  Chretiens!  que  dis-je?  des 

(1)  Comment,  des  dilits  et  des  peines,  art.  xxiii. 

(2)  IMd. 

[S)  Prix  de  la  justice,  art.  xxxiii. 

(i)  Comment,  des  dMits  el  despeines,  cb.  xiaii. 


368  l'ordonnance  de  1670 

pretres  Chretiens ,  des  moines  Chretiens  qui  emploient  la  torture 
pour  leur  principal  argument,  il  faudrait  commencer  par  leur 
dire  que  les  Caligula,  les  Neron,  n'oserent  jamais  exercer  cette 
fureur  centre  un  seul  citoyen  remain...  On  ne  rencontre  dans  les 
livres  qui  tiennent  lieu  de  Code  en  France  que  ces  mots  affreux  : 
question  preparatoire ,  question  provisoire,  question  extraordi- 
naire ,  question  avec  reserve  des  preuves ,  question  sans  reserve 
des  preuves ,  question  en  presence  de  deux  conseiUers,  question 
en  presence  d'un  medecin,  d'un  chirurgien,  question  qu'on  donne 
aux  femmes  et  aux  filles,  pourvu  qu'elles  ne  soient  pas  enceintes. 
II  semble  que  tous  ces  livres  aient  ete  composes  par  le  bour- 
reau  (1).  » 

Plus  loin,  citant  un  passage  de  d'Aguesseau,  ou  celui-ci 
declare  que  si  la  preuve  n'est  pas  complete  on  ne  peut  ordon- 
ner  que  la  question  ou  un  plus  ample  informe,  il  s'ecrie  :  «  Quel 
est  done  I'empire  du  prejuge,  illustre  chef  de  la  magistrature  ? 
Quoil  vous  n'avez  point  de  preuves,  et  vous  punissez  pendant 
deux  heures  un  malheureux  par  mille  morts ,  pour  lui  en  donner 
une  d'un  moment...  Est-il  possible,  qu'il  vous  soit  egal  d'ordon- 
ner  des  tourments  ou  un  plus  ample  informe !  quelle  epouvan- 
table  et  ridicule  alternative!  »  II  con»ait  bien  la  jurisprudence 
sur  ce  point :  «  malheureusement,  on  ne  convient  pas  trop  quels 
sont  les  indices  assez  puissants  pour  engager  un  juge  a  com- 
mencer par  disloquer  les  membres  de  son  egal  par  le  tourment 
de  la  question.  L'Ordonnance  de  1670  n'a  rien  statue  sur  cette 
affreuse  operation  preliminaire.  Un  indice  n'est  precisementqu'une 
conjecture.  Du  moins  la  torture  ne  doit  etre  ordonnee  en  France 
que  quand  il  existe  un  corps  de  delit  (2).  » 

Voltaire,  sans  peut-etre  se  rendre  un  compte  tres-exactde  I'im- 
portance  des  preuves  legales  dans  1' ensemble  du  systeme,  est 
celui  qui  les  a  attaquees  le  plus  vigoureusement  :  «  Dieu  de 
justice,  que  d'exemples  de  ces  erreurs  meurtrieres  qui  se  renou- 
vellent  chaque  annee  en  Europe  dans  presque  tous  ces  tribu- 
naux  gouvernes  par  la  compilation  de  Justinien  ou  par  I'ancienne 

(1)  Prixde  la  justice ,  art.  xxiv.  • 

(2)  La  miprise  cC Arras. 


APPLIQUEE.  369 

coutume  feodale !  Le  ccEur  se  fletrit  et  la  main  tremble  quand 
on  se  rappelle  combien  d'horreurs  sont  sorties  du  sein.de  ces 
lois  memes.  Alors  on  serait  tente  de  souhaiter  que  toute  loi  iti 
abolie,  et,  qu'il  n'y  en  eM  d' autre  que  la  conscience  et  le  bon 
sens  des  magistrats.  Mais  qui  nous  repondra  que  cette  cons- 
cience et  ce  bon  sens  ne  s'egarent  pas  (1)?  »  Et  ailleurs  :  «  Le 
Parlement  de  Toulouse  a  un  usage  bien  singulier  dans  les  preu- 
ves  par  temoins.  On  admet  ailleurs  des  demi-preuves,  qui  au 
fond  ne  sont  que  des  doutes,  car  on  sait  qu'il  n'y  a  point  de 
demi-verites ;  mais  a  Toulouse  on  admet  des  quarts  et  des  hui- 
tiemes  de  preuves.  On  y  peut  regarder  par  exemple  un  oui-dire 
•  comma  un  quart ,  un  autre  oui-dire  plus  faible  comme  un  hui- 
tieme ,  en  sorts  que  huit  rumeurs ,  qui  ne  sont  qu'un  echo  dans 
un  bruit  mal  fonde,  peuvent  devenir  una  preuve  complete;  et 
c'est  a  peii  pres  sur  ce  principe  qua  Jean  Galas  fut  condamne 
a  la  roue.  Las  lois  da  Rome  exigaaiant  des  preuves  luce  meridiana 
clariores  (2)...  Quel  est  I'homme  qua  cette  procedure  n'epou- 
vante  pas  ?  quel  est  I'homme  qui  puisse  etra  stir  de  n'y  pas  suc- 
comber?  0  juges,  voulez-vous  que  I'innocent  accuse  ne  s'enfuie 
pas ,  facilitez-lui  les  moyens  de  se  defendre !  » 

Les  droits  de  la  defense ,  tal  est  la  mot  qui  sort  de  toutes  les 
bouches.  Pour  qu'ils  soient  respectes,  cas  droits  sacres ,  que 
faut-il?  La  publicite,  I'assistanca  d'un  avocat,  I'abolition  de  la 
torture ,  la  theorie  des  preuves  morales ;  voila  a  quoi  se  bornent , 
pour  le  moment ,  les  reclamations  das  publicistes;  c'est  sur  cas 
points  qu'ils  demandent  des  reformes  legislatives.  «  Si  un  jour, 
dit  Voltaire,  des  lois  humaines  adoucissent  en  France  qualques 
usages,  sans  pourtant  donner  des  facilites  au  crime,  il  est  a 
croire  qu'on  reformera  les  articles  ou  les  redacteurs  ont  paru  se 
livrer  a  un  zele  trop  severe  (3). 

Mais ,  au  dala ,  las  philosophes  entrevoient  quelque  chose  de 
plus  grand  et  de  plus  juste,  c'est  le  jugement  par  les  jures. 

(1)  Prise  de  la  justice,  art.  xxii,  §  2. 

(2)  Commentaire  du  livre  des  dilits  et  des  peines,  ch.  xxiii.  A  c6tS  des  passages 
que  nous  arons  cit^s ,  voyez  en  un  autre  oil  Voltaire  resume  toute  son  argumen- 
tation {Comment.,  ch.  xxm). 

(3)  Commentaire  du  livre  des  d4Uts  et  des  peines,  ch.  xxiir. 

24 


370  l'ordonnance  de  1670 

«  En  Angleterre,  dit  Montesquieu,  les  jures  decident  si  le  fait  qui 
a  ete  porte  devant  eux  est  prouve  ou  non ;  et  s'il  est  prouve ,  le 
juge  prononce  la  peine  que  la  loi  inflige  pour  ce  fait,  et  pour 
cela  il  ne  lui  faut  que  des  yeux  (1).  »  Montesquieu  ne  loue  pas 
seulement  le  jury,  il  en  degage  le  principe  :  «  Le  peuple  n'est 
pas  jurisconsulte ;  toutes  ces  modifications  et  temperaments  des 
arbitres  ne  sont  pas  pour  lui;  il  faut  lui  presenter  un  seul  objet, 
un  fait  et  un  seul  fait ;  et  qu'il  n'ait  a  voir  que  s'il  doit  con- 
damner,  absoudre,  ou  remettre  le  jugement  (2).  »  «  G'est  une 
loi  bien  sage,  dit  Beccaria,  et  dont  les  effets  sont  toujours 
heureux,  que  celle  qui  prescrit  que  chacun  soit  juge  par  ses 
pairs ;  car,  lorsqu'il  s'agit  de  la  fortune  et  de  la  liberie  d'un 
citoyen,  tous  les  sentiments  qu'inspire  I'inegalite  doivent  se 
taire  (3).  »  Dans  I'^l  B  C  de  Voltaire,  I'un  des  interlocuteurs 
parle,  nous  I'avons  vu,  de  1' Angleterre  comme  du  pays  qui 
possede  les  meilleures  lois  :  «  Cbaque  accuse,  dit-il,  est  juge 
par  ses  pairs ;  il  n'est  repute  coupable  que  quand  ils  sont  d' ac- 
cord sur  le  fait.  G'est  la  loi  qui  le  condamne  sur  le  crime  avere , 
et  non  sur  la  sentence  arbitraire  des  juges  (4).  »  —  «  Non-seu- 
lement,  ecrit  ailleurs  Voltaire,  le  citoyen,  mais  I'etranger  y 
trouve  sa  siirete  dans  la  loi  meme,  puisqu'il  choisit  six  etran- 
gers  pour  remplir  le  nombre  de  douze  jures  qui  le  jugent.  G'est 
un  privilege  en  faveur  de  I'univers  entier  (5).  »  Enfin,  Rousseau 
vante  aussi  le  jury  :  «  En  Angleterre,  lorsqu'un  homme  est  accuse 
criminellement,  douze  jures  enferm^s  dans  une  chambre  pour 
opiner  sur  I'examen  de  la  procedure,  s'il  est  coupable  ou  s'il 
ne  Test  pas ,  ne  sortent  plus  de  cette  chambre  et  n'y  recoivent 
point  a  manger  qu'ils  ne  soient  tous  d'accord ,  en  sorte  que  leur 
jugement  est  toujours  unanime  et  decisif  sur  le  sort  de  I'ac- 
cuse  (6).  » 

(1)  Esprit  des  Lois ,  liv.  VI,  ch.  3. 

(2)  Ibid.,  liv.  VI,  ch.  4. 

(3)  Des  dilits  et  despeines,  ch.  vii. 

(4)  L'A  B  C  (quiDzifeme  entretien). 

(5)  Prix  de  la  justice,  art.  xxiii. 

(6)  Correspondance  .  anaee  1761.  Lettre  a  M.  d'Offreville,  a  Douai.  —  Cf. 
Rousseau  juge  de  Jean-Jacques ,  Dialog.  I. 


APPLIQUEE.  371 


IV. 


On  vient  de  voir  comment  les  philosophes ,  au  nom  de  la  rai- 
son  et  de  I'humanite ,  jugent  la  procedure  criminelle ;  comment 
etait-elle  appreciee  par  les  jurisconsultes  qui  la  commentaient 
dans  les  livres  ou  I'appliquaient  dans  les  tribunaux?  Ici  la 
scene  change  et  le  spectacle  est  parfois  attristant.  Ce  qui  do- 
mine  dans  ce  monde  des  juristes ,  si  different  de  celui  que  nous 
venous  d'etudier,  ce  sont  deux  choses  excellentes  en  elles- 
memes ,  mais  dont  I'exageration  peut  etre  funeste  :  I'esprit  de 
conservation  et  le  respect  de  la  loi.  Ce  n'est  point  qu'ils  resis- 
tent  en  apparence  k  I'esprit  dominant  du  siecle;  tous,  jusqu'aux 
plus  inflexibles ,  saluent  les  divinites  contemporaines  :  la  raison 
et  I'humanite.  «  Je  me  pique  de  sensibilite  comme  un  autre ,  » 
dit  Muyart  de  Vouglans  dans  le  singulier  opuscule  oii  il  veut 
refuter  le  livre  de  Beccaria  (1).  «  Get  arret  solennel  laissa  sub- 
sister  la  loi  dans  toute  son  autorite  et  la  raison  ne  perdit  aucun 
de  ses  droits;  »  dit  Louis  Seguier  (2).  Mais  cette  adhesion  ne 
porte  aucun  fruit.  Les  uns  s'ingenient  a  prouver  que  la  proce- 
dure criminelle  n'est  pas  en  contradiction  avec  les  principes  de 
la  phllosophie  (3) ;  les  autres ,  et  ce  sont  les  plus  nombreus ,  re- 
connaissent  les  vices  principaux  de  I'Ordonnance ,  mais  ils  s'in- 
clinent  Dependant  devant  la  loi.  Cette  Ordonnance  de  1670,  si 
solennellement  discutee,  appliquee  deja  depuis  un  siecle ,  et  dont 
les  regies  remontent  bien  plus  haut  dans  le  passe,  leur  parait 
inviolable.  Alors  meme  qu'ils  la  blament  ils  ne  songent  point  a 
lui  desobeir ;  I'esprit  d'autorite  tue  chez  eux  I'esprit  de  reforme ; 
I'Ordonnance  a  parle ,  disent-ils ,  et  ils  s'inclinent.  C'est  une 
remarque  qui  a  ete  faite,  «  les  jurisconsultes  s'habituent  a  vivre 
avec  la  loi  existante ;  ils  en  contractent  le  respect ;  et ,  a  moins 
d'avoir  un  esprit  tres-cultive ,  ils  se  font  illusion ;  ils  se  figurent 

(1)  P.  4. 

(2)  Arr^t  du  Parlement  de  Paris  du  H  aoflt  1786,  qui  oondamne  a  la  suppres- 
sion et  au  feu  le  Memoire  de  Dupaty.  R6quisUoire,  Paris,  1786,  p.  175. 

(3)  «  C'est  faire  injure  a  la  raison  et  a  la  loi  que  d'avancer  qu'elles  puissent 
jamais  6tre  virltablement  contraires.  »  Siguier,  p.  175. 


372  l'ordonnance  de  1670 

que  ce  qui  existe  aujourd'hui  ne  saurait  etre  modifie  sans  en- 
trainer  une  revolution...  Les  jurisconsultes  sent  utiles,  e'est  un 
element  moderateur;  ils  maintiennent  les  droits  du  passe,  mais 
quant  a  I'avenir,  ce  ne  sont  jamais  eux  qui  le  reclament,  mais 
des  gens  qui  ne  sont  pas  de  metier  et  qui  viennent  du  dehors  (1).  » 
Parmi  les  apologistes  les  plus  ardents  de  I'Ordonnance  de  1670 
figure  au  premier  rang  Muyart  de  Vouglans,  I'esprit  le  plus 
net  peut-etre  parmi  les  criminalistes  du  xvra'  siecle.  11  a  a  cet 
egard  expose  ses  idees  ex  professo  dans  ses  Institutes  au  droit  cri- 
minel  (2) ;  mais  c'est  surtout  dans  sa  polemique  centre  Beccaria 
qu'il  faut  I'etudier.  Ici  Ton  sent  qu'il  ne  comprend  pas ;  il  se  croit 
en  face  d'un  fou  (3),  ou  d'un  criminel,  avec  qui  il  le  prend  de 
tres-haut  (4),  et  qu'il  signale  aux  poursuites  :  «  Je  laisse,  dit-il,  a 
ceux  qui  sont  charges  specialement  de  cette  partie  de  notre  droit 
public  le  soin  d'exercer  leur  censure  et  d'employer  toute  leur 
autorite  pour  en  arreter  la  contagion  (5).  »  Ce  qui  I'etonne  le 
plus,  ce  n'est  pas  I'esprit  revolutionnaire  de  I'auteur,  qui  «  ne 
respecte  meme  pas  les  maximes  sacrees  du  gouvernement ,  des 
moeurs,  de  la  religion  (6),  »  c'est  de  voir  un  livre  de  legislation 
criminelle  qui  ne  soit  pas  avant  tout  technique,  consacre  au  droit 
positif.  «  Vous  vous  attendiez  sans  doute,  comme  moi,  mon- 
sieur, sous  I'annonce  d'un  Traite  des  delits  et  des  pelnes,  de 
trouver  une  discussion  exacte  et  methodique  des  lois  et  des  prin- 
cipes  qui  sont  relatifs  a  cette  matiere ,  des  citations  d'autorites 


(1)  M.  Laboulaye  :  Revue  des  Cows  litUraires,  1865,  p.  745. 

(2)  P.  69. 

(3)  «  Ce  prttendu  illuming  aux  yeux  duquel  les  Solons ,  les  Lycurgues ,  les  Pa- 
pinieus,  les  Cujas,  en  un  mot,  les  plus  sages  philosophes  de  la  Grftce,  de  I'ltalie 
et  de  la  France ,  ne  sont  que  de  purs  sophistes ,  les  sifecles  d'Auguste  et  de 
Louis  XIV,  que  des  si^cles  d'erreurs  et  de  tfenfebres.  »  (Lettre  eontenant  la  refu- 
tation de  quelques  principes  hasardis  dans  le  Traiti  des  dMits  et  des  peines,  Geneve, 
1767,  p.  22.) 

(4)  «  Sans  doute  que  je  n'ai  point  I'Drganisation  des  fibres  aussi  deliSe  que 
celle  de  nos  criminalistes  modernes;  car,  je  n'ai  point  senti  le  doux  frfemissement 
dont  ils  parlent ,  le  sentiment  dont  j'ai  et4  le  plus  affecte  aprfes  avoir  lu  quel- 
ques pages  de  cet  ouvrage,  a  k\.i  celui  de  la  surprise,  pour  ne  rien  dire  de  plus.  » 
P.  4. 

(5)  P.  17. 

(6)  P.  5. 


APPLIQUEE.  373 

sur  les  questions  qui  peuvent  en  nattre ,  et  surtout  une  enume- 
ration exacte  des  differentes  especes  de  crimes  et  de  leurs  peines, 
ainsi  que  des  procedures  necessaires  pour  parvenir  k  les  cons- 
tater  et  a  les  prouver,  et  cependant  vous  verrez  avec  surprise 
que  rien  de  tout  cela  ne  se  rencontre  dans  I'ouvrage  en  ques- 
tion (1).  » 

Sa  foi  dans  la  loi  existante  est  complete;  c'est  un  croyant  qui 
n'a  pas  I'ombre  d'un  doute  (2) ;  c'est  ainsi  qu'il  extrait  du  livre 
de  Beccaria  et  signale  a  I'indignation  publique  (3)  une  liste  de 
propositions ,  dont  la  plupart  sont  regardees  aujourd'hui  comme 
des  verites  de  bon  sens ,  des  axiomes  de  legislation  criminelle.  II 
faut  voir  son  ebahissement  devant  le  principe  de  I'egalite  des 
peines  et  I'exclusion  de  toute  idee  de  vengeance  divine  dans  la 
repression  :  «  L'auteur  pretend  que  Ton  ne  doit  pas  non  plus 
dans  I'imposition  de  la  peine  avoir  §gard  a  la  qualite  de  celui 
envers  qui  le  crime  a  ete  commis ,  et  il  en  donne  pour  raison  que 
tons  les  hommes  dependent  principalement  de  la  societe   dont 
ils  sont  membres.  II  veut  aussi  par  la  meme  raison  que  Ton  pu- 
nisse  les  personnes  du  plus  haut  rang  comme  le  dernier  des  ci- 
toyens,  Ton  sent  tout  le  danger  et  I'absurdite  d'un  tel  principe... 
Par  suite  du-meme  systeme,  l'auteur  va  encore  jusqu'a  pre- 
tendre  qu'on  ne  doit  point  considerer  la  gravite  du  crime  par 
rapport  a  la  grandeur  de  I'ofifense  qu'il  fait  a  Dieu  (-4).  »  Enfln 
sans  hesitation  aucune  il  defend  toutes  les  atrocites  du  vieux 
systeme,  et  en  particulier  le  serment  des  accuses  et  la  torture;  le 
morceau  merite  d'etre  cite  presque  en  entier.  «  L'auteur  se  recrie 
contre  I'usage  du  serment  qu'on  fait  subir  a  I'accuse ,  et  il  le  fait 
alrec  si  peu  de  reflexion  qu'il  ne  rapporte  meme  pas  la  raison  la 
plus  specieuse  que  Ton  pourroit  donner  a  ce  sujet,  et  qui  a  deter- 
mine certaines  nations ,  et  entre  autres  I'Allemagne ,  a  abdiquer 
cet  usage  :  savoir,  qu'il  est  a  presumer  que  tel  qui  a  ete  capable 

(l)P.  25. 

(2)  «  On  peut  dire  a  I'honneur  de  notre  France,  que  la  jurisprudence  y  a  &16 
porWe  k  un  degr6  de  perfection  qui  lui  fait  tenir  un  rang  distingue  parmi  les  na- 
tions policies ,  tenement  que  quelques-unes  I'oDt  mgme  prise  pour  module  dans 
la  reformation  deleur  code  criminal.  »  P.  20;  cf.  p.  SO. 

(3)  P.  6  a  17. 

(4)  PP.  102,  103,  104,  106. 


374  l'ordonnance  de  1670 

de  commettre  le  crime  est  capable  de  faire  un  parjure  pour  le  ca- 
cher.  Les  raisons  qu'apporte  I'auteur,  sont,  d'une  part,  qu'il  est 
contre  la  nature  que  le  coupable  s'accuse  lui-meme ;  et  de  I'autre 
que  I'experience  fait  voir  que  jamais  le  serment  n'a  fait  dire  la 
verite  au  coupable.  Mais  s'il  falloit  abolir  le  serment  parce  qu'il 
est  contre  la  nature  que  le  coupable  s'accuse  lui-meme ,  il  fau- 
droit  par  la  meme  raison,  abolir  I'interrogatoire  que  I'auteur 
convient  neanmoins  etre  un  acte  essentiel  de  la  procedure.  A 
regard  de  I'experience ,  il  s'en  faut  bien  qu'elle  soit  aussi  cer- 
taine  que  I'avance  I'auteur,  puisque  cet  usage  n'a  pas  laisse  que 
de  se  conserver  parmi  nous,  et  presque  dans  toutes  les  nations 
policees,  malgre  les  efforts  reiteres  qu'on  a  fait  pour  I'abolir  (1). 
Si  Ton  en  croit  I'auteur,  il  faut  aussi  abolir  I'usage  de  la  torture , 
Gomme  etant  une  voie  tout  a  la  fois  cruelle,  injuste,  inutile  et 
dangereuse.  On  pourroit  d'abprd  ecarter  d'un  seul  mot  tout  ce 
que  dit  I'auteur  a  ce  sujet  en  observant  qu'il  ne  fait  que  repeter 
ce  qui  a  ete  dit  par  plusieurs  autres  auteurs  qui  se  sont  dechaines 
comme  lui  contre  cet  usage  sans  avoir  pu  empecher  qu'il  ne  se 
soit  perpetue  jusqu'a  nos  jours.  L'on  pourroit  meme  lui  opposer 
le  pen  de  succes  de  ces  premieres  tentatives  avec  d'autant  plus 
d'avantage  que  ces  auteurs  ont  tons  ecrit  avant  I'Ordonnance  de 
1670,  qui ,  par  les  precautions  rigoureuses  qu'elle  a  etablies  a  cet 
egard,  a  remedie  a  la  plupart  des  inconvenients  qui  avoient  excite 
le  zele  de  ces  auteurs.  Nous  avons  remarque  en  traitant  de  la 
procedure  quelles  etoient  ces  precautions,  et  nous  avons  fait 
voir  qu'elles  sont  telles  qu'on  doit  regarder  aujourd'hui  celui  qui 
est  dans  le  cas  d'eprouver  ce  tourment  comme  etant  plus  qu'a 
demi  convaincu  du  crime,  en  sorte  que  le  danger  de  confondre 
I'innocent  avec  le  coupable,  n'est  point  a  beaucoup  pres  aussi 
a  craindre  qu'il  I'etoit  avant  cette  loi.  Aussi  l'on  croit  pouvoir 
assurer  avec  confiance  que  pour  un  exemple  que  l'on  pourroit 
citer  depuis  un  siecle  d'un  innocent  qui  ait  cede  a  la  violence  du 
tourment,  l'on  seroit  en  etat  d'en  opposer  un  million  d'autres 
qui  servent  a  justifier  que,  sans  le  secours  de  cette  voie,  la 
plupart  des  crimes  atroces ,  tels  que  I'assassinat ,  I'incendie ,  le 

(1)  P.  70-72  ;  cf.  Institutes  au  droit  criminel,  p.  338. 


APPLIQUEE.  375 

vol  de  grand  chemin  seroient  restes  impunis ,  et  par  cette  im- 
punite  auroient  engendre  des  inconvenients  beaucoup  plus  dan- 
gereux  que  ceux  de  la  torture  meme,  en  rendant  une  infinite  de 
citoyens  les  innocentes  victimes  de  ces  scelerats  sub  tils...  On 
pourroit  encore  apporter  plusieurs  autres  exemples  ou  I'expe- 
rience  a  fait  voir  pareillement  I'utilite  de  la  torture ,  si  cette  uti- 
lite  ne  se  trouvoit  pas  d'ailleurs  suffisamment  justifiee,  et  par 
I'avantage  particulier  qu'y  trouve  I'accuse  lui-mSme  en  ce  qu'on 
le  rend  par  la  juge  de  sa  propre  cause  et  le  maitre  d'^viter  la 
peine  capitale  attach^e  au  crime  dent  il  est  prevenu ,  et  par  I'im- 
possibilite  oii  Ton  a  ete  jusqu'ici  d'y  suppleer  par  un  autre  moyen 
aussi  efficace  et  sujet  a  moins  d'inconvenients ,  et  enfln  par  I'an- 
ciennete  et  universalite  de  cet  usage  qui  remonte  aux  premiers 
ages  du  monde ,  et  qui  a  ete  adopte ,  comme  Ton  sait ,  par  toutes 
les  nations  et  par  les  Remains  eux-memes,  qui ,  quoique  dans  les 
premiers  temps  ils  ne  I'ayent  employee  ordinairement  que  centre 
les  esclaves ,  n'ont  pas  laisse  que  de  I'etendre  dans  la  suite  aux 
personnes  libres;...  au  reste,  I'exemple  d'une  ou  deux  nations 
qu'on  pretend  s'etre  ecartees  en  dernier  lieu  de  ce  meme  usage , 
sont  des  exceptions  qui  ne  servent  qu'a  mieux  confirmer  la  regie 
generale  sur  ce  point.  Mais  enfin ,  s'il  etoit  question  de  se  decider 
ici  par  des  exemples ,  en  pourroit-on  citer  qui  puissent  paroitre 
moins  suspects  et  en  meme  temps  plus  respectables  aux  yeux  de 
I'auteur  que  ceux  que  lui  fournit  son  pays  mSme  et  generalement 
tons  les  fitats  qui  dependent  de  I'Empire?  II  suffira,  pour  ne 
laisser  aucune  ressource  a  ses  objections  sur  ce  point ,  de  lui  op- 
poser  la  disposition  des  articles  54  et  61  de  I'Ordonnance  de 
Cbarles-Quint,  vulgairement  appelee  Caroline  (1).  » 

Apres  cet  etonnant  morceau,  Muyart  de  Vouglans  ne  peut 
que  rentrer  dans  le  calme  et  promettre  I'avenir  a  ses  idees  : 
«  Nous  ne  croyons  pouvoir  mieux  terminer  cette  analyse  que 
par  ces  reflexions  generales  qui  sont  fondees  sur  des  princjpes 
inebranlables,  justifiees  par  I'experience  la  plus  constante,  et 
centre  laquelle  viendront  toujours  echouer  des  systeme  enfantes 
par  un  esprit  de  contradiction  et  de  nouveaute  (2).  »  On  croit 

(1)  PP.  73  a  81. 

(2)  P.  H8. 


376  l'oedonnance  de  1670 

v6ritablement  rever  quand  on  constate  que  cela  etait  ecrit  et 
publie  en  1767. 

A  la  veille  meme  de  la  Revolution,  nous  trouvons  un  autre 
apologiste  de  I'Ordonnance ,  plus  calme  mais  non  moins  con- 
vaincu  :  c'est  I'avocat  general  Louis  Seguier,  qui ,  les  7,  8  et  1ft 
aout  1786,  prononga  devant  le  Parlement  de  Paris  un  long 
requisitoire ,  demandant  la  suppression  d'un  memoire  reste  fa- 
meux  sous  le  nom  de  «  Memoire  pour  trois  hommes  condamnis 
a  la  roue.  »  Ce  memoire  avait  pour  auteur  Dupaty  et  la  proce- 
dure criminelle  y  etait  vivement  attaquee.  Le  requisitoire  de  Se- 
guier fut  comme  le  chant  du  cygne  de  la  vieille  legislation, 
Seguier  n'eut  pas  a  justifier  la  torture ;  a  cette  epoque ,  comme 
nous  le  dirons  dans  un  instant,  la  question  la  plus  odieuse,  la 
question  preparatoire  avait  6te  supprimee,  et  I'avocat  general 
put  s'en  feliciter  (1);  mais  pour  lui  «  dans  la  succession  des 
ages  nos  loix  sont  en  quelque  sorte  parvenues  au  degre  de  per- 
fection dont  la  legislation  humaine  est  susceptible  (2).  »  11  s'in- 
digne  de  voir  atlaquer  I'Ordonnance.  «  C'est  cette  loi  formee 
par  le  concours  des  esprits  les  plus  profonds,  les  plus  expe- 
rimentes,  les  plus  prudents,  cette  loi  si  sage  dans  ses  motifs, 
si  respectable  par  son  autorite,  si  inviolable  dans  son  execution, 
qu'on  ne  rougit  pas  de  presenter  a  un  monarque  bienfaisant 
comme  attentatoire  a  la  loi  naturelle,  comme  echappee  des  tri- 
bunaux  de  Tibere  et  des  prisons  de  I'lnquisition ,  comme  digne 
de  I'ame  de  Claude  et  de  Caligula.  Combien  les  manes  illustres 
des  Lamoignon  et  des  d'Aguesseau ,  des  Mole  et  des  Talon ,  ne 
sont-ils  pas  etonnes  d'entendre  soutenir  que  cette  loi  est  fondee 
sur  une  maxime  inventee  dans  une  des  profondes  nuits  de  I'es- 
prit  humain  1  Le  siecle  de  Louis  XIV,  le  rival  du  siecle  d'Auguste , 
un  siecle  de  tenebres  et  de  barbarie!  fitait-il  reserve  a  notre 
ministere  de  repondre  a  des  accusations  aussi  indecentes  (3).  » 
Aussi  Seguier  n'hesite  pas  a  justifier  toutes  les  rigueurs  de 
I'Ordonnance ,  contre  lesquelles  proteste  alors  I'esprit  public.  A 
ses  yeux  «   la  juridiction  des  prev6ts   est  d'une  utilite  evi- 

(1)  Riquisiloire,  p.  48. 

(2)  lUd.,  p.  221. 

(3)  P.  245-6. 


APPLIQUEE.  377 

dente  (1) ;  »  le  serment  exige  de  I'accuse  est  absolument  legi- 
time (2) ;  il  trouve  bon  que  I'accuse  ne  puisse  presenter  ses  fails 
justificatifs  qu'apres  la  visite  du  proces  et  les  prouver  qu'avec 
I'agrement  du  juge  (3).  Pour  lui  «  le  secret  est  la  base  inebranla- 
ble  de  la  loi.  II  est  present  pour  eviter  les  pieges  de  la  mauvaise 
foi  et  prevenir  les  complots  de  la  subornation.  II  est  present 
parce  qu'il  n'y  a  d'autre  accusateur  que  le  procureur  general, 
et  qu'en  aucun  cas  il  ne  peut  etre  soupconne  de  poursuivre  un 
accuse  par  vengeance  ou  par  animosite  (4).  »  Enfin  il  s'applau- 
dit  de  Tabsence  des  defenseurs  :  «  En  matiere  de  grand  cri- 
minel,  de  quelle  utiliteun  avocat  peut-iletre?  L'experience  nous 
apprend  que  si  Ton  permet  un  conseil,  la  preuve  du  crime  s'e- 
vanouit  au  milieu  des  formalites  prescrites  pour  preparer  le  juge- 
ment.  L'accuse  ne  sait-il  pas  ce  qu'il  a  fait  aussi  certainement 
que  le  temoin  sait  ce  qu'il  a  vu  ou  ce  qu'il  a  entendu?  Dans 
un  proces  criminel,  il  n'y  a  le  plus  souvent  qu'un  fait  prin- 
cipal, pour  repondre  sur  ce  fait  si  simple  un  conseil  est  inu- 
tile ;  la  preparation  marque  bien  plus  le  desir  de  trahir  la  verite 
que  la  volonte  de  lui  rendre  horamage  (5).  a  Cette  ingenuite 
savante  confond  I'esprit. 

Seguier  sait  pourtant  que  ces  lois ,  qui  ecartent  les  conseils  et 
ordonnent  le  secret  des  procedures  n'ont  pas  toujours  regne  en 
France  (6).  Mais  les  rigueurs  introduites  sont  pour  lui  des  progres 
realises.  II  sait  qu'a  Rome  la  procedure  etait  jadis  accusatoire , 
publique,  pleinement  contradictoire  (7);  mais  il  a  pen  de  res- 
pect pour  ces  usages  des  «  Etats  populaires  ou  semi-popu- 
laires  (8).  »  Get  homme ,  qui  parle  a  la  veille  de  la  Revolution , 
connait  Ayrault ,  dont  il  reproduit  textuellement  une  phrase  sans 
le  ciier  (9) ;  et  il  n'est  point  sensible  aux  sentiments  qui,  au  xvi« 

(1)  P.  26. 

(2)  P.  162. 

(3)  p.  ni,  ssq. 

(4)  P.  246. 

(5)  P.  247. 

(6)  P.  230,  ssq. 

(7)  P.  217-218. 

(8)  P.  220. 

(9)  P.  229. 


378  l'ordonnance  be  1670 

siecle,  soulevalent  Fame  du  vieux  maitre.  II  connait  aussi  la  pro- 
cedure anglaise ,  et  n'a  pour  elle  que  du  mepris  :  «  L'usage  de 
la  double  instruction  n'a  point  ete  enseveli  sous  les  debris  de  la 
R6publique  romaine.  II  subsiste  encore  aujourd'hui  dans  les  tri- 
bunaux  de  I'Angleterre.  G'est  une  des  lois  de  la  Constitution 
nationale,  tous  les  accuses  y  sontjuges  publiquement  et  par  leurs 
pairs.  Cette  forme  y  est  entretenue  par  son  analogie  avec  la  Cons- 
titution d'un  Etat,  ou  la  nation  jouit  de  la  puissance  legislative, 
inspecte  le  ministere  par  ses  representants...,  en  un  motpartage 
I'autorite  publique.  Dans'  les  crimes  ordinaires  les  juges  ecoutent 
I'accusateur ;  I'accuse  fait  presenter  ses  moyens  de  defense,  les 
temoins  sont  entendus ,  reproches ,  confrontes  publiquement ,  et 
pendant  toute  I'instruction  I'accuse  est  libre  en  donnant  caution ; 
les  jures  decident,  mais  ne  decident  que  la  question  de  fait,  la 
loi  seule  inflige  la  peine...  Les  lois  britanniques  portent  I'em- 
preinte  du  genie  et  des  mceurs  des  peuples  qui  les  ont  etablies.  La 
legerete  et  I'inquietude  de  quelques  esprits  voudroient  voir  natu- 
raliser  chez  nous  celte  forme  de  proceder.  Les  Anglomanes  fran- 
gais  connaissent-ils  bien  cette  legislation  dont  ils  se  declarent  les 
admirateurs?  Quel  est  celui  d'entre  eux  qui  ne  craindroit  pas 
d'etre  abandonne  a  la  discretion  de  douze  juges  connus  sous  le 
nom  de  jures,  qui  n'ont  d'autre  facon  de  donner  leur  opinion 
que  ces  mots  :  «  Coupable  »  ou  «  Non  eoupable  ?  »  Encore  ces 
juges  choisis  dans  chaque  classe  de  citoyens   relativement  a 
I'etat  ou  a  la  profession  de  I'accuse ,  restent-ils  enfermes  sans 
pouvoir  sortir  jusqu'a  ce  qu'ils  soient  d'un  avis  unanime ,  espece 
de  conclave  ou  celui  que  la  nature  a  doue  de  la  plus  forte  com- 
plexion pent  obliger  par  besoin  ses  co-associes  a  revenir  a  son 
opinion  sur  I'innocence  ou  la  conviction ;  en  sorte  qu'un  seul  jure 
pent  faire  la  destinee  du  coupable  ou  de  I'innocent.  Singuliere 
legislation  (1)!  » 

Seguier  deteste  «  ces  citoyens  etrangers  dans  leur  patrie ,  qui 
n'admirent  que  la  legislation  des  Etats  voisins  de  la  France,  ou 
ces  reformateurs  uniquement  occupes  a  renverser  nos  lois  sous 
pretexte  de  les  approcher  du  Code  de  la  Nature  (2).  »  II  ne  me- 

(1)  P.  218-219. 

(2)  P.  13. 


APPLIQUBE.  379 

nage  ni  les  exhortations  ni  les  funebres  propheties  :  «  Tels  sont 
les  principes  que  nos  sages  predecesseurs  nous  ont  transmis ,  et 
une  sainte  indignation  nous  transporte  a  la  vue  des  principes 
contraires  qui  trouvent  aujourd'hui  des  partisans.  C'est  I'opinion 
de  quelques  enthousiastes  que  I'on  veut  substituer  a  I'opinion 
publique  (1).  Osera-t-on  nier  qu'il  est  de  la  prudence  de  main- 
tenir  un  Code  de  legislation  quand  il  existe  depuis  plusieurs 
siecles,  precisement  parce  qu'il  existe?  On  connait  les  inconve- 
nients  de  la  legislation  qui  est  en  vlgueur ;  on  ne  connaitra  que 
par  I'experience  les  inconvenients  de  la  legislation  qu'on  y  voudra 
substituer,  surtout  quand  on  veut  partir  d'un  principe  absolument 
oppose  au  principe  des  lois  anciennes.  Un  changement  brusque 
et  inopine  pent  ebranler  la  constitution  politique ,  et  une  loi  nou-  ~ 
veUe  a  quelquefois  ete  le  principe  d'une  revolution  (2).  »  La 
Revolution  allait  eclateren  effet;  mais  ce  n'etaient  certes  pas  des 
reformes  operees  qui  la  precipitaient. 

Le  requisitoire  si  curieux  de  Seguier  nous  a  fait  devancer  les 
temps;  revenons  aux  jurisconsultes  un  peu  plus  anciens.  Poul- 
lain  du  Pare,  en  tete  du  premier  des  deux  volumes  qu'il  consacre 
a  la  procedure  criminelle,  examine  la  question  dans  son  en- 
semble. «  La  procedure  criminelle,  dit-il,  a  une  forme  absolu- 
ment differente  de  celle  prescrite  pour  la  procedure  civile.  Geux 
qui  n'approfondissent  pas  les  motifs  de  cette  forme  se  recrient 
contre  la  rigueur  de  la  loi ,  qui ,  dans  une  matiere  ou  il  s'agit  de 
I'honneur  et  de  la  vie  d'un  accuse ,  presume  innocent  jusqu'a  ce 
qu'il  soit  convaincu ,  lui  tend  un  piege  continuel  et  ne  lui  permet 
de  prouver  son  innocence  qu'apres  I'instruction  entiere  de  la  pro- 
cedure. Pour  justifier  la  loi  contre  ce  reproche ,  il  suffiroit  de  dire 
que  depuis  I'etablissement  de  cette  forme  il  est  infiniment  rare 
que  des  innocents  aient  ete  punis  comme  coupables ,  et  que  mal- 
gre  la  rigueur  de  la  loi ,  plusieurs  coupables  poursuivis  echappent 
a  la  peine,  faute  de  preuves  suffisantes.  Mais  des  reflexions  plus 
etendues  prouvent  I'excellence  de  la  loi  en  faisant  connoitre  I'es- 
prit  des  differentes  dispositions  de  I'Ordonnance  de  1670.  Aussi- 
t6t  que  I'accusation  est  formee ,  le  seul  objet  auquel  on  doit  s'at- 

(1)  P.  255. 

(2)  P.  224. 


380  l'ordonnance  de  1670 

tacher  est  de  decouvrir  le  crime,  celui  qui  I'a  commis  et  ses 
complices.  La  surete  publique  exige  que  cette  instruction  se  fasse 
promptement,  et  cela  seroit  impossible,  si  Ton  admettoit  des  le 
commencement  une  procedure  contradictoire  entre  I'accusateur 
et  I'accuse ,  comme  on  I'a  etablie  en  matiere  civile  entre  le  de- 
mandeur  et  le  defendeur.  Mais  en  ordonnant  que  cette  instruction 
soit  rigoureuse  et  prompte,  la  loi  a  pris  toutes  les  precautions 
pour  que  I'accuse  soit  a  convert  de  la  calomnie  (1).  » 

L'auteur  fait  alors  la  description  rapide  des  divers  actes  de  la 

procedure,  puis  il  continue  :  «  Tel  est  I'esprit  general  de  la  loi... 

Aussi  j'ai  ete  surpris  de  voir  le  judicieux  abbe  Fleury  faire  en 

peu  de  mots  la  critique  la  plus  outree  de  notre  procedure  crimi- 

nelle.  Voici  ses  termes  :  "  Reformer  notre  procedure  criminelle 

tiree  de  celle  de  I'lnquisition ;  elle  tend  plus  a  decouvrir  et  a 

punir  les  coupables  qu'a  justifier  les  innocents.  »  C'est  donner 

a  cette  procedure  une  origine  aussi  fausse  qu'odieuse.  L'lnquisi- 

tion  admet  toutes  sortes  de  delateurs  comme  temoins ,  et  ne  les 

confronte  point  aux  accuses  :  les  criminels  juges  tels,  les  prosti- 

tuees,  les  parents  dans  le  plus  proche  degre,  le  fils  centre  son 

pere,  le  frere  centre  son  frere,  les  deux  epoux  I'un  Centre  I'autre, 

sont  des  temoins  irreprochables.  L'accuse  est  oblige  de  deviner 

et  d'avouer  son  crime  reel  ou  suppose.  On  juge  les  pensees  les 

plus  secretes,  et  Ton  ne  se  contente  pas  de  tendre  des  pieges 

continuels  a  I'accuse  pour  le  trouver  coupable ;  il  semble  qu'on 

evite  et  qu'on  cherche  a  ecarter  tons  les  moyens  de  le  trouver 

innocent.  Tels  sont  les  principaux  vices  de  I'instruction  qui  se 

fait  dans  ce  tribunal ,  etabli  en  meme  temps  contre  la  liberie  des 

peuples  et  centre  le  pouvoir  des  souverains.  II  est  etonnant  qu'on 

ait  pense  a  comparer  cette  procedure  detestable  avec  celle  de  la 

France,  ot  le  tribunal  de  I'lnquisition ,  apres  y  avoir  fait  ses 

premiers  ravages,  s'est  aneanti  en  quelque  sorte  de  lui-meme, 

par  le  seul  vice  de  sa  constitution  et  de  sa  procedure  (2).  » 

Poullain  du  Pare ,  comme  Seguier,  repousse  I'introduction  en 
France  de  la  procedure  anglaise  :  «  Quelques  auteurs ,  en  con- 

(1)  PrinHpes  de  droit  frangais  suivant  les  maximes  du  Parkment  de  Bretagne. 
Rennes,  1771,  torn.  XI,  p.  2,  3. 

(2)  Tome  XI ,  p.  5,  6. 


APPLIQUEE.>  381 

damnant  notre  procedure  criminelle,  font  I'eloge  de  cells  de 
I'Angleterre  ou  toute  rinstruction ,  sans  excepter  meme  les  der 
positions  des  temoins,  se  fait  en  presence  de  I'accuse.  J'ignore 
si  cette  forme  a  des  inconvenients ,  dans  une  nation  dont  le  der- 
nier citoyen  se  regarde  comme  independant  des  personnes  du 
plus  haut  rang ,  mais  en  France ,  la  subordination  dans  les  diffe- 
rentes  conditions  sufQroit  pour  intimider  les  temoins ,  qui  de- 
poseroient  en  presence  d'un  accuse  d'un  rang  superieur.  Le  ge- 
nie et  le  caractere  des  deux  nations  sont  si  differents  qu'il  n'est 
pas  possible  de  tirer  de  justes  consequences  de  la  procedure 
criminelle  de  I'Angleterre  contra  celle  de  la  France  (1).  » 

II  n'est  point  d'ailleurs  I'ennemi  de  toute  reforme ,  et  voici  ce 
qu'il  propose  :  «  Le  seul  exces  de  rigueur  qu'on  pourroit  trouver 
dans  la  procedure  criminelle  seroit  depuis  la  confrontation.  Lors- 
qu'elle  a  devoile  tout  le  secret  des  charges  a  I'accuse,  pourquoi 
ne  I'autorisera-t-on  pas  a  demander  la  communication  entiere  de 
la  procedure  criminelle  pour  le  mettre  en  etat  de  rapprocher  tout 
ce  qui  peut  servir  a  sa  justification  et  k  prouver  les  contradic- 
tions ou  la  faussete  des  depositions ,  les  nuUites  de  forme ,  I'in- 
suffisance  de  I'instruction ,  les  moyens  que  les  juges  ont  neglige 
d'employer  pour  approfondir  parfaitement  la  verite?  Pour  peu 
que  I'instruction  soit  compliquee ,  il  est  impossible  a  I'accuse  le 
plus  eclaire  de  se  ressouvenir  de  tout  ce  que  la  confrontation  lui 
a  appris  d'interessant.  Ainsi  Ton  diroit  que  la  loi  a  voulu  char- 
ger les  juges  de  sa  defense ,  puisqu'elle  le  met  hors  d'etat  d'em- 
ployer tons  les  moyens  legitimes  et  qu'elle  ne  permet  de  lui 
donner  un  conseil  que  dans  un  petit  nombre  d'affaires.  Cette 
rigueur  s'accorde-t-elle  avec  le  voeu  de  toutes  les  lois ,  -qui  est 
d'employer  tous  les  moyens  possibles  pour  la  conservation  de 
I'honneur  et  de  la  vie  de  I'innocent  (2)?  » 

Les  autres  criminalistes  n'examinent  point  directement  et  dans 
une  vue  d'ensemble  la  question  de  legislation.  Mais,  il  faut  le 
reconnaitre ,  souvent  ils  signalent  la  rigueur  de  I'Ordonnance , 
sans  cependant  reclamer  des  reformes.  Voici  quelques  opinions 
sur  les  points  principaux. 

(1)  Tome  XI,  p.  7. 

(2)  Tome  XI,  pp.  6,  7. 


382  l'ordonnance  de  1670 

D'abord,  sur  le  serment  impose  al'accuse,  Serpillon  rapporte 
la  discussion  qui  eut  lieu  dans  les  conferences ,  puis  il  ajoute  : 
«  Ces  observations...  produisirent  pour  la  premiere  fois  uneloi 
precise  pour  I'obligalion  du  serment...  il  est  cependant  notoire 
qu'eflfectivement  il  y  a  presque  autant  de  parjure  en  cette  occa- 
sion que  de  serment,  mais  on  ne  pent  punir  I'accuse  pour  un 
pareil  faux  serment  (1).  »  Pothier  observe  «  qu'il  y  a  dans  le 
proces-verbal  de  I'Ordonnance  un  beau  discours  centre  I'usage 
du  serment  (2).  » 

«  Chez  les  Remains ,  dit  Serpillon ,  et  meme  en  France ,  un 
accuse  se  defendoit  par  avocat  m^me  dans  les  plus  grands  cri- 
mes; mais  on  a  trouve  qu'il  etoit  le  plus  a  propos  d'obliger  les 
accuses  a  se  defendre...  par  eux-m^mes,  sans  aucun  memoirs 
ou  instruction  a  la  main  (3).  »  Rousseau  de  La  Combe  rappelle 
«  qu'autrefois  les  accuses  se  defendoient  par  le  ministere  des 
avocats  et  non  par  leur  bouche,  ni  par  interrogatoire ;  I'accu- 
sation  se  decidoit  souvent  sur  une  plaidoirie  [i).  »  Et  Pothier  : 
«  A  regard  des  crimes  capitaux,  I'Ordonnance  interdit  aux  ac- 
cuses les  conseils ,  meme  apres  la  confrontation ,  en  quoi  notre 
jurisprudence  est  plus  severe  que  celle  de  tous  les  fitats  de 
I'Europe  (5).  » 

Ce  qui  domine  le  plus  souvent  dans  ces  observations,  c'est  un 
sentiment  de  regret,  et  rien  de  plus.  Serpillon  commente  la 
disposition  qui  oblige  I'accuse  a  alleguer  ses  reproches  avant  la 
lecture,  de  la  deposition  :  «  II  est  certain,  conclut-il,  que  I'Or-' 
donnance  est  de  rigueur  pour  I'instruction...  Ayrault,  dans  sa 
Pratique  judiciaire,  s'eleve  aussi  beaucoup  centre  la  disposi- 
tion des  Ordonnances  a  cet  egard,  et  effectivement  encore  au- 
jourd'hui,  si  un  accuse  proposait  des  reproches  violents  contre 
un  temoin  et  articulait  des  faits  de  notoriete ,  il  y  a  peu  de 
juges  qui  n'en  fussent  frappes ,  quoiqu'ils  ne  fussent  pas  prouves 
par  ecrit  (6).  »  II  parle  en  termes  semblables  de  I'article  qui  regie 

(1)  Code  crminel,  p.  659. 

(2)  Procedure  criminelle  (§dit.  Bugnet). 

(3)  Code  crminel,  p.  662. 
[i)IMd.,  p.  341. 

(5)  Procedure  criminelle  (6dit.  Bugnet),  p.  341. 

(6)  Cod^criminel,  p.  730. 


APPLIQUifE.  383 

la  preuve  des  faits  justificatifs  :  «  On  peut  dire  que  I'Ordonnance 
dans  cette  disposition  est  severe ,  puisqu'elle  exige  d'un  accuse 
souvent  illettre  et  detenu  quelejuefois  depuis  un  an  dans  les  ca- 
chets qu'il  nomme  sur-le-champ  ses  temoins...  L'Ordonnance  ne 
permet  mSme  pas  au  juge  de  lui  accorder  un  delai  (1).  » 

Pour  la  torture,  les  critiques  sont  un  peu  plus  vives.  Pothier, 
on  le  sait ,  protestait  d'une  facon  toute  personnelle  :  '(  On  evitait 
de  lui  distribuer  les  proces  criminels  dans  lesquels  on  prevoyait 
que  la  question  pouvait  etre  ordonnee,  parce  qu'il  ne  pouvait  en 
supporter  le  spectacle  :  impuissance  qui  procedait  beaucoup  plus 
de  la  sensibilite  des  organes  physiques  que  du  sentiment  mo- 
ral (2).  »  Malgre  I'explication  du  pan^gyriste,  nous  devons  noter 
avec  un  soin  pieux  cette  marque  de  sensibilite  chez  le  grand  ju- 
riscoEfsulte.  «  II  y  a  longtemps ,  ecrit  Serpillon ,  que  le  public  se 
plaint  de  I'usage  de  la  torture ,  on  en  fit  m^me  des  remontrances 
lors  des  conferences  de  cetitre...  On  ne  peut  rien  trouver  de  plus 
cruel  et  de  plus  injuste  que  la  question  preparatoire  :  les  Remains 
la  faisoient  donner  a  leurs  esclaves,  mais  c'est  parce  qu'ils  les 
regardoient  comme  des  animaux  domestiques ;  ils  n'y  condam- 
noient  jamais  un  citoyen ,  a  plus  forte  raison  des  Chretiens  et 
des  peuples  chretiens  devroient  s'en  abstenir...  Ces  inconvenients 
ont  determine  plusieurs  souverains  a  supprimer  ce  tourment. 
II  y  a  environ  quinze  ans  il  le  fut  en  Prusse ;  le  prince  n'a  pas 
voulu  que  Ton  confondit  I'innocent  avec  le  coupable  :  la  question 
n'est  aussi  plus  en  usage  en  Angleterre  d'apres  Despeisses,  qui  a 
recrie  beaucoup  centre  I'usage  de  France.  Plusieurs  innocents  sont 
morts  a  la  question ;  c'est  un  fait  trop  notoire  pour  avoir  besoin 
d'etre  prouve  en  detail  (3);  »  Et  Rousseau  de  La  Combe  :  «  Les 
accuses  n'avouent  presque  jamais  rien ,  en  sorte  que  le  plus  sou- 
vent  la  question  preparatoire  ne  produit  aucun  effet ,  les  accuses 
souffrent  les  tourments  de  la  question  sans  rien  avouer,  et  s'ils 
parlent,  c'est  pour  tout  nier...  On  prendra  la  liberte  de  repre- 

(1)  Code  criminel,  p.  1212. 

(2)  Eloge  de  Pothier.  (Euvres,  6dit.  Bugnet,  tome  II,  p.  51. 

(3)  Code  criminel,  p.  907;  aussi  parlant  de  la  question  qu'on  donne  au  presi- 
dial  d'Autuu  :  «  Nous  la  troavons  si  cruelle,  dit-il,  que  nous  nous  abstenons, 
depuis  ces  accidents,  d'y  condamner  pr6paratoirement.  » 


384  l'ordonnance  de  1670 

senter  aux  magistrats  que  de  condamner  un  accuse  a  la  question 
preparatoire  est  chose  bien  delicate...  il  est  souvent  estropie  pour 
toute  sa  vie ,  quoique  par  le  jugement  defmitif  il  ait  ete  renvoye 
de  I'accusation...  Ce  qui  fait  dire  a  un  ancien  criminaliste  que  la 

question  est  plutot  un  essai  de  patience  que  de  verite Aussi 

nous  avons  bon  nombre  d'auteurs  qui  ont  ecrit  contre  la  question 
ou  torture,  et  eutre  autres  M.  Nicolas,  president  au  Parlement  de 
Besancon ,  dans  un  Traite  particulier  ou  il  rapporte  tout  ce  qu'on 
peut  dire  pour  montrer  que  la  question  est  inutile...  Quoi  qu'il  en 
sait ,  il  faut  convenir  que  du  moins  la  question  prealable  et  defi- 
nitive produit  souvent  des  effets  merveilleux  par  rapport  a  la 
decouverte  des  complices  (1).  » 


V. 


Quelle  que  fut  I'opinion  des  jurisconsultes,  ce  n'etaient  plus  eux 
desormais  qui  devaient  6tre  ecoutes.  Le  vrai  roi  du  siecle  c'etait 
I'esprit  public ;  on  peut  suivre  pas  pi  pas  les  progres  qu'il  fait ,  et 
cette  histoireaete  ecrite  (2).  Au  point  de  vue  qui  nous  interesse, 
nous  aliens  assister  a  ses  triomphes.  Confine  pendant  longtemps 
dans  lesflivres,  I'esprit  de  reforme  va  s'affirmer  officiellement. 
II  s'introduira  dans  les  audiences  solennelles  des  tribunaux  et 
dans  les  societes  litteraires ,  parfois  meme  dans  la  legislation. 

Sous  Louis  XV,  aucune  reforme,  au  sens  que  nous  venons 
d'indiquer,  n'avait  ete  operee.  Cependant  d'Aguesseau  eut  I'idee 
d'ameliorer  les  lois  frangaises  et^e  les  reunir  en  un  seul  corps  (3). 
II  proceda  a  peu  pres  comme  on  I'avait  fait  pour  la  reformation 
de  la  justice  sous  Louis  XIV,  demandant  des  memoires,  con- 
sultant les  principaux  membres  des  Parlements  (4),  et  faisant 
revoir  toutes  les  questions  par  une  commission  superieure ,  qui 
fut  comme  son  conseil  prive.  Elle  etait  composee  de  Joly  de 
Fleury,  de  Machault  d'Arnouville,  des  deux  fils  aines  du  Chan- 

(1)  Mat.  Crim.,  pp.  424,  425,  426. 

(2)  L'esprit  riwlutionnaire  avant  la  Revolution,  par  M.  F^lix  Rocquain,  1878. 

(3)  Voy.  Francis  Monnier  :  Le  Chancelier  d'Aguesseau,  2o  edit.,  1863,  p.  286. 

(4)  Ibid.,  p.  288,  290,  293. 


APPLIQUEE.  38S 

celier,  de  d'Argenson ,  de  Portia,  auxquels  s'adjoignaient  par- 
fois  d'Ormesson  et  Trudaine  (1).  Ce  travail  comprenait  natu. 
rellement  la  procedure  criminelle.  On  devait  reprendre  I'Or- 
donnance  de  1670;  mais  il  semble  qu'on  voulait  simplement  la 
perfectionner  au  point  de  vue  technique,  on  pent  du  moins  le 
croire,  quand  on  examine  quelques  parties  detachees  de  I'en- 
semble,  qui,  pretes  avant  le  reste,  ont  vu  lejour. 

A  un  moment  donne,  le  Chancelier  ecrit  ceci  al'un  de  ses  amis  : 
«  Le  memoire  sur  le  faux  va  etre  examine  incessamment  au  con- 
seil  et  il  restera  apparemment  tres-peu  de  chose  k  faire  pour  y 
mettre  la  derniere  main.  Ce  qui  sera  le  plus  presse  apres  cela 
est  la  competence  des  juges,  les  marechaussees ,  et  le  titre  sur 
les  defauts  et  contumaces  (2).  »  Ces  divers  points  ont  fait  sous 
Louis  XV  I'objet  de  Declarations  ou  Ordonnances.  Cost  d'abord 
la  I^eclaration  en  forme  d'Edit  du  mois  de  juin  1730,  concernant 
les  procedures  criminelles ;  elle  n'eut  pour  but  que  «  d'inter- 
preter  en  ajoutant  aux  articles  2,  3,  7  et  9  du  titre  xvii  de  I'Or- 
donnance  de  1670,  »  reglant  seulement  des  points  de  detail  (3). 
En  1736,  parait  la  Declaration  sur  les  cas  prevotaux  et  presidiaux, 
dont  nous  avons  deja  eu  I'occasion  de  parler.  C'est  encore  un 
simple  desir  de  reglementation  qui  inspire  le  legislateur.  Le 
preambule  rappelle  que  «  I'un  des  principaux  objets  de  I'Ordon- 
nance  de  1670  fut  de  marquer  des  bornes  certaines  entre  les  juges 
ordinaires  et  les  prevots  des  marechaux...  I'experience  fait  voir 
qu'il  reste  encore  plusieurs  points  importants  qui  font  naitre  tons 
les  jours  des  sujets  de  contestation  entre  la  justice  ordinaire  et  les 
juges  des  cas  prevotaux ;  »  c'est  a  ces  difficultes  que  Ton  veut 
porter  remede. 

Enfln  rOrdonnance  sur  le  faux  de  1737  est  un  des  principaux 
titres  de  gloire  de  d'Aguesseau.  C'est  en  effet  une  loi  d'une  preci- 
sion technique  presque  parfaite.  Le  preambule  semble  meme  re- 

(i)  Voy.  Francis  Monnier :  Le  Chancelier  d'Aguesseau,  2^  edit.,  1863,  p.  288. 

(2)  Ibid.,  p.  339. 

(3)  «  Ces  articles  concernant  les  defauts  et  contumaces  eprouverent  beaucoup 
de  difficultes  dans  I'usage  en  ce  qui  regardait  les  lieux  ou  la  perquisition  des 
accuses  devait  toe  faite ,  et  les  assignations  donnSes.  »  Salle  :  Esprit  des  Ordon- 
nances, ^dits  et  Declarations  de  Louis  XV  (tome  III,  p.  135-156). 

25 


386  l'ordonnance  de  1670 

veler  I'idee  de  reformer  I'Ordonnance  de  1670  dans  son  ensemble, 
mais  non  point  pour  en  changer  les  grandes  lignes.  On  constate 
seulement  que  « la  diversite  des  opinions  et  les  differentes  ma- 
nieres  d'expliquer  les  diverses  dispositions  ont  produit  une  si 
grande  variete  dans  les  usages  de  plusieurs  tribunaux  que  des 
procedures ,  qui  paraissent  aux  uns  regulieres  et  suffisantes,  sont 
regardees  par  les  autres  comme  nuUes  et  defectueuses ;  »  on  a 
pense  «  qu'au  lieu  de  se  contenter  de  reparer  les  defauts  de  procfe- 
dure  a  mesure  qu'ils  se  presentent ,  il  etoit  beaucoup  plus  conve- 
nable  d'en  tarir  la  source  par  une  nouvelle  loi ,  qui  renfermdt  en 
meme  temps  le  supplement  et  I'interpretation  des  Ordonnances 
precedentes.  Mais  dans  la  necessite  ou  nous  sommes  de  partager 
un  ouvrage  d'une  si  grande  etendue ,  nous  avons  cru  que  la  revi- 
sion de  I'Ordonnance  de  1670  sur  la  procedure  crimiQelle  devoit 
occuper  d'abord  toute  notre  attention ;  et  dans  cette  Ordonnance 
meme,  nous  avons  juge  a  propos  de  faire  un  choix  en  commen- 
gant  un  ouvrage  si  utile  par  les  titres  de  la  reconnoissance  des 
ecritures  ou  signatures  privees  et  du  faux  principal  et  incident.  » 
Sous  Louis  XVI  nous  touchons  a  I'epoque  des  vraies  reformes. 
Cependant  celles  qui  se  produiront  avant  la  convocation  des 
Etats-Generaux  seront  insufflsantes.  Pour  le  moment  nous  n'en- 
registrerons  qu'une  Declaration  du  24  aout  1780,  qui,  sans  abolir 
completement  la  torture ,  en  fit  disparaitre  I'application  la  plus 
odieuse,  la  question  preparatoire  :  «  Nous  avons  pense,  dira  plus 
tard  le  Roi ,  que  la  question  toujours  injuste  pour  completer  la 
preuve  des  delits ,  pouvoit  etre  necessaire  pour  obtenir  la  reve- 
lation des  complices  (1).  » 


VI. 

Cependant  I'esprit  nouveau  faisait  de  rapides  progres.  II  avait 
gagne  la  grande  masse  de  la  bourgeoisie ,  il  s'insinuait  dans  les 
corps  constitues  de  I'Etat,  dans  les  compagnies  reconnues;  la 
Royaute  elle-meme  lui  faisait  bon  accueil. 

En  1775,  voici  ce  qu'ecrit  un  homme  pourvu  de  places  a  la  Cour, 

(1)  Prfiambule  de  I'Edit  du  lor  mai  1788. 


APPLIQUEJE.  387 

dans  un  livre  dedi6  au  Roi,  et  dont  le  Roi  a  accepts  la  dedicace  (1) : 
«  Vous  examinerez  sans  doute  ua  jour,  si,  dans  nos  Ordonnances 
criminelles,  dont  les  plus  anciennes  avoient  a  reprimer  la  plus 
feroce  barbaric,  on  n'a  point  songe  davantage  a  la  conviction  qu'a 
la  defense  du  coupable ;  si  cette  instruction  formidable  et  profon- 
dement  secrete,  qui  prend,  pour  ainsi  dire,  I'accuse  au  depourvu, 
n'est  point  aussi  propre  a  jeter  le  trouble  dans  I'ame  d'un  innocent, 
qu'a  r^pandre  la  terreur  dans  I'ame  d'un  coupable ;  s'il  est  des 
genres  d'accusations ,  dans  lesquels  il  puisse  etre  juste  de  refuser 
a  I'accuse  le  secours  d'un  conseil ;  s'il  ne  seroit  point  plus  conforme 
a  I'humanite  de  lui  laisser,  des  le  commencement  de  la  procedure, 
la  liberte  de  prouver  son  innocence ,  comme  I'accusateur  a  dans 
tous  les  temps  celle  de  prouver  le  crime ;  s'il  est  bien  evidemment 
juste  de  forcer  le  premier  a  attendre,  pour  presenter  ses  faits  jus- 
tificatifs,  que  I'edifice  des  preuves  accumulees  centre  lui  ait  acquis 
toute  la  perfection  dont  il  est  susceptible...  II  semble,  en  effet, 
Monseigneur,  que  nos  lois  criminelles  aient  regarde  I'accuse  du 
meme  ceil  dont  elles  ont  du  voir  le  coupable,  et  que  s'il  est  aujou  r 
d'hui  tres-difficile  que  celui-ci  echappe  a  la  peine  qui  lui  est  due , 
il  est  aussi  tres-facile  que  I'homme  de  bien  ,  ou  prevenu  par  une 
erreur  publique ,  ou  poursuivi  par  des  haines  secretes  ,  devienne 
la  victims  et  de  ladouleur  et  du  trouble  que  I'oppression  lui  cause. 
II  n'est  presque  jamais  arrive  en  France  que  le  criminel  arrete  ait 
evite  la  condamnation ;  mais  il  est  arrive  plus  d'une  fois  que  I'in- 
nocence,  injustement  poursuivie ,  n'a  ete  reconnue  qu'apres  le  sup- 
plice.  Les  tribunaux  les  plus  sages  et  les  plus  justes  ont  eu  quel- 
quefois  a  gemir  sur  une  erreur  meurtriere ,  a  laquelle  ils  avoient 
ete  conduits  par  la  regularite  meme  de  leur  procedure.  La  loi  n'a- 
voit  rien  alors  a  leur  reprocher,  mais  la  justice  pouvoit  peut-Stre 
reprocher  aux  formes  leur  imperfection  (2).  » 

(1)  Les  devoirs  du  prince  riduits  d  un  seul  principe ,  ou  Discours  sur  la  justice, 
didi^  au  Roi,  par  Moreau.  Voy.  Nouvelle  biographie  ginirale  de  Didot,  t.  XXXVI, 
p.  480.  «  Moreau  fut  charge  par  la  Cour  de  rediger  plusieurs  ouvrages,  entre 
autres  le  pr^ambule  des  Edits  du  Chaacelier  Maupeou ,  et  fut  recompense  de  son 
zele  par  les  charges  de  Premier  conseiller  de  Monsieur,  de  biblioth^caire  de  la 
reine  Marie-Antoinette  et  d'historiographe  de  France.  »  L'ouvrage  que  nous  ci- 
tons  avait  H&  d'abord  compost  pour  servir  h.  I'^ducation  de  Louis  XVI.  Voy.  Pr6- 
face,  p.  10,  H.  —  (2)  Op.  cit..  p.  436438. 


388  l'ordonnance  de  1670 

L'esprit  de  reforme ,  malgre  les  resistances  d'une  partie  de  la 
magistrature,  s'affirme  dans  les  Discours  de  rentr^e  des  Cours.  En 
1766,  Servan  pronoace  cette  harangue  restee  fameuse ,  dans  la- 
quelle  il  combattait  la  detention  preventive ,  les  interrogatoires 
captieux,  la  torture ,  la  tbeorie  des  preuves  legales ;  il  revoquait 
en  doute  la  legitimite  de  la  peine  de  mort  et  reclamait  des  lois 
fixes  et  prScises.  II  est  difficile  d'imaginer  quelque  chose  de  plus 
hardi  dans  la  bouche  d'un  magistrat :  «  Levez  les  yeux ,  dit-il ,  a 
ses  collegues  et  voyez  sur  vos  tetes  I'image  de  votre  Dieu  qui  fut 
un  innocent  accuse  :  vous  etes  homme  ,  soyez  humain  ;  vous  etes 
juge,  soyez  modere;  vous  etes  Chretien,  soyez  charitable.  Homme, 
juge,  Chretien,  qui  que  vous  soyez,  respectez  le  malheur  (1).  » 
En  terminant  il  demande  a  grands  cris  la  reforme  de  I'Ordonnance 
del670. 

Ce  n'est  pas  la  un  cas  isole,  d'autres  imitent  Servan;  en  1786  , 
par  exemple,  I'avocat  general  Herault  de  Sechelles  predisait  de 
nouvelles  lois  qui  allaient  eclore  (2). 

Les  societes  litteraires,  dont  I'influence  fut  si  grande  a  cette 
epoque ,  s'empressent  de  mettre  au  concours  les  questions  de  le- 
gislation criminelle  :  «  Les  societes  savantes  et  les  academies,  qui 
puUulaient  au  xvni°  siecle,  contribuerent  a  entretenir  dans  les  pro- 
vinces cet  esprit  nouveau,  qui,  al'exempledeParis,  s'attachait  aux 
questions  de  reforme  criminelle.  Ce  fut  une  mode...  En  1777,  la 
societe  economiquede  Berne  etablitun  prixde  1200  fr.  pourTau- 
teur  du  meilleur  memoire  redige  d'apres  ce  programme  :  «  Com- 
poser et  rediger  un  plan  complet  et  detaille  de  legislation  crimi- 
nelle sous  ce  triple  point  de  vue  :  1°  des  crimes  et  des  peines  pro- 
portionnees  qu'il  s'agit  de  leur  appliquer ;  2°  de  la  nature  et  de  la 
force  des  preuves  et  des  presomptions ;  3°  de  la  maniere  de  les 
acquerir  par  la  voie  de  la  procedure  criminelle ,  en  sorte  que  la 
douceur  de  I'instruction  et  des  peines  soit  conciliee  avec  la  certi- 


(1)  Voy.  Discours,  en  Ute  du  Code  Criminel  de  Serpillon,  p.  26. 

(2)  Voyez  :  BShaUlitation  de  deux  accusis  et  justification  de  trois  autres,  par 
M»  Godard,  avocat.  Paris,  1787,  p.  113  :  « II  nous  est  permis  d'enoncerles  de- 
couvertes  qui  peuvent  rendre  une  nation  plus  heureuse ,  de  pridire  les  nouvelles 
lois  qui  vont  Colore ,  et  ce  que  disoit  dans  un  discours  solennel  un  jeune  et  Eloquent 
magistrat.  » 


APPLIQUEE.  389 

tude  d'un  chatiment  prompt  et  exemplaire,  et  que  la  societe  civile 
trouve  la  plus  grande  surete  possible  pour  la  liberie  et  I'huma- 
nite.  »  Quand  Voltaire  vit  ce  programme ,  dont  on  I'a  soupconne 
d'etre  I'auteur,  il  se  prit  d'enthousiasme ,  envoya  50  louis  de  plus 
et  publia  lui-m6me  une  reponse  a  ces  questions ,  son  livre  est  in- 
titule :  Prix  de  la  justice  et  de  V humanity...  De  toutes  parts  on  se 
mit  a  concourir;  la  Societe  de  Berne,  apres  avoir  ajourn6  le  prix 
le  donna  en  1782  a  deux  Allemaads,  Von  Globig  et  Hulster.  Leur 
livre  a  ete  imprime  en  allemand ;  on  ne  parait  pas  lui  avoir  attri- 
bue  de  valeur  en  Allemagne. 

«  Parmi  las  concurrents  se  trouverent  deux  hommes  qui  devaient 
jouer  plus  tard  dans  la  Revolution  un  grand  role  et  qui  a  cette 
epoque  se  disputaient  le  prix  de  la  justice  et  de  I'humanite  :  Bris- 
sot ,  qui  fut  le  publiciste  des  Girondins ,  et  un  autre  personnage 
moins  connu  pour  son  humanite ,  Marat.  Ge  dernier  fit  imprimer 
son  ouvrage  en  1781  et  le  publia  a  Paris  en  1790..  Get  ouvrage 
est  d'une  rare  mediocrite. ..  il  n'en  est  pas  de  meme  d'un  autre  ou- 
vrage qui  eut  plus  de  succes,  dont  I'auteur  est  Brissot,  et  qui  est 
intitule  :  TMorie  des  lois  criminelles,  ouvrage  qui  ne  fut  point 
admis  au  concours  de  la  Societe  de  Berne,  parce  qu'il  avait  ete 
publie  (1).  » 

En  1780,  c'est'une  societe  frangaise,  I'Academie  de  Ghalons- 
sur-Marne ,  qui  juge  le  concours  qu'elle  a  ouvert  sur  ce  sujet : 
«  Des  moyens  d'adoucir  la  rigueur  des  lois  penales  en  France, 
sans  nuire  a  la  surete  publique  (2).  »  La  Socipte,  en  publiant  les 
discours,  declare  :  «  qu'elle  n'entend  pas  approuver  les  idees  des 
auteurs,  elle  a  donne  son  suffrage  a  leurs  talents,  a  leur  humanite  > 
et  aux  vues  utiles,  qu'elle  a  cru  apercevoir  dans  leurs  ouvrages. 
L'Academie  applaudira  toujours  aux  decouvertes  heureuses  qui  lui 
seront  presentees.  La  nature  meme  des  sujets  qu'elle  propose  an- 
nonce  le  desir  qu'elle  a  de  repandre  de  nouvelles  lumieres  sur  la 
morale  et  I'economie  politique.  Mais  dans  un  temps  ou  le  zele  con- 
tre  les  anciens  prejuges  degenere  trop  souvent  en  innovations 

(1)  M.  Laboulaye:  Reowe  des  COwrs  lUUraires,  tome  11, 1864-1865,  p.  782,  783. 

(2)  Discours  couronn6  par  I'AcaMmie  de  Chdlons-sur-Marne  en  1780,  suivi  de  ce- 
lui  qui  a  obtenu  I'accessit ,  et  d'extraits  de  quelques  autres  mSmoires  pr6sent6s  a 
)'A.cademie.  Ch41ons-sur-Marne ,  1780. 


390  l'ordonnance  de  1670 

encore  plus  dangereuses ,  elle  croit  devoir  declarer  qu'elle  s'est 
fait  une  loi  d'exclure  du  concours  tout  memoire  qui  ne  seroit 
pas  ecrit  avec  tout  le  respect  du  k  la  Religion  et  au  Gouveme- 
ment.  » 

Vingt  memoires  au  moins  furent  envoyes  a  I'Academie;  deux 
furent  couronnes ,  celui  de  Brissot  de  Warville  et  celui  de  Ber- 
nardi  avocat  au  Parlement  d'Aix.  lis  presentent  toutes  les  re- 
clamations ,  qui  tendent  de  plus  en  plus  a  former  un  programme 
commun,  et  qu'enregistreront  les  cahiers  de  1789.  lis  demandent 
la  publicite  de  la  procedure  (1),  la  suppression  du  serment  del'ac- 
cuse  (2)  et  celle  de  la  torture  (3),  la  pleine  liberie  de  la  defense  (4), 
et  le  systeme  des  preuves  morales  (5).  lis  demandent  enfm  le  jury, 
comme  la  restauration  d'une  ancienne  institution  nationale  (6). 
lis  font  appel  aux  reformes  prochaines  dans  cette  langue  em- 
phatique  et  ardente,  que  parle  le  xvm°  siecle  :  «  Peuple,  6  toi 
qui  courbe  sous  le  poids  -des  fers  as  gemi  si  longtemps ,  tu  com- 
mences enfin  ei  respirer;  leve  un  front  serein,  le  siecle  des 
larmes  est  passe;  ton  malheur  touche  a  son  terme...  que  le  flam- 
beau de  la  raison  luise  encore  quelque  temps  et  I'univers  ne 
connoitra  plus  de  tenebres  (7).  »  —  «  Des  regnes  plus  heureux 
brillent  sur  I'Europe.  0  mes  amis,  mes  freres,  cet  ouvrage  vous 
prouve  si  je  desire  le  soulagement  de  vos,maux  (8)  1  » 

Ces  reclamations ,  ces  voeux ,  ces  appels  vont  enfin  s'adresser 
aux  juges  eux-memes.  Ge  n'est  pas  dans  des  plaidoyers  qu'ils 
retentiront,  car  on  ne  plaide  pas  en  matiere  criminelle;  mais 
ce  qu'on  ne  pent  pas  dire,  on  I'imprimera,  et  les  M6moires  justi- 


(1)  Brissot,  p.  94;  Bernardi,  p.  176-17. 

(2)  Brissot,  p.  95;  Bernardi,  p.  162. 

(3)  Brissot,  p.  103 ;  Bernardi ,  p.  164-16. 

(4)  Brissot,  p.  96-98;  Bernardi,  p.  178-182. 

(5)  Brissot,  p.  101,  ssq. ;  Bernardi,  145,  ssq. 

(6)  Bernardi,  p.  202.  «  Obserfons  que  cet  usage  que  chacun  soil  jug6  par  ses 
pairs  6toit  autrefois  suivi  en  France ;  que  c'est  Tintroduction  des  juges  gradu6s 
et  du  droit  romain,  qui  I'a  fait  abolir;  que  s'il  subsiste  encore  en  Angleterre 
et  dans  quelques  pays  du  Nord,  c'est  que  mieux  que  chez  nous  on  a  su  y  con- 
server  les  principes  sages  et  fiquitables  de  nos  pferes.  » 

(7)  Brissot,  p.  111. 

(8)  Bernardi,  p.  218. 


APPLIQUEE.  391 

ficatifs  pour  des  innocents  injustement  condaranes  vont  se  mul- 
tiplier, dans  les  annees  qui  precedent  la  Revolution.  On  usera 
de  cette  voie  du  recours  en  cassation ,  dont  nous  avons  montre 
la  portee ;  on  obtiendra  les  ordres  royaux  qui  permettront  de  sus- 
pendre  les  executions  et  de  faire  reviser  les  proces.  Les  auteurs 
de  ces  memoires ,  avidement  lus  par  le  public ,  sont  des  avocats , 
parfois  des  magistrats,  qui  deviennent  les  heros  du  jour  (1). 
Chacune  de  ces  plaidoiries ,  qui  parle  pour  tout  un  peuple  plut6t 
que  pour  un  accuse,  contient  un  appel  aux  reformes  neces- 
saires.  Citons  rapidement  quelques-unes  de  ces  affaires.  En 
1785  c'est  une  malheureuse  fille,  Catherine  Estines,  qui ,  comme 
parricide,  est  condamnee  par  le  siege  de  Riviere  a  etre  brulee 
vive;  bient6t  au  Parlement  de  Toulouse  on  s'apercoit  que  la 
procedure  a  ete  falsifiee,  on  lance  une  plainte  en  faux  contre 
les  officiers  de  Riviere  et  un  memoire  justificatif  pour  I'ac- 
cusee  est  presente  par  M"  Lacroix,  avocat  (2).  L'auteur,  en 
terminant ,  fait  parler  sa  cliente  :  «  Qui  sait  si  le  bruit  de  naes 
malheursparvenantjusqu'aux  pieds  du  tr6ne,  cet  exemple,  ajoute 
a  tant  d'autres,  ne  hatera  pas  la  reforme  de  nos  lois  criminelles, 
si  ardemment  desir^e  de  tous  les  gens  de  bien !  Oh !  combien  je 
benirois  alors  mes  tourments  passes  et  mes  souffrances  presen- 
tes!  Une  bonne  legislation  criminelle  est  le  plus  beau  present 
qu'un  souverain  puisse  faire  a  ses  peuples.  La  France  I'attend 
avec  respect  ce  present  digne  d'elle  et  de  son  Roi...  Notre  Or- 
donnance  criminelle  renferme  des  dispositions  si  sages :  il  en 
couteroit  si  peu  pour  modifier  celles  qui  le  sont  le  moins  (3).  » 

En  1780,  cinq  particuliers  furent  condamnes  par  le  Parlement 
de  Dijon,  pour  vol  nocturne  avec  effraction  et  menaces,  k  des 


(1)  Les  charges  sont  aisement  oommuniquSes ;  souvent  ce  sont  des  «  gedliers 
sensibles ,  »  qui  prennent  a  coeur  de  faciliter  la  defense.  «  On  m'apporta  les  ren- 
seignements  promis ,  dit  M°  Lecauchois ,  dans  son  memoire  pour  la  fille  Salmon 
un  peu  plus  de  250  pages  de  minute  in-tolio.  »  —  Le  sleur  Lecard^,  greffler- 
concierge  des  prisons  de  Rouen,  atteste  I'mflaence  qu'il  a  cue  sur  le  salut  de  la 
fille  Salmon  :  «  Le  public  apprendra  que  la  garde  des  prisons  n'est  pas  incom- 
patible avec  la  bienveillance  et  I'humanit^...  J'avois  recueilli  une  liasse  de  ren- 
seignements  importants  pour  I'eclaircissement  du  proofs.  » 

(2)  M4moire  pour  Catherine  Estinis.  Toulouse ,  1786. 

(3)  Mimoire  pour  Catherine  Estinis ,  p.  54. 


392  l'ordonnance  db  1670 

peines  diverses?  I'un  fut  pendu,  un  autre  mourut  aux  galeres; 
I'un  d'eux  avait  ete  soumis  a  la  question  prealable.  lis  etaient 
innocents;  les  veritables  coupables  furent  posterieurement  de- 
couverts  et  condamnes.  Des  lettres  de  revision  furent  alors 
obtenues  et  un  memoire  justiflcatif  redige  par  M.  Godard ,  avo- 
cat  au  Barreau  de  Paris  (1);  au  memoire  est  jointe  une  consulta- 
tion que  signerent  MM.  Target,  Thetion,  Sanson,  Martineau,  de 
La  Croix,  Blonde,  Hardoin  de  la  Reynerie,  Fournel,  Bonhome 
de  Comeyras,  Henry,  Lacretelle,  de  Seze  et  Bonnet.  «  Cette 
grande  erreur ,  dit  I'auteur  du  memoire ,  va  faire  de  la  cause  de 
cinq  malheureux  une  cause  nationale,  a  laquelle'  les  citoyens 
de  tons  les  ordres  prendront  part,  puisqu'elle  les  pressera  de 
tourner  leur  attention  sur  eux-mgmes ;  et  elle  determinera  enfln , 
n'en  doutons  pas ,  ceftte  reforme  desiree  depuis  si  longtemps  et 
avec  tant  de  raison  dans  notre  legislation  criminelle...  Ce  sera 
le  descendant  de  Lamoignon...  Ce  sera  I'heritier  de  ses  vertus 
et  de  ses  lumieres,  comme  de  son  nom,  qui,  reprenant  apres 
plus  de  cent  ans  les  pen  sees  immortelles  de  son  aieull,  leur  fera 
donner  par  le  souverain  la  sanction  qui  leur  est  due,  et  obtien- 
dra  de  la  justice  bienfaisante  du  monarque  un  nouveau  code,  dont 
le  premier  objet  sera  le  bonheur  de  cet  empire ,  et  qui  eclairera 
ensuite  les  nations  etrangeres ,  comme  les  codes  recents  de  deux 
grands  princes  de  I'Europe ,  eclairent  actuellement  la  n6tre  (2).  » 
En  1786  c'est  une  autre  cause,  celle  d'une  pauvre  servants, 
Marie-Frangoise-Victoire  Salmon  (3).  Condamnee  au  feu  comme 
empoisonneuse  par  le  Parlement  de  Rouen,  le  17  mai  1772,  le 
concierge  de  la  prison  et  des  ecclesiastiques  s'interessent  a  elle ; 
on  obtient  un  sursis  pour  I'execution ,  le  proces  est  revise.  Elle 
est  condamnee  cette  fois  a  un  plus  amplement  informe  indefini  et 
a  garder  prison;  enfin  cette  nouvelle  sentence  est  elle-meme  atta- 
quee  devant  le  Conseil  du  roi.  Un  avocat  de  Rouen ,  M°  Lecau- 
chois ,  redigea  deux  memoires  pour  la  fille  Salmon ,  et  au  second 


(1)  HihabilUation  de  la  memoire  de  deux  accusis  et  justification  de  trois  autres. 
Paris ,  1787. 

(2)  P.  U2,  113. 

(3)  Voyez  Mimoire  justiflcatif  de  Mo  Lecauchois ,  Paris ,  chez  Cailleaux ,  impri- 
meur,  1786. 


APPLIQUEE.  393 

est  jointe  une  consultation  de  I'un  des  avocats  oelebres  de  Paris, 
de  Fournel  (1).  Ce  proces  emut  extremement  ropinion  :  «  des 
aumfines  abondantes  venoient  chercher  la  fiUe  Salmon  au  fond 
de  sa  prison,  ses  protecteurs  ayant  eveille  la  bienfaisance  pu- 
blique,  des  sommes  considerables  furent  envoyees  (2).  »  Le  me- 
moire  se  vendit  beaucoup.  Enfin,  un  arret  du  Parlement  de 
Paris ,  sur  cassation  et  renvoi,  intervint  le  23  mai  1786,  dechar- 
geant  I'accusee  de  toutes  les  accusations  et  plaintes  centre  elle 
intentees ;  et  tout  Paris  s'empressa  de  faire  une  ovation  a  la 
malheureuse  et  a  son  defenseur  (3). 

Mais  la  cause  la  plus  celebre  fut  celle  qui  porta  bient6t  le  nom 
de  proces  des  trots  roues.  Pour  vol  nocturne,  trois  malheureux, 
Bradier,  Lardoise  et  Simare,  sent,  en  1785,  condamnes  auxgaleres 
perpetuelles  par  le  bailliage  de  Chaumont ;  le  Parlement  de  Paris 
eleve  la  peine  a  celle  de  la  roue.  Un  sursis  cependant  est  obtenu, 
un  pourvoi  en  cassation  forme,  et  bient6t  parait  un  memoire  jus- 
tificatif  suivi  d'une  breve  consultation  [i).  La  consultation  etait 
signee  par  Legrand  de  Laleu ,  le  memoire  ne  portait  pas  de  nom 
d'auteur,  mais  tout  le  monde  sut  qu'il  avait  ete  compose  par  un 
magistral  philosophe  et  litterateur,  Dupaty,  president  a  mortier 
au  Parlement  de  Bordeaux.  Le  memoire  fut  suivi  bientot  d'une 
autre  piece ,  intitulee  :  «  Moyens  de  droit  pour  Bradier,  Simare  et 
Lardoise,  condamnes  a  la  roue  (S).  »  C'etaient  des  oeuvres  remar- 
quables  et  passionnees ,  qui  allaient  bien  au  dela  des  interets 
respectables  engages  dans  la  cause.  Le  memoire  surtout  est  un 
admirable  plaidoyer,  plein  de  force  et  d'elan ,  exprimant  dans  un 
langage  ardent  les  revendications ,  qui  bientdt  dicteront  la  loi. 
Les  appels  a  la  justice  et  a  la  clemence  royale  se  succedent,  pres- 
sants  et  enflammes  :  «  Non,  je  ne  me  tairai  point  sur  les  vices  et 

(1)  Consultation  pour  une  jewne  fille  condamnie  AUre  brulievive.  Paris,  1786. 

(2)  Mimoirepour  le  sieur  Lecardi,  concierge  des  prisons  de  Rouen,  p.  28. 

(3)  Voyez  les  recriminations  du  sieur  Lecardi,  qui  veut  avoir  sa  part  de  gloire. 
«  Depuis  ce  jour  il  n'a  cesse  (M«  Lecauchois)  de  la  trainer  aux  spectacles  de  toute 
espfece,  Theitre-Fran^ois,  Comedie  Italienne,  Ambigue-comique,  Vaux-Hals,  Rug- 
gieri,  Musee,  Boulvard,  etc.,  se  rengorgeant  a  c6te  d'elle,  11  se  montroit  lui-m6me 
comme  une  pifece  curieuse.  »  P.  25. 

(4)  Mimoire  justificalif  pov/r  trois  hommes  condamnis  il  la  roue,  1786.  Paris. 

(5)  A  Paris ,  de  I'imprimerie  de  Philippe-Denys  Pierre,  1786. 


394  l'ordonnance  de  1670 

les  rigueurs  de  notre  Ordonnance  criminelle,  lorsque  la  France  et 
rhumc^nite-possedent  enfin  Louis  XVI...  (1).  Magistrats,  il  exists 
dans  votre  Ordonnance  criminelle  une  Loi ,  qui  accorde ,  que 
dis-je?  qui  ordonne  que  tout  accuse  muet  ou  sourd  aura  un  de- 
fenseur...  Etendez,  etendez  cette  loi  humaine  sur  les  indigents  et 
les  pauvres.  Elle  les  regarde  sans  doute...  La  minorite  de  la  mi- 
sere  n'est-elle  pas  au  moins  aussi  favorable  que  la  minorite  de  la 
nature?  Que  dis-je?  ils  sont  sourds  aussi  et  muets  les  indigents 
et  les  pauvres ,  et  non-seulement  par  la  perte  reparable  des  or- 
ganes  qui  entendent  et  qui  parlent ,  mais  par  la  privation  sans 
ressource  de  I'intelligence  qui  comprend,  et  de  la  raison  qui 
s'explique  (2).  » 

«  Ah !  Sire ,  daignez  enfin  du  haut  de  votre  trone ,  au  milieu 
de  ce  brillant  concert  de  toutes  les  voix  de  la  Renommee,  qui 
publient  dans  tout  I'uni vers  votre  sagesse  et  votre  gloire,  daignez, 
Sire,  preter  un  moment  I'oreille  au  sang  innocent  des  Galas ,  des 
Montbailly,  des  Langlade ,  des  Cahusac ,  des  Barreau ,  au  sang 
innocent  de  ces  trois  malheureux  pret  a  couler.  Tout  ce  sang 
innocent,  du  milieu  des  gibets  et  des  roues ,  ne  cesse  d'une  voix 
lamentable  de  vous  crier  :  0  prince  ami  des  hommes,  ne  passez 
pas  aussi  surle  trone  sans  daigner  nous  ecouterl...  daignez,  dai- 
gnez abaisser  du  haut  de  votre  tr6ne  un  seal  regard  sur  tous  les 
ecueils  sanglants  de  notre  legislation  criminelle ,  oi  nous  avons 
peri,  ou  tous  les  jours  des  innocents  perissent...  (3).  Ne  croyez 
point,  Sire,  ceux  qui  vous  diront  qu'il  faut  maintenir  des  lois 
rigoureuses ,  il  est  vrai ,  mais  si  anciennes ,  qui  ont  des  siecles ; 
Sire,  la  raison  et  I'humanite  sont  eternelles ;  —  qui  vous  diront  que 
les  legislations  doivent  etre  stables  dans  les  Empires  pour  que 
les  Empires  eux-m6mes  se  tiennent  debout,  comme  si  les  lois 
destinees  a  suivre  les  individus ,  les  societes  et  I'espece  dans  le 
cercle  des  revolutions  qui  les  entrainent ,  ne  doivent  pas  faire 
partie  des  choses  humaines ,  et  comme  elles ,  avoir  un  cours ;  — 
qui  vous  diront  qu'il  est  dangereux  de  diminuer  le  respect  du  aux 
lois  par  des  critiques  trop  ouvertes,  comme  si  rien  pouvoit  les 

(1)  SUmoire.  p.  233. 

(2)  Ibid.,  p.  237-238 ;  cf.  p.  57 ;  of.  Moyms  de  droit ,  p.  43-44. 

(3)  Mimoire,  p.  240. 


APPLIQUEB.  393 

deshonorer  davantage  que  cette  rouille  de  la  barbarie ,  qui  les 
couvre ,  ou  le  sang  innocent  dont  elles  degouUent ;  —  qui  vous 
dirout  enfin  que  la  confection  d'un  nouveau  code  criminel  est  une 
operation  difficile,  qui  exige  que  le  temps  et  la  raison  la  muris- 
sent,  comme  si  ce  n'etoit  une  nouvelle  raison  de  s'en  occuper  tout 
a  I'heure  (1)!...  Sire,  le  Code  que  nous  implorons  n'est  point  a 
faire,  il  est  fait,  il  est  ecrit ,  il  est  grav6.  Dieu  lui-meme  I'a  grave 
dans  votre  ame ,  et  il  ne  vous  reste  plus  qu'a  le  faire  traduire  tout 
a  I'heure  par  le  chef  de  votre  magistrature  qui  ne  doit  point  avoir 
de  peine  a  I'entendre  et  a  en  donner  incessamment  un  exemplaire 
a  votre  Empire,  a  I'univers  (2) !  »  —  «  HUtez-vous,  6  prince  ami  de 
la  justice ,  de  la  verite,  de  I'humanite...  car  peut-etre  dans  quel- 
que  province  eloignee  de  votre  Empire ,  vos  lois  criminelles ,  les 
lois  surtout  de  vos  criminalistes,  poussent  dans  ce  moment  meme 
a  I'echafaud  deshommes  qui,  comme  Bradier,  Lardoise  et  Simare, 
sont  depourvus  de  tout  conseil ,  languissent  comme  eux  dans  les 
prisons,  depuis  des  annees  sont  comme  eux  les  jouets  de  I'injus- 
tice  et  de  I'ignorance  des  premiers  juges,  et  sont  innocents  comme 
eux.  Vousetes  roi...  (3).  » 

Le  memoire  de  Dupaty  eut  un  prodigieux  retentissement.  On  le 
vendit  si  profusion  avec  le  portrait  de  I'auteur  et  celui  de  Legrand 
de  Laleu ,  et  Louis  Seguier  constate  lui-meme  cette  grande  emo- 
tion dans  les  conclusions  qu'il  donna  pour  la  suppression  de  cet 
ecrit,  et  que  nous  avons  plus  haut  analysees.  «  Ce  memoire  pr^- 
tendu  justificatif  s'est  repandu  avec  profusion  dans  la  capitale , 
dans  toute  la  France,  dans  toute  I'Europe.  On  a  affecte  de  le  faire 
vendre  au  profit  des  trois  condamnes  pour  interesser  davantage 
la  commiseration  publique...  Cette  distribution  venale,  jusqu'a 
present  inusitee ,  a  produit  la  fermentation  la  plus  vive ;  la  cause 
des  trois  criminels  est  devenue  la  cause  de  presque  tons  les  ci- 
toyens...  Dans  ce  moment  d'effervescence  un  cri  general  s'est 
eleve  contre  I'Ordonnance  criminelle  (4).  »  L'avocat  general  con- 
sidere  tout  cela  comme  une  exaltation  passagere  :  «  C'est  a  notre 

(1)  Memoire ,  I,  p.  243-245. 

(2)  Ibid.,  p.  248. 
(3)/6Jrf.,  p.  249. 
(4)  IWd.,  p.  3-5 


396      l'ordonnance  de  1670  appliquee. 

ministere  qu'il  est  reserve  d'eclairer  un  public  prevenu,  de  ramener 
les  esprits  prets  a  s'egarer,  de  poser  les  vrais  principes,  ignores 
de  la  plus  grande  partie  des  citoyens  et  de  tous  les  ordres  et  de 
tous  lesrangs,  de  justifier  la  legislation,  de  fixer  le  veritable  sens 
de  la  loi ,  de  retablir  I'autorite  de  la  jurisprudence ,  en  opposant 
le  flegme  de  la  reflexion  aux  fougues  de  I'imagination ,  I'interet 
general  au  vain  desir  de  la  celebrite ,  de  faire  connoitre  a  la  na- 
tion ,  a  toutes  les  nations  que  la  manie  de  la  reformation  seule 
conduit  la  plume  de  cat  ecrivain  (1).  »  Ce  que  Seguier  prenait 
pour  un  orage  ephemere,  c'etait  le  souffle  tout-puissant  de  la  Re- 
volution Frangaise. 

(1)  Mimoire,  I,  p.  S. 


TROISIEME   PARTIE. 

LES  LOIS  DE   L'EPOQUE  INTERMEDIAIRE 
ET  LE  CODE  DESTRUCTION  CRMNELLE. 


TITRE  PREMIER. 

LES    LOIS    DE    LA    REVOLUTION. 

CHAPITRE  PREMIER. 

L'Ordonnance  de  1670  r6form6e. 


I.  L'Sdit  de  1788.  —  II.  Les  cahiers  de  1789  et  la  procedure  criminelle.  — 
III.  Premieres  rSformes  op6r6es  par  I'Assembl^e  Constituante,  le  d^cret  des 
8-9  octobre  1789. 


I. 

La  pression  toujours  plus  forte  del'opinionpubliquedevaitsous 
Louis  XVI  amener  des  reformes ,  meme  avant  la  convocation  des 
Etats-Generaux  :  pourtant  la,  comme  partout,  on  ne  fera  encore  a 
cette  epoque  que  des  modifications  partielles  et  hesitantes.  EUes 
precedent  de  bien  pen  la  convocation  des  Etats-Generaux,  etvont 
disparaitre  dans  la  grande  renovation,  qui  suit  1789. 

En  1788,  il  fut  fait  un  pas  en  avant ;  un  Edit  fut  presente  dans  le 
fameux  lit  de  justice  du  8  mai,  I'une  des  dernieres  convulsions  de 
la  vieille  monarchie.  Le  gouvernement  reconnaissait  qu'une  re- 
forme  generale  de  la  procedure  criminelle  etait  necessaire.  Dansle 
preambule  de  I'EIdit,  on  rendaithommage  a  la  grande  Ordonnance 
de  1670  ,  mais  on  proclamait  en  mSme  temps  la  necessite  d'une 
revision.  «  Nous  ne  saurions  nous  dissimuler  qu'en  conservant  le 
plus  grand  nombre  de  ses  dispositions,  nous  pouvons  en  changer 
avantageusement  plusieurs  articles  principaux  et  la  reformer  sans 
I'abolir.  Nous  avons  done  considere  que  les  Commissaires  n'ont 
pu  tout  prevoir  en  debrouillant  le  chaos  de  la  jurisprudence  crimi- 
nelle ,  que  les  proces-verbaux  de  leurs  conferences  attestent  qu'ils 


400  LES   LOIS 

furent  souvent  divises  sur  des  points  importants ,  et  que  la  deci- 
sion ne  parut  pas  confirmer  toujours  les  avis  les  plus  sages ;  que 
depuis  la  redaction  de  cette  Ordonnance  le  seul  progres  des  lu- 
mieres  suffiroit  pour  nous  inviter  a  en  revoir  attentivement  les  dis- 
positions et  a  les  rapprocher  de  cette  raison  publique,  au  niveau 
de  laquelle  nous  voulons  mettre  nos  lois...  a  I'exemple  des  le- 
gislateurs  de  I'antiquite  dont  la  sagesse  bornoit  I'autorite  de  leur 
Code  a  une  periode  de  cent  annees,  nous  avons. observe  que  ce 
terme  etant  maintenant  expire ,  nous  devions  soumettre  a  une  re- 
vision generale  cette  meme  Ordonnance  criminelle ,  qui  a  subi  le 
jugement  d'un  siecle  revolu  (1).  »  Le  garde-des-sceaux ,  dans  son 
discours  au  lit  de  justice ,  fut  plus  formel  eiicore  :  «  La  necessity 
de  reformer  I'Ordonnance  criminelle  et  le  Code  penal  est  universel- 
lement  reconnue.  Toute  la  nation  demands  au  roi  cet  acte  impor- 
tant de  legislation,  et  Sa  Majeste  a  resolu  dans  les  conseils  de  se 
rendre  au  voeu  de  ses  peuples  (2).  »  Mais  cette  reforme  generale,  on 
la  voulait  longuement  meditee ;  ce  qu'il  y  a  de  remarquable ,  c'est 
le  mode  d'enquete  qu'on  propose  pour  y  parvenir.  «  Pour  proce- 
der  a  ce  grand  ouvrage  avec  I'ordre  et  la  sagesse  qu'il  exige,  nous 
nous  proposons  de  nous  environner  de  toutes  les  lumieres  que' 
nous  pourrons  reunir  autour  du  tr6ne  ou  la  divine  Providence 
nous  a  place.  Tous  nos  sujets  auront  la  faculte  de  concourir  a 
I'execution  du  projet  qui  nous  occupe,  en  adressant  a  notre  garde- 
des-sceaux  les  observations  et  memoires  qu'ils  jugeront  propres  a 
nous  eclairer.  Nous  eleverons  ainsi  au  rang  des  lois  les  resultats 
de  I'opinion  publique ,  apres  qu'ils  auront  ete  soumis  a  I'epreuve 
d'un  mur  et  pro  fond  examen  (3).  »  En  attendant  cette  reforme 
d'ensemble,  I'fidit  abrogeait  «  plusieurs  abus  auxquels  il  a  paru 
un  instant  de  remedier.  » 

1°  L 'usage  de  la  sellette  etait  aboli  :  «  Ordonnons  qu'il  sera 
place  dans  nos  cours  et  juridictions,  derriere  le  barreau,  un  siege 
ou  banc  de  bois ,  assez  eleve  pour  que  les  accuses  puissent  etre 
vus  de  tous  leurs  juges;  laissons  au  choix  des  dits  accuses  de  Tes- 
ter debout  ou  assis ;  ce  dont  les  presidents  de  nos  cours ,  et  les 

(1)  Isambert  :  Anc.  lois,  t.  XXVIII .  p.  727. 

(2)  Buchez  et  fioux  :  Histoire  parhmentaire,  1. 1,  p.  239. 

(3)  Pr^ambule  de  I'Edit.  Isambert,  t.  XXVIII,  p.  527. 


DE  LA    REVOLUTION.  401 

juges  qui  presideront  au  jugement  dans  les  juridictions  les  aver- 
tiroiit(art.  1).  » 

2"  II  etait  defendu  de.rendre  des  sentences  non  motivees  :  «  Ne 
pourront  nos  juges ,  meme  nos  cours ,  prononcer  en  matiere  cri- 
minelle  pour  les  cas  resultant  du  proces;  voulons  que  tout  arrSt  ou 
jugement  enonce  et  qualifie  expressement  les  crimes  et  les  delits 
dontl'accuse  aura  ete  convaincu...  exceptons  les  arrets  purement 
confirmatifs  de  sentence  des  premiers  juges,  danslesquels  les  dits 
crimes  et  delits  seroient  expressement  enonces ;  ei  la  charge  par 
les  cours  de  faire  transcrire  dans  le  Vu  de  leurs  arrets  les  dites 
sentences  des  premiers  juges,  le  tout  a  peine  de  nuUite  (art.  3).  » 
C'etait  la  une  reforme  bien  sage ,  et  depuis  longtemps  attendue  : 
«  La  dignite  meme  de  nos  jugements  exige  I'enonciation  expresse 
des  delits,  disait  le  garde-des-sceaux.  Quel  tribunal  pourroit  etre  ja- 
loux  de  la  prerogative  d'inftiger  des  peines  capitales,  sans  motiver 
ses  arrets  ?  —  Le  roi  a  done  pense ,  messieurs ,  que  toute  con- 
damnation  solennelle ,  qui  met  la  peine  a  la  suite  du  delit,  devoit 
montrer  le  delit  a  c8te  de  la  peine  (1).  » 

3°  L'abolition  de  la  question  preparatoire  etait  confirmee,  la 
question  prealable  etait  abolie ,  art.  8  :  «  De  nouvelles  reflexions 
nous  ont  convaincu  de  I'illusion  et  des  inconvenients  de  ce  genre 
d'epreuve,  qui  ne  conduit  jamais  siirement  a  la  connoissance  de 
la  verite ,  prolonge  ordinairement  sans  fruit  le  supplice  des  con- 
damnes  et  peut  plus  souvent  egarer  nos  juges  que  les  eclairer.  » 
On  la  remplagait  par  un  interrogatoire  supreme  fait  par  le  juge- 
commissaire,  le  jour  meme  de  I'execution,  avec  recolement  et  con- 
frontation, s'il  etait  besoin  (art.  9-12).  C'etait  substituer  a  la  tor- 
ture physique  une  contrainte  morale  ,  le  condamne ,  dans  cet  in- 
terrogatoire comme  dans  les  autres ,  devant  preter  sermeht,  selon 
la  regie  generale,  qui  etait  maintenue;  c'etait  «  un  moyen  plus 
■  doux  sans  etre  moins  stir  pour  forcer  les  malfaiteurs  de  nommer 
leurs  complices.  Nous  avons  pense  que ,  la  loi  ayant  confie  a  la 
religion  du  serment  les  plus  grands  interets  de  la  societe ,  puis- 
qu'elle  en  fait  dependre  la  vie  des  hommes ,  elle  pouvoit  I'adopter 
aussi  pour  garant  de  la  siirete  publique ,  dans  les  dernieres  decla- 

(1)  Bachez  et  Roux,  op.  cil.,  torn.  I,  p.  241. 

26 


402  LES  LOIS 

rations  des  coupables.  Nous  nous  sommes  done  decide  a  essayer 
du  moins  provisoirement  de  ce  moyen ,  nous  reservant ,  (juoique 
a  regret ,  de  retablir  la  question  prealable ,  si  apres  quelques 
annees  d'experience ,  les  rapports  de  nos  juges  nous  apprenoient 
qu'elle  fut  d'une  indispensable  necessite  (1).  » 

•4°  Pour  qu'une  condamnation  a  mort  fM  prononcee,  il  ne 
suffisait  plus  d'une  majorite  de  deux  voix;  il  en  fallait  une  de 
trois  (art.  -4). 

Enfin  venaient  deux  dispositions ,  qui ,  aux  yeux  du  legisla-' 
teur,  paraissaient  les  plus  importantes  de  toutes  celles  qu'il  edic- 
tait,  et  qui,  en  elles-memes,  sont  fort  interessantes. 

5°  II  etait  dit  :  «  Aucune  sentence  portant  peine  de  mort  natu- 
relle  ne  pourra  etre  executee  qu'un  mois  apres  qu'elle  aura  ete 
prononcee...  sauf  les  jugements  rendus  pour  des  cas  de  sedition 
ou  emotion  populaire ,  seront  lesdits  jugements  executes  le  jour 
qu'ils  auront  ete  prononces  aux  condamnes.  »  Pourquoi  ce  sursis 
que  rOr^onnance  n'admettaitpas?  Etait-ce  pour  infliger  aux  con- 
damnes les  angoisses  d'une  horrible  attente?  Non;  malgre  cet  in- 
convenient qui  semble  avoir  preoccupe  les  esprits  (2),  il  y  avaitla 
une  pensee  genereuse :  «  Le  roi  veut  assurer  a  tons  les  condamnes 
le  temps  necessaire  pour  solliciter  sa  clemence  et  assurer  sa  jus- 
tice. »  C'etait  une  mesure  fort  humaine,  que  Voltaire  avait  haute- 
ment  reclamee :  « II  est  notoire,  disait  le  garde-des-sceaux,  que  dans 
les  fitats  les  plus  eclaires  de  I'Europe,  tous  les  jugements  portant 
peine  de  mort  sont  soumis  a  I'approbation  du  Souverain. »  L'Edit, 
pour  mieux  assurer  cette  garantie,  voulait  que  les  procureurs 
g6neraux  transmissent  les  sentences  capitales  avec  les  renseigne- 
ments  necessaires  au  garde-des-sceaux  (art.  5).  Ces  dispositions 
qui  devaient  etre  «  egalement  precieuses  a  conserver  apres  la 
reforme  des  lois  criminelles ,  »  ne  se  retrouvent  point  dans  les 
lois  de  I'epoque  intermediaire;  cela  se  concoit ,  le  droit  de  grcice 
n'existait  plus  alors ,  et  le  pourvoi  en  cassation  avait  desormais 
un  effet  suspensif  en  matiere  criminelle.  Plus  tard,  bien  que  le 
droit  de  grace  eut  ete  retabli,  le  Code  d'Instruction  criminelle, 

(1)  Isambert ,  t.  XXVIII,  p.  528. 

(2)  Discours  du  garde-des-sceaux ;  Buchez  et  Roux  :  Hist.parUm.,  1. 1,  p.  240. 


DE   LA  REVOLUTION.  403 

copiantle  Code  de  Brumaire  an  IV,  ordonna  dans  son  article  375 
I'execution  des  arrets  de  mort  aussit6t  qu'ils  seraient  devenus  de- 
finitifs.  C'est  ce  que  voulait  aussi  I'Ordonnance  de  1670  (1).  Mais 
ce  texte  n'est  pas  applique,  et  meme  une  circulaire  du  garde- 
des-sceaux,  du  27  septembre  1830,  ordonne  aux  procureurs  gene- 
raux  d'adresser  un  memoire  sur  chaque  condamnation  capitale. 
Le  garde-des-sceaux  lui-meme,  apres  que  la  question  a  ete  etu- 
diee  par  la  direction  des  graces,  adresse  un  rapport  au  chef  de 
FEtat  :  «  la  grclce  pent  6tre  accordee  dans  un  interet  de  justice 
et  d'humanite.  »  On  le  voit,  c'est  en  realite  la  disposition  de  I'fidit 
de  1688,  qui  a  ete  reprise  de  nos  jours. 

6°  Enfln ,  chose  bien  remarquable ,  on  accordait  aux  accuses 
absous  une  reparation  d'honneur  :  «  Je  puis  le  declarer,  dit  le 
garde-des-sceaux,  Sa  Majeste  a  vu  avec  la  plus  grande  surprise 
que  la  legislation  de  son  royaume  n'avoit  encore  rien  statue  en 
leur  favour,  et  que  s'il  ne  se  trouvoit  pas  au  proces  une  partie 
civile  qui  put  etre  condamnee  aux  frais  de  Timpression  et  de 
I'affiche  de  ces  jugements  d'absolution ,  cette  faible  indemnite 
n'etoit  pas  meme  accordee  a  I'innocence  (2).  »  Aussi  I'article  7 
etait  ainsi  congu  :  «  Nos  Cours  et  juges  ordonneront  que  tout 
arret  ou  jugement  d'absolution  rendu  en  dernier  ressort ,  ou  dont 
il  n'y  aura  appel ,  sera  imprime  et  affiche  aux  frais  de  la  partie 
civile,  s'il  y  en  a,  sinon  aux  frais  de  notre  domaine  (3).  » 

Tel  etait  cet  Edit,  qui  laissait  intact  le  systeme  de  I'Ordon- 
nance, mais  qui,  sur  certains  points,  etait  plus  liberal  que  ne  le 
seront  les  lois  posterieures.  On  salt  quelle  opposition  il  souleva 
dans  les  Parlements.  C'est  un  interessant  document  historique ; 
ce  ne  fut  pas  en  realite  une  loi  appliquee.  C'etait  la  derniere  fois 
que  la  royaute  exergait  en  matiere  criminelle  le  pouvoir  legis- 
latif  absolu  et  independant  que  lui  reconnaissait  I'ancienne  France. 
Le  5  juillet  1788  fut  rendu  I'arret  du  Conseil  concernant  la  con- 
vocation des  fitats-Generaux  (4).  C'est  desormais  la  nation  qui  a 

(1)  Tit.  XXV,  art.  21. 

(2)  Buchez  et  Roux,  op.  cit.,  I,  p.  242. 

(3j  Le  nombre  d'exemplaires  alloues  par  I'Stat  variait  entre  100  et  200,  suivanl 
I'importance  desjuridictions. 
.  (4)  Isambert,  t.  XXVIII,  p.  601. 


404  LES  LOIS 

la  parole.  Avant  de  voir  comment  ses  representants  interprete- 
ront  ses  volontes,  il  est  utile  de  rechercher  comment  elle  les 
exprime  elle-meme  dans  ces  fameux  cahiers,  que  les  commet- 
tants  remirent  alors  a  leurs  mandataires  (1). 


II. 

Pour  la  legislation  criminelle,  les  cahiers  sont  le  miroir  fidele 
de  I'esprit  public ;  nous  y  retrouverons  la  plupart  des  reclama- 
tions qu'ont  deja  fait  entendre  les  publicistes,  et,  d'autrepart, 
la  marche  que  tracent  quelques-uns  d'entre  eux  sera  exactement 
suivie  par  I'Assemblee  Constituante.  Les  trois  Ordres  sontpresque 
toujours  unanimes  sur  les  points  importants. 

Tout  d'abord  c'est  la  publicite  des  procedures  qui  est  reclamee : 
«  La  publicite  des  procedures ,  etablie  autrefois  en  France ,  en 
usage  dans  tous  les  temps  cbez  presque  toutes  les  nations  eclai- 
rees,  sera  retablie,  et  Ton  fera  desormais  I'instruction  portes 
ouvertes  et  I'audience  lenante  (2).  »  —  «  Que  surtoutla  publicite 
de  la  procedure  soit  retablie  (3).  »  —  «  Quant  a  la  reforme  du 
Code  Criminel,  le  desir  du  clerge  seroit...  que  I'instruction  dela 
procedure  criminelle  se  fit  publiquement ,  interrogatoire ,  deposi- 
tions des  temoins,  recolement  et  confrontation  (4).  » 

L'assistance  des  conseils  sera  permise  a  I'accuse;  sur  ce  point 
les  Cahiers  des  trois  ordres  sont  unanimes  (5).  Certains  cahiers 
demandent  que  le  defenseiir  soit  donn6  gratuitement ;  c'est  I'avo- 
cat  d'office  de  I'avenir  (6).  Parfois  on  veut  que  le  conseil  assiste 
I'accuse  des  le  debut  de  la  procedure  :  «  qu'il  soit  donne  en  toute 
matiere  et  des  I'origine  de  I'instruction  un  conseil  aux  accuses , 

(1)  Nous  suivons  le  Risumi  des  Cahiers,  par  Prudhomme ;  3  vol.,  1789. 

(2)  Cahier  du  Tiers,  ville  de  Paris.  Prudhomme,  III,  p.  159.  Dans  ce  sens 
I'unanimit^  des  Cahiers  du  Tiers-Etat  et  de  la  Noblesse.  Prud.,  Ill,  p.  588;  II, 
p.  387. 

(3)  Noblesse,  ville  de  Paris,  II,  p.  145. 

(4)  Clergi,  Mantes  et  Meulan. 

(5)  Unanimity  des  Cahiers  de  tous  les  bailliages  :  Clergi :  Prudhomme,  I,  p.  335; 
Noblesse  :  II,  377;  Tiers  :  III,  548. 

(6)  Vannes,  Cahier  du  Tiers,  III,  161. 


DE  LA.  REVOLUTION.  403 

et  que  le  conseil  soit  autorise  a  prendre  communication  toutes 
les  fois  qu'il  le  trouvera  necessaire  (d).  »  —  «  II  sera  donne  un 
d6fenseur  juridique  desle commencement  du  proces  criminel  (2).  » 
—  Ailleurs  on  veut  que  le  defenseur  intervienne  seulement 
apres  I'interrogatoire  de  I'accuse  :  «  Qu'apres  le  premier  interro- 
gatoire  il  soit  donne  un  conseil  a  I'accuse  (3).  »  —  «  Que  les 
accuses  aient  des  conseils  pour  la  confrontation  et  les  actes  subse- 
quents  (i).  » 

Le  serment  impose  aux  accuses  doit  etre  aboli  (S).  —  «  Que 
les  serments  ou  plutot  les  parjures  qu'on  exige  des  accuses  soient 
supprimes  (6).  »  —  «  Le  serment  exige  des  accuses  etant  evi- 
demment  contraire  au  sentiment  naturel  qui  attache  I'homme  a 
sa  propre  conservation ,  n'est  qa'une  violence  faite  a  la  nature 
humaine ,  inutile  pour  decouvrir  la  verite ,  et  propre  seulement  a 
affaiblir  I'horreur  du  parjure  (7).  »  Le  Clerge  ici  n'est  pas  moins 
pressant  que  le  Tiers-Etat  :  «  On  demandera  la  suppression  du 
serment  qu'on  exige  de  I'accuse,  serment  qui  I'oblige  au  par- 
jure (8).  »  —  ('  Qu'on  s'occupe  egalement  de  reformer  le  Code 
criminel,  de  procurer  aux  accuses  le  moyen  d'assurer  leur  de- 
fense ,  et  d'abolir  I'usage  du  serment ,  qui  les  rend  presque  tou- 
jours  parjures  (9).  » 

La  defense  et  I'accusatioa  seront  mises  sur  un  pied  d'egalite, 
en  ce  sens  que  I'accuse,  des  le  debut,  pourra  proposer  et  prouver 
les  faits  qui  sont  a  sa  decharge;  on  n'accule  plus  dans  le  dernier 
recoin  du  proces  les  faits  justificatifs.  Cela  est  formellement  ex- 
prime  dans  de  nombreux  Gabiers  :  «  On  soUicitera  la  faculte  aux 
accuses  de  proposer  et  d'etablir  leur  justification  par  titre  ou 

(1)  La  Rochelle,  Cahier  du  Tiers,  III,  161. 

(2)  ViUe  de  Paris,  Cahier  du  Clergi,  I,  159. 

(3)  Lyon,  Cahier  du  Tiers,  III,  163. 

(4)  Lyon,  Cahier  de  la  Noblesse,  II,  146. 

(5)  Prudhomme  indique  dans  ce  sens  1' unanimity  des  Cahiers  du  Tiers  (III, 
348),  et  les  Cahiers  du  Clergi  de  91  bailliages  (I,  335). 

(6)Vanues,  Cahier  du  Tiers,  III,  161. 

(7)  Ville  de  Paris,  Cahier  du  Tiers,  III,  162. 

(8)  Douay,  Cahier  du  Clergi.,  1,  162. 
(9j  Auxerre,  Cahier  du  Clergi,  I,  162. 


406 


LES   LOIS 


par  enquetes  aussit6t  leur  premier  interrogatoire  (1).  »  —  «  Qu'un 
conseil  gratuit  soit  nomme  aux  accuses  apres  le  premier  inter- 
rogatoire, chaque  acte  de  la  procedure  commujiique  a  ce  coa- 
seil,  qui  correspondra  toujours  libremeat  avec  les  accuses,  et 
fera  valoir  en  leur  faveur  et  sur  papier  libre  leurs  moyens  jus- 
tificatifs  en  tout  etat  de  cause  (2).  »  — «  Que  I'accuse,  cons- 
tamment  seconde  de  son  conseil,  puisse,  des  le  commencement 
jusqu'a  la  fin  de  la  procedure ,  administrer  toutes  preuves  jus- 
tificatives,  et  qu'il  soit  defendu  a  tout  juge  de  refuser  de  les 
admettre  et  d'y  faire  droit  (3).  » 

II  faut  restreindre  les  pouvoirs  immenses  du  juge  d'instruc- 
tion  qui,  a  lui  seul,  nous  le  savons,  prononcait  le  reglement  a  I'ex- 
traordinaire  et  lancait  les  decrets ,  qui  confrontait  et  recolait  seul, 
rassemblant  ainsi  les  pieces  ecrites  sur  lesquelles  se  decidait  le 
proces  :  «  Un  juge  qui  entend  les  temoins  en  premiere  instance 
et  recoit  les  depositions  est  souvent  un  juge  peu  instruit,  queL 
quefois  prevenu ;  1' arret  de  mort  des  lors  est  deja  prononce  contre 
I'accuse ,  sans  qu'il  puisse  esperer  de  s'y  soustraire ,  puisque  le 
tribunal  d'appel  ne  juge  que  sur  la  procedure,  et  sur  les  depo- 
sitions recues  par  le  premier  juge  (4).  »  Aussi   trouvons-nous 
beaucoup  de  Cahiers  qui,  soit  pour  proceder  aux  informations  et 
interrogatoires,  soit  pour  rendre  les  decrets,  demandant  I'assis- 
tance  de  deux  ou  trois  juges,  ou  mSme  I'intervention  du  siege 
tout  entier  (5).  «  Qu'il  ne  soit  plus  permis  au  juge  de  proceder 
aux  interrogatoires  et  autres  actes  de  I'instruction  qu'assiste  de 
deux  autres  juges,  qu'il  ne  puisse  rendre  de  decret  de  prise  de 
corps  et  d'ajournement  personnel ,  que  de  I'avis  de  deux  ju- 
ges (6).  »  —  «  Que  les  informations  soient  faites  non  par  devant 
un  juge  seul,  mais  par  devant  deux  juges  et  les  interrogatoires 
par  devant  la  compagnie  tout  entiere  qui  doit  juger  (7).  »  — 

(1)  Saintes,  Cahier  du  Tiers,  III,  p.3159. 

(2)  Vannes,  Cahier  du  Tiers,  HI,  p.  162. 

(3)  Dourdan,  Cahier  de  la  Noblesse,  II,  p.  146. 

(4)  Blois ,  Cahier  de  la  Noblesse. 

(5)  Selon  Prudhomme  (II,  399) ,  les  Cahiers  de  la  Noblesse  sont  unanimfes  pour 
demander  qu'un  juge  ne  puisse  jamais  seal  rendre  un  decret  de  prise  de  corps, 

(6)  La  Rochelle,  Cahier  du  Tiers,  lit,  p.  160. 

(7)  Toul,  Cahier  du  Tiers,  III,  p.  160. 


DE   LA  REVOLUTION.  407 

«  Que  I'information  et  le  premier  interrogatoire  soient  fails  en 
presence  de  -trois  juges  (1).  »  —  «  Qu'il  ne  puisse  Mre  lanc6 
aucun  decret  en  matiere  criminelle  que  par  tons  les  juges  de  la 
juridiction  assembles  (2).  » 

D'autres  reformes  sont  reclamees  qui  ont  deja  ete  op6rees  par 
I'Edit  ephemere  de  1788. 

Les  arrets,  meme  ce,ux  des  cours  souveraines,  devront  etre 
motives  d'une  fagon  precise  (3).  La  torture  sera  a  tout  jamais 
abolie  et  I'usage  de  la  sellette  definitivement  supprime  (4). 

On  veut  voir  disparaitre  les  juridictions  d'exception  :  «  Que 
la  juridiction  des  prevots  soit  abolie,  afin  que  tout  accuse  puisse 
jouir  du  benefice  des  deux  degres  de  juridiction  (5).  »  Les  com- 
missions extraordinaires  ne  pourront  plus  exister  en  matiere  cri- 
minelle. 

La  liberte  individuelle  sera  efficacement  protegee,  I'interro- 
gatoire  du  captif  devra  necessairement  avoir  lieu  dans  les  vingt- 
quatre  beures  (6).  La  mise  en  liberte  sous  caution  sera  accordee 
toutes  les  fois  qu'il  ne  s'agira  pas  de  crime  grave  :  «  Que  I'elar- 
gissement  provisoire  soit  to uj  ours  accorde  apres  I'interrogatoire 
prete ,  en  fournissant  caution ,  excepte  dans  les  cas  oii  le  dotenu 
seroit  prevenu  d'un-delit  qui  meriteroit  peine  corporelle  (7).  » 

Les  praticiens  qui  redigerent  souvent  les  Cahiers  du  Tiers- 
Etat  n'oublierent  point  la  disposition  de  I'Ordonnance  qui  punis- 
sait  comme  faux  temoin  celui  qui  se  retractait  a  la  confronta- 
tion. «  On  sollicitera  aussi  la  liberte  aux  temoins  de  se  retractor 
a  la  confrontation  sans  danger  d'encourir  la  peine  de  faux,  a 
moins  que  la  retractation  ne  soit  frauduleuse  (8).  » 

(1)  Lyon,  Cahier  du  Tiers,  III,  p.  162. 

(2)  Nivernois ,  Cahier  du  Tiers,  III,  p.  163. 

(3)  Unanimity  dans  ce  sens  des  Cahiers  des  trois  ordres.  Ckrg6, 1,  351  ;of.  p.  153; 
Noblesse,  II,  p.  399;  cf.  p.  147;  Tiers-itat,  III,  575;  of.  p.  172. 

(4)  Uaaminitedes  Cahiers  :  Clergi,  I,  161;  Noblesse,  II,  149;  Tiers,  III,  165. 

(5)  AWncon,  Cahier  de  la  Noblesse,  II,  p.  154;  dans  ce  sens ,  la  Noblesse  de  43 
bailliages  (II,  p.  400). 

(6)  I,  122;  352. 

(7)  Alenjon,  Labour :  Cahiers  de  la  Noblesse,  II,  p.  145 ;  dans  ce  sens,  la  Noblesse 
de  59  bailliages,  II,  p.  391. 

(8)  III,  159,  et  dans  ce  seas,  le  Tiers  de  32  bailliages,  III,  p.  594. 


408  LES  LOIS 

Le  Glerge  seul ,  chose  singuliere  en  apparence ,  demande  la 
suppression  des  monitoires,  «  si  ce  n'est  dans  las  cas  les  plus 
graves  (1).  »  Mais  d'autre  part,  le  Tiers-Etat  demande  que  la 
Justice  ecclesiastique  n'ait  plus  aucune  place  dans  la  procedure 
criminelle  :  «  On  sollicitera  rabolition  de  I'instruction  jointe 
des  officiaux  et  des  lieutenants  criminels,  comme  usage  dan- 
gereux,  propre  a  doubler  les  frais  et  multiplier  les  ouvertures 
de  cassation;  en  consequence  I'attribution  aux  juges  royaux 
ordinaires  de  la  connoissance  des  cas  privilegies ,  dont  les  eccle- 
siastiques  pourroient  gtre  accuses,  sans  prejudice  des  poursuites 
separees  que  pourront  faire  les  promoteurs  pour  le  maintien  de 
la  discipline  ecclesiastique  (2).  »  La  bourgeoisie  de  1789  recla- 
mait  ici  exactement  la  meme  mesure  qu'avaient  proposee,  en  1670, 
les  commissaires  de  Louis  XIV. 

Toutes  ces  reformes ,  les  publicistes  les  prechaient  depuis  ciu- 
quante  ans.  Aujourd'hui  on  voulait  les  accomplir  sans  retard. 
Mais  les  Cahiers  montrent  que  I'esprit  public  les  avait  depas- 
sees  :  pour  I'organisation  de  la  justice  criminelle  comme  pour  la 
fondation  de  la  liberte  politique ,  e'etait  a  I'Angleterre  qu'on 
allait  demander  des  modeles  (3) ;  11  fallait  d'abord  supprimer  les 
abus  criants  de  I'anciea  systeme,  puis  introduire  chez  nous  la 
procedure  oraleJet  par  jures. 

Le  Tiers-fitat  de  58  bailliages  demande  qu'on  distingue  les 
juges  du  fait  et  les  juges  du  droit  (4).  «  En  matiere  criminelle 
le  jugement  du  fait  sera  toujours  separe  du  jugement  du  droit, 
L'institution  des  jures  pour  le  jugement  du  fait  paraissant  plus 
favorable  a  la  surete  personnelle  et  a  la  liberte  publique,  les  Etats- 

(d)I,  p.  154,  et  168. 

(2)  III,  p.  122,  dans  ce  sens,  runanimit^  des  Cahiers  du  Tiers,  III,  p.  560. 

(3)  «  Qa'il  soil  formi  au  commencement  de  la  procliaine  teuue  des  £tats-G§n6- 
raux  un  conseil  compost  des  personnesles  plus  ficlairSes,  pour  s'occuper  d'un  objet 
aussi  important  que  la  rSforrae  du  Code  criminel.  Ce  conseil  ne  doit  pas  6tre  seu- 
lement  compost  de  magistrals  et  de  jurisconsultes;  la  vertu  la  plus  ^clair^e  n'est 
pas  toujours  a  I'abri  de  la  seduction  du  prejug^.  II  est  n^cessaire  d'y  admettre 
des  citoyens  de  tons  les  Stats ,  de  tons  les  ordres ,  et  de  ceux  surtout  qui  ont  iU 
aporUe  d'itudier  la  jurisprudence  criminelle  de  I'Angleterre.  »  —  Blois,  Cahier 
de  la  Noblesse ,  II,  142. 

(4)  III,  574. 


DE  LA.  REVOLUTION.  409 

Generaux  chercheront  par  quels  moyens  on  pourroit  adapter 
cette  institution  a  notre  legislation  (1).  »  Ailleurs,  nous  voyons 
indiquer  les  «  douze  pairs  assermentfis  pronongant  uniquement 
et  exclusivement  sur  le  fait ,  et  dont  I'unanimite  est  necessaire 
pour  entrainer  la  condamnation  (2).  »  Ce  sont  les  traits  caracte- 
ristiques  du  jury  anglais  (3).  II  est  vrai  que  d'autres  Cahiers  se 
referent  aux  vieilles  coutumes  francaises  faussement  interpretees. 
«  Qu'il  ne  puisse  etre  instruit  aucun  proces  criminel  contre 
quelque  citoyen  que  ce  soit  que  le  juge  ne  soit  assiste  dans  tous 
les  actes  de  la  procedure  d'un  ou  de  plusieurs  citoyens  de  I'ordre 
de  celui  qui  sera  accuse ,  et  que  tous  les  citoyens  jouissent  du 
meme  droit  et  privilege  que  le  clerge ,  conformement  a  I'ancien 
usage  de  France  (4).  » 

Enfin  les  cahiers  demandent  qu'on  supprime  cette  justice  re- 
tenue ,  et  cet  exercice  du  pouvoir  absolu,  qui  jetaient  un  si  grand 
trouble  dans  I'administration  de  la  justice.  Les  lettres  de  cachet 
seront  abolies  (S) ;  elles  ont  ete  fletries  par  celui  qui  sera  tout 
d'abord  la  grande  voix  de  la  Revolution.  Quant  aux  lettres  de 
grdce,  elles  ne  pourront  plus  intervenir  qu'apres  le  jugement  : 
«  II  ne  pourra  etre  accorde  des  lettres  de  grace  qu'apres  le  juge- 
ment d6finitif  et  en  dernier  ressort  (6).  »  —  «  Le  roi  pourra  com- 
muer  toutes  les  peines  prononcees  en  une  peine  moins  severe , 
et  faire  grice  a  son  gre  par  lettres  emanees  de  Sa  Majeste  et 
dument  en  forme  ,  a  I'exception  des  crimes  de  lese-majeste ,  de 
peculat  et  de  concussion ,  mais  dans  aucun  cas  il  ne  pourra  em- 
pecher  la  prononciation  des  jugements  (7).  » 

Nous  avons  la,  exprimees  dans  leurs  grandes  lignes,  les  re- 
formes  que  va  operer  la  Constituante. 

(1)  Ville  de  Paris,  Cahierdu  Tiers,  III,  163. 

(2)  11,  144. 

(3)  91  Cahiers  de  la  Noblesse  demandent  que  « I'unanimite  des  pairs  asserment^s 
soit  nScessaire  pour  operer  la  conviction  qui  doit  soumettre  un  accuse  b.  la  peine 
de  mort.  »  II,  387. 

(4)  Vermandois,  Cahier  de  la  Noblesse,  II,  144. 

(3)  Unanimity  des  Cahiers  :  Clergi,  I,  352;  Tiers,  III,  576  et  58;  pour  la  No- 
blesse, II,  56,  ssq. 

(6)  Meaux,  Cahier  du  Tiers,  III,  174;  dans  ce  sens  le  Tiers  de  88  bailliages,  III,  570. 

(7)  Tourraine,  Cahier  de  la  Noblesse,  II,  132. 


410  LESLOiS 


III. 


L'Assemblee  Constituante  vota  pour  la  procedure  criminelle 
deux  lois  de  la  plus  grande  importance  :  celle  des  8-9  octobre 
1789,  et  celle  des  16-29  septembre  1791.  II  parait  etrange  au 
premier  abord  que  ces  lois  se  soient  succede  a  uu  si  court  inter- 
valle ,  et  que  1' Assemblee  ait  si  vite  cru  necessaire  de  retoucher  ' 
son  ceuvre.  Cela  s'explique  aisement.  La  premiere  de  ces  deux 
lois  opere  cette  reforme  des  abus  les  plus  graves  qu'on  voulait 
immediate,  mais,  comme  I'indique  son  preambule,  elle  n'eta- 
blit  qu'un  etat  de  choses  provisoire  (1) ;  la  seconde  realise  cette 
adaptation  de  la  procedure  par  jures ,  et  d'une  facon  plus  gene- 
rale  de  la  procedure  anglaise ,  qu'on  avait  classee  parmi  les  insti- 
tutions definitives  de  la  France 

Le  Decret  de  1789  ne  ruine  point  I'ordre  de  proceder  usite 
jusque-la.  C'est  toujours  I'Ordonnance  de  1670  qui  reste  en  vi- 
gueur  :  «  L'Ordonnance  de  1670  et  les  edits  et  reglements  concer- 
nant  la  matiere  criminelle  continueront  d'etre  observes  en  tout 
ce  qui  n'est  pas  contraire  au  present  Decret ,  jusqu'a  ce  qu'il  en 
ait  ete  autrement  ordonne  (art.  28).  »  C'est  toujours  la  procedure 
ecrite  et  compliquee  que  nous  connaissons.  L'information ,  les 
decrets ,  I'interrogatoire ,  le  reglement  a  I'extraordinaire ,  le  re- 
colement  et  la  confrontation,  le  rapport  du  proces,  le  dernier 
interrogatoire,  tout  cela  se  retrouve  a  sa  place  dans  le  texte  nou- 
veau ,  (et  a  ce  moment  meme  rien  n'est  encore  change  dans  les 
juridictions).  Mais  un  element  etranger  s'est  ajoute  a  I'oeuvre 
ancienne;  c'est  la  defense  permise  et  assuree;  c'est  une  large 
publicite;  a  cet  egard  la  loi  accorde  des  garanties  qui  dispa- 
raitront  plus  tard.  Cela  etant  connu,  on  comprendra  mieux  que 
lors  de  la  redaction  du  Code  d'Instruction  criminelle,  certains 


(1)  «  Si  I'exScution  de  cette  reforme  entifere  exige  la  lenteur  et  la  maturity  des 
plus  profondes  meditations ,  il  est  oependant  possible  de  faire  jouir  d§s  i  present 
la  nation  de  I'avantage  de  plusieurs  dispositions ,  qui ,  sans  subvertir  I'ordre  de 
proc6der  actuellement  suivi ,  rassureront  I'innocence  et  faciliteront  la  justification 
des  accuses.  » 


DE  LA.  EEVOLUTION,  411 

esprits  aieat  vqulu  en  revenir  purement  et  simplement  a  cette 
premiere  reforme  operee  par  la  Revolution. 

Les  garanties  que  le  decret  de  1789  assure  a  I'accuse  consis- 
tent surtout  dans  la  publicite  de  la  procedure  et  dans  I'assis- 
tance  d'un  conseil.  Cependant  le  legislateur  n'avait  pas  voulu 
introduire  le  plein  jour  des  les  premiers  actes  de  la  poursuite 
et  de  I'instruction.  Lorsqu'on  cherche  encore  des  preuves ,  qu'il 
pent  etre  facile  de  dissimuler,  il  est  opportun,  presque  neces- 
saire,  de  ne  pas  donner  I'eveil  a  tous  les  interesses.  La  plainte 
et,  la  denonciation  se  produiront  en  secret ,  «  I'information  qui 
precedera  le  decret  continuera  d'etre  faite  secretement  (art.  6).  » 
Mais  pour  remplacer  la  publicite ,  dangereuse  dans  ces  premiers 
instants,  on  organise  una  autre  garantie.  On  donne  au  juge  des 
adjoints,  qui  sont  des  citoyens  nommes  par  les  municipalites  ou 
par  les  communautes  d'habitants.  Leur  assistance  remplacera  dans 
la  mesure  du  possible  le  controle  de  1' opinion  publique ;  et  en 
meme  temps  on  evitera  tout  danger ,  car  «  ils  prSteront  serment 
a  la  commune  entre  les  mains  des  officifers  municipaux  ou  des 
syndics...  de  remplir  fidelement  leurs  fonctions,  et  surtout  de 
garder  un  secret  inviolable  sur  le  contenu  en  la  plainte  et 
autres  actes  de  la  procedure  (art.  2)  (1).  »  Le  public  est  en  quel- 
que  sorte  present  en  leur  personne,  et  ils  remplacent  aussi  le 
conseil.  Ce  qui  montre  bien  que  tel  est  leur  rdle,  c'est  que 
lorsque  la  publicite  est  etablie  et  le  conseil  admis,  ils  se  re- 
tirent  et  disparaissent ;  lorsque  I'accuse  aura  comparu,  «  tous 
les  actes  de  I'instruction  seront  fails  contradictoirement  avec 
lui,  publiquement  et  les  portes  de  la  cbambre  d'instruction 
•etant  ouvertes;  des  ce  moment,  I'assistance  des  adjoints  ces- 
sera  (art.  11).  »  Telle- est  I'idee  gen#rale  qui  inspire  la  loi; 
voyons  rapidement  le  detail. 

Des  le  debut  de  la  procedure,  lorsque  le  juge  est  saisi  par 

(1)  Ces  notables  doivent  avoir  25  ans  et  6tre  choisis  «  parmi  les  citoyens  de 
bonnes  moeurs  et  de  probitSreconnue.  »  Ea  cas  d'urgence  ou  de  flagrant  d61it,  ils 
peuvent  6tre  remplaces  par  «  deux  des  prinoipaux  habitants  qui  ne  seront  pas 
dans  le  cas  d'etre  entendus  comma  t^moins  et  qui  prSteront  sur-le-champ  serment 
devant  lejuge  d'instruction.  »  Art.  8.  Dans  une  autre  hypothfise  (transport  surfes 
lieux  trop  loin  du  ciief-Iieu  de  la  juridiction ,)  ils  peuvent  6tre  supplies  par  des 
membres  de  la  municipality  dulieu,  choteis  par  lejuge  d'instruction.  »  Art.  5. 


412 


LES   LOIS 


la  partie  privee  ou  par  la  partie  publique,  la  loi  se  montre  pre- 
Toyante.  S'agit-il  d'une  plainte,  «  elle  ne  peut  etre  presentee  au 
juge  qu'en  presence  de  deux  temoins,  amenes  par  le  plaignant... 
II  sera  fait  mention  de  leur  presence  et  de  leurs  noms  dans 
I'ordonnance  qui  sera  rendue  sur  la  plainte,  et  ils  signeront 
avec  le  juge  a  peine  de  nullite  (art.  3).  »  S'agit-il  d'une  pour- 
suite  d'office ,  les  adjoints  sont  presents ,  la  loi  exige  que  le  pro- 
cureur  du  Roi  declare  alors  s'il  a  un  denonciateur  et  lequel, 
afin  que  ce  denonciateur  «  soit  connu  du  juge  et  des  adjoints  a 
I'information ,  avant  qu'elle  soit  commencee  (art.  4).  »  Deux 
adjoints  doivent  aussi  assister  a  la  redaction  des  proces-verbaux 
dresses  sur  les  lieux  pour  constater  le  corps  du  delit;  «  ils 
pourront  faire  leurs  observations  dont  sera  fait  mention ,  et 
signeront  les  proces-verbaux  a  peine  de  nullite  (art.  5).  »  Deux 
adjoints  assistent  a  I'information  et  entendent  les  temoins  (art.  6). 
lis  sont  «  tenus,  en  leur  §,me  et  conscience,  de  faire  au  juge 
les  observations  tant  a  charge  qu'a  decharge  qu'ils  trouveront 
necessaires  pour  I'explication  des  dires  des  temoins  ou  I'eclair- 
cissement  des  faits  deposes  (art.  7).  » 

Des  lors,  I'information  est  termin6e,  il  s'agit  de  rendre  le 
decret.  Sur  ce  point  la  loi  donne  satisfaction  aux  reclamations 
de  Topinion  publique ,  consignees  dans  les  Cahiers  :  «  Les  de- 
crets  de  prise  de  corps  ne  pourront  plus  etre  rendus  contre 
des  domicilies ,  que  s'il  s'agit  d'un  crime  pouvant  entrainer 
peine  corporelle ,  »  et  «  les  decrets  d'ajournement  personnel  ou 
de  prise  de  corps  ne  pourront  plus  etre  prononces  que  par  trois 
juges  au  moins  ou  par  un  jage  et  deux  gradues  (art.  9)  (1).  » 

Si  I'accuse  obeit  au  decret  ou  est  capture,  la  procedure  devient 
immediatement  publique ,  et  des  le  premier  interrogatoire  il  aura 
I'assistance  d'un  conseil,  que  le  juge  lui  nommera  d'office  a 
peine  de  nullite ,  s'il  ne  peut  en  avoir  un  par  lui-meme  (art.  10 
et  12).  Lorsque  I'accuse  comparait  devant  le  juge ,  celui-ci  com- 
mence par  «  lui  faire  lire  la  plainte,  la  declaration  du  nom  du  de- 
nonciateur, s'il  y  en  a,  les  proces-verbaux  et  rapports  et  I'in- 


(1)  «  Pourront  n^anmoins  les  juges  faire  arrfiter  sur-le-champ  dans  le  cas  de 
flagrant  d61it  ou  de  rebellion  a  justice.' » 


DE  LA  REVOLUTION.  413 

formation  (art.  12);  »  puis  «  il  lui  demandera  s'il  a  choisi  ou 
s'il  entend  choisir  un  conseil ,  ou  s'il  veut  qu'il  lui  en  soil  nom- 
me  un  d'office;  en  ce  dernier  cas,  le  juge  nommera  le  conseil 
et  I'interrogatoire  ne  pourra  Stre  commencd  qw  le  jour  suivant 
(art.  13).  »  N'est-ce  pas  \k  une  loi  respectueuse ,  jusqu'a  I'exage- 
ration,  des  droits  de  la  defense?  La  loi  anglaise,  qui  aujourd'liui 
ordonne  au  juge  de  paix  ou  au  juge  de  police  d'avertir  le  pre- 
venu  amene  devant  lui  qu'il  n'est  point  tenu  de  repondre ,  «  qu'il 
ne  doit  obeir  a  aucune  crainte  ni  ceder  a  aucune  espSrance ,  )> 
est  en  verite  xnoins  liberale  (1). 

Bien  entendu,  dans  cet  interrogatoire ,  pour  lequel  I'accuse 
pent  avoir  presque  un  jour  et  une  nuit  de  preparation,  on 
n'exige  de  lui  aucun  serment.  II  est  cependant  un  cas  ou  le 
pr6venu  devra  encore  preter  serment,  c'est  «  lorsqu'il  voudra 
alleguer  des  reproches  contre  les  temoins  (2).  »  Mais  alors  c'est 
une  sorte  de  jiiramentum  calumnise. 

Aussitot  apres  I'interrogatoire ,  «  la  copie  de  toutes  les  pieces 
de  la  procedure ,  signee  du  greffier ,  sera  delivree  sans  frais  a 
I'accuse  sur  papier  libre,  s'il  la  requiert  (3).  »  Le  conseil  pou- 
vait  en  tout  temps  <<  voir  les  minutes  (art.  \i).  »  La  procedure 
etant  des  lors  publique ,  la  continuation  ou  les  additions  de  I'in- 
formation ,  s'il  y  avait  lieu ,  etaient  faites  publiquement  en  pre- 
sence de  I'accuse  (art.  15),  qui  pouvait  apres  la  deposition  inter- 
peller  le  temoin;  »  mais  «  les  aveux,  variations  ou  retractations 
du  temoin  en  ce  premier  instant  ne  le  faisaient  point  reputer  faux 
temoin  (art.  16).  » 

L'information  etant  terminee,  il  y  avait  lieu,  comme  precedem- 
ment ,  au  reglement  a  I'extraordinaire ;  mais  il  etait  dit  :  «  Les 
proces  criminels  ne  pourront  plus  6tre  regies  a  I'extraordinaire 
que  par  trois  juges  au  moins  (art.  17).  »  Venaient  ensuite  le  reco- 
lement  des  temoins  et  la  confrontation.  Tout  cela  se  passait  en 

(1)  Stephen,  Commentaries  on  the  laws  of  England,  t.  IV,  p.  347  (6dit.  1873). 

(2)  Art.  12.  «  Pour  cet  interrogatoire  et  pour  tous  les  autres,  le  serment  ne  sera 
plus  exig^  de  I'accus^,  et  line  le  prfitera ,  pendant  tout  le  cours  de  I'instruction, 
que  dans  le  C4s  oti  il  voudrait  alldguer  des  reproches  contre  les  temoins. » 

(3)  Art.  14.  C'est  Ici  une  disposition  que  reprendra  le  droit  post^rieur ,  mais 
en  matiere  criminelle  senlement,  et  le  moment  oil  la  copie  est  d^livr^e  sera  re- 
cid£. 


414  LES  LOIS 

public ,  I'accuse  etait  present  des  le  recolement ,  et  son  conseil 
pouvait  aussi  y  assister,  mais  «  sans  pouvoir  parler  au  nom 
de  I'accuse  ni  lui  suggerer  ce  qu'il  doit  dire  ou  repondre ,  si  ce 
n'est  dans  le  cas  d'une  nouvelle  visite  ou  rapport  quelconque, 
lors  desquels  il  pourra  faire  des  observations,  dont  mention 
sera  faite  dans  le  proces- verbal  (art.  18).  » 

La  liberte  de  la  defense  etait  assuree  :  «  Les  reproches  centre 
les  temoins  pourront  etre  proposes  et  prouves  en  tout  etat  de 
cause,  tant  apres  qu'avant  la  connaissance  des  charges,  et 
I'accuse  sera  admis  a  les  prouver ,  si  les  juges  les  troiivent  per"- 
tinents  et  admissibles  (art.  17).  »  L'accuse  pouvait  aussi,  comme 
le  demandaient  les  Cahiers,  «  proposer  en  tout  etat  de  cause  ses 
defenses  et  fails  justificatifs  ou  d'attenuation ,  et  la  preuve  sera 
recue  de  tous  ceux  qui  seront  juges  pertinents ,  et  meme  du  fait 
de  demence ,  quoiqu'ils  n'aient  point  ete  articules  dans  son  inter- 
rogatoire  et  autres  actes  de  la  procedure.  Les  temoins  que  I'ac- 
cuse voudra  produire  sans  etre  tenu  de  les  nommer  sur-le-champ, 
seront  entendus  publiquement ,  et  pourront  I'etre  en  meme  temps 
que  ceux  de  I'accusateur,  sur  les  continuations  ou  additions  d'in- 
formation  (art.  19).  »  Ces  temoins  a  decharge  n'etaient  plus  ne- 
cessairement  cites  par  le  ministere  public ,  I'accuse  avail  le  choix 
«  soil  de  les  appeler  a  sa  requele ,  soil  de  les  indiquer  au  minis- 
tere public ,  pour  qu'il  les  fasse  assigner ;  »  mais  il  devait  agir 
«  dans  les  trois  jours  du  jugemenl  qui  admettait  la  preuve  (art. 
20).  » 

Au  reste,  la  procedure  conservait,  nous  I'avons  dit,  son  carac- 
lere  de  procedure  ecrite.  Les  divers  actes  que  nous  avons  de- 
crits  s'etaient  accomplis  devant  le  juge  d'inslruction ,  ils  avaient 
ete  consignes  dans  des  pieces  qui  enflaient  le  sac  du  proces.  Aussi 
lorsqu'on  allait  comparaitre  devant  le  tribunal  pour  obtenir  juge- 
ment,  la  formalile  du  rapport  etait  encore  necessaire  :  «  Le  rap- 
port du  proces  sera  fait  par  I'un  des  juges ,  les  conclusions  du 
ministere  public  donnees  ensuite ,  et  motivies  ,  le  dernier  interro- 
gatoire  prete,  el  le  jugemenl  prononce  le  tout  a  I'audience  pu- 
blique  (art.  21).  »  Sauf  la  publicite  introduite ,  il  semble  que  rien 
n'est  change  dans  le  dernier  acle  du  drame  judiciaire;  mSme 
«  I'accuse  ne  comparallra  a  cette  audience  qu'au  moment  de  Tin- 


DE  LA  REVOLUTION.  413 

terrogatoire,  apres  lequel  il  sera  reconduit,  s'il  est  prisonnier 
(art.  21).  » 

Cependant  une  autre  modification  considerable  avait  6te  intro- 
duite;  I'accuse,  alors  meme  qu'il  etait  absent,  6tait  repr^sente 
par  son  defenseur  toujours  present,  qui  pouvait  elever  la  voix,  at 
presenter  la  defense  en  face  de  I'accusation  :  «  Le  conseil  pourra 
6tre  present  pendant  la  seance  entiere  et  .parler  pour  la  defense 
apres  le  rapport  fini,  les  conclusions  donnees  et  le  dernier  interro- 
gatoire  prete.  »  Les  plaidoyers  au  criminel  vont  de  nouveau 
retentir  dans  les  tribunaux ,  dont  ils  n'avaient  pas  trouble  les 
echos  depuis  bien  des  annees. 

Les  juges  devaient  alors  se  retirer  a  la  chambre  du  conseil  pour 
y  deliberer ;  puis  ,  ils  reprenaient  «  incontinent  leur  seance  publi- 
que  pour  laprononciationdujugement(art.  21).  »  Toute  condam- 
nation  a  peine  afflictive  ou  infamante  en  premiere  instance  ou  en 
dernier  ressort  devait  etre  motivee  (art.  22) ;  aucune  condamnation 
a  une  peine  afflictive  ou  infamante  ne  pouvait  etre  prononcee 
qu'aux  deux  tiers  des  voix,  et  les  condamnations  definitives  a 
la  peine  de  mort  ne  pouvaient  I'etre  qu'aux  quatre  cinquiemes 
des  voix  (art.  25).  On  abolissait  k  tout  jamais  I'usage  de  la  tor- 
ture et  celui  de  la  sellette  (art.  24). 

Tels  sont  les  nouveaux  traits  sous  lesquels  se  presentait  la 
vieille  procedure,  dans  le  decret  de  1789.  Gette  loi,  qui  dans  la 
pensee  de  ses  auteurs  ne  devait  avoir  qu'une  existence  ephemere, 
etait  pourtant  harmonieusement  combinee.  C'est  qu'en  realite, 
elle  etait  prete  depuis  longtemps ;  et  les  reformes  qu'elle  introdui- 
sait,  reclamees  maintes  fois ,  avaient  ete  pour  ainsi  dire  redigees 
par  I'opinion  publique.  Pour  la  premiere  partie  du  proces  cri- 
minel, c'est-a-dire  I'information ,  I'interrogatoire  et  le  decret,  elle 
se  montrait  plus  liberale  que  ne  le  seront  les  lois  posterieures. 
C'est  que  celles-ci  etablii-ent  une  garantie  qui,  aux yeux  des  con- 
temporains,  tient  lieu  de  toutes  les  autres,  cette  double  bar- 
riere  qui  protege  les  liberies  anglaises ,  comme  dit  Blakstone ,  le 
jury  d'accusation  et  le  jury  de  jugement.  Un  point  digne  de  re- 
marque,  c'est  que  le  decret  de  1789  est  muet  sur  la  theorie  des 
preuves  legales.  Est-ce  une  omission  volontaire?  pensait-on  que 
ce  systeme,  qui  n 'avait  ete  impose  par  aucune  loi,  mais  seule- 


416  .  LES  LOIS 

ment  cree  par  la  jurisprudence ,  n'avait  pas  besoin  d'etre  abroge 
par  une  loi  ? 

Outre  ce  decret  et  celui  des  22-25  avril  1790,  qui  vint  le  com- 
menter  et  le  completer,  I'Assemblee  Constituante  edicta  quelques 
autres  dispositions  provisoires  avant  d'edifier  son  oeuvre  defini- 
tive sur  la  procedure  criminelle.  Par  un  decret  des  12-19  octobre 
1790,  elle  chargea  provisoirement  les  tribunaux  de  district  de 
juger  les  causes  criminelles.  Elle  avait  precedemment  suspendu 
les  procedures  et  les  jugements  des  cours  prevo tales. 

Au  mois  de  septembre  1791  sera  promulguee  la  loi  qui  orga- 
nise sur  des  bases  toutes  nouvelles  la  procedure  criminelle. 
L'Ordonnance  de  1 670  est  des  lors  abrogee ;  c'est  I'heure  de  sa 
mort.  Comme  loi  en  vigueur  elle  avait  vecu  cent  vingt  ans ;  et  si 
des  lors  son  texte  n'appartient  plus  qu'a  I'histoire ,  son  influence , 
un  instant  completement  effacee ,  se  fera  plus  tard  energiquement 
sentir  sur  les  esprits. 


DE   LA  REVOLUTION.  417 

CHAPITRE  II. 
Les  Codes  de  I'Spoque  intemaSdiaire. 


I.  La  procedure  par  jurts.  Loi  des  16  et  29  septembre  1791  :  systfeme  quelle  or- 
ganise.—  n.  Discussion  du  projet  de  loi  a  I'AssemblSe  Constituante ;  lutte  entre 
les  anoiens  et  les  nouveaux  principes.  —  III.  Le  Code  des  d61its  etdes  peines 
du  3  brumaire  an  IV. 


I. 

Les  Cahiers  de  1789  avaient  reclame  le  jugement  par  jures  en 
matiere  eriminelle;  ils  recommandaient  qu'on  etudiat  les  insti- 
tutions anglaises.  En  France,  depuis  cinquante  ans  au  moins,  les 
yeux  sont  tournes  vers  I'Angleterre ,  vers  ce  pays  ou  chaque 
accuse  a  pour  juges  douze  de  ses  concitoyens.  Ces  voeux,  I'As- 
semblee  Constituante  va  les  realiser.  C'est  bien  I'Angleterre  qu'on 
imitera;  on  s'avancera  meme  tellement  dans  cette  voie,  qu'on  sa- 
crifiera,  pour  que  I'imitation  soit  complete,  quelques-unes  des  meil- 
leures  creations  dues  au  genie  francais  :  I'institution  du  ministere 
public,  cette  loi  admirable,  que  Montesquieu  avait  si  bien  mise  en 
lumiere,  disparaitra  pour  un  temps  de  notre  organisation  judi- 
ciaire.  Les  lois  anglaises  apparaissent  a  chaque  instant  dans  les 
discussions  :  «  On  s'apercevra  facilement,  dit  M.  Bergasse  le  17 
aout  1789,  qu'il  n'est  aucun  des  moyens  dont  nous  parlous  ici  qui 
n'ait  ete  fourni  par  la  jurisprudeace  adoptee  en  Angleterre  et  dans 
I'Amerique  libre,  pour  la  poursuite  et  la  punition  des  delits.  C'est 
qu'en  effet  il  n'y  a  que  cette  jurisprudence ,  autrefois  en  usage 
parmi  nous,  qui  soit  humaine;  c'est  que  nous  n'avons  rien  de 
mieux  a  faire  en  ce  genre  que  de  I'adopter  promptement  en 
I'ameliorant  neanmoins  daris  quelques-uns  de  ses  details  (1).  » 
Etplus  tard,  dans  la  discussion  de  la  loi  de  1791,  Thouret  fera 

(1)  Buchez  et  Rous  :  Hist,  parlement.,  t.  II ,  p.  257 . 

27 


418 


LES  LOIS 


celte  declaration  :  «  Nous  avons  eu  I'avantage  d'avoir  des  confe- 
rences avec  plusieurs  des  premiers  jurisconsultes  de  I'Angleterre, 
qui  ont  passe  quelque  temps  dans  cette  capitale  (1).  » 

Cependant  c'etait  une  tache  ardue  que  de  transporter  chez 
nous  la  procedure  criminelle  de  I'Angleterre.  Les  deux  legisla- 
tions etaient  en  opposition  directe  sur  la  plupart  des  points, 
meme  a  celte  heure  ou  la  publicite  avait  ,penetre  dans  la  proce- 
dure francaise,  meme  a  cette  heure  ou  les  accuses  avaient  chez 
nous  I'assistance  d'un  defenseur,  benefice  que  la  loi  anglaise 
hesitait  encore  a  leur  accorder.  En  France,  la  poursuite  etait  tout 
entiere  pour  ainsi  dire  aux  mains  du  ministere  public ,  les  parties 
privees  ne  pouvant  agir  qu'a  fin  de  dommages-interets  :  en  An- 
gleterre ,  bien  que  tons  les  crimes  (felonies)  fussent  presentes  au 
grand  jury  au  nom  de  la  Couronne  {pleas  of  the  crown),  la  proce- 
dure ,  necessairement  accusatojre ,  ne  connaissait  en  general  que 
I'accusateur  prive  (private  prosecutor);  V attorney  general  ne  se 
portait  que  rarement  accusateur.  —  En  Angleterre  I'instruction 
anterieure  aux  debats   etait  fort  peu  de  chose ;  presque  entiere- 
ment  coafiee  aux  juges  de  paix,  elle  ne  constituait  qu'un  element 
insignifiant  dans  le  debat  definitif  :  en  France,  jusqn'ici  I'ins- 
truction du  proces  par  le  juge  d'instruction  avait  absorbe  la  plus 
grande  partie  de  la  procedure ;  c'etaient  la  le  fondement  et  les 
oeuvres  vives  de  tout  I'edifice.  Par  suite  en  Angleterre,  la  pro- 
cedure etait  entierement  orale,  et  meme  la  loi  n'admettait  pas 
qu'on  lut  des  depositions  ecrites  au  jury  de  jugement :  en  France 
I'ecriture ,  meme  apres  les  reformes  operees  en  1789,  jouait  un 
rdle  preponderant;  c'etait  avant  tout  sur  les  pieces  ecrites  que 
se  jugeait  le  proces.  On  le  voit,  et  nous  ne  relevons  que  les 
points  les  plus  saillants,  Tantinomie  etait  complete.  FalJait-il 
introduire  chez  nous  en  bloc  le  systeme  anglais;  vivrait-il  au 
milieu  d'usages  et  de  traditions  bien  differents    de  ceux  qui 
avaient  preside  a  sa  naissance  et  suivi  sa  lente  elaboration? 
D'autre  part,  si  Ton  conservait  en  principe  les  anciennes  institu- 
tions frangaises ,  comment  introduire  au  milieu  d'elles  le  jury 
d'accusation  et  le  jury  de  jugement,  votes  par  acclamation  dans 

(1)  Stance  du  28  d^cembre  1790 ;  Moniteur  du  29. 


DE   LA  REVOLUTION.  419 

la  seance  du  30  mars  1790,  et  qui  devaient  figurer  au  nombre 
des  garanties  essentielles  assurees  par  la  Constitution? 

En  realite,  il  n'y  eut  guere  d'hesitation  dans  la  pensee  des 
redacteurs  du  nouveau  projet ;  ils  sacrifierent  les  institutions  tra- 
ditionnelies  aux  principes  de  la  procedure  anglaise.  —  «  Des  le 
premier  moment  vos  comites  ont  senti  que  cette  institution  nou- 
velle  (des  jures)  ne  pouvait  s'accorder  en  rien  avec  nos  Ordon- 
nances  et  notre  forme  actuelle  d'instruction ;  il  leur  a  paru  ne- 
cessaire  de  tout  refondre  pour  pouvpir  former  un  systeme  complet 
oil  tout  fut  d'accord  (1).  »  Les  prihcipes  de  la  loi  anglaise  etaient 
en  effet  singulierement  d'accord  avec  I'esprit  de  la  Revolution. 
Le  pouvoir  dominant  du  juge  de  paix  au  debut  de  I'instance,  la 
large  initiative  laissee  aux  citoyens  dans  la  poursuite  des  delits 
devaient ,  aux  yeux  de  la  majorite  des  constituants ,  tenir  en 
echec  I'institution  du  ministere  public.  Bien  entendu  il  ne  pouvait 
etre  question  de  copier  servilement  la  legislation  anglaise  :  il 
fallait  la  transformer  sur  bien  des  points  pour  I'acclimater  parmi 
nous;  c'est  ce  que  fit  le  projet  de  loi  qui  devait  devenir,  presque 
sans  subir  de  modifications,  la  loi  du  16  septembre  1791. 

Le  parti  qui  representait  la  tradition  ne  ceda  point  sans  lutter ; 
une  discussion  longue  et  acharnee  s'engagea,  non  point  sur  les 
details  du  projet,  mais  sur  deux  ou  trois  principes  fondamentaux. 
Nombre  de  membres  dans  I'Assemblee  eussent  voulu  conserver 
I'ancienne  procedure ,  debarrassee  de  ses  vices  et  de  ses  duretes , 
avec  ou  sans  le  jury ;  ils  protestaient  contre  des  innovations  har- 
dies, dues  a  une  importation  etrangere.  Ce  parti  de  I'Ordonnance, 
s'il  est  permis  de  le  designer  ainsi ,  fut  alors  completement  vaincu. 
La  plupart  de  ses  reclamations  etaient  du  reste  inspirees  par  "un 
faux  desir  de  conservation.  Cependant  il  avait  en  partie  raison  : 
quelques-unes  des  institutions  qu'il  voulait  alors  sauver  de  la  ruine, 
ne  tarderont  pas  beaucoup  a  reparaitre  et  a  se  reconstituer.  Plus 
tard  memo,  ce  parti  sera  sur  le  point  de  prendre  sa  revanche 
complete  lors  de  la  redaction  du  Code  d'instruction  criminelle. 

(1)  M.  Duportaunom  des  comites  de  Legislation  et  de  Jurisprudence  criminelle. 
Stance  du  26  dec.  1790;  Moniteur  da  27.  —  D6ja  le  17  aodt  1789,  M.  Bergasse 
avait  dit :  «  II  n'y  aura  d'autres  juges  que  le  juge  de  paix  devant  qui  sera  tra- 
duit  le  coupable.  »  (Buchez  etRoux,  op.  cit.,  torn.  II,  p.  294.) 


420 


LES   LOIS 


Cest  le  26  decembre  1790  que  M.  Duport,  au  nom  des  comites 
de  Legislation  et  de  Justice  criminelle ,  presenta  a  I'Assemblee 
le  projet  de  loi  sur  la  procedure  par  les  jures.  II  est  necessaire  . 
d'en  esquisser  ici  les  principaux  traits  :  instruction  sommaire  de- 
vant  I'officier  de  police  judiciaire,  au  canton;  —  debat  au  district 
devant  le  jury  d'accusation ;  —  debats  defmitifs  et  jugement  de- 
vant  le  tribunal  criminel  du  departement ,  tels  etaient  les  trois 
phases  que  parcourait  la  procedure. 

Le  juge  de  paix  etait  le  magistrat  de  stirete  par  excel- 
lence (1).  II  faisait  comparaitre  devant  lui  les  prevenus  de  crime 
ou  de  delit  au  moyen  du  mandat  d'amener,  analogue  au  warrant 
du  justice  of  peace,  executoire  au  besoin  par  la  force  publique  (2). 
II  procedait  aux  premiers  actes  de  I'information  (3) ;  c'est-a-dire 
entendait  des  temoins  et  dressait  des  proces-verbaux.  Si  apres 
avoir  interroge  I'inculpe,  il  pensait  qu'il  n'y  avait  pas  lieu  de  le 
poursuivre  criminellement ,  il  le  mettait  en  liberte ;  sinon ,  il  le 
faisait  incarcerer  en  vertu  d'un  mandat  d'arr&t  (4). 

Le  juge  de  paix  agissait  ou  d'offlce,  ou  sous  I'impulsion  des 
particuliers.  II  agissait  d'offlce  en  cas  de  flagrant  delit  (5),  ou 
encore  lorsqu'il  avait  connaissance  d'une  mort  dont  la  cause  etait 
inconnue  ou  suspecte ,  auquel  cas  il  devait  se  transporter  sur  les 
lieux  (6).  —  Les  particuliers  le  mettaient  en  mouvement  au  moyen 
de  la  plainte  ou  de  la  denonciation  civique.  La  plainte,  c'etait 
Taction  de  la  partie  lesee  (7) ;  sur  ce  point  la  terminologie  de  I'an- 
cien  droit  etait  conservee ;  mais  Taction  du  particuUer  etait  bien 
plus  energique  que  jadis.  Le  juge  de  paix  etait  force  de  recevoir 
la  deposition  des  temoins  produits  par  le  plaignant  (8),  et  de  dres- 
ser, s'il  y  avait  lieu ,  des  proces-verbaux  sur  sa  requisition.  Sans 

(1)  Tit.  I,  art.  1. 

(2)  Tit.  I,  art.  2-4. 

(3)  Tit.  V,  art.  8;  tit.  Ill  et  IV;  tit.  IV,  art.  3. 

(4)  Tit.  VIII,  art.  5-7. 

(5)  Tit.  IV. 

(6)  II  6tait  alors  oblig^  de  se  faire  assister  «  de  deux  citoyens  aotifs,  » tit.  Ill, 
art.  2  et  3.  II  y  a  la  ua  souvenir  des  «  adjoints  »  du  decret  de  1789;  il  y  a  aussi 
un  souvenir  de  la  procedure  suivie  devant  Coroner  anglais. 

(7)  Tit.  V,  art.  1. 

(8)  Tit.  V,  art.  6. 


DE   LA  RKVOLUTION.  421 

doute  il  n'etait  pas  oblige  dans  ce  cas  de  delivrer  le  mandat  d'ar- 
ret,  ni  meme  celui  d'amener;  sans  doute  il  pouvait  refuser  de 
citer  I'inculpe  ou  le  mettre  en  liberie  s'il  I'avait  cite ;  mais  la  par- 
tie  plaignante  pouvait  exiger  de  lui  «  un  acte  portant  refus  (1) ;  « 
et  elle  avait  alors  le  droit  de  soumettre  directement  1' affaire  au 
jury  d'accusation.  La  deiionciation  par  une  personne  non  interes- 
see ,  etant  un  devoir  du  citoyen ,  porte  le  nom  de  ddnonciation 
civique.  Si  le  denonciateur  «  signe  sa  denonciation  et  I'affirme,  » 
le  juge  de  paix  doit  agir  comme  en  cas  de  plainte  et  le  denon- 
ciateur a  les  memes  recours  que  le  plaignant  (2) ;  si  le  denoncia- 
teur refuse  de  signer  et  d'affirmer  la  denonciation,  le  juge  de 
paix  n'est  tenu  de  rien  faire ,  mais  il  pent  poursuivre  d'office  s'il 
le  trouve  bon.  —  Les  offlciers  de  gendarmerie  exercent  les  fonc- 
tions  de  police  judiciaire  en  concurrence  avec  le  juge  de  paix,  sauf 
dans  les  villes  oii  il  y  a  plusieurs  juges  de  paix  (3). 

Du  canton  la  cause  allait  au  district ;  la  devait  sieger  le  jury 
d'accusation ,  la  etait  la  maison  d'arret ,  la  etait  en  permanence 
un  magistrat  appele  directeur  du  jury,  pris  a  tour  de  role  tons 
les  six  mois  parmi  les  juges  da  tribunal  de  district.  C'etait  lui 
qui  prenait  I'affaire  en  main.  II  recevait  les  pieces  de  la  proce- 
dure faite  par  le  juge  de  paix,  les  examinait,  et  interrogeait 
meme  le  prevenu  dans  la  maison  d'arret  (4).  S'il  jugeait  qu'jl  n'y 
avait  pas  lieu  a  accusation ,  il  soumettait  I'affaire  dans  les  vingt- 
quatre  heures  au  tribunal  de  district  qui  prononcait  sur  cette  ques- 


(1)  Tit.  V,  art.  20. 

(2)  Tit.  VI,  art.  3. 

(3)  Tit.  I. 

(4)  Voyez  Instruction  du  21  octohre  1791  sur  rex^oution  du  dficret  fixant  la 
procedure  par  jur^s  :  «  Comme  la  formality  de  I'audition  du  prSvenu  dans  les 
vingt-quatre  heures  est  de  rigueur,  et  comme  il  est  intSressant  de  oonnattre  si 
elle  a  616  remplie,  le  directeur  du  jur6  doit  en  dresser  pro cfes- verbal ,  qui  con- 
tiendra  les  declarations  et  rSponses  du  prevenu ,  sans  qu'il  soit  besoin  d'observer 
les  anciennes  formules  des  interrogatoires ,  ni  de  prendre  le  serment  du  prevenu 
qu'il  va  dire  verity ;  le  simple  bon  sens  suffit  pour  convainore  de  I'inutilit^  et  de 
I'immoraliti  d'un  tel  serment ,  qui  place  le  pr6venu  entre  le  parjure  et  la  peine. 
II  repugne  Sgalement  a  la  raison  de  faire  au  prSvenu  cette  question  insignifiante, 
s'il  entend  prendre  droit  par  les  charges...  Le  directeur  du  jur6  ne  doit  se 
permettre  aucune  question  captieuse ,  il  doit  entendre  la  declaration  libre  du 
prevenu.  » 


422 


LES   LOIS 


tion  apres  avoir  entendu  le  commissaire  du  roi :  s'il  pensait  qu'il.y 
avait  lieu  a  accusation ,  ou  si  contrairement  a  son  avis  le  tribunal 
le  decidait  ainsi ,  le  directeur  devajt  rediger  I'acte  d'accusation , 
qui  serait  presente  au  jury ,  comme  Y indictment  de  la  procedure 
anglaise  (1).  En  attendant  il  pouvait  continuer  I'instruction  (2).  Si 
la  peine  eventuelle  etait  seulement  infamante ,  et  qu'une  caution 
suffisante  fut  offerte,  il  devait  mettre  le  prevenu  en  etat  de  liberte 
provisoire  (3). 

S'il  y  avait  au  proces  un  denonciateur  civique  ou  un  plaignant, 
ces  regies  etaient  sensiblement  modifiees ;  pourvu  que  cette  partie 
se  presentElt  dans  les  deux  jours ,  le  directeur  du  jury  ne  conser- 
vait  plus  son  entiere  liberte  d'action.  Pensait-il  qu'il  y  avait  lieu 
de  suivre,  il  devait  s'entendre  avec  la  partie  pour  qu'ils  redigeas- 
sent  de  concert  I'acte  d'accusation :  en  cas  de  desaccord,  chacun 
dressait  le  sien  de  son  c6te ,  et  le  jury  choisissait  plus  tard  entre 
les  deux.  Si  le  directeur  du  jury  pensait  au  contraire  qu'il  n'y 
avait  pas  lieu  a  accusation  ,  il  ne  pouvait  pas ,  comme  precedem- 
ment,  faire  trancher  la  question  par  le  tribunal  de  district;  la  par- 
tie  pouvait  neanmoins  dresser  seule  son  acte  d'accusation  (4).  Du 
reste,  le  plaignant  et  celui  qui  avait  affirme  sa  denonciation  pou- 
vaient  egalement ,  si  le  juge  de  paix  avait  refuse  d'agir  et  «  sur 
son  refus  constate...,  presenter  directement  leur  accusation  au 
jury  d'accusation  (5).  »  Mais  tous  les  actes  d'accusation  devaient 
etre  soumis  au  commissaire  du  roi,  qui  y  mettait  son  visa  :  «  la 
loi  autorise;  »  ou  son  veto  :  «  la  loi  defend; »  dans  ce  dernier 


(1)  Ils.partie,  tit.  I. 

(2)  Il8  partie,  tit.  I,  art.  16.  «Les  tSmoins  qui  n'auront  pas  fait  leur  declaration 
devant  I'officier  de  police  la  feront  devant  le  directeur  dujury;  ces  declarations 
seront  regues  par  ecrit  avant  que  les  temoins  soient  examines  de  vive  voix  par  le 
jury  d'accusation.  ;;  Ici  encore  on  prendra  soin  de  determiner  que  cette  instruc- 
tion a  un  tout  autre  caractere  que  celle  connue  jadis.  —  Instruction  sur  Us  juris  du 
21  octobre  :  «  S'il  y  avait  de  nouveaux  temoins  qui  n'eussent  pas  encore  ete  en- 
tendus,  le  directeur  du  jur6  recevra  leurs  depositions  secrfetement,  et  elles 
seront  eorites  par  le  greffier  du  tribunal ,  non  dans  la  forme  qui  s'observait  sous 
I'ancien  regime  judiciaire  pour  les  informations,  mais  comme  simples  declarations 
destinees  seulement  a  servir  de  renseignements.  » 

(3)  Il»  partie,  tit,  I,  art.  30,  31. 

(4)  II»  partie,  tit.  I,  art.  12, 

(5)  Il»  partie,  tit.  I,  art.  12. 


DE   LA  REVOLUTION.  423 

cas,  c'^tait  le  tribunal  de  district  qui  tranctiait  la  difficulte  (1). 
Le  jury  d'accusation,  compose  de  huit  jures  (2),  etait  preside  et 
instruit  de  ses  devoirs  par  le  directeur  du  jury;  on  lui  remettait 
les  pieces  de  la  procedure,  «  a  I'exception  des  declarations  ecrites 
des  temoins.  »  —  «  Les  pieces  seront  lues  d'abord ,  ensuite  les 
temoins  produits  seront  entendus  de  vive  voix ,  ainsi  que  la  partie 
plaignante  ou  denonciatrice ,  sielle  est  presente  (3).  »  Tout  cela 
avait  lieu  a  huis-clos.  Puis  les  jures ,  laisses  seuls  par  le  direC' 
teur  du  jury  et  ayant  pour  chef  «  le  plus  ancien  d'elge,  »  delibe- 
raient  et  decidaient  a  la  majorite;  le  chef  inscrivait  alors  au  bas 
de  I'acte  d'accusation  «  oui ,  il  y  a  lieu ;  »  ou  «  non  il  n'y  a  pas 
lieu;  »  formules  qui  rappellent  le  found  or  not  found  anglais. 
Le  jury  admettait-il  I'accusation ,  le  directeur  du  jury  rendait 
«  sur-le-champ  une  ordonnance  de  prise  de  corps,  centre  I'accuse, 
d'apres  laquelle  s'il  n'est  pas  deja  arrete ,  il  sera  saisi  en  quelque 
lieu  qu'il  soit  trouve  et  amene  devant  le  tribunal  criminel  (4) ;  » 
ou  encore,  s'il  y  avait  lieu,  a  la  mise  en  liberte  sous  caution,  elle 
etait  accordee  par  le  tribunal  criminel ,  si  elle  ne  I'avait  pas  ete 
precedemment  (5). 

(1)  II«  partie,  tit.  I,  art.  13.  L'examen  du  commissaire  du  roi  portait  seulement 
sur  le  point  de  savoir  si  le  dilit  mSritait  peine  atflictive  ou  infamante  en  le  sup- 
posant  prouv^.  Voy.  Instruction  sur  les  juris  du  2d  octobre  :  «  Cette  opposition 
du  commissaire  du  roi  arrSterait  la  presentation  de  I'acte  d'accusation  aux  jur^s, 
si  d'ailleurs  le  directeur  du  jurS  avait  6t&  du  m€me  avis  que  le  commissaire  du 
roi ;  car  dans  ce  cas  la  partie  serait  seule  juge  de  la  nature  du  delit ;  mais  la  loi 
permet  alors  de  faire  juger  la  question  par  le  tribunal,  auquel  la  partie,  le  com- 
missaire du  roi  ou  le  directeur  du  jur§  en  riferera...  II  prononce  que  le  d^lit  est 
ou  n'est  pas  de  nature  a  mSriter  peine  afflictive  ou  infamante ;  »  en  cas  d'une 
decision  negative,  «  I'acte  d'accusation  est  oomme  non-avenu;  et  le  m6me  juge- 
ment  prononce  la  relaxation  du  pr6venu.  » 

(2)  Sur  la  maniere  de  former  le  jury  d'accusation,  voy.  Il^part.,  tit  X.  «  Teas 
les  trois  mois  le  procureur  syndic  de  chaque  district  dresse  une  liste  de  30  ci- 
toyens  pris  parmi  tous  les  citoyens  du  district  qui  ont  les  qualites  requises  pour 
fetre  ilecteurs.  Le  directoire  du  district  examine  cette  liste  et  I'arrgte  s'il  I'ap- 

prouve Huitaine  avant  le  jour  de  rAssembWe,  le  directeur  du  jur6  fait  mettre 

dans  un  vase  les  noma  des  30  citoyens  inscrits  sur  la  liste  et  au  milieu  de  I'au- 
ditoire,  en  presence  du  public  et  du  commissaire  du  roi,  il  fait  tirer  les  noms 
de  huit  citoyens.  » Instruction  sur  les  juris. 

(3)  11=  part.,  tit.  I,  art.  20. 

(4)  III  part.,  tit.  I,  art.  29. 

(5)  En  cas  de  r^ponse  negative  da  jury  d'accusation,  il  y  avait  lieu  a  la  mise  en 
liberty  pure  et  simple  de  I'inculp^ ,  s'il  avait  et6  arrSt^. 


424 


LES  LOIS 


L'affaire  passait  alors  au  tribunal  criminel  etabli  dans  chaque 
departement,  compose  de  trois  juges  et  d'un  president  qui  de- 
vaient  statuer  sur  la  peine,  tandis  que  des  jures  trancheraient  la 
question  de  fait.  Aupres  de  ce  tribunal  se  trouvaient  aussi  un 
accusateur  public  et  un  commissaire  du  roi.  Le  premier,  fonc- 
tionnaire  electif  (1),  etait  charge  de  «  poursuivre  les  delits  sur  les 
actes  d'accusation  admis  par  les  premiers  jures  (2).  »  II  produisait 
les  temoins  a  charge  (3) ;  il  exposait  l'affaire  et  parlait  pour  I'ac- 
cusation  (4).  C'etait  reellement  une  partie  publique;  le  plaignant 
avait  du  reste  lui  aussi  le  droit  de  faire  entendre  ses  temoins  et 
de  soutenir  I'accusation.  —  Le  commissaire  du  roi  etait  un  ma- 
gistrat  charge  de  veiller  a  I'execution  de  la  loi  et  d'en  requerir 
I'application  (b) ;  c'etait  lui  qui ,  en  cas  de  verdict  afflrmatif,  re~ 
querait  I'application  de  la  peine  (6). 

Le  president  du  tribunal  criminel  interrogeait  I'accuse  dans  les 
vingt-quatre  heures  de  son  arrivee  a  la  maison  de  justice  (7),  en 
presence  de  I'accusateur  public;  et  note  etait  prise  de  cet  inter- 
rogatoire.  II  pouvait  d'ailleurs,  d'une  fagon  generale,  continuer 
I'instruction ,  entendre  des  temoins  nouveaux  produits  par  I'ac- 
cusateur public,  par  la  partie  privee  et  meme  par  I'accuse  (8). 
Mais  il  etait  bien  entendu  que  ces  depositions  ecrites  ne  devaient 
servir  que  de  simples  renseignements ;  elies  ne  seront  point  lues 
ni  remises  aux  jures  (9). 

Pour  la  formation  du  jury  de  jugement  on  n'avait  point  suivi 
la  tradition  anglaise.  On  avait  imagine  un  systeme  assez  peu 

(1)  Ilo  part.,  tit.  II ,  art.  5. 

(2)  II«part.,  tit.  IV,  art.  1. 

(3)  11=  part.,  tit.  VI,  art.  12;  tit.  VII,  art.  3. 

(4)  He  part.,  tit.  VII ,  art.  3,18. 

(5)  IIo  part.,  tit.  V,  art.  1 :  «  II  sera  tenu  de  prendre  communication  de  toutes 
les  pieces  et  actes  et  d'assister  a  I'examen  et  au  jugement.  »  —  Art.  2  :  «Le 
commissaire  du  roi  pourra  toujours  faire  aux  juges,  au  nom  de  la  loi,  toutes  les 
requisitions  qu'il  jugera  convenables,  desquelles  il  lui  seradonnd  acta.  » 

(6)  He  part.,  tit.  VIII,  art.  5. 

(7)  Impart.,  tit.  VI,  art.  10. 

(8)  11°  part.,  tit.  VI,  art.  12. 

(9)  11°  part.,  tit.  VI,  art.  11,  12  :  «  Ces  nouvelles  depositions,  ainsi  que  les 
anciennes,  seront  toutes  rerfiises  au  president,  pour  servir  de  renseignement  seu- 
lement.  » 


DR  LA.  REVOLUTION.  425 

satisfaisant.  Tout  citoyen,  qui  pouvait  etre  electeur,  devait  se 
faire  inscrire  sur  un  registre  tenu  a  cet  effet  par  le  secretaire- 
greffier  de  chaque  district  (IP  part.,  tit.  XI,  art.  2).  Ces  inscrip- 
tions, envoyees  au  procureur-general-syndic  du  departement, 
formaient  une  liste  generaie  du  jury,  sur  laquelle ,  tous  les  trois 
mois,  lememe  magistrat  choisissait  deux  cents  noms,  qui  compo- 
saient  les  listes  de  session  lorsque  le  choix  avait  ete  approuve  par 
ledirectoire  du  departement  (art.  6).  Le  premier  de  chaque  mois, 
le  president  du  tribunal  criminel  faisait  former  le  tableau  des 
jurys  de  jugement  pour  la  session  qui  devait  s'ouvrir  le  quinze. 
A  cet  eflfet ,  en  presence  du  commissaire  du  roi  et  de  deux  offi- 
ciers  municipaux  qui  pretaient  serment  de  garder  le  secret,  il 
presentait  la  liste  des  deux  cents  jures  a  I'accusateur  public ,  qui 
pouvait  en  exclure  vingt  sans  donner  de  motifs.  Les  noms  qui 
restaient  etaient  mis  dans  une  urne ;  et  le  sort  donnait  les  douze 
jures  de  jugement.  Mais  il  avait  bien  fallu  tenir  compte  aussi 
du  droit  de  recusation  de  I'accuse.  Pour  cela  on  lui  presentait 
le  tableau  des  douze  noms  ,  et  dans  leS'  vingt-quatre  heures , 
il  pouvait  recuser  ceux  qui  le  composaient ,  lesquels  etaient 
remplaces  par  le  sort  (art.  10).  II  pouvait  ainsi  exercer  vingt 
recusations  peremptoires ;  une  fois  ce  droit  epuise ,  il  pouvait 
recuser  encore  indefiniment ,  mais  en  deduisant  les  causes  de 
Ses  recusations ,  dont  le  tribunal  criminel  jugeait  la  validite.  Ce 
systeme  bizarre  de  recusations  successives  et  hors  presence  fut 
sans  aucun  doute  une  des  erreurs  qui  embarrasserent  au  debut 
le  fonctionnement  du  jury. 

L'accuse  etait  enfin  traduit  devant  le  tribunal  criminel ,  com- 
pose des  magistrats  que  nous  avons  indiques  et  de  douze  jures. 
La  se  deroulait  une  procedure  orale  et  publique  tres-simple  : 
elle  est  decrite  dans  les  titres  VI ,  VII  et  VIII  de  la  deuxieme 
partie  de  la  loi  de  1791,  qui  fixerent  d'une  facon  definitive  les 
regies  des  debats  devant  le  jury.  Le  Code  des  delits  et  des  peines 
a  developpe  et  precise  ces  regies ,  le  Code  d'instruction  crimi- 
nelle  les  a  simplifiees ,  mais  les  grandes  lignes  sont  restees  telles 
qu'elles  avaient  ete  tracees  en  1791.  Nous  n'insisterons  pas  sur 
les  details,  oa  les  trouvera  dans  les  traites  modernes  sur  la 
procedure  criminelle;  mais  ce  qu'il  nous  importe  de  remarquer. 


426  LES  LOIS 

c'est  que  le  caractere  oral  de  la  procedure  etait  releve  avec  le 
plus  grand  soin  et  a  plusieurs  reprises  :  «  L'examen  des  temoins 
sera  toujours  fait  de  viva  voix  et  sans  que  leurs  depositions 
soient  ecrites  (1).  »  Les  jures  ne  recevaient  eomme  pieces  que 
I'acte  d'accusation  et  les  proces-verbaux ,  s'il  y  en  avait  (2).  — 
En  meme  temps ,  le  legislateur  declarait  formellement  qu'il  en- 
tendait  repudier  le  systeme  des  preuves  legales  et  ne  s'en  rap- 
portait  qu'a  I'intime  conviction  des  jures.  Cela  etait  indique 
dans  la  formule  du  serment  qui  leur  etait  impose  :  «  Vous  ju- 
rez...  de  vous  decider  d'apres  les  charges  et  les  moyens  de 
defense ,  et  suivant  votre  conscience  et  votre  intime  conviction 
avec  I'impartialite  et  la  fermete  qui  conviennent  a  un  homme 
libre  (3).  »  Ailleurs  il  etait  dit  :  «  L'accuse  pourra  faire  entendre 
des  temoins  pour  attester  qu'il  est  homme  d'honneur  et  de  pro- 
bite  et  d'une  conduite  irreprochable ;  les  jures  auront  tel  egard 
que  de  raison  a  ce  temoignage  (i).  » 

Sur  un  point  important  on  s'etait  ecarte  de  la  tradition  an- 
glaise.  En  Angleterre,  le  juge,  dont  I'infLuence  est  si  grande 
sur  les  jures,  ne  leur  donne  jamais  que  des  instructions  orales, 
resumant  a  la  fin  du  debat  les  questions  en  jeu  et  qu'il  faut  re- 
soudre.  Le  legislateur  frangais  ordonnait  bien  ce  resume  (5); 
mais  on  fit  plus ,  on  etablit  en  principe  que  les  questions  seraient 

(1)  II"  part.,  tit.  VII,  art.  5.  Cf.,  tit.  V,  art.  16  :  «Les  temoins  pourront  nean- 
moins  Hre  entendus  dans  le  debat,  quoiqu'ils  n'aieat  pas  el&  assignfes  ni  rejus 
a  diposer  prialablement  par  icrit.  »  —  «  Pendaat  Texamen ,  les  jures  et  les  juges 
pourront  prendre  note  de  ce  qui  leur  parattra  important ,  pourvu  que  la  discus- 
sion n'en  soit  pas  interrompue.  »  Tit.  VII,  art.  16. 

(2)  Instruction  sur  les  jwis.  « lis  doivent  examiner  les  pieces  du  procfis,  parnu 
lesquelles  il  ne  faut  pas  comprendre  les  declarations  ecrites  des  temoins ,  qui  ne 
doivent  pas  6tre  remises  aux  jures,  mais  seulement  I'acte  d'accusation,  les  pro- 
cfes-verbaux  et  autres  pieces  semblables.  » 

(3)  11"  part.,  tit.  VII,  art.  24. 

(4)  11=  part.,  tit.  VII,  art.  14. 

(5)  On  donnait  des  le  d^but  de  sages  conseils  k  cet  ^gard.  Instruction  sur  les 
juris  :  «  Le  president  du  tribunal  fait  un  resume  de  I'affaire  et  la  r6duit  a  ses  points 
les  plus  simples.  II  fait  remarquer  aux  jurSs  les  principales  preuves  produites  pour 
ou  centre  I'accusfi.  Ce  rfeum6  est  destinS  i  ficlairer  le  jur6,  4  fixer  son  attentlflu, 
k  guider  son  jugement ,  mais  11  ne  doit  pas  gfiner  sa  liberte.  Les  jur^s  doivent 
au  juge  respect  et  deference...  mais  ils  ne  lui  doivent  point  le  sacrifice  de  leur 
opinion  dont  ils  ne  sont  comptables  qii'k  leur  propre  conscience.  » 


DE   LA  REVOLUTION.  >  427 

posees  par  ecrit  aux  jures ,  qui  n'auraient  qu'a  repondre  par  oui 
ou  par  non.  Ici  I'idee  etait  feconde;  il  devait  en  resulter  un  me- 
canisme  des  plus  ingenieux;  apres  de  longs  tatonnements  pour 
assurer  le  jeu  de  cet  outil  aussi  delicat  qu'il  est  sfir,  on  est  arrive 
^  una  heureuse  precision  qui  se  resserre  encore  tous  les  jours.  En 
1790,  on  posait  les  premiers  principes;  surtout  on  suivait  cette 
idee  de  Montesquieu  :  ne  presenter  aux  jures  qu'un  fait ,  un  seul 
fait  a  la  fois.  D'ailleurs  on  ne  voulait  point  suivre  dans  la  position 
des  questions  uniqiiement  I'acte  d'accusation ,  qui  pent  etre  mal 
dresse  ou  «  avoir  change  par  la  defense  de  I'accuse  et  les  preuves 
fournies  par  lui.  »  —  «  On  reconnaitra  qu'il  serait  impossible, 
sans  une  injustice  r§voltante ,  d'astreindre  les  jures  a  s'en  tenir 
Strictement  au  contenu  en  I'acte  d'accusation  :  la  loi  leur  or- 
donne  done ,  lorsqu'ils  ont  trouve  que  le  delit  existait  et  que 
I'accuse  etait  convaincu  de  I'avoir  commis,  de  faire  une  troi- 
sieme  declaration  d'equite  sur  les  circonstances  particulieres 
du  fait ,  soit  pour  determiner  si  le  delit  a  ete  commis  volontai- 
rement  ou  involontairement ,  avec  ou  sans  dessein  de  nuire,  soit 
pour  prouoncer  en  attenuation  du  memo  genre  de  delit  (1).  » 
Mais  comment  tenir  compte  de  toutes  ces  nuances?  «  Faut-il 
que  dans  tous  les  eas  ils  se  proposent  a  eux-me'mes  autant  de 
questions  qu'il  y  a  de  nuances  admissibles  entre  I'assassinat 
et  I'homicide  legitime?  II  en  resulterait  une  complication  inutile 
et  une  absurdite  dans  la  position  des  questions...  Ce  sera  done 
au  juge  qui  conduit  la  procedure  et  qui  preside  et  dirige  le 
debat,  de  recueiUir  attentivement  les  differentes  questions  re- 
latives a  I'intention ,  auxquelles  la  nature  du  fait  et  des  charges 
peut  donner  ouverture,  pour  les  indiquer  au  jure  et  flxer  sur 
cet  objet  sa  deliberation.  Apres  avoir  pris  I'avis  du  tribunal  sur 
la  maniere  de  poser  les  questions ,  il  les  posera  en  presence  du 
public,  de  I'accuse,  de  ses  conseils  et  des  jures,  auxquels  il 
l^s  remettra  par  ecrit,  et  arrangees  dans  I'ordre  dajis  lequel 
il?  devront  en  deliberer  (2).  » 

On  ne  coDservait  point  la  regie  traditionnelle  en  Angleterre 
d'apres  laquelle  la  decision  d'un  jury  est  prise  a  I'unanimite , 

(1)  Instruction  sur  les  juris. 

(2)  Ibid.  Loi.  11=  Part.  tit.  VII,  art.  20  et  21. 


428  LBS   LOIS 

«  mais  I'opinion  de  trois  jures  devait  toujours  suffire  en  faveur 
de  I'accuse,  soitpour  decider  que  le  fait  n'est  pas  constant,  soit 
pour  decider  en  sa  faveur  les  questions  relatives  a  I'intention 
posees  par  le  president  (1).  »  D'ailleurs  I'esprit  theatral  de 
I'epoque  se  montrait  bien  dans  la  facon  dont  les  jures  donnaient 
leur  opinion.  Dans  la  chambre  du  conseil  se  reunissaient  I'un 
des  juges  delegue  par  le  president,  le  commissaire  du  roi,  et 
e  chef  du  jury.  La,  chaque  jure  successivement  en  commen- 
gant  par  le  chef,  «  et  les  uns  en  I'absence  des  autres,  »  devait 
faire  sa  declaration ,  «  en  mettant  la  main  sur  son  coeur ,  »  puis 
deposait  comme  moyen  de  controle ,  dans  une  boite  blanche  ou 
noire,  une  boule  de  couleur  semblable,  pour  chaque  declaration. 
En  presence  des  jures  assembles  on  ouvrait  les  boites ,  on  faisait 
le  calcul  des  voix,  et  le  chef  du  jury  rapportait  le  verdict  en  au- 
dience publique  (2).  Les.  juges  statuaient  alors  sur  I'application 
de  la  peine ,  ils  devaient  «  donner  leur  avis  a  haute  voix ,  en  pre- 
sence du  public,  en  commencant  par  le  plus  jeune  et  finissant 
par  le  president.  (3).  » 

La  decision  des  jures  etait  sans  appel.  C'est  la  un  trait  qui 
parait  appartenir  toujours  au  jury  en  matiere  criminelle.  «  La 
decision  des  jures  ne  pour ra  jamais  etre  soumise  a  I'appel.  Si, 
neanmoins ,  le  tribunal  est  unanimement  convaincu  que  les  ju- 
res se  sont  trompes,  il  ordonnera  que  trois  jures  seront  adjoints 
aux  douze  premiers  pour  donner  une  declaration  aux  quatre 
cinquiemes  des  voix  (4).  »  Un  pourvoi  devant  le  tribunal  de 
cassation  etait  seulement  possible ,  soit  de  la  part  du  condamne , 
soit  de  la  part  du  commissaire  du  roi  au  nom  de  la  loi.  II  de- 
vait etre  forme  dans  les  trois  jours  ;  en  cas  d'absolution ,  le 
commissaire  n'avait  meme  que  vingt-quatre  heures  pour  agir. 
Le  pourvoi  ne  pouvait  jamais  etre  fonde  que  sur  I'omission  des 
formes  prescrites  a  peine  de  nullite  ou  sur  la  fausse  apphca- 
tion  de  la  loi;  s'il  y  avait  cassation,  ua  nouveau  debat  recom- 
mengait  devant  un  nouveau  tribunal  criminel,  sauf  s'il  y  avait 

(1)  Partie  II»,  tit.  VII,  art.  28. 

(2)  Art.  23,  29,  30,  32,  33. 

(3)  Tit.  VII,  art.  9. 

(4)  lI"  part.,  tit.  VIII,  art.  27. 


DE   LA  REVOLUTION.  429 

eu  seulement  erreur  dans  rapplication  de  la  loi ;  le  verdict  du 
premier  jury  subsistait  alors  (1). 

On  le  voit ,  rien  ne  restait  pour  ainsi  dire  des  anciennes  ins- 
titutions. Un  fait  capital ,  c'est  que  Torganisation  du  ministere 
public  etail  tout  entiere  a  bas.  Non-seulement  les  fonctions  rem- 
plies  autrefois  par  le  procureur  du  roi  6taient  inutilement  repar- 
lies  entre  le  commissaire  du  roi  et  I'accusateur  public  (2) ;  mais 
ce  dernier  n'avait  pas  en  realite  la  poursuite  des  crimes.  Sans 
doute ,  la  loi  lui  donnait  «  la  surveillance  sur  tons  les  officiers  de 
police  du  departement  qu'il  pouvait  avertir  en  cas  de  negligence 
de  leur  part,  ou  memo  traduire  disciplinairement  devant  le  tribu- 
nal criminel  (3) ;  »  mais  il  n'intervenait  en  personne  que  lorsque 
I'accusation  etait  deja  decretee,  il  n'apparaissait  que  comme  un 
avocat,  qu'on  choisit  lorsque  le  proces  est  deja  engage.  C'est  seu- 
lement lorsqu'un  officier  de  police  judiciaire  etait  coupable  de 
prevarication  que  I'accusateur  pouvait  poursuivre  (4);  en  dehors 
de  ce  cas ,  s'il  recevait  une  denonciation ,  il  devait  la  transmettre 
au  juge  de  paix  (5).  Du  reste,  M.  Duport,  le  rapporteur  du  projet 
de  loi ,  se  felicitait  de  ce  resultat :  «  Maintenant ,  c'est  par  la  deci- 
sion de  ses  concitoyens  qu'il  (le  prevenu)  est  accuse.  La  society 
va  remettre  a  un  officier  public  la  mission  d'exercer  ses  droits  et 
de  le  poursuivre  en  son  nom.  Get  officier,  qui  sera  I'accusateur 
public,  ne  doit  §tre  aucun  de  ceux  qui  ont  deja  agi...,  un  tel 
homme  serait  plus  considere,  plus  redoutable  que  la  loi...,  il  aura 

(1)  II"  part.,  tit.  VIII,  art.  14,  ssq. 

(2)  C'etait  d'ailleurs  rapplication  d'un  systtoe  general  qui  reposait  sur  une  id6e 
fausse  :  «  En  Angleterre,  le  roi  est  a  lui  seul  le  pouvoir  exScutif.  Les  lois,  une 
fois  faites  dans  le  Parlement,  lui  seul  les  fait  executer,  et,  a  cet  effet,  il  nomme  les 
agents  d'execution,  les  juges ,  les  administrateurs ,  les  officiers  du  flse...  En 
France ,  le  roi  n'est  que  le  chef  suprSme  du  pouvoi'r  exSoutif ;  il  ne  nomme  pas 
les  agents  de  I'execution  pour  I'intSrieur,  il  s'en  sert  seulement ;  c'est  le  pays  qui 
les  lui  dfesigne,  qui  les  remet  dans  la  main  du  roi  pour  Str«  etoployfis  par  lui...  La 
maxime  fondameatale  de  notre  gouvernement,  c'est  que  la  force  executive  du  mo- 
narque  ne  puisse  jamais  atteiudre  les  individus  que  par  I'intermediaire  n^cessaire 
des  agents  elus  par  le  peuple ;  or,  ce  principe  serait  viol6  si  les  commissaires  du 
roi  pouvaient  accuser  les  citoyens.  s  Duport ,  stance  du  26  d^cembre  1790.  Moni- 
teur  du  27. 

(3)  11"  part.,  tit.  IV,  art.  5. 

(4)  II«  part.,  tit.  IV,  art.  7. 

(5)  Il8  part.,  tit.  IV,  art.  2. 


*^0  LES   LOIS 

la  surveillance  de  tous  las  officiers  de  la  police;  mais  jamais  il  ne 
pourra  les  suppleer  dans  I'exercice  de  leurs  follctions  (1).  » 

Le  droit  de  poursuite  etait  en  partie  defere  aux  simples  parti- 
culiers ;  Taction  des  plaignants  et  des  denonciateurs  civiques  etait 
incomparablement  plus  energique  que  I'ancienne  action  civile  : 
Tun  et  I'autre  pouvaient  contraindre  le  juge  de  paix  sinon  a  lan- 
cer les  mandats ,  du  moins  i  commencer  une  instruction  en  rece- 
vant  des  depositions ;  plus  tard  ils  pouvaient  de  leur  propre  auto- 
rite  saisir  le  jury  d'accusation ;  dans  tous  les  cas,  ils  participaient 
a  la  redaction  de  I'acte  d'accusation.  D'autre  part,  la  faculte  quV 
vait  le  juge  de  paix  d'agir  d'office ,  non-seulement  en  cas  de  fla' 
grant  delit  ou  de  mort  suspecte,  mais  m§me  sur  une  simple 
denonciation  non  affirmee,  confondait  dans  sa  personne  deux 
qualites  qu'il  eut  ete  necessaife  de  separer  :  celle  de  poursuivant 
et  celle  de  magistrat  instructeur. 

L'instruclion  preparatoire ,  qui  jadis  absorbait  presque  tout  le 
proces ,  etait  reduite  a  bien  peu  de  chose  :  instruction  sommaire 
par  I'officier  de  police ,  audition  possible  de  temoins  par  le  direc 
teur  du  jury,  interrogatoire  de  I'accuse  par  le  president  du  tribu- 
nal criminel ,  c'etait  tout.  Cette  information  fragmentaire  qui  pas- 
sait  de  main  en  main ,  ne  pouvait  etre  ni  bien  serieuse ,  ni  bien 
complete.  Enfin  le'caractere  A'oralit6  etait  absolu.  Les  depositions 
etaient  bien  regues  par  ecrit  devant  les  divers  magistrals  instruc. 
teurs,  mais  elles  ne  devaient  servir  que  de  simples  renseigne- 
ments;  elles  n'etaient  remises  ni  au  jury  d'accusation,  ni  au  jury 
de  jugement;  pour  cette  meme  raison,  I'accusateur  public  en  avait 
bien  connaissance  ainsi  que  le  president  du  tribunal  criminel, 
mais  elles  n'etaient  communiquees  ni  a  I'accuse  ni  au  conseil 
qu'il  avait  choisi ,  ou  que  le  president  avait  d<i  lui  nommer  d'of- 
fice lors  de  I'interrogatoire.  Les  jures  ne  jugeaient  que  d'apres  ce 
qui  etait  dit  devant  eux ,  et  rien  de  ce  qui  etait  dit  la  n'etait  fixe 
par  I'ecriture. 

(1)  Stance  du  26  dficembre  1790;  MoniUwr  du  27.  II  est  certain,  qu'ayant  un 
caractfere  electif,  I'accusateur  public,  maltre  de  la  poursuite,  eflt  et6  une  puissanc" 
redoutable  :  il  y  avait  la  comme  un  cercle  vicieux. 


DE  LA.  REVOLUTION.  431 


II. 


Cette  revolution  profonde  dans  la  procedure  criminelle  ne  s'ac- 
complit  point,  nous  I'avons  dit,  sans  de  vives  resistances.  L'ana^ 
lyse  que  nous  avons  faite  de  la  loi  montre  par  avance  combien 
fut  complete  la  defaite  des  opposanls.  11  n'en  est  pas  moins  inte- 
ressant  de  rappeler  les  principaux  incidents  de  la  discussion.  On 
verra  que  si  la  plupart  de  ceux  qui  combattaient  ces  innovations 
etaient  des  magistrats  imbus  des  principes  de  I'ancien  droit,  ils 
avaient  parfois  des  auxiliaires  qu'on  est  etonne  de  trouver  a  leurs 
cdtes. 

Parmi  ceux  qui  combattirent  le  projet,  il  y  avail  d'abord  les 
defenseurs  ardents  de  la  tradition ,  qui  ne  craignaient  pas  de  pre- 
senter comme  ideal  Taneienne  procedure  adoucie  et  I'Ordonnance 
de  1670,  corrigee  et  reformee.  «  M.  Duport,  disait  M.  Mougin, 
a  tout  vu  en  philosophe  et  presque  rien  en  magistrat.  D'abord 
j'interroge  tons  ceux  qui  connaissent  les  principes  de  la  legisla- 
tion criminelle;  je  leur  demande  si  I'Ordonnance  de  1670,  qui 
regie  les  formalites  des  accusations,  des  plaintes,  ne  presente 
pas,  a  quelques  reformes  pres,  un  ensemble  de  vues,  une  nettete 
de  principes ,  capables  de  rassurer  la  societe  entiere  pour  la  pro- 
tection de  I'innocence  et  la  decouverte  des  crimes?  Et  ces  re- 
formes  que  cette  Ordonnance  exigeait  poUr  etre  perfectionnee , 
vous  les  avez  operees.  Les  amis  de  I'humanite  ont  vu  avec  atten^ 
drissement  obtenir  ce  que  sollicitaient  la  raison  et  la  justice.  On 
accorde  un  conseil  que  la  loi  civile  n'a  pas  le  droit  de  refuser, 
parce  que  c'est  la  loi  naturelle  qui  I'accorde.  Vous  avez  ordonni 
cette  publicite  tutelaire ,  qui  ne  peut  etre  un  malheur  que  pour 
I'ignorance  et  la  mauvaise  foi;  vous  avez  proscrit  ce  siege  hon- 
teux ,  dont  I'infamie  osa  disputer  I'usage  a  la  pitie  qui  le  crea. 
EUe  n'est  plus  aussi  cette  ferocite  des  tortures ,  reste  impie  des 
siecles  batbares.  Ajoutez  a  toutes  les  reformes,  commandees  par 
la  nature  et  par  I'humanite,  V^tablissement  de  quelques  jur^s ,  sui- 
vant  la  mode  qui  etait  en  usage  chez  les  Romains,  et  vous  aurez 


432  LES  LOIS 

tout  fait  pour  la  justice  et  pour  rhumanite  (1).  »  M.  Rey  park 
dans  le  meme  sens  a  la  seance  du  28  decembre  1790,  etl'abbe 
Maury  rappelait  que  I'Ordonnance  de  1670  avait  regi  la  France 
pendant  plus  d'un  siecle  et  qu'il  devait  en  rester  des  traces  ineffa- 
gables.  Mais  de  semblables  propositions  etaient  condamnees  d'a- 
vance.  La  majorite  de  I'Assemblee  comme  la  majorite  du  pays , 
voulait  d'un  desir  ardent  cette  institution  du  jury,  qui  avait 
grandi  avec  les  libertes  anglaises.  Les  hommes  d'alors  sentaient 
d'une  facon  confuse  que  c'est  la  une  institution  qui  veritablement 
distingue  les  pays  libres. 

Sur  certains  points  de  detail  les  opposants  furent  parfois  mieux 
inspires.  Dans  la  seance  du  S8  decembre,  M.  Prugnon  signala  la 
disparition  du  mlnistere  public  et  le  vide  immense  qu'elle  laissait 
apres  elle  :  «  Y  aura-t-il  une  partie  publique  chargee  de  rendre 
plainte  et  de  poursuivre  les  crimes  ?  11  me  parait  de  la  premiere 
importance  dans  tons  les  systemes ,  que  vous  fixiez  vos  regards 
sur  I'utilite  de  cet  officier,  que  votre  comite  supprime  et  qui 
jouait  un  role  si  essentiel  dans  I'ancienne  procedure  criminelle; 
car  OQ  ne  pretendra  pas ,  sans  doute ,  qu'il  est  remplace  par  I'ac- 
cusateur  public  qui  vous  est  propose  et  qui  serait  charge  de  fonc- 
tions  presque  inutiles.  Vous  avez  a  juger  si ,  comme  le  propose 
voire  comite,  il  faut  appeler  tous  les  hommes  a  denoncer  pu- 
bliquement  leurs  concitoyens ,  leur  en  faire  meme  une  loi 
cruelle  (2).   » 

Le  choix  des  officiers  de  police  fut  aussi  critique  et  de  divers 
cotes;  c'etaient,  nous  le  savons  ,  les  juges  de  paix  et  les  officiers. 
de  gendarmerie.  M.  Prugnon  s'attaqua  aux  premiers ;  il  s'indi- 
gaait  "  de  voir  confier  a  I'homme  a  qui  on  n'a  pas  voulu  attribuer 
le  jugement  des  affaires  au-dessus  de  cinquante  livres  le  droit 
d'arreter  un  citoyen  sans  formalite  prealable.  »  11  remarque  que 
les  juges  de  paix  anglais ,  sur  lesquels  on  a  pris  modele ,  sont  de 
tout  autres  personnages  que  ceux  que  possedera  la  France  : 

(1)  Stance  du  27  decembre  1790;  Moniteur  du  29.  Voici  ce  que  I'orateur  enten- 
dait  par  les  juris  de  I'ancienne  Rome  :  «  Les  jur6s  n'fitaient  pas  61us  pour  chaque 
crime  partlculier;  toutes  les  ann6es  on  nommait  dix  ou  douze  citoyens  qui  de- 
vaient  en  remplir  les  fonctions  jusqu'i  I'annee  suirante.  » 

'(2)  Moniteur  du  29  decembre  1790. 


DK   LA.  REVOLUTION.  433 

«  En  Angleterre  les  j  uges  da  paix  ne  ressemblent  pas  aux  n6tres ; 
non-seulement  ils  ne  sont  pas  salaries,  non-seulement  ils  ont  un 
territoire  plus  etendu,  et  sont  choisis  parmi  les  citoyens  les 
plus  eclaires,  mais  ils  sont  obliges  d' avoir  cent  louis  d'or  de 
rente  (1).  »  —  Le  meme  orateur  prend  aussi  a  partie  les  offipiers 
de  gendarmerie;  on  veut  «  cumuler  dans  les  memes  mains, 
c'est-a-dire  donner  a  un  officier  de  mar^chaussee  les  deux  des- 
potismes  les  plus  terribles,  le  despotisme  judiciaire,  le  despo- 
tisme  militaire.  »  M.  Mougin  demande  «  si  Ton  croit  qu'il  spit 
prudent  de  confier  a  un  cavalier  de  la  marSchaussee ,  a  un  juge 
de  paix  le  droit  terrible  de  lancer  un  decret  de  prise  de  corps, 
ou,  ce  qui  est  la  meme  chose,  un  mandat  d'amener  (2).  »  Ro- 
bespierre enfin,  proteste  egalement  :  «  Je  cherche  en  vain,  je 
I'avoue ,  en  quoi  I'ancien  regime  etait  plus  vicieux  que  celui-la. 
Je  ne  sais  pas  meme  s'il  ne  pourrait  pas  nous  faire  regretter 
jusqu'a  la  juridiction  prevotale,  moins  odieuse  sous  beaucoup 
de  rapports,  et  qui  parut  un  monstre  politique,  precisement 
parce  qu'elle  mettait  dans  les  memes  mains  une  magistrature 
civile  et  le  pouvoir  militaire  (3).  »  Malgre  tout,  la  partie  du 
projet  consacree  a  la  police  de  surete  fut  maintenue.  On  avait 
d'abord  reserve  la  question  de  savoir  a  qui  ces  fonctions  seraient 
confiees;  plus  tard  ces  articles  furent  eux  aussi  adoptes  dans 
leur  forme  premiere. 

Mais  la  lutte  la  plus  vive  s'engagea  sur  deux  points  dont  I'im- 
portance  etait  capitale  en  effet  :  la  procedure  ecrite  et  le  systeme 
des  preuves  legales.  lei  les  adversaires  du  projet  semblerent 
d'abord  avoir  le  dessus.  Par  une  combinaison  en  apparence 
fixcellente ,  ils  voulaient  aux  avantages  des  anciennes  pratiques 
joindre  le  bienfait  des  principes  nouveaux.  On  continuerait  a 
recueillir  les  depositions  par  ecrit ,  et  ces  pieces  seraient  remises 
aux  jures ,  qui  entendraient  cependant  les  temoins  deposer  de 
vive  voix  :  a  leurs  souvenirs  personnels ,  parfois  fugitifs ,  vien- 
draient  ainsi  en  aide  des  documents  certains.  Ce  procede  per- 
mettait  une  revision  facile  des  proces  criminels ;  et  I'abbe  Maury, 

(1)  stance  du  28  d^cembre  1790. 

(2)  Moniteur  du  29  d^cembre  1790. 

(3)  Ibid. 

28 


434  LES  LOIS 

dans  la  discussion,  s'ecria,  rappelant  une  cause  bien  celebre  : 
«  Si  Ton  n'eM  pas  eu  la  procedure  ecrite,  Galas  n'eut  pas  pu  etre 
rehabilite  (1).  »  M.  Rey  faisait  observer,  et  c'est  un  fait  incon- 
testable, que  la  procedure  ecrite  rend  plus  facile  la  t§lche  des 
defenseurs  et  leur  secours  plus  efficace  (2).  —  D'autre  part,  la 
loi  determinerait  quelles  preuves  il  faudrait  reunir  pour  asseoir 
une  condamnation ;  mais  jamais  les  juges ,  quelles  que  fussent 
les  charges ,  ne  devraient  condamner  un  accuse  contre  leur  in- 
time  conviction. 

Ces  idees  et  ces  propositions  furent  brillamment  developpees 
par  des  orateurs  venus  des  differents  cotes  de  I'Assemblee. 
«  Voire  comite,  disait  M.  Mougin,  abdique  les  preuves  ecritea; 
tout  se  fera  verbalement ;  le  jugement  seul  sera  ecrit ,  les  preuves 
ne  le  seront  pas...  c'est-a-dire  qu'on  jugera  un  accuse  de  con- 
fiance  et  sur  un  simple  apercu.  Et  si  le  jure  et  les  juges  se  trom- 
pent,  I'accuse  sera  sans  espoir,  comme  sans  moyens  (3).  »  — 
«  Confier  les  depositions  a  la  seule  memoire ,  c'est  ecrire  sur  de 
la  neige...  le  comite  veut  nous  reporter  a  la  position  dans  la- 
quelle  nous  etions  avant  I'invention  de  I'ecriture...  il  faut  que 
depuis  I'Hopital  tous  les  legislateurs  aient  delire.  »  —  «  S'il  ne 
faut  plus  de  preuves  legales  pour  declarer  un  accuse  coupable, 
tout  devient  conjectural,  et  c'est  au  tribunal  des  conjectures  que 
se  portent  la  vie  et  I'honneur  des  citoyens...  la  preuve  residera 
dans  la  perception  individuelle  de  chaque  jure.  »  C'est  M.  Pru- 
gnon  qui  s'exprime  ainsi  dans  la  seance  du  3  Janvier  1791  {i). 
Dans  le  memo  sens  parlent  le  lendemain  M.  Rey,  M.  Goupil,  et 
Robespierre  que  nous  retrouvons  parmi  les  adversaires  du  pro- 
jet  :  "  La  loi ,  dit  ce  dernier,  a  pose  des  regies  pour  I'examen  et 
I'admission  des  preuves ,  regies  sans  I'observation  desquelles  les 
juges  ne  pourraient  condamner,  quelle  que  soit  leur  conviction... 
il  faut  constater  qu'elles  ont  ete  remplies,  le  moyen  de  le  cons- 
tater  c'est  I'ecriture...  il  faut  reunir  la  confiance  qui  est  due  aux 
preuves  legales  et  celle  que  merite  la  conviction  intime  du  juge. » 

(1)  stance  du  17  Janvier  1791;  Moniteur  du  19. 

(2)  Seance  du  28  d^cembre  1790;  Moniteur  du  29. 

(3)  Stance  du  27  dScembre  1790;  Moniteur  du  29. 

(4)  Moniteur  du  4  Janvier. 


DE  LA.  REVOLUTION.  43  S 

II  fait  la  motion  suivante  :  «  1°  Les  dopositions  seront  redigees 
par  ecrit ;  2"  I'accuse  ne  pourra  etre  declare  convaincu  lorsque 
les  preuves  legales  n'existeront  pas;  3°  I'accuse  ne  pourra  Stre 
condamne  sur  les  preuves  legales ,  si  elles  sont  contraires  a  la 
connaissance  et  a  la  conviction  intime  des  juges  (1).  » 

L'homme  qui  park  avec  le  plus  d'autorite  dans  ce  sens  fut 
Thouret;  dans  la  seance  du  5  Janvier,  sans  s'expliquer  d'ailleurs 
sur  la  theorie  des  preuves  legales ,  il  vint  soutenir  les  avantages 
de  la  procedure  ecrite  combinee  avec  la  deposition  orale  des  te- 
moins;  il  le  fit  avec  una  grande  moderation,  citant  parfois  des 
anecdotes  frappantes ,  et  en  terminant  deposa  un  amendement 
ainsi  congu  :  «  L'Assembiee  deciiete  que  I'instruction  et  la  proce- 
dure criminelle  sera  faite  publiquement,  en  presence  des  juges 
et  des  jures,  qu'elle  sera  ecrite  et  ensuite  remise  aux  jures  pour 
y  avoir  tel  egard  que  de  raison.  »  Ce  discours  fit  une  grande 
impression  sur  I'Assemblee  qui  en  vota  I'impression,  et  la  dis- 
cussion fut  meme  renvoyee  a  plusieurs  jours  pour  permettre  aux 
representants  de  reflechir  sur  ces  difficiles  questions. 

Comment  les  partisans  du  projet  de  loi  pouvaient-ils  re- 
pousser  ces  attaques?  Comment  refusaient-ils  d'accepter  la  pro- 
cedure ecrite  et  le  systeme  des  preuves  legales ,  tels  qu'on  les 
leur  presentait,  c'est-a-dire  desormais  inoffensifs  en  apparence 
et  uniquement  bienfaisants  ?  Une  telle  conduite  paraissait  inex- 
plicable; pourtant,  il  faut  le  reconnaitre,  ces  hommes,  s'ils 
avaient  centre  eux  la  logique  des  raisonnements,  avaient  pour 
eux  la  logique  des  choses.  II  leur  etait  parfois  difficile  de  traduire 
leurs  idees  d'une  facon  demonstrative,  mais  ils  sentaient  tres- 
nettement  qu'il  y  avail  incompatibilite  entre  I'ancienne  methode 
de  juger  et  la  nouvelle ,  que  Ton  ne  pouvait  point  melanger  les 
deux  systemes ,  et  que  transporter  dans  le  jugement  par  jures 
les  complications  de  I'ecriture  et  la  theorie  savante  des  preuves 
legales ,  e'etait  gater  une  institution  excellente ,  sous  couleur  de 
I'ameliorer  :  e'etait  1^  une  greffe  que  I'arbre  nouveau  ne  pouvait 
porter.  C'est  ce  que  soutinrent  Duport,  Chabroud  (2),  Bau- 

'  (1)  SeaBce  da  i  Janvier  1791 ;  Moniteur  ia.  5. 
(2]  Stance  du  3  Janvier;  Moniteur  du  4. 


436  LES   LOIS 

metz  (1),  et  Petion  (2).  «  Les  jures,  disait  Duport,  sont  une 
institution  primitive  qui  sent  encore  les  bois  dont  elle  est  sortie, 
et  qui  respire  fortement  la  nature  et  I'instinct.  On  n'en  parle 
qu'avec  enthousiasme ,  on  ne  I'aime  qu'avec  passion  :  mais  il  faut 
une  &me  saine  et  forte  pour  en  bien  sentir  toute  la  beaute ,  que 
sais-je?  peut-etre  meme  pour  I'employer...  Ce  qui  plait  dans 
I'etablissement  des  jur^s ,  c'est  que  tout  s'y  decide  par  la  droi- 
ture  et  la  bonne  foi ,  simplicite  bien  preferable  a  cet  amas  inutile 
et  funeste  de  subtilites  et  de  formes  que  Ton  a  jusqu'a  ce  jour 
appele  la  justice  (3).  »  Plus  tard,  dans  une  discussion  plus  pre- 
cise ,  il  montrait  que  la  procedure  ecrite  ne  pouvait  point  se  com- 
biner avec  la  procedure  orale.  Ce  serait  allonger  indefiniment  les 
debats  que  de  vouloir  recueillir  toutes  les  depositions  par  ecrit ; 
les  jures  lasses  se  desinteresseraient  d'un  debat  qu'ils  ne  pour- 
raient  plus  suivre ;  rentres  dans  la  chambre  de  leurs  deliberations, 
au  lieu  de  rapporter  une  impression  bien  nette  qui  dicterait  leur 
jugement ,  ils  se  perdraient  a  depouiller  une  volumineuse  proce- 
dure ,  tache  pour  laquelle  ils  ne  sont  point  faits  :  «  Des  hommes 
ont  pense  que  ce  serait  une  chose  bien  avantageuse  que  de 
reunir  la  preuve  ecrite  et  la  preuve  orale,  et  d'avoir  ainsi  les 
avantages  des  deux  systemes;  mais  cela  ne  se  pent  pas...  Arrives 
dans  leur  chambre,  les  jures  liraient  les  depositions,  ils  les  pese- 
raient ,  ils  les  combineraient  comme  les  juges  de  la  Tournelle ,  et 
voila ,  comme  je  I'ai  dit ,  de  mauvais  juges  au  lieu  d'excellents 
jures  (4).  » 

Les  memos  orateurs  soutenaient  qu'il  y  avail  egalement  in- 
compatibilite  entre  I'institution  du  jury  et  le  systeme  des  preuves 
legales,  meme  tourne  en  faveur  de  I'accuse.  Ici  la  chose  etait 
moins  claire.  Sans  doute ,  si  Ton  parlait  de  la  theorie  si  minu- 
tieuse  et  si  complexe  qu'avait  elaboree  I'ancienne  jurisprudence, 
et  qui  n'avait  jamais  trouve  place  dans  la  loi,  il  etait  evident  que 
c'etait  un  outil  trop  delicat  pour  la  main  des  jures ;  mais  il  n'ea 
etait  pas  de  meme,  s'il  s'agissait  de  certaines  regies  fort  sim- 

(1)  stance  du  4  Janvier;  Moniteur  du  S. 

(2)  Seance  du  17  Janvier ;  Monitew  du  ,19. 

(3)  Stance  du  26  dicembre;  Moniteur  du  27. 

(4)  Stance  du  4  Janvier;  Moniteur  du  5. 


DE   LA  REVOLUTION.  437 

pies,  telles  que  celle  qui  exigeait  deux  temoins  oculaires  pour 
una  condamnation.  Cette  regie  etait ,  dans  certains  cas ,  observee 
en  Angleterre  dans  la  procedure  par  jures;  et  aujourd'hui  encore 
la  theorie  des  preuves  joue  un  grand  rdle  devant  le  jury  An- 
glais (1).  Mais  cependant  on  avait  bien  raison  de  repousser  en 
bloc  tout  le  systeme.  En  Angleterre,  en  effet,  les  regies  sur  les 
preuves  en  matiere  criminelle  ne  sont ,  en  realite ,  qu'une  serie 
de  maximes  assez  elastiques  etablies  par  la  jurisprudence,  et 
dont  le  president  des  assises ,  par  sa  haute  autorite ,  impose  I'ob- 
se^vation  aux  jures.  Fixer  dans  la  loi  les  preuves  necessaires 
pour  condamner  eut  ete  decreter  une  mesure  illusoire ;  le  jury, 
ne  motivant  pas  ses  decisions,  etit  toujours  pu  s'y  soustraire; 
c'e<it  ete  surtout  fournir  aux  jures  un  pretexte  commode  pour 
des  acquittements  peu  justifies. 

Lorsque  le  17  Janvier  1791  I'Assemblee  reprit  la  discussion, 
une  modification  s'etait  deja  produite  dans  I'etat  des  esprits.  Sans 
doute,  on  entendit  Maury  defendre  encore  la  procedure  ecrite 
dans  un  vehement  discours.  Attaquant  I'anglomanie,  il  soutenait 
que  si  la  procedure  anglaise  etait  orale ,  cela  venait  de  ce  qu'au 
111°  siecle,  quand  le  jury  fut  institue,  disait-il,  personne  ne  sayait 
ecrire.  Mais  Tronchet,  qui  representait  I'esprit  de  transaction, 
vint  proposer  un  moyen  terme ,  un  systeme  moins  accentue  que 
celui  de  Thouret.  «  La  procedure  serait  orale ,  mais  I'accusateur 
et  I'accuse  pourraient  requerir  un,  proces-verbal  sommaire  des 
debats.  »  Arrivee  a  ce  point,  on  pouvait  dire  que  la  cause  de 
Duport  et  de  ses  auxiliaires  6tait  gagnee ;  la  motion  de  Tronchet 
etait  en  realite  sans  portee ,  aussi  fut-elle  ecartee  et  le  projet  de 
loi  deflnitivement  adopte ,  tel  qu'il  avait  ete  presente. 

Telle  fut  I'cEuvre  de  la  Constituante  pour  la  procedure  en  ma- 
tiere de  crimes.  Si  Ton  veut  la  juger,  il  faut,  croyons-nous ,  faire 
deux  parts.  Pour  ce  qui  est  de  la  procedure  devant  le  jury  de 
jugement ,  les  regies  definitives  avaient  ete  posees.  L'Assemblee 
avait  dote  pour  toujours  la  France  de  cette  magniflque  institu- 
tion, qui,  depuis,  s'est  repandue  sur  I'Europe  avec  le  regime 


(1)  Blakstone,  liv.  IV,  chap.  27;  Voy.  Mittermaier,  TraiU  de  la  proMure  ori- 
minelle  etiAnghterre,  traduct.  Chauffard,  §  20. 


438 


LES  LOIS 


representatif.  C'est  un  des  grands  bienfaits  dont  il  faut  lui  etre 
eternellement  reconnaissant.  Mais  pour  ce  qui  est  de  la  pour- 
suite  et  de  rinstruction  preparatoire ,  toujours  necessaire  en  ces 
graves  matieres,  I'Assemblee  avait  desorganise  les  vieilles  ins-  , 
titutions  dues  au  genie  francais ,  et  les  avait  remplacees  par  un 
mecanisme  complique  et  insufflsant,  qui  jamais  ne  pourra  jouer 
d'une  fagon  satisfaisante.  Elle  avait  confondu  Taction  publique 
et  Taction  civile,  renversant  cette  distinction  si  juste,  longue- 
ment  elaboree  dans  Tevolution  de  Tancien  droit.  Apres  de  longs 
tatonnements ,  on  reprendra  Tinstitution  de  la  partie  publique. 
L'Assemblee  avait  laisse  non  resolu  ce  probleme  difficile  :  com- 
ment, a  la  procedure  par  jures  necessairement  orale,  souder 
Tinstruction  preparatoire  necessairement  ecrite? 

Avec  la  Loi  del791  telle  que  nousTavons  decrite,  il  semble  que 
rien  ne  subsists  plus  de  Tancienne  procedure ;  on  peut  cependant 
retrouver  quelques  traces  laissees  par  TOrdonnance  de  1670.  La 
reception  des  plaintes  par  Tofficier  de  police  (tit..  V ,  art.  2-5)  est 
dans  les  details  presque  textuellement  copiee  sur  le  titre  III  de 
TOrdonnance.  Pour  le  titre  IX,  des  Contiilnaces ,  on  avait  encore 
emprunte  a  TOrdonnance  une  partie  de  ses  dispositions ,  en  par- 
ticulier  la  procedure  qui  aboutissait  a  la  declaration  de  contumace 
et  le  caractere  resoluble  de  la  sentence  (1).  Mais  la  encore  les 
jures  intervenaient;  cependant  la  procedure  n'etait  pas  orale  au 
vrai  sens  du  mot  :  «  les  depositions  des  temoins  regues  par  ecrit 
seront  lues  aux  jures  qui  seront  tires  au  sort.  »  —  Les  disposi- 
tions sur  le  faux  reftetaient  celles  de  TOrdonnance  de  d'Agues- 
seau.  Enfin,  dans  son  titre  XIII,  le  Decret  reprenait  certaines 
prescriptions  de  TOrdonnance  de  1670  (2).  Ce  sont  la  de  faibles 
vestiges,  notons-les  cependant;  si  nous  n'avons  plus  ici  que  quel- 
ques anaeaux  brises,  nous  trouverons  plus  loin  des  trongons 
importants  de  la  chaine. 
La  Loi  du  29  septembre  n'est  pas  la  seule  que  TAssemblee  Cons- 

(1)  Contrairement  aux  dispositions  de  TOrdonnance ,  la  loi,  pour  la  premiere 
fois ,  assimilait  dans  la  procedure  par  contumace  le  prisonnier  6vad6  et  le  fugitif 
qu'on  n'avait  pas  pu  saisir. »  (Art.  14.) 

(2)  Voyez  tit.  XIII  de  la  Loi  de  1791,  art.  4,  5;  et  tit.  XIII ,  Ord.  1670,  art.  6, 
25. 


DE   LA.  REVOLUTION.  439 

tituante  ait  consacree  a  la  procedure  penale ;  pr^cedemment  elle 
avail  organise  la  police  municipale  et  correctionnelle,  dans  la  Loi 
des  19-22  juillet  1791 ,  adoptee  presque  sans  discussion  sur  le 
rapport  de  Desmeuniers  (1).  Ici,  a  cote  de I'initiative  des  citoyens, 
la  loi  organisait'1'action  d'une  sorte  de  partie  publique  :  «  Art.  44  : 
La  poursuite  de  ces  delits  sera  faite  soit  par  les  citoyens  leses, 
soit  par  le  procureur  de  la  commune  ou  ses  substituts  s'il  y  en  a , 
soit  par  des  hommes  de  lois  commis  a  cet  effet  par  la  municipa- 
lite.  »  Du  reste,  personne  ne  parait  avoir  eu  le  droit  de  citation 
directe  devant  le  tribunal  correctionnel ;  les  poursuivants  devaient 
faire  leur  denonciation  au  juge  de  paix  qui,  s'il  y  avait  lieu,  ren- 
voyait  devant  le  tribunal  le  prevenu ,  qu'il  avait  cite  devant  lui 
parun  mandat  d'amener  (art.  45  et  57).  L'instruction  avait  lieu  a 
I'audience  publique  (art.  58) ;  il  restait  du  debat  un  proces-verbal 
sommaire  dresse  par  le  greffier ;  I'appel  etait  ouvert  devant  le  tri- 
bunal de  district  (2).  En  matiei-e  de  police  municipale ,  la  poursuite 
avait  lieu  a  la  requSte  du  procureur  de  la  commune  ou  des  parti- 
culiers ,  et  le  tribunal  etait  saisi  par  une  citation  directe  faite  au 
nom  de  ces  personnes  (art.  35). 


III. 

La  Loi  de  1791  ne  devait  pas  durer  beaucoup  plus  longtemps 
que  la  Loi  de  1789,  qu'elle  avait  remplacee;  elle  devait  ceder  la 
place  au  Code  des  delits  et  des  peines  du  3  brumaire  an  IV.  Pen- 
dant le  temps  de  son  regno,  elle  ne  fut  point  toujours  respectee. 
Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  parler  des  tribunaux  et  des  procedures 
revolutionnaires  ,  qui  vinrent  creer  a  c6te  du  droit  commun  une 
affreuse  legalite  d'exception ;  mais  il  est  certain  que  memo  dans 
la  procedure  ordinaire  se  glissaient  de  nombreuses  illegalites  (3). 

(1)  Moniteur  des  6 ,  7  ,  8 ,  9 ,  13 ,  14 ,  21  juillet  1791. 

(2)  Loi  16  aodt  1790 ,  tit.  XI,  art.  2  et  6. 

(3)  Yoyez  la  Loi  du  22  vendemiaire  an  IV,  qui  defend  k  tous  les  offlciers  de 
police  de  traduire  devant  le  directeur  du  jury  aucun  citoyea  pour  un  fait  non 
prevu  et  sp^cifie  par  les  lois  p^nales,  et  declare  nuls  tous  actes  d'accusation 
dresses  pour  des  fails  semblables.  Cf.  M.  Taine,  Les  origines  de  la  France 
contemporaine.  La  Revolution,  tome  II,  p.  184,  251,  255,  329. 


440  LES   LOIS 

Mais  les  formes  introduites  par  la  Loi  de  1791  n'en  etaient  pas 
moins  considerees  a  cette  epoque  comme  une  institution  defini- 
tive ,  et  ce  ne  fut  point  pour  detruire  le  systeme ,  mais  pour  le 
perfectionner  que  la  Convention  reprit  I'oeuvre  de  la  Consti- 
tuante. 

Le  nouveau  Code  devait  surtout  se  distinguer  des  lois  ante- 
rieures  en  ce  qu'il  serait  une  ceuvre  synthetique  et  detaillee  a  la 
fois.  II  comprendrait  la  procedure  pour  les  delits  et  les  contraven- 
tions aussi  bien  que  pour  les  crimes.  La  Convention  avail  charga, 
le  3  floreal  an  II,  Cambaceres  et  Merlin  de  preparer  un  travail 
general  sur  I'ensemble  de  la  legislation  :  Merlin  s'occupa  sur- 
tout de  la  legislation  criminelle,  et  au  bout  de  dix-huit  mois 
il  presenta  a  la  Convention  le  Code  des  dMits  et  des  peines ,  inst- 
cheve  mais  comprenant  cependant  646  articles  dont  les  598 
premiers  et  le  646°  etaient  consacres  a  la  procedure  criminelle. 
L'Assemblee,  qui  allait  se  separer,  le  vota  de  confiance  et  sans 
discussion.  Ici  les  travaux  preparatoires  ne  sent  rien ;  ils  se  redui- 
sent  comme  document  a  ce  court  rapport  de  Merlin  :  «  Par  un 
decret  du  23  fructidor,  vous  avez  charge  votre  commission  des 
onze  de  vous  presenter  un  projet  de  bode  de  police  de  sHareU  et  de 
police  correctionnelle  adapte  a  la  Constitution  et  propre  a  en  faire 
marcher  les  parties  correspondantes  a  I'ordre  judiciaire.  En  s'oc- 
cupant  de  I'execution  de  ce  decret,  votre  commission  des  onze  a 
cru  que ,  pour  mieux  remplir  vos  vues ,  elle  devait  etendre  le 
cadre  de  son  travail,  et  vous  proposer  une  refonte  generale  de 
toutes  les  lois  rendues  depuis  le  commencement  de  la  Revolution 
pour  regler  et  diriger  la  poursuite  et  la  punition  des  delits  de  toute 
espece.  Vous  apercevez  deja  les  innombrables  avantages  qui  doi- 
vent  resulter  d'un  pareil  travail.  Maintenir  la  Constitution  repu- 
blicaine,  que  le  peuple  Frangais  vient  d'accepter,  c'est  votre  vceu 
comme  votre  devoir.  Pour  atteindre  ce  but ,  ce  qu'il  y  a  de  plus 
important  a  faire  c'est  de  comprimer  I'anarchie,  d'etablir  enfin 
le  regne  de  la  loi ,  de  garantir  d'une  maniere  veritablement  effi- 
cace  la  surete  des  personnes  et  des  proprietes;  c'est,  en  d'autres 
termes,  de  donner  a  la  police  et  a  la  justice  toute  I'activite,  tout 
le  ressort ,  toute  la  puissance  possibles ;  et  c'est  a  quoi  vous  ne 
pouvez  parvenir  qu'en  simplifiant ,  qu'en  classant  dans  un  ordre 


DE   LA  REVOLUTION.  441 

clair  et  methodique  les  innombrables  reglements  qui  doivent  con- 
duire  les  magistrals  dans  la  recherche  et  dans  la  repression  des 
delits. 

«  II  n'y  a  point  d'etat  pire  que  eelui  d'un  gouvernement  dont 
les  magistrals  ne  savent  pas  ou  sont  exposes  a  ne  savoir  qu'im- 
parfaitement  ce  qu'ils  ont  a  faire  :  or,  tel  est,  par  I'effet  de  la 
multitude  et  de  la  confusion  de  nos  lois  criminelles ,  la  situation 
dans  laquelle  se  trouvent  forcement  ceux  de  nos  fonctionnaires 
publics  qui  sont  charges  de  la  repression  des  delits.  C'est  la,  n'en 
doutez  point,  un  des  plus  grands  obstacles  au  retablissement  de 
I'ordre;  mais  cet  obstacle,  vous  pouvez  tres-facilement  le  vaincre; 
il  ne  s'agit  que  de  donner  a  la  nation  un  bon  Code  des  delits  et 
des  peines ,  et  c'est  le  projet  de  ce  Code  que  nous  venons  ofFrir  a 
votre  examen. 

a  Commence  depuis  dix-huit  mois  ,  en  execution  du  Decret  qui 
avail  ordonne  la  classification  et  la  refonte  de  toutes  les  lois  ema- 
nees  des  trois  assemblees  representatives ,  ce  projet  a  exige  beau- 
coup  de  recherches ,  de  longues  meditations ,  un  travail  penible , 
et  cependant  il  n'est  pas  encore  aussi  complet  que  son  litre  sem- 
ble  le  promettre  (1).  » 

Le  Code  de  Brumaire  an  IV  fut  en  realite  I'oeuvre  de  Merlin , 
qui  accomplit  ainsi  un  travail  prodigieux.  Aussi  presente-t-il  un 
caractere  bien  conforme  a  son  origine.  II  est  difficile  de  trouver 
une  composition  dont  toutes  les  parties  ferment  un  tout  plus  sys- 
tematique.  On  sent  que  le  tatonnement  des  commissions  parle- 
mentaires  n'a  point  passe  par  la  et  qu'un  puissant  jurisconsulte  a 
fail  jaillir  de  son  cerveau  cette  loi  tout  armee.  II  n'est  pas  de  loi 
plus  scrupuleuse  et  plus  minulieuse ;  elle  mullipMe  les  garanties 
de  la  defense ,  et  trace  pas  a  pas  la  marche  qui  doit  etre  suivie ; 
mais  en  meme  temps  elle  multiplie  ouitre  mesure  les  formalites 
proteclrices ,  et  le  magistral  n'ose  s'avancer  au  milieu  des  nuUi- 
les,  pr§tes  a  se  dresser  devanl  lui.  Aucune  loi  n'a  regie  d'une 
facon  plus  logique  les  questions  a  poser  au  jury,  et  cette  parlie 
du  Code  de  Brumaire  n'est  pas  moins  ingenieuse  que  la  delicate 
et  savante  composition  des  Formules  romaines ;  mais  plus  encore 

(t)  Seaace  du  30  vend6miaire  [Journal  des  Dibats,  n"  1124,  pp,  458-459). 


442  LES  LOIS 

que  le  magistral  dont  nous  venous  de  parler,  les  jures  devaient 
se  trouver  deconcertes  devant  cet  appareil  trop  savant,  devant 
ces  simplifications,  si  compliquees  en  realite  (1).  On  sait  que  ce 
chef-d'ceuvre  de  theorie  se  trouva  fort  defectueux  dans  la  pra- 
tique ;  ce  mecanisme  admirable  avait  ete  concu  sans  qu'on  tint 
compte  du  frottement.  Mais  ce  n'est  pas  a  ce  point  de  vue  que 
nous  voulons  etudier  le  Code  de  Brumaire ,  il  nous  faut  surtout 
recherchier  s'il  continuait  absolument  la  tendance  de  la  Loi  de 
1791,  s'ecartant  autant  qu'elle  des  regies  de  I'ancien  droit  fran- 
gais.  Dans  les  grandes  lignes  rien  n'etait  change ;  mais  dans  les 
details,  des  modifications  importantes  s'etaient  produites.  Quel- 
ques-uns  des  principes  afflrmes  a  outrance  dans  la  Loi  de  1791, 
etaient  quelque  peu  attenues,  et,  sur  certains  points,  un  retour 
partiel  a  I'ancienne  tradition  etait  reconnaissable. 

Des  les  premiers  articles  du  Code  de  Brumaire  nous  trouvons 
une  distinction , ,  qui  etait  I'un  des  axiomes  fondamentaux  de 
I'ancien  droit,  et  que  la  Loi  de  1791  avait  effacee,  la  distinc- 
tion de  Taction  publique  et  de  Taction  civile.  — «  Art.  5  :  L'action 
publique  a  pour  bbjet  de  punir  les  atteintes  portees  a  Tordre 
social.  Elle  appartient  essentiellement  au  peuple.  EUe  est  exercee 
en  son  nom  par  des  fonctionnaires  etablis  a  cet  effet.  —  Art.  6  : 
L'action  civile  a  pour  objet  la  reparation  du  dommage  que  le 
delit  a  cause.  Elle  appartient  a  ceux  qui  ont  souffert  du  dom- 
mage. —  Art.  8  :  L'action  civile  pent  etre  poursuivie  en  naeme 
temps  et  devant  les  memes  juges  que  Taction  publique;  elle 
pent  aussi  Tetre  separement.  »  Ce  sent  la  presque  textuelle- 
ment  les  articles  1  et  3  de  notre  Code  d'Instruction  criminelle, 
mais  c'etait  aussi  ce  qu'on  disait  sous  Tempire  de  TOrdonnance, 
et  dans  I'Idee  de  la  justice  criminelle ,  par  exemple ,  que  Jousse 
a  mise  en  tete  de  son  Commentaire ,  nous  trouvons  la  distinction 
exprimee  presque  dans  les  memes  termes  (2).  Des  lors ,  a  vrai 

(1)  Voy.  art.  373-379.  C'est,  on  sait,  le  systems  des  questions  simples,  poussS 
jasqu'a  ses  dernieres  consequences.  En  r6alit6,  sur  ce  point,  le  Code  de  Brumaire 
innovait  peu.  La,  comme  en  d'autres  endroits,  on  avail  surtout  fait  passer  dans 
la  loi  les  prescriptions  que  les  constituants  avaient  inscrites  dans  leur  Instruction 
sur  les  juris  du  21  octobre  1791.  Nous  glissons  sur  ces  details,  qui  se  Irouvent 
dans  tous  les  traitSs  de  procedure  criminelle. 

(2)  P.  xxiii :  «  Dans  notre  usage,  deux  sortes  de  persoanes  concourent  i  la 


DE  LA  REVOLUTION.  443 

dire,  disparait  cette  sorte  d'accusation  populaire  qu'avait  instituee 
la  Loi  de  1791.  Sans  doute,  les  droits  des  particuliers  dans  la 
poursuite  sont  encore  bien  importants.  La  denonciation  civique 
subsiste  dans  le  Code  de  Brumaire  avec  toute  son  efficacite 
(art.  87-93).  Sans  doute,  les  denonciateurs  et  les  plaignants 
participent  toujours  a  la  redaction  de  I'acte  d'accusation  (art.  224- 
227)  (1).  Mais  on  sait  maintenant  que  la  partie  privee  n'agit 
plus  qu'a  fin  de  dommages-interets  (art.  430) ;  on  a  pose  nette- 
ment  ce  grand  principe  que  Taction  a  fins  penales  n'appartient 
qu'au  peuple  et  aux  fonctionnaires  qu'il  choisit,  principe  qui, 
encore  obscurci  dans  I'application ,  portera  plus  tard  ses  fruits 
et  contient  en  germe  la  reconstitution  du  ministere  public. 

Le  Code  de  Brumaire  conserve  les  officiers  de  police  judiciaire 
institues  en  1791,  les  juges  de  paix  et  les  officiers  de  gendar- 
merie; mais  il  ajoute  a  la  liste,  les  commissaires  de  police,  les 
gardes  champetres  et  forestiers.  Pour  la  premiere  fois ,  les  direc- 
teurs  du  jury,  qui,  jusque-la,  n'etaient  que  des  juges  d'instruction 
au  second  degre ,  pouvaient  dans  certains  cas  poursuivre  les 
crimes  et  se  saisir  directement  de  leur  connaissance  (art.  21,  140 
a  142).  La  loi  etablissait  une  certaine  hierarchie  entre  les  offi- 
ciers de  police,  releguant  dans  un  rang  secondaire  les  commis- 
saires de  police  et  les  gardes  (art.  2,  5-47).  lis  confondaient  tou- 
jours entre  leurs  mains  la  poursuite  et  I'instruction ;  ils  agissaient, 
«  ou  sur  une  denonciation  officielle  ,  ou  sur  une  denonciation  ci- 
vique, ou  d'apres  une  plainte,  ou  d'office.  »  Le  denonciateur,  qui 
signait  sa  denonciation  civique  et  affirmait  qu'elle  n'etait  dictee 
par  aucun  interet  personnel,  forgait  par  la  meme  I'officier  de 
police  a  decerner  un  mandat  d'amener  (art.  90),  mais  il  ne  pou- 
vait  point  saisir  directement  le  jury  d'accusation.  Quant  a  la 
plainte ,  elle  obligeait  bien  le  juge  de  paix  a  entendre  les  temoins 
produits ,  mais  c'etait  tout  et  ce  magistrat  pouvait  refuser  d'aller 

punition  des  crimes  ;  i"  la  partie  civile  qui  demande  la  reparatiou  de  I'offense 
qui  lui  a  6t6  faite  et  ses  dommages-interets;  20  la  partie  publique  qui  poursuit  la 
punition  du  crime  et  la  condamnation  h  la  peine  qu'il  mSrite.  » 

(1)  II  semble  pourtant ,  oomme  nous  le  dirons  plus  loin ,  que  la  partie  priv6e  ne 
pent  plus  saisir  directement  le  jury  d'accusation ;  elle  doit  s'adresser  au  direc- 
teur  du  jury. 


'•f/^n 


444  LES  LOIS 

plus  avant.  En  cas  de  refus,  le  plaignant  ae  pouvait.plus,  comme 
jadis ,  saisir  le  jury  d'accusation ;  il  ne  pouvait  en  appeler  qu'au 
directeur  du  jury  (art.  98  et  147).  C'etait  encore  une  disposition 
qui  rappelait  un  principe  de  I'ancien  droit,  a  savoir  que  la  plainte 
ne  lie  pas  lejuge. 

Le  principal  officier  de  police  judiciaire  etait  toujours  le  juge 
de  paix.  C'etait  lui  qui  faisait  la  partie  la  plus  importante  de 
rinstruction  preparatoire ;  car  les  resultats  auxquels  il  arrivait 
s'imposaient  plus  tard  au  directeur  du  jury  (1).  La  Loi  de  1791 
etait  fort  breve  sur  cette  instruction ;  le  Code  des  delits  et  des 
peines  est  au  contraire  fort  detaille.  Les  articles  102  a  131,  con- 
sacres  a  cet  objet,  sont  ranges  sous  les  rubriques  des  proces-ver- 
baux ,  de  I' audition  des  temoins  et  des  pieces  de  conviction ;  beau- 
coup  d'entre  eux  passeront  plus  tard  dans  le  Code  d'Instruction 
criminelle  avec  de  legeres  modifications.  Les  regies  sur  les  proees 
verbaux  et  sur  I'audition  des  temoins  etaient  une  imitation  singu- 
lierement  perfectionnee  deS' litres  IV,  V  et  VI  de  I'Ordonnance  de 
1670.  Les  depositions  des  temoins  etaient  redigees  par  ecrit  sur 
un  cahier  separe,  comme  jadis ;  chaque  temoin  etait  entendu  sepa- 
rement,  mais  la  loi  nouvelle  ordonnait  que,  si  le  prevenu  etait 
deja  arrete,  la  deposition  eut  lieu  en  sa  presence  (art.  115);  s'il . 
n'etait  arrete  que  posterieurement ,  le  juge  de  paix,  avant  de 
I'interroger,  devait  lui  donner  lecture  des  depositions  recueSi 
mais  sans  lui  en  donner  copie  (art.  116).  Ces  precautions  indi- 
quent  deja  que  I'ecriture  va  jouer  dans  la  procedure  un  role  plus 
important  que  par  le  passe. 

Les  mandats  faisaient  I'objet  des  articles  56  a  80.  La  Loi  de 
1791  n'en  connaissait  que  deux,  celui  d'amener  et  celui  d'ar- 
ret ;  elle  n'admeltait  pas ,  en  matiere  repressive ,  de  citation 
pure  et  simple ,  analogue  aux  assignations  de  la  procedure  ci- 
vile, et  en  cela  elle  se  montrait  plus  severe  que  I'Ordonnance 
qui,  a  c6te  du  decret  de  prise  de  corps,  plagait  non-seulement 


(1)  Art.  242  :  «  Le  directeur  du  jury  n'a  pas  le  droit  d'examiner  si,  dans  une 
procedure  faite  par  un  officier  de  police  judiciaire,  relativement  a  un  dilit  empor- 
tant  par  sa  nature  peine  afflictive  ou  infamante ,  les  circonstanees  ou  les  preuves 
sont  ou  non  assez  graves  pour  determiner  une  accusation ;  et  il  ne  pent,  sous  ce 
pr^texte,  refuser  de  .dresser  I'acte  d'accusation.  » 


DE   LA  REVOLUTION.  443 

rajournement  personnel ,  mais  le  decret  d'assigne  pour  gtre  oui. 
Le  Code  de  Brumaire  introduisit  ua  nouveau  mandat,  qui  avait 
le  caractere  d'une  citation  simple,  celui  de  comparution ;  mais 
I'usage  en  etait  bien  restreiut.  On  commengait  toujours  par 
le  mandat  d'amener,  seulement  quand  I'inculpe  avait  obei  a  ce 
mandat,  si  le  delit  reproche  etait  de  nature  a  n'etre  puni  «  que 
d'une  amende  au-dessus  de  la  valeur  de  trois  journees  de  tra- 
vail, »  le  juge  de  paix  «  ordonnait  au  prevenu  de  comparaitre 
a  jour  fixe  devant  le  directeur  du  jury  d'accusation.  » 

Du  juge  de  paix  I'affaire  passait,  comme  jadis,  au  directeur 
du  jury;  ce  magistrat,  pris  tons  les  trois  mois  a  tour  de  role 
parmi  les  juges  du  tribunal  de  district  (art.  171,  211),  etait  en 
meme  temps  le  president  du  tribunal  de  police  correctionnelle. 
II  continuait,  pour  la  completer,  I'instruction  commencee;  il 
interrogeait  le  prevenu  dans  les  vingt-quatre  heures  de  son  ar- 
rivee  a  la  maison  d'arret ,  et  faisait  tenir  note  de  ses  reponses. 
II  pouvait  aussi  entendre  de  nouveaux  temoins ,  mais  cette  fois 
I'audition  n'avait  pas  lieu  en  presence  du  prevenu.  La  loi  de- 
clarait  que  le  directeur  du  jury  «  recevait  leurs  declarations 
secretement  et  les  faisait  ecrire  par  le  greffier  (art.  225).  »  Cela 
fait,  et  apres  avoir  constate  que  la  procedure  etait  regu Here ,  il 
rendait  una  ordonnance  de  renvoi,  soit  devant  le  tribunal  de 
police  correctionnelle,  soit  devant  le  jury  d'accusation  (art.  219, 
220).  Toutes  ces  ordonnances  devaient  etre,  a  peine  de  nullite, 
pr^cedees  des  conclusions  du  commissaire  du  pouvoir  executif,  et 
dans  les  trois  jours  un  extrait  devait  en  §tre  donne  a  I'accusateur 
public.  Nous  le  savons  deja,  le  directeur  du  jury  ne  peut  ren- 
dre  une  ordonnance  de  non-lieu,  fondee  sur  I'insuffisance  des 
charges ,  lorsque  la  procedure  lui  a  ete  transmise  par  un  officier 
de  police  judiciaire  (1).  Pour  le  moment,  aucun  recours  n'etait 
possible  contre  ces  ordonnances. 

Le  directeur  du  jury  devait  aussi  statuer  sur  les  demandes  de 
mise  en  liberie  provisoire.  Selon  les  principes  poses  par  la  Loi 

(1)  Sans  doute  U  pouvait  decider  qu'il  n'y  avait  pas  lieu  a  suivre,  lorsqu'il 
6tait  saisi  par  la  partie  plaignante ,  en  appelant  du  refus  d'agir  oppose  par  le 
juge  de  paix  (art.  98),  ou  lorsque,  par  exception,  il  avait  pu  spontan^ment  en- 
tamer  les  poursuites. 


446  LES  LOIS 

de  1791,  le  Code  deBrumaire  decidaitque  la  mise  en  liberie  etait 
de  droit  toutes  les  fois  que  la  peine  eventuelle  etait  seulement 
infamante  ou  correctionnelle ,  elle  etait  toujours  subordonnee  a 
I'engagement  d'une  caution  solvable,  qui  devait  consigner  3,000 
livres  (art.  222).  S'il  s'agissait  d'un  crime  emportant  peine  afflic- 
tive, la  liberie  provisoire  n'etait  jamais  admise.  Elle  etait  de 
droit  ou  elle  n'etait  pas.  Les  pouvoirs  du  directeur  du  jury  etaient 
done  completes  et  precises  par  le  Code  des  delits  et  des  peines; 
le  juge  d'instruction ,  qui  plus  tard  se  degagera  du  directeur  du 
jury,  est  deja  ebauche.  Quelques  traits  du  nouveau  plan  sont 
empruntes  a  I'ancien  droit :  I'audition  des  temoins  en  secret ,  par 
exemple ,  et  les  conclusions  du  commissaire  du  gouvernement 
prec6dant  les  ordonnances. 

Apres  I'ordonnance  de  renvoi  devant  le  jury  d'accusation ,  le 
directeur  du  jury  dressait  Facte  d'accusation ,  auquel  participait 
la  partie  privee  dans  les  memes  conditions  que  precedemment 
(art.  226-230) ;  il  le  communiquait  ensuite  au  Commissaire  du 
pouvoir  executif ,  qui  y  mettait  son  visa  (art.  230).  La  procedure 
devant  le  jury  d'accusation,  precisee  par  le  Code,  n'etait  pas 
modifiee.  Le  directeur  du  jury  exposait  aux  jures  leurs  devoirs 
et  leur  lisait  une  longue  instruction ,  dent  le  texte  a  passe  dans 
le  Code  d'instruction  criminelle ;  puis  le  commissaire  du  pouvoir 
executif  lisait  les  pieces  de  la  procedure ,  sauf  les  depositions  et 
les  interrogatoires ;  les  temoins  et  la  partie  plaignante  etaient 
entendus. 

Si  le  jury  decidait  qu'il  y  avait  lieu  a  accusation,  le  directeur, 
rendait  contre  I'accuse,  a  moins  qu'il  n'eM  ete  recu  a  caution  (1) , 
une  ordonnance  de  prise  de  corps ,  en  vertu  de  laquelle  il  etaH 
conduit  dans  la  maison  de  justice.  La,  I'ordonnance  de  prise  de 
corps  etJ'acte  d'accusation  lui  etaient  notifies  (art.  259).  Des 
lors  le  proces  etait  transporte  devant  le  tribunal  criminel. 

La  composition  du  tribunal  criminel  avait  peu  change  :  «  il  est 
compose  d'un  president,  d'un  accusateur  public,  de  quatre  juges 

(1)  Dans  ce  oas ,  le  directeur  rendait  une  ordonnance  enjoignant  a  I'accuse  de 
se  presenter  devant  le  tribunal  criminel  pour  tous  les  actes  de  la  procedure ,  et 
dMlire  domicile  dans  le  lieu  ou  sifege  le  tribunal  (art.  257).  La  mise  en  accusa- 
tion ne  faisait  done  point  cesser  la  liberty  provisoire. 


DE  LA  REVOLUTION.  447 

pris  dans  le  tribunal  civil,  du  commissaire  dii  pouvoir  executif , 
pres  le  meme  tribunal,  d'un  substitut  qui  lui  est  specialement 
donne  par  le  directoire  executif  pour  le  service  du  tribunal  cri- 
minel  et  d'un  greffier  (art.  226).  »  L'accusateur  public  n'interve- 
nait ,  comme  par  le  passe ,  qu'apres  la  mise  en  accusation  (art. 
278) ;  tout  en  ayant  la  surveillance  des  divers  officiers  de  police 
judiciaire,  il  n'avait  pas  la  poursuite  directe  (art.  283).  Cepen- 
dant,  dorenavant  il  pouvait  recevoir  les  denonciations  et  les 
plaintes ,  non-seulement  des  diverses  autorites ,  mais  aussi  des 
simples  citoyens  (art.  281);  «  il  les  transmet  aux  officiers  de 
police  judiciaire  et  veille  a  ce  qu'elles  soient  suivies.  »  Etait-ce 
un  souvenir  du  systeme  dans  lequel  le  procureur  du  roi  etait 
specialement  charge  de  recevoir  les  denonciations  ?  Le  commissaire 
du  pouvoir  executif  conservait  toujours  I'autre  fonction  du  minis- 
tere  public;  il  faisait  les  requisitibns  en  vertu  de  la  loi  (art.  293). 

Le  president  du  tribunal  criminal  interrogeait  I'accuse  dans  les 
vingt-quatre  heures  de  son  arrivee  a  la  maison  de  j  ustice ,  et  le 
proces-verbal  de  I'interrogatoire  devait  «  Stre  joint  aux  pieces  (art. 
315).  »  L'accusateur  public,  la  partie  privee  et  I'accuse  pouvaient 
faire  entendre  devant  lul  de  nouveaux  temoins.  G'est  alors  seule- 
ment,  contrairement  a  la  Loi  de  1791,  que  Ton  verifiait  solen- 
nellement  la  regularite  de  la  procedure.  Le  commissaire  inscri- 
vait  sur  I'acte  d'accusation  la  mention  :  «  La  loi  autorise,  »  ou 
«  la  loi  defend;  »  et  le  president  devait  convoquer  le  tribunal 
dans  les  vingt-quatre  heures  «  pour  prononcer  a  I'audience  sur  la 
legalite  ou  Fillegalite  soit  du  mandat  d'arret ,  soit  de  I'instruction 
(art.  326).  »  Si  Ton  decouvrait  une  nullite,  le  tribunal  ordonnait 
de  reprendre  les  choses  a  partir  du  plus  ancien  acte  nul. 

Quant  a  la  procedure  devant  le  jury  de  jugement ,  le  Code  de 
Brumaire  en  traitait  longuement  et  minutieusement ;  c'etait  le 
developpement  d'institutions  inconnues  a  I'ancien  droit ,  qui  se 
precisaient  et  se  regularisaient  peu  a  peu ,  sans  rien  emprunter 
a  une  legislation  qui  les  avait  toujours  ignorees.  Quelle  place  fai- 
sait le  Code  dans  cette  derniere  periode  du  proces  a  la  procedure 
ecrite?  La  Loi  de  1791  avail  pousse  jusqu'a  I'exces  la  crainte  de 
voir  I'ecriture  se  glisser  dans  la  procedure  par  jures ;  tout  en 
maintenant  fermement  le  principe  de  VoralM,  la  loi  nouvelle  etait 


LES   LOIS 

moins  exclusive.  Non-seulement  I'instruction  preparatoire  et  ecrite 
avail  augmente  d'importance ;  mais  on  faisait  aussi  dans  le  debat 
una  place  pour  la  production  de  ces  ecritures.  Jusque-la,  ces 
pieces  n'etaient  communiquees  qu'a  I'accusateur  public ,  qui  seul 
y  puisait  des  renseignements;  dorenavant,  elles  sont  communi- 
quees a  I'accuse ,  qui ,  par  ce  moyen ,  avec  I'aide  de  son  defen- 
seur,  pourra  rassembler  a  I'avance  les  elements  de  sa  defense ;  il 
pourra  y  avoir  un  plan  de  defense  comme  il  y  a  un  plan  d'at- 
taque.  Les  textes  sont  formels.  L'article  319  dit,  en  parlant  des 
depositions  recues  par  le  president  du  tribunal  criminel  :  »  Elles 
seront  communiquees  a  I'accusateur  public  et  a  I'accuse  a  peine 
de  ni^llite  de  toutes  procedures  ulterieures.  »  Et  l'article  320 
ajoute  :  «  L'accuse  recoit  pareillement ,  et  sous  la  meme  peine, 
apres  son  interrogatoire ,  copie  des  autres  pieces  de  la  procedure. 
Cette  copie  lui  est  delivr6e  gratis  par  le  greffier.  »  Quelques-unes 
des  depositions  etaient  deja  connues  de  I'inculpe;  celles  recues 
par  le  juge  de  paix  lui  avaient  ete  lues ;  mais  il  ignorait  le  contenu 
de  celles  que  le  directeur  du  jury  avait  recueillies  secretement. 
Cette  procedure  ecrite,  dans  une  certaine  mesure,  figurera  aux 
debats.  Les  articles  365  et  366  declarent  en  effet  :  «  Article  365  : 
II  ne  pent  etre  lu  aux  jures  aucune  deposition  ecrite  de  temoins 
non  presents  a  I'audience.  »  Article  366  :  «  Quant  aux  declara- 
tions 6crites  que  les  temoins  presents  ont  faites  et  aux  notes 
ecrites  des  interrogatoires  que  I'accuse  a  subis  devant  I'officier 
de  police ,  le  directeur  du  jury  et  le  president  du  tribunal  crimi- 
nel, il  n'en  pent  etre  lu  dans  le  cours  des  debats  que  ce  qui  est 
necessaire  pour  faire  observer  soit  aux  temoins,  soit  a  I'accuse, 
les  variations,  les  contrarietes ,  les  differences  qui  peuvent  se 
trouver  entre  ce  qu'ils  disent  devant  les  jures  et  ce  qu'ils  ont  dit 
precedemment.  »  Enfin,  d'apres  l'article  382,  le  president  remet 
aux  jures  «  toutes  les  pieces  du  proces ,  a  I'exception  des  declara- 
tions ecrites  des  temoins  et  des  interrogatoires  ecrits  de  I'ac- 
cuse. I)  Telle  etait  la  combinaison  qu'avait  trouvee  Merlin  pour 
utiliser  I'instruction  preparatoire  dans  la  procedure  orale.  Le  tem- 
perament etait  sage,  et  il  s'est  trouve  que  ces  regies  ont  ete  a 
peu  pres  defmitives;  ces  dispositions,  quelque  peu  modifiees, 
ont  passe  dans  le  Code  d'Instruction  criminelle. 


DE   LA  REVOLUTION.  449 

La  theorie  des  preuves  morales  etait  maintenue  avec  plus  de 
fermete  que  jamais ;  une  longue  instruction ,  destinee  surtout  a 
la  rappeler  aux  jures,  devait  leur  ette  lue  par  le  president  et 
affichee  en  gros  caracteres  dans  leur  salle  de  deliberations.  La 
maniere  de  composer  le  jury  de  jugetnent,  le  systeme  des  recu- 
sations (art.  502-515),  la  majorite  a  laquelle  le  verdict  etait  rendu 
et  la  facon  dont  les  jures  donnaient  leur  declaration ,  enfin  le 
pourvoi  en  cassation,  restaient,  a  peu  de  chose  pres,  ce  qu'ils 
etaient  dans  la  Loi  de  1791. 

Dans  la  procedure  de  contumace,  le  Code  des  delits  et  des 
peines,  comme  la  Loi  de  1791 ,  refletait  en  partie  les  dispositions 
de  I'ancien  droit.  Les  jures  intervenaient ,  mais  les  temoins  n'e- 
taient  point  entendus,  on  lisait  leurs  depositions  ecrites  (art. 
471):  Pendant  vingt  ans,  c'est-a-dire  tant  que  la  peine  n' etait  pas 
prescrite ,  la  representation  du  condamne  faisait  tomber  le  juge- 
ment  de  plein  droit ,  et  il  etait  procede  en  la  forme  ordinaire ; 
cependant  alors  une  exception  etait  admise  au  principe  qui  defen- 
dait  de  lire  devant  le  jury  la  deposition  des  temoins  absents.  «  Art. 
477.  Les  depositions  ecrites  des  temoins  decedes  pendant  son 
absence  (du  contumax)  seront  lues  aux  jures,  qui  y  auront  tel 
egard  que  de  raison,  en  observant  toujours  que  les  preuves  ecrites 
ne  sont  point  la  regie  unique  de  leurs  decisions  et  qu'elles  ne  leur 
servent  que  de  renseignements.  » 

Le  tribunal  de  police  correctionnelle  etait  compose ,  d'apres  le 
Code  de  Brumaire,  «  du  directeur  du  jury,  qui  le  presidait,  et 
de  deux  juges  de  paix.  »  II  etait  saisi  ou  par  I'ordonnance  de  ren- 
voi du  directeur  du  jury  a  la  suite  d'une  instruction  preparatoire, 
ou  par  la  citation  directe  de  la  partie  lesee ,  qui  acquerait  ainsi 
un  droit  nouveau ;  la  citation  toutefois  devait  etre  prealablement 
visee  par  le  directeur  du  jury  qui  s'assurait  qu'il  avait  bien  de- 
vant lui  un  delit  correctionnel  (art.  180-182).  L'appel,  toujours 
possible  ,  etait  porte  devant  le  tribunal  criminel  (art.  198),  et  la 
faculte  d'appeler  appartenait  au  condamne ,  a  la  partie  civile ,  au 
commissaire  du  pouvoir  executif  et  a  I'accusateur  public  du  de- 
partement.  Laplupartde  ces  regies,  ainsi  que  celles  qui  deter- 
minaient  la  procedure  soit  en  premiere  instance ,  soit  en  appel , 
ont  passe  dans  le  Code  d'Instruction  crifninelle.  Pour  la  police 


450  LES   LOIS 

municipale ,  le  tribunal  etait  compose  du  juge  de  paix  el  de  deux 
assesseurs  (art.  151);  la  poursuite  avait  lieu  ou  a  la  requete  du 
commissaire  du  pouvoir  executif  pres  la  commission  municipale , 
ou  a  celle  de  la  partie  lesee.  L'instruction  avait  toujours  lieu  a 
I'audience ;  I'appel  n'etait  point  organise. 

Le  Code  des  delits  et  des  peines  avait  en  realite  assez  peu  mo- 
difie  les  regies  posees  par  la  Loi  de  1791.  Cependant  on  y  saisis- 
sait  une  tendance  incontestable  a  faire  de  l'instruction  prepara- 
toire ,  secrete  et  ecrite ,  le  preliminaire  important  des  debats  de- 
vant  le  jury.  Bient6t  on  devait  aller  plus  loin.  La  France,  lasse 
et  meurtrie,  se  desinteressait  de  la  liberte,  pour  laquelle  elle  avait 
souffert;  elle  se  reportait,  par  une  violente  reaction,  vers  le  prin- 
cipe  d'autorite.  Elle  tourna  alors  les  yeux  vers  les  institutions  de 
I'ancienne  monarchie;  et  peu  s'en  fallut  que  I'Ordonnance  de. 
1670,  telle  a  peu  pres  que  I'avaient  reformee  les  legislateurs  de 
1789,  ne  reprlt  sa  place  parmi  nos  lois. 


DE  LA  REVOLUTION.  431 

CHAPITRE  TROISIEME. 
Les  lois  de  I'an  IX. 


I.  Loi  du  7  pluvifise  an  IX.  Les  magistrals  de  s<lret6;  reconstitution  du  ministere 
public;  modifications  dans  I'instruction.  —  II.  Le  jury  compromis,  les  pas- 
sions politiques  et  le  brigandage.  —  III.  La  loi  du  18  pluvifise  an  IX.  Les 
tribunaux  sp^ciaux ;  resurrection  des  juridictions  prevdtales. 

La  procedure  criminelle ,  telle  que  I'avait  organisee  le  Code  de 
brumaire  an  IV,  devait  bientot  subir  de  profondes  modifications. 
A  I'user  elle  se  montra  insuffisante  pour  la  repression.  Cela  tenait 
en  partie  a  ce  que  la  poursuite  et  I'instruction  preparatoire  avaient 
ete  enervees ,  cela  tenait  surtout  au  milieu  dans  lequel  fonctionna 
d'abord  I'institution  du  jury.  Fausse  par  les  passions  politiques , 
impuissant  en  face  du  brigandage  qui  se  develop'pa  sur  toute  une 
portion  de  la  France ,  il  faillit  perir  dans  la  crise  terrible  qui 
secouait  alors  le  pays.  Au  desir  du  progres  succeda  un  immense 
besoin  de  repos ,  et  les  difficultes  du  present  faillirent  donner  la 
victoire  au  passe. 

Une  premiere  modification  aux  regies  de  la  procedure  crimi- 
nelle fut  apportee  par  la  Constitution  du  22  frimaire  an  VIII.  Elle 
reunissait  les  fonctions  d'accusateur  public  a  celles  de  commis- 
saire  du  pouvoir  executif  pres  le  tribunal  criminel ;  et  celui  des 
deux  fonctionnaires  qui  disparaissait  etait  celui  qui  puisait  son 
titre  dans  I'election  (1).  L'ancien  ministere  public  reparaissait  dans 
son  integrite  a  I'audience  des  tribunaux  criminels ;  mais  il  etait 
plus  important  encore  de  le  reconstituer  a  la  base  et  de  lui  rendre 
la  poursuite ;  ce  fut  I'ceuvre  de  la  loi  du  7  pluvidse  de  I'an  IX. 

Cette  loi  fit  plus ;  elle  reorganisa  en  meme  temps  I'instruction 
preparatoire,  suivant  un  type  qui  se  rapprochait  singulierement  de 

(1)  Const,  du  22  frimaire,  art.  63.  La  loi  du  27  vent6se  an  VIII,  art.  35,  per- 
mettait  de  donner  un  substitut  h  ce  commissaire ,  dans  les  villes  oil  le  gouverne- 
ment  le  croirait  utile. 


452  LES   LOIS 

rancienne  procedure ,  et  transfprma  prof.ondement  les  debats  de- 
■vant  le  jury  d'accusation  :  «  L'idee  qui  domine  dans  le  projet, 
disait  Thiesse,  rapporteur  de  la  loi  au  Tribunat ,  c'est  Tidee  d'une 
partie  publique  poursuivante  et  d'un  juge  d'instruction,  avec  une 
distribution  nette  des  fonctions  (1).  »  Elle  creait  dans  chaque 
arrondissement  des  substituts  du  commissaire  du  gouvernement, 
de  veritables  procureurs  de  la  republique,  nommes  par  le  premier 
consul  et  reyocables  a  volonte  (art.  24);  ils  etaient  les  substituts 
du  commissaire,  comme  autrefois  les  procureurs  du  roi  etaient  les 
substituts  du  procureur  general. 

Ils  etaient  charges  non-seulement  de  la  recherche,  mais  de  la 
poursuite  de  tous  les  delits  de  police  correctionnelle  et  de  tous 
les  crimes  (art.  1).  C'etaient  eux  qui,  dorenavant,  devaient  rece- 
voir  les  denonciations  et  m§me  les  plaintes  (art.  3).  Les  juges  de 
paix  et  officiers  de  gendarmerie  conservaient  bien  le  droit  de  les 
recevoir  aussi ;  mais  ils  etaient  places  sous  les  ordres  des  substi- 
tuts et  devenaient  ainsi  les  simples  auxiliaires  du  ministere 
public  (art.  4);  c'est  un  r61e  qu'ils  ont  toujours  garde  depuis 
lors. 

Le  droit  d'arrestation  etait  r^gle  a  nouveau.  Les  juges  de  paix 
et  officiers  de  gendarmerie  pouvaient  faire  saisir  le  prevenu  dans 
trois  cas  :  lorsqu'il  y  avait  flagrant  delit  ou  accusation  par  la 
rumeur  publique  (art.  4),  ou  lorsqu'il  s'agissait  d'un  delit  em- 
portant  peine  afflictive ,  et  qu'il  y  avait  des  indices  sufflsants  (2). 
Mais  I'agent  qui  avait  ordonne  I'arrestation  etait  tenu  de  faire 
conduire  I'inculpe  devant  le  substitut  dans  le  plus  bref  delai 
possible.  Le  substitut  decernait  alors  contre  le  prevenu  ua  man- 
dat  dit  de  dep6t ,  et  le  faisait  incarcerer  dans  la  maison  d'arret 


(1)  Stance  dutribuaat,  du  27  ventfise  aa  IX  [Archives  parlemenlaires  de  1800 
a  1860,  tome  II,  I™  partie,  p.  94);  of.  Exposi  des  motifs  :«Le  projet  actuel  cons- 
titue  une  veritable  partie  publique,  qui,  dlevie  au-dessus  de  toutes  les  influences 
et  de  toutes  les  considerations  locales,  peut  deployer  tout  le  zele  et  touts  I'activite , 
que  demandent  ses  fonctions...  La  distribution  que  nous  avons  faite  en  ce  qui 
tient  au  jugement  et  ce  qui  tient  ^  la  poursuite  s'Mend  a  toutes  les  parlies  de  la 
procedure  criminelle  et  prSsente  un  double  systeme  regulier  et  complet  de  hierar- 
chie.  » 

(2)  Dans  les  deux  premiers  cas ,  les  maires ,  adjoints  et  commissaires  de  police 
avaient  le  mtoe  droit. 


DB 'LA  REVOLUTION.  433 

(art.  9).  II  avait  egalement  recu  les  plaintes  et  proces-verbaux , 
recueillies  ou  dresses  par  les  officiers  de  police ,  ses  auxiliaires. 

C'etait  la  une  creation  nouvelle,  et  a  vrai  dire  on  donnait  au 
ministere  public  un  pouvoir  qu'il  n'avait  jamais  eu.  La  barriere, 
qu'on  declarait  elever  entre  I'instruction  et  la  poursuite ,  s'abais- 
sait  devant  lui;  toutes  les  pieces  se  concentraient  entre  ses  mains 
et  il  ordonnait  la  detention  preventive.  Mais,  comme  correctif  a 
ce  pouvoir,  la  loi  en  limitait  la  duree.  Dans  les  vingt-quatre 
heures ,  apres  avoir  lance  le  mandat  de  dep6t ,  il  devait  avertir  te 
directeur  du  jury,  lequel  etait  tenu  de  «  prendre  connaissance  de 
Tafifaire  et  d'y  proceder  dans  le  plus  court  delai  (art.  8).  »  Des 
lors ,  I'instruction  se  deroulait  a  peu  pres  selon  les  principes  de 
I'ancienne  jurisprudence.  Le  ministere  public  et  le  magistrat 
instructeur  agissaient  de  concert,  le  premier  requerant,  le  se- 
cond decidant  et  instruisant  (art.  12  et  13).  Les  temoins  comme 
jadis  etaient  produits  par  la  partie  publique  et  par  la  partie 
civile  (1).  Chose  plus  importante,  la  procedure  secrete  reparais- 
sait ,  les  temoins  devaient  etre  entendus  "  separement  et  hors  la 
presence  du  prevenu.  »  C'etait  bouleverser  les  regies  en  vigueur 
depuis  1789.  Les  principes  sur  I'interrogatoire  changeaient  en 
mgme  temps.  Le  juge  ne  donnait  tout  d'abord  a  I'inculpe  aucune 
connaissance  des  charges  produites  centre  lui.  Cependant  quel- 
que  chose  subsistait  de  I'esprit  liberal  des  lois  anterieures ;  apres 
I'interrogatoire,  le  directeur  du  jury  devait  donner  lecture  des 
depositions  au  prevenu ,  et  celui-ci  pouvait  demander  a  etre  in- 
terroge  de  nouveau  (art.  10). 

L'instruction  etant  terminee ,  le  directeur  du  jury  la  communi- 
quait  au  substitut  qui,  dans  les  trois  jours,  devait  donner  ses 
conclusions  par  ecrit  (2),  puis  le  magistrat  instructeur  rendait 
une  ordonnance  qui  pouvait  rappeler  I'aacien  reglement  a  I'ex- 
traordinaire.  «  Selon  les  differents  cas,  la  nature  et  la  gravite 
des  preuves ,  »  il  mettait  le  prevenu  en  liberie  (non  lieu),  ou  le 
renvoyait  devant  le  tribunal  de  simple  police,  ou  de  police  cor- 

(1)  Art.  9  :  «  Les  temoins  indiqu^s  par  le  substitut  ou  par  la  partie  plaignante, 
seront  appel^s  sur  la  citation  du  directeur  du  jury.  »  Cf.  Ordonnance  de  1670, 
tit.  V,  art.  1. 

(2)  Cf.  Ordonnance  de  1670,  tit.  xvi,  art.  17  et  ssq. 


454  LES  LOIS 

rectionnelle ,  ou  devant  le  jury  d'accusalion  (art.  15).  En  cas 
d'ordonnance  de  renvoi ,  il  accordait  la  liberie  provisoire ,  s'il  y 
avail  lieu  d'apres  les  anciennes  regies ,  ou  regularisail  la  delen- 
lion  preventive  au  inoyen  du  mandat  d'arrSt. 

La  decision  du  magistral  directeur  pouvait  etre  soumise  a  des 
recours  multiples,  mais  ouverls  seulemenl  a  la  partie  publique. 
Toules  les  fois  que  Tordonnance  n'etail  pas  conforme  aux  requi- 
f-silions  du  subslitut,  I'affaire  allait  necessairemenl  devant  le  tri- 
bunal d'arrondissement ,  qui  slatuait ,  le  substitut  et  le  directeur 
du  jury  entendus  (art.  16).  Le  substitut  pouvait  ensuite,  s'il.  le 
trouvait  convenable,  envoyer  les  pieces  au  commissaire  pres  le 
tribunal  criminel ,  qui  saisissait  ce  tribunal  en  troisieme  instance 
(art.  17,  18)  (1).  Enfin,  en  dernier  lieu,  le  commissaire,  contre  la 
decision  du  tribunal  criminel ,  pouvait  se  pourvoir  en  cassation. 
D'un  droit  d'appeler  appartenant  au  prevenu  nuUe  part  il  n'etait 
question. 

La  loi  nouvelle,  qui  etait  un  Code  complet  de  I'instruction 
preparatoire ,  modifiait  profondement  la  procedure  devant  le  jury 
d'accusation  :  elle  y  substituait  la  procedure  ecrite  a  la  procedure 
orale.  «  L'acte  d'accusation,  disait  I'article  20,  est  dresse  par  le 
substitut  du  commissaire  pres  le  tribunal  criminel,  le  directeur 
du  jury  en  fait  lecture  aux  jur^s  en  sa  presence ,  ainsi  que  de. 
toutes  les  pieces  qui  y  sont  relatives.  »  —  «  La  partie  plaignante, 
ajoute  I'article  21,  ne  sera  pas  entendue  devant  le  jury  d'accusa- 
tion ,  les  temoins  n'y  seront  pas  non  plus  appeles ;  leurs  deposi- 
tions lui  seront  remises  avec  les  interrogatoires  et  toutes  les 
pieces  a  I'appui  de  l'acte  d'accusation.  » 

La  loi  du  7  pluviose  marquait,  oil  le  voit,  un  retour  tres-net  vers 
le  passe ;  elle  relevait  toute  I'instruction  secrete  et  preparatoire 
que  les  lois  de  1791  et  de  I'an  IV  avaient  laisse  tomber.  Les  re- 
formes  qu'elle  operait  se  ramenaienl  aux  points  suivants  :  1"  crea- 
tion d'un  ministere  public  et  d'un  juge  d'instruction ;  2"  intro- 
duction du  mandat  de  dep6t ;  3°  audition  des  temoins  hors  de  la 
presence  du  prevenu;  4°  substitution  des  preuves  ecrites  aux 

(1)  11  pouvait  reformer  «  non-senlement  k  raison  de  la  compfitence  ou  pour 
fausse  application  de  la  loi  k  la  nature  du  d^lit ,  mais  encore  a  raison  des  nullit^s 
qui  pouvaient  avoir  61&  commises  dans  I'instruction  et  la  procedure.  »  (Art.  18.) 


DE  LA  REVOLUTION.  4SS 

debats  oraux  devant  le  jury  d'accusation.  II  est  interessant  de 
voir  comment  fut  apprecie  chacun  de  ces  chefs  dans  la  discussion 
qui  eut  lieu  devant  le  Tribunat. 

La  creation  d'une  partie  publique  fut  generalement  approuvee. 
Coste  (1),  Bontteville  (2),  Goupil-Prefeln  (3),  Challan  (4),  Caille- 
mer  (5),  Chabot  de  I'AUier  (6),  Gillet  (7),  vinrent  successivement 
en  proclamer  la  legitimite  et  la  necessite.  Le  systeme  qu'avaient 
pr^fere  les  hommes  de  1791,  ne  fut  cependant  pas  abandonne 
sans  discussion  :  il  trouva  dans  Ganilh  un  defenseur  energique. 
Celui-ci,  rappelale  souvenir  de  la  memorable  discussion  de  1790; 
il  evoqua  I'image  des  orateurs  fameux  qui  y  avaient  pris  part , 
dont  le  nom  avait  encore  grandi  depuis  lors ,  et  dont  plusieurs 
ajoutaient  la  gloire  du  martyre  a  1' eclat  de  la  sagesse.  Puis ,  te- 
veillant  les  souvenirs  de  la  Terreur,  il  montra  les  dangers  de 
I'accusation  publique  mise  aux  mains  des  gouvernants  (8).  Mais 
les  reponses  ne  manquerent  pas.  La  meilleure  raison  a  donner, 
c'est  qu'il  etait  necessaire  de  renforcer  la  poursuite  :  «  La  France 
a  fait  la  fatale  experience  des  desordres  inseparables ,  d'abord  de 
I'absence  de  tout  gouvernement ,  et  ensuite  d'une  organisation 
sociale  trop  faible  pour  ne  pas  s'eteindre  ou  pour  ne  pas  devenir 
usurpatrice  (9).  »  Chabot,  refutant  les  theories  subtiles  emprun- 
tees  a  la  Constituante ,  fit  remarquer  que  toute  I'organisation 
alors  etablie  avait  disparu  :  «  Le  gouvernement,  tel  qu'il  est  cons- 
titue  en  France ,  n'est-il  pas  a  lui  seul  le  pouvoir  executif  ?  11  re- 
sulte  de  ce  que  le  gouvernement  est  seul  charge  de  faire  executor 
les  lois,  que  c'est  a  lui  de  rechercher  et  de  faire  poursuivre  les 
crimes  et  les  delits  qui  sont  des  violations  des  lois  (10).  »  Enfm, 

(1)  l«r  pluvi6se ,  Arch,  pari.,  loc.  cit.,  p.  119. 

(2)  2  plavi6se,  Arch,  pari.,  p,  141. 

(3)  3  plaviose,  Arch,  pari.,  p.  145. 

(4)  ler  pluviose,  Arch,  pari.,  p.  123. 

(5)  2  pluviSse ,  Arch,  pari.,  p.  139. 

(6)  3  pluvi6se,  Arch,  pari.,  p.  149. 

(7)  3  pluviose ,  ibid. 

(8)  Seance  du  2  pluviSse,  Arch,  pari.,  p.  133-134. 

(9)  Goupil-Prefeln,  3  pluviSse,  Arch,  pari.,  p.  145. 

(10)  Stance  du  3  pluvifise,  p.  146;  Cf.  Goupil-Prefeln,  p.  145.  «  Je  demande 
a  quoi  servirait  au  gouvernement  le  pouvoir  de  poursuivre  I'accusation  devant  le 


4S6  LES  LOIS 

Gillet  demontrait  avec  une  grande  force  les  dangers  de  I'accusa- 
tion  populaire  qu'on  avait  voulu  introduire  dans  notre  droit  : 
«  on  s'effraie  a  I'idee  de  confier  a  I'avenir  Taction  et  la  poursuite 
des  delits  a  trois  cents  fonctionnaires  et  Ton  ne  s'effraie  pas  de 
songer  que  cette  action  existe  a  present  dans  les  mains  de  trois 
millions  d'hommes.  »  Chose  remarquable,  deux  orateurs  met- 
taient  la  reconstitution  du  ministere  public  sous  la  protection  du 
grand  nom  de  Montesquieu.  L'autorite  de  I'auteur  de  VEsprit  des 
Lois,  affaiblie  pendant  la  tourmente,  etait  plus  grande  que  ja- 
mais (1). 

Le  mandat  de  dep6t  rencontra  de  plus  fortes  resistances.  C'etait 
une  creatioQ  nouvelle,  c'etait  I'inconnu;  plusieurs  orateurs  ne 
le  voyaient  qu'avec  defiance ,  et  en  verite  on  doit  reconnaitre  que 
leurs  craintes  etaient  bien  fondees ,  si  Ton  songe  a  la  grande  for- 
tune qu'a  eue  ce  dernier-ne  des  mandats  de  la  procedure  crimi- 
nelle.  On  demandait  au  moins  que  la  loi  definit  exactement  les 
formes  de  ce  nouveau  mandat  (2).  Gillet,  il  est  vrai,  defendit 
tres-habilement  le  projet  :  «  Le  mandat  de  depot ,  dit-il ,  est  un 
mot  nouveau  dans  le  Code  criminel,  mais  la  verite  c'est  que  la 
chose  n'est  pas  nouvelle.  L'instruction  preparatoire ,  entre  I'ins- 
tant  oil  I'inculpe  est  saisi  et  celui  ou  le  mandat  d'arret  est 
delivre,  n'est  pas  toujours  si  simple  et  si  facile  qu'on  y  puisse 
vaquer  sur-le-champ  et  tout  d'une  haleine...  Or,  pendant  tout  cet 
intervalle,  il  serait  plus  qu'imprudent  de  laisser  I'inculpe  en 
liberte...  le  meme  officier  de  police  exerce  done  des  a  present  sur 
la  personne  de  I'inculpe  trois  pouvoirs  bien  distincts  :  1°  il  de- 
cerne  le  mandat  d'amener ;  2"  il  ordonne  que  I'inculpe  sera  pro- 
visoirement  retenu  dans  le  cours  de  l'instruction  dans  le  lieu  qu'il 


jury  de  jugement  si  la  recherche  et  la  poursuite  devant  les  juges  charges  del'ins- 
truction,  etaient  devolues  a  des  fonctiosDaires  ind^pendants  delui.  u 

(1)  Caillemer :  seance  du  2  pluviflse  (p.  138).  Gillet  :  stance  du  3  pluvifise.  II 
est  curieux  d'observer  que  Chabot  demande  pour  les  juges  le  droit  de  se  saisir 
directement,  comme  jadis  :  «  J'ai  annonc6  une  seconde  observation  g^nerale  sur 
I'ensemble  du  projet  de  loi ,  elle  porte  sur  ce  que  le  projet  ne  laisse  pas  au  pou- 
voir  judiciaire  le  droit  de  rechercher  et  de  poursuivre  les  dilits  dans  les  cas  oil 
les  agents  du  gouvernement  negligent  ou  refusent  de  faire  les  recherches  ou  pour- 
suites  (p.  148).  » 

(2)  Coste,  1"  pluvidse,  p.  120;  Chabot,  3  pluvi6se,  p.  148. 


DE   LA  REVOLUTION.  4S7 

indique,  et  c'est  ce  qu'on  peut  appeler  mandat  de  dep6t;  3"  il 
decerns  le  mandat  d'arrfit.  Ces  officiers  6tant  repandus  dans  une 
multitude  de  communes  ou  il  n'y  a  pa^  de  maison  d'arret ,  il  ar- 
rive qu'ils  font  souvent  deposer  I'inculpe  tant6t  dans  un  corps  de 
garde,  tantot  dans  une  auberge,  souveilt  dans  I'ancienne  prison 
seigneuriale ,  et  quelquefois  meme  jusque  dans  le  clocher  du  vil- 
lage... Suivant  I'article  7,  le  prevenu  ne  peut  plus  etre  depose 
que  dans  la  maison  d'arret,  et  sous  ce  rapport,  le  mandat  de  de- 
pot altribue  au  ministere  public ,  est  deja  bien  moins  irregulier  et 
bien  moins  alarmant  que  ces  ordonnances  de  retenue  provisoire, 
qui  emanent  des  juges  de  paix  (1).  »  Ainsi  le  mandat  de  dep6t 
n'etait,  dans  Topinion  des  legislateurs ,  qu'un  moyen  de  regula- 
riser  une  pratique  j usque-la  illegale,  mais  inevitable.  G'etait,  dans 
tons  les  cas ,  une  mesure  necessairement  provisoire  et  de  courte 
duree;  et  Ton  pouvait  s'expliquer  que  la  loi,  en  le  remettant  aux 
mains  du  ministere  public,  n'exigeat  pas  qu'on  y  inscrivit,  comme 
dans  le  mandat  d'arret,  le  motif  de  I'arrestation  (2). 

Le  secret  introduit  dans  I'instruction  preparaloire  fut  vivement 
conteste.  On  sentait  qu'il  y  avait  la  une  mesure  grave;  et,  en 
effet,  nous  sommes  encore  sous  le  coup  de  la  decision  qui  fut 
prise  aJors.  C'est  Ganilh  qui  fut  I'opposant  le  plus  energique.  II 
montra,  et  c'etait  tres-exact,  qu'on  abandonnait  acet  egard,  non- 
seulement  les  regies  des  Codes  de  1791  etde  I'an  IV,  mais  encore 
celles  de  la  loi  de  1789  :  «  Aujourd'hui  on  vous  propose,  non- 
seulement  de  faire  ecrire  les  depositions ,  mais  de  les  faire  ecrire 
en  secret ,  lors  meme  que  I'accuse  est  arrete  et  peut  etre  present ; 
on  vous  propose  de  retablir  une  partie  de  la  procedure  secrete ,  de 
cette  procedure  odieuse  dont  tous  les  Cahiers  des  bailliages  de 
mand&rent  la  suppression ,  et  qui ,  avant  I'institution  du  jury,  ne- 
cessita  I'adjonction  de  deux  notables  dans  chaque  information.  On 
vous  propose  de  baser  sur  cette  procedure  occulte  et  tenebreuse 
'  la  decision  du  jury  d'accusation,  et  d'infecter  notre  procedure  cri- 
minelle ,  un  des  plus  grands  bienfaits  de  la  Revolution ,  d'un  des 
plus  grands  vices  de  la  procedure  criminelle  de  la  Monarchie !  Ce 

(1)  Seance  du  3  pluvidse,  p.  156-157. 

(2)  Selon  Challan  (seance  du  I"  pluvi6se,  p.  124),  cette  formality  e(it  cepen- 
dant  dQ  6tre  remplie. 


458 


LES   LOIS 


melaage  impur  ne  peut  pas  se  faire ,  uu  obstacle  eternel  s'y  op- 
pose :  il  ne  peut  y  avoir  d'alliance  entre  les  formes  oppressives 
de  la  Monarchie  et  les  fqrmes  protectrices  de  la  Republique ,  ces 
formes  se  repoussent  naturellement  et  ne  peuvent  concourir  au 
meme  but  (1).  »  Ces  paroles  sont  remarquables.  C'6tait  bien  au 
systeme  de  I'Ordonnance  qu'on  revenait  ici ;  on  s'en  separait  en- 
core par  un  point  important,  la  communication  des  charges  au 
prevenu  apres  son  interrogatoire ,  mais  cette  difference  allait  dis- 
paraitre  au  bout  de  peu  d'annees.  II  est  parfaitement  sur  qu'on 
tendait  vers  un  systeme  composite ,  qui  emprunterait  a  I'Ordon- 
nance Finstruction  preparatoire,  et  aux  lois  de  I'epoque  interme- 
diaire  la  procedure  devant  les  juridictions  de  jugement.  Ce  me- 
lange etait  possible,  quoiqu'en  dit  Ganilh,  et  I'experience  I'a  bi^ 
prouve. 

Voici  comment ,  le  rapporteur  Thiesse,  justifiait  la  disposition 
nouvelle  :  «  La  methode  actuelle  est  plus  genereuse  sans  doute, 
mais  conduit-elle  plus  surement  a  la  manifestation  de  la  verite? 
Votre  commission  ne  I'a  pas  pense.  Dans  les  premiers  moments 
la  situation  du  temoin  en  presence  de  I'accuse  est  penible ;  et  il 
a  besoin  de  calme  et  de  confiance  pour  deposer  ce  qu'il  sait  dans 
le  sein  du  magistral ;  le  moment  du  debat ,  qui  n'est  pas  encore 
arrive,  viendra.  Les  temoins,  I'accuse  entreront  alors  dans  toutes 
les  explications  necessaires ,  soit  a  la  conviction  du  crime ,  soil  a 
la  manifestation  de  I'innocence.  Jusque-la  les  declarations-  comma 
les  interrogatoires  peuvent  6tre  recueillis  par  le  magistral.  L'in- 
nocence  n'y  peut  perdre  et  la  verite  peut  y  gagner.  Les  memes 
observations  doivent  avoir  lieu  sur  I'article  10  qui  oblige  le  pre- 
venu de  repondre  avant  de  connaitre  les  charges ,  et  qui  oblige  a 
son  tour  le  magistral  instructeur,  non-seulement  de  les  lui  faire 
connaitre  apres  rinterrogatoire ,  mais  encore  de  recevoir  toutes 
les  reponses  qu'il  voudra  faire  ensuite  sur  les  charges.  Le  pre- 
mier interrogatoire  doit  ainsi  constituer  la  verite ,  le  second  re- 
parer  les  surprises  (2).  »  Gillet  presentait  des  observations  ana- 
logues :  «  Ce  qui  arrive  le  plus  frequemment  c'est  que  le  prevenu 

(1)  stance  du  2  pluvi6se,  p.  137. 

(2)  Stance  du  24  veat6se ,  p.  94. 


DE   LA  REVOLUTION.  4S9 

n'est  pas  present  quand  les  temoins  deposent  devant  I'officier 
de  police,  et  de  cela  il  y  a  une  bonne  raison,  c'est  que  I'informa- 
tion  doit  preceder  le  mandat  d'amener,  et  que  quand  les  temoins 
viennent  I'inculpe  n'est  pas  encore  venu.  Si  pourtant  il  arrive 
que  I'inculpe  soit  present,  si  des  ce  premier  instant,  ofi  les  charges 
commencent  a  se  produire,  il  a  les  yeux  et  les  oreilles  sur  les 
temoins  qui  les  developpent,  la  verite  en  souffre  de  grandes 
altSrations.  Le  temoin  s'intimide  et  s'explique  avec  moins  de 
confiance  et  de  franchise...  Les  reponses  mensongeres  s'ajustent 
a  mesure  et  avec  facilite,  suivant  le  besoin  de  chacune  des 
charges  qui  viennent  d'eclore...  La  marche  (nouvelle)  est  fran- 
che  puisqu'en  la  suivant  I'inculpe  a  toujours  et  necessairement 
connaissance  des  charges  avant  le  mandat  d'arret  et  que  toute 
facilite  lui  est  laissee  pour  les  repousser  (1).  »  Depuis  1789  le 
point  de  vue  avail  change;  I'interet  de  la  poursuite  passait  main- 
tenant  avant  les  droits  de  la  defense. 

De  toutes  les  modifications  qu'introduisait  la  loi  nouvelle,  la 
plus  vivement  discutee  fut  celle  qui  substituait  la  procedure 
ecrite  a  la  procedure  orale  devant  le  jury  d'accusation.  Cela 
pent  surprendre  d'abord ,  car  elle  nous  parait  aujourd!hui  la 
moins  grave.  Depuis  lors,  nous  avons  efface  de  nos  lois  le  jury 
d'accusation  et  personne  n'en  demande  le  retablissement.  En 
Angleterre  raeme,  son  pays  d'origine,  il  se  maintient  plus  par 
la  force  de  la  tradition  que  par  I'approbation  publique.  Mais  on 
s'explique  cette  resistance ,  si  Ton  songe  que  c'etait  une  premiere 
atteinte  portee  au  systeme  de  preuves  etabli  en  1791  :  «  Sans 
les  depositions  orales  des  temoins,  disait  Chabot,  et  avec  des 
pieces  eerites,  il  n'y  a  pas  reellement  de  jury  d'accusation.  On 
ose  soutenir  que  les  preuves  eerites  peuvent  suffire  aux  jures , 
mais  c'est  evidemment  recommencer  le  proces  entre  les  preuves 
legales  et  les  preuves  morales ,  c'est  deja  mettre  en  probleme,,  si 
la  procedure  par  jures  est  preferable  a  I'Ordonnance  de  1670, 
si  enfln  la  sublime  institution  du  jury  doit  etre  conservee  ou  de- 
truite.  »  Et  le  meme  orateur  invoquait  son  experience  person- 
nelle  de  magistrat  :  «  Commissaire  pres  d'un  directeur  du  jury, 

(I)  Stance  du  3  plavi6se,  p.  158. 


460  LES  LOIS 

j'ai  assiste  pendant  trois  ans  a  des  assemblees  du  jury  d'accusa- 
tion,  et  je  certifle  que  souvent  j'y  suis  entre  sans  avoir  pu  me 
former  une  opinion  flxe  sur  le  fond  de  I'affaire ,  et  que  s'il  m'a- 
vait  fallu,  sur  la  simple  lecture  des  pieces,  remplir  les  fonctions 
de  jure,  j'aurais  eprouve  des  doutes  cruels...  il  est  rare  que  je  ne 
sois  pas  sorti  de  ces  assemblees  plus  instruit  sur  le  fond  de  I'af- 
faire que  je  ne  I'etais  auparavant  (1).  »  —  «  Allez ,  disait  un 
autre  orateur,  chez  tons  les  peuples  qui  ont  le  jugement  par 
jures,  c'est-a-dire  chez  tons  les  peuples  libres,  (car  la  liberie  et 
cette  institution  sainte  marchent  invariablement  ensemble,)  inter- 
rogez  les  Anglais ,  les  Americains ,  remontez  jusqu'au  temps  oi 
les  Remains  avaient  encore  des  jures,  et  demandez  a  tous  ce 
qu'ils  pensent  d'une  deposition  ecrite  (2).  » 

Mais  une  consideration  fut  d'un  grand  poids  dans  le  sens  du 
projet :  c'est  que  devant  le  jury  d'accusation  1' accuse  n'etait  pas 
present.  Supprimer  les  depositions  orales ,  c'etait  rendre  la  partie 
plus  egale.  C'est  ce  que  firent  ressortir  Challan  (3),  Caillemer  (4) 
et  Gillet ,  qui  ajouta  d'autres  observations  d'une  valeur  pratique 
assez  grande  :  «  II  n'est  pas  bon  que  les  depositions  qui  sent  a  sa 
cbarge  (de  I'accuse)  paraissent  vivantes,  comme  on  I'a  dit,  de 
toutes  les  sensations  qui  les  rendent  expressives ,  tandis  que  ce 
qui  est  a  sa  decharge  ne  parait  qu'avec  I'expression  de  I'ecriture... 
II  est  dans  le  cceur  humain  une  eternelle  et  incurable  maladie  qui 
fait  qu'on  vent  toujours  etendre  son  pouvoir  hors  de  ses  justes 
limites;  c'est  pourquoi  il  arrive  souvent  que  malgre  tous  les 
soins  du  magistrat  qui  dirige  les  jures,  ceux-ci  sont  tentes  a  I'insu 
de  leur  propre  conscience  de  se  substituer  a  la  place  des  jures  de 
jugement,  et  qu'en  effet  ils  deliberent  avec  les  memes  raisonne- 
ments ,  sur  les  memes  motifs ,  que  s'ils  avaient  le  jugement  a  pro- 
noncer.  La  methode  proposee  leur  laissera  une  illusion  de  moins 
pour  se  meprendre...  La  fonction  des  temoins  en  matiere  crimi- 
nelle  devient  dans  I'etat  actuel  une  charge  tres-onereuse,  puis- 
qu'elle  exige  trois  deplacements  au  moins  et  jusqu'a  cinq  si  I'acte 

(1)  Stance  du  3  pluvifise ,  p.  152. 

(2)  Boutteville  :  seance  du  2  pluvidse,  p.  14S. 

(3)  lorpluvifise,  p.  125. 

(4)  2  pluvidse.p.  140. 


DE   LA  REVOLUTION.  ~  461 

(^'accusation  est  anaule...  Ton  doit  s'applaucjir  d'avoiraprononcer 
une  suppression ,  qui  soulage  tout  a  la  fois  et  le  tresor  public  et 
les-citoyens  (1).  » 

Au  Corps  legislatif,  les  orateurs  du  gouvernement  et  du  Tribunat 
developperent  les  memes  considerations.  La  loi  y  fut  adoptee  par 
226  boules  blanches  centre  48  noires.  Nous  avons  beaucoup  in- 
siste  sur  cette  loi  du  7  pluvi6se ;  cependant  nous  ne  croyons  pas 
avoir  depasse  la  juste  mesure.  EUe  est  en  effet  tres-importante  en 
ce  qu'elle  forme  la  transition  naturelle  et  necessaire  entre  les  co- 
des de  I'epoque  intermediaire  et  le  Code  d'instruction  criminelle. 
Elle  marque  I'instant  oti  le  cours  des  idees  communes  change  de 
direction.  Avec  elle  rentrent  dans  notre  legislation  quelques-uns  , 
des  principes  enregistres  dans  I'Ordonnance  de  1670  et  qu'avait 
repudies  la  >  Revolution.  Cet  element  ainsi  introduit  a  nouveau, 
s'unira  aux  regies  sur  le  debat  oral  et  public  a  jamais  consacre 
devant  les  juridictions  de  jugement ;  et  ce  sera  la  loi  moderne. 

L'an  IX  vit  paraitre  une  autre  loi ,  qui ,  pour  ne  contenir  que 
des  mesures  transitoires ,  n'en  etait  pas  moins  d'une  tres-grande 
importance.  Elle  repondait  au  besoin  de  securite  qui  alors  passait 
avant  tons  les  autres ,  et  elle  etait  empruntee  en  grande  partie 
aux  traditions  de  I'ancien  droit.  En  terminant  la  discussion  de 
la  loi  du  7  pluviose  devant  le  Tribunat,  Thiesse  faisait  clairement 
allusion  a  cet  autre  projet ;  il  declarait  que  «  c'est  pour  avoir  ne- 
glige de  donner  a  la  recherche  et  a  la  poursuite  des  cHmes  toute 
I'activite  necessaire ,  qu'on  a  souvent  recours  a  des  institutions 
extraordinaires ,  toujoui-s  infiniment  dangereuses.  » 


II. 

La  passion  politique ,  le  terrible  courant  qui  saisissait  tout 
alors ,  avait  entraine  le  jury  a  la  derive.  Cela  fut  constate  de  la 
facon  la  plus  nette  dans  la  discussion  solennelle  a  laquelle  donna 
lieu  en  Fan  IX  le  projet  de  loi  sur  les  tribunaux  speciaux  :  «  Le 
jury,  dit  Jean  Debry,  etait  de  la  faction  qui  dominait;  ses  ju- 
gements  en  prenaient  religieusement  la  couleur;   ce  n'etaient 

(1)  stance  du  3  pluvWse,  p.  159. 


462  LES-LOIS 

point  les  faits ,  c'etaient  les  opinions  des  personnes  qui  parlaient 
a  sa  conscience  egaree,  II  faudra  peut-§tre  beaucoup  de  temps 
pour  lui  rendre  ce  caractere  d'impartialite  qui  seul  commande 
la  veneration  et  rassure  I'innocence  (1).  »  —  «  Jusqu'ici,  dit  Cha- 
zal,  on  a  pris  le  premier  venu  pour  jure,. les  passions  revolution- 
naires  ont  envahi  la  fonction;  jusqu'ici  le  jugement  par  jures 
n'a  ete  ni  le  jugement  de  Dieu,  ni  le  jugement  du  peuple,  ai  le 
palladium  de  la  liberie;  il  n'a  ete  d'ordinaire  que  le  jugement 
d'un  groupe  d'ignorants,  et  dans  tons  les  temps  de  factions, 
I'iniquite  scandaleuse  des  factieux  acquittant  sans  pudeur  leurs 
complices  les  plus  scelerats,  egorgeant  sans  remords  leurs  en- 
nemis;  c'est  bien  la  ce  que  nous  avons  vu  (2).  »  —  «  Les  jurys 
temporaires  de  I'an  II  n'ont  pas  ete  moins  feconds  en  egorge-, 
ments  que  le  jury  perpetuel  du  tribunal  revolutionnaire.  Le 
jury  septembriseur,  qui  prononca  I'absolution  de  ses  complices , 
etait  legalement  constitue;  les  jurys  de  la  reaction,  sous  la  pro- 
tection desquels  on  a  longuement  et  impunement  assassine  les 
republicains ,  etaient  legalement  constitues ;  les  jurys  des  depar- 
tements  de  I'Ouest  et  du  Midi ,  qui  absolvent  tous  les  coupables , 
meme  pris  en  flagrant  delit,  sont  encore  legalement  consti- 
tues.... Aussitot  que  I'accusation  et  la  defense  prennent  un 
caractere  politique  et  s'adressent  aux  passions ,  le  jury  devient 
terrible  a  I'innocence,  il  est  la  sauvegarde  des  brigands  (3).  » 
Cette  funeste  influence  des  passions  politiques  sur  le  jury  fat 
constatee  de  nouveau  dans  le  conseil  d'Etat  de  I'Empire,  lors 
de  la  discussion  du  Code  d'instruction  criminelle  (4) ;  mais  elle 
n'aurait  pas  suffi  a  elle  seule  ei  creer  un  etat  persistant  d'inse- 
curite  (5);  le  jury  aurait  bientdt  repris  son  assiette  s'il  ne 
s'etail  trouve  aux  prises  avec  un  fleau  que,  par  sa  nature  meme, 

(1)  Stance  du  5  pluvifise,  p.  190. 

(2)  Stance  du  6pluvi6se,  p.  204.  Cf.  13  pluvifise,  p.  2T7. 

(3)  B^renger,  14  pluvifise,  p.  301. 

(4)  Stance  du  30  Janvier  1808.  (Locri,  tome  XXIV,  p.  578-580).  Seance  du 
8  brumaire  an  VII  {Locri,  tome  XXFV,  p.  439.  Voy.  aussi  tome  XXV,  p.  580.) 

(5)  «  Chez  nous  depuis  la  K^vxlution  le  jury  n'a  bien  justifi^  les  esp^rances 
qu'on  en  avait  con^ues  que  relativement  a  la  repression  des  d^lits  ordinaires,  tels 
que  le  meurtre,  le  vol,  I'incendie,  etc.;  chaque  fois  que  ces  crimes  se  pr^sentent 
les  jures  sont  inexorables.  »  Delpierre,  au  Tribunal,  7  pluvifise,  p.  216. 


DE  LA  REVOLUTION.  463 

il  etait  impuissant  a  combattre ;  nous  voulons  parler  du  brigan- 
dage. 

Les  premiers  germes  en  existaient  deja,  et  fort  developp6s 
dans  I'ancienne  monarchie.  Des  travaux  recants  out  montr6 
combien  de  miserables ,  braconniers,  contrebandiers ,  vagabonds, 
etaient  en  lutte  ouverte  contre  I'ordre  social  (1);  et,  pour  cer- 
taines  contrees  du  moins ,  des  documents  officiels  de  date  post6- 
rieure  montrent  que  le  mal  remontait  fort  loin.  Voici  ce  que  dit 
pour  le  Midi  I'un  des  commissaires  envoyes  en  I'an  IX  par  le 
premier  consul,  pour  faire  une  enquete  generale  sur  I'elat  du 
pays  :  «  II  serait  injuste  d'attribuer  a  la  Revolution  tous  les 
crimes  qui  se  sont  commis  depuis  dix  ans  dans  ces  malheureux 
pays.  On  pent  seulement  dire  qu'elle  a  trouve  des  elements  plus 
favorables  a  tous  les  desordres,  et  que  les  divers  interregnes 
des  gouvernements  et  I'absence  ou  la  faiblesse  de  I'autorite 
publique  ont  laisse  prendre  un  caractere  plus  general  et  plus 
etendu  aux  mayx  qui  elaient  autrefois  plus  rares  et  plus  circons- 
crits(2).  »  Ces  paroles  sont  d'une  rare  justesse.  La  destruction  de 
I'ancienne  organisation ,  les  incertitudes  et  la  faiblesse  des  nou- 
veaux  pouvoirs,  I'anarchie,  les  passions  ardentes,  fournissaient  un 
milieu  merveilleusement  propre  au  developpement  de  ces  germes 
funestes.  Bientot  la  guerre  civile  et  la  guerre  etrangere  vinrent 
fournir  a  la  grande  armee  du  brigandage  de  nouvelles  et  terri^ 
bles  recrues.  Ou  les  deserteurs  pouvaient-ils  trouver  un  meil- 
leur  refuge?  Et  parmi  ceux  qui  prenaient  les  armes  au  nom  d'un 
principe  politique ,  combien  etaient  aussi  tentes  par  le  pillage , 
et  une  fois  la  guerre  civile  terminee,  continuaient  pour  leur 
propre  compte  k  tenir  la  campagne?  «  L'origine  de  ce  brigan- 
dage (dans  les  Alpes-Maritimes)  vient,  dit-on,  du  licenciement 
de  plusieurs  compagnies  militaires  appelees  compagnies  de  Bar- 
bets;  quant  a  I'accroissement  du  brigandage  qui  a  eu  lieu  de- 
puis la  reunion ,  on  pent  I'attribuer  a  deux  causes  :  un  passage 
plus  frequent  des  voyageurs  et  surtout  des  Francais  allant  en 

(1)  M.  Taine,  Les  origines  de  la  France  contemporaine ;  I,  L'ancienrigime,  p.  498, 
ssq. 

(2)  Rapport  de  Francais  de  Nantes ,  chargi  de  Vinspection  de  la  8"  division  mili- 
faire.  (F.  Roc^uain  :  L'itat  de  la  France  au  18  brumaire,  p.  4.) 


464  LES   LOIS 

Italie,  et  aux  vexations  essuyees  par  les  habitants  de  la  part 
des  troupes ,  soit  dans  leurs  personnes ,  soit  dans  leurs  proprie- 
tes  (1).  »  En  Bretagne,  «  outre  le  parti  Chouan,  il  y  a  des  bri- 
gands qu'il  n'est  pas  facile  de  distinguer  d'eux;  on  voit  dans 
Ips  unes  et  les  autres  de  ces  bandes  des  Autrichiens ,  deser- 
teurs  de  ce  corps,  ofi  on  les  avait  enregimentes  (2).  »  —  «  Quel- 
ques  chefs  d'anciens  revoltes  de  la  Vendee  se  sont  mis  a  la  tete 
de  mauvais  sujets  de  ces  departements ,  de  deserteurs,  d*ou- 
vriers  sans  occupation,  et  pillent  les  voitures  sur  les  routes 
et  dans  les  bois...  C'est  un  reste  des  guerres  civiles  et  des  trou- 
bles interieurs;  c'est  I'ecume  de  la  Revolution  (3).  »  Dans  le 
Centre ,  les  causes  du  brigandage  selon  Lacuee  sont :  «  la  mau- 
vaise  organisation  des  maisons  de  correction ,  les  deserteurs ,; 
les  conscrits,  le  defaut  de  police  sur  les  routes  et  dans  les 
campagnes,  le  vagabondage,  la  mendicite,  la  facilite  du  port 
d'armes  (4).  »  M.  Thiers  parle  de  «  cette  race  de  brigands  qui 
s'etait  formee  des  debris  des  armees  et  des  soldats  licencies  des 
guerres  civiles ,  »  —  «  les  Chouans ,  les  Vendeens  restes  sans 
emploi  depuis  la  fin  de  la  guerre  civile,  et  ayant  contracts  des 
goilts  que  la  paix  ne  pouvait  satisfaire ,  ravagerent  les  grandes 
routes  de  Bretagne,  de  Normandie  et  des  environs  de  Paris; 
les  refractaires ,  qui  avaient  voulu  echapper  a  la  conscription , 
quelques  soldats  de  I'armee  de  Ligurie,  que  la  misere  avait 
pousses  a  deserter,  commettaient  les  memos  brigandages  sur  les 
routes  du  Centre  et  du  Midi  (5).  »  C'etaient  les  grandes  compa- 
gnies  qui  menagaient  de  se  reformer.  Enfin,  I'extreme  misere 
favorisait  puissamment  ces  desordres  :  «  La  misere  dans  ces 
departements  (il  s'agit  de  la  Bretagne ,  et  c'est  un  des  missi  de 
I'an  IX  qui  parle)  est  extreme ,  les  marins  y  sont  sans  emploi 
ou  sans  salaire,  les  artisans,  les  ouvriers  en  toile  out  cesse  de 


(1)  Rapport  de  Frangais  de  Nantes.  F61ix  Rocquain  :  L'itat  de  la  France,  p.  14. 

(2)  Rapport  de  MailU-Marbois ,  du  13  niv6se  an  IX,  sur  I'Stat  de  la  13e  divi- 
sion militaire.  —  F.  Rocquain,  op.  cit.,  p.  121. 

(3)  Rapport  de  Fourcroy,  du  13  niv6se  an  IX,  sur  I'etat  de  la  12n  division  mi- 
litaire. —  F.  Rocquain,  op.  cit.,  p.  146. 

(4)  Rapport  sur  la  premiire  division  militaire.  —  F.  Rocquain ,  op.  cit.,  p.  253. 

(5)  Histoire  du  Consulal  el  de  I'Empire,  torn.  11,  p.  161. 


DE   LA.  EE VOLUTION.  463 

travailler,  faute  de  debouches ,  ou  parce  que  le  prix  excessif  du 
pain  et  la  disette  du  ble  noir  ne  permettent  plus  d'employer  des 
journaliers.  Ces  causes,  qui  subsisteront  longtemps,  offriront 
aux  chefs  des  brigands  des  moyens  assures  d'entretenir  les  forces 
de  leur  parti  (1).  » 

Ce  fleau,  toujours  grandissant,  demandait  des  mesures  ex- 
ceptionnelles  :  les  lois  ordinaires  ne  sont  point  faites  pour  ces 
situations  extremes,  dans  lesquelles  recommence  la  lutte  pour 
la  vie.  D'abord ,  la  loi  du  26  floreal  an  V  vint  punir  de  mort  les 
vols  prevus  par  les  articles  2  et  3  (IP  part.,  tit.  ii,  sect.  2)  du 
Code  penal  de  1791 ,  lorsqu'ils  etaient  accompagnes  de  I'une  des 
circonstances  suivantes  :  «  1°  Si  les  coupables  se  sont  introduits 
dans  la  maison  par  la  force  des  armes;  2°  s'ils  ont  fait  usage 
de  leurs  armes  dans  la  maison  centre  ceux  qui  s'y  trouvaient ; 
3°  si  des  violences  exercees  sur  ceux  qui  se  trouvaient  dans  la 
maison  ont  laisse  des  traces  telles  que  blessures,  brulures  ou 
contusions.  »  Ce  qui  avait  provoque  cette  loi,  c'etaient  les  odieu- 
ses  pratiques  des  chauffeurs ,  le  Directoire  executif  1' avait  declare 
en  sollicitant  cette  mesure  le  11  frimaire  an  V  :  «  Des  voleurs, 
signales  sous  le  nom  de  chauffeurs,  se  repandent  dans  plusieurs 
departements  et  desolent  les  villes  et  les  campagnes.  Ce  ne  sont 
pas  des  malfaiteurs  isoles...,  ce  sont  des  brigands  reunis  par 
bandes,  organises  sous  des  chefs,  marchant  d'apres  des  ins- 
tructions ,  formant  enfin ,  au  milieu  de  la  societe ,  une  sorte  de 
confederation  armee,  pour  la  detruiredans  ses  elements  (2).  » 
Rousseau  fut  le  rapporteur  du  projet  au  Conseil  des  anciens ,  et 
se  donna  beaucoup  de  mal  pour  justifier  cette  rigueur  d'une  evi- 
dente  necessite.  Muraire  fit  meme  adopter  Tajournement du  vote; 
le  projet  fut  cependant  vote  le  26  ftoreal.  Mais  c'etait  une  mesure 
completement  insuffisante ;  on  allait  voir  se  verifier  une  fois  de 
plus  I'axiome  de  Montesquieu ,  que  I'effet  preventif  est  produit 
non  par  la  rigueur,  mais  par  la  certitude  de  la  peine. 

Pour  poursuivre  et  juger  ces  brigands,  quels  magistrats  etaient 
designes  par  la  loi?  des  juges  de  paix  et  des  jures,  des  fonction- 

(1)  Rapport  de  BarbS-Marbois.  —  Rocquain,  op.  cit.,  p.  122. 

(2)  Journal  des  D4bats ,  n"  566. 

30 


466  LES   LOIS 

naires  timides  et  des  citoyens  craintifs.  Entre  le  jury  et  le  bri- 
gandage ,  la  partie  n'est  pas  egale ;  c'est  une  verite  que  de  nos 
jours  a  reconnue  I'ltalie.  Citons  quelques  temoignages  interes- 
sants  tires  des  rapports  et  des  discussions  de  I'an  IX  :  «  Dans  le 
Midi,  les  juges  de  paix  sont  excessivement  mauvais,  on  se  plaint 
dans  les  quatre  departements  des  jurys  d'accusatioh  et  de  juge- 
ment,  ils  sont  detestables  par  leur  ignorance  (1).  »  —  «  Pouvez- 
vous  vous   dissimuler  que  si  vous   soumettez   a  la  procedure 
ordinaire  les  brigands  qui  ne   cessent  d'attaquer  les  voitures 
publiques ,  de  tuer  les  soldats  et  les  citoyens ,  I'impunite  leur 
est  presque  assuree ,  soit  par  les  vices  qui  embarrassent  encore 
I'institution  du  jury,  soit  par  Teffet  de  la  terreur  qu'inspirent 
ces  hordes  errantes  (2)?  »  —  «  Invoquez-vous  les  jurys,  les  tribu- 
naux  ordinaires?  Eh  bien!  tribuns,  parcourez  avec  moi  ces  tribu- 
naux  dans  plusieurs  departements  de  la  Republique.  Ici  vous 
verrez  d'un  c6te  d'audacieux  brigands,   converts    de  crimes, 
encore  teints  du  sang  de  leurs  victimes ,  insultant  aux  juges, 
menacant  les  temoins ,  narguant  le  jury  et  bravant  I'echafaud. 
La  des  temoins  dans  la  stupeur,  muets,  immobiles;  plus  loin  des 
jures  plus  occupes  d'assurer  les  moyens  de  leur  retour  que  d'en- 
tendre  des  debats  insignifiants,  places  entre  la  necessite  d'ab- 
soudre  des  coupables  ou  de  se  livrer  aux  vengeances  de  leurs 
complices.  Passons  dans  un  autre  departement.  Ici  le  jury  se 
compose  uniquement  entre  les  citoyens  renfermes  dans  1' enceinte 
de  la  ville ;  il  est  impossible  d'en  reunir  d'aucune  autre  partie  du 
departement.  Les  jures,  les  temoins  aiment  bien  mieux  se  laisser 
condamner  a  une  amende  pecuniaire,  que  de  s'exposer  sur  les 
routes  a  des  amendes  bien  autrement  sirieuses ,   puisqu'elles 
sont  imposees  par  le  crime,  non  pas  sur  la  fortune  seulement, 
mais  aussi  sur  la  vie.  Ajoutons  d'autres  faits  resultant  de  la 
situation  des  choses.  Sachez  done  qu'elles  sont  telles,  que  des  bri- 
gades de  gendarmerie  entieres  ont  donne  leur  demission ,  parce 
qu'apres  s'etre  battues  centre  des  brigands,  apres  avoir  dans  ces 
actions  hasarde  leur  vie ,  verse  leur  sang ,  rempli  I'attente  de  la 

(1)  F.  Rocquain,  op.  cit.,  p.  25.  Rapport  de  Frangais  de  Nantes. 

(2)  TrouvS,  au  Tribunal,  7  pluvifise  an  IX.  Arch.  parUment.,  torn.  II,  I'o  partie, 
p.  130. 


DE   LA  REVOLUTION.  467 

patrie,  des  jurys  impuissants  ont  renvoye  absous  des  brigands 
saisis  les  armes  a  la  main  (1).  »  Le  18  frimaire  an  IX,  le  minis- 
tre  de  la  police  generale  ecrit  au  premier  Consul  :  «  Si  les  vols 
de  diligences  n'ont  pas  encore  cesse,  si  le  pillage  des  fonds  pu- 
blics continue ,  la  faute  n'en  pent  etre  imputee  au  ministere  de  la 
police.  Les  prisons  des  departements  sont  toutes  remplies  de . 
brigands ,  et  il  ne  s'est  guere  commis  un  attentat  qui  n'ait  ete 
suivi  de  la  mort  ou  de  I'arrestation  de  quelques-uns  de  ses  au- 
teurs.  Si  ces  desordres  n'ont  pas  encore  un  terme ,  il  faut  le  dire 
avec  courage,  c'est  que  beaucoup  de  tribunaux  et  les  jures  ne 
remplissent  pas  leur  devoir.  Des  scelerats  pris  les  armes  a  la 
main  ont  ete  acquittes  et  mis  en  liberie  par  les  tribunaux  (2).  » 

Le  besoin  de  tribunaux  d'exception  etait  incontestable,  mais 
on  proceda  par  mesures  successives,  generalement  insuffisantes. 
Une  loi  du  30  prairial  de  I'an  III  avait  attribue  le  jugement  des 
Chouans,  Barbets,  et  autres,  aux  tribunaux  militaires.  Une  autre 
loi  du  1''  vendemiaire  an  IV  decida  que  «  les  rebelles ,  ceux 
connus  sous  le  nom  de  Chouans,  ou  sous  toute  autre  designation, 
et  tons  ceux  designes  par  I'article  3  de  la  loi  du  30  prairial , 
seraient  jugeS  par  les  conseils  militaires  etablis  par  la  loi  du 
deuxieme  jour  complementaire  (3) ;  »  c'est-a-dire  par  les  conseils 
de  guerre.  II  s'agissait  surtout  des  rebelles  dans  ces  dispositions 
assez  vagues ,  qui  furent  confirmees  par  le  Code  des  delits  et  des 
peines  (4).  , 

En  Fan  VI  on  fit  plus ;  on  voulut  organiser  d'une  facon  com- 
plete des  juridictions  d'exception ,  determinant  nettement  leur 
competence  et  la  procedure  suivie  devant  elles.  La  loi  nouvelle 
specifiait  les  crimes  par  lesquels  se  realisait  le  brigandage  et  les 
punissait  de  mort  (art  1  a  6);  puis  elle  decidait  que  pour  ces 
fails,  soumis  en  principe  aux  tribunaux  ordinaires,  s'ils  avaient 
ete  commis  par  un  rassemblement  de  plus  de  deux  personnes , 

(1)  Roujouai,  au  Tribunal  le  14  pluviSse,  Arch,  parlem.,  p.  300;  cf.  Carret,  13 
pluviase,  p.  277;  Garat,  13  pluvi6se,  p.  296;  Delpierre,  p.  216. 

(2)  Dftcours  d'flonore  Duveyrier,  orateur  du  tribunal  au  Corps  Ifigislatif.  17 
pluvi6se  an  IX,  Arch,  parlem.,  p.  308. 

(3)  Voir  le  Rapport  de  Dubois-Dubay  :  Jownal  des  DihaU,  vendSmiaire  an  IV, 
B"  1093,  p.  5. 

(4)  Art.  598. 


468  LES   LOIS 

les  prevenus,  complices,  fauteurs  et  instigateurs  seraient  tra- 
duits  devant  les  conseils  de  guerre.  Le  mandat  d'amener  pouvait 
alors  ^tre  decerne  par  le  directeur  du  jury,  le  juge  de  paix,  le 
commissaire  de  police,  I'agent  municipal  ou  radjoint  dans  les 
communes  au-dessous  de  cinq  mille  habitants ,  enfin  par  les 
offlciers  de  gendarmerie ,  avec  pleine  concurrence  entre  tous  ces 
fonctionnaires  (art.  9)  (1).  Pour  bien  determiner  la' competence , 
11  y  avait  un  reglement  analogue  a  celui  pratique  -jadis  dans  les 
juridictions  prev6tales,  reglement  fait  par  un  magistrat  civil  ,le 
directeur  du  jury.  (Art.  11 ;  cf.  Art  12  a  16);  ce  magistrat  pro- 
cedait  dans  tous  les  cas  a  I'instruction  preparatoire  (2). 

Le  projet  de  loi  fut  presente  par  Roemers  au  conseil  des  Cinq- 
Cents  ,  oil  plusieurs  de  ses  dispositions  furent  attaquees.  «  Le 
nom  seul  de  commission  militaire  fut  une  cause  d'effroi ,  dit  un 
orateur....  Craignez  de  confier  la  juridiction  civile  aux  militaires, 
et  de  rappeler  un  regime  abhorre,  avec  lequel  il  faut  eviter  la 
ressemblance  (3).  »  La  loi  fut  cependant  votee  par  le  conseil 
des  Cinq-Cents  le  19  ventose  an  VI,  et  approuvee  par  les  Anciens 
le  29  niv6se.  Elle  fut  renouvelee  en  brumaire  an  VII,  mais  elle 
ne  le  fut  pas  en  I'an  VIII,  Les  commissions  militaires  ,  qui  ju- 
gaient  les  brigands,  ne  disparurent  point  pour  cela ;  elles  subsis- 
terent,  se  fondant  sur  la  loi  du  30  prairial  an  III  (4). 

Mais  cette  juridiction  meme  ne  pouvait  produire  de  bons  effets 
que  lorsqu'elle  serait  appuyee  par  la  force  materielle ;  c'etait 
reellement  la  guerre  qu'il  fallait  faire  aux  brigands.  Des  expedi- 
tions executees  par  des  colonnes  mobiles  etaient  necessaires. 
En  attendant ,  les  choses  en  etaient  a  ce  point  qu'il  fallait  armer 
les  conducteurs  de  voitures  publiques  et  les  faire  escorter  par 
des  soldats.  On  manquait  de  troupes  :  «  Ces  brigands  avaient 
choisi  pour  se  repandre  le  moment  oii  les  armees  portees  presque 


(1)  Voyez  aussi  Tart.  10. 

(2)  La  mesure  ^tait  d'ailleurs  temporaire.  «  Art  22.  Elle  ne  sera  exicutie  que 
pendant  une  ann^e ,  a  dater  de  sa  promulgation  par  rinsertion  au  Bulletin  des 
his;  aprfes  ce  temps,  elle  sera  abrogfie  de  droit  si  elle  n'est  renouvelfie  par  le 
Corps  16gislatif.  » 

(3)  Journal  des  Dihats,  floreal  an  VI,  n"  240,  p.  154. 

(4)  Savoye-RoUin  au  Tribunal,  13  pluvifise  an  IX.  {Arch,  parlem.,  p.  284.) 


DE   LA  REVOLUTION.  469 

toutes  a  la  fois  au  dehors ,  avaient  prive  I'interieur  des  forces 
necessaires  a  la  securite  (1).  »  Eu  I'an  VIII ,  le  mal  etait  a  son 
comble,  et  un  document  officiel  le  decrit  de  la  fagon  la  plus 
precise  :  «  Des  communes  entieres  sont  victimes  de  leurs  devas- 
tations (des  brigands)  et  de  leur  cruaute...  Tons  ces  departe- 
ments  soUicitent  de  prompts  secours  d'liommes,  d'armes  et  de 
munitions.  lis  leur  ont  ete  souvent  promis,  mais  on  ne  leur  en  a 
accorde  jusqu'ici  que  d'insuffisants  (2).  » 

Le  premier  Consul  voulut  etre  ce  destructeur  de  brigands  que 
la  France  appelait  depuis  longtemps,  que  Ton  invoquait  alors, 
que  Ton  celebra  plus  tard  en  allusions  mythologiques  (3).  De 
nombreuses  colonnes  parcoururent  les  pays  infestes ,  et  a  leur 
suite  des  commissions  militaires  jugeaient  les  prisonniers  :  "  le 
premier  Consul  avait  institue   des  commissions  militaires  a  la 

suite  des  colonnes  mobiles  qui  poursuivaieat  le  brigandage 

Ces  commissions  militaires  avaient  deja  produit  en  pluvi6se  an 
IX  de  salutaires  efFets.  Les  juges  en  habit  de  guerre,  qui  les 
composaient ,  ne  craignaient  pas  les  accuses ;  ils  rassuraient  les 
temoins  charges  de  deposer  et  souvent  ces  temoins  n'etaient 
que  les  soldats  eux-memes  qui  avaient  arrete  les  brigands  et  les 
avaient  pris  les  armes  a  la  main  (4).  » 

Mais  il  faut  reconnaitre  que  cette  repression  avait  ete  quelque 
peu  irreguliere  et  singulierement  expeditive.  Voici  ce  que  cons- 
tate Fraacais  de  Nantes  dans  son  rapport  deja  cite  :  «  Le  resul- 
tat  des  commissions  militaires  depuis  I'arrete  du  29  frimaire 
(qui  les  instituait  dans  le  Var  et  les  Bouches-du-Rh6ne)  jus- 
qu'au  30  germinal  suivant,  c'est-a-dire  durant  quatre  mois,  a 
consiste  en  vingt-trois  brigands  fusilles  et  pris  les  armes  a  la 

(1)  Thiers  :  Le  Consulat  et  I'Empire ,  torn.  Ill ,  p.  287. 

(2)  Bisumi  des  comptes  rendus  au  MinisUre  de  I'lntirieur  par  les  commissaires 
du  Directoire  exiculif  pris  les  administrations  centrales  des  dipartements ,  public 
par  M.  Rocquain,  op.  cit„  p.  377. 

(3)  «  Les  peuples  de  la  Grfece  elevaient  des  autels  aux  h6ros  qui  les  dfilivraient 
des  brigands.  »  (Discussion  au  Consell  des  Anciens  en  I'an  VI.)  —  «  II  ne  fallat 
rien  moins  que  la  main  pulssante  de  I'Hercule  moderne,  qui  arriva  a  notre  secours, 
pour  exterminer  les  brigands  et  empScher  la  ruine  de  Tedifloe  social.  »  [Exposi 
des  motifs  du  livre  II,  tit.  II,  du  Code  d'instruction  crimin.,  Locri,  torn.  XXVIII , 
p.  52.) 

(4)  Thiers  :  Le  Consulat  et  I'Empire,  torn.  Ill,  p.  339. 


470  LES   LOIS 

main;  cent  soixante  fusilles  apres  instruction  du  proces  et  juge- 
ment;  cinquante-huit  mis  en  liberte;  sept  renvoyes  devant  las 
juges  ordinaires;  un  renvoye  au  bagne  de  Toulon;  cinquante 
renvoyes  comme  tres-suspects  devant  le  general  commandant 
de  la  division,  lequel  demande  I'autorisation  de  les  deporter.  II 
y  a  eu  deux  femmes  receleuses  et  complices  des  brigands  qui 
ont  ete  condamaees  a  mort  (1).  »  Plus  loin  il  deplore  «  la  fagon 
dont  la  force  armee  a  ete  employee  contre  les  brigands.  Les 
colonnes  des  eclaireurs  ne  paraissaient  point  dans  una  commune 
sans  y  exercar  qualque  pillage.  Les  chefs  qui  les  dirigeaient 
semblaient  n'avoir  d'autre  but  que  de  gagner  de  I'argent...  Des 
individus,  arretes  comme  Barbets,  ont  ete  fusilles  sans  etre 
juges,  soit  par  haine  personnelle,  soit  parce  qu'ils  n'ont  pas 
donna  la  somma  demandee...  La  plupart  de  cas  faits  sont  no- 
toires  dans  le  departement  (2).  »  En  Bretagne,  Barbe-Marbois 
demande  aussi  qu'on  mette  «  un  frein  a  la  trop  granda  facilite 
avec  laquelle  les  gendarmes  tirent  sur  les  fuyards  qu'ils  pour- 
suivent,  et  encore  plus  aux  executions  de  caux  qu'ils  ont  attaints 
et  arretes,  fussent-ils  notoirament  coupables.  II  y  a  des  exemples 
da  ces  executions,  mais  on  doit  dire  qu'ils  sont  raras.  II  n'en 
faut  plus  souffrir  une  seule ,  et  I'institution  des  tribunaux  d'ex- 
ception  en  fait  cesser  le  pretexta  (3).  » 


III. 

La  Gouvernement  allait  en  effet  demander  I'etablissement  de 
tribunaux  d'axcaption.  lis  etaient  generalement  reclames  par  les 
prefets  (4) ;  et  s'il  fallait  pour  les  brigands  une  juridiction  excep- 
tionnelle,  il  la  fallait  au  moins  reguliere.  La  proposition  semblait 
done  etre  faite  dans  des  conditions  tres-favorables.  L'etat  de  la 
France ,  pour  s'etre  ameliore ,  etait  loin  d'etre  satisfaisant.  Les 
quelques  traits ,  par  lesquels  nous  avons  cherche  a  depeindre  le 

(1)  Rocquain,  op.  cit.,  p.  69. 

(2)  Ibid.,  p.  15;  cf.pp.  5,  6. 

(3)  Ibid.,  op.  cit.,  p.  126. 

(4)  Ibid.,  p.  5,  19. 


DE   LA  REVOLUTION.  471 

fleau  du  brigandage,  sont  empruntes,  pour  la  plupart,  aux  rap- 
•  ports  des  conseillers  d'Etat  envoyes  en  mission  en  I'an  IX,  ou 
aux  discussions  qui  eurent  lieu  au  Tribunal  la'mSme  annee  (1). 

Le  projet  relatif  a  I'etablissement  d'un  tribunal  criminel  spe- 
cial, fut  presente  au  Tribunal,  avec  un  habile  expose  des  molifs 
redige  par  Porlalis ,  le  17  nivose  an  IX  (2).  D'apres  ce  projel,  le 
Gouvernemenl  avail  le  droil  d'elablir,  dans  les  departemenls  oii 
il  le  jugerail  necessaire,  des  Iribunaux  criminels  speciaux  (arl.  1). 
Ces  juridictions  etaient  composees  du  President  et  des  deux 
juges  du  tribunal  criminel ,  de  Irois  mililaires  ayanl  au  moins  le 
grade  de  capilaine,  et  de  deux  citoyens  ayanl  les  qualites  re- 
quises  pour  lire  juges.  Ces  cinq  dernieres  personnes   etaient 
nommees  par  le  premier  Consul  (art.  2).  On  croit  voir  revivre 
les  prevols  des  marechaux  et  leurs  assesseurs.  La  competence 
des  Iribunaux  speciaux  rappelait  de  plus  pres  encore  celle  des 
anciennes  cours  prevotales.  Nous  Irouvons  dans  la  loi  de  I'an  IX 
tous  Ifes  fails  que  visait  la  Declaration  du  5  fevrier  1731 ;  d'abord 
les  cas  privdtaux  par  la  qualite  des  accuses ,  c'est-a-dire  les  crimes 
commis  par  les  vagabonds  el  gens  sans  aveu ,  ou  par  les  repris 
de  justice  non  rehabilites  (art.  6  et  7) ;  le  vagabondage ,  propre- 
menl  dit,  el  I'evasion  des  detenus  (art.  7) ;  —  puis  les  cas  prevd- 
taux  par  la  nature  du  crime :  les  vols  sur  les  grandes  routes  ou 
avec  violences ,  voies  de  fail  el  aulres  circonstances  aggravanles 
du  delil  (arl.  8) ;  les  vols  dans  la  campagne  et  dans  les  habita- 
tions et  b§,timenls  de  campagne,  lorsqu'il  y  aura  effraction... 
ou  lorsque  le  crime  aura  ete  accompli  avec  port  d'armes  ou  par 
una  reunion  de  deux  personnes  au  moins  (art.   9) ;  la  fausse 
monnaie  (arl.   H) ;   les  rassemblements   sedilieux,  lorsque  les 
personnes  auront  ete  surprises  en  flagrant  delil  dans  lesdils  ras- 
semblements (art.  12);   les  assassinats   prepares  par   des  ras- 
semblements armes ,  le  crime  d'embauchage  et  de  machinations 
pratiquees  hors  I'armee  et  par  des  individus  non  mililaires  j  pour 
corrompre  les  gens  de  guerre ,  les  requisitionnaires  ou  les  cons- 

(1)  Voyez  aussi  :  Rocquain,  op.  cit.,  pp.  S,  69-70,  146-147,  170,  252-253,  262- 
263 ;  et  la  discussion  de  la  loi  de  pluvifise  {Arch,  parlement.,  loc.  cit,  pp.  308-309 ; 
103-106;  222;  299). 

(2)  Arch,  parlement.,  II,  I™  partie,  p.  70. 


472  LES   LOIS 

crits  (art.  11).  A  cette  liste  presque  textuellement  empruntee  a 
la  Declaration ,  on  avait  ajoute  certains  faits  dont  la  repression 
severe  etait  demandee  par  le  nouvel  etat  de  choses  :  I'incendie 
et  les  menaces ,  exces  et  voies  de  fait  exerces  contre  des  acque- 
reurs  de  biens  nationaux,  a  raison  de  leurs  acquisitions  (art.  11); 
enfin ,  les  tribunaux  speciaux  connaissaient  aussi  des  assassi- 
nats  premedites,  mais  en  concurrence  avec  les  tribunaux  ordi- 
naires  (art.  10)  (1). 

Ces  crimes  et  delits  etaient  d'office,  et  sans  qu'il  y  eut  de  partie 
plaignante ,  poursuivis  par  le  commissaire  du  Gouvernement 
(art.  3  et  15).  Tons  officiers  de  gendarmerie  et  tous  officiers  de 
police  pouvaient  lancer  le  mandat  d'amener  (art.  17);  les  details 
sur  les  proces-verbaux  a  dresser,  les  inventaires,  I'interroga- 
toire  et  Faudition  des  temoins  dans  I'instruction  preparatoire , 
etaient  empruntes  a  I'Ordonnance  et  a  la  Declaration. 

Le  tribunal  special  saisi,  sur  le  vu  de  la  plainte,  des  pieces 
jointes ,  des  interrogatoires  et  reponses ,  et  des  informations ,  et 
le  commissaire  du  Gouvernement  entendu ,  devait  tout  d'abord 
juger  sa  competence,  et  cela  sans  appeal  (art.  24).  C'etait  encore 
un  souvenir  du  passe;  les  prevots  faisaient  juger  leur  compe- 
tence par  les  presidiaux ,  et  ceux-ci  jugeaient  leur  propre  com- 
petence lorsqu'ils  connaissaient  des  cas  prevdtaux  (2).  Ce  juge- 
ment,  signifie  dans  les  vingt-quatre  heures  a  I'accuse,  devait  ^tre, 
dans  le  meme  delai,  adresse  au  ministre  de  la  justice  pour  etre 
soumis  a  la  Cour  de  Cassation ,  qui  devait  necessairement  en 
prendre  connaissance  et  statuer  toutes  affaires  cessantes  (art.  23, 
26).  Ce  recours,  qui,  du  reste,  ne  suspendait  ni  Tinstruction  ni 
le  jugement,  mais  seulement  I'execution  (art.  27),  etait  emprunte 

(1)  Si  une  fois  rinstruction  entamfie  a  raison  d'uu  de  ces  faits,  Taccuse  etait 
inculp^  k  raison  de  delits  communs ,  «  le  tribunal  special ,  6tait-il  dit ,  instraira 
et  jugera,  quelle  que  soit  la  nature  de  ces  faits  (art.  13).  u  Le  sens  natural  de 
cette  phrase  6tait  que  le  tribunal  special  devenait  incidemment  competent ;  c'etait 
ce  que  d^cidaient  les  anciennes  lois  {Ord.  de  1670,  tit.  II,  art.  23;  Ddclarat.  de' 
1731,  art.  18).  Le  rapporteur  Thiess^  donne  une  autre  interpretation  :  «  C'est-a- 
dire  que  le  tribunal  special  ne  sera  distrait  de  I'instruction  et  du  jugement  des 
crimes  dont  la  loi  le  saisit,  par  aucun  fait  Stranger  a  sa  competence  {Arch,  pari.,  , 
loc.  cit.,  p.  112);  »  mais  voyez  lareplique  de  Benjamin  Constant  (p.  321). 

(2)  Ord.  1670,  tit.  II,  art.  15;  tit.  I,  art.  17.  Voyez  Chazal,  au  Tribunal  [Arch.  ] 
pari,  loc.  cit.,  p.  208). 


DE  LA.  REVOLUTION.  473 

k  la  loi  du  29  mv6se  an  VI.  Enfin,  le  trait  le  plus  dur  des 
juridictions  prev6tales ,  a  savoir  que  leurs  decisions  au  fond  n'e- 
taient  susceptibles  d'aucun  recours ,  caracterisait  aussi  le  tribunal 
special  :  ni  appel,  ni  pourvoi  en  cassation  n'etaient  permis 
(art.  29). 

Mais ,  a  d'autres  points  de  vue ,  la  loi  de  I'an  IX  differait  pro- 
fondement  des  dispositions  de  I'Ordonnance.  Conformement  aux 
principes  du  droit  nouveau,  elle  assurait  la  publicite  de  I'au- 
dience ,  les  avantages  du  debat  oral  et  des  preuves  morales ,  I'as- 
sistance  d'un  defenseur ;  il  y  avait  encore  un  acte  d'accusation , 
dresse  par  le  commissaire  du  Gouvernement  et  dont  il  etait  donne 
lecture  (art.  28).  Enfin,  I'article  dernier  declarait  «  que  le  tri- 
bunal special  demeurerait  revoque,  de  plein  droit,  deux  ans 
apres  la  paix  (art.  31)  (1).  » 

II  semble  qu'a  cetle  epoque  troublee  le  projet  eut  dii  etre  ac- 
cepte  sans  difficulte ;  les  lois  de  I'an  III  et  de  I'an  VI  n'avaient 
souleve  que  peu  d'objections ,  et  le  projet  apportait  plutot  des 
garanties  que  des  severites  nouvelles.  Pourtant  il  souleva  une 
opposition  des  plus  vivos ;  au  Tribunal  il  donna  lieu  a  de  longs 
debats,  qui  durerent  du  17  niv6se  au  16  plaviose;  plus  de  vingt 
orateurs  furent  entendus,  et  parmi  les  adversaires  de  la  propo- 
sition, nous  trouvons  Benjamin  Constant,  Daunou,  Isnard,  Cha- 
zal  et  Chenier. 

D'oii  venait  cette  resistance?  D'abord  on  declarait  que  le  projet 
etait  inconstitutionnel.  La  Constitution  de  I'an  VllI ,  comme 
celles  qui  I'avaient  precedee ,  garantissait  (art.  62) ,  pour  tons  les 
faits  qualifies  crimes,  le  jugement  par  jures.  Mais  on  repondait 
qu'un  autre  article  de  la  Constitution,  I'article  92 ,  decidait  qu'en 
cas  de  revolte  a  main  armee  ou  de  troubles  menacant  la  surete 


(1)  Voici  un  tableau  comparalif  qui  montre  combien  le  projet  ^tait  calqu6  sur 
les  dispositions  des  anciennes  lois  concernant  les  cours  pr6v6tales. 


Loi  de  Pluvidse.       Declaration  de  1731. 


Art.  j    ,«;      -      Art.  )  ^ 
Art.'S  in /Sne. —      Art.  2. 


Loi  de  PIuvi6se.  Ordonnance  de  1670,  tit.  II. 

Art.  14.  —         Art.  23. 

Art.  21.  —         Art.    9. 

Art.  22.  —         Art.  10. 

Art.  23.  —         Art.  12. 

Art.  24.  —         Art.  25. 


474  LES   LOIS 

interieure  de  I'Etat,  la  loi  pouvait  suspendre,  dans  les  temps  et 
pour  les  lieux  qu'elle  determinait,  I'empire  de  la  Constitution.  Or, 
disait-on ,  ici  on  ne  va  memo  pas  si  loin ,  on  n'en  suspend  I'em- 
pire que  partiellement.  D'ailleurs,  la  mgme  difficulte  constitu- 
tionnelle  existait  en  I'an  VI ,  plus  grave  encore ,  et  on  ne  I'avait 
point  soulevee(l);  le  motif  vrai  de  la  resistance  devait  se  trouver 
ailleurs. 

On  sentait  qu'on  avait  affaire  non  a  une  mesure  transitoire , 
mais  a  un  systeme  qui  tendait  a  devenir,  permanent.  On  voulait 
etablir  deux  justices;  I'unede  droit  commun,  1' autre  d'exception; 
pour  quelques-uns  le  jury ,  pour  d'autres  les  tribunaux  speciaux. 
Duveyrier,  le  rapporteur,  ne  le  cachait  point  :  «  Voulez-vous 
garantir  les  restes  faibles  et  precieux  du  jury?  Derobez-le  des  a 
present  a  I'usage  qui  I'affaiblit  et  le  denature  tous  les  jours.  Qu'il 
serve  a  marquer  I'extreme  difference  entre  ces  forfaits,  qui  mena- 
cent  I'ordre  social  dans  un  temps  agite ,  et  ces  rares  ecarts ,  qui 
le  troublent  dans  un  temps  plus  calme ;  qu'il  soit  pour  ainsi 
dire  la  prerogative  de  ces  hommes  qu'un  moment  egare,  mais 
qui  ne  vivent  pas  pour  le  crime  et  par  le  crime ,  qui  blessent  mais 
qui  ne  combattent  pas  le  regime  etabli ;  qu'un  proces  juge  par  le 
jury,  s'il  n'est  pas  une  presomption  d'innocence,  porte  au  moins 
le  caractere  d'une  faute  qui  n'a  point  demerite  cette  institution 
bienveillante ;  qu'elle  existe  enfin  pour  ceux  a  qui  elle  appartient, 
imparfaite  mais  toujours  susceptibles  du  perfectionnement  que 
la  sagesse  et  I'experience  lui  preparent  (2).  » 

Ce  dualisme  n'etait  presente  que  corame  un  expedient;  mais 
la  verite  etait  que  ce  provisoire  devait  se  transformer  en  un  etat 
de  choses  definitif.  Le  Gouvernement  ne  I'avouait  point  alors, 
mais  il  le  declarera  ouvertement  plus  tard  dans  VExpose  des  mo- 
tifs du  titre  vi,  livre  II,  du  Code  d'instruction  criminelle,  qui 

(1)  «  Ni  r^tablissement  de  ces  commissions  (militaires),  ni  le  detail  de  leurs 
attributions,  ni  la  loi  du  29  nivfise,  que  j'ai  proposee  moi-mSme ,  n'ont  excitfe 
soit  parmi  les  reprSsentants  des  deux  conseils ,  soit  parmi  les  citoyens ,  les  inquie- 
tudes que  Ton  voudrait  concevoir  aujourd'hui.  »  Jean  Debry  au  Tribunal,  S  plu- 
vifise.  Arch,  pari.,  loc.  cit.,  p.  190. 

(2)  Stance  du  29  niv6se.  Arch,  pari.,  loc.  cit.,  p.  107.  Delpierre,  le  7  pluvifise, 
p.  219  :« II  faut  en  convenir  de  bonne  foi ,  I'^tablissement  des  tribunaux  criminels 
sp6ciaux  est,  a  peu  de  chose  pr6s,  la  suspension  de  la  procedure  par  jures. » 


DE   LA  REVOLUTION.  475 

maintenait  comme  institution  permanente  les  tribunaux  speciaux. 
M.  Real  y  disait  :  «  II  a  ete  bientSt  reconnu  que  la  loi  devait 
etre  permanente  et  universelle.  La  meme  experience  qui  avait 
prononce  sur  la  necessite  de  son  existence  avait  aussi  prononce 
sur  la  necessite  de  sa  permanence  et  de  son  universalite ;  et  les 
celebres  Ordonnances,  les  Ordonnances  vraiment  populaires  et 
nationales  d'Orleans  ,  de  Moulins  et  de  Blois  avaient  decrete 
cette  institution  speciale  pour  tous  les  temps  et  pour  tons  les 
lieux.  Les  commissaires ,  qui  redigerent  I'Ordonnance  de  1670, 
avaient  eu  le  bon  esprit  de  placer  I'exception  a  c6te  de  la  regie 
commune...  Douze  annees  d'abus  avaient  deprave  I'dpinion  a  ce 
point  qu'au  moment  meme  oii  Ton  revenait  aux  principes,  un  gou- 
vernement  instruit  et  fort ,  mais  modere  et  prudent ,  et  qui  ne 
voulait  rien  obtenir  que  de  I'experience  et  de  la  conviction ,  fut 
oblige  de  transiger  avec  cette  opinion,  et  la  loi  du  18  pluvi6se 
an  IX  recut,  non  dans  son  universalite,  puisque  le  Gouvernement 
pouvait  I'appliquer  a  tous  les  departements  ,  mais  dans  sa  duree , 
une  limitation ,  puisqu'elle  devait  cesser  d'exister  deux  ans  apres 
la  paix.  Mais  s'il  6tait  de  la  sagesse  d'un  gouvernement  repara- 
teur  de  n'arri^^r  a  la  permanence  de  I'institution  qu'apres  avoir 
passe  par  I'epreuve  de  I'etablissement  momentane ,  le  Gouverne- 
ment devrait-Stre  accuse  d'imprevoyance  et  de  cruaute  si  aujour- 
d'hui...  il  indiquait,  en  ne  presentant  qu'une  institution  passa- 
gere,  une  epoque  de  malheurs  et  de  desolation,  ou  la  securite 
publique  serait  encore  une  fois  livree  a  la  merci  de  tous  les  bri- 
gands (1).  )>  En  Fan  IX  les  esprits  clairvoyants  ne  s'y  trompaient 
point.  Le  systeme  devait  passer  dans  le  Code  d'instructiou  crimi- 
nelle;  les  tribunaux  speciaux  seront  ensuite  ,  en  1815,  remplaces 
par  «  les  cours  prevStales,  »  institution  tfansitoire,  il  est  vrai  (2), 
mais  dont  seul  I'article  54  de  la  Charte  de  1830  devait  rendre  le 
retour  impossible  a  tout  jamais. 

Ce  qu'on  ressuscitait  ainsi,  c'etait  I'une  des  plus  odieuses 
institutions  de  I'ancien  regime.  Le  rapport  de  Real  le  dira  nette- 
ment  plus  tard,  et  il  reconstituera  tous  les  anneaux  de  la  chaine. 

(1)  Locri,  tome  XXVIII ,  p.  54-55. 

(2)  Loi  du  20  d^oembre  1815.  , 


476  LES   LOIS 

En  I'an  IX  on  ne  I'avouait  point ,  mais  la  chose  etait  trop  claire 
pour  qu'elle  pM  echapper  a  tous  les  yeux  :  «  Si  la  loi  proposee , 
disait  Benjamin  Constant,  n'etait  pas  infmiment  plus  vague  et  les 
attributions  qu'elle  donne  aux  tribunaux  speciaux  beaucoup  plus 
etendues  que  ce  qu'on  appelait  sous  I'ancien  regime  les  jugements' 
prev6taux,  je  n'aurais  pas  rompu  le  silence  (1).  »  Desrenaudes 
evoque  «  I'idee  de  ces  commissions  effrayantes  contre  lesquelles 
se  sont  eleves,  que  dis-je?  se  sont  souleves  depuis  un  siecletous 
les  hommes  qui  ont  honore  rhumanite,  et  Ton  se  demande  a  I'ins- 
tant  si  les  belles  conceptions  de  Montesquieu ,  de  Beccaria ,  de 
Rousseau,  de  Dupaty,  de  Servan  et  de  tant  d'autres  vont  se  per- 
dre  en  un  jour,  ou  se  trouver  releguees  dans  le  cercle  etroit  de 
quelques  cas  obscurs  et  de  quelques  delits  vulgaires  (2)?  »  — 
«  L'orateur  du  Gouvernement,  dit  Garat,  retrouvera  ces  principes 
dans  rOrdonnance  de  1670;  mais  ce  ne  sont  pas  ces  exemples 
que  nous  devons  suivreet  qu'on  peutnous  proposer  (3).  »  L'ora- 
teur qui  apporta  la  demonstration  la  plus  complete  fut  Chazal : 
«  Le  Gouvernement ,  dit-il  en  commencant ,  vous  demande  d'eta- 
blir  des  tribunaux  d'exception,  qu'il  a  concus  sur  le  modele  des 
anciens  tribunaux  prevotaux  organises  par  I'Ordonnance  de 
1670  (4);  »  Puis,  prenant  une  a  une  d'un  c6te  les  diverses  dis- 
positions du  projet  et  celles  de  I'Grdonnance  et  de  la  Declaration 
de  1731  d'autre  part,  il  en  montra  I'identite;  il  faisait  voir  qu'on 
avail  parfois  rencheri  sur  les  rigueurs  de  I'ancien  droit;  il  re- 
grett^^it  pour  I'accuse  de  ne  pas  trouver  dans  le  projet  la  faculte 
de  se  faire  entendre  lors  du  jugement  de  competence,  et  le  ju- 
gement  qui  reglait  a  1' extraordinaire ,  et  I'ancienne  confrontation 
formaliste. 

Cela  etait  si  clair  d'ailleurs  que,  dans  la  suite,  les  orateurs,  qui 
soutenaient  le  projet,  ne  purent  meconnaitre  la  parente,  et 
qu'ils  durent,  pour  faire  oublier  la  comparaison,  insister  sur  lo 
caractere  transitoire  de  la  loi  nouvelle;  «  il  n'est  pas  possible 
d'etablir  de  comparaison  entre  un  systeme  essentiellement  tem- 

(1)  Au  Tribunal,  5  pluviSse,  Arch,  pari,  loc  cit.,  p.  187. 

(2)  6  pluvi6se,  Arch,  pari,  loc.  cit.,  p.  193. 

(3)  13  pluvi6se,  Arch,  pari,  p.  294. 

(4)  6  pluvifise  Arch,  pari,  p.  204  et  ssq. 


DE    LA   REVOLUTION.  477 

poraire  dans  notre  systeme  politique  et  une  classe  de  tribunaux 
inherents  a  la  monarchie  et  coordonnes  dans  les  vues  generales 
de  sa  legislation  criminelle  (1).  »  Portalis  vint  dire  au  Corps 
legislatif ,  parlant  au  nom  du  Tribunat  :  «  Comme  le  tribunal 
special ,  les  prev6tes  de  I'ancien  regime  sont  nees  des  troubles  et 
du  brigandage.  Ce  n'est  pas  Louis  XIV  qui  les  a  instituees;  elles 
remontent  a  des  temps  plus  recules ;  elles  ont  ete  consacrees  par 
les  deliberations  des  fitats-Generaux.  Mais  les  prev6tes  ont  ete 
permanentes,  le  tribunal  special  n'est  que  passager  (2).  »  Quel- 
ques-uns  essayaient  meme  une  timide  rehabilitation  des  juridic- 
tions  prev6tales  :  «  On  a  pris ,  dit  Simeon ,  ce  que  les  juridictions 
prevotales  avaient  de  bon  et  de  compatible  avec  le  regime  present 
et  on  I'a  fondu  avec  la  loi  du  29  niv6se,  qui  de  cette  maniere 
s'est  trouvee  adoucie ;  on  a  cru  lancer  un  trait  mortel  contre  le 
projet  en  disant  qu'il  etait  caique  sur  I'un  des  etablissements  les 
plus  despotiques  de  Louis  XIV.  Louis  XIV  n'avait  point  invente 
les  juridictions  prevotales ;  elles  remontent  a  des  temps  beaucoup 
plus  anciens,  a  ceux  ou,  comme  aujourd'hui,  la  France,  desolee 
par  des  bandes  audacieuses  ,  avait  besoin  d'une  justice  armee  qui 
leur  fit  la  guerre.  Les  juridictions  prev6tales  n'etaient  pas  essen- 
tiellement  mauvaises,  elles  n'avaient  que  les  vices  attaches  a 
notre  ancienne  procedure  criminelle,  et  qu'on  ne  retrouve  pas 
dans  le  projet.  La  procedure  n'y  est  pas  secrete;  I'accuse  se 
defend  en  public.  Les  debats  sont  ouverts  comme  dans  les  tribu- 
naux ordinaires.  La  competence ,  que  les  prevots  faisaient  juger 
en  appelant  les  premiers  gradues  qu'ils  avaient  sous  les  mains, 
est  verifiee  d'une  maniere  beaucoup  plus  rassurante  (3).  » 

La  loi  fut  votee ,  mais  elle  ne  passa  au  Tribunat  qu'a  la  majorite 
de  49  voix  contre  41 ;  au  Corps  legislatif,  le  projet  obtint  192  voix 
contre  88.  C'etait  une  partie  de  I'Ordonnance  de  1670,  qui  ren- 
trait  dans  nos  lois ;  et  c'est  pourquoi  nous  avons  insiste  un  peu 
longuement  sur  cette  page  curieuse  de  notre  histoire  parlemen- 
taire.  Beaucoup  d'orateurs  avaient  declare  qu'en  votant  I'etablis- 

(1)  Laussat  :  seance  du  12  pluvifise ,  Arch,  parlem.,  loc.  cit.,  p.  258 ;  cf.  Trouvfe, 
p.  231;  Garret,  p.  279. 

(2)  1  pluvi6se ,  p.  332. 

(3)  17  pluvidse,  Arch,  partem.,  loc.  cii.,  p.  310. 


478  LES    LOIS 

• 

sement  des  tribunaux  speciaux ,  ils  pensaient  sauver  I'institution 
du  jury,  que  la  preuve  prolongee  de  son  impuissance  aurait 
perdue  a  tout  jamais.  II  est  utile  d'enregistrer  ces  temoignages, 
que  nous  utiliserons  un  peu  plus  tard.  En  voici  quelques-uns , 
C'est  d'abord  Duveyrier,  le  rapporteur  de  la  loi  au  Tribunal  : 
a  L'institution  du  jury,  bienfait  et  garant  de  la  liberte  chez  tons 
les  peiiples  libres,  est  parmi  nous,  de  tons  les  dons  de  la  Revo- 
lution, celui  qu'un  prodige  seul  pouvait  sauver  au  milieu  des 
tempetes  revolutionnaires.  Mais  nous  convenons  tons  qu'impar- 
fait  dans  son  origine ,  faible  et  inexact  dans  sa  nouveaute ,  il  fut 
encore  deshonore  dans  I'opinion  populaire  par  I'usage  barbare 
auquel  le  condamna  pour  un  temps  la  plus  atroce  tyrannie ;  em- 
barrasse  depuis  par  une  complication ,  de  formes  abstraites  et  de 
combinaisons   metaphysiques ;   et   qu'aujourd'hui   il    se  traine, 
marquant  a  chaque  pas  son  insuffisance  centre  I'exces  du  mal  et 
laissant  a  peine  entrevoir  le  bien  qu'il  pourra  faire  un  jour.  — 
Voulez-vous  accelerer  et  consommer  sa  mine?  Voulez-vous  le 
rendre  pour  toujours  inhabile  a  ses  fonctions  naturelles?  Laissez- 
le  se  debattre  centre  des  obstacles  qu'il  ne  peut  surmonter... 
ecrasez-le  sous  les  preuves  journalieres  de  sa  nuUite  et  de  son ' 
impuissance ,  jusqu'a  ce  qu'il  ne  soit  plus  aux  yeux  memo  de 
ses  plus  zeles  partisans  qu'une  belle  conception  morale,  mais 
impossible  a  pratiquer,  et  au  moins  inapplicable  a  notre  siecle  et 
a  notre  societe.  Voulez-vous  au  contraire ,  garantir  ses  restes  fai- 
bles  et  precieux?  Derobez-les  des  a  present  a  I'usage  qui  I'affai- 
blit  encore  et  le  denature  tons  les  jours  (1).  »  —  Trouvi  :  «  II  est 
affligeant  sans  doute  de  renoncer  memo  pour  un  intervalle  tres- 
limite  au  bienfait  de  la  plus  sublime  des  institutions ,  de  jeter 
pour  ainsi  dire  un  voile  sur  ce  'palladium  de  la  liberte  civile; 
mais  si  ce  Voile  est  un  moyen  de  conservation  pour  lui ;  si  cette 
suspension  momentanee  est  indispensable  a  la  surete  de  I'fi- 
tat  (2)  1  »  —  Caillemer  :  "  Le  perfectionnement  de  l'institution  du 
jury!  comme  si  ce  perfectionnement  n'exigeait  pas  des  modifica- 
tions profondes ,  par  consequent  lentes ;  comme  si  d'ailleurs  ce 


{i)  29  nivSse,  Arch,  parlem.,  Joe.  cU.,  p.  107. 
(2)  7  pluvifise ,  p.  230. 


DE   LA  REVOLUTION.  479 

perfectionnement  pouvait  produire  I'effet  que  Ton  en  attend  avarit 
rextinction  de  toutes  les  passions  revolutionnaires ,  et  I'entier 
,  retablissement  de  la  morale  (I).  »  — Roujoux  :  «  Dix  ans  de  calme 
peut-etre  ne  suffiront  pas  pour  ramener  les  esprits  au  sentiment 
de  la  sublimite  de  I'institution  du  jury.  On  se  souviendra  long- 
temps  de  la  mesure  qu'elle  donne  de  sa  nuUite.  Sauvez  done, 
tribuns ,  sauvez  cette  institution  de  I'outrage  des  circonstances , 
si  vous  voulez  en  conserver  le  bienfait  (2).  »  —  Berenger  :  «  Les 
jurys  des  departements  de  1' Quest  et  du  Midi  absolvent  tous  les 
coupables  meme  pris  en  flagrant  delit. . . ,  ce  ne  sont  pas  les  for- 
mes de  cette  institution  qui  la  rendent  tutelaire,  c'est  I'impar- 
tialite  des  jures ,  qui  subsiste  pour  les  cas  ordinaires ,  meme  en 
revolution,  les  rend  capables  de  juger  un  prevenu  de  vol  ou 
4'assassinat ,  quand  ces  delits  sont  isoles.  Mais  aussitot  que  I'ac- 
cusation  ou  la  defense  prennent  un  caractere  politique  et  s'adres- 
sent  aux  passions ,  le  jury  devient  terrible  a  I'innocence ,  il  est  la 
^Sauvegarde  des  brigands.  Reservons-le  pour  les  temps  et  les 
lieux  qui  lui  sont  favorables  et  ne  le  forcons  pas  a  soutenir  une 
comparaison  qui  le  rendrait  odieux.  Calmons  I'opinion  publique, 
que  tant  de  maux  prolonges  et  tant  de  crimes  impunis  soulevent 
contre  lui;  sauvons  cette  institution  liberale  des  debris  de  la 
Revolution  en  adoptant  le  projet  de  loi  (3).  » 

Tous  etaient  d'accord  pour  constater  que  le  jury  n'avait  pas 
donne  les  resultats  attendus ,  et  dans  son  organisation ,  de  I'aveu 
de  ses  partisans  les  plus  convaincus ,  il  fallait  apporter  des  mo- 
difications profondes.  «  A  mon  avis,  disait  Daunou,  (le  jury) 
n'est  pas  plus  une  prerogative  qu'une  forme  accidentelle ,  c'est 
toiit  simplement  une  partie  essentielle  de  notre  systeme  judi- 
ciaire,  partie  dont  I'organisation  est  sans  doute  bien  faible  en- 
core, mais  qu'il  serait  plus  utile  d'ameliorer  que  de  suspendre. 
La  Constitution ,  qui  se  borne  a  en  consacrer  I'existence ,  n'en 
peut  gener  le  perfectionnement,  et  ce  travail,  prepare  du  moins 
par  les  tentatives  et  les  observations  de  dix  annees ,  serait  plus 
digne  des  hommes  eclaires ,  qui  redigent  aujourd'hui  nos  lois , 

(1)  8  pluviase,  Arch,  parlem.,  loc.  cil.,  p.  243. 

(2)  14  pluviflse,  Arch,  parlem.,  p.  300. 

(3)  16  pluvi6se,  Arch,  parlem.,  p.  301,  302;  cf.  Delpierre,  7  pluvidse,  p.  216. 


LES   LOIS   DE   LA   REVOLUTION. 

plus  dignes  de  leurs  talents  et  de  la  sagesse  des  principes  qu'ils 
ont  professes ,  que  ces  longs  et  malheureux  decrets  d'exception 
et  de  circonstances  qu'ils  nous  proposent  (1).  » 

(1)  7  pluvifise,  Arch,  pari.,  he.  cit.,  p.  224 ;  cf.  Chazal,  p.  204 ;  Garat,  p.  296. 


481 
TITRE  DEUXIEME. 

LE   CODE   D'lNSTRUCTION   CRIWIINELLE. 

CHAPITRE   PREMIER. 
Le  projet  de  Code  criminel. 


1.  Le  projet  de  Code  criminel ;  le  jury  et  I'Ordonnance  de  1670.  —  II.  Les  obser- 
vations de  la  Cour  supreme  et  des  cours  d'appel.  —  lit.  Les  observations  des 
tribunaux  criminels.  —  IV.  Le  jury  et  les  publioistes. 


I. 

L'Empire,  en  se  substituant  au  Consulat,  n'apporta  aucun 
changement  dans  les  institutions  que  nous  avons  decrites.  Cer- 
taiaes  denominations  seulement  furent  remplacees  par  d'autres ; 
les  tribunaux  criminels  prirent  le  nom  de  «  Cours  de  justice  cri- 
minelle ; »  les  commissaires  du  gouvernement  pres  les  cours  d'ap- 
pel se  nommerent  «  procureurs  generaux,  »  les  commissaires 
pres  les  autres  tribunaux,  «  procureurs  imperiaux.  »  Le  ministere 
public  reprenait  ses  anciens  titres  (1).  Una  seule  creation  nouvelle 
eutlieu,  celle  de  la  Haute-Cour  imperiale,  instituee  par  le  senatus- 
consulte  du  28  floreal  an  XII  (art.  101-133).  Mais  des  ce  moment 
une  refonte  des  lois  criminelles  etait  preparee.  EUe  etait  neces- 
saire  et  devait  figurer  parmi  les  nouveaux  codes  alors  promis  a 
la  France.  Le  Code  penal  n'avait  pas  ete  remanie  depuis  1791, 
et  la  pratique  en  avail  signale  les  nombreuses  imperfections. 
D'autre  part ,  la  procedure  criminelle  avail  ete  profondement  mo- 

(1)  Cependant  les  substituts  cre^s  par  la  loi  du  7  pluyiSse  an  IX ,  s'appellent 
encore  magistrats  de  sHreU  dans  le  projet  de  Code  criminel.    ' 

31 


482  LE    CODE 

difiee  par  les  lois  de  I'an  IX;  le  Code  des  delits  et  des  peines 
devait  gtre  completement  remanie.  Enfm  et  surtout,  les  regies 
sur  la  composition  du  jury  devaient  etre  retouchees  et  amelio- 
rees  (1). 

Les  travaux  preparatoires  avaient  commence  des  I'an  IX  :  un 
arrgte  des  consuls  du  7  germinal  de  cette  annee,  nomma  une 
commission  composee  de  MM.  Vieillard,  Target,  Oudart,  Treil- 
hard.  et  Blondel ,  qui  devait  rediger  un  projet  de  Code  criminel , 
et  se  reunir  chez  le  grand-juge  ministre  de  la  justice;  le  travail 
devait  Mre  pret  en  messidor  de  la  m§me  annee. 

Cette  commission  redigea,  en  effet,  un  vaste  projet  qui  com- 
prenait  a  la  fois  le  droit  penal  et  la  procedure  criminelle,  et 
contenait  1169  articles.  Dans  la  seconde  partie,  consacree  a  la 
procedure  criminelle  et  qui  seule  nous  interesse,  les  commis- 
saires ,  sauf  de  tres-nombreuses  modifications  de  detail ,  avaient 
conserve  les  institutions  existantes  et  les  formes  alors  en  vi- 
gueur.  On  etait  bien  loin  de  songer  a  supprimer  le  jugement 
par  jures  :  «  La  loi  du  16  septembre  1791 ,  qui  a  introduit  parmi 
nous  I'instruction  par  jures,  serait  I'une  des  plus  belles  pro- 
ductions du  xvin°  siecle ,  si  le  legislateur  n' avail  pas  ete  entraine 
en  sens  contraire  tantot  par  la  force  revolutionnaire ,  tantot  par 
la  force  des  anciennes  habitudes.  L'instruction  par  jures,  re- 
mise a  la  partie  des  citoyens  la  plus  utile  et  la  plus  plus  eclai- 
ree,  ne  peut  jamais  etre  ni  oppressive  ni  anarchique.  »  Ainsi 
s'exprimait  M.  Oudart ,  dans  les  observations  qui  precedaient  la 
seconde  partie  du  projet  (2). 

On  proposait  la  creation  de  magistrals  appeles  preteurs,  qui 
devaient  tenir  les  assises  successivement  dans  plusieurs  departe- 
ments  (3).  lis  devaient  composer  le  tribunal  criminel,  assistes 

(1)  Cette  composition  avait  d'ailleurs  beaucoup  varie  pendant  la  Revolution.  La 
liste  generate  du  jury  instituee  par  la  loi  de  1791,  comprenant  tons  les  electeurs, 
avait  subi  le  contre-coup  de  tons  les  changements  apport^s  dans  les  lois  electo- 
rates; elle  avait  ete  remani^e  successivement  par  les  lois  du  2  niv6se  an  II,  etdu 
6  germinal  an  VIII,  et  par  le  sSnatus-consulte  du  16  ttiermidor  an  X. 

(2)  Projet  de  Code  criminel,  p.  xxxiv. 

(3)  Une  loi  du  9  ventfise  an  VIII  avait  pr6c6demment  regis  ce  point :  «  Depuis 
cette  loi,  le  premier  Consul  ciioisit  dans  les  tribunaux  d'appel  autant  de  juges 
qu'il  y  a  de  dgpartements,  et  les  envoie  prSsider  pendant  une  annfie  les  tribunaux 
criminels.  »  Observations  de  M.  Oudart ,  p.  xxxvni. 


d'instruction  criminelle.  483 

seulement  d'un  autre  magistrat  ou  propreteur, , «  faisant  regner 
partout  la  meme  justice  et  soumettant  les  passions  a  I'empire  des 
mgmes  lois.  »  G'etait  un  retour  a  rimitation  des  institutions  an- 
glaises;  le  preteur  n'etait  autre  chose  que  le  grand-juge  anglais, 
et  Ton  voulait  donner  aux  sessions  du  jury  quelque  chose  de  la 
solennite  des  assises  de  FAngleterre.  Les  propreteurs  prenaient 
les  fonctions  remplies  jusque-la  par  lesidirecteurs  du  jury.  «  Sous 
Tempire  de  la  loi  acluelle,  le  directeur  du  jury,  exerce  des  fonc- 
tions criminelles  pendant  trois  ou  six  mois,  et  les  quitte  precise- 
ment  lorsqu'il  est  un  peu  plus  en  etat  de  les  remplir;-  ehsuite  I'or- 
dre  du  tableau  y  appelle  a  son  tour  celui  des  juges  qui  s'y  trouve 
le  moins  propre.  Dans  notre  projet ,  le  propreteur  est  nomme  a 
vie  comme  tout  autre  juge,  et  comme  I'etaient  les  lieutenants  et 
assesseurs  criminels  (1).  » 

Des  modifications  importantes  etaient  introduites  quant  au 
mode  de  designation  des  jures  :  «  Depuis  le  mois  de  niv6se  an  II, 
disait  M.  Oudart,  la  liste  des  jures  speciaux  de  jugement  doit 
etre  de  trente  et  la  liste  des  jures  ordinaires  doit  contenir  autant 
de  citoyens  qu'il  y  a  de  milliers  d'habitants...  D'apres  cette 
disposition  on  fait  tous  les  trois  mois  a  Paris  une  liste  de  663 
jures,  ce  qui  fait  par  an  deux  mille  sept  a.  huit  cents  jures 
ordinaires  et  speciaux  de  jugement.  Des  que  la  loi  veut  que 
Ton  appelle  a  la  fois  un  si  grand  nombre  de  citoyens ,  on  est 
oblige  de  faire  beaucoup  plus  de  mauvais  choix  que  de  bons ,  et 
le  gouvernement  ne  peut  demander  compte  a  personne  d'un  acte 
essentiellemeht  vicieux.  Aussi  le  soin  de  former  ces  listes  est-il 
presque  partout  laisse  a  des  commis,  qui,  sans  plus  de  facon 
copient  les  feuilles  de  sommier  de  la  population.  On  y  a  pointe  des 
voleurs  de  profession ,  des  hommes  morfs ,  des  hommes  qui  de- 
puis longtemps  ne  demeuraient  plus  dans  le  pays ,  des  hommes 
affliges  d'infirmites  inveterees;  des  hommes  qui  ne  savaient  ni 
lire  ni  ecrire.  »  On  t§,chait  done  d'obtenir  de  meilleurs  choix, 
surtout  en  exigeant  un  certain  cens  des  jures. 

Les  recusations  devaient  se  faire  dorenavant  sur  une  liste  qua- 
druple et  en  presence  :  «  Nous  pouvons  ,  dit  M.  Oudart,  resti- 

(1)  Observations,  Locri,  tome  XXV,  p.  17. 


484  LE    CODE 

tuer  enfin  aux  parties  le  droit  inappreciable  de  recuser  en  pre- 
sence, formalite  qui  s'observe  religieusement  en  Angleterre  (1).  » 
On  avait  cherche  a  simplifier  le  systeme  des  questions  poshes  au 
jury,  mais  dans  ce  but  les  articles  869  et  870  admettaient  des 
discussions  des  jures  entre  eux  et  des  conferences  des  jures  avec 
les  juges ,  qui  presentaient  de  serieux  inconvenients.  Enfin  on 
proposait  pour  les  decisions  du  jury  de  jugement  la  regie  de  I'u- 
nanimite  comme  en  Angleterre.  Ce  systeme  illogique  en  soi ,  et 
difficile  a  fairs  accepter  par  I'esprit  frangais,  n'avait  chez  nous 
jamais  ete  admis  pour  I'absolution ;  pour  la  condamnation  les 
lois  de  1791  et  de  I'an  IV  avaient  exige  10  voix  sur  12  ;  les 
lois  du  19  fructidot  an  V  et  du  18  frimaire  an  VI  exigeaient  en 
principe  I'unanimite ,  mais  au  bout  de  vingt-quatre  beures  epui- 
sees  en  vains  efforts  pour  I'obtenir,  le  partage  des  voix  profitait 
al'accuse,  et  la  majorite  simple  sufflsait  pour  le  fairs  condamner. 
Le  projet  (art.  864)  exigeait  I'unanimite  dss  voix  pour  absoudre 
comme  pour  condamner,  et  il  ne  flxait  aucun  terme  a  la  lutte  des 
opinions  (2).  Nous  aurons  dans  la  suits  a  relever  sncore  plusieurs 
traits  importants  de  ce  projet  primitif.  Nous  avons  analyse  ces 
quelques  dispositions  pour  montrsr  que  les  commissaires  avaisnt 
emprunte  le  principe  des  reformes  qu'ils  proposaient  plut6t  a 
I'Angletsrrs  qu'a  Fancisnns  legislation  francaise. 

Cependant  un  courant  existait  ramenant  vsrs  Is  passe,  tres-, 
puissant  et  s'elargissant  toujours.  La  nation  se  desintsressait  alors 
des  libertes  publiquss ,  st  Iss  corps  dirigsants ,  les  magistrats 
surtout ,  tournaient  Iss  ysux  avec  regret  vers  la  procedure  crimi- 
nelle  de  I'Ordonnance.  Le  jury  Isur  paraissait  une  institution  bar- 
bare  et  dangereuse.  lis  ne  comprenaient  pas  qu'on  pM  preferer 
la  parole  qui  passe  a  I'ecriturs  qui  demeure,  I'ignorance  a  la 
science ,  I'irresolution  a  I'experisnce  et  au  sentiment  profession- 
nsl  du  dsvoir.  Et  a  cette  heure  Iss  faits  semblaient  Isur  donner 
raison.  Ns  fallait-il  pas  jugsr  I'arbre  par  ses  fruits,  et  revenir  a 
I'ancienns  procedure ,  non  pas  sans  douts  tslls  que  I'Ordonnance 
del670  I'avait  fixee,  secrete  et  impitoyable,  mais  telle  que  Iss 


(1)  LocrS,  tome  XXV,  p.  25. 

(2)  Voy.  M.  Oudart.  (Locr6,  tome  XXV,  pp.  41-42.) 


d'instruction  criminelle.  483 

premieres  reformes  de  1789  I'avaient  epuree?  Un  grand  parti  se 
prononga  dans  ce  sens ,  et  peu  s'en  fallut  qu'il  n'etit  gain  de 
cause.  Ce  fut  lui  qui  eleva  le  plus  haut  la  voix  dans  la  grande  en- 
quete  qu'on  avait  ouverte  sur  le  projet  de  Code  criminal. 


II. 

Une  vaste  information  fut  en  effet  ordonnee  pour  recueillir  les 
observations  de  la  magistrature  sur  le  travail  des  commissaires. 
La  Cour  de  cassation  et  le  grand-juge ,  la  cour  d'appel  et  les  tri- 
bunaux  criminels  prirent  la  parole  tour  a  tour. 

La  Cour  supreme  et  le  grand-juge  eurent  a  manif ester  leur 
opinion  dans  une  occasion  solennelle.  En  vertu  d'un  arrSte  du  5 
ventose  an  X  (1),  chaque  annee  en  fructidor,  la  Cour  de  cassa- 
tion devait  envoyer  une  deputation  de  douze  de  ses  membres 
pour  faire  connaitre  aux  consuls,  en  conseil  d'Etat  et  les  mi- 
nistres  presents,  les  vices  de  la  legislation  qu'avait  signales 
I'experience  de  I'annee,  les  modifications  et  les  perfectionne- 
ments  qu'il  etait  bon  d'apporter  aux  lois.  Dans  la  meme  seance  , 
le  ministre  de  la  justice  devait  rendre  compte  des  observations 
qu'il  avait  recueillies  sur  le  meme  sujet.  Or,  le  troisieme  jour 
complementaire  de  I'an  XI,  obeissant  a  I'arrete  precite,  le  pre- 
mier president ,  M.  Muraire  (2),  s'exprimait  a  I'endroit  dujury 
en  des  termes  qui  condamnaient  I'institution  :  «  Le  triste  resultat 
de  I'impunite  des  plus  grands  crimes ,  offensant  la  morale  pu- 
blique,  effrayant  la  societe,  a  presque  conduit  a  douter  si  I'ins- 
titution des  jures,  si  belle  en  theorie,  n'a  pas  ete  jusqu'aujour- 
d'hui  plus  nuisible  qu'utile  dans  ses  effets.  Et  bientot,  ce  premier 
doute  conduisant  a  un  second,  peut-etre  faudrait-il  examiner 
aujourd'hui  d'apres  I'experience  ce  qui  ne  le  fut  par  I'Assemblee 
constituante  qu'en  speculation ;  peut-etre  serait-il  a  examiner  en- 
core, si  dans  un  pays  oii  il  n'y  a  plus  ni  distinction ,  ni  feodalite. 


(1)  Sirey,  Lois  annoties,  I,  p.  572. 

(2)  Aveo  M.  Muraire  la  deputation  comprenait  MM.  Maleville ,  Cochard ,  Las- 
saussade,  Bailly,  Zangiacomi,  Cassaigne,  Brillat-Savarin ,  Baris,  Schwendt,  Mi- 
Tlier,  Laohfese,  et  M.  Merlin ,  commissaire  du  gouvernement. 


486  LB    CODE 

ni  privilege,  Finstitution  des  jures  offre  des  avantages  bien  reels ; 
si  ^institution  s'adapte  parfaitement  au  caractere  national ;  si  elle 
peut  bien  s'allier  avec  ce  sentiment  trop  ordinaire  de  generosite 
et  d'indulgence  dans  les  uns,  de  timidite  et  d'insoucianee  dans 
les  autres,  qui  portera  toujours  -a  la  commiseration  I'homme  qui 
ne  s'est  pas  fortifie  dans  I'habitude  de  juger,  et  qui  ne  voit 
devant  lui  que  I'homme  qu'il  va  frapper,  la  societe  n'etant  a  ses 
yeux  qu'un  etre  abstrait  et  invisible  (1)?  » 

Le  grand-juge  disait  de  son  c6te  :  «  Effrayes  du  resultat  de  ces 
essais,  et  considerant  d'apres  les  rapports  exacts,  que  la  compli- 
cation des  faits ,  la  subtilite  des  discussions ,  I'ignorance  et  la  las- 
situde embarrassaient  toujours  et  souvent  accablaient  le  jury  de 
jugement ,  compose  d'bommes  etrangers  a  ce  genre  d'application, 
beaucoup  de  bons  esprits ,  nombre  de  magistrats  eclaires ,  ont 
pense  qu'il  serait  preferable  peut-etre  de  ne  conserver  que  le 
seul  jury  d'accusation ,  encore  en  s'appliquant  a  constituer  le 
mode  necessaire  pour  arriver  a  de  meilleurs  choix.  Dans  ce  sys- 
teme  on  defere  aux  tribunaux  I'instruction  de  la  procedure  ainsi 
que  le  jugement  a  I'egard  des  individus  qui  aUraient  ete  declares 
accusables ;  on  maintient  la  publicite  de  I'instruction ,  aussi  bien 
que  la  communication  des  pieces  tant  a  I'accuse  qu'a  son  defen- 
seur,  et  on  leur  laisse  a  tons  deux  toute  la  latitude  necessaire 
pour  faire  valoir  les  faits  et  les  moyens  justificatifs.  L'inegalite 
des  conditions  ayant  ete  abolie,  a-t-on  dit,  on  n'a  plus  a  redou- 
ter  ni  les  prejuges  ni  I'oppression  d'une  caste  ou  d'un  ordre.  Les 
juges  sont,  comme  les  jures,  les  vrais  pairs  des  accuses,  et  ils 
ont  par-dessus  les  jures ,  I'etude ,  I'instruction  et  I'experience  des 
affaires  (2).  »  Cependant  il  n'osait  pas  proposer  I'abolition  du 
jury  :  «  Malgre  la  triste  experience  que  nous  avons  faite,  les 
partisans  de  la  procedure  par  le  jury  sont  bien  loin  de  concevoir, 
comme  le  croient  beaucoup  d'autres,  que  cette  institution  ne 
puisse  s'acclimater  en  France ;  ils  soutiennent ,  quoiqu'on  en 
puisse  dire,  que  cette  institution  est  tres-compatible  avec  le  genie 
et  le  caractere  de  la  nation ;  que  si  jusqu'a  present  elle  a  rencon- 

(1)  Projei  de  Code  criminel,  p.  192;  Locri,  tome  I,  p.  207. 

(2)  Projet  de  Code  criminel,  p.  212. 


d'instruction  criminelle.  487 

tre  des  obstacles ,  il  faut  les  attribuer  principalement  aux  nom- 
breuses  divisions  que  la  Revolution  a  fait  naltre,  et  que  ces 
divisions,  usees  par  le  temps,  devant  necessairement  bientdt 
disparaitre ,  la  marche  et  le  succes  de  I'institution  ne  seront  plus 
retardes  que  par  de  legers  empechements^,  dont  il  ne  sera  pas 
difficile  de  triompher.  Eh  bien !  ne  refusons  pas  une  nouvelle 
epreuve  et  qu'une  troisieme  experience  decide  entre  eux  et  leurs 
contradicteurs  (1).  » 

Les  observations  des  cours  d'appels  sont  tres-interessantes  (2). 
Douze  cours  :  Aix,  Amiens,  Bourges,  Colmar,  Douai,  Metz, 
Nancy,  Nimes,  Orleans,  Pau,  Riom  et  Turin  se  prononcerenl 
contre  la  procedure  par  jures;  cinq  seulement  demanderent  son 
maintien ,  a  savoir  :  Agen ,  Angers ,  Caen ,  Rennes  et  Toulouse ; 
cinq  ne  se  prononcerent  pas  sur  cette  grave  question  :  les  cours 
de  Bordeaux,  Bruxelles  et  Treves  ne  fournirent  sur  le  projet 
que  des  observations  de  detail ,  Ajaccio  et  Montpellier  presen- 
terent  une  louange  vague  (3). 

Les  cours  d'appel  hostiles  a  I'institution  du  jury,  plus  hardies 
que  la  Cour  supreme  et  le  grand-juge,  en  demandent  formel- 
lement  la  suppression;  quelques-unes  cependant  n'expriment 
leur  avis  qu'avec  des  menagements  :  «  Dans  I'incertitude  des 
opinions ,  le  grand-juge  propose  une  troisieme  epreuve  de  I'ins- 
titution du  jury.  Le  parti  est  bon  sans  doute,  mais  la  cour  y 
voit  un  grand  inconvenient ,  celui  de  prolonger  les  abus  du 
jury  et  de  retarder  la  reformation  definitive  de  la  procedure 
criminelle  (4).  »  Metz  ne  demande  instamment  que  I'abolition 
du  jury  d'accusation  :  «  Les  jures  d'accusation  sont  encore  plus 
que  ceux  de  jugement  exposes  a  la  soUicitation ,  a  la  seduction , 
parce  qu'ils  sont  plus  rapproches  des  parties  (5).  »  Orleans  de- 
sire qu'on  supprime  lejury  de  jugement,  mais  n'ose  point  re- 


(1)  Le  grand-juge  dit  « troisieme  exp6rience,  »  parce  que  lejury  avail  &1&  orga- 
nist d6ja  deux  fois,  par  la  loi  de  1791  et  le  Code  de  brumaire  an  IV. 

(2)  Observations  des  cours  d'appel  sur  le  projet  de  Code  criminel,  Paris,  an  XIII, 
2  volumes.  Imprimerie  imp^riale. 

(3)  Ajaccio,  Observ.,  p.  1;  Montpellier,  p.  2. 

(4)  Amiens,  Observ.,  p.  2. 

(5)  Mete,  Observ.,  p.  21. 


LE    CODE 

noncer  absolument  a  une  institution  «  dont  le  vice  n'est  pas  en- 
core assez  generalement  demontre  et  surtout  assez  generalement 
reconnu  (1).  »  Mais  la  plupart  sont  tout  a  fait  affirmatives  : 
«  Tous  les  hommes  qui  reunissent  les  lumieres  a  I'experience 
ont  prononce  contre  le  jury.  A  quoi  bon  un  nouvel  essai?  Rien 
ne  deconsidere  les  autorites  comme  les  essais  inutiles  et  dange- 
reux  (2).  »  —  «  Un  cri  presque  general  s'eleve  contre  I'institu- 
tion  du  jury,  et  la  majorite  du  tribunal  partage  en  ce  point  I'opi- 
nion  publique  (3).  »  —  «  Les  vices  de  institution  des  jures  etant 
generalement  sentis ,  universellement  reconnus ,  la  meilleure 
forme  de  procedure  en  matiere  criminelle  serait  de  conferer  ce 
pouvoir  aux  tribunaux  reguiiers  (4).  »  —  «  L'institution  du  jury 
ne  convient  point  a  la  France ,  il  serait  dangereux  d'en  faire  un 
nouvel  essai  (5).  »  —  «  L'experience  a  prouve  que  la  procedure 
par  jury  offrait  des  chances  trop  favorables  au  crime  (6).  »  — 
«  Ce  qui  dans  les  premiers  temps  etait  une  speculation  si  belle  et 
si  seduisante  n'a  plus  offert  dans  la  pratique  que  les  plus  mau- 
vais  resultats  (7).  »  —  «  II  nous  a  paru  que  le  moment  n'etait 
pas  venu  de  tenter  la  nouvelle  experience  que  Ton  propose  et 
qu'il  faut  la  reserver  a  I'epoque  heureuse  oii  nos  neveux  ne 
verront  plus  dans  les  differentes  revolutions  de  la  France  que 
des  faits  historiques  (8).  »  Du  reste,  les  reproches  que  ces  cours 
adressaient  au  jury  etaient  ceux  que  nous  avons  vus  produits 
dans  la  discussion  de  1791 ,  ceux  qui  seront  toujours  reproduits 
quand  recommencera  la  querelle  :  I'ignorance  et  I'inexperience 
des  jures,  leurs  craintes,  leurs  hesitations,  leurs  passions;  la 
repugnance  des  citoyens  a  venir  sieger  et  la  difficulte  de  com- 
poser les  listes ;  les  qualites  superieures  de  la  procedure  ecrite , 
incompatible  avec  le  jury,  et  dont  on  faisait  ressortir  les  avan- 

(1)  OrUans,  p.  16;  cf.  Aim,  p.  2;  Colmar,  p.  4. 

(2)  Bourges,  p.  3. 

(3)  Douai,  p.  22. 

(4)  Timcy,  p.  6. 

(5)  Nlmes,  p.  9. 

(6)  Pau.  p.  16. 

(7)  Biom,  p.  11. 

(8)  Turin,  p.  3. 


d'instruction  criminelle.  489 

tages  meme  pour  la  defense ;  voila  ce  qu'on  mettait  en  avant. 
On  relevait  encore  un  des  caracteres  du  jury,  qui  naturellement 
doit  repugner  aux  magistrals  :  c'est  rimpossibilite  d'etablir  des 
traditions  et  une  jurisprudence  fixe  avec  un  corps  constamment 
renouvele  et  changeant  (1). 

C'etait  I'exemple  des  Anglais  qui  avait  jadis  popularise  en 
France  I'institution  du  jury;  c'etait  la  procedul-e  anglaise  qui 
avait  servi  de  modele  aux  redacteurs  de  la  loi  de  1791,  et  les 
redacteurs  du  nouveau  projet  lui  avaient  encore  emprunte  leurs 
principales  reformes.  Les  Cours,  dont  nous  venons  de  citer  les 
paroles ,  s'appliquent  a  demontrer  qu'il  n'y  a  la  qu'une  f§,cheuse 
manie  d'imitation ;  et  cette  demonstration  pouvait  alors  etre  bien 
accueillie.  L'Angleterre  etait  devenue  I'ennemie  acharnee  de  la 
France ,  et  depuis  1789  bien  du  sang  avait  coule.  «  N'envions 
pas  aux  Anglais  leurs  golits ,  leurs  habitudes ,  leur  enthousiasme 
pour  leurs  lois ;  opposons  a  ces  declamations  I'experience  et 
Topinion  d'un  des  plus  grands  magistrals  de  nos  jours  (2),  a 
laquelle  nous  pourrions  en  joindre  une  infinite  d'autres  (3).  » 
—  «  II  y  a  un  jury  en  Angleterre  ,  il  en  faut  un  en  France;  de 
grandes  aissises  en  Angleterre,  il  en  faut  en  France.  Mais  ce 
peuple  est-il  done  plus  sage,  mieux  gouverne ,  plus  heureux  que 
nous?  Si  ces  institutions  y  subsistent,  c'est  par  suite  de  leur  an- 
tiquite  (4).  »  —  Que  le  peuple  anglais  se  repaisse  d'illusions  sous 
un  gouvernement  qui  I'opprime ;  le  peuple  francais  veut  des  ins- 
titutions franches ,  et  qui  atteignent  leur  but ;  il  est  convaincu , 
par  une  trop  longue  suite  d'experiences ,  qu'aucune  des  institu- 
tions anglaises  qu'on  a  voulu  transporter  en  France  n'y  pros- 
pere,  pas  m6me  celle  des  justices  de  paix  (5).  »  —  «  On  a 
transplante  d'Angleterre  en  France  le  jugement  par  jures;  mais 
il  est  bien  demontre  que  le  caractere  francais  ne  convient  pas  a 

(1)  Bourges,  p.  4  :  «  Le  plus  grand  vice  des  jurys  c'est  d'etre  toujours  com- 
poses d'hommes  nouveaux ;  quel  est  done  cet  strange  systeme  d'ecarter  ici  les  lu- 
miferes  de  I'experience?  » 

(2)  Siguier,  dans  son  rfiquisitoire  de  1786  plus  haut  analyse. 

(3)  Am,  pp.  10,  11. 

(4)  Bourges,  p.  5. 

(5)  Douai,  p.  25. 


490  LE    CODE 

cette  institution,  et  que  nos  mosurs  ne  la  comportent  pas...  Lais- 
sons  done  les  Anglais  vivre  a  leur  mode,  et  vivons  a  la  notre  (1).  « 

—  «  Le  tableau  journalier  des  crimes  de  cette  nation ,  qui  met 
en  usage  Tfissassinat  et  la  peste  pour  repousser  un  ennemi  qu'elle 
a  provoque  en  rompant  un  traite  solennel  a  peine  signe ,  ne  doit 
pas  nous  porter  a  adopter  son  systeme  dans  la  procedure  crimi- 
nelle.  Le  jury  n'a  pas  rendu  ce  peuple  meilleur;  et  si  nous  nous 
en  rapportons  a  ce  que  nous  apprennent  les  voyageurs ,  est-il  un 
pays  en  Europe  oii  le  vol ,  surtout  sur  les  grandes  routes ,  soit 
plus  frequent ,  et  mieux  organise  que  dans  cette  ile  (2)  ?  » 

Si  Ton  a  fait  fausse  route  en  suivant  I'exemple  des  Anglais , 
il  faut  reprendre  la  tradition  nationale ;  il  faut  revenir  au  point 
ou  elle  fut  abandonnee.  C'est  vers  I'Ordonnance  de  1670,  a  peu 
pres  telle  qu'elle  avait  ete  reformee  en  1789,  que  les  cours  d'ap- 
pel  portent  leurs  regards  :  «  Nous  n'hesitons  pas  a  penser  que 
I'Ordonnance  de  1670,  modifiee  par  les  decrets  de  1789,  offre 
plus  de  garanties  et  des  motifs  plus  reels  de  securite...  Avec  le 
secours  des  conseils  aux  accuses  et  la  publicite  des  debats ,  I'Or- 
donnance  de  1670  modifiee,  serait  peut-etre,  nous  ne  saurions 
trop  le  repeter,  ce  qui  approcherait  le  plus  de  la  perfection  (3).  » 

—  «  On  a  trop  decrie  les  tribunaux  criminels ,  et  cependant  ils 
ont  fait  moins  de  mal  pendant  les  cent  vingt  annees  qui  ont  suivi, 
I'Ordonnance  de  1670,  que  le  jury  dans  le  court  espace  de  temps 
qui  a  suivi  son  etablissement  (-4).  »  —  «  Les  principaux  repro- 
ches,  faits  a  la  procedure  etablie  par  I'Ordonnance  de  1670,  sent 
le  defaut  de  publicite  et  I'impuissance  dans  laquelle  etait  I'accuse 
de  faire  entendre  sa  defense.  L'experience  de  quelques  annees 
a  montre  combien  il  etait  facile  de  faire  disparaitre  ces  inconve- 
nients ,  quelque  graves  qu'on  les  suppose.  La  Constituante  avait 
appele  la  reforme  de  ces  abus  :  on  pourrait  ajouter  a  ce  qu'elle 
avait  prescrit  la  faculte  a  accorder  a  I'accuse  de  recuser  peremp- 
toirement  un  ou  deux  juges. . .  Pourquoi  chercher  chez  nos  voisins 
une  perfection  fugitive  qui  echappe  toujours  au  moment  oi  on 

(1)  Nancy,  p.  5. 

(2)  Nimes,  p.  7. 

(3)  Aix,  pp.  2  et  i2. 

(4)  Bourges,  p.  3. 


D  INSTRUCTION    CRIMINELLE.  491 

croit  la  saisir,  tandis  qu'il  est  si  facile  de  donner  une  bonification 
precieuse  a  nos  lois ,  deja  les  meilleures  de  toutes  celles  qui  ont 
existe  jusqu'alors  (1).  »  —  «  Sans  doute  on  ne  pent  nier  que 
rOrdonnance  de  1670,  fruit  des  reflexions  des  plus  fameux  juris- 
consultes  du  siecle  de  Louis  XIV,  n'eut  atteint ,  en  beaucoup  de 
parties ,  la  perfection  de  la  Fegislation  criminelle ,  et  que ,  si  on 
peut  lui  reprocher  quelques  vices ,  c'est  qu'il  est  de  I'essence  de 
tous  les  ouvrages  des  hommes  de  payer,  par  quelque  endroit , 
un  tribut  a  rhumanite  (2).  »  —  «  La  procedure  etablie  par  I'Or- 
donnance  de  1670,  fut  justement  censuree  pour  deux  raisons 
principales;  la  premiere,  que  I'instruction  etait  secrete;  la  se- 
conde,  que  I'accuse  etait  sans  conseil.  Au  lieu  de  changer  cet 
ordre  vicieux,  I'esprit  de  systeme  de  la  Revolution  adopta  une 
institution  etrangere  a  nos  usages  (3).  » 

Enfin  la  cour  de  Nancy  dessinait  les  grandes  lignes  de  cette 
procedure  francaise.  Les  tribunaux  d'arrondissement  avec  cinq 
juges  au  moins  connaitraient  en  premiere  instance  de  tous  les 
delits  emportant  peine  afflictive  et  infamante ;  les  magistrats  de 
surete  restaient  tels  que  la  loi  de  pluviose  les  avait  etablis.  Un 
commissaire  pris  dans  le  sein  de  chaque  tribunal  criminel  ferait 
les  fonctions  attribuees  autrefois  au  lieutenant  criminel ,  il  enten- 
drait  le  prevenu  et  les  temoins  et  ferait  ecrire  les  reponses,  mais 
avec  I'assistance  d'un  suppleant  du  merae  tribunal ;  puis  vien- 
draient  les  requisitions  du  ministere  public ,  et  I'examen  de  la 
procedure  par  le  siege  entier  pour  decider  s'il  y  a  lieu  a  accusa- 
tion :  «  les  temoins  qui  auraient  ete  entendus  par  ecrit  seraient 
recoles  et  confrontes  par  une  seule  et  meme  operation,  en  la 
chambre  du  conseil ,  par  le  ministere  du  juge  faisant  fonctions  de 
lieutenant  criminel ,  en  presence  du  suppleant  qui  I'aurait  assiste 
dans  I'information ,  de  I'accuse  qui  se  ferait  assister  d'un  defen- 
seur  et  du  magistrat  de  surete...  Le  public  ne  serait  pas  admis 
a  cet  acte  d'instruction  de  la  procedure.  A  I'audience,  les  temoins 
seraient  dispenses  de  comparaitre  au  moyen  de  la  confrontation 
faite  precedemment...  le  magistrat  de  surete  y  ferait  les  fonctions 

(1)  Metz,  p.  17. 
{2)0rUans,  p.  16. 
(3)  Pau,  p.  107. 


492  LE   CODE 

d'accusateur  public ;  il  y  aurait  un  rapporteur  nomme  a  I'effet  de 
lire  toutes  les  pieces ,  I'accuse  s'y  ferait  representer  par  son  de- 
fenseur  officieux ,  a  qui  on  aurait  remis  prealablement  copie  de 
toutes  les  pieces  de  la  procedure.  Le  rapport  et  le  jugement  se- 
raient  publics;  I'appel  serait-de  droit  (1).  »  C'etait  la  resurrection 
de  la  procedure  ecrite.  Cependant  quelques-unes  des  cours  qui 
condamnaient  le  jury  demandaient  le  maintien  de  la  procedure 
orale  et  publique  :  «  Que  la  procedure  de  I'examen  et  du  jugement 
reste  publique  et  orale ;  qu'un  president  conduise  les  debats ,  que 
les  juges  deliberent  secretement  enjury  de  jugement  a  I'exclusion 

du  president Que  les  juges  prononcent  publiquement  enjury, 

sans  etre  astreints  a  aucune  autre  preuve  que  leur  intime  convic- 
tion ,  qu'ils  se  reunissent  ensuite  a  leur  president  pour  deliberer 
en  tribunal  sur  la  peine  a  infliger  au  coupable  (2).  » 

ent  les  cours  qui  etaient  favorables  au  maintien  de  la 
procedure  par  jures?  Elles  rappelaient  I'enthousiasme  des  pre- 
miers jours  et  les  bienfaits  rfeels  de  I'institution ;  elles  montraient 
que  I'insucces  momentane  tenait  seulement  aux  circonstances  et 
aux  vices  d'organisation  :  «  Qu'on  n'infecte  pas  la  legislation  ge- 
nerale  de  ce  qui  ne  pent  etre  utile  que  dans  quelques  circons- 
tances et  pour  quelques  hommes...  Et  n'a-t-on  pas  atteint  ce  but 
en  creant  des  tribunaux  speciaux !  Ceux-la  sufflsent  pour  les  cas 
extraordinaires  dont  nous  parlous ;  qu'on  les  laisse  subsister  tant 
que  I'interet  de  la  societe  le  reclamera,  et  fasse  le  Ciel  que  ce 
remede  violent  soil  bientot  inutile !  et  laissons  dans  toute  sa  pu- 
rete  I'institution  ordinaire  sur  laquelle  repose  notre  bonheur  et 
celui  de  la  posterite  (3).  »  —  «  Cette  institution  amelioree,  et 
independamment  des  abus  qu'on  lui  a  reproches,  suite  des  temps 
de  trouble  et  des  orages  politiques ,  pent  neanmoins  convenir  a 
nos  moeurs  actuelles ,  et  prendre  de  proforides  racines  a  mesure 
que  les  esprits  se  calment  et  se  felicitent  d'etre  bien  gouver- 
nes  (4).  »  —  «  L'institution  du  jury ,  longtemps  attendue  par 
I'humanite ,  avait  signale  les  premiers  travaux  de  nos  modernes 

(1)  Nanoy,  pp.  10  et  U. 

(2)  Colmar,  p.  5. 

(3)  Agen,  p.  4. 

(4)  Angers,  p.  7. 


d'instruction  criminelle.  493 

legislateurs ,  alors  il  n'existait  en  France  qu'un  seul  esprit,  qu'un 
seul  voeu ,  celui  de  bonnes  institutions  et  de  bonnes  lois  :  aussi 
ce  nouveau  systeme  de  jurisprudence  criminelle  fut-il  uaiversel- 
lement  approuve  et  ses  bienfaits  furent  generalement  sentis.  Mais 
bient6t  se  troubla  cette  heureuse  harmonie  des  esprits  qui  don- 
nait  aux  choses  leur  veritable  point  de  vue ;  I'esprit  de  parti  s'em- 
para  des  tetes ;  on  ne  tarda  pas  i  trouver  mauvais  ce  qui  avait 
d'abord  paru  bon ;  on  fit  plus ,  on  chercha  a  en  abuser,  et  Ton 
employa  meme  tons  les  moyens  pour  decrier  cette  institution.  La 
veritable  cause  du  discredit  de  la  procedure  par  jures  se  trouve 
dans  I'esprit  de  parti ,  dans  un  systeme  suivi  de  detruire  les  meil- 
leures  institutions  que  la  Revolution  a  produites  (1).  »  II  y  avait 
pour  les  magistrats  un  certain  courage  a  ecrire  alors  d'aussi  fer- 
mes  paroles. 

III. 

Les  observations  fournies  par  soixante-quinze  tribunaux  crimi- 
nels  furent  egalement  publiees  par  ordre  du  gouvernement  (2),  et 
voici  comment  nous  croyons  pouvoir  les  classer.  Un  assez  grand 
nombre,  vingt-trois  ,  ne  presentent  que  des  remarques  de  detail, 
et  ne  se  prononcent  point  explicitement  pour  le  jury,  maintenu 
dansle  projet  de  Code,  mais  ne  se  prononcent  pas  non  plus  contre 
lui  (3) ;  vingt-six  se  prononcent  contre  Finslitution  du  jury  [i), 
quelques-uns  il  est  vrai  assez  faiblement;  vingt-six  en  demandent 
le  maintien  (5). 

(1)  Caen,  p.  2;  cf.  Toulouse,  p.  3. 
'    (2)  Observations  des  tribunaux  criminels  sur  le  projet  de  Code  criminel,  6  vol. 
Imprim.  imp6riale ,  aa  XII.  , 

(3)  Tribunaux  criminels  des  departements  suivants  :  Aisne ,  Basses-Alpes , 
Hautes-Alpes,  Alpes-Maritimes,  Aube,  Charente-Inferieure,  Corrfize ,  Gers  , 
Gironde,  Ltoan,  Jemmapes,  Indre-et-Loire,  Loire-InKrieure,  Meuse,  Montblanc, 
Morbiban,  Oise,  Pas-de-Galais ,  P6-et-Doire,  Rbin-et- Moselle,  Sarthe,  Yonne. 

(4)Ain,  Allier,  Ardfeche,  AriSge,  Aude,  Areyron,  Bouches-du-Rhane ,  Dyle, 
Doubs ,  Dordogne ,  Haute-Garonne,  Forfits,  Eure-et-Loir ,  Hfirault,  Isere,  Lot, 
Meurthe,  Lys,  Lozere,  Nord,  Orne,  Basses-Pyrenees,  Var,  Vaucluse,  Haute- 
Vienne. 

(5)  Cantal,  Escaut,  Gard,  Indre,  Indre-et-Loire  (seulement  le  procureur  ge- 
neral), Haute-Loire,  Loire,  Marne,  Manche,  Maine-et-Loire ,  Lot-et-Garoane , 


494  LE    CODE 

Ici  encore  un  grand  nombre  de  voix  demandaient  le  retour  a 
la  procedure  ecrite  sans  le  concours  des  jures  :  les  raisons  invo- 
quees  etaient  celles  que  nous  avons  trouvees  dans  les  obser- 
vations des  cours  d'appel,  presentees  parfois  avec  une  exage- 
ration  plus  grande.   C'est  surtout  au  caractere  national  qu'on 
s'attache  :  «  L'experience  est  sans  doute  le  plus  siir  de  tous  les 
guides,  mai^quand  les  peuples  qu'on  veut  regir  sont  dans  la 
maturite ,  c'est  la  leur  propre  et  non  celle  des  nations  etrangeres 
qu'il  faut  consulter  principalement ;  et  l'experience  personnelle 
nous  dit  que  I'Ordonnance  de  1670  offrirait  au  bon  ordre  une  ga- 
rantie  plus  sure  et  des  motifs  plus  reels  de  securite,  que  I'institution 
des  jurys  et  des  pretoreries  (1).  »  —  «  Quelle  difference  enlre 
nos  moeurs ,  nos  usages ,  notre  caractere  national  et  ceux  de  la 
nation  anglaise !  Sans  entrer  a  ce  sujet  dans  des  details  et  des 
longueurs...  il  suffit  d'indiquer  la  comparaison  des  pieces  de 
theatre  de  Shakespeare  et  autres  tragediens  anglais  avec  celles 
de  Corneille ,  de  Racine  et  de  Voltaire...  En  un  mot,  la  triste 
experience  que  Ton  a  faite  de  I'institution  des  jures ,  nonobstant 
les  divers  changements  qu'on  lui  a  fait  subir,  prouve  qu'elle  est 
inconciliable  avec  les  moeurs  et  le  caractere  national ,  avec  les 
sentiments  d'indulgence  et  de  pitie  naturels  au  Francais ,  qui  in- 
clinent  son  coeur  a  la  commiseration  (2).  »  —  «  L' Anglais  n'aime 
au  theatre  que  les  spectres ,  les  insenses  ,  les  criminels  epouvan- 
tables,  les  meurtres  longuement  executes;  il  court  aux  combats 
d'animaux ,  il  regrette  peut-6tre  ceux  de  gladiateurs ;  qui  salt 
s'il  ne  recherche  pas  les  fonctions  de  jure  pour  se  procurer  ce 
plaisir  de  contempler  un  criminel  aux  prises  avec  sa  conscience, 
avec  la  mort  qui  I'attend  ?  le  Frangais  au  contraire  est  delicat  dans 
tous  ses  gouts ;  il  fuit  avec  empressement  tout  spectacle  qui  peut 
emouvoir  desagreablement  sa  sensibilite;  pourrait-il  se  faire  un 
plaisir  de  manier  le  glaive  sanglant  de  la  justice  (3)?  »  —  «  L'Em- 

Moselle,  Nifevre,  Puy-de-D6me,  Hautes-Pyrtntes ,  Pyr6n6es-Orientales ,  Bas- 
Rbin,  Haut-Rhin,  Roer,  Sa6ne-et-Loire,  Sarre,  Seine-et-Oise  ,  Stura-et-Tanaro , 
Vosges. 

{l)ArUge,  p.  1,    torn.  I. 

(2)  Aveyron,  pp.  IS  ,  16,  torn.  I. 

(3)  Doubs,  pp.7,  8,  tome  II. 


D  INSTRUCTION   CRIMINELLE.  495 

pire  Frangais  est  au  centre  de  I'Europe ,  et  I'Europe  n'a  que  des 
tribunaux  sans  jur6s.  La  Revolution  n'a  fait  que  developper  et 
fortifier  le  caractere  national,  elle  ne  I'a  point  change.  Les  Fran- 
gais ne  cesseront  jamais  d'etre  ce  qu'ils  ont  toujours  ete,  galants, 
belliqueux,  spirituals  et  legers.  Que  institution  des  jures  soit 
analogue  a  la  constitution  de  I'Angleterre  cela  doit  etre,  parce 
qu'ils  I'ont  fondee  sur  leur  constitution  meme.  Elle  est  le'contre- 
poids  essentiel  de  la  prerogative  royale  ,  des  distinctions  d'ordre , 
de  privileges  et  de  la  feodalite  qu'ils  ont  voulu  conserver.  Par  la 
mfime  les  jures,  qui  eussent  ete  necessaires  en  France  avant  I'abo- 
lition  des  trois  ordres  et  de  la  feodalite ,  y  sont  peut-6tre  devenus 
inutiles  depuis  que  les  citoyens  sont  devenus  egaux  devant  la 
loi  (1).  »  —  «  Nous  nous  reunissons  au  vceu  general  qui  en  de- 
mande  I'abolition ,  et  nous  disons  au  genie  qui  a  sauve  la  France 
et  a  tons  les  citoyens  genereux  et  eclaires  qu'il  a  consultes,  qu'il 
fut  un  temps  oh  la  liberte  civile  a  dt  donner  I'etre  parmi  nous  a 
I'institution  du  jury,  mais  que  nous  sommes  arrives  a  celui  ou 
I'interSt  de  cette  meme  liberte  exige  sa  destruction  (2).  »  — 
n  Nous  pensons  que  I'institution  du  jury  est  le  present  le  plus 
funeste  que  nous  ait  fait  I'Angleterre  et  qu'elle  a  contre  elle  non- 
seulement  le  resultat  d'une  malheureuse  experience ,  mais  encore 
les  principes  d'une  saine  philosophic  (3).  » 

Les  tribunaux  qui  demandent  le  maintien  du  jury  parlent 
en  general  un  langage  moins  ferme;  ils  s'emparent  le  plus 
souvent  de  I'idee  emise  par  le  grand-juge,  qu'il  fallait  faire  une 
nouvelle  epreuve  (4).  Pourtant  quelques-uns  elevent  haut  la 
voix  :  «  L'instruction  par  jures  au  milieu  de  toutes  les  taches 
qui  I'obscurcissent ,  de  toutes  les  imperfections  qui  la  defigu- 
rent ,  nous  a  toujours  paru  la  plus  belle  et  la  plus  liberale  des 
institutions  que  le  peuple  frangais  ait  retires  de  sa  regeneration 

(1)  Bouches-du-Rh6m ,  p.  75,  tome  I;  of.  Dordogne,  p.  25,  tome  II;  Eure-et- 
Loir,  pp.  9,  10,  tome  II;  Haute-Garome ,  p.  41 ,  tome  II. 

(2)  Nord,  pp.  6,  7,  tome  V. 

(3)  Vaucluse,  p.  9,  tome  VI. 

(4)  II  n'est  pas  rare  de  trouver  des  phrases  comme  celle-ci  :  «  Nous  nous  joi- 
gnons  aux  magistrats  aussi  respectables  qu'6clair6s  qui  ont  deja  manifesto  leur 
opinion  pour  la  conservation  des  jurfis.  «  {Sarre,  p.  6,  tom  VI.) 


496  LE   CODE 

politique  (1).  »  —  «  L'institution  du  jury  a  encore  des  detrac- 
teurs.  Ceux-ci  ne  jugent  des  institutions  en  general  que  par 
les  abus  qui  peuvent  particulierement  en  resulter  et  non  par 
la  masse  du  bien  qu'elles  produisent.  Au  contraire,  il  faut  juger 
les  institutions  par  les  avantages  qui  en  naissent  pour  tons  et 
non  par  quelques  inconvenients.  Que  Ton  parcoure  les  fastes 
judiciaires  depuis  l'institution  des  jures,  on  ne  trouvera  pas  un 
seul  innocent  condamne.  II  est  vrai  que  des  coupables  ont 
souvent  echappe,  mais  ne  vaut-il  pas  mieux  que  cent  coupables  • 
parviennent  a  se  soustraire  au  glaive  de  la  loi  que  de  voir  un 
innocent  y  succomber?  Que  Ton  parcoure  d'un  autre  cote  les 
fastes  de  I'ancienne  legislation  criminelle;  combien  est  grand 
le  nombre  des  victimes  innocentes  qui  ont  peri  au  nom  de  la 
loi  dans  les  supplices!  Combien  est  plus  grand  encore  le  nombre 
des  coupables  qui  n'ont  pas  ete  punis!  Ce  parallele  suffit  pour 
rendre  hommage  a  la  sagesse  de  l'institution  du  jury  et  pour 
etre  convaincu  de  la  necessite  de  la  conserver.  Le  tribunal 
criminel  de  Maine-et-Loire  reunit  les  deux  tribunaux  speciaux 
du  18  pluviose  an  IX  et  25  floreal  an  X;  il  lui  a  ete,  il  lui  est 
encore  facile  d'apprecier  lequel  des  deux  modes  est  preferable 
ou  l'institution  du  jury  ou  les  tribunaux  jugeant  seuls  le  fait 
et  le  droit.  II  ne  balance  pas  a  adopter  la  redaction  du  projet 
de  Code  et  a  maintenir  I'instilution  des  jures  (2).  »  —  «  A-t-on 
congu  qu'il  faille  qu'un  peuple  soit  compose  de  philosophes  et 
de  docteurs  et  veut-on  qu'une  assemblee  de  jures  egale  en  sa- 
gesse I'Areopage  ?  Jamais  aucun  peuple  ne  sera  mur  assez  au 
gre  de  ceux  qui  sont  si  exigeants.  II  y  a  partout  quelques 
philosophes,  beaucoup  de  canaille.  Entre  ces  deux  extremites 
se  trouve  la  masse  de  la  population  qui  est  composee  d'hommes 
simples,  honnetes  et  de  bon  sens....  Nous  ne  valons  pas  les 
anciens,  dit-on,  nous  ne  valons  pas  meme  les  Anglais;  je  n'en 
sais  rien....  Ce  n'est  pas  ce  qui  decide  la  question.  La  fonction 
d'un  jure  est  de  declarer  si  un  accuse  est  coupable  du  fait 
qu'on  lui  impute.  Or,  quelles  qualites  sont  requises  pour  bien 

(1)  Loire,  p.  2,  torn.  III. 

(2)  Maine-et-Loire,  p.  22-23,  torn.  IV. 


d'instruction  criminelle.  497 

resoudre  cette  question?  II  faut  de  I'attention  aux  preuves, 
rintelligence  suffisante  pour  les  saisir  et  assez  de  probite  pour 
declarer  de  bonne  foi  I'impression  qu'on  en  a  regue.  Dire  que 
les  Francais  ne  sont  pas  dignes  de  jouir  de  I'institution  du  jury, 
c'est  proclamer  qu'ils  ne  sont  pas  capables  d'attention  ou  qu'ils 
n'ont  pas  une  certaine  mesure  d'intelligence  et  de  probite  (1).  » 
—  «  Nous  ne  fmirons  pas  sans  manifester  notre  vceu  bien  pro- 
nonce  en  faveur  du  jugement  par  jures.  Nous  sommes  intime- 
ment  persuades  qu'il  est  le  palladium  de  la  liberie  civile...  nous 
ne  sommes  pas  moins  vivement  penetres  de  la  necessite  de  con- 
server  a  I'innocence  accusee  la  plus  sure  des  sauvegardes.  Tout 
le  mal  vient  non  de  I'institution  elle-meme ,  mais  de  I'orga- 
nisation  vicieuse  du  jury  (2).  »  —  «  Qu'on  abolisse  le  jury,  qu'on 
impose  de  nouveau  et  pour  toujours  a  quelques  jurisconsultes, 
que  je  suppose  meme  choisis  parmi  les  plus  integres  et  les  plus 
eclaires ,  le  devoir  de  prononcer  sur  I'honneur  et  la  vie  des  pre- 
venus,  et  bientot  ils  regarderont  comme  faulive  la  conviction, 
I'expression  de  ce  sens  interieur  dont  la  voix  est  pourlant  si 
claire  et  si  puissante.  lis  auront  recours  (nous  sommes  fondes 
a  le  croire ,  car  un  grand  nombre  d'avocats ,  beaucoup  de  juges 
meme  pensent  encore  ainsi) ,  ils  auront  recours  aux  anciennes 
regies  de  droit  en  matiere  de  preuves...  Et  sans  le  vouloir,  ils 
seront  egares  bien  plus  souvent  que  ne  peuvent  I'etre  les  jures 
et  d'une  maniere  bien  plus  funeste  (3).  » 

II  faut  remarquer  que  dans  un  sens  comme  dans  I'autre  les 
opinions  n'etaient  pas  toujours  absolues.  Les  uns  en  insistant 
pour  qu'on  maintLut  le  jury  de  jugement ,  demandaient  la  sup- 
pression du  jury  d'accusation ;  d'autres,  al'inverse,  voulaient  seu- 
lement  conserver  ce  dernier.  «  L'experience  a  montre  que  le 
jury  d'accusation  etait  la  partie  la  plus  importante  de  I'institu- 
tion du  jury...  c'est  la  porte  du  sanctuaire  criminel;  et  si  elle 
est  toujours  obstruee,  telle  qu'elle  I'a  ete  jusqu'a  ce  jour,  il  faut 
la  fermer  tout-a-fait  et  renoncer  a  une  institution  qui  offre  plus 


(1)  Manche,  p., 56,  B7,  tome  IV. 

(2)  Pyrinies-Orientales ,  p.  13,  torn.  IV. 

(3)  Sambre-et-Meuse,  p.  18,  19,  tome  VI. 

32 


498  LE    CODE 

d'inconvenients  que  d'avantages  (1).  »  —  «  H  est  demontre  queles 
citoyens  priv^s  appeles  a  ces  fonctions  augustes  ne  sont  jamais 
bien  penetres  du  but  de  cette  institution.  II  est  impossible  de 
leur  faire  entendre  qu'ils  ne  sont  pas  juges  du  delit  meme ,  mais 
que  d'autres  jures  sont  charges  de  ce  soin  (2).  »  —  «  Je  pense  que 
I'institution  du  jury  d'accusation  est  inutile  et  mgme  qu'elle  a  de 
mauvais  effets.  Qu'on  ne  m'accuse  pas  de  vouloir  innover  en 
attaquant  un  etablissement  consacre,  j'ose  dire  que  nos  legisla- 
teurs  constituants ,  en  youlant  creer  parmi  nous  un  systeme  nou- 
veau  de  procedure  criminelle,  n'ont  pas  ete  assez  en  garde  centre 
I'esprit  d'imitation  qui  leur  a  fait,  introduire  dans  leur  plan  des 
pieces  bien  adaptees  au  systeme  anglais,  et  qui  sont  deplacees 
dans  le  leur  (3).  m  —  «  Le  jury  d'accusation  ne  sera  point  I'objet 
de  nos  observations.  L'institution  en  cette  partie  manque  de  son 
principal  element.  Les  jures  ne  jugent  plus  sur  des  depositions 
orales;  ils  deviennent  en  quelque  sorte  juges  de  proces  par 
ecrit  (4).  » 

Voici  maintenant  des  opinions  en  sens  inverse  :  «  Les  mem- 
bres  du  tribunal  criminel  du  departement  du  Lot  estiment  que, 
moyennant  un  meilleur  choix  qu'on  se  propose  de  faire  des  ju- 
res, on  ne  devrait  conserver  que  le  jury  d'accusation,  et  que  le 
surplus  de  I'instruction  et  le  jugeraent  doivent  etre  confies  aux 
tribunaux  (5).  »  —  »  Nous  regardons  que  le  jury  d'accusation 
ne  presente  pas  pour  la  societe ,  a  beaucoup  pres ,  les  memes 
dangers  que  le  jury  de  jugement.  L'experience  a  prouve  que  les 
jures  se  determinent  plus  volontiers  a  accuser  qu'a  condamner... 
en  adoptant  ce  parti ,  on  prendrait  le  juste  milieu  entre  1' opinion 
de  ceux  qui  voudraient  conserver  l'institution  des  jures  et  celle 
de  ceux  qui  pensent  qu'on  doit  la  rejeter  en  entier  (6).  »  —  «  Le 
grand-juge  par  son  compte-rendu ,  dans  la  partie  oii  il  discute 
I'organisation  du  jury,  semble  pareillement  tendre  a  I'aneantir. 

(1)  Aisne,  p.  8,  torn.  I. 

(2)  Loir-et-Cher,p.  24,  torn.  III. 

(3)  Manche,  p.  13,  torn.  IV. 

(4)  Eure-et-Loir,  p.  8,  torn.  II. 

(5)  Lot,  p.  12,  torn.  IV. 

(6)  Orne,  pp.  8,  9,  torn.  V. 


D  INSTRUCTION   CRIMINELLE.  499 

C'est  surtout  ce  qui  devient  plus  saillant  aux  pages  2U  et  215, 
relativement  a  I'opinion  qui  ne  conserverait  que  le  seul  jury 
d'accusation ,  idee  lumineuse  et  qui,  sagement  menagee,  devien- 
drait  peut-etre  le  meiUeur  terme  de  conciliation  de  tous  les 
systemes  en  cette  partie  (1).  »  On  se  demands  si  ceux ,  qui  ne 
voulaient  garder  que  le  jury  d'accusation,  croyaient  veritable- 
ment  que  cette  institution  pM  subsister  longtemps  detachee  de 
son  support  naturel.  II  etait,  croyons-nous ,  interessant  d'enregis- 
trer  les  donnees  principales  de  I'enquete ;  il  est  curieux  de  con- 
signer les  propheties  alors  emises  de  part  et  d'autre ,  aujourd'hui 
que  le  temps  a  donne  la  solution  (2), 


IV. 

En  dehors  de  I'enquete  officielle,  il  s'en  etait  ouvert  une  au- 
tre a  laquelle  tous  etaient  appel6s ;  elle  se  faisait  spontanement 
dans  les  livres  et  dans  les  brochures.  La  grosse  question  du 
jury  preoccupait  tous  les  esprits  ;  et  les  academies  mettaient 
comme  jadis  au  concours  le  probleme  de  la  legislation  crimi- 
nelle  (3).  Les  brochures  pour  ou  contre  le  jury  se  multipliaient  (4). 
C'etait ,  avec  beaucoup  moins  d'eclat  et  d'elan  ,  quelque  chose  qui 
rappelait  de  bien  loin  le  mouvement  d'idees  qui  avait  precede  les 
reformes  de  la  Revolution.  On  etait  arrive  au  moment  des  illu- 


(1)  Basses-Pyrinies ,  torn.  V,  p.  15. 

(2)  On  peut  dire  que  la  majority  des  tribunaux  criminels  fetait  favorable  au 
maintien  du  jury.  On  peut  mgme  regarder  comme  acquis  a  cette  opinion  les  tri- 
bunaux qui  ne  prononcent  point ,  ^tant  donn6  le  mot  d'ordre  qui  semblait  partir 
du  grand-juge  et  de  la  Cour  de  cassation. 

(3)  Mimoire  qui  a  remporti  le  prix  en  Van  X  sur  cette  question  proposie  par 
Vlnslitut  national :  Quels  sent  les  moyens  de  perfectionner  en  France  IHnstitution  du 
jury,  par  Bourguignon.  Papis,  an  X.  —  Moyens  de  perfectionner  lejury,  par  F.  Ca- 
nard, ouvrage  couronnS  (Mftulins,  1802). 

(4)  Voy.  Bourguignon  :  Deuxiime  et  troisiime  mimoire  swr  le  jury.  —  De  I'excel- 
lence  de  I'institution  du  jury  et  du  syslime  des  lois  pinales  adopties  par  I'AssembUe 
constituante,  par  Porcher  (Orleans,  1804).  —Des  vices  de  institution  du  jury  en 
France,  par  M.  Gach.  Paris,  1804;  —  Risultat  de  l'exp6rience  contre  lejwy  fran- 
Qais,  par  M**'.  Paris,  1808.  — Cf.  Diveloppement  des  lois  criminelles  par  la  compa- 
raison  deplusieurs  Ugislatipfis  anciennnes  et  modernes,  par  Scipion  Bexon.  Paris, 
anX. 


SOO  LE   CODE 

sions  perdues ;  I'esprit  de  scepticisme  remplacait  la  generogite  des 
premiers  jours ;  ce  que  Ton  invoquait  dans  un  camp  comme  dans 
I'autre  ce  n'etait  plus  la  «  voix  de  la  nature ,  »  mais  les  lecons  de 
I'experience.  Disons  un  mot  de  MM.  Bourguignon  et  Gach,  dont 
les  ouvrages  fixerent  alors  I'attention. 

En  I'an  X,  I'lnstitut  avait  mis  au  concours  cette  questiom.: 
«  Qaels  sont  les  moyens  de  perfectionner  en  France  I'in&titution 
du  jury?  »  C'etait  clairement  indiquer  que  le  maintien  de  la, pro- 
cedure par  jures  n'etait  pas  mis  en  doute ,  et  c'est  ce  que  fait 
remarquer  en  tete  de  son  memoire  M.  Bourguignon,  qui  rem- 
porta  le  prix.  «  L'importance  du  sujet  atteste  tout  a  la  fois  la 
haute  sagesse  des  savants  qui  I'ont  propose  et  les  intentions  ge- 
nereuses  et  liberales  du  gouvernement ,  qui  manifeste  la  volonte 
la  plus  constante  d'ameliorer  cette  institution  (1).  » 

Ce  memoire  est  un  chaleureux  plaidoyer  en  faveur  du  jury.  II 
debute  par  une  comparaison  rapide  du  jury  tel  qu'il  existe  en 
France  avec  celui  des  Atheniens ,  des  Romains  et  des  Anglais  : 
«  Les  legons  de  I'experience  valent  mieux  que  les  theories  abs- 
traites  (2).  »  lltudiant  alors  les  principes  qui  doivent  determiner 
la  formation  des  listes  de  jures,  I'auteur  demande  qu^n  n'y  porte 
que  des  ciloyens  ayant  une  certaine  fortune  et  qu'ils  soient  choi- 
sis  et  non  tires  au  sort;  de  plus,  dit-il,  « I'experience  a  prouve 
qu'il  y  a  plus  d'inconvenient  a  confier  la  formation  de  cette  liste 
aux  administrateurs  que  de  danger  de  I'attribuer  aux  magistrats.*, 
on  pourra  cependant  faire  concourir  les  autorites  administratives 
et  judiciaires  au  choix  des  jures  (3).  »  II  demande  qu'on  change 
le  mode  de  recusation  (4),  et  que  la  simple  majorite  des  voix 
suffise  pour  la  condamnation  :  «  II  est  vrai ,  observe-t-il,  que  sui- 
vant  nos  anciennes  lois  criminelles,  I'avis  le  plus  severe  ne  preva- 
lait  que  lorsqu'il  obtenait  une  majorite  de  deux  voix.  Cette  etrange 
disposition  n'avait  sans  doute  ete  adoptee  que  pour  servir  de  cor- 


(1)  Op,  cit.,  p.  ,2.  L'auteur  ajoute  en  note  :  «  Une  commission  composee  de 
magistrals  du  plus  grand  merits  s'occupe  sans  rel^clie,  par  ordre  du  gouvernement, 
de  preparer  un  projet  de  loi  sur  icet  important  dijet.  « 

(2)  Op.  cit.,  p.  7. 

(3)  Ibid.,  p.  34. 

(4)  Ibid.,  p.  42. 


D  INSTRUCTION   CRIMINELLE.  SOt 

pectif  ou  de  palliatif  aux  formes  barbares  dont  ce  Code  etait  infecte.; 
mais  ce  n'est  pas  dans  cet.te  source  que  I'dd  doit  puiser  les  moyens 
de  perfectionner  le  jury  (1).  »  II  presente  sur  la  redaction  des  ques- 
tions a  poser  aujury  des  observations  tres-sages,  dont  quelques- 
unes  pourraienl  etre  encore  utiles  aujourd'hui  (i).  Toutes  ces 
idees,  et  bien  d'autres  contenues  dans  I'ouvrage,  etaient  parfaite- 
ment  judicieuses  et  pouvaient  offrir  au  legislateur  un  interessant 
SHJet  de  meditations. 

L'ouvrage  de  M.  Gach  semble  avoir  produit  sur  I'esprit  des 
eontemporains  une  impression  assez  vive ;  il  fut  assez  souvent 
cite  dans  les  discussions  au  conseil  d'Etat.  C'etait  une  attaque 
violente  centre  I'instiLution  du  jury,  a  cette  fille  ainee  de  la  Re- 
volution frangaise ,  la  eonquete  iUustre.  du  dix-haitieme  siecle  sur 
la  sagesse  des  siecles  qui  Font  precede  (3) ;  »  mais  cet  ecrit  ne 
eontenait  en  r^alite  rien  de  neuf ,  il  reprenait  tons  les  griefs  que 
nous  avons  vu  soulever  tant  de  fois,  que  nous  verrons  soulever 
encore  :  la  futilite  du  caractere  national,  Tignoramee  des  ju- 
res,  etc.  «  Consideree  en  elle-meme,  disaitM.  Gach,  cette  insti- 
tution est  une  des  plus  belles  conceptions  de  Fesprit  humain, 
mais  comme  I'experience  nous  a  appris  a  nous  defler  des  plus 
brillantes  theories  en  matiere  de  legislations  civiles  et  politiques, 
je  prends  Tengagement  d'etablir  que  I'iinstitution  du  jury  n'est 
qu'un  beau  reve  de  la  philosopMe:  impossible  a  realiser  parmi 
nous.  Le  sol  francais,  d'ailleurs  si  fecond  en  hommes  celebres  ou 
estimables  dans  tous  les  genres  de  talents  el  de  merite ,  ne  pro- 
Amira  jetmais  de  bons  jures ;  I'obstacle  est  dans  le  caractere ,  les 
meeurs,  les  vices  et  jusque  dans  les  vertus  de  la  nation.  Quel 
avantage  pr^tendez-vous  tirer  de  I'exemple  des,  penples  anciems 
et  modernes?  Existei-t-il  quelque  rapport  entre  les  tribunaus  de 

(1')  Op.  cit.,  p.  90. 

(2)  Pp.  HO  a  96  :  «  Le  premier  moyen  consiste  k  puMiaJ  une  instruction  16gis^ 
latire  sur  le  Code  penal ,  qui  contiendra  la  definition  exacte  et  precise  de  chaque 
d^Iit,  i  insurer  dans  chaque  'acte  d'accusation  la  d^Qnicioa  legale  du  d^lit  et  a 
charger  le  magistrat  qui  doit  r^sumer  les  dibats ,  de  faire,  des  ohservatioas  pour 
expliquer  au  jury  comment  les  caractSres  du  dSlit  peuvent  s'appliq|Uei(  au  fait... 
Et  je  ne  puis  me  dispenser  d'observer  a  cette  occasion  que  ce  defaut  de  dglini- 
tion  legale  des  delits  forme  une  lacune  importante  dans  notre  Code  p^nal  (P.,  79).  a. 

(3)  Gach,  Des  vices  dujury  en  France. 


502  LE    CODE 

Rome ,  d'Athenes  et  le  jury  frangais?  Qu'ont  de  commun  avec 
nous  les  Grecs  et  les  Romains,  leurs  moeurs  avec  nos  mceurs,  le 
temps  oil  ils  out  vecu  et  celui  ou  nous  vivons?  L'exemple  du 
peuple  anglais  ne  peut  etre  d'un  grand  poids ,  aucun  peuple  de 
I'Europe,  excepte  nous,  ne  les  a  encore  imites  sur  ce  point;  et 
il  n'est  pas  raisonnable  de  penser  que  les  Anglais  aient  seuls 
sur  ce  point,  mieux  vu  que  les  autres  peuples  de  TEurope.  »  Et 
ailleurs  :  «  La  masse  des  jures  etant  composee  de  citoyens  de 
toutes  les  classes ,  les  fonctionnaires  exceptes ,  de  tels  jures  ne 
peuvent  que  manquer  en  general  d'instruction.  II  faut  oser  le 
dire,  le  peuple  de  I'Europe  le  plus  spirituel,  le  plus  poli ,  le  plus 
aimable  est  peut-etre  un  des  peuples  les  moins  instruits...  II  n'y 
a  pas  de  pays  ou  la  masse  de  citoyens  croupisse  dans  une  plus 
profonde  ignorance  de  tout  ce  qui  a  rapport  aux  lois  et  a  I'admi- 
nistration  publique ;  peu  curieux  d'apprendre ,  trop  peu  instruit 
mgme  pour  sentir  la  necessite  et  le  prix  de  1  instruction ,  le  Fran- 
gais, en  general,  ne  lit  point,  n'observe  point,  ne  reflechit 
point.  »  Cette  these  .etait  d'ailleurs  relevee  par  des  observations 
exactes  sur  le  fonctionnement  du  jury,  tel  qu'il  etait  alors  orga- 
nise. Cependant  Bourguignon  reprit  la  plume  et  publia  encore 
deux  memoires  sur  le  jury.  Dans  son  deuxieme  memoire  (1)  il  a 
pour  but  de  repondre  aux  attaques  contre  le  jugement  par  jures , 
qui  se  produisent  en  general  dans  le  corps  de  la  magistraturerU 
«  J'ai  entendu  des  jurisconsultes  et  des  magistrats  du  plus  grand 
merite  revoquer  en  doute  la  superiorite  de  cette  procedure...,  le 
peu  de  succes ,  disent-ils ,  qu'elle  a  obtenu  en  France  depuis 
qu'elle  y  est  observee  ,  prouve  jusqu'a  I'evidence  que,  ftit-elle 
bonne,  elle  ne  peut  convenir  a  nos  mceurs  (2).  »  Dans  son  troi' 
sieme  Memoire,  il  a  surtout  a  ccEur  de  refuter  I'ouvrage  de 
M.  Gach,  dans  lequel ,  dit-il,  les  objections  qu'on  reproduit  sans 
cesse ,  ont  ete  rassemblees  et  developpees  avec  beaucoup  de  force 
par  un  ecrivain  plein  de  talent  (3).  Dans  ces  deux  ouvrages ,  le 

(1)  DeuxUme  mimoire  sur  I'institution  du  jury,  la  dans  la  seance  gfin^rale  de 
I'Acad^mie  de  legislation  du  let  niv6se  an  XIII. 

(2)  Ibid.,  p.  3. 

(3)  TroisUme  mimoire  sur  le  jury,  par  M.  Bourguignon ,  I'un  des  magistrats 
du  parquet  de  la  haute  cour  impSriale ,  juge  en  la  cour  de  justice  criminelle  de 
Paris.  Paris,  1808,  p.  5a. 


d'instruction  criminelle.  503 

courageux  et  g6nereux  magistral  n'apportait  point  de  nouveaux 
elements  au  debat,  mais  11  reprenait  avec  chaleur  et  lucidite  les 
bonnes  ralsons  qui  combattalent  pour  le  maintien  du  jury.  Ce- 
pendant  11  fournissalt  quelques  donnees  de  statlstlque  assez  pre- 
cieuses.  Dans  le  second  memoire,  11  comparait  les  resultats  obte- 
nus  a  Paris  par  le  moyen  du  jury  d'un  cote,  et  par  celui  du 
tribunal  special  d'autre  part  en  I'an  X  et  en  I'an  XI.  Devant  le 
jury  avaient  comparu  788  accuses;  519  avaient  ete  condamnes  et 
209  acquittes.  Devant  le  tribunal  special  avaient  ete  traduits  193 
accus,es  ;  127  avaient  ete  condamnes  et  66  acquittes  (1).  Dans  le 
troisieme  memoire  11  reprend  et  complete  ces  indications  :  «  Du- 
rant  les  annees  IX  et  X  11  a  ete  acquitte  seulement  un  quart  des 
accuses  soumis  a  I'epreuve  du  jury,  tandis  que  la  memo  cour  a 
renvoye  absous  plus  d'un  tiers  de  ceux  qu'elle  a  juges  speciale- 
ment  et  sans  jures.  Le  releve  comparatif  des  arrets  rendus  par 
la  meme  cour  pendant  les  annees  XI,  XII,  XIII,  XIV,  et  sui- 
vantes,  m'a  donne  a  peu  pres  le  meme  resultat  (2).  » 

Mais  on  sentait  bien  des  lors  que  la  solution  de  ce  grand  pro- 
bleme  dependait  de  I'homme ,  aux  mains  duquel  la  France ,  lasse 
et  meurtrie ,  avait  remis  ses  destinees.  Bourguignon  dans  son 
deiixieme  memoire  s'adresse  a  lui  sans  le  nommer,  lorsque,  dans 
une  enumeration  assez  singuliere,  il  cite  les  hommes  celebres 
qui  ont  ete  les  partisans  du  jury  et  ceux  qui  en  ont  ete  les  adver- 
saires.  Parmi  les  premiers  il  compte  :  Solon,  Pericles,  Aristote, 
Demosthene,  Lysias,  les  fils  de  Cornelia,  Servilius  Coepio,  Plau- 
tius ,  Silvanus ,  Marius ,  Sylla ,  Ciceron ,  Pompee ,  Cesar ;  en  An- 
gleterre  le  grand  Alfred ,  Jean  I ,  Henri  III ,  Edouard  I ;  —  parmi 
les  seconds ,  les  Trente  Tyrans ,  et  en  Angleterre  Henri  IV, 
Henri  VII,  Henri  VIII,  Jacques  I,  Charles  II  (3).  »  II  termine 
par  une  evocation  d'Auguste,  allusion  transparente ,  qui  ne  man- 
que ni  de  courage ,  ni  de  grandeur  :  «  Auguste  employa  cette 
toute-puissance  a  pacifier  I'univers  et  a  procurer  aux  Remains 
le  calme  et  la  securite ;  mais  malheureusement  il  la  transmit  tout 


(l)beuxiime  mimoire,  pp.  70,  71. 

(2)  Troisiime  memoire,  p.  92. 

(3)  Deuxiime  memoire,  p.  59,  60. 


504  LE   CODE 

entiere  a  ses  successeura  qui  en  ont  abuse  de  la  maniere  la  plus 
funeste.  La  posterite  ne  serait-elle  pas  en  droit  de  lui  adresser 
ces  reproches  :  C^sar,  tu  as  ete  investi  du  pouvoir  absolu ,  tu  as 
detruit  nos  institutions,  renverse  la  constitution  de  nos  ance- 
tres  :  qu'as-tu  substitue  a  ces  bases  de  la  grandeur  romainp?  La  loi 
regia,  c'est-a-dire  le  despotisme  absolu  et  I'arbitraire...  Cesar  ton 
imprevoyance  I'a  rendu  le  fauteur  de  tons  les  actes  de  tyrannie 
dont  lis  (tes  successeurs)  ont  souille  les  annales  de  I'Empire  (1). » 
En  flnissant  la  preface  de  son  troisieme  memoire,  c'est  une  priere 
qu'il  adresse  au  Maitre  tout-puissant  :  «  La  discussion;  polemique 
qui  s'est  engagee  sur  le  jury,  sera  bientot  terminee...  Persuade 
que  les  avantages  resultant  de  cette  institution  perfectionnee 
n'echapperont  pas  au  genie  vaste  et  profond  qui  preside  aux 
destinees  de  TEmpire ,  je  croirais  ce  dernier  ecrit  absolument 
inutile,  s'il  ne  devait  servir  a  detruire  les  preventions  semees 
dans  les  diverses  classes  de  la  societe  contre  une  procedure  trop 
peu  connue  (2).  » 

(1)  Deuxiime  mimoire,  p.  60, 

(2)  TroisUme  mimoire.  Preface,  p.  2. 


D  INSTRUCTION   CRIMINELLE.  §05 

CHAPITRE  DEUXIEME. 
La  question  du  jury  devant  le  Conseil  d'Etat. 


L 


I.  Premiere  discussion  da  projet  de  Code  oriminel  devant  le  Conseil  d'Etat  en 
I'an  XII  et  en  I'an  Xlll ;  projets  sur  la  reunion  de  la  justice  civile  et  de  la  jus- 
tice crimineUe;  interruption  des  travaux.  —  IT.  Reprise  des  travaux  en  1808; 
encore  la  question  du  jury  :  suppression  du  jury  d'accusation ;  maintien  du 
jury  dejugement. 

Le  projet  de  Code  crimiael  avail  ete  envoye ,  avec  les  resultats 
de  i'enquete ,  a  la  section  de  Legislation  du  Conseil  d'Etat ,  alors 
presidee  par  M.  Bigot-Preameneu ,  et  composee  de  MM.  Berlier, 
Galli,  Real,  Simeon  et  Treilhard  (1).  La  discussion  au  Conseil 
d'Etat ,  qui  devait  etre  pour  le  Code ,  eomme  jadis  pour  I'Ordon- 
nance  de  1670,  la  phase  principale  des  travaux  preparatoires,  corn- 
menca  seulement  le  2  prairial  an  XII  (22  mai  1804).  Le  proces- 
verbal  de  cette  premiere  seance  est  tres-court  :  «  Sa  Majeste  qui 
preside  la  seance ,  charge  la  section  de  Legislation  de  presenter 
dans  le  delai  de  quinze  jours  les  questions  fondamentales  du 
projet  de  Code  criminel  (2).  »  Le  9  prairial ,  Napoleon  renouvelle 
cette  invitation;  il  declare  du  reste,  et  ceci  est  tres-important , 
que  les  decisions  prises  sur  ce  point  ne  seront  pas  definitives,  <;  le 
Conseil  demeurant  libre  de  revenir  sur  ses  premieres  resolu- 
tions (3).  »  II  fut  aussi  decide  que  les  commissaires ,  qui  avaient 
prepare  le  projet,  assisteraient  aux  seances  du  Conseil  d'Etat, 
mais  non  point  a  celles  de  la  section  de  Legislation,  ou  ils  au- 
raient  forme  la  majorite.  Des  lors  tout  est  pret;  le' travail  va 
commencer  et  il  se  poursuivra  jusqu'au  29  frimaire  an  XIII.  Puis 

(l)Locr^,  tome  I,  p.  205.  Les  observations  des  cours  d'appel  ne furent  r^unies 
que  dans  le  courant  de  I'an  XII ;  elles  sont  en  general  datfes  des  mois  de  germi- 
nal, flor^at,  messidor  et  thermidor  de  cette  ann6e. 

(2)  Locri,  tome  XXIV,  p.  8. 

(3}Locri,  tomeXXIV,  p.  9. 


506  LE   CODK 

vient  une  longue  interruption,  et  c'est  seulement  le  23  Janvier 
1808  que  la  discussion  reprendra,  pour  aboutir  cette  fois  a  la 
presentation  et  au  vole  par  le  Corps  legislatif  du  Code  d'instruc- 
tion  criminelle. 

Une  question  arreta  longtemps  le  Conseild'Etat;  c'est  celle  que 
nous  avons  toujours  rencontree  depuis  1789,  toutes  les  fois  qu'on 
a  discute  la  legislation  criminelle  :  Conserverait-on  la  procedure 
parjures  ou  reviendrait-on  aux  traditions  de  I'ancienne  procedure 
frangaise?  La  police  judiciaire,  la  poursuite  et  I'instruction  pre- 
paratoire  feront  aussi  quelque  difficulte ;  mais  sur  ce  point  la  loi 
de  pluviose  avail  deblaye  le  terrain.  Quant  a  la  procedure  devant 
les  juridictions  de  jugement,  les  grandes  lignes ,  nous  1' avons  dit, 
avaient  ete  definitivement  fixees  par  les  lois  de  I'epoque  interme- 
diaire. 

Sur  la  lisle  des  questions  de  principe,  redigee  par  ordre  de 
I'Empereur  et  presentee  dans  la  seance  du  16  prairial  an  XII,  les 
huit  premieres  concernaient  lejury  (1).  Immediatement  la  discus- 
sion s'engagea  sur  ce  point.  Si  lejury  avail  de  nombreux  adver- 
saires  il  comptait  aussi  des  partisans,  et  M.  Regnaud  de  Saint- 
Jean  d'Angely  proposa  meme,  entre  eux,  une  sorte  de  combat  en 
champ  clos  par  la  creation  de  deux  commissions  rivales  (2). 

On  entendit  tour  a  tour  MM.  Simeon,  Dupuy,  Portalis,  Bi- 
got-Preameneu ,  pour  ne  citer  que  les  principaux  orateurs,  de- 
mander  le  retour  aux  anciennes  formes  de  procedure ,  modifiees 
et  adoucies.  Leurs  arguments  nous  sont  deja  connus,  ce  sont 


(1)  Void  la  llste  entiere  : 

«  I.  L'institution  du  jury  sera-t-elle  conserv^e  ? 

»  II.  Y  aura-t-il  un  jury  d'accusation  et  unjury  de  jugement? 

»  III.  Comment  seront  nommfe  les  jur^s ;  dans  quelle  classe  seront-ils  nommfis ; 
qui  lesnommera?  >. 

»  IV,  Comment  s'exercera  la  recusation  ? 

B  V.  L'instruction  sera-t-elle  purement  orale  ou  partie  orale  et  partie  ecrite? 

»  VI.  Presentera-t-on  plusieurs  questions  au  jury  ou  n'en  presentera-t-oa 
qu'une?  —  L'accus6  est-il  coupable? 

"  VII.  La  declaration  du  jury  sera-t-elle  rendue  a  I'unanimite  ou  a  un  certain 
nombre  de  voix? 

»  VIII.  Y  aura-t-il  des  magistrats  qui  pourront  tenir  des  assises  dans  plusieurs 
tribunaux  criminels  de  d6partement?  »  Locri,  tome  XXIV,  pp.  H,  12. 

(2)  Locri,  tome  XXIV,  p.  22. 


d'instkuction  criminelle.  507 

ceux  que  nous  avons  trouves  dans  les  observations  des  cours 
d'appel  at  des  tribunaux  criminels  :  «  Au  commencement  de  la 
Revolution  on  fit  des  reformes  utiles  dans  la  procedure  crimi- 
jaelle,  en  introduisant  dans  I'information  des  adjoints  qui  surveil- 
laient  le  juge  instructeur,  en  rendant  la  confrontation  publique,  en 
donnant  a  I'accuse  des  defenseurs  et  en  lui  donnant  communication 
de  toutes  les  pieces.  Le  desir  du  mieux,  qui  nous  a  fait  tant  de  mal 
dans  la  Revolution,  fit  ensuite  proposer  les  jures  (1).  »  —  «  La  pu- 
blicite  de  la  procedure  et  les  debats  voila  les  veritables  garants  de 
la  liberte  individuelle.  Avec  cette  publicite,  on  sera  mieux  et  plus 
surement  juge  par  des  hommes  en  ayant  charge  et  en  faisant 
etude  et  profession  que  par  les  premiers  venus  (2).  »  —  «  On  pour- 
rait  juger  des  resultats  du  jury  par  ce  qui  se  passe  chez  les  An . 
glais",  il  n'est  point  de  pays  ou  il  y  ait  une  plus  mauvaise  police 
et  moins  de  surete  pour  les  individus  (3).  »  —  «  M.  Portalis  pense 
que  le  jury  doit  etre  supprime...  les  meilleurs  jurisconsultes 
(Anglais)  n'ont  pas  une  opinion  favorable  au  jury.  En  Angleterre 
le  jury  est  cause  de  beaucoup  de  desordres  (4).  »  —  «  Le  seul  ar- 
ticle des  nouvelles  institutions  qui  ait  obtenu  I'assentiment  general, 
c'est  la  publicite  de  I'instruction...  ni  I'accuse,  ni  la  societe  ne 
trouvent  une  garantie  suffisante  dans  le  jury  (5).  » 

Voila  des  affirmations  bien  categoriques  et  assez  etranges ; 
d'autres  opinions  vont  a  la  meme  conclusion,  mais  par  un  chemin 
.ffloins  direct.  «  L'institution  des  jures  a  plus  d'inconvenients  que 
d'avantages,  mais  il  ne  conviendrait  peut-etre  pas  de  la  suppri- 
mer  brusquement  aujourd'hui  qu'on  y  est  accoutume  (6).  »  Sans 
repousser  absolument  le  jury,  I'Archichancelier  defend  la  proce- 
dure ecrite  :  «  II  est  extremement  bizarre  de  faire  des  depenses 
enormes  pour  une  procedure  dont  il  ne  reste  aucune  trace... 
il  n'est  pas  moins  etonnant  que  la  loi  attache  si  peu  d'effet  a 
instruction  faite  par  le  magistrat  de  sHrete  et  par  le  directeur 

(1)  M.  Simeon,  Locri,  tome  XXIV,  p.  3 ,  14. 

(2)  M.  Simeon ,  Locri,  tome  XXIV ,  p.  21 . 
(3)M.  Dupuy ,  iocrt,  tome  XXIV,  p.  29. 
(4)Locr^,  tome  XXIV,  pp.  34,  35,  36. 

(5)  M.  Bigot-Preameneu,  Locri,  t.  XXIV,  p.  40. 

(6)  M,  Boulay,  tocr^,  tome  XXXIV,  p.  22. 


508  LE    CODE 

du  jury  d'accusatian ,  qu'on  ne  puisse  pas  s'en  servir  meme  pour 
eclairer  le  jury.  Voici,  au  surplus,  comment  on  pourrait  eta- 
blir  la  procedure  par  ecrit.  L'instruction  faite  par  le  magistral 
de  snrete  ferait  charge  centre  I'accuse,  sauf  I'epreuve  des  de- 
bats.  Les  debats  ne  seraient  pas  ecrits,  mais  les  aveux  de  I'ac- 
cuse et  les  variations  des  temoins  seraient  coosignes  dans  le 
proces-verbal  signe  par  eux  (1).  »  Au  reste,  Cambaceres  est 
partisan  de  I'Ordonnance  de  1670  :  <<  On  ne  doit  pas  craindre 
de  prendre  quelques  dispositions  de  I'Ordonnance  de  1670... 
la  privation  de  conseils  et  de  defenseurs,  I'interrogatoire  sur  la 
sellette ,  ne  doivent  certainement  pas  etre  retablis ,  mais  il  n'en 
est  pas  de  meme  du  recolement  dans  lequel  un  temoin  pent  se 
corriger,  de  la  confrontation  oti  il  est  permis  a  I'accuse  de  re- 
procher  les  temoins  et  de  discuter  leurs  depositions.  Avec  quel- 
ques modifications,  les  articles  de  I'Ordonnance  de  1670  sur  ce 
sujet  peuvent  etre  utilement  employes  dans  notre  legislation 
nouvelle  (2).  » 

Mais  tons  protestent  contre  la  theorie  des  preuves  legales.  Les 
magistrals  qui  remplaceraient  les  jures  formeraient  leur  con- 
viction «  non  sur  des  preuves  appelees  legales ,  mais  avec  les 
memos  moyens ,  les  memes  elements  que  le  jury  et  d'apr^s  les 
debats  (3).  »  Portalis  veul  meme  demonlrer  qu'aulrefois  la  theo- 
rie des  preuves  legales  n'exislait  que  dans  le  sens  favorable 
aux  accuses  :  «  on  se  trompe  dans  I'idee  qu'on  se  forme  de  cette 
doctrine,  lorsqu'on  suppose  qu'elle  forcait  le  juge  de  condam- 
ner  des  que  deux  temoins  etaient  unanimes  sur  le  meme  fait, 
elle  se  bornait  a  empecher  le  juge  de  condamner  quand  il  a'y 
avs,it  pas  au  moins  deux  temoins  (4).  » 

Cependant  dans  le  Conseil  il  y  avait  des  hommes  qui  n'aban- 
donnaient  pas  les  principes  de  cette  Revolution,  qui  les  avait 
tires  parfois  de  I'obscurite  et  des  derniers  rangs  du  peuple  pour 
les  porter  aux  honneurs  et  a  la  puissance.  Le  jury  trouva  d'ha- 
biles  et  eloquents  defenseurs  :  MM.  Berlier,  Treilhard,  Defer- 

(1)  Locr6,  tome  XXXIV,  p.  27. 

(2)  tbid..  p.  28. 

(3)  M.  Simton,  ibid.,  p.  19. 

(4)  Ibid.,  p.  53. 


d'instruction  criminelle.  309 

mon,  Gretet,  Berenger,  Frochot,  enfln  le  prince  connetable  et 
M.  Regnaud  de  Saint-Jean  d'Angely  se  pronoiacerent  pour  son 
maintien.  lis  invoquaient  le  caractere  equitable  et  protecteur  de 
k  procedure  par  jures;  ils  montraient  surtout  qu'elle  n'avait 
point  encore  fonctionne  en  France  dans  des  conditions  nor- 
males  :  «  Peut-etre  si  nous  vivions  sous  I'empiire  de  la  loi  de 
1789  la  prudence,  ennemie  des  innovations  et  des  essais,  con- 
seillerait-elle  d'y-rester;  mais  le  pas  a  ete  franchi  et  la  memo 
prudence  nous  defend  de  renoncer  a  une  amelioration  fort  che- 
rement  acquise  (1).  »  —  «  Pjourquoi  les  Anglais  en  sont-ils 
encore  si  jaloux  (du  jury)?  II  y  a  lieu  de  croire  que  c'est  parce 
que  rien  n'est  plus  terrible  que  de  donner  a  quelques  hommes 
le  droit  perpetuel  de  vie  et  de  mort  sur  tous  les  autres  (2).  » 
—  «  Aujourd'hui  que  le  legislateur  peul  suivre  les  eonseils  de 
la  sagesse  et  retablir  le  jury  dans  toute  sa  purete,  la  nation 
verrait  peut-etre  avec  quelque  surprise  une  institution  aussi  li- 
berale  effacee  du  Code  de  s-es  lois ,  sous  un  chef  qu'elle  sait  etre 
fortement  attache  aux  sentiments  liberaux  (3).  »  —  «  Ce  qui 
"attache  la  nation  a  I'institution  du  jury,  c'est  que,  quoiqu'elle 
ait  pu  §tre  I'occasion  de  quelques  absolutions  scandaleuses ,  du 
moins  elle  a  I'avantage  de  ne  jamais  mettre  I'accuse  a  la  dis- 
cretion des  passions  particulieres  (4).  »  —  «  Tant  que  I'insti- 
tution du  jury  n'a  pas  ete  viciee ,  elle  n'a  eu  que  des  resultats 
avantageux(S).  »  —  Le  prince  connetable  declare  «  qu'il  a  tou- 
jours  entendu  parler  du  jury  comme  d'un  des'principaux  avan- 
tages  que  les  Fran§ais  aient  tire  de  la  Revolution ,  comme  d'une 
des  plus  silres  garanties  de  la  liberie  (6).  »  —  M.  Regnaud  de 
Saint-Jean  d'Angely  affirme  «  qu'on  tombea-ait  dans  des  incon- 
venients  graves  si  on  le  supprimait...  Depuis  1789  jusqu'en  3791, 
on  a  essaye  d'apporter  a  la  forme  de  proceder,  introduite  par 
^OI^donnance  de  1670 ,  les  seules  modifications  dont  elle  fut  sus- 

(1)  M.  Berlier,  Locri,  tome  XXIV,  p.  23. 

(2)  M.  Cretet,  ibid.,  p.  30. 
(3)M.  Treilhard ,  iiW.,  p.  33. 

(4)  M.  Froehot ,  Locr6,  tome  XXIV,  p.  44. 

(5)  M.  Defermon ,  ibid.,  p.  37. 

(6)  Ibid.,  p.  44. 


510  LE    CODE 

'ceptible.  Cette  epreuve  n'a  pas  ete  heureuse;  alors  on  a  etabli 
le  jury  et  cette  institution  a  obtenu  I'assentiment  general  (I).  »  * 

Les  defenseurs  du  jury  triomphaient  surtout  quand  ils  de- 
montraient  que  lui  seul  etait  compatible  avec  cette  theorie  des 
preuves  morales ,  que  tout  le  monde  voulait  respecter  :  «  Nulle 
loi  n'enjoignait  aux  juges  criminels  de  se  depouiller  de  leur 
conviction  morale  pour  s'en  rapporter  aux  preuves  Ugales,  ce- 
pendant  les  preuves  legales  prevalurent  souvent  (2).  »  —  «  Ce 
serait  armer  les  juges  de  profession  d'un  pouvoir  trop  redou- 
table  que  de  les  appeler  a  statuer  sur  le  fait,  et  de  leur  per- 
mettre  de  n'alleguer  d'autres  motifs  de  leur  jugement  que  leur* 
conviction  intime,  que  leur  conscience.  On  ne  pent  done  leur 
coofier  le  jugement  du  fait  sans  retablir  la  theorie  des  preuves 
legales;  mais  puisqu'on  reconnait  que  ce  systeme  est  perni- 
cieux,  il  en  resulte  qu'il  ne  faut  pas  constituer  des  jures  per- 
manents  et  qu'il  faut  en  revenir  an  jury  (3).  »  —  «  Ne  peut-il 
pas  arriver  que  chaque  tribunal  se  cree  des  principes  et  se  fasse 
un  corps  de  doctrine  sur  le  choix  des  circonstances  qui  doivent 
entrainer  1 'absolution  ou  la  condamnation  (4)?  « 

D'ailleurs  les  partisans  du  jury  acceptaient,  soit  comme  me- 
sure  transitoire,  soit  comme  institution  permanente,  les  tribu- 
naux  speciaux  pour  les  criminels  les  plus  dangereux  :  «  Si  Ton 
peut  faire  la  part  aux  circonstances  par  des  restrictions  momen- 
tanees,  pourquoi  detruire  le  principe  et  priver  nos  neveux  du 
benefice  de  I'institution  (b)?  »  —  «  Le  droit  d'etre  juge  par  des 
jures  est  un  droit  de  cite ;  des  lors  les  vagabonds  et  les  gens 
sans  aveu  ne  peuvent  le  reclamer.  Rien  ne  s'oppose  a  ce  qu'on 
etablisse  pour  eux  une  justice  prevotale,  pourvu  qu'elle  soit 
mieux  organisee  et  moins  rapide  que  I'ancienne.  Le  crime  de 
faux  devrait  aussi  etre  renvoye  a  ces  tribunaux  (6).  » 

Cependant  dans  cette  discussion  importante,  et  qui  en  realite 

(1)  M.  Defermon,  Locri;  tome  XXIV,  p.  38. 

(2)  M.  Berlier,  ibid.,  p.  25. 

(3)  M.  Birenger,  Locri  ,  tome  XXIV,  p.  43. 
(4)M.  Cretet,  i6W.,  p.  31. 

(5)  M.  Berlier,  ibid.,  p.  24. 

(6)  M.  Regnaud,  ibid.,  p.  39. 


-     d'instruction  criminelle.  311 

devait  etre  decisive  bien  qu'on  la  recommengat  dans  la  suite, 
tous  les  yeux  etaient  tournes  vers  le  maitre  qui  la  presidait.  Na- 
poleon etait  intervenu  plusieurs  fois ;  il  parut  vivement  fraf)pe  du 
systeme  expose  par  M.  Simeon  :  «  Sa  Majeste  dit  qu'on  n'a  point 
repondu  a  ce  qu'a  avanc6  M.   Simeon,  que  les  juges,  n'etant 
point  forces  de  se  prononcer  d'apres  les  preuves'legales,  ne  sent 
plus  que  des  jures ,  mais  ont  cet  avantage  sur  les  jures  ordi- 
naires,  qu'ils  sont  plus  exerces  et  mieux  choisis;  que  ce  serait 
de  tels  citoyens  qu'il  faudrait  prendre  pour  jures,  s'ils  n'etaient 
.  point  revgtus  du  caractere  de  juges  (1).  »  Mais  la  discussion  pre- 
"  nait  de  plus  en  plus  une  tournure  favorable  au  maintien  du  jury; 
M.  Berlier  en  fit  la  remarque  :  «  M.  Berlier  dit  que  plus  la  dis- 
cussion avance,  plus  il  se  verifie  que  I'institution  du  jury  est 
bonne  et  susceptible  seulement  de  quelques  ameliorations  (2).  » 
Alors  I'Empereur  trouva  utile  de  clore  les  debats;  mais  il  a 
soin  d'observer :  «  Qu'il  ne  regarde  pas  le  Conseil  comme  engage 
par  la  determination  qui  va  etre  prise ,  et  que ,  si  en  organisant 
le  systeme  on    rencontre  des   obstacles  imprevus  ,  le  Conseil 
pourra  revenir  sur  sa  premiere  opinion  (3).  »  Cependant  il  tint  a 
donner  son  avis  :  «  De  part  et  d'autre  on  a  allegue  des  raisons 
tres-fortes  pour  et  centre  I'institution  des  jures ,  mais  on  ne  peut 
se  dissimuler  qu'un  gouvernement  tyrannique  aurait  beaucoup 
plus  d'avantages  avec  des  jures  qu'avec  des  juges  qui  sont  moins 
a  sa  disposition ,  et  qui  toujours  lui  opposeront  plus  de  resis- 
tance. Aussi  les  tribunaux  les  plus  terribles  avaient-ils  des  jures? 
S'ils  eussent  ete  composes  de  magistrats,  les  habitudes  et  les 
formes  auraient  ete  un  rempart  centre  les  condamnations  injustes 
et  arbitraires.  La  durete  que  peiit  donner  I'exercice  continued  de 
ces  fonctions  est  peu  a  craindre ,  lorsque  la  procedure  est  publi- 
que,  qu'il  y  a  des  defenseurs  et  des  debats.  Cependant  Sa  Ma- 
jeste admet  le  jury  s'il  est  possible  de  parvenir  a  le  bien  com- 
poser...  II  serait   necessaire   aussi   d'organiser  des    tribunaux 
d'exception  pour  connaitre  des  delits  commis  par  des  individus 


{l)Locrt,XXIV,  p.  33. 

(2)  Ibid.,  p.  45. 

(3)  Ibid.,  p.  46. 


512  LE    CODE 

non  domicilies  ou  reunis  en  bande  (1).  »  Des  lors,  pour  cette  fois 
du  moins,  la  question  etait  tranches  :  «  Le  Conseil  adopte  en 
principe  que  I'institution  du  jury  sera  conservee  (2).  »  Immedia- 
tement  apres ,  la  seconde  question  :  «  Y  aura-t-il  un  jury  d'acca- 
sation  et  un  jury  de  jugement?  »  fut  resolue  dans  le  seas  de 
I'affirmative,  sur  de  tres-breves  observations  de  MM.  Treilhard 
et  Bigot- Preameneu  (3). 

On  passa  ensuite  au  choix  des  jur6s  :  ce  point ,  quelque  inte- 
ressant  qu'il  soit ,  ne  doit  point  nous  preoccuper,  mats  incidem- 
ment  se  presenta  un  debat  qui  ramena  sur  le  tapis  les  anciennes 
idees.  Napoleon  demanda  si  I'avis  du  Conseil  etait  de  ne  pas  ad- 
mettre  pour  defenseurs  des  hommes  de  loi  (4,1 ;  et  des  opinions 
pen  favorables  a  la  liberte  de  la  defense  se  firent  jour.  «  M.  Miot 
dit  qu'en  Angleterre ,  les  accuses  n'ont  pas  de  plein  droit  la  fa- 
culte  de  se  choisir  des  defenseurs.  Dans  tous  les  cas  on  n'admet 
pas  a  ce  ministere  les  avocats,  parce  qu'on  craint  qu'ils  n'obs- 
curcissent  les  faits.  Les  conseils  s'asseyent  pres  de  I'accuse  et 
I'aident  de  leurs  avis ,  mais  ils  ne  plaident  que  lorsqu'ils  en  ont 
obtenu  la  permission  (5).  »  M.  Regnaud  de  Saint-Jean  d'Angely 
alia  plus  loin  :  «  Dans  les  tribunaux  civils ,  le  ministere  des  avo- 
cats est  toujours  necessaire ;  parce  que  \k  les  contestations  pre- 
sentent  des  questions  de  droit  qui  ne  peuvent  etre  discutees  que 
par  des  hommes  verses  dans  la  connaissance  des  lois;  mais  il 
n'en  est  pas  de  meme  dans  les  tribunaux  criminels,  oii  il  ne  s'agit 
que  de  decouvrir  la  verite  d'un  fait.  La ,  I'accuse  pent,  par  les 
eclaircissements  qu'il  donne,  repousser  lui-meme  les  inculpations ; 
il  n'est  done  pas  necessaire  qu'il  ait  un  defenseur.  A  la  verite , 
il  est  des  hommes  que  Fignorance  ou  la  timidite  empechent  de 
s'expliquer,  il  faut  faire  pour  eux  une  exception.  Le  president 
du  tribunal  deciderait  s'il  y  a  lieu  ou  non  d'admettre  cette  excep- 


(1)  tocrt,  tomeXXrV,  p.  47. 

(2)  Ibid.,  p.  48. 

(3)  Ibid.,  p.  48. 

(4)  Pen  d'instants  auparavant  il  avait  dit :  «  II  importe  de  n'admettre  pour  de- 
fenseurs des  accuses  que  des  liommes  strangers  aux  habitudes  du  barreau.  » 
Ibid,  p.  52. 

(5)  Locr4 ,  tome  XXIV,  p.  52. 


d'instruction  criminelle.  813 

tion  et  d'accorder  un  defenseur.  »  Ea  realite  on  ne  parkit  pas 
autrement  autrefois  quand  on  voulait  justifier  I'Ordonnance. 

Mais  cette  proposition ,  que  jadis  Lamoignon  avait  vainement 
combattue,  souleva  des  protestations  :  «  M.  Berenger  dit  qu'on 
ne  parviendra  jamais  a  trouver  une  organisation  et  des  formes 
assez  parfaites  pour  qu'elles  donnent  au  juge  la  certitude  qu'ii 
n'a  jamais   condamne  un  innocent.  Quelquefois  les  apparences 
sont  centre  I'accuse ,  et  parce  que  le  trouble  et  la  crainte  I'em- 
pechent  de  les  detruire,  il  parait  coupable.  II  a  done  toujours  be- 
soin  d'etre  assiste  d'un  defenseur.  On  ne  pourrait  d'ailleurs  refu- 
ser ce  secours  sans  rappeler  une  loi  trop  fameuse  et  avec  laquelle 
notre  procedure  criminelle  ne  doit  avoir  aucun  rapport.  M.  Treil- 
■  hard  dit  que  I'accuse  auquel  on  refuserait  un  defenseur  se  per- 
suaderait  qu'on  veut  le  perdre.  La  regie  que  M.  Miot  a  dit  exister 
en  Angleterre  est  dans  le  droit,  mais  dans  le  fait  on  ne  refuse 
jamais  a  I'accuse  la  permission  d'avoir  un  conseil  (1).  »  On  n'eut 
pas  de  peine  a  montrer  que  la  disposition   qui  exclurait  les 
hommes  de  loi  serait  illusoire  et  que ,  du  reste ,  leur  aide  etait 
legitime  et  souvent  necessaire  (2).  «  II  est  preferable  de  donner 
au  president  un  pouvoir  discretionnaire ,  de  I'autoriser  a  fermer 
la  bouche  de  tout  avocat  qui  ne  se  renferme  pas  dans  les  bor- 
nes  d'une  legitime  defense ,  et  meme  d'interdire  cet  avocat  avec 
le  concours   du  tribunal,  lorsque  les  circonstances  le  demah- 
dent  (3).  » 

Dans  la  meme  seance,  le  Conseil  se  prononca  sur  la  question 
de  la  procedure  ecrite.  A  cet  egard ,  les  tendances  reformatrices 
semblerent  triompher.  Gambaceres  developpa  la  proposition  dont 
nous  avons  parle  plus  haut  :  «  Dans  I'etat  actuel  des  choses,  I'ins- 
truction  est  tout  orale ;  car  ce  qui  a  ete  ecrit  ne  sert  que  de  ren- 
seignements  pour  diriger  les  debats...  La  premiere  information 

(1)  Locri,  lome  XXIV,  pp.  53,  54. 

(2)  «  M.  Simton  dit  que  le  rSglement  qui  exclurait  les  avocats  serait  elude;  ce 
serait  eux  qui  composeraient  le  plaidoyer  du  defenseur  (cela  fait  songer  aux  lo- 
gographes  i'Alhknes).  D'ailleurs  on  verrait  se  r^unir  pres  des  tribunaux  criminels, 
comme  autrefois  pres  des  consuls ,  des  hommes  non  graduis  qui  exerceraient  le 
ministfere  de  defenseur  et  bient6t  possederaient  aussi  bien  que  les  gens  de  loi , 
I'art  de  circonscrire  la  justice.  »  P.  52. 

(3)  M.  Berenger,  Ibid.,  p.  54. 

33 


514  LE    CODE 

continuerait  a  etre  faite  par  le  magistral  de  surete...  Cette  pro- 
cedure serait  transmise  au  directeur  du  jury,  lequel  ferait  le 
recolement  des  temoins...  Toutes  ces  procedures  seraient  ren- 
voyees  a  la  cour  de  justice  criminelle  avec  I'accuse,  auquel  il 
serait  permis  de  faire  venir  un  conseil  dans  sa  prison.  Les  de- 
bats  s'ouvriraient  par  la  lecture  de  la  procedure  faite  tant  par 
le  magistral  de  siirete  que  par  le  directeur  du  jury.  Des  te- 
moins seraient  appeles;  I'accuse  assiste  d'un  conseil  assis  pres 
de  lui  pourrait  proposer  des  reproches  et  refuter  leurs  deposi- 
tions. Le  proces- verbal  ne  contiendrait  pas  en  detail  les  de- 
bats  ,  mais  le  procureur  general  et  I'accuse  auraient  le  droit  de 
faire  constater  les  resultats.  Le  tout  serait  mis  sous  les  yeux 
du  jury.  —  Sa  Majeste  adopte  I'idee  de  mettre  sous  les  yeux 
des  jures  copie  de  I'information.  Neanmoins  EUe  pense  que  celle 
qui  a  ete  faite  par  la  police  ne  doit  pas  leur  etre  communiques ; 
car  la  police  instruit  surtout  dans  la  vue  de  decouvrir  tous  les 
coupables  et  toutes  les  circonstances  du  crime;  par  cette  raison 
elle  doit  etre  insidieuse.  Le  juge  instructeur,  au  contraire ,  n'a 
d'autre  vue  que  d'arriver  a  la  verite  des  faits.  »  —  «  Les  proposi- 
tions de  S.  A.  S.  le  prince  archichancelier  sont  adoptees  avec 
la  modification  de  ne  pas  communiquer  I'instruction  faite  par 
la  police  (1).  »  C'etait  la  une  decision  tres-grave;  c'etait  faire 
ce  melange  de  la  procedure  ecrite  et  de  la  procedure  par  jures, 
qu'avait  repousse  la  sagesse  de  I'Assemblee  constituante.  C'eM 
ete  probablement  ruiner  I'institution  dont  on  avait  decide  le  main- 
tien ;  heureusement  cette  idee ,  on  le  sait ,  ne  fut  pas  ramenee  a 
effet. 

La  discussion  continua  dans  les  seances  des  23  et  30  prairial ; 
on  resolut  les  autres  questions  de  principe,  dont  la  plupart  interes- 
saient  le  droit  penal  proprement  dit.  L'institution  des  Priteurs, 
centre  laquelle  s'etait  prononcee  la  majorite  des  cours  d'appel  et 
des  tribunaux  criminels ,  fut  vivement  combattue ;  on  decida 
meme  que  les  cours  de  justice  criminelle  seraient  sedentaires  (2). 
Puis  on  passa  a  la  discussion  des  articles  que  presentait  la  sec- 

(1)  Locri,  tome  XXIV,  p.  56-57. 

(2)  locri,  tome  XXIV,  p.  99. 


D  INSTRUCTION    CRIMINELLE.  515 

tion  de  Legislation  (c'etait  la  partie  concernant  la  procedure  cri- 
minelle  qui  venait  la  premiere),  at  cela  occupa  les  seances  des  17, 
21,  24,  28  fructidor  an  XII;  3,  10,  U,  17,  21,  U  vendemiaire 
an  XIII  (1). 

Tout  paraissait  aller  sans  encombre,  quand  tout  a  coup  le  jury 
fut  de  nouveau  mis  en  question.  Dans  la  seance  du  1'^''  brumaire 
an  XIII,  presidee  par  Napoleon,  M.  Bigot-Preameneu  rendit 
compte  d'une  deliberation  qui  avait  eu  lieu  dans  la  section  de 
Legislation  «  sur  la  reunion  de  la  justice  criminelle  a  la  justice 
civile.  »  L'idee  de  la  Revolution  avait  ete  au  contraire  de  separer 
completement  les  deux  justices,  et  d'avoir  des  tribunaux  repressifs 
distincts  des  tribunaux  civils.  Mais  la  nouvelle  proposition  parais- 
sait apporter  une  grande  simplification  et  un  accroissement  de 
dignite  pour  la  magistrature.  L'union  avait  ete  d^ja  realisee  pour 
la  police  correctionnelle  par  la  loi  du  27  ventose  an  IV;  les  juge- 
ments  etaient  dorenavant  rendus  en  cette  matiere  par  les  tribu- 
naux de  premiere  instance  :  il  devait  bient6t  en  etre  de  "memo 
pour  les  tribunaux  de  simple  police ,  sauf  une  legere  exception 
qui  a  disparu  de  nos  jours. 

En  matiere  criminelle  voici  comment  on  voulait  proceder  (2)  : 
le  prevenu  devait  etre  traduit  par  le  juge  d'instruction  devant  le 
tribunal  de  premiere  instance,  qui  remplirait  les  fonctions  de  jury 
d'accusation ,  jugeant  au  nombre  de  six  juges,  plus  le  juge  d'ins- 
truction. Les  cours  de  justice  criminelle  etaient  reunies  aux 
cours  d'appel  et  porteraient  le  nom  de  cours  imperiales.  Dans  ces 
cours  etait  formee  une  section,  renouvelee  tons  les  ans  com  me  la 
Toumelle  des  anciens  Parlements,  et  devant  elle  etaient  portes 
non-seulement  les  appels  de  police  correctionnelle ,  mais  encore 
les  proces  criminels  pour  lesquels  la  mise  en  accusation  aurait  ete 
decidee.  Dans  le  projet,  le  jury  etait  conserve,  art.  19  :  «  Les  ju- 
gements  en  matiSre  criminelle  seront  rendus  sur  la  declaration 
d'un  jury.  » 

C'etait  une  revolution  considerable,  qu'on  apportait  par  la  dans 
le  fonctionnement  du  jury.  Jusque-la,  la  reunion  des  jures  dans 

(1)  Locri,  tome  XXIV,  pp.  108-419. 

(2)  Un  projet  fut  presents  en  ce  sens  dans  la  seance  du  '6  brumaire  an  XIII 
{Loeri,  tome  XXIV,  p.  428,  ssq.). 


516  LE   CODE 

chaque  departement  avait  toujours  ete  im  principe ,  et  elle  etait 
passee  dans  les  mceurs.  Vouloir  porter  au  chef-lieu  de  la  cour 
toutes  les  affaires  criminelles  du  ressort,  c' etait  rendre  impossible 
le  service  du  jury ,  deja  obtenu  a  grand'peine.  C'etait  aussi  dans 
un  avenir  prochain  la  substitution  de  la  procedure  ecrite  a  la  pro- 
cedure orale ,  le  transport  des  temoins  au  chef-lieu  de  la  cour 
devenant  trop  difficile  et  trop  couteux.  C'etait  par  un  moyen  de- 
tourne  charger  la  pratique  de  retablir  a  elle  seule  I'ancienne  pro- 
cedure. 

Tout  cela  on  le  vit  bien  des  le  premier  moment;  les  adver- 
saires  comme  les  partisans  du  jury  le  reconnurent.  «  II  est  vrai, 
dit  M.  Boulay ,  que  la  reunion  des  tribunaux  criminels  et  civils 
fera  dans  la  suite  tomber  le  jury.  II  est  certain  que  quand  le 
public  verra  d'un  cote  des  magistrals  eclaires  et  de  I'autre  des 
jures  sans  connaissance  et  sans  experience ,  le  parallele  ne  sera 
pas  avantageux  a  ces  derniers ;  il  semble  done  qu'il  conviendrait 
si  Ton  prononce  la  reunion  de  prononcer  en  meme  temps  la 
suppression  du  jury  (1).  »  M.  Treilhard  avec  une  nouvelle  ardeur 
prit  la  defense  de  I'institution  menacee.  «  Le  jury,  dit-il,  marche 
beaucoup  mieux  que  par  le  passe ;  il  marchera  encore  mieux  par 
la  suite...  Comment  transportera-t-on  sans  des  frais  enormes  et 
sans  faire  languir  les  affaires ,  les  accuses ,  les  temoins ,  les  jures 
de  sept  ou  huit  departements  aux  chefs-lieux  des  cours  d'appel?... 
Se  dispensera-t-on  d'entendre  les  temoins  absents?  Ce  serait 
egorger  I'accuse.  »  Enfln ,  il  adressa  a  I'Empereur  un  argument 
personnel,  qui  contenait  a  la  fois  une  flatterie  et  une  ironie, 
mais  qui  etait  d'une  verite  profonde  :  «  L'institution  du  jury ,  lui 
dit-il,  reussira,  si  Ton  est  bien  persuade  qu'elle  est  dans  les 
vues  de  Votre  Majeste  (2).  »  Napoleon  voulut  attenuer  I'effet 
produit  par  le  projet  et  en  masquer  les  consequences  :  «  II  ne 
s'agit  point,  dit-il  dans  une  interruption,  de  l'institution  du 
jury  (3),  »  et  plus  loin  il  ajouta :  «  Que  si  Ton  voulait  revenirsur 
la  question  du  maintien  du  jury,  on  I'aborderait  avec  franchise, 


(1)  Locr6,  tome  XXIV,  p.  416. 

(2)  J6id.,p.  420,  421,  422. 

(3)  lUd,  p    420. 


d'instruction  criminelle.  317 

mais  cette  question  est  decides  et  Sa  Majeste  a  partage  ropinion 
de  ceux  qui  pensent  que  le  jury  doit  etre  maintenu.  Ce  mode  de 
procedure  parait  6tre  le  meilleur;  et  d'ailleurs  il  a  suffi  pour  I'a- 
dopter  a  Sa  Majeste  qu'il  ne  fut  pas  rejete  par  une  opinion  una- 
nime  (1).  «  Bient6t,  dans  un  discours  assez  long,  il  s'efforcera 
de  refuter  les  objections  de  M.  Treilhard.  Mais  la  verite  ne  tarda 
pas  a  ireparaitre.  L'archichancelier  fit  cette  declaration  :  «  On 
objectera  que  ce  systeme  est  incompatible  avec  la  procedure 
par  jures;  S.  A.  S.  ne  tient  pas  a  cette  institution  et  elle ' 
pense  que  I'opinion  publique  ne  lui  est  pas  favorable  (2).  » 

Dans  la  seance  suivante,  la  question  fut  directement  abordee. 
On  proposait  de  supprimer  le  jury  d'accusation.  M.  Treilhard 
montra  que  c'etait  la  une  motion  inconstitutionnelle ;  la  Cons- 
titution de  I'an  VIII  garantissait  le  double  jury.  On  essaya  de 
subtiliser,  disant  que  le  jury  d'accusation  n'etait  pas  reellement 
supprime,  qu'on  proposait  seulement  de  «  convertir  les  juges 
en  jures  (3).  »  Mais  Napoleon  lui-meme  declara  que  «  la  Cons- 
titution decide  trop  imperativement  que  Taccusalion  sera  admise 
par  des  jures  pour  qu'on  puisse  transporter  ce  pouvoir  a  des 
juges  sans  un  senatus-consulte  (4).  » 

An  fond ,  cette  question  n'avait  pas  une  tres-grande  impor- 
tance. MM.  Treilhard  et  Berlier  ramenerent  le  debat  sur  le  point 
capital,  c'est-a-dire  le  jury  de  jugement,  dont  le  projet  assu- 
rait  la  destruction  prochaine ;  car  «  maintenir  une  institution 
sur  le  papier,  ce  n'est  rien  faire  quand  on  y  place  le  germe  de 
son  aneantissement  (5).  »  lis  demanderent  avec  instance  que  la 
question  fut  definitivement  videe,  et  ils  eurent  aisement  gain 

(1)  Locri,  tome  XXIV,  p.  422,  423. 

(2}  Ibid,  p.  439.  —  Napol^oa  emit  aussi  I'id^e  qu'il  voulait  de  grands  corps 
judiciaires,  «  parce  qu'il  faut  que  si  le  miaistere  public  neglige  ses  devoirs, 
la  cour  criminelle  puisse  le  mander  et  lui  ordonner  de  poursuivre.  »  M.  Treilhard 
/rtpondit  que  «  dans  tous  les  temps  on  a  distingue  le  ministere  de  celui  qui  pour- 
suit  du  ministere  de  celui  qui  juge,  parce  qu'il  serait  centre  la  justice  de  rendre 
le  mtoe  individu  juge  et  partie.  »  —  «  Sa  Majesty  dit  qu'il  n'entre  point  dans 
ses  idees  de  permettre  aux  tribunaux  de  poursuivre  directement  les  crimes ,  mais 
qu'elle  voudrait  que  les  Iribunaux  pussent  en  ordonner  la  poursuite.  »  P.  418,  419. 

(3)M.  Simeon,  ibid.,  p.  437. 

(4)  Ibid.,  p.  439. 

(b)  Ibid.,  p.  443. 


518  LE    CODE 

de  cause.  «  Sa  Majeste  permet  de  discuter  de  nouveau  la  ques- 
tion de  savoir  si  le  jury  sera  maintenu.  »  La  discussion  futcourte. 
MM.  Fourcroy  et  Montalivet  parlerent  pour  le  jury,  et  le  «  Con- 
seil  maintint  la  deliberation  qu'il  a  prise  dans  la  seance  du  16 
prairial  pour  la  conservation  du  jury.  »  Presque  sans  lutte  la 
feinte  avail  ete  dejouee.  Mais  la  bataille  n'etait  pas  encore  defini- 
tivement  gagnee  :  I'organisation  des  cours  criminelles  etait  tou- 
jours  menacante. 

Alors  M.  Berlier  eut  una  idee  feconde.  Adoptant  le  principe 
de  la  reunion  des  deux  justices,  il  trouva  le  moyen  de  le  con- 
cilier  avec  le  fonctionnement  normal  du  jury  :  «  On  commen- 
cerait  par  reunir  tous  les  juges  de  I'une  et  de  I'autre  juridic- 
tion,  ils  ne  formeraient  qu'un  corps  dans  lequel  on  prendrait 
successivement  les   juges  qui  iraient  tenir,  pour  les    matieres 
criminelles,  des  assises  periodiques  au  chef-lieu  de  chaque  de- 
partement,  et  qui,  rentres  a  la  cour  d'appel,  y-  prononceraient 
sur  les  contestations  civiles  de  leurs  concitoyens  (1).  »  C'etait, 
on  le  voit ,  le  systeme  qui  devait  triompher  et  que  I'experience 
a  consacre,  systeme  bien  preferable ,  il  faut  le  dire,  a  celui  de  la 
Constituante ,  le  president  des  assises  devant  etre  un  magistral 
eleve  en  dignite  etchoisi  avec  soin.  Aussi  M.  Treilhard  s'y  rallia 
franchement.  Cette  proposition,  cependant,  fut  combattue  par 
rarchichancelier ;  il  declare  «  que  s'il  admet  le  jury  c'est  par 
condescendance  pour   quelqaes  bons  esprits ,  mais  il  est  per- 
suade que  ce  sera  en  formant  de  grands  corps,  bien  plus  qu'a- 
vec  cette  institution,  qu'on  arrivera  a  etablir  une  justice  rigou- 
reuse  et  imposante  (2).  »  En  definitive,  le  Conseil  decide  en 
principe  «  que  la  justice  civile  et  criminelle  sera  rendue  par  les 
memes  tribunaux;  que  ces  tribunaux  seront  sedentaires;  nean- 
moins  que ,  dans   les  cas  de  necessite ,  la   section   criminelle 
pourra  aller  tenir  ses  assises  hors  du  lieu  ou  siege  le  tribu- 
nal (3).  »  On  ne  faisait  a  I'idee  de  M.  Berlier  qu'une  concession 
illusoire  en  apparence;  mais  le  germe  depose  grandira  et  finira 
par  tout  envahir. 

(1)  locTi,  tome  XXIV,  p.  445. 

(2)  Ibid.,  p.  447. 
^3)  Ibid.,  p.  452. 


d'instruction  criminelle.  si 9 

DaQS  la  seance  du  15  brumaire  an  XIII,  les  partisans  du  jury 
remporterent  un  nouvel  avantage,  mais  qui  ne  pouvait  6tre 
durable  :  «  le  Conseil  adopts  en  principe  que  la  declaration  qu'il 
y  a  lieu  ou  non  a  accusation  continuera  d'etre  donnee  par  des 
jures  (1).  » 

La  discussion  du  projet  de  loi  sur  la  reunion  des  deux  justices 
se  poursuivit  dans  les  seances  des  22  et  29  brumaire  ,.et  20  fri- 
maire  an  XIII.  Trois  nouvelles  redactions  furent  proposees  et 
discutees.  Tout  a  coup  un  incident  se  produisit.  On  venait  «  ren- 
dre  compte  a  Sa  Majeste  des  observations  presentees  par  les 
magistrats  qui  ont  ete  appeles  au  couronnement.  »  Le  grand-juge 
declare  que,  consultes  sur  la  reunion  des  deux  justices,  «  les 
'  pTesidents  et  procureurs  generaux  des  cours  criminelles  n'ont 
pas  attaque  le  systeme  en  soi ,  mais  on  parait  craindre  genera- 
lement  qu'il  ne  puisse  se  concilier  avec  I'appel  des  jures  et  des 
temoins.  Cependant  les  magistrats  assurent  que  I'instruction  par 
jures  a  pris  depuis  quelque  temps  une  meilleure  direction.  Les 
crimes  sent  beaucoup  moins  multiplies  (2).  »  Le  prince  archi- 
chancelier  «  a  trouve  plus  de  magistrats  qu'il  ne  pensait  dans 
I'opinipn  que  I'instruction  par  jures  pent  etre  conservee,  mais 
avec  des  modifications.  Gette  opinion  est  partagee,  meme  par 
ceux  qui  s'etaient  plaints  le  plus  vivement  de  la  direction  que 
le  jury  avait  prise  dans  quelques  circonstances  particulieres ; 
ils  conviennent  que  les  choses  se  sont  ameliorees  et  qu'il  y  a 
moins  d'abus.  A  I'egard  de  la  reunion  le  systeme  leur  parait 
bon,  mais  d'une  execution  difficile  en  le  considerant  sous  le 
rapport  du  jury.  »  —  «  On  est  unanime,  dit  M.  Treilhard,  sur 
I'impossibilite  de  conserver  le  jury,  si  la  justice  criminelle  et 
la  justice  civile  sont  reunies  (3).  »  M.  Berlier  affirme  que  «  se- 
lon  plusieurs  magistrats  avec  lesquels  il  a  eu  I'occasion  de  par- 
ler,  I'abolition  du  jury  sera  la  suite  necessaire  et  tres-prochaine 


(1)  Locri,  tome  XXIV,  p.  454. 

(2)  Ibid.,  p.  509 ;  plus  loin  il  ajoute  «  qu'avant  d'avoir  entendu  les  observations 
des  magistrats  il  etait  persuade  que  I'institution  du  jury  pouVait  se  concilier 
avec  la  reunion  des  deux  justices;  maintenant  il  en  oonfoit  I'impossibilite.  » 
P.  516. 

(3)  Ibid.,  p.  510. 


S20  LE    CODE 

du  projet  de  reunion  arrete  dans  les  dernieres  stances.  Mais 
ce  n'est  pas  la  le  seul  danger  que  ce  projet  nous  fasse  courir; 
il  compromet  aussi  Finstruction  orale  et  le  debat  public.  Or,  si 
les  opinions  sont  divisees  sur  I'institution  du  jury,  du  moins 
tout  le  monde  s'accorde  a  penser  que  I'abolition  de  I'instruc- 
tion  orale  et  du  debat  serait  una  calamite  publique;  Dependant 
cela  ne  tarderait  pas  a  arriver  si  le  projet  etait  maintenu... 
Comme  personne  n'ose  proposer  qu'on  se  contente  de  I'envoi 
de  simples  copies  de  depositions  ainsi  que  cela  se  pratiquait 
dans  I'ancien  regime,  il  faut  maintenir  les  tribunaux  actuels, 
seule  espece  d'organisation  a  laquelle  puisse  s'adapter  I'institu- 
tion bienfaisante  de  la  publicite  des  debats  (1).  »  —  «  M.  De- 
fermon  dit  qu'on  est  generalement  persuade  que  la  reunion; 
detruirait  le  jury,  du  moins  par  la  suite.  Mais  ce  qui  est  surtout 
important,  c'est  de  savoir  si  on  pent  abandonner  cette  insti- 
tution sans  abandonner  en  meme  temps  les  debats  publics,  qui 
sont  la  garantie  de  I'accuse  (2).  » 

L'Empereur  demanda  alors  si  les  tribunaux  avaient  «  emis  una 
opinion  positive  sur  I'institution  du  jury  (3).  »  Las  reponses 
furent'tres-nettes  :  «  La  majorite,  dit  la  grand-juga ,  sa  prononce 
contra  toute  institution  avac  laquelle  le  jury  na  pourrait  pas  se 
concilier  (4) ;  »  et  I'archichanceliar  «  a  trouve  I'opinion  des  ma- 
gistrats  plus  favorable  qu'il  ne  pensait  au  jury.  » 

L'opinion  publique  etait  clairament  exprimee;  aussi  Napoleon, 
decouvrant  sa  veritable  pansee,  declare  que  «  l'opinion  sur  I'insti- 
tution du  jury  parait  trop  doutause  pour  qu'an  supprimant  cette 
institution  on  n'excite  pas  des  regrets  (5).  »  Le  Conseil  «  arrete 
que  la  justice  civile  et  la  justice  criminelle  continuaront  d'etre 
administrees  par  des  tribunaux  differents.  »   • 

Des  lors  tout  semblait  tormina  sur  ca  point ;  il  na  restait  plus 
qu'a  discutar  les  articles  du  projet  du  Code  criminel.  Effective^ 
ment  cette  discussion  fut  reprise,  at  dans  les  trois  seances  du 

(1)  Locri,  tome  XXIV,  p.  510. 

(2)  Ibid.,  p.  512. 

(3)  Ibid.,  p.  516. 

(4)  Ibid.,  p.  517. 

(5)  Ibid.,  p.  519. 


d'instruction  criminelle.  521 

22 ,  27  et  29  frimaire  an  XIII  on  examina  une  nouvelle  redaction 
des  quatre-vingt-dix  premiers  articles,  puis  brusquement  on 
s'arreta,  et  ce  n'est  qu'au  bout  de  trois  ans,  en  1808,  que  les 
travaux  seront  repris.  Comment  expliquer  ce  fait  (1)?  Ne  serait- 
ce  pas  que  dans  la  pensee  de  I'Empereur  la  suppression  du  jury 
etait  decidee;  mais  le  moment  n'etait  pas  favorable,  il  fallait 
attendre;  peut-etre  quelques  annees  suffiraient-elles  pour  effacer 
les  sympathies  que  cette  institution  conservait  encore?  L'ouvrage 
restait  done  inacheve  et  la  menace  suspendue  :  Pendent  opera 
interrupta  minseque ! 


II. 

Aussi  lorqu'en  1808  on  reprend  les  travaux,  le  grand  debat 
s'engage-t-il  de  nouveau.  La  premiere  seance  (23  Janvier  1808) 
s'ouvre  par  un  rapport  de  M.  Treilhard  :  «  II  rend  compte  de  la 
marche  de  la  discussion  qui  a  eu  lieu  en  I'an  XII,  et  ajoute  qu'on 
s'etait  reduit  a  presenter  diverses  questions ,  dont  la  solution  de- 
vait  fixer  les  bases  du  projet;  que  plusieurs  ont  ete  decidees,  que 
d'autres  sont  demeurees  indecises.  m  II  fit  la  lecture  de  ces  ques- 
tions, dont  la  premiere  etait  :  «  L'institution  dujury  sera-t-elle 
conservee?  »  Le  gros  probleme  se  posait  encore,  mele  a  celui 
de  la  reunion  des  deux  justices ,  a  laquelle  tenait  surtout  Napo- 
leon. Dans  cette  premiere  seance  I'attaque  et  la  defense  de  ins- 
titution menacee  se  produisirent  a  peu  pres  dans  les  memes  con- 
ditions qu'en  I'an  XII  et  en  I'an  XIII.  L'Empereur  par  trois  fois 
demanda  comment  le  jury  marchait  depuis  trois  ans;  le  grand- 
juge  repondit  en  termes  assez  vagues  »  qu'en  general ,  les  jures 
remplissent  leurs  fonctions  avec  beaucoup  de  faiblesse,  qu'ils 
encouragent  le  crime  par  I'impunite  (2).  »  Mais  M.  Treilhard, 
tout  en  reconnaissant  qu'il  ne  peut  pas  parler  d'une  maniere  per- 

(1)  Prec^demment,  NapoUon  arait  d^cIarS  qu'il  fallait  se  hater,  « il  n'y  a  auoun 
avantage  a  diff^rer  la  redaction  du  Code  criminel ;  on  se  trouverait  I'annSe  pro- 
chaine  dans  le  mdme  6tat  qu'aujourd'hui.  Le  temps  seul  ne  ramtaerait  pas  k  I'u- 
nit6  d'opinion,  il  ne  Idverait  pas  les  doutes  et  ne  formerait  pas  les  idSes.  »  LocrS, 
tome  XXIV,  p.  440. 

(2)  Locri.  t.  XXIV,  p.  579. 


522  LE   CODE 

tinente  sur  la  marche  actuelle  du  jury,  declare  «  qu'apres  tout 
le  nombre  des  delits  est  diminue.  A  la  verite,  las  tribunaux  spe- 
ciaux  ont  beaucoup  contribue  a  faire  cesser  les  desordres ;  cepen- 
dant  beaucoup  de  crimes  sont  encore  juges  par  jures   (1).  » 
M.  Berenger  «  remarque  deux  faits  :  I'uu  qui  est  de  notoriete , 
c'est  que  les  delits  diminuent ;  I'autre  que  personne  ne  contests, 
c'est  qu'on  n'a  pas  I'exemple  d'une  condamnation  injuste  (2).  » 
La  conclusion  etait  forcee ;  cependant  la  discussion  se  prolongea 
encore  assez  longtemps.  Cambaceres  affirme  de  nouveau  que  le 
jury  «  n'est  pas  dans  le  caractere  de  la  nation  (3),  »  et  M.  Jaubert 
«  que  la  plus  grande  partie  de  la  France  repousse  I'institution 
du  jury.  »  Mais  surtout  Napoleon  donna  de  sa  personne  avec  une 
grande  energie;  il  y  eut  une  sorte  d'argumentation  suivie  entre 
lui  et  M.  Treilhard  :  «  M.  Treilhard  dit  que  le  projet  a  I'incon- 
venient  de  ruiner  au  moins  en  fait  la  publicite  des  debats  qui  est 
la  plus  grande  des  garanties  et  qu'une  instruction  par  ecrit  ne 
saurait  s  uppleer  :  rien  de  plus  desastreux  que  la  procedure  se- 
crete. —  Sa  Majeste  dit  qu'il  ne  s'agit  pas  de  retablir  la  proce- 
dure secrete.  —  M.  Treilhard  observe  qu'on  y  arrivera  infailli- 
blement  et  par  la  force  des  choses.  —  Sa  Majeste  demande  si  la 
reunion  des  deux  justices  ne  presente  aucun  avantage.  —  M. 
Treilhard  repond  qu'elle  formera  de  grands  corps,  mais  qu'il  ne 
voit  pas  que  ce  soil  la  le  moyen  de  concilier  plus  de  respect  a  la 
magistrature.  —  Sa  Majeste  dit  qu'il  en  resultera  encore  la  facilite 
de  convertir  les  proces  civils  en  proces  criminels,  quand  il  y  aura 
lieu.  —  M.  Treilhard  represente  que  cette  conversion  est  tres- 
rare  (4).  —  Sa  Majeste  dit  qu'il  serait  fort  bizarre  que,  pour  le 
plus  mince  inleret  civil ,  un  citoyen  eAt  la  ressource  d'etre  juge 
successivement  par  deux  tribunaux,  et  que  lorsqu'il  s'agit  de  son 
honneur  et  de  sa  vie  on  ne  lui  laissat  qu'un  seul  degre  de  juri- 
diction.  —  M.  Treilhard  dit  qu'au  criminel  il  y  a  aussi  deux  de- 
gres,  puisque  le  prevenu  est  examine  par  le  jury  d' accusation  et 
par  le  jury  de  jugement.  —  Sa  Majeste  dit  que  ce  ne  sont  pas  la 

(1)  Locri,  tome  XXIV,  p.  581. 

(2)  Ibid.,  p.  591. 

(3)  Ibid.,  p.  591. 

(4)  Ibid.,  p.  587. 


d'instruction  criminelle.  S23 

deux  degres  (1).  »  Enfia  le  Conseil,  encore  une  fois ,  ti  decide  ea 
principe  que  le  jury  sera  conserve,  mais  que  la  connaissance  de 
certains  delits  sera  reservee  a  des  tribunaux  particuliers.  » 

On  croirait  que  la  question  est  irrevocablement  resolue ;  qu'elle 
ne  reparaitra  plus.  Erreur;  elle  est  reprise  dans  la  seance  sui- 
vante  le  2  fevrier  1808.  Le  premier  orateur  est  M.  Jaubert,  I'un 
des  adversaires  les  plus  decides  de  la  procedure  par  jures ,  et  ses 
premieres  paroles  eclairent  la  situation  :  «  II  ne  se  dissimule  pas 
que  dans  le  Conseil  Topinion  parait  formee ,  qu'ori  est  decide  a 
maintenir  le  jury  et  qu'il  ne  reste  de  contre-poids  a  ces  suffrages 
imposants  que  le  ginie  et  la  puissance  de  Sa  MajesU  (2).  »  Le  re- 
quisitoire  violent  de  M.  Jaubert,  ou  il  soutient  «  que  les  anciennes 
^  institutions  avaient  des  avantages  formels  sur  cette  institution 
moderne,  »  conclut  «  a  la  suppression  du  jury,  a  la  formation 
de  grands  corps  qui  exercent  a  la  fois  les  deux  sortes  de  justice; 
a  I'organisation  d'une  procedure ,  qui  conserve  la  publicite  des 
debats  et  I'usage  des  defenseurs  (3).  » 

La-dessus  la  discussion  repart  de  plus  belle.  Le  ministre  des 
cultes  conleste  la  possibilite  de  separer  le  droit  du  fait,  il  af- 
firme  qu'en  Angleterre  le  jury  est  regarde  «  comme  une  ins- 
titution funeste  (4.) ,  »  et  que  «  quoique  I'Europe  ait  fait  depuis 
quelques  siecles  de  grands  progres  dans  la  civilisation,  aucune  na- 
tion n'a  cependant  adopte  le  jugement  par  le  jury.  »  M.  Berlier 
vient  une  fois  de  plus  defendre  la  noble  cause  qu'il  a  jusque-la  si 
energiquement  soutenue,  «  I'institution  du  jury  est  tout  essayee ; 
telle  qu'elle  est  elle  a  rendu  de  grands  services  a  la  societe ,  telle 
qu'elle  sera  elle  lui  en  rendra  de  plus  grands  encore  (5).  »  L'Em- 
pereur  lui-meme  parut  cette  fois  decide  :  «  Sa  Majeste  dit  qu'elle 
preferait  I'ancienne  legislation  a  un  systeme  ou  les  memos  juges 
prononceraient  toujours  comme  jures;  I'habitude  les  endurcirait, 
et  neanmoins  I'accuse  n'aurait  plus  les  memos  garanties  qu'autre- 
fois.  II  faut  que  les  fonctions  de  jure  ne  soient  remplies  que  rare- 

(1)  Locri,  tome  XXIV,  p.  588. 
-     (2)  Ibid.,  p.  603. 
.     (3)/6id.,  p.  607. 

(4)  Ibid.,  p.  613. 

(5)  Ibid.,  p.  618. 


324  LE   CODE 

ment  par  la  meme  personne.  »  Le  Conseil  «  adopte  de  nouveau 
le  jugement  par  jures.  » 

C'etait  la  quatrieme  fois  que  cette  decision  etait  prise ;  desor- 
mais  on  n'y  reviendra  plus.  Cependant  I'institution  ne  sortit  pas 
entiere  de  ces  difficultes ;  le  jury  d'accusation  y  perit.  M.  Jau- 
bert  declara  «  qu'avec  le  jury  d'accusation  la  societe  n'a  plus 
de  garanties ;  »  et  Napoleon ,  dans  un  expose  tres-bien  fait ,  de- 
montra  que  ce  jury  etait  forcement  impropre  a  la  t§,che  qu'il 
devait  remplir.  «  Le  Conseil  decide  que  le  jury  d'accusation 
sera  supprime  (1).  » 

Restait  la  grosse  question  de  I'organisation  des  cours  crimi- 
nelles  et  de  la  reunion  des  deux  justices.  Un  projet  avait  ete 
apporte  par  Napoleon  a  la  seance  du  23  Janvier  (2).  Dans  celle 
du  2  fevrier,  il  en  communiqua  un  nouveau  (3).  La  section  de 
Legislation  se  mit  a  travailler  sur  ces  donnees  ,  et  dans  la  seance 
du  6  fevrier,  Treilhard  presenta  une  autre  redaction  (4) ;  il  de- 
clara que  la  section  avait  fondu  les  deux  projets  en  suivant  sur- 
tout  le  second  :  «  au  surplus  elle  ne  presente  que  des  bases ,  afin 
que  Sa  Majesty  et  son  conseil  puissent  fixer  leurs  idees.  »  Une 
discussion  s'engagea  alors,  et  d'apres  ses  resultats,  la  section  de 
Legislation  prepara  sept  nouveaux  articles,  qui  furent  discutes 
dans  la  seance  du  16  fevrier  (5).  Une  cinquieme,  sixieme  et 
septieme  redaction  furent  successivement  proposees.  Enfin,  apres 
tous  ces  tatonnements,  il  fiit  decide,  ainsi  que  I'avait  jadis  propose 
M.  Berlier,  que  la  justice  criminelle  serait  reunie  a  la  civile,  mais 
que  pourtant  les  jures  de  chaque  departement  s'assembleraient 
au  chef-lieu  du  departement.  On  conciliait  les  deux  principes  en 
substituant  au  tribunal  criminel  permanent  des  assises  presidees 
par  des  membres  de  la  cour  d'appel,  siegeant  avec  des  assesseurs 
pris  soit  parmi  les  membres  de  la  cour,  soit  parmi  ceux  des  tri- 
bunaux  de  premiere  instance.  La  solution  du  probleme  etait 
trouvee. 

(1)  Locri,  tome  XXIV,  p.  622. 

(2)  Ibid.,  p.  582. 

(3)  [bid.,  p.  591,  ssq. 
{i)Ibid.,  p.  601. 

(5)  Ibid.,  p.  624 ,  ssq. 


d'instruction  criminelle.  S2S 

Quant  a  la  raise  en  accusation,  il  y  eut  aussi  des  hesitations  : 
«  Le  Conseil,  dit  M.  Treilhard,  a  place  d'abord  Taccusation  dansles 
tribunaux  de  premiere  instance ;  ensuite  on  I'a  deleguee  aux  cours 
imperiales,  et  la  section  pour  ecarter  ce  systeme,  qu'elle  croit  dan- 
gereux,  a  imagine  de  faire  statuer  par  le  procureur  imperial  et  le 
juge  d'instruction  (1).  »  Si  ces  deux  magistrats  etaient  d'accord, 
le  prevenu  devait  etre  traduit  devant  les  assises ;  s'ils  etaient 
d'avis  opposes,  on  en  referait  a  la  cour.  C'etait  la  quelque  chose 
d'anormal;  aussi  une  nouvelle  redaction,  celle  du  7  fevrier  1808, 
vint  ici  encore  donner  la  solution.  Elle  creait  la  chambre  du  con- 
seil, composee  de  trois  juges  ,  dont  le  juge  d'instruction  ,  qui  de- 
vait statuer,  sur  les  conclusions  du  ministere  public,  dans  toutes 
les  affaires  dont  I'instruction  etait  complete.  Une  seule  voix ,  s'il 
s'agissait  d'un  crime ,  sufflsait  pour  que  les  pieces  fussent  ren- 
voyees  a  la  cour,  dont  la  section  criminelle  decidait  definitivement 
la  mise  en  accusation  ,  sauf  recoursa  la  Cour  de  cassation.  L'acte 
d'accusation  alors  seulement  etait  dresse  par  le  procureur  ge- 
neral. 

La  chambre  du  conseil  decidant ,  c'etait  I'ancien  reglement  a 
I' extraordinaire ,  avec  cette  modification,  reclamee  par  les  cahiers 
de  1789,  que  trois  juges  intervenaient  et  non  un  seul  :  "  Autre- 
fois, dit  M.  Regnaud,  le  decret  qui  constituait  en  etat  d'accusa- 
tion etait  rendu  par  un  seul  juge  criminel  :  on  pent  se  rappeler 
les  applaudissements  qu'excita  le  decret  de  I'Assemblee  Consti- 
tuante,  qui  donna  des  assesseurs  a  ce  juge  jusque-la  isole.  C'est 
parce  que  le  conseil  a  compte  sur  le  maintien  de  cet  ordre  de 
choses,  qu'il  a  vote  la  suppression  du  jury  d'accusation  (2).  »  La 
chambre  de  la  cour  d'appel  qui  statuait.en  dernier  lieu,  c'etait  le 
jury  d'accusation ,  dont  les  fonctions  etaient  transportees  a  des 
magistrats.  Le  systeme  nouveau  avait  done  reuni  etfondu  ensem- 
ble les  principes  de  I'ancienne  jurisprudence  et  les  regies  des  lois 
recentes. 

Pour  sanctionner  ces  modifications  profondes  dans  I'organisa- 
tion  de  la  procedure  par  jures ,  on  pensa  d'abord  qu'un  senatus- 

(1)  /.ocr^,  tome XXIV,  p.  656. 

(2)  Ibid.,  p.  666. 


526  '  LE    C0D3 

consulte  etait  necessaire,  et  un  projet  de  senatus-consulte  fut 
meme  presente  dans  la  seance  du  5  mars  1808  (1).  Mais  M.  Treil- 
hard  qui ,  jusque-la ,  avait  vu  dans  toute  atteinte  portee  au  jury 
une  atteinte  a  la  Constitution,  maintenant  que  le  jury  de  jugement 
etait  definitivement  sauve,  vint  soutenir  I'opinion  contraire  :  «  Las 
constitutions ,  dit-il ,  ordonnent  qu'il  y  aura  un  jury  d'accusation, 
mais  elles  ne  defendent  pas  de  le  placer  dans  un  tribunal  (2) ;  »  et 
Ton  passa  outre. 

(1)  Locr'i,  tome  XXIV,  p.  667,  ssq. 

(2)  Ibid.,  p.  692. 


d'instruction  criminelle.  527 


CHAPITRE  TROISIEME. 

L'Ordonnance  de  1670  et  les  lois  de  la  Revolution  dans  le  Code 
d'instruction  criminelle. 


I.  La  division  des  pouvoirs  entre  le  ministfere  public  et  le  juge  d'instruction.  — 
II.  Les  actes  et  les  formes  de  I'instruction  prtparatoire.  —  III.  La  procedure 
devant  les  juridictions  de  jugement  :  ce  qui  reste  de  la  procedure  6crite  ; 
lespreuves  morales.  —  IV.  La  chose  jugee;  la  justice  retenue;  la  rehabilitation 
et  la  revision. 

Dans  la  grande  lutte  qui  durait  depuis  si  longtemps  entre  la 
procedure  par  jures  et  I'Ordonnance  de  1670,  la  premiere  venait 
de  remporter  une  victoire  decisive.  La  posterite  doit  etre  recon- 
naissante  aux  hommes  qui,  dans  le  conseil  d'Etat  de  I'Empire, 
surent  resister  a  la  volonte  peu  deguisee  de  I'Empereur,  et  dont 
les  courageux  efforts  firent  maintenir  le  jury  dans  nos  lois.  Mais 
le  systems  de  I'ancienne  procedure,  repousse  defmitivement  sur 
ce  point,  laissa  des  traces  profondes  dans  d'autres  parties  de  la 
loi ,  ou  il  parvint  k  dominer  :  I'instruction  preparatoire  fut  sur- 
tout  marquee  de  sa  dure  empreinte. 


I. 

Lorsqu'en  fructidor  an  XII  et  en  vendemiaire  an  XIII  les  ar- 
ticles du  projet  de  Code  criminel  furent  discutes  devant  le  conseil 
d'Etat  pour  la  premiere  fois  (i),  ils  presentaient  pour  I'instruction 
preparatoire  un  systeme  assez  curieux.  Le  projet  maintenait  dans 
chaque  arrondissement  un  magistrat  de  surete  et  un  juge  d'ins- 
truction;  mais  leurs  fonctions  etaient  fort  differentes  de  ce  qu'elles 
furent  en  deflnitive.  Les  magistrats  de  siirete  ne  poursuivaient  pas 
seulement;  ils  instruisaient,  et  k  cetegard  on  avaitrencheri  sur  la 

(1)  Locre,  tome  XXIV,  pp.  408-409. 


528  LE    CODE 

loi  de  I'an  IX  (1).  lis  recevaient  les  denonciations  et  les  plaintes 
(art.  39-42 ;  44-52) ;  c'etaient  eux  qui  normalement  entendaient 
les  temoins;  et  les  articles  64  a  T9,  places  sous  la  rubrique  de 
I'audition  des  temoins  et  qui  plus  tard  passerent  presque  integra- 
lement  dans  le  Code  d'instruction  criminelle[,  etaient  copies  sur 
rOrdonnance  de  1670;  dans  la  discussion  on  s'y  refera  d'ailleurs 
avec  empressement  (2).  C'etait  le  magistrat  de  surete  qui  faisait 
les  visites  domiciliaires  et  operait  les  saisies  (art.  80  a  86  :  Des 
preuves  par  dcrit  et  des  pieces  de  conviction) ;  lui  enfin  qui  lancait 
les  mandats  d'amener,  de  comparution  et  de  depot,  et  interrogeait 
I'inculpe  (art.  87  a  95!).  II  faut  remarquer  que  le  mandat  de  dep6t 
elait  defmi  I'ordre,  d'apres  lequel  «  le  prfivenu  etait  maintenu 
provisoirement  en  etat  d'arrestation(3),  »  et  que  le  magistrat  de 
sHrete  devait  «  remettre  dans  les  vingt-quatre  heures ,  a  compter 
du  jour,  soit  du  mandat  de  depot,  ou  de  comparution,  soil  de 
tout  autre  dernier  acte  de  son  ministere,  toutes  les  pieces  au  greffe 
du  tribunal  correctioanel ,  apres  les  avoir  cotees,  et  en  avertir 
le  juge  d'instruction.  »  Le  juge  d'instruction  n'interVenait  qu'a 
ce  moment  (art.  103-106)  (4) ;  il  completait,  refaisait  meme  au  be- 
soin  la  procedure,  la  coramuniquant  constamment  au  magistrat 
de  surete.  II  devait  interroger  a  nouveau  le  prevenu,  et  confor- 
mement  a  la  loi  de  I'an  IX,  ce  dernier  alors  avait  connaissance 
des  charges  (5),  alors  le  juge  d'instruction  decernait,  s'ily  avait 

(1)  Projet  primitif,  art.  480  :  «  Les  magistrals  de  siiretfi ,  considSrfe  oomme 
officiers  de  police  judiciaire,  soat  charges  1"  de  recevoir  les  denonciations  et  les 
plaintes...,  2»  de  constater  par  des  procfes-verbaux  les  traces  des  delits;  3"  de 
recueillir  les  indices  et  les  preuves  qui  existent  contre  les  pr^venus ;  4"  de  les 
traduire  devant  les  propreteurs.  » 

(2)  L'article  72  portait  que  les  enfants  au-dessous  de  quinze  ans  pourraienl 
fitre  entendus  par  forme  de  declaration  et  sans  prestation  de  serment.  L'archj- 
chancelier  demande  «  que  pour  ne  laisser  aucun  doute  sur  I'usage  que  la  justice 
pourra  faire  des.d^clarations  dont  parle  oet  article,  on  ajoute  ces  mots,  qui  se  trou- 
vent  dans  les  ordonnances,  «  sauf  a  y  avoir  tel  ^gard  que  de  raison.  »  M.  Tar- 
get dit  que  ces  expressions  de  rOrdonnance  ont  paru  trop  vagues.  »  Locr6,  tome 
XXIV,  p.  167-168. 

(3)  Arlicle  80. 

(4)  Art.  103  :  «  II  est  charge  de  completer  I'instruction  oommenc^e  par  le  ma- 
gistrat de  stlrete ,  ou  mgme  de  la  refaire  en  tout  ou  en  partie ,  quand  il  le  jugera 
convenable.  » 

(5)  «  Le  juge  d'instruction  interrogera  le  prSvenu  avant  que  celui-ci  ait  eu 


d'instruction  criminelle.  S29 

lieu ,  le  mandat  d'arr^t.  II  rendait  enfin  des  ordonnances  de  ren- 
voi ou  de  non-lieu,  mais  toutes  les  fois  qu'il  n'avait  pas  adopte  les 
requisitions  du  ministere  public ,  «  les  questions  tant  de  fait  que 
de  droit  etaient  soumises  a  la  Cour  de  justice  criminelle  dans  la 
chambre  du  conseil ;  la  decision  prise  pouvait  etre  dans  les  vingt- 
quatre  heures  attaquee  devant  la  Cour  de  cassation  par  le  procu- 
reur  general.  » 

La  premiere  fois  que  les  articles  vinrent  en  discussion  ils  pas- 
serent  sans  encombre ;  mais  lorsqu'ils  revinrent  dans  les  seances 
des  22,  27,  29  frimaire  an  XIII,  ily  eut  quelques  protestations. 
Dans  la  redaction  nouvelle  on  proposait  de  donner  aux  procu- 
reurs  imperiaux,  et,  a  leur  defaut,  a  leurs  substituts  les  fonctions 
d'officier  de  surete  (point  sur  lequel  on  ne  s'entendit  pas  alors) 
mais  ces  fonctions  restaient  telles  que  nous  venons  de  les  decrire. 
L'archichancelier  remarque  «  qu'on  a  transfere  a  la  partie  pu- 
blique  les  fonctions  qui  appartenaient  autrefois  exclusivement  au 
juge.  On  rentre ,  il  est  vrai ,  dans  le  systeme  actuel  ou  le  magis- 
tral de  surete  cumule  la  double  fonction  de  partie  publique  et 
d'instructeur;  mais  I'ancien  systeme  avait  I'avantage  de  mettre 
deux  magistrals  en  mouvement ,  de  maniere  que  I'inaction  d'un 
seul  homme  ne  sufflsait  point  pour  paralyser  la  justice.  M.  Defer- 
mon  dit  que  I'ancien  systeme  donnait  aussi  plus  de  garanties  aux 
prevenus  :  la  partie  publique  requerait ,  le  juge  prononcait;  ainsi 
I'autorite  n'etait  pas  concentree  dans  une  seule  main.  On  ne  ver- 
rait  pas  sans  effroi  le  mSme  magistral  recevoir  la  plainte  ou  la 
denoncialion ,  entendre  les  temoins  et  disposer  de  la  liberie  de  la 
personne  inculpee  (1).  »  Mais  on  objecta  la  necessite  d'une  pro- 
cedure rapide ,  le  caraclere  provisoire  des  mesures  prises  par  le 
magistral  de  siirete ;  la  question  d'ailleurs  se  perdit  dans  une  autre 
plus  vaste  posee  par  Napoleon  :  quels  seraienl  les  rapports  des 
magistrals  de  surete  el  des  prefets? 

En  1808,  quand  la  discussion  fut  reprise,  la  bataille  s'engagea; 


communication  des  charges.  II  en  sera  fait  lecture  au  prfivenu  aprfes  son  interro- 
gatoire ,  et,  s'il  le  demande,  il  sera  de  suite  interrogS  k  nouveau.  »  Cette  commu- 
nication par  une  simple  lecture  rappelait  assez  les  proc6d6s  de  I'Ordonnance. 
(l)Locr^,  tome  XXIV,  p.  552. 

34 


530  LE    CODE 

elle  dura  pendant  les  seances  des  4,  7  et  11  juin  1808  (1).  Cette 
fois  encore  les  partisans  des  anciennes  formes  se  trouverent  en" 
face  de  ceux  qui  tenaient  pour  les  precedes  suivis  dans  les  lois  de 
I'epoque  intermediaire ,  mais  ici  ils  avaient  pleinement  raison,  et 
ils  obtinrent  gain  de  cause.  Le  ministre  des  cultes  et  rarchichan- 
celier  furent  tres-energiques  :  «  Par  son  institution  le  ministere 
public  est  partie;,  a  ce  titre  il  lui  appartient  de  poursuivre, 
mais  par  cela  meme  il  serait  contre  la  justice  de  le  laisser  faire 
des  actes  d'instruction  (2).  »  —  «  Le  procureur  imperial  serait  un 
petit  tyran  qui  ferait  trembler  la  cite...  Tous  les  citoyens  tremble- 
raient  s'ils  voyaient  dans  le  meme  homme  le  pouvoir  de  les  accu- 
ser et  celui  de  recueillir  ce  qui  peut  justifler  son  accusation  (3).  » 
Et  M.  Jaubert  ajoute  «  qu'on  prenne  garde  que  le  projet  ferme 
pendant  un  temps  bien  considerable  I'acces  de  la  justice  au  mal- 
heureux  prevenu.  Le  procureur  imperial  redige  le  proces-verbal 
et  il  le  redige  seul. . .  il  entend  les  temoins ,  il  s'empare  meme  des 
personnes ,  et  tant  qu'elles  sont  sous  sa  main  il  leur  est  impos- 
sible d'implorer  le  secours  d'aucune  autorite.  A  qui  propose-t-on 
de  confier  un  pouvoir  aussi  redoutable  ?  A  un  officier  revocable  et 
aux  ordres  du  procureur  general. . .  il  s'en  faut  de  beaucoup  que 
cette  ancienne  legislation,  contre  laquelle  on  a  pousse  tant  de 
clameurs,  compromit  a  ce  point  la  siirete  des  Francais  {i).  » 

La  tradition,  on  le  voit,  parlait  contre  le  projet  :  «  Quand  on 
lit  le  projet  de  Code ,  on  s'apercoit  que  beaucoup  de  ses  disposi- 
tions sont  empruntees  a  I'Ordonnance  de  1670.  Telle  est  entre 
autre  celle  qui  concerne  le  reglement  a  I'extraordinaire.  II  faut 
done  aussi  se  rappeler  que,  dans  le  systeme  de  cette  Ordonnance, 
les  deux  fonctions  etaient  separees,  que  toujours  on  a  vu  du 
danger  k  les  cumuler  (S).  »  —  «  Autrefois  le  procureur  general 
avait ,  sous  le  rapport  des  poursuites ,  le  pouvoir  le  plus  etendu ; 
les  cours  ne  pouvaient  I'empecher  d'en  user...  mais  les  Ordon- 
nances  maintenaient  constamment  le  procureur  general  dans  I'at- 

(1)  Locri,  tome  XXV,  p.  123,  ssq 

(2)  Ibid.,  p.  124. 

(3)  Ibid.,  pp.  129-131. 

(4)  Ibid.,  p.  136. 

(5)  Cambaofirfes,  ibid.,  p.  130. 


D  INSTRUCTION   CRIMINELLE.  S3l 

titude  de  partie  poursuivante.  C'est  la  ce  qu'il  importe  de  con- 
server  (1).  » 

Cependant,  MM.  Treilhard,  Merlin,  Regnaud  de  Saint-Jean 
d'Angely,  soutenaient  le  projet  :  il  fallait  disaient-ils,  que  le  pro- 
cureur,  pour  poursuivre,  pM  6tre  instruit  des  fails;  c'etait  d'ail- 
-leurs  le  systeme  inaugure  par  la  loi  de  pluvifise.  lis  soutenaient 
que  les  anciens  principes  ne  pouvaient  plus  gtre  appliques  au 
jourd'hui;  ils  faisaient  remarquer  que,  des  qu'il  avait  procede 
aux  premieres  constatations ,  le  ministere  public  devait  dans 
les  vingt-quatre  heures  remettre  I'affaire  au  juge  d'instruction. 
Mais  leur  argument  le  plus  specieux  etait  qu'il  fallait  aller  vite , 
et  que  forcer  le  procureur  a  requerir  le  juge,  entrainait  une 
lenteur  dangereuse.  L'archichancelier  fit  tomber  cette  objection , 
en  lui  faisant  une  juste  part :  il  admit  qu'en  cas  de  flagrant  delit, 
s'il  s'agissait  d'un  crime ,  le  procureur  imperial  serait  autorise  a 
faire  les  actes  d'instruction  urgents  :  «  Dans  le  cas  de  flagrant 
delit,  peu  importe  par  qui  le  fait  est  constate.  II  n'y  a  nul  in- 
convenient, par  exemple ,  a  ce  que  le  procureur  imperial  constate 
qu'on  a  trouve  un  cadavre,  mais  il  serait  tres-dangereux  de  lui 
accorder  le  meme  pouvoir  hors  le  cas  de  flagrant  delit...  qui  ne 
tremblerait  de  voir  tomber  chez  soi  un  seul  homme  revStu  d'un 
pouvoir  aussi  inquisitorial  (2)?  »  Cela  etait  satisfaisant ,  et  il  fal- 
lait reconnaitre  «  que  la  distinction  entre  les  delits  flagrants  et 
non  flagrants  parait  avoir  un  fondement  fort  raisonnable ,  pour 
differencier  les  attributions  qu'on  discute;  en  I'admettant,  la 
garantie  publique  n'en  eprouve  point  un  notable  relachement  (3). » 
M.  Berlier  demanda  aussi ,  si  on  ne  pourrait  pas ,  «  sur  la  recla- 
mation du  maitre  ou  de  chef  de  maison ,  admettre  la  meme  forme 
de  poursuite  ou  d'instruction,  que  pour  les  flagrants  delits.  » 

Ainsi  la  division  des  fonctions  entre  le  juge  et  le  procureur, 
la  distinction  entre  la  poursuite  et  I'instruction ,  furent  admises 
avec  ces  temperaments.  Voila  comment  il  se  fait  que  le  flagrant 
delit  a  repris  dans  le  Code  d'instruction  criminelle  une  place 
importante ,  qu'il  n'occupe  d'ordinaire  que  dans  les  legislations 

(1)  Cambacerds,  Locri,  tome  XXV,  p.  146. 

(2)  Locri,  tome  XXV,  pp.  147-148. 

(3)  M.  Berlier,  ibid.,  pp.  130-131. 


532  LE    CODE 

primitives.  Voila  aussi  comment  il  se  fait  que  la  loi,  a  cote 
du  flagrant  delit  proprement  dit ,  enumere  un  certain  nombre 
de  cas,  qui  y  sont  assimiles.  —  Dans  les  seances  des  18  et  21 
juin  1808,  on  presenta  une  nouvelle  redaction  des  chapitres  IV 
et  V.  L'audition  des  t^moins,  la  recherche  des  preuves  par  ecrit/ 
la  delivrance  des  mandats ,  etaient  rendus  au  juge  d'instruction. 
Cependant  quelques  traces  de  la  redaction  primitive  ont  subsiste. 
C'est  dans  la  section  qui  traite  «  du  mode  de  proceder  des  pro- 
cureurs  dans  I'exercice  de  leurs  fonctions ,  »  que  se  trouvent  les 
regies  sur  la  confection  des  proces-verbaux  d'instruction,  et  cela 
a  propos  du  flagrant  delit.  —  Conformement  a  la  logique  et  aux 
traditions  de  I'ancien  droit,  les  plaintes  qui  saisissent  la  justice, 
doivent  §tre  en  principe  adressees  au  juge  d'instruction  (art.  63), 
les  denonciations  etant  adressees  au  procureur  (art.  31) ;  mais 
les  plaintes  peuvent  aussi  etre  adressees  au  procureur,  qui  les 
transmet  alors  avec  ses  requisitions  au  juge  d'instruction  (art.  64). 
Quant  a  la  division  des  fonctions  entre  les  deux  magistrats , 
les  principes  traditionnels  de  I'ancien  droit  avaient  done  triom- 
phe  et  Ton  ne  pent  que  s'en  feliciter  :  mais  en  meme  temps  ils 
allaient  reparaitre  sur  d'autres  points  et  donner  a  I'instruction 
preparatoire  ces  formes  rigoureuses  et  ces  regies  pen  liberales, 
qu'elle  a  pour  la  plupart  conservees  jusqu'a  nos  jours. 


II. 

L'instruction  preparatoire,  necessaire  quand  il  s'agit  d'un 
crime,  facultative  quand  il  s'agit  d'un  delit,  sera  une  proce- 
dure secrete  et  ecrite;  elle  ne  sera  point  contradictoire ,  et  la 
detention  preventive  y  formera  une  regie  susceptible  d'un  fort 
petit  nombre  d'exceptions.  L'instruction  preparatoire  du  Code 
d'instruction  criminelle  c'est  la  procedure  de  I'Ordonnance  de 
1670,  jusqu'au  reglement  k  I'extraordinaire. 

D'abord,  l'audition  des  temoins  a  lieu  secretement ;  le  prevenu 
ne  peut  y  assister,  fut-il  detenu  lorsqu'elle  a  lieu;  chaque  te- 
moin  depose  separement  en  presence  du  juge  seul  et  de  son 
greffier.  Les  articles  71  a  86,  qui  epuisent  la  matiere,  repro- 
duisent  presque  textuellement  le  titre  vi  de  I'Ordonnance.  Une 


d'instruction  criminelle.  S33 

difference  assez  importante  est  pourtant  a  signaler.  L'Ordon^ 
nance  (tit.  vi,  art.  I)  declarait  que  «  les  temoins  sont  admiais- 
tres  par  nos  procureurs  ou  ceux  des  seigneurs,  comme  aussi 
par  les  parties  civiles.  »  Cela  interdisait  absolument  au  jug6 
d'entendre  les  temoins  que  I'inculpe  voudrait  produire ;  le  Code 
d'instruction  criminelle  decide  que  «  le  juge  d'instruction  fera 
citer  devant  lui  les  personnes  qui  auront  ete  indiquees  par  la 
denonciation ,  par  la  plaints  ou  autrement.  »  L'addition  de  ce 
dernier  mot  permet  au  juge  d'entendre  les  temoins  que  le  pre- 
venu  designerait,  mais  c'est  pour  lui  purement  une  faculte; 
I'inculpe  ne  saurait  faire  citer  directetnent  ses  temoiiis  et  forcer 
le  juge  a  les  entendre. 

Ces  articles  furent  adopt^s  cependant  presque  sans  discus- 
sion (1) ;  et  sur  ce  point  les  observations  de  la  commission  du 
Corps  legislatif  furent  insignifiantes  (2).  La  loi  de  pluviose  avait 
prepare  les  esprits  a  accepter  ces  principes.  L'Expose  des  mo- 
tifs, par  M.  Treilhard,  est  fort  laconique  :  «  Vous  trouverez, 
Messieurs,  dans  le  chapitre  des  juges  d'instruction,  des  regies 
tres-detaillees  sur  les  plaintes  ,  sur  la  maniere  de  se  rendre 
partie  civile ,  sur  celle  dont  les  temoins  doivent  etre  entendus , 
sur  le  serment  qu'ils  doivent  preter,  sur  I'obligation  de  com- 
paraitre  quand  ils  sont  cit^s,  sur  les  voies  de  coaction  quand 
ils  font  defaut  et  sur  le  transport  du  juge  pour  les  entendre 
quand  ils  sont  hors  d'etat  de  se  presenter.  J'indique  seulement 
ces  dispositions  qui  ne  peuvent  gtre  susceptibles  d'aucune  diffi- 
culte,  et  qui  d'ailleurs  ne  sont  point  nouvelles  (3).  » 

Pour  les  perquisitions  et  les  saisies,  quelques  garanties  sont 
inscrites  dans  la  loi;  elles  devront  atoir  lieu  en  presence  du 
prevenu  s'il  a  ete  arrgte^  (art.  39  et  89),  et  celui-ci  pourra  four- 
nir  des  explicatioiis ,  reconnaitra  les  objets  saisis  et  paraphera 
les  scelles.  Ces  dispositions  etaient  empruntees ,  non  a  I'Ordon- 
nance,  mais  au  Code  des  d61its  et  des  peines  (art.  125-131). 

Quant  aux  expertises  medico-legales  ou  autres ,  aucune  contra- 

(1)  Seances  du  21  juin  1808,  Locri,  tome  XXV,  p.  168,  ssq.;  26  aaflt,  ihid., 
p.  192,  ssq.;  4  octobre,  ibid.,  p.  214. 

(2)  Locri,  tome  XXV,  p.  215,  ssq. 
P)  ibid.,  p.  243. 


534  LE   CODE 

diction  n'est  ouverte  au  prevenu;  I'article  46,  sur  ce  point  si 
important,  ne  determine  que  le  serment  a  preter  par  les  experts. 
La  defense  ne  pent  point  contester  le  choix  que  le  juge  a  fait 
d'un  expert;  ni,  a  plus  forte  raison,  faire  proceder  officiellement 
a  une  contre-expertise.  A  cet  egard  ,  il  faut  le  dire ,  le  Code 
des  delits  et  des  peines  avait  ete  moins  liberal  encore  que 
rOrdonnance  (Code  de  brumaire  an  I,V,  art.  103;  Ord.  1670, 
tit.  v). 

Restent  les  points  les  plus  graves  peut-etre  de  I'instruction 

preparatoire  :  la  comparution  du  prevenu  et  son  interrogatoire , 

la  detention  preventive  et  la  possibilite  d'une  mise  en  liberte 

^rovisoire.  Ici ,  c'est  I'ancien  droit  qui  reparait ,  quoique  la  plu- 

,-^art  des  termes  soient  empruates  aux  lois  de  I'epoque  interm6- 

diaire. 

Les  quatre  mandats,  crees  successivement  par  les  lois  de  1791, 
de  Fan  IV  et  de  I'an  IX,  sont  tous  conserves  et  gardent  en 
general  leur  ancien  caractere.  Les  mandats  de  comparution  et 
d'arret  ne  peuvent  etre  lances  que  par  le  juge  d'instruction ;  il 
en  est  de  meme  en  principe  du  mandat  d'amener;  cependant, 
en  cas  de  crime  flagrant,  il  pent  etre  delivre  par  le  procureur 
(art.  40).  En  regie  generale,  la  procedure  s'ouvrait  par  le  mandat 
d'amener;  au  cas  seulement  oii  I'inculpe  etait  domicilie  et  oti  il 
s'agissait  d'un  simple  delit ,  le  juge  pouvait  se  contenter  de  lan- 
cer d'abord  un  mandat  de  comparution  (art.  91).  Cette  fonction 
nouvelle  du  mandat  de  comparution  fut  introduite  sur  la  de- 
mande  de  la  commission  du  Corps  legislatif  :  «  L'experience , 
disait-elle,  a  prouve  qu'il  pouvait  y  avoir  de  graves  inconve- 
nients  a  faire  arreter  et  conduire  scandaleusement  par  la  gen- 
darmerie un  domicilie,  prevenu  d 'avoir  commis  dans  une  rixe 
des  exces,  qui,  s'ils  sont  prouves,  n'entrainent  que  quinze  jours 
ou  un  mois  de  prison...  Ces  reflexions  conduisent  a  regarder 
comme  avantageux  de  laisser  a  la  prudence  du  juge  d'instruc- 
tion de  decerner  centre  I'inculpe  de  delits  de  police  correction- 
nelle  de  simples  mandats  de  comparution.  On  ferait  renaitre 
ainsi  la  sagesse  de  I'article  du  titre  x  de  I'Ordonnance  de  1670, 
oil  il  est  dit  :  «  Selon  la  qualite  des  crimes ,  des  preuves  et  des 
personnes ,  il  sera  ordonne  que  la  partie  sera  assignee  pour  etre 


d'instruction  criminelle.  "53S 

ouie,  ajournee  a  comparoir  ou  prise  de  corps  (1).  »  Le  mandat 
d'arret  etait  celui  qui  devait  etablir  la  detention  preventive ;  il 
exigeait  les  conclusions  prealables  du  ministere  public,  et  enon- 
gait  le  fait,  objet  de  la  poursuite,  et  la  loi  qui  le  qualifiait 
comme  crime  ou  comme  delit  (art.  96).  Le  mandat  de  dep6t 
etait  maintenu,  mais  avec  son  caractere  provisoire;  il  etait  de- 
livre  par  le  procureur  imperial,  lorsqu'un  mandat  d'amener 
etant  lance,  le  prevenu  etait  trouve,  a  plus  de  deux  jours  de 
sadate,  hors  de  I'arrondissement  de  rofficier  qui  avait  decerne 
ce  mandat  et  a  plus  de  cinq  myriametres  du  domicile  de  cet 
officier  (art.  100)  (2).  Le  mandat  de  depot  n'avait,  dans  le  Code 
de  1808,  que  deux  autres  cas  d'application ,  se  referant  a  des 
hypotheses  exceptionnelles  (3). 

Le  Code  d'instruction  criminelle  ne  s'occupe  des  interroga- 
toires  que  pour  fixer  le  delai ,  dans  lequel  le  premier  interroga- 
toire  doit  avoir  lieu  (art.  93) ;  mais  par  la  meme,  robservation  de 
ce  delai  est  la  seule  garantie  qu'il  assure  en  cette  'matiere  au 
preVenu.  L'interrogatoire  aura  lieu  en  secret,  cela  a  toujours  ete 
la  regie ;  le  prevenu ,  seul  en  face  du  juge ,  ne  connattra  de  ce 
qui  a  ete  fait  jusque-la  contre  lui,  que  ce  que  le  juge  voudra 
bien  lui  communiquer.  Toutes  les  garanties  quedepuis  1789  on 
avait  donnees  a  la  defense  ont  disparu  peu  a  peu.  En  1789,  on 
faisait  lire  a  I'inculpe ,  avant  de  I'interroger,  la  plainte  et  tons 
les  documents  qu'avait  deja  recueillis  le  juge;  il  avait  des  lors 
un  conseil  avec  lequel  on  voulait  qu'il  put  conferer  avant  de 
repondre.  La  loi  de  1791  voulait  que,  si  I'inculpe  avait  ete  ar- 

(1)  Locr6,  tome  XXV,  p.  228-229.  Le  rapport  de  M.  Dhaubersart  indique  aussl 
le  mandat  de  comparutioii  comme  une  resurrection  du  decret  d'assign^  pour  6tre 
ou'i.  Ibid.,  p.  255. 

(2)  Dans  cette  hypothfese,  le  Code  de  brumaire  an  IV  d^cidait  {art.  74)  que  le 
prevenu  pouvait  se  «  falre  garder  4  vue  ou  mettre  en  arrestation  provisoire.  » 

(3)  l"  Art.  193  :  il  s'agissait  d'une  poursuite  intentSe  a  faux  en  police  correc- 
tionnelle,  le  fait  etant  de  nature  a  entratner'une  peine  afflictive  ou  infamante; 
alors  «  le  tribunal  pourra  d^cemer  de  suite  le  mandat  de  d^pfit  ou  d'arrSt,  et  il 
renverra  le  prSvenu  devant  le  juge  d'instruction  competent.  »  Z"  En  cas  d'appel 
d'un  jugement  de  police  correctionnelle  (art.  214)  :  «  Si  le  jugement  est  annuW 
parce  que  le  d61it  est  de  nature  a  m^riter  une  peine  afflictive  ou  infamante,  la 
cour  ou  le  tribunal  d^oernera,  s'il  y  a  lieu,  le  mandat  de  d6p6t  ou  m6me  le  man- 
dat d'arret.  » 


536  LE   CODE 

rete,  il  fut  present  a  I'auditioa  des  temoins  (tit.  v,  art.  15).  Le 
Code  des  delits  et  des  peines  contenait  la  meme  disposition 
(art.  115),  et  il  decidait  encore  que,  si  Ton  avail  entendu  des 
temoins  avant  la  comparution  du  prevenu  ou  son  arrestation, 
leurs  declarations  devaient  tout  d'abord  lui  etre  lues ,  sans  que 
toutefois  il  put  en  obtenir  copie  (art.  116).  La  loi  de  I'an  IX 
avait  ete  moins  liberale;  elle  voulait  que  I'inculpe  Mt  entendu 
et  interroge  sans  avoir  communication  des  charges ,  mais  on  de- 
vait  ensuite  les  lui  faire  connattre  et  il  pouvait  y  repondre.  Cette 
ressource  n'existe  meme  plus  sous  I'empire  du  nouveau  Code. 
Pendant  toute  la  duree  de  I'instruction ,  le  prevenu  pourra  rester 
dans  I'ignorance  complete  de  la  procedure;  aucun  acte  ne  lui 
sera  notifie,  car  le  Code  de  1808  ne  lui  ouvre  le  droit  d'opposi- 
tion  centre  la  decision  du  juge  que  dans  un  seul  cas,  lorsqu'il  a 
conteste  la  competence  d^  juge  d'instruction  et  que  celui-ci  n'a 
pas  admis  son  declinatoire  (art.  539).  Sans  doute  le  juge  peut 
communiquer  oralement  les  charges  aux  prevenus ,  confronter 
ceux-ci  entre  eux  ou  avec  les  temoins,  mais  ce  n'est  pour  lui 
qu'une  simple  faculte.  On  est  revenu  aux  regies  de  I'Ordonnance 
de  1670.  Avec  quelques  formaliles  en  moins  dans  les  ecrilures 
un  lieutenant  criminel  de  I'ancien  regime  retrouverait  les  choses 
telles  qu'il  les  pratiquait  jadis. 

La  mise  en  liberie  sous  caution  etait  une  des  conquetes  de  la 
Revolution.  L'ancien  droit  ne  la  connaissait  pour  ainsi  dire 
plus ,  car  il  ne  I'admettait  pas  toutes  les  fois  qu'il  s'agissait  d'une 
afTaire  reglee  a  I'extraordinaire.  Le  Code  de  brumaire  aa  IV 
avait  etabli  un  systeme  tres-simple ,  excluant  tout  arbitraire.  II 
ne  connaissait  que  deux  situations  :  ou  la  liberie  provisoire  etait 
un  droit  pour  le  prevenu ,  ou  elle  ne  pouvait  etre  accordee ;  on 
se  trouvait  dans  le  premier  cas  lorsque  la  peine  eventuelle  etait 
correctionnelle  ou  simplement  infamante;  dans  le  second,  lors- 
qu'elle  etait  afflictive  (art.  222).  Le  projet  de  Code  criminel 
reproduisait  cette  distinction ,  mais  en  y  attachant  d'autres  con- 
sequences; il  declarail  la  mise  en  liberie  impossible  lorsqu'il 
pouvait  echoir  peine  afflictive ,  mais  elle  etait  simplement  facul- 
tative  pour  le  juge  si  la  peine  n'etait  qu'infamante  ou  correc- 
tionnelle ;  c'etait  une  modification  profonde  de  la  legislation  an- 


d'instruction  criminelle.  S37 

terieure.  II  semble  qu'on  eM  perdu  le  souvenir  des  lois  en 
vigueur,  car  M.  Treilhard  declara  que  «  la  section  avait  suivi  le 
systeme  de  I'Assemblee  constituante  (1).  »  On  trouva  mSme  que 
le  projet  etait  trop  indulgent,  et  MM.  Cambaceres ,  Jaubert,  Re- 
gnaud  de  Saint-Jean  d'Angely  ainsi  que  le  grand-juge ,  deman- 
derent  qu'on  restreignit  la  liberte  facultative  au  cas  d'un  proces 
en  police  correctionnelle  (2);  ils  obtinrent  gain  de  cause.  M.  Ber- 
lier  tenta  au  moias  dans  cette  mesure  de  faire  reconnaitre  un 
droit  absolu  pour  la  defense,  observant  que  «  puisque  la  mise 
en  liberte  sous  caution  ne  s'applique  plus  qu'a  des  debts  de 
police  correctionnelle,  les  juges  ne  peuvent  avoir  de  bonnes 
raisons  pour  refuser  ce  benefice  aux  prevenus  qui  remplissent  les 
conditions  de  la  loi...  —  S.  A.  S.  I'archichancMier  de  V Empire 
dit  que  les  delits  de  police  correctionnelle  pouvant  entratner 
I'emprisonnement,  on  ne  peut  pas  relacber  indistinctement  sans 
caution  ceux  qui  sont  pr6venus ;  il  suffit  de  laisser  cette  faculte 
au  juge  (3).  » 

Le  Code  d'instruction  criminelle  ne  cousidera  done  jamais  la 
mise  en  liberte  provisoire  comme  un  droit  du  prevenu;  il  la 
prohibait  absolument  lorsqu'il  s'agissait  d'un  crime  (art  113)  et 
en  matiere  correctionnelle  lorsque  le  prevenu  6tait  un  vagabond 
ou  repris  de  justice  (art.  liS)  :  toujours  un  cautionnement  d'au 
moins  500  fr.  etait  exige.  C'etait  la  chambre  du  conseil  qui  sta- 
tuait  sur  les  demandes  de  mise  en  liberte ,  et  ses  decisions,  pou- 
vaient  etre  attaquees  par  le  procureur  imperial  et  la  partie  ci- 
vile, mais  non  par  le  prevenu  (art.  135). 

Toutes  les  dispositions  que  nous  venons  d'analyser,  sauf  celles 
sur  la  liberte  provisoire,  passerent  au  Conseil  d'Etat  presque 
sans  discussion.  Le  texte  qui  occupa  le  plus  longtemps  I'attea- 
tion  fut  I'article  10,  qui  confere  au  prefet  des  attributions  de 
police  judiciaire  et  que  Napoleon  soutint  en  personne  (4). 

(1)  LoorS,  tome  XXV,  p.  184. 

(2)  L'institution  fut  m6me  radioalement  attaqu6e  :  «  M.  Regnaud,  dit  que  I'As- 
semblee constituante  n'a  Stabli  le  systeme  de  la  liberty  provisoire  que  par  imita- 
tion des  Anglais,  qui  reUchent  sous  caution,  meme  lorsqu'il  s'agit  des  peines  les 
plus  graves.  Mais  c'est  une  question  que  de  savoir  si  cette  th^orie  convient  k  nos 
moeurs.  »  Ibid.,  p.  186. 

(3)  Locri,  torn.  XXV,  p.  191.  -  (4)  Ibid.,  p.  205,  ssq.       . 


338  LE   CODE 

Ainsi  se  deroulait  I'instruction  dont  le  juge  allait  soumettre 
les  resultats  a  la  chambre  du  conseil,  pour  que  celle-ci  decidHt 
quelle  suite  serait  donnee  a  I'affaire.  En  matiere  criminelle,  ce 
controle  etait  plut6t  nominal  que  reel ,  car  il  suffisait  d'une  seule 
voix,  celle  du  juge  d'instruction,  pour  que  les  pieces  fussent 
transmises  au  procureur  general  et  que  la  chambre  des  mises 
en  accusation  fut  saisie  (1). 

La  procedure  devant  la  chambre  des  mises  en  accusation  est 
secrete,  comme  la  premiere  information  :  «  les  juges  ne  voienl 
ni  le  prevenu ,  ni  la  partie  civile ,  ni  les  temoins  de  I'un  et  de 
I'autre.  Aussitot  apres  la  lecture  des  pieces,  le  procureur  general 
se  retire  en  laissant  sur  le  bureau  sa  declaration  ecrite  et  signee. 
—  Le  plus  grand  secret  doit  presider  aux  deliberations  de  la 
Cour  imperiale  dans  toutes  les  affaires  criminelles  qui  lui  sont 
soumises  (2).  »  Depuis  la  loi  du  7  pluviose  an  IX,  il  en  etait  de 
mgme  devant  le  jury  d'accusation.  La  loi  nouvelle  ne  faisait  en 
general  que  transferer  a  la  chambre  d'accusation  les  pouvoirs 
du  jury,  et  une  portion  des  articles  qui  reglent  ses  fonctions 
out  ete  copies  dans  le  Code  de  brumaire  an  IV;  parfois  tn&me 
I'adaptation  a  ete  hative  et  le  raccord  mal  fait  (3).  Cependant 
sur  un  point  la  nouvelle  juridiction  acquit  un  pouvoir  qui  man- 
quait  a  I'ancienne.  Le  jury  d'accusation  n'avait  pas  le  droit 
"  d'examiner  si  le  fait  porte  dans  Facte  d'accusation  merite  peine 
afflictive  ou  infamante  »  (Code  de  brumaire,  art.  241).  La 
chambre  d'accusation  examine  au  contraire  la  qualification  a  don^ 
ner  au  fait  (Inst,  cr.,  art.  231);  cela  est  logique,  les  juges  con-  , 
naissent  de  la  question  de  droit,  interdite  aux  jures. 

Si  la  chambre  d'accusation  rend  un  arret  de  renvoi  devant  la 
cour  d'assises ,  il  y  a  lieu  pour  le  procureur  general  de  dresser 
I'acte  d'accusation ,  qui  precedait  jadis  la  mise  en  accusation  et 

{l)Exposi  des  motifs,  par  Treilhard.  Locri,  tome  XXV,  pp.  246-247. 

(2)  Exposi  des  motifs,  parM.  Faure.  Ibid.,  p.  566. 

(3)  Par  exemple,  art.  225  :  «  Les  juges  dSlibSreront  entre  eux  sans  d^semparer 
et  sans  communiquer  avec  personne.  »  C'fetait  le  dernier  alin^a  de  I'article  238 
du  Code  de  brumaire;  mais  trfes-bien  fait  pour  des  jur^s,  il  n'avait  guere  de 
port^e  appliquS  a  des  magistrals;  on  en  fit  I'observation  au  Conseil  d'fitat  (Loori. 
torn.  XXV,  pp.  431-432). 


D'INSTRUCTION   CEIMINELLE.  S39 

dont  il  etait  la  base  (1).  Dans  I'Expose  des  motifs  par  M.  Faure, 
dans  le  Rapport  de  M.  Riboud  (2),  on  se  felicite  vivement  de  ce 
changement;  mais  en  realite.par  la  meme,  I'acte  d'accusation 
ne  fait  que  reproduire ,  avec  quelques  details  en  plus ,  I'arret  de 
renvoi;  sans  doute  11  doit,  ainsi  que  ce  dernier,  etre  lu  aux 
jures ,  mais  il  n'y  a  la  qu'une  pure  formalite.  C'est  dans  la  pra- 
tique une  lecture  rapide,  a  laquelle  le  jury  ne  prete  qu'une 
oreille  distraite  :  il  va  entendre  les  temoins  et  I'accuse;  il  va  voir 
le  drame  vivant  se  derouler  sous  ses  yeux. 


III. 

Si ,  apres  la  procedure  devant  les  juridictions  d'instruction,  on 
considere  les  debats  devant  les  juridictions  de  jugement,  le  con- 
traste  est  complet.  On  passe  de  I'obscurite  au  plein  jour.  La  pro- 
cedure etait  secrete,  ecrite,  tournee  tout  entiere  du  cote  de  I'ac- 
cusation  et  ne  laissant  meme  pas  a  la  defense  le  droit  de  contra- 
diction :  ici  tout  est  publicite,  debats  oraux,  libre  defense  et 
pleine  discussion.  D'un  c6te,  ce  sent  les  traditions  de  I'Ordon- 
nance  de  1670;  d'autre  part,  les  principes  proclames  par  I'As- 
semblee  constituante  et  mis  en  ceuvre  dans  les  lois  de  I'epoque 
intermediaire  (3).  Quel  que  soit  le  tribunal  devant  lequel  on  com- 
paraisse,  I'instruction  est  publique  a  peine  de  nullite  (art.  153, 
190,  309);  partout  les  droits  de  la  defense  spnt  les  memes  que 

(1)  Locri,  tome  XXIV,  p.  507. 

(2)  Ibid.,  p.  589. 

.  (3)  Reoemment  cette  verite  6tait  reconnue  dans  un  document  officiel  :  «  Les 
r^dacteurs  du  Code  de  1808  adopterent  un  systfeme  de  conciliation  :  ils  s'efforcferent 
de  satisfaij-e  les  deux  int^rfits  en  presence  et  de  combiner  les  divers  elements  que 
leur  offraient  les  diff^rentes  periodes  de  notre  histoire.  A  I'epoque  feodale  (?)  ils 
empruntferent  la  publicity  des  audiences ,  le  jury,  les  ^preuves  orales ,  le  droit 
d'appel;  au  regime  monarchique  ils  prirent  I'institution  du  ministfere  public,  la 
permanence  des  juges,  I'usage  des  procedures  r6dig6es  par  eorit.  lis  se  flattaient 
d'avoir  assez  fait  pour  le  pr^venu  en  lui  assurant  des  juges  impartiaux ,  I'assis- 
tauce  d'uQ  dfifenseur,  et  la  publicity  des  debats,  au  moment  oi,  I'instruction  ^tant 
fmie,  il  va  pouvoir  faire  eclater  son  innocence,  si  elle  a  61A  m^connue.  i>  Projet 
de  lot  tendant  d  reformer  le  Code  d'instruction  criminelle,  presents  au  nom  de 
M.  Jules  Grevy,  president  de  la  R^publique  franjaise.  Journal  off.  du  14  Janvier 
1880,  p.  302,  col.  2  et  3. 


S40  LE    CODE 

ceux  de  I'accusation ;  elle  peut  produire  ses  temoins  ,  et  ce  sont 
meme  les  derniers  entendus ,  comme  le  defenseur  et  I'accuse  ont 
la  parole  en  dernier  lieu.  Toujours  le  prevenu  peut  etre  assiste 
d'un  defenseur;  la  loi  d'office  en  donne  aux  accuses. 

Mais  entre  ces  deux  etats  extremes  et  opposes ,  n'y  a-t-il  point 
une  periode  intermediaire ,  dans  laquelle  la  defense  puisse  com- 
mencer  i  s'organiser  et  prenne  connaissance  de  la  procedure 
ecrite,  ou  jusqu'a  present  toutes  les  preuves  ont  ete  concentrees , 
et  ou  I'accusation,  a  qui  elle  a  ete  constamment  ouverte,  puise 
les  armes  qu'elle  prepare? 

En  matiere  criminelle ,  oii  une  instruction  preparatoire  force- 
ment  a  eu  lieu ,  le  legislateur  a  etabli  cette  phase  intermediaire , 
cette  periode  de  transition.  D'abord  quand  I'arret  de  renvoi  a 
ete  rendu  et  I'acte  d'accusation  dresse  ,  ces  pieces  ont  ete  signi- 
flees  a  I'accuse  (art.  242),  qui,  dans  les  vingt-quatre  heures,  a 
dll  etre  transfere  dans  la  maison  de  justice.  Vingt-quatre  heures 
encore  apres  son  arrivee  dans  ce  lieu,  I'accuse  doit  etre  interroge 
par  le  president  de  la  cour  d'assises  ou  par  le  magistrat  qui  le 
remplace  (art.  294).  Par  la  meme  il  a  Toccasion  de  faire  enten- 
dre ses  plaintes  a  un  magistrat  d'un  rang  eleve;  ce  n'est  paS 
tout ,  le  president  doit  I'avertir  qu'il  a  le  droit  d'attaquer  I'arret 
de  renvoi  devant  la  Cour  de  cassation ,  lui  demander  s'il  a  fait 
choix  d'un  defenseur,  et ,  au  besoin ,  lui  en  nommer  un  d'office 
(art.  294).  C'est  la  une  des  plus  nobles  dispositions  de  la  loi 
frangaise ;  les  reformateurs  de  la  Revolution  la  puiserent  dans  la 
generosite  du  caractere  national;  ce  ne  fut  pas  un  emprunt  fait  a 
I'Angleterre ,  qui  ne  connaissait  pas  cette  loi  genereuse. 

Des  lors  le  conseil  peut  librement  communiquer  avec  I'accuse, 
prendre  connaissance  de  toutes  les  pieces  de  la  procedure  (art. 
302),  et  en  faire  prendre  copie  (art.  305).  Une  copie  des  proc^s- 
verbaux  et  des  declarations  ecrites  des  temoins  est  meme  deli- 
vree  gratuitement  a  I'accuse.  Cette  disposition  etait  contenue 
dans  le  Code  des  delits  et  des  peines  (art.  320);  c'etait  meme 
alors  la  copie  de  toutes  les  "pieces  de  la  procedure  qui  etait  deli- 
vree ,  tandis  que  la  formule  employee  par  le  Code  d'instructioii 
criminelle  exclut  de  la  copie  gratuite  les  interrogatoires  de  I'ac- 
cuse. Mais  ces  dispositions  equitables  ne  sont  edictees  que  pour 


DINSTRUCTION   CRIMINELLE.  S41 

les  matieres  eriminelles;  la  loi  ne  s'est  pas  occupee  du  cas  oh 
rinstruction  preparatoire  etait  faite  en  vue  d'un  delit  correc- 
tionnel.  Mors  il  n'y  a  point  d'avocat  nomme  d'office,  point  de 
communication  de  pieces.  La  communication  a  I'avocat  a  souvent 
lieu  dans  la  pratique ,  mais  ce  n'est  qu'une  concession  gracieuse 
de  la  part  des  parquets.  Pour  les  proces  importants  en  police  cor- 
rectionnelle ,  il  y  a  la  une  lacune  regrettable. 

On  devine  que  les  testes  reglant  la  procedure  devant  les  juri- 
dictions  de  jugement,  furent  empruntes  au  Code  des  delits  et  des 
peines ,  qu'il  s'agit  du  tribunal  de  simple  police  ou  de  police  cor- 
rectionnelle ,  ou  de  la  cour  d'assises.  Pour  s'en  assurer,  il  sufflt 
de  Jeter  un  coup  d'oeil  sur  I'un  et  I'autre  Code.  On  avait  apporte 
au  fonctionnement  du  jury  les  retouches ,  dont  I'experience  avait 
demontre  la  necessite.  La  composition  des  listes  de  jures  etait 
profondement  modifiee.  L'article  382  indiquait  limitativement  les 
categories  de  personnes  qui  devaient  les  fournir.  C'etaient  d'a- 
bord  les  membres  des  colleges  electoraux,  tels  que  les  composait 
le  senatus-consulte  du  16  thermidor  an  X  (art.' 14,  15,  18,  19), 
c'est-a-dire  des  electeurs  du  second  degre  (1),  et  les  trois  cents 
plus  imposes  :  puis  venaient  quatre  alineas,  qui  realisaient  pour 
le  jury  ce  qu'on  appellera  plus  tard  I'adjonction  des  capacites. 
EnQn,  l'article  387  permettait  aux  personnes  qui  n'appartenaient 
a  aucune  de  ces  classes,  de  solliciter  «  I'honneur  d'etre  admis 
aux  fonctions  de  jure ;  »  le  prefet  pouvait  les  comprendre  dans 
la  liste  s'il  avait  obtenu  sur  elles  «  des  renseignements  avanta- 
geux ,  »  et  si  le  ministre  de  I'interieur  accordait  son  autorisation. 
Les  prefets  dressaient  les  listes  de  session  «  composees  de 
soixante  citoyens.  »  Art.  387  :  «  Les  prefets  formeront  sous  leur 
responsabilite  une  liste  de  jures,  toutes  les  fois  qu'ils  en  seront 
requis  par  les  presidents  des  cours  d'assises.  Cette  requisition 
sera  faite  quinze  jours  au  moins  avant  I'ouverture  de  la  session.  » 

On  le  voit ,  le  choix  des  jures ,  si  mal  fait  pendant  la  periode 


(1)  lis  6taient  nommSs  par  I'assembl^e  de  canton  «  compos^e  de  tous  les  ci- 
toyens domicili^s  dans  le  canton  et  qui  y  sont  inscrits  sur  la  liste  communale 
d'arrondissement. »  lis  6taient  deux  cents  au  plus  el  cent  vingt  au  moins  pour  le 
college  electoral  d'arrondissement;  trois  cents  au  plus  et  deux  cents  au  moins 
pour  le  college  Electoral  de  d^partement.  lis  etaient  nommSs  a  vie. 


542  LE    CODE 

revolutionnaire ,  etait  restreint  dans  d'6troites  limites.  On  avait 
meme  reagi  a  I'exces  centre  le  relachement  des  regies  anciennes. 
La  composition  du  jury  etait  entierement  aux  mains  des  prefets, 
puisqu'ils  choisissaient  a  leur  gre  les  listes  de  session  et  a  cela  a 
une  epoque  tres-rapprochee  de  rouverture  des  sessions  d'assises. 
Le  tirage  au  sort  ne  jouait  un  r61e  que  dans  la  composition  du 
jury  de  jugement.  La  recusation  en  presence  etait  organisee ,  11  ne 
pouvait  plus  y  avoir  de  recusations  motivees  (art.  399)  (1). 

Le  systeme  des  questions  posees  au  jury  etait  simplifie.  Ici 
meme  on  avait  ete  trop  loin,  et  d'un  exces  on  etait  tombe  dans  un 
autre.  Une  seule  question,  dont  la  formule  tres-simple  visait  a  la 
fois  I'element  materiel  et  ^'element  moral  du  delit ,  comprenait 
tout  le  contenu  de  Facte  d'accusation ;  c'est-a-dire  non-seulement 
le  fait  principal,  mais  aussi  les  circonstances  aggravantes  qui 
pouvaient  y  etre  relevees  (art.  338).  C'etait  obliger  eventuelle- 
ment  les  jures  a  operer  des  distinctions,  et  a  poursuivre  une  ana- 
lyse (art.  365),  queleslois  anterieures  avaient  sagement  voululeur 
6viter.  On  n'avait  point  encore  trouve  la  solution  du  probleme. 
Sur  un  autre  point  on  avait  ete  mieux  inspire.  L'article  387  de- 
clarait  «  que  la  decision  du  jury  se  formera  pour  ou  contre  I'ac- 
cuse  a  la  majorite,  a  peine  de  nullite.  En  cas  d'egalite  de  voix, 
I'avis  favorable  a  I'accuse  prevaudra.  »  Repoussant  le  principe 
anglais  de  I'unanimite  et  les  titonnements  de  I'epoque  interme- 
diaire,  le  Code  d'instruction  criminelle  adoptait  cette  loi  si  logique 
et  si  raisonnable  de  la  simple  majorite,  qu'on  devait  pourtant 
repousser  encore  dans  la  suite,  pour  y  revenir  enfin  de  nos  jours. 

Mais  le  legislateur  de  1808  n'avait  pas  ose  proclamer  ce  prin- 
cipe d'une  maniere  absolue ;  il  I'avait  accompagne  d'une  restric- 
tion illusoire  en  realite.  Organisant  un  systeme  bizarre  et  com- 
plique,  il  voulait  que,  si  la  decision  avait  ete  prise  contre  I'accuse 
a  la  simple  majorite  d'une  voix,  les  jures  en  fissent  la  declaration 


(1)  On  avait  cru  nScessaire  d'fidicter  les  moyens  de  conlrainte  ^nergiques  pour 
obliger  les  citoyens  d^signfes  au  service  du  jury.  Non-seulement  des  amendes 
itaient  prononofies,  comme  aujourd'hui,  centre  les  defaillants,  mais  de  plus  l'ar- 
ticle 392  dfeclarait  inadmissibles  aux  places  judiciaires  et  administratives  ceux  qui 
nigligeaient,  sans  juste  cause,  de  satisfaire  aux  requisitions  a  eux  adressSes  pour 
le  service  du  jury. 


d'instruction  ceiminelle.  343 

(art.  341).  On  appelait  alors  la  cour  elle-mgme,  compqsee  de 
cinq  membres,  a  delib^rer  sur  la  question  de  culpabilite;  et  voici 
comment  on  combinait  ce  vote  avec  celui  des  jures  :  art.  3S1 
«  si  I'avis  de  la  minority  des  jures  est  adopte  par  la  majorite  des 
juges ,  de  telle  sorte  qu'en  reunissant  le  nombre  de  voix  ce  nom- 
bre  excede  celui  de  la  majority  des  jures  et  de  la  minorite  des 
juges ,  I'avis  favorable  a  I'accuse  prevaudra.  » 

Comment  le  Code  tranchait-il  deux  points  importants ,  sur  les- 
quels  differaientprofondement  I'ancienne  jurisprudence  et  le  droit 
de  la  Revolution  :  le  proces  ecrit  ou  le  debat  oral,  et  la  theorie 
des  preuves?  D'abord  le  caraclere  oral  du  debat  est  maintenu ; 
mais  le  Code  d'instruction  criminelle  se  defle  moins  de  I'ecriture 
que  ne  I'avaient  fait  les  lois  anterieures.  Dans  la  procedure  devant 
le  jury,  le  Code  de  brumaire  avait  indique  d'une  facon  fort  etroite 
-  I'usage  qui^pouvait  etre  fait  de  I'information ,  et  aucune  trace  des 
debats  n'etait  fixee  par  I'ecriture.  «  Art.  365  :  II  ne  peut  6tre  lu  aux 
jures  aucune  deposition  ecrite  de  temoins  non  presents  a  I'audi- 
toire.  —  Art.  366  :  Quant  aux  declarations  ecrites  que  les  temoins 
■  presents  ont  faites  et  aux  notes,  ecrites  des  interrogatoires  que 
I'accuse  a  subis  devant  I'offlcier  de  police ,  le  directeur  du  jury 
et  le  president  du  tribunal  criminel ,  il  n*en  peut  gtre  lu  dans  le 
cours  des  debats  que  ce  qui  est  necessaire  pour  faire  observer 
soit  aux  temoins,  soit  a  I'accuse  les  variations,  les  contradictions 
et  les  differences  qui  peuvent  se  trouver  entre  ce  qu'ils  disent 
devant  les  jures  et  ce  qu'ils  ont  dit  precedemment.  —  Art.  382  : 
II  (le  President)  remet  aussi  aux  jures  ,  toutes  les  pieces  du  pro- 
ces ,  a  I'exception  des  declarations  ecrites  des  temoins  et  des  in- 
terrogatoires ecrits  de  I'accuse.  »  De  ces  trois  articles,  le  premier 
a  disparu ;  et  c'est  un  fait  important ,  car,  bien  que  les  redacteurs 
du  Code  n'aient  point  eu  I'idee  de  deroger  sur  ce  point  au  droit 
■  anterieur  (1) ,  nous  verrons  quel  parti  la  jurisprudence  a  tire  de 

(1)  Cela  risulte  d'un  article  du  titre  des  Contumaces;  I'article  ill  prfivoyant  le 
d^bat  contradictoire  qui  intervient  quand  una  contumace  est  purg^e  ,  s'exprime 
ainsi  :  «  Dans  le  cas  prevu  par  I'article  pric^dent,  si  pour  quelque  cause  que  ce 
soit ,  des  temoins  ne  peuvent  fitre  produits  aux  debats ,  leurs  depositions  6crites 
et  les  r^poDses  Ecrites  des  autres  accuses  du  mSme  d^lit  seront  lues  a  I'audience ; 
il  en  sera  de  m£me  de  toutes  les  autres  pieces,  qui  seront  jug^es  par  le  president 


54 i  LE    CODE 

cette  lacune.  Quant  aux  deux  autres-  dispositions ,  elles  fureat 
reprises,  mais  sous  une  forme  qui  elargissait  quelque  peu  la 
fonction  des  pieces  ecrites.  Art.  318  (Inst,  crim.)  :  «  Le  president 
fera  tenir  note  par  le  greffier  des  additions,  changements ,  ou  va- 
riations qui  pourraient  exister  entre  la  deposition  d'un  temoin  et 
ses  precedentes  declarations.  Le  procureur  general  et  I'accuse 
pourront  requerir  le  president  de  faire  tenir  les  notes  de  ces 
changements,  additions  et  variations  (1).  —  Art.  341  :  Le  president 
remet  les  questions  ecrites  aux  jures  en  la  personne  du  chef  du 
jury ;  il  y  joint  Facte  d'accusation ,  les  proces-verbaux  qui  cons- 
tatent  les  delits  et  les  pieces  du  proces  autres  que  les  depositions 
ecrites  des  temoins.  »  Dorenavant  les  pieces  remises  contiennent 
les  interrogatoires  des  accuses. 

Sur  un  point,  la  procedure  ecrite  fit  nettement  un  pas  en  avant. 
En  cas  de  contumace ,  le  Code  de  brumaire  voulait  que  le  jury 
intervint,  comme  dans  la  procedure  contradictoire  (art.  462  a 
482).  Le  Code  d'instruction  criminelle  decida  au  contraire  quele 
jury  n'interviendrait  point;  la  cour  statuerait  elle-meme  sur  le 
fond,  apres  avoir  constate  la  regularite  de  la  procedure  (art.  470). 
Cela  etait  logique ,  en  effet ,  et  cette  reforme  etait  utile ,  comme 
le  montre  fort  bien  I'Expose  des  motifs  fait  par  M.  Berlier  : 
«  Puisque  tout  se  reduit  a  la  lecture  des  pieces,  a  I'examen 
d'une  procedure  ecrite,  et  a  une  froide  analyse  de  circonstances 
plus  ou  moins  bien  etablies  au  proces ,  c'etait  deplacer  toutes  les 
ideas  que  de  ne  pas  laisser  aux  juges  le  soin  d'y  statuer.  Les  re- 
tablir  dans  ce  droit,  c'est  d'ailleurs  degager  I'instruction  de  la 
contumace  d'elements  qui  la  compliquent  sans  utilite  et  sans  in- 
teret  pour  le  contumax  (2).  »  Dans  un  pareil  proces ,  il  n'y  a 
point  de  defense ,  pas  de  debat  oral ;  c'est  I'affaire  des  magistrata 
plut6t  que  des  jures.  Les  regies  de  la  procedure  par  contumace , 

etre  de  nature  a  r^pandre  de  la  lumiSre  sur  le  d^lit  et  les  coupables.  »  Si  cela 
edt  6tS  possible  d'aprfes  le  droit  commun ,  I'article  ne  se  comprendrait  pas. 

(1)  Cf.  art.  372  :  «  Le  grefSer  dressera  un  proofs-verbal  de  la  stance  afin  de 
constater  que  les  formalit^s  prescrites  ont  &i&  observ^es.  II  ne  sera  fait  mention 
au  procSs-verbal  ni  des  rSponses  des  accuses,  ni  du  contenu  aux  depositions, 
sans  prejudice  toutefois  de  I'application  de  I'article  318.  » 

(2)  Locr^,  tome  XXVII,  p.  159;  cf.  Rapport  de  M.  ChoU,  ibid.,  p.  72. 


D  INSTRUCTION   CRIMINELLE.  545 

que  les  lois  pr6cedeijtes  avaient  empruntees  en  grande  partie  a 
I'ancien  droit  francais,  furent  d'ailleurs  maintenues  dans  le  Code 
d'instruction  criminelle. 

En  police  correctionnelle,  il  ne  pouvait  etre  question  d'interdire 
aux  juges  de  consulter  I'information ,  quand  il  en  avait  ete  faite 
une;  et  necessairement  elle  influera  sur  leur  decision,  bien  que 
le  debat  oral  et  public  doive  toujours  etre  leur  principal  element 
d'appreciation.  Devant  les  tribunaux  de  police  correctionnelle, 
comme  en  simple  police,  le  Code  d'instruction  criminelle,  apres 
celui  de  Brumaire ,  veut  que ,  sinon  le  debat  entier,  au  moins  ses 
principaux  points  soient  fixes  par  I'ecriture  (1).  Pour  les  tribu- 
naux de  police,  I'article  155  (que  I'article  189  rend  applicable  aux 
tribunaux  de  police  correctionnelle)  declare  «  que  les  teraoins 
feront  a  I'audience  serment  de  dire  toute  la  verite ,  rien  que  la 
verite ,  et  le  greffier  en  tiendra  note  ainsi  que  de  leurs  nom ,  pre- 
noms ,  Elge ,  profession  et  demeure  et  de  leurs  principales  Mda- 
rations.  »  On  voulait  rendre  par  la  moins  couteuse  la  procedure 
en  appel;  c'est  un  germe  qui  se  developpera  dans  la  suite. 

Lelegislateur  nouveau  maintenait  le  systeme  des  preuves  mo- 
rales ,  I'une  des  reformes  pour  lesquelles  avait  combattu  le  plus 
ardemment  le  xviii^  siecle  ,  et  qui  constituait  une  conquete  defi- 
nitive. Devant  le  jury  cette  theorie  conservait  son  empire  absolu  ; 
quelle  que  soit  la  preuve  fournie,  les  jures  peuvent  toujours 
acquitter,  de  meme  qu'un  verdict  affirmatif  peut  gtre  rendu, 
quelle  que  soit  la  faiblesse  des  preuves.  Comme  le  Code  de  bru- 
maire, le  Code  d'instruction  criminelle  met  sous  les  yeux  des 
jures  un  long  avertissement  oii  cette  tlieorie  est  rappelee  :  «  Art. 
342  :  La  loi  ne  demande  pas  compte  aux  jures  des  moyens  par 
lesquels  ils  se  sont  convaincus.  Elle  ne  leur  prescrit  point  de 
regies,  desquelles  ils  doivent  faire  particulierement  dependre  la 
plenitude  et  la  suffisance  d'une  preuve.  Elle  leur  prescrit  de  s'in- 
terroger  eux-memes  dans  le  silence  et  le'recueillement,  et  de 
chercher  dans  la  sincerite  de  leur  conscience  quelle  impression 
ont  faite,  sur  leur  raison  les  preuves  rapportees  centre  I'accuse 

(1)  Code  de  brumaire,  art.  135  :  «  Leurs  nom  (des  t^moins),  Sge  et  profession 
sont  inserts  dans  le  jugement;  —  le  greffier  tient  note  sommaire  de  leurs  prin- 
cipales declarations  ainsi  que  des  principaux  moyens  de  defense  des  prSvenus.  » 

35 


546  LE   CODE 

et  les  moyens  de  sa  defense.  La  loi  ne  leur  dit  point  :  «  Vous 
tiendrez  pour  vrai  tel  fait  atteste  par  tel  ou  tel  nombre  de  te- 
moins;  »  elle  ne  leur  dit  pas  non  plus  :  «  Vous  ne  regarderez 
pas  com  me  suffisamment  etablie  toute  preuve  qui  ne  sera  pas 
formee  de  tel  proces-verbal ,  de  telle  piece ,  de  tant  d'indices ;  » 
elle  ne  leur  fait  que  cette  seule  question  qui  renferme  toute  la 
mesure  de  leurs  devoirs  :  «  Avez-vous  une  intime  conviction?  » 

Devant  les  autres  juridictions,  le  mSme  principe  prevaut  en- 
core; mais  il  admet  quelques  restrictions.  Parfois,  bien  que  tres- 
rarement,  le  juge  ne  pent  pas  se  determiner  d'apres  toute 
preuve ;  la  loi  en  a  choisi  specialement  quelques-unes.  II  en  est 
ainsi  pour  le  delit  d'adultere  (art.  338,  G.  P.);  de  meme  cer- 
taines  contraventions,  fugitives  et  difficilement  saisissables ,  ne 
peuvent  etre  prouvees  que  par  un  proces-verbal  regulier;  c'est 
du  moins  ainsi  que  la  jurisprudence  interprete  les  lois  du  17 
brumaire  an  VI  sur  les  matieres  d'or  et  d'argent ,  et  du  9  flo- 
real  an  VII  sur  les  douanes,  et  le  decret  du  i"  germinal  an 
XII  sur  les  douanes  (art.  34).  En  sens  inverse,  dans  certains 
cas  la  decision,  quelle  que  soit  la  conviction  du  juge,  sera  em- 
portee  par  la  production  d'une  certaine  preuve  ;  cela  est  vrai  des 
proces-verbaux ,  quant  aux  faits  materiels  qu'ils  constatent  (art. 
134,  Inst,  crim.)  :  les  uns  font  foi  jusqu'a  inscription  de  faux, 
et  tant  que  I'inscription  de  faux  n'a  pas  ete  intentee  avec  succes, 
ils  lient  le  juge ;  les  autres  ne  font  foi  que  jusqu'a  preuve  con- 
traire,  mais  il  faut  offrir  et  administrer  cette  preuve  pour  les 
depouiller  de  leur  autorite. 

Le  Code  d'instruction  criminelle  introduisit  peu  de  modifica- 
tions dans  le  systeme  des  voies  de  recours.  L'appel  etait  main- 
tenu  et  toujours  admis  en  matiere  correctionnelle ;  pour  les  ma- 
tieres de  simple  police  il  etait  ouvert  dans  une  mesure  sufflsante. 
Le  pourvoi  en  cassation ,  sauf  des  modifications  de  detail  etait 
regie  comme  dans  les  Codes  de  I'epoque  intermediaire. 


D  INSTRUCTION   CRIMlJitELLE .  347 


IV. 

Mais  ce  n'etait  la  que  la  procedure  de  droit  commun;  il  y  avait 
aussi  uue  procedure  d'exception  en  matiere  criminelle.  Elle  se 
deroulait  devaut  les  Cours  speeiales  (art.  583-599.  Inst.  crim.). 
Cescours  etaient  les  heritieres,  mais  a  titre  definitif,  des  tribu- 
naux  speeiaux  organises  par  les  lois  du  18  pluviose  an  IX  et  du 
22  Horeal  an  X.  EUes  se  composaient  des  cinq  magistrats  qui 
siegeaient  a  la  cour  d'assises,  et  de  trois  militaires  ayant  au 
moins  le  grade  de  capitaine  (art.  556).  EUes  connaissaient  de 
tons  les  crimes  commis  par  des  vagabonds  ou  gens  sans  aveu 
ou  par  des  condamnes  a  des  peines  afflictives  ou  infamantes, 
ainsi  que  des  crimes  de  rebellion  a  la  force  armee ,  de  contre- 
bande  armee ,  de  fausse  monnaie  et  d'assassinat  prepare  par  des 
attroupements  armes  (art.  553,  554).  Toute  I'instruction  prepara- 
toire  6tait  la  memo  que  pour  une  affajre  portee  devant  le  jury, 
et  elle  etait  soumise  a  la  chambre  d'accusation ,  qui  ordonnait, 
s'il  y  avait  lieu ,  le  renvoi  devant  la  cour  specials  (art.  566 ,  567). 
Get  arret 'de  renvoi,  determinant  la  competence,  etait  d'office 
soumis  a  la  chambre  criminelle  de  la  Cour  de  cassation  (art. 
568,  570).  Devant  la  cour  speciale  le  debat  etait  oral  et  public, 
et  la  defense  libre ,  comme  devant  la  cour  d'assises  (art.  573 , 
579).  Le  jugement  etait  rendu  a  la  majorite  des  voix,  le  partage 
seul  profitant  a  I'accuse  (art.  582) ;  il  etait  en  dernier  ressort  et 
ne  pouvait  Stre  attaque  par  le  pourvoi  en  cassation  (art.  597). 

Ces  article^,  compares  a  la  loi  du  18  pluvidse,  presentaient  des 
adoucissements  assez  sensibles ;  les  affaires  soustraites  au  jury 
etaient  moins  nombreuses ,  on  le  fit  ressortir  dans  la  discussion 
au  Conseil  d'Etat  (1).  En  realite,  il  y  avait  aggravation,  en  ce 
sens  que  le  systeme  devenait  definitif;  on  n'avait  plus  devant  soi 
une  mesure  de  circonstance ,  mais  une  institution  reguliere  et 
durable.  L'esprit  qui  regnait  ici  etait  celui  qui ,  dans  I'ancien 
droit ,  avait  cree  et  developpe  les  juridictions  prevdtales ,  et  sur 


(1)  Stance  du  9  aoflt  1808,  Locri,  t.  XXVII,  p.  19. 


S48  LE    CODE      , 

ce  point  I'Ordonnance  de  1670  triomphait.  On  le  reconnaissait 
ouvertement;  nous  avons  plus  haul  cite  des  passages  tres-expli- 
cites  de  I'Expose  des  motifs  fait  par  M.  Real.  On  repudiait 
seulement  la  procedure  secrete  de  I'ancien  regime.  «  Jadis  c'e- 
tait  I'instruction  deja  bien  severe  de  I'Ordonnance  de  1670 
confiee  au  prev6t  at  a  son  assesseur.  Ainsi  le  juge  extraordirr 
naire,  le  juge  militaire  seul  saisissait  d'abord  le.  prevenu  et  ne 
le  quittait  point  pendant  I'instruction;  I'assesseur  etait  le  rap- 
porteur du  proces...  Qu'on  ajoute  a  cette  procedure  tout  extraor- 
dinaire la  severite  des  formes ,  les  deux  questions ,  le  perpetual 
secret  qu'elle  empruntait  a  la  procedure  ordinaire  de  1670... 
Dans  la  loi  que  nous  vous  presentons ,  le  juge  ordinaire  instruit 
dans  les  formes  ordinaires  contre  le  crime  on  le  prevenu  qui 
seront  de  la  competence  de  la  cour  speciale ,  parce  que  cette  pre- 
miere instruction  secrete  et  rapide  suffit  dans  les  deux  cas...  II 
faut  ajouter  que  le  jugement  de  competence  n'est  plus  prononce 
par  un  tribunal  inferieur,  comme  dans  le  systeme  de  1670,  ni 
par  le  directeur  du  jury,  comme  le  permettait  une  loi  poste- 
rieure ,  ni  par  le  tribunal  special  lui-meme ,  comme  le  veut  la  loi 
de  pluviSse  an  IX,  mais  par  la  cour  imperiale  composee  des 
magistrals  les  plus  experimentes ,  les  plus  eclaires  (1).  »  On 
declarait  aussi  que  I'inslruction  etait  «  sous  tous  les  rapports 
superieure  aux  juridictions  prevdtales  de  I'ancien  regime;  » 
mais  c'etait  bien  la  vieille  tradition  qu'on  reprenait.  A  cet  egard, 
le  tres-habile  Expose  des  motifs  par  M.  Real  est  des  plus  curieux. 
II  contient  une  histoire  rapide  des  cours  prevotales.  II  com- 
mence par  rappeler  que  cette  institution  «  fut  reconnue,  reclamee 
par  les  Etats-generaux  »  du  xvi°  siecle ,  et  que  «  I'Ordonnance 
de  i&lQ  ne  fit  que  recueillir  et  rapprocher  les  dispositions  an- 
ciennes  eparses  dans  les  ordonnances.  »  II  rappelle  ensuite 
que  ces  tribunaux  ne  furent  point  touches  par  les  premieres  re- 
formes  de  1789,  et  que  les  prevSts  des  marechaux  continuerent 
d'exister  jusqu'aux  premiers  mois  de  1790.  «  Mais  le  6  mars 
dans  une  seance  du  soir,  a  I'occasion  d'une  plainte  rendue  a  la 
barre  de  I'Assemblee  par  la  municipalite  de  Paris  contre  un 

(1)  Locr4,  t.  XXVII,  pp.  68 ,  70. 


D  INSTRUCTION   CRIMINELLE.  549 

prev6t  de  la  marechaussee  du  Limousin ,  un  membre  de  I'As- 
semblee,  par  une  motion  incidents ,  demanda  que  les  juridlctions 
prevdtales  fussent  des  a  present  supprimees.  II  est  vrai  que  cette 
suppression  fut  ajournee,  mais  il  fut  a  I'instant  decrete  provisoi- 
rement  que  toutes  les  procedures  commencees  par  les  prevfits 
seraient  suspendues.  Ce  singulier  decret  provisoire  decidait  la 
question  du  fond ,  et  equivalait  par  ses  resultats  a  la  suppression 
definitive  des  juridictions  prevotales ,  dont  on  n'a  plus  entendu 
parler...  Chose  etrange!  il  semblait  que  les  vagabonds  fussent 
alors  moins  a  craindre  que  les  prevots;  il  semblait  que  les  juri- 
dictions prev6tales  fussent  au  nombre  de  ces  privileges  aneantis 
dans  la  nuit  memorable  du  4  aoM  1789,  et  que  la  nation  entiere 
dut  en  consequence  renoncer  a  Vhonorable  privilege ,  qui  la  sepa- 
rait  des  mechants  (1).  »  II  n'est  pas  moins  curieux  de  voir  com- 
ment I'orateur  explique  qu'on  n'ait  point  fait  place  aux  juridic- 
tions d'exception  dans  les  Codes  de  I'epoque  intermediaire  :  «  Au 
moment  oil  s'elaborait  le  nouveau  Code  criminel ,  les  idees  de  ce 
style  severe  et  simple ,  que  les  grands  talents  avaient  introduit 
dans  les  Beaux-Arts ,  s'etaient  emparees  de  tous  les  esprits ;  au 
memo  moment  les  principes  de  I'egalite  marchaient  avec  quelque 
rapidite  vers  I'exageration ;  les  legislateurs  ne  purent  entierement 
se  soustraire  a  I'influence  de  cette  double  impulsion ,  et  dans  la 
construction  du  systeme  criminel  ils  sacrifierent  quelquefois  la 
solidite  a  la  r^gularite.  Dans  la  reparation  de  cet  ancien  edifice, 
la  colonne  qui  en  soutenait  une  partie  essentielle,  cette  juridiction 
speciale,  dont  on  ne  devinait  ni  la  force  ni  I'importance ,  fut  sup- 
primee,  parce  qu'elle  contrariait  j^eut-etre  un  pen  la  symetrie  des 
details  et  I'unite  du  plan  (2).  »  II  semble  vraiment  que  David  et 
son  ecole  etaient  cause  que  Merlin  n'avait  pas  admis  les  cours 
prevotales  dans  le  Code  des  delits  et  des  peines  I 

M.  Real,  il  est  vrai,  presentait  de  plus  serieux  arguments.  II 
rappelait  I'ardeur  inconsideree ,  le  besoin  de  changement ,  la  de- 
fiance a  regard  du  pouvoir  qui  caracterisaient  I'epoque  revolu- 
tionnaire,  mettant  en  regard  la  tradition  constante,  qui  privait 


(1)  Locri,  tome  XXVIII,  pp.  48,  49. 

(2)  LocrS,  tome  XXVIII,  p.  49. 


5S0  LE    CODE 

les  repris  de  justice  du  benefice  du  droit  commun.  «  Eh!  c'etait 
precisement  au  moment  oi  un  Code  plus  approprie  aux  mceurs , 
aux  besoins,  aux  opinions  de  la  nation  et  du  siecle,  et  par  conse- 
quent plus  doux,  plus  humain,  allait  remplacer  le  Code  de  1670, 
qu'il  fallait  surtout  conserver  une  juridiction  exceptionnelle  quelle 
qu'elle  fut,  qui  devait  comprimer  les  brigands.  Comment,  en 
eflfet,  ne  venait-il  pas  a  la  pensee  de  ces  legislateurs ,  que  ce  qui 
aurait  ete  simplement  utile  sous  le  regime  de  1670,  devenait  de 
necessite  absolue ,  indispensable ,  sous  le  regime  plus  doux ,  plus 
humain  qui  allait*  le  remplacer  (1)?  »  L'orateur  rappelait  enfin  le 
brigandage  qui  avait  devaste  ia  France,  la  loi  de  I'an  IX  et 
ses  heureux  effets  :  «  II  a  ete  bientot  reconnu  que  la  loi  devait 
etre  permanente  et  universelle...,  les  lois  de  circonstance,  les  bis 
provisoires  ne  conviennent  plus  a  la  nation;  elles  conviennent 
encore  moins  a  ce  genie  qui  n'enfante  que  des  projets  seculaires, 
au  heros  qui  fonde  des  empires  et  des  dynasties,  qui,  apres  avoir 
longtemps  muri  ses  vastes  conceptions ,  les  grave  sur  le  bronze 
et  leur  donne  ce  caractere  determine,  que  les  fondateurs  de  Rome 
avaient  seuls  jusqu'a  ce  jour  imprime  a  leurs  lois  comme  a  leurs 
imperissables  constructions  (2).  »  Le  rapport  de  M.  Louvet, 
beaucoup  plus  pale,  ne  fait  que  repeter  quelques-unes  de  ces 
considerations ;  l'orateur  n'etait  peut-etre  pas  completement  pe- 
netre  de  ce  qu'il  donnait  comme  des  verites  sures ,  car  il  declare 
«  qu'il  faut  laisser  au  temps  le  soin  de  modifier  ou  memo  de  faire 
cesser  cette  institution,  si  les  ameliorations  qui  pourront  survenir 
dans  I'etat  des  mceurs  de  la  nation  en  font  un  jour  sentir  la  ne- 
cessite (3).  » 

Au  Conseil  d'Etat  il  n'y  avait  ea  aucune  resistance  centre  le 
projet  de  loi;  il  est  meme  interessant  de  constater  avec  quelle 
simplicite  certains  orateurs  relevent  les  consequences  exorbi- 
tantes  de  quelques  dispositions  (4).  Dans  la  discussion  du  projet 

(1)  Locri,  tome  XXVIII,  p.  51. 

(2)  Ibid.,  pp.  55,  56. 

(3)  Ibid.,  p.  78. 

(4)  On  discute  I'article  372  du  projet  ainsi  coDga  :  Le  jugement  de  la  cour  se 
formera  a  la  majority  a  peine  de  nuUit§.  «  M.  le  comte  Muraire  dit  que  la  nullit6 
.serait  illusoire ,  puisque  le  jugement  n'est  pas  sujet  h  recoups.  II  sufflt  done  de 


D  INSTRUCTION   CRIMINELLE.  SSI 

primitif  de  Code  criminel,  en  Tan  XII,  il  s'etait  encore  ma- 
nifeste  quelques  scrupules ,  vite  apaises ,  il  faut  le  dire.  No- 
tons  ces  paroles  de  M.  Treilhard  dans  la  seance  du  30  prairial 
an  XII  :  «  M.  Treilhard  dit  que  la  section  s'est  preoccupee  de 
I'organisation  des  tribunaux  d'exception ;  qu'en  soi  cette  institu- 
tion M  a  paru  dangereuse  en  ce  qu'on  trouvait  toujours  quelques 
circonstances  dont  on  pourrait  abuser  pour  rendre  indistincte- 
ment  tous  les  citoyens  justiciables  des  tribunaux  d'exception.  On 
n'evitera  cet  abus  qu'en  donnant  juridiction  a  ces  tribunaux  non 
a  raison  de  la  nature  du  crime ,  mais  a'  raison  de  la  qualite  de  la 
personne  :  on  pourrait  par  exemple  leur  renvoyer  les  individus 
.  coupables  de  recidive.  Au  reste  cette  institution  existe  deja  dans  les 
tribunaux  speciaux,  qui  jugent  des  crimes  qu'on  ne  propose  pas 
de  soumettre  aux  tribunaux  d'exception.  —  Les  tribunaux  speciaux 
doivent  subsister  jusque  deux  ans  apres  la  paix.  La  section  a  done 
pense  que  si  d'ici  a  ce  terme  le  jury  remplissait  les  esperances 
qu'on  a  congues ,  on  pourrait  se  passer  de  ces  tribunaux ;  que  si 
au  contraire  la  nouvelle  epreuve  qu'on  va  faire  du  jury  n'etait 
pas  satisfaisante ,  on  pourrait  les  proroger  (1).  »  Mais  cela  ne  re- 
pondait  point  a  la  pensee  de  Napoleon  :  «  Sa  Majeste  dit  que  la 
plupart  de  ceux  qui  ont  vote  le  maintien  du  jury,  n'ont  ete  de- 
termines que  par  la  certitude  qu'il  existerait  des  tribunaux  d'ex- 
ception... Sa  Majeste  voudrait  qu'on  fit  juger  par  eux  les  atten- 
tats centre  la  gendarmerie ,  les  delits  des  individus  en  recidive 
et  aussi  les  crimes  commis  par  des  malfaiteurs  en  bande  (2).  » 
Cambaceres  appuya  ces  observations  par  un  raisonnement  assez 
singiilier  :  «  II  ne  faut  pas  croire  que  I'etablissemeiit  des  tribu- 
naux d'exception  ne  doive  pas  atUnuer  le  jury,  mais  il  s'agit  de 
ne  renvoyer  devant  ces  tribunaux  que  les  hommes  qui  n'ont  pas 

poser  le  principe  que  le  jugement  se  formera  k  la  majority.  —  M.  le  comte  Ber- 
Uer  dit  que,  comme  I'a  observe  M.  Muraire,  la  loi  qui  n'admet  pas  de  recours, 
ne  doit  pas  parler  de  naUites  dont  on  ne  saurait  obtenir  le  redressement.  Ainsi 
les  derniers  mots  de  I'artiole  sont  i  retrancher ;  mais  si  la  rfegle  de  la  majority 
des  voix  n'etait  pas  suivie  dans  I'arrfit  (hypotWse  presque  Imaginaire  I)  une  faute 
si  grave,  si  elle  6tait  biea  constat^e,  ne  saurait  manquer  de  donner  lieu  a  la  prise 
k  partie.  » 

H)  LocrS.  tome  XXIV,  p.  106. 

(2) /6id.,  p.  106-107. 


552  LE    CODE 

le  droit  de  reclamer  le  jugement  par  jures.  En  effet,  etre  juge 
par  les  jures  c'est  etre  juge  par  ses  pairs;  done  si  on  accordait 
ce  privilege  aux  vagabonds  et  aux  brigands ,  on  devrait  les  faire 
juger  par  d'autres  vagabonds  ou  d'autres  brigands  (1).  »  De- 
sormais ,  c'etait  une  chose  decidee ;  la  question  reviendra  plu- 
sieurs  fois  devaot  le  Conseil ,  mais  elle  ne  soulevera  plus  aucune 
objection  (2).  Si  i'on  rapproche  ces  diverses  deliberations ,  dans 
leurs  degradations  successives ,  de  la  grande  discussion  qui  pr6- 
ceda  le  vote  de  la  loi  du  18  pluvidse  an  IX,  on  verra  quels  chan- 
gements  s'etaient  fails  dans  les  esprits. 

Encore  quelques  observations  sur  deux  points  importants,  et 
nous  en  aurons  fini  avec  la  redaction  du  Code  d'Instruction  cri- 
minelle. 

V. 

On  se  rappelle  le  peu  de  respect  que  I'ancienne  jurisprudence 
avait  pour  la  chose  jugee.  Alors  que  le  jugement  etait  favorable  a 
I'accuse,  bien  rarement  I'absolution  etait  prononcee,  et,  lorsque 
les  preuves  manquaient,  le  plus  amplement  informe  etait  la  regie. 
C'est  un  des  points  contre  lesquels  protesta  le  plus  hautement  la 
conscience  publique ,  et  I'effet  liberatoire  et  definitif  de  I'acquitte- 
ment  par  le  jury  fut  inscrit  dans  la  Constitution  de  1791.  Le 
Code  de  brumaire  an  IV  en  faisait  deux  fois  I'application  :  lors- 
qu'il  s'agissait  du  jury  d'accusation  et  lorsqu'il  s'agissait  du  jury 
de  jugement.  Deux  systemes  bien  opposes  s'etaient  done  encore 
ici  trouves  en  presence. 

Allait-on  revenir  en  arriere  et  repreadre  la  tradition  de  I'an- 
cien  droit?  Pendant  un  instant  "on  put  le  craindre.  Dans  la 
seance  du  Conseil  d'Etat  du  30  prairial  an  XII ,  I'archichancelier 
de  I'Empire  prononga  ces  paroles  :  «  Aujourd'hui  le  chef  d'une 

(1)  Locre,  p.  107.  M.  Treilhard  ayant  demand^  si  avant  de  r^diger  un  projet 
dans  ce  sens  il  ne  fallait  pas  attendre  «  I'arriv^e  des  observations  qu'on  a  de- 
maad^es  aux  tribunaux...  SaMajeste  dit  que  la  section  peut,  en  attendant,  s'oc- 
cnper  de  ce  travail  et  qu'on  pesera  les  observations  des  tribunaux  lors  de  la  dis- 
cussion. » 

(2)  Voyez  spAcialement  les  stances  du  23  Janvier  1808  {Locri,  t.  XXIV,  p.  S91) 
et  du  6  Kvrier  {Ibid.,  p.  613). 


D  INSTRUCTION  CRIMINELLE.  SS3 

cour  criminelle  n'est  pas  arme  de  moyens  suffisants  pour  conte- 
nir  les  accuses,  les  defenseurs,  le  public.  II  n'a  pas  meme  le 
'  droit  d'envoyer  a  I'instant  dans  les  prisons  ceux  qui  troublent 
raudience.  Veut-on  qu'il  agisse  avee  la  fermete  convenable? 
qu'on  I'investisse  d'un  pouvoir  discr^tionnaire ;  que  le  tribunal 
puisse  casser  le  jure  qui  prevarique ,  qu'il  ne  soit  point  reduit  a 
prononcer  I'absolution  pure  et  simple  de  I'accuse  k  qui  la  decla- 
ration du  jury  est  favorable ,  mais  qu'il  puisse  le  mettre  dans  les 
liens  d'un  plus  amplement  inform^,  et  sous  la  surveillance  de  la 
police  (1).  »  Precedemment,  dans  la  seance  du  9  prairial ,  il  avait 
dit  deja  :  «  II  est  encore  une  modification  non  moins  importante  : 
que  rabsolution  d'un  accuse  ne  soit  pas  toujours  pour  lui  un 
triomphe  complet,  mais  que  les  juges  trouvent  dans  la  loi  le  pou- 
voir de  le  mettre  sous  un  plus  ample  informe ,  et  de  le  placer 
sous  la  surveillance  de  la  police  (2).  »  Mais  cette  opinion  ne 
trouva  aucune  faveur,  et  dans  le  cours  de  la  discussion,  il  n'en 
fut  plus  question  :  les  articles  du  Code  d'instruction  criminelle 
qui  reproduisent  les  deux  textes  du  Code  de  brumaire  an  IV, 
dont  nous  avons  parle  plus  haut,  passerent  sans  discussion  toutes 
les  fois  qu'ils  vinrent  sous  les  yeux  du  Conseil.  L'effet  liberatoire 
de  I'acquittement  fut  meme  renforce  encore.  Desormais  le  pour- 
voi  en  cassation  ne  peut  etre  forme  que  dans  I'interet  de  la  loi 
centre  un  acquittement  prononce  en  cour  d'assises ,  et  centre  la 
procedure  qui  I'a  precede.  La  cour  d'assises  a  bien  aussi,  dans  un 
cas,  le  pouvoir  de  paralyser  la  decision  du  jury,  mais  e'est 
quand  le  verdict  etant  affirmatif ,  elle  pense  que  la  bonne  foi  des 
jures  a  ete  surprise  ou  egaree  et  que  la  condamnation  serait  in- 
Juste. 

On  n'a  point  oublie  quel  r61e  important  jouaient  dans  I'an- 
cienne  procedure  criminelle  les  lettres  de  justice  et  de  grace.  Ces 
lettres  disparurent  meme  avant  la  royaute.  C'etaient  des  appli- 
cations de  la  justice  retenue,  et  des  1789  on  admet  que  toute 
justice  emane  non  du  roi ,  mais  de  la  nation.  Pour  quelques-unes 
de  ces  lettres,  celles  qui  tendaient  a  entraver  le  cours  de  lajus- 


(1)  Locri,  tome  XXIV,  p. 

(2)  Ibid.,  p.  28. 


5S4  LB    CODE 

tice,  arretant  les  poursuiles  ou  imposant  aux  juges  une  absolution 
commandee ,  la  suppression  devait  etre  definitive.  Si  le  chef  de 
I'Etat,  lorsque  la  forme  de  gouvernement  etait  la  Monarchic  ou 
I'Empire ,  a  regu  depuis  lors  le  droit  d'accorder  des  amnisties ,  ce 
n'etait  en  aucune  fagon  un  retour  aux  anciennes  lettres,  tout 
individuelles.  Quant  aux  lettres  de  remission  et  de  pardon  qui 
servaient  jadis  a  innocenter  les  homicides  commis  en  vertu  de  la 
legitime  defense ,  elles  constituaient  un  systeme  bizarre  qui  n'a- 
vait  plus  de  raison  d'etre  (1).  Mais  il  en  etait  d'autres  qui  repon- 
daient  a  des  besoins  reels  :  les  lettres  de  gr§,ce,  de  rehabilitation, 
de  revision.  Pendant  I'epoque  intermediaire ,  parfois  on  chercha 
a  donner  satisfaction  a  ces  besoins  au  moyen  d'institutions  nou- 
velles ;  parfois  on  jne  trouva  pas  qu'ils  fussent  legitimes  et  meri- 
tassent  d'occuper  le  legislateur. 

Pour  ce  qui  est  d'abord  du  droit  de  gr^ce,  I'Assembiee  consti- 
tuante  I'avait  juge  incompatible  avec  les  principes  nouveaux  (2). 
Ony  voyait  une  sorte  d'attentat  centre  les  decisions  de  la  justice, 
et  jadis  Montesquieu  avait  proclame  que  ce  droit  n'etait  admis- 
sible que  dans  le  pur  etat  monarchique.  D 'autre  part  les  sentences 
rendues  sur  le  verdict  d'un  jury  paraissaient  presenter  une  telle 
surete  que  toute  retouche  etait  inutile.  Cependant  la  grace  repond 
a  un  besoin  qui  est  le  meme  sous  tous  les  gouvernements  et  dans 
tous  les  pays  :  adoucir  les  condamnations  trop  severes,  reparer 
les  erreurs  judiciaires ,  recompenser  les  efforts  des  condamnes 
vers  le  bien.  Aussi  le  droit  de  grace  reparut  sous  le  Consulat :  le 
senatus-consulte  organique  du  16  messidor  anXl'accorda  au  Pre- 
mier consul  (3).  Sous  I'Empire  le  droit  d'accorder  des  lettres  de 
grdce ,  droit  absolu  aux  mains  de  I'Empereur,  pouvait  s'expliquer 
par  un  retour  aux  anciens  principes  :  d'apres  le  senatus-consulte 
du  28  floreal  an  XII  la  justice  se  rendait  ?iu  nom  de  I'Empereur. 

La  rehabilitation  n'avait  point  ete ,  comme  la  grice ,  effaces  de 


(1)  Voyez  I'Exposi  des  motifs  da  titre  VII,  livre  II  du  Code  d'instruction  crimi- 
nelle  {Locr6,  tome  XXVIII,  p.  164). 

(2)  Voyez  Code  penal  de  1791 ,  I'o  partie,  tit.  vii,  art.  13. 

(3)  Art.  86  :  «  Le  Premier  consul  a  droit  de  faire  grflce.  II  exerce  ce  droit 
aprfes  avoir  entendu  dans  un  conseil  prive  le  grand-juge,  deux  ministres,  deux 
senateurs ,  deux  conseillers  d'Etat  et  deux  juges  du  tribunal  de  cassation.  » 


d'instruction  criminelle.  855 

DOS  lois  pendant  la  Revolution.  Elle  etait  meme  devenue  un  droit 
pour  ceux  des  condamnes  qui ,  apres  avoir  subi  leur  peine ,  reve- 
liaient  au  bien ;  mais  conformement  aux  idees  nouvelles ,  elle  ne 
pouvait  emaner  du  pouvoir  executif.  L'esprit  du  temps  se  recon- 
nait  et  dans  le  choix  de  I'autorite  charges  d'apprecier  I'amende- 
ment  du  condamne,  et  dans  les  formes  theMrales  dont  on  entoura 
la  rehabilitation  (1).  L'autorite  qui  statue,  c'est  le  conseil  general 
,de  la  commune  (art.  3-5)  (2).  Si  le  vote,  qui  a  lieu  apres  une 
attente  d'un  mois ,  est  favorable,  «  deux  o'fficiers  municipaux  re- 
yetus  de  leur  echarpe...  conduiront  le  condamne  devant  le  tribu- 
nal criminel  du  departement  dans  le  territoire  auquel  il  est  actuel- 
lement  domicilie...  ils  y  paraltront  avec  lui  dans  I'auditoire  en 
presence  des  juges  et  du  public.  Apres  avoir  fait  lecture  du  juge- 
ment  prononce  contre  le  condamne,  ils  diront  a  haute  voix  :  «  Un 
tel  a  expie  son  crime  en  faisaat  sa  peine ,  maintenant  sa  conduite 
est  irreprochable ;  nous  demandons  au  nom  de  son  pays  que  la 
tache  de  son  crime  soit  effacee  (art.  6).  »  Le  president  du  tribunal 
intervient  alors,  mais  seulement  pour  enregistrer  la  decision  et 
prononcer  une  formule  (art.  7).  «  Le  president  du  tribunal,  sans 
deliberation  prononcera  ces  mots  :  «  Sur  1' attestation  et  la  de- 
mande  de  votre  pays,  la  loi  et  le  tribunal  effacent  la  tache  de  votre 
crime.  » 

La  rehabilitation  etait  chose  peu  pratique,  sous  cette  forme 
qui  mettait  dans  une  vive  lumiere  le  crime,  dont  on  voulait  effa- 
cer  les  traces.  L'institution  etait  fort  peu  populaire ,  au  moment 
oil  Ton  discuta  le  projet  de  Code  criminel  (3).  La  question  de 
savoir  si  on  la  maintiendrait  fut  un  des  points  qu'on  detacha  au 
debut  comme  devant  6tre  prealablement  resolus.  L 'opinion  qui 
domina  fut  que  l'institution  ne  devait  pas  etre  rayee  de  nos  lois , 
mais  on  penchait  a  revenir  purement  et  simplement  aux  lettres 

(l)Voyez  Code  ptoal  de  1791  (!'=  partie,  tit.  vii). 

(2)  11  faut  qu'il  se  soit  6coul^  dix  ans  depuis  I'expiation  de  la  peine  et  que  le 
lib&6  ait  r6sid6  pendant  deux  ans  de  suite  dans  la  m«me  commune  (art.  1  et  2.) 

(3)  Stance  du  30  prairial  an  XII  :  «  M.  Regnaud  dit  que  dans  I'anoienne  legis- 
lation la  rehabilitation  s'opfirait  par  lettres  du  roi;  que  I'Assemblte  constituante  a 
«dopt6  un  mode  diffirent,  mais  que  les  circonstances  n'ont  pas  permis  de  1  em- 
ployer. Ce  mode  au  surplus  avait  I'inoonvfement  de  remettre  indistmotement  dans 
la  soci6t6  ceux  qui  avaient  subi  leur  peine.  »  [Locri,  tome  XXIV,  p.  104.) 


556  LE   CODE 

de  rehabilitation  de  I'ancien  regime.  «  L'archichancelier  observe 
que  TAssemblee  constituante  a  decrete  la  rehabilitation  dans  des 
circonstances  beaucoup  moins  favorables  que  celles"  ou  Ton  se 
trouve  :  alors  les  lettres  de  grice  etaient  supprimees ,  et  le  sou- 
verain  ne  pouvait  plus  intervenir  pour  dispenser  la  rehabilitation 
ou  la  modifier,  on  I'a  accordee  4  tons  les  condamnes  et  on  I'a  fait 
prononcer  par  les  administrations  locales  indistinctement  et  sans 
examen.  Maintenant  on  pent  adopter  un  mode  different,  et  qui 
fera  de  la  rehabilitation  une  institution  utile.  II  faut  ne  la  confier 
ni  aux  conseils  generaux,  ni  aux  administrations  locales,  mais 
ne  I'accorder  que  par  lettres  du  prince  qui  seront  delivrees  en 
connaissance  de  cause  et  avec  les  modifications  convenables  (1).  » 
Cependant  cette  idee ,  qui  etait  le  retour  pur  et  simple  aux 
traditions  de  I'ancien  regime,  ne  fut  pas  suivie.  On  adopta  un 
systeme  mixte,  portant  I'einpreinte  des  legislations  qui  avaient 
regne  tour  a  tour.  Le  condamne  non  recidiviste,  au  bout  du 
temps  d'epreuve  fixe  par  la  loi ,  devra  adresser  sa  demande  a  la 
cour  d'appel  avec  les  attestations  des  conseils  municipaux  des 
communes  ou  il  aura  successivement  habite.  La  cour  pourra 
arr^ter  la  demande  ou  au  contraire  I'admettre  :  si  elle  I'ad- 
met  tout  n'est  pas  fini;  la  rehabilitation  ne  resultera  que  des 
lettres  du  chef  du  pouvoir  executif ,  que  celui-ci  est  libre  de  re- 
fuser. «  La  rehabilitation,  dit  I'archichancelier,  ne  doit  etre 
operee  que  par  arret  de  la  cour  rendu  en  connaissance  de  cause , 
sur  la  demande  du  condamne,  appuyee  de  I'attestation  de  la 
municipalite  et  sur  les  conclusions  du  ministere  public.  La  cour 
doit  avoir  le  droit  d'ajourner  et  I'arret  ne  devenir  executoire 
qu'en  vertu  des  lettres  du  prince  (2).  »  Ge  systeme  composite  ne 
passa  pas  sans  etre  combattu  en  faveur  de  I'ancienne  theorie. 
M.  Regnaud  declare  «  qu'il  prefererait  qu'on  obtint  d'abord  des 
lettres  du  prince  et  qu'ensuite  on  les  fit  enteriner  (3).  »  Mais 
M.  Berlier  repondit  que  «  Facte  du  souverain  se  trouverait  &insi' 
a  la  merci  des  cours ,  et  que  sans  doute  on  ne  voudra  pas  res- 


(1)  Locrt,  tome  XXIV,  p.  105. 

(2)  Locr6,  tome  XXVIII,  p.  123. 

(3)  Ibid.,  p.  124. 


D  INSTRUCTION   CRIMINELLE.  557 

susciter  cette  ancienne  et  dangereuse  prerogative  des  Parle- 
ments.  »  En  realite ,  il  y  avait  dans  la  combinaison  nouvelle  plus 
qu'une  interversion  dans  I'ordre  des  operations  anciennement 
suivies.  M.  Real  le  fit  ressortir  dans  VExposg  des  motifs  :  «  Puis- 
que,  dit-il,  il  n'est  plus  question  du  droit  de  grace  et  de  son 
application  pure  et  simple ,  puisqu'il  s'agissait  de  la  reconnais- 
sance d'un  droit  acquis ,  les  tribunaux  ne  pouvaient  rester  etran- 
gers  a  I'instruction  qui  doit  preceder  le  jugement  :  il  a  done 
fallu,  dans  cette  matiere  mixte,  admettre  le  concours  des  tribu- 
naux  en  ouvrant  le  recours  au  prince  (1).  » 

La  revision  a  toujours  eu  pour  but  de  reparer  les  erreurs  judi- 
ciaires.  L'Assemblee  constituante  ne  I'avait  pas  admise,  pensant 
que  c'etait  assez  faire  que  d'octroyer  aux  accuses  la  libre  defense 
et  le  jugement  par  le  pays  :  c'etait  la  encore  une  reaction  centre 
les  pratiques  de  I'ancien  regime  ou  les  lettres  de  revision  etaient 
frequentes.  La  Convention  cependant  introduisit  la  revision,  mais 
dans  une  seule  hypothese ,  celle  de  deux  condamnations  inconci- 
liables ,  et  elle  en  fit  une  voie  de  recours  devant  la  Cour  supreme. 
Le  Code  d'instruction  criminelle  I'admit  avec  le  meme  caractere, 
et  il  I'ouvrit  dans  trois  cas  en  faveur  des  condamnes  a  des  peines 
criminelles.  Sur  ce  point,  le  systeme  de  I'Ordonnance  ne  repa- 
raissait  point. 

Des  lettres  de  cachet,  en  droit  du  moins,  il  ne  pouvait  etre 
question.  Cependant  dans  la  discussion  au  Conseil  d'Etat,  il  y  fuf 
fait  allusion.  Le  projet  de  Code  criminel  contenait  une  etrange 
institution.  C'etait  un  jury  de  famille  :  il  devait  juger  les  simples 
delits  ou  contraventions  commis  «  par  un  fils  de  famille  non  marie 
ou  non  etabli ,  ou  par  une  femme  mariee  non  separee  de  corps  de 
son  mari ,  »  lorsqu'il  n'y  avait  point  de  complices  etrangers ,  et 
que  des  etrangers  ne  pouvaient  elever  aucune  reclamation  a  fin 
de  reparations  civiles.  La  decision  de  ce  jury,  qui  statuait  sur  la 
culpabilite  et  sur  la  peine  sous  la  presidence  du  juge  de  paix, 
ne  devenait  executoire  que  par  la  confirmation  du  president  de  la 
cour  d'appel,  qui  pouvait  moderer  la  peine.  Ce  projet,  qui  repon- 
dait  assez  bien  aux  idees  sentimentales  du  xviii^  siecle,  fut  d'abord 

(1)  Locri,  tome  XXVIII ,  p.  165. 


S58  LE   CODE 

favorablement  accueilli ;  quelques  tribunaux  criminels  Texalterent 
m6me  dans  leurs  observations  (1).  Mais  quand  il  fut  discute  en 
1808, 1'esprit  pratique  avait  pris  le  dessus,  et  la  proposition  fut 
repoussee  au  Conseil  d'Etat.  Cependant  il  y  eut  encore  une  discus- 
sion assez  serieuse,  car  on  se  rappelait  que  les  lettres  de  cachet 
avaient  jadis  rempli  souvent  une  fonction  analogue  a  celle  qu'on 
avait  voulu  attribuer  a  ce  jury  de  famille.  «  M.  le  comte  Re- 
gnaud  de  Saint-Jean  d'Angely  craint  que  cette  institution  n'in- 
troduise  I'arbitraire.  II  avoue  qu'autrefois ,  et  lorsque  les  lettres 
de  cachet  etaient  en  usage ,  il  y  en  avait  encore  plus ;  mais  on 
delivrait  peu  de  lettres  de  cachet  (2).  »  Dans  la  seance  du  23 
aout  1808,  M.  Treilhard  soutenait  encore  le  jury  de  famille  : 
«  II  dit  qu'il  ne  pretend  pas  que  cette  institution  soit  necessaire, 
mais  qu'il  est  persuade  qu'elle  aura  de  bons  effets,  n'eut-elle  que 
celui  d'empecher  le  retour  des  lettres  de  cachet  :  les  hommes 
puissants  et  en  credit  ne  manqueraient  pas  d'invoquer  I'autorite 
du  souverain ,  si  la  loi  ne  leur  donne  pas  un  moyen  de  reprimer 
les  desordres  interieurs  de  leur  famille  (3).  »  Mais  I'institution 
n'etait  pas  viable;  on  ne  la  laissa  pas  venir  au  jour,  et  les  lettres 
de  cachet  n'ont  pas  reparu. 

(1)  Tribunal  de  Loir-et-Cher,  p.  36  (06s.,  torn.  Ill) ;  tribunal  de  I'H^rault,  p.  66 
[Ibid.). 

(2)  Locrd,  tome  XXVIII,  p.  107. 

(3)  Ibid.,  p.  142. 


D  INSTRUCTION   CRIMINELLE.  559 

CHAPITRE  QUATRlftME. 
La  proc6dure  criminelle  depuis  le  Code  de  1808. 


I.  La  legislation  et  la  jurisprudence.  —  II.  Modifications  apport^es  k  la  proce- 
dure devant  les  juridictions  de  jugement.  —  III.  Modifications  apport^es  a 
^'instruction  pr^paratoire  :  loi  de  1856,  1863,  1863.  —  IV.  Projets  der^forme; 
le  projet  de  1879. 


I. 

Notre  teiche  semble  terminee.  Nous  avons  commence  notre 
etude  en  nous  plagant  a  I'epoque  ou  les  premieres  traces  de  la 
procedure  inquisitoire  et  secrete  se  montrent  dans  nos  lois.  Puis , 
suivant  le  cours   des  temps ,  nous   avons  vu  cette  procedure 
grandir,  s'imposer,  se  preciser  et  se  fixer  enfin  dans  les  lignes 
inflexibles  de  la  grande  Ordonnance.  Dans  la  seconde  moitie  du 
xviii'  siecle,  un  esprit  nouveau  remet  en  question  la  procedure 
criminelle,  comme  toutes  les  institutions  de  la  vieille  societe 
francaise;  et  bientot  un  grand  souffle  de  liberty  passe  sur  la 
France.  Les  lois  de  la  Revolution ,  copiees  sur  des  lois  anglaises, 
etablissent  parmi  nous  le  jury,  la  procedure  orale  et  publique , 
la  libre  defense  des  accuses.  Mais  on  a  sacrifie  sans  necessite 
quelques-unes  des  plus  sages  institutions  de  I'ancien  droit  :  au 
milieu  des  circonstances  terribles  qui  I'enserrent ,  la  nouvelle 
procedure  se  montre  inefficace;  peu  s'en  faut  qu'un  puissant 
mouvement  de  reaction  ne  fasse  revivre  I'Ordonnance  de  1670. 
Cependant  I'institution  du  jury  est  sauvee  apres  bien  des  discus- 
sions et  des  luttes ,  et  nous  avons  assiste  a  I'elaboration  penible 
du  Code  d'instruction  criminelle,  oeuvre  composite  et  de  tran- 
saction ,  qui  emprunte  aux  lois  de  la  Revolution  presque  toutes 
les  regies  des  debats  et  des  jugements,  a  I'Ordonnance  de  1670 
presque  toutes  celles  de  I'iastruction  preparatoire.  II  semble  que 


560  LE   CODE 

notre  exposition  soit  terminee,  car  le  Code  d'instruction  crimi- 
nelle  nous  regit  encore  aujourd'hui.  11  nous  reste  cependant  un 
dernier  chapitre  a  ecrire.  Le  Code  d'instruction  criminelle  est 
aujourd'hui  deja  une  loi  ancienne;  il  est  plus  que  septuagenaire , 
et  depuis  sa  promulgation  il  a  subi  de  nombreuses  modifications, 
quelques-unes  tres-profondes  bien  que  portant  sur  des  points  de 
detail.  La  lutte  a  continue  entre  les  deux  tendances ,  entre  les- 
quelles  les  l^gislateurs  de  1808  avaient  voulu  etablir  une  tran- 
saction durable  et  un  equilibre  definitif.  Si  pour  la  procedure  du 
passe  il  ne  pouvait  etre  question  de  nouvelles  conquetes,  si  le 
terrain  cede  par  elle  etait  definitivement  perdu ,  I'esprit  de  libre 
defense  devait  tendre  a  envahir  les  points  oil  il  n'avait  pas  pu 
penetrer  en  1808.  Le  debat  a  continue  en  effet,  dans  la  presse  et 
au  Parlement ,  dans  les  livres  et  dans  -les  discours.  Cette  fois , 
contrairement  a  ce  qui  se  passa  au  xvni"  siecle ,  souvent  ce  sent 
les  criminalistes  qui  ont  conduit  I'attaque ;  c'est  leur  voix  qui  a 
parle  le  plus  haut  en  faveur  de  I'humanite  et  de  la  liberte  sage. 
II  suffit  de  citer  les  noms  celebres  et  respectes  de  Faustin  Helie  et 
d'Ortolan. 

Cependant  il  faut  le  dire,  sauf  certaines  reformesintimement 
unies  au  souvenir  des  causes  celebres,  telles  que  la  rehabilitation 
en  faveur  des  morts,  ces  reclamations  n'ont  point  passionne 
I'opinion  publique.  Les  gouvernements  qui  ont  fait  proposer  et 
adopter  des  adoucissements  et  des  reform  es  se  sont  inclines  de- 
vant  les  conclusions  de  la  science  plutot  qu'ils  n'ont  cede  aux 
exigences  de  I'opinion.  II  est  facile,  croyons-nous ,  d'expliquer  ce 
calme  des  esprits,  qui  n'est  point  de  I'indifTerence.  Nous  avons  le 
jugement  par  jures  pour  les  infractions  les  plus  graves;  pour 
toutes,  la  procedure  est  publique  et  orale  et  la  defense  comple- 
tement  libre  :  en  droit  et  en  fait  devant  les  juridictions  de  juge- 
ment on  est  done  certain  qu'en  fm  de  compte  I'innocence  pourra 
aisement  triompher.  Quelle  que  soit  la  rigueur  de  I'instruction, 
elle  ne  peut  faire  disparaitre  le  sentiment  de  securite  que  donne 
la  procedure  definitive. 

Nous  ne  decrirons  point  le  mouvement  des  esprits  tel  qu'il 
apparait  dans  les  discussions  parlementaires ,  dans  la  presse*  et 
dans  les  livres;  c'est  le  milieu  meme  dans  lequel  nous  vivons; 


d'insteuction  criminelle.  561 

mais  nous  indiquerons  d'une  facon  rapide  ce  qu'a  fait  le  legisla- 
teur  depuis  1808  jusqu'a  nos  jours.  Nous  noterons  aussi  les  ten- 
dances et  les  resultats  de  la  jurisprudence,  la  ou  lis  auront  6te 
inspires  par  une  vue  d'ensemble  plutot  que  par  rinterpretation 
minutieuse  des  testes ;  la  jurisprudence  est  partout  et  toujours 
I'un  des  agents  les  plus  puissants  parmi  ceux  qui  coutribuent 
au  d6veloppement  du  droit  chez  un  peuple. 


II. 

Deux  parties  bien  distinctes  composent,  nous  I'avons  vu,  le 
Code  d'instruction  criminelle  :  les  regies  qui  concernent  le  juge- 
ment  et  celles  qui  regissent  I'instruction.  Les  premieres  devaient 
§tre  plus  stables  que  les  secondes;  elles  avaient  repris  peu  de 
chose  aux  institutions  du  passe. 

Cependant ,  un  emprunt  avait  ete  fait  aux  plus  funestes  inspi- 
rations de  I'ancien  regime.  Les  cours  speciales ,  heritieres  des 
anciennes  juridictions  prev6tales,  marquaient  d'une  tache  sinistre 
le  Code  d'instruction  criminelle.  Elles  ne  disparurent  point  avec 
I'Empire.  La  charte  constitutionnelle  du  il  juin  1814  les  main- 
tenait  comma  institution  normale.  Art.  62  :  «  Nul  ne  peut  etre 
distrait  de  ses  juges  naturels.  »  Art.  63  :  «  II  ne  pourra  en  con- 
sequence etre  cree  de  commissions  et  de  tribunaux  extraordi- 
naires.  Ne  sont  pas  comprises  sous  cette  denomination  les  juri- 
dictions prev6tales  si  leur  retablissement  est  juge  necessaire.  » 
Effectivement ,  une  loi  du  20  decembre  1815  organisa  des 
cours  pr^votales  composees  d'un  president  et  de  quatre  juges, 
choisis  parmi  les  membres  du  tribunal  d'arrondissement ,  et  d'un 
prevot  pris  parmi  les  officiers  de  terre  ou  de  mer  ayant  le  grade 
de  colonel  et  ages  de  trente  ans  (art.  2,3,4).  Elles  connaissaient 
de  tous  les  crimes  deferes  par  le  Code  aux  cours  speciales ;  mais 
de  plus ,  leur  competence  embrassait  un  grand  nombre  de  delits 
politiques  (art.  8  a  14),  et  cette  competence  nouvelle  etait  la 
veritable  raison  d'etre  de  I'institution  (1).  Les  jugements  rendus 
par  ces  cours  prev6taies  n'etaient  susceptibles  d'aucun  recours ; 

(1)  Sirey,  Lois  annoUes,  I,  p.  931. 

36 


562  LE   CODE 

la  question  de  competence  etait  soumise  a  la  chambre  des  mises 
ea  accusation  qui  statuait  definitivement  sans  qu'un  pourvoi  en 
cassation  fut  possible  (art.  45  et  39).  Par  la  meme  les  cours  spe- 
ciales  du  Code  d'instruction  criminelle  cessaient  d'exister,  et  les 
nouvelles  cours  prevotales  ne  devaient  pas  avoir  une  longue  exis- 
tence. L'article  55  et  dernier  de  la  loi  de  1815  decidait  «  que  la 
presente  loi  cesserait  d'avoir  son  effet,  si  elle  ;n'a  ete  renouvelee 
dans  le  courant  de  ladite  session.  »  Or,  elle  ne  fut  pas  renouvelee : 
a  I'ouverture  meme  de  la  session,  le  5  novembre  1817,  Louis 
XVIII  avait  annonce  qu'il  ne  considerait  pas  comme  necessaire 
la  conservation  des  cours  prevotales  pendant  un  temps  plus  long. 
La  charte  de  1830  prohiba  a  tout  jamais  leur  retablissement. 
Art.  53  :  «  Nul  ne  pourra  etre  distrait  de  ses  juges  naturels.  » 
Art.  54  :  «  II  ne  pourra  etre  cree  de  commissions  extraordinaires 
ou  de  tribunaux  d' exception  a  quelque  titre  et  sous  quelque  de- 
nomination que  ce  puisse  6tre.  »  Sur  ce  point  encore ,  I'Ordon- 
nance  de  1670  rentrait  definitivement  dans  le  passe;  dorenavant, 
les  juridictions  prevotales  n'appartiennent  plus  qu'a  I'histoire. 
Restaient  les  juridictions  de  droit  commun  :  cours  d'assises, 
tribunal  de  police  correctionnelle ,  tribunal  de  simple  police. 

Pour  la  procedure  devant  la  cour  d'assises,  en  1808,  pas  plus 
qu'en  1791  et  qu'en  I'an  IV,  on  n'avait  atteint  la  perfection.  Les 
modifications  apportees  plus  tard  ne  devaient  etre,  il  est  vrai, 
que  des  perfectionnements  dans  les  details ;  mais  plusieurs  points 
tres-importants  furent  retouches.  Les  regies ;  sur  la  position  des 
questions  au  jury  furent  changees  :  sans  revenir  aux  simplifica- 
tions si  compliquees  du  Code  des  delits  et  des  peines,  on  a  decide 
que  Ton  decomposerait  en  ses  elements  necessaires  la  question 
unique  qui,  d'apres  le  Code  d'instruction  criminelle,  devait  pur- 
ger  I'acte  d'accusation  (1).  Ici  la  pratique  des  presidents  de  cours 
d'assises  preceda  la  loi  et  inspira  le  legislateur. 

Une  autre  reforme  assura  dans  leurs  votes  I'independance 
des  jures.  Nous  avons  dit  plus  haut  comment,  d'apres  la  loi  de 
1791  et  le  Code  de  brumaire,  les  jures  venaient  un  a  un  enon- 


\l)  Loi  du  9  septembre  1835  (nouvel  article  343  da  Code  d'instruction  crimi- 
nelle) ;  loi  du  13  mai  1836. 


D  INSTRUCTION   CRIMINELLE.  563 

cer  de  vive  voix  leur  opinion.  Le  Code  d'instruction  criminelle 
n'avait  point  conserve  ces  formes  un  peu  theMrales,  mais  il 
maintenait  le  principe  de  la  declaration  orale;  il  n'isolait  meme 
point,  comme  on  le  faisait  precedemment ,  les  jures  les  uns  des 
autres.  Lorsqu'ils  etaient  retires  dans  leur  salie  des  deliberations 
et  que  la  discussion  etait  close ,  le  chef  du  jury  les  interrogeait 
les  uns  aprfes  les  autres  et  enregistrait  leur  reponse  (art.  345). 
Cette  methode  devait  souvent  genet  les  esprits  timides  et  fausser 
Men  des  votes.  Elle  fut  changee  par  la  loi  du  9  septembre  1835 
qui  etablit  le  vote  au  scrutin  secret.  «  On  s'est  demande ,  disait 
le  garde-des-sceaux  dans  I'Expose  des  motifs ,  pourquoi ,  lorsque 
tout  se  fait  chez  nous  au  scrutin  secret ,  on  n'admettait  pas  pour 
les  cours  d'assises,  c'est-a-dire  pour  exprimer  ce  que  la  cons- 
cience a  de  plus  intime ,  le  procede  mis  en  usage  pour  les  elec^ 
tions  a  tous  les  degres  et  pour  la  confection  des  lois.  »  Ce  nou- 
veau  mode  de  scrutin  fut  confirm^  et  precise  par  la  loi  du  13 
mai  1836. 

En  1832,  le  jury  acquit  un  pouvoir  nouveau,  celui  de  recon- 
naitre  des  circonstances  attenuantes  en  faveur  des  accuses  (art. 
341).  Cette  reforme  d'une  importance  capitate  touche  plus  au 
droit  penal  qu'a  la  procedure  criminelle.  Cependant  nous  devons 
remarquer  que  c' etait  abaisser  en  partie  cette  barriere  qu'on  avait 
voulu  elever  entre  le  fait,  abandonne  au  jury,  et  la  question  de  la 
peine  reservee  aux  magistrats.  Pour  accorder  les  circonstances 
attenuantes  le  jury  devait  souvent  se  determiner  par  la  rigueur  de 
la  peine  :  c'est  une  tendance  qu'on  ne  pouvait  empecher  d'abou- 
tir;  d'ailleurs,  le  garde-des-sceaux  presentant  I'Expose  des  motifs 
reconnaissait  dans  une  certaine  mesure  la  legitimite  de  sembla- 
bles  verdicts.  «  Sans  doute,  disait-il,  I'opinion  du  jury  se  trou- 
vera  entrainee  quelquefois  par  la  consideration  de  la  rigueur  de  la 
peine ;  mais  I'influence  de  cette  consideration  ne  saurait  etre  abso- 
lument  evitee ;  il  faut  mieux  lui  faire  une.  juste  part  que  d'exposer 
k  I'impunite  et  que  de  laisser  accrediter  la  doctrine  dangereuse 
de  I'omnipotence  (1).  ».  La  force  des  choses  dejouait  les  idees 
preconcues  inscrites  d'abord  dans  la  loi. 

(1)  Sirey,  Lois  annoUes,  11,  p.  126. 


364  LE   CODE 

Sur  deux  points,  des  changements  multiples  se  sont  produits, 
le  legislateur  oscillant  entre  des  teudances  opposees.  II  s'agit  de 
la  composition  du  jury  et  de  la  majorite  a  laquelle  il  doit  rendre 
son  verdict  de  condamnation. 

Chaquefois,  pour  ainsi  dire,  qu'un  changement  notable  s'est 
produit  dans  le  gouvernement ,  une  loi  nouvelle  est  venue  mo- 
difier la  composition  du  jury.  Ainsi  se  sont  succede  la  loi  du 
2  mai  1827,  le  decret  du  7  aout  1848,  la  loi  du  i  juin  1833,  le 
decret  du  ii  octobre  1870  (1)  et  la  loi  du  21  novembre  1872.  Cos 
modifications  frequentes ,  contre-coups  des  courants  politiques  et 
des  revolutions,  ne  sont  point  faites  pour  nous  etonner.  L'histoire 
romaine  presente  le  meme  spectacle  au  temps  des  qusestiones  per- 
petuse  :  les  senateurs  et  les  chevaliers  se  disputent  le  droit  de 
sieger  au  jury  criminel;  les  changements  apportes  dans  le  choix 
des  jures  sont  un  triomphe  pour  I'un  des  partis ,  et  les  lois  se 
succedent  a  court  intervalle  toutes  empreintes  d'un  caractere 
politique  (2).  Nous  n'entrerons  point  ici  dans  les  details.  Disons 
seulement  que  depuis  la  loi  de  1827  il  y  a  un  terme  de  plus  dans 
les  operations  qui  doivent  donner  comme  resultante  le  jury  de 
jugement.  Cette  loi ,  en  effet ,  a  cree  une  liste  annuelle  du  jury, 
sur  laquelle  les  listes  de  session  sont ,  non  plus  choisies ,  mais  ti- 
rees  au  sort ,  quinze  jours  avant  I'ouverture  des  assises.  C'etait 
la  une  heureuse  creation ,  qui  a  to uj  ours  subsiste  depuis  lors ,  et 
qui  meme ,  dans  les  lois  les  plus  recentes ,  a  fait  mettre  de  c6te 
la  liste  generale,  desormais  inutile;  ce  qui  a  varie ,  ce  qui  variera 
sans  doute  encore ,  c'est  le  choix  des  autorites  chargees  tous  les 
ans  de  dresser  cette  liste. 

Le  legislateur  de  1808  avait  adopte  pour  les  decisions  du  jury 
le  principe  de  la  simple  majorite,  mais  il  ne  I'avait  point  franche- 
ment  proclame,  et  avait  constitue  un  systeme  illogique  et  com- 
plique,  qui  ne  pouvait  durer.  La  loi  du  4  mars  1831  fit  disparai- 
tre  cette  anomalie ;  elle  ne  voulait  plus  «  que  les  juges  du  droit 
participassent  a  la  declaration  du  fait ;  »  mais  elle  decida  que  la 

(1)  II  abrogeait  la  loi  de  1853  et  remettait  en  vigueur  le  decret  de  1848. 

(2)  Voy.  :  Geib,  Geschichte  des  romischen  Crminalprocesses ,  p.  195,  ssq.  — 
Zumpt :  Das  criminalrecht  der  romischen  Republik;  Zweiter  Band  :  Die  Schww- 
gerichte. 


d'instruction  criminelle.  865 

decision  du  jury  ne  se  formerait  centre  I'accuse  qu'a  la  majorite 
de  plus  de  sept  voix.  C'etait  revenir,  en  partie,  aux  principes  des 
lois  de  1791  et  de  I'an  IV;  c'etait  accorder  aux  accuses  une  fa- 
^veur  dangereuse.  Aussi  bientot  une  reaction  se  produisit,  et  la 
loi  du  9  mars  1835  retablit  la  regie  de  la  simple  majorite  :  «  On 
s'est  demande,  disait  le  garde-des-sceaux ,  pourquoi,  dans  un 
gouvernement  de  majorite ,  c'etait  k  la  minorite  qu'on  laissait  le 
droit  de  decider  de  I'honneur,  de  la  vie  et  de  la  fortune  des  ci- 
toyens  (1).  »  En  1848  une  nouvelle  oscillation  se  produit  en  sens 
contraire ;  il  y  a  meme  deux  lois  rendues  sur  ce  point  dans  la 
meme  annee.  Un  premier  decret  du  6  mars  1848,  destine  a  abro- 
ger  les  fameuses  lois  de  septembre  1835,  decida  dans  son  arti- 
cle 4  :  «  La  condamnation  aura  lieu  a  la  majorite  de  neuf  voix ; 
la  decision  du  jury  portera  ces  mots  :  Oui,  I'accuse  est  coupable 
a  la  majorite  de  plus  de  huit  voix,  a  peine  de  nullite.  »  Le  pream- 
bule  declarait  «  que  la  condamnation  par  le  jury  a  la  simple  ma- 
jorite est  une  disposition  que  reprouvent  a  la  fois  la  philosophie 
et  I'humanite,  et  qui  est  en  opposition  complete  avec  tous  les 
principes  proclames  par  nos  diverses  Assemblees  nationales.  » 
Mais  le  18  octobre  un  autre  decret,  vote  par  I'Assemblee  consti- 
tuante  sur  le  rapport  de  M.  Cremieux,  reduisit  a  huit  voix  la  ma- 
jorite necessaire  pour  la  condamnation.  Enfin,  la  loi  dulO  juin 
1853  ,  modifiant  encore  I'article  347  du  Code  d'instruction  crimi- 
nelle ,  retablit  le  principe  de  la  simple  majorite ,  pernlettant  a  la 
cour,  dans  I'article  352,  «  de  renvoyer  a  des  assises  subsequentes 
une  affaire  ou  elle  aurait  la  conviction  d'une  erreur  judiciaire 
commise  par  le  jury  (2).  »  II  n'est  pas  probable  qu'on  abandonne 

(1)  Cependant  la  loi  de  1835  apportait  encore  una  restriction ,  bien  faible  il  est 
vrai.  Modifiant  I'arl.  352,  Inst,  crim.,  qui,  en  cas  de  verdict  affirmatif,  permettait 
aux  juges,  s'ils  6taient  unanimement  convaincus  que  les  jur^s  se  sont  trompes  sur 
le  fond,  de  renvoyer  I'affaire  a  une  autre  session,  elle  ajoutait :  «  Lorsque  I'ao- 
cas6  n'aura  et6  declare  coupable  qu'a  la  simple  majorite  (ce  que  les  jurfis  devaient 
dMarer) ,  il  suffira  que  la  majority  des  juges  soil  d'avis  de  surseoir  au  jugement 
et  de  renvoyer  I'aEEaire  a  la  session  suivante ,  pour  que  cette  mesure  soit  ordon- 
n^e  par  la  cour.  » 

(2)  L'Expose  des  motifs,  disait :  «  Cette  innovation  n'en  est  pas  une  en  rSaliti' 
Depuis  soixante  ans  que  le  jury  existe  dans  notre  pays,  il  n'a  fonctionne  avec 
des  majoritSs  exagSr^es  pour  les  declarations  de  culpability  que  pendant  quatorze 
ans ;  il  a  fonctionnS  pendant  quarante-six  ans  avec  la  simple  majority.  »  Sirey, 
Lois  annoUes,  1853,  p.  67. 


566  LE   CODE 

dorenavant  une  regie  si  sage,  qui  maintient  la  balance  egale 
entre  I'accuse  et  la  societe  qui  I'accuse ;  une  longue  experience 
I'a  maintenant  consacree ,  et  Ton  peut  dire  qu'elle  a  passe  dans 
les  moeurs. 

Pour  en  finir  avec  les  modifications  legislatives  qu'a  subies  I'or- 
ganisation  du  jury,  disons  qu'une  loi  recente  du  19  juin  1881  (1) 
a  supprime  le  resumS  que  le  president  de  la  cour  d'assises  de- 
vait  prononcer  apres  avoir  clos  les  debats.  C'est  une  r^forme  en 
faveur  de  laquelle  il  s'etait  forme  depuis  longtemps  un  courant 
puissant  dans  I'opinion  publique.  Ce  resume,  qui  devait  presenter 
un  tableau  fidele  des  debats ,  ne  reftetait  pas  toujours  egalement 
I'accusation  et  la  defense.  Par  inconscient  esprit  de  corps ,  par  ce 
sentiment  professionnel  qui  rendait  jadis  les  juges  de  la  Tour- 
nelle  peu  favorables  a  la  defense ,  le  president ,  quel  que  fut  son 
desir  de  se  montrer  impartial,  devenait  trop  souvent  I'auxiliaire 
de  I'avocat  general.  Quant  au  requisitoire  du  ministere  public,  le 
resume  etait  parfois  une  amplification.  Peut-Stre  entre  I'accusa- 
tion et  la  defense  la  partie  n'etait  plus  vraiment  egale,  quand,  au 
moment  ou  dans  I'esprit  des  jures  se  produisent  ces  oscillations 
qui  precedent  les  decisions  difflciles ,  le  president  jetait  dans  la 
balance  le  poids  de  sa  haute  autorite.  En  sens  inverse,  d'ailleurs, 
on  peut  dire  que  souvent  les  jures,  maintenant  rompus  a  leurs 
fonctions ,  avaient  leur  opinion  faite  a  la  cloture  des  debats ,  et 
qu'ils  ecoutaient  avec  impatience  un  resume,  qui  prolongeait  leur 
seance  et  retardait  le  moment  decisif  oil  le  verdict  allait  etre 
rendu  et  proclame. 

Si  maintenant  on  se  demande  comment  la  jurisprudence  a 
applique  les  regies  de  la  procedure  devant  les  cours  d'assises , 
on  trouve  d'abord  qu'elle  a  maintenu  avec  la  plus  grande  ri- 
gueur  le  formalisme  necessaire  dans  la  procedure  par  jures  :  les 
formes  sent  ici  une  des  principales  garanties.  La  cour  supreme, 
elargissant  dans  un  esprit  de  justice  le  cadre  des  nulliteSi  declare 
irritante  remission  de  toute  formalite  qui  est  vraiment  substan- 
tielle  pour  la  defense ,  alors  m§me  que  la  loi  ne  I'aurait  pas 

(1)  Nouvel  article  346.  Inst.  crim. :  «  Le  president,  aprfes  la  cl6ture  des  debats, 
ne  pourra ,  a  peine  de  nuUitS ,  rtsumer  les  moyens  de  I'accusation  et  de  la  de- 
fense. »  En  Belgique,  ce  r6sum6  avait  6t6  suppriin6  par  un  dficret  du  4  juillet  1831. 


D  INSTRUCTION   CEIMINELLE.  567 

prescrite  a  peine  de  nullity.  Mais  d'autre  part,  la  jurisprudence  a 
introduit  dans  une  assez  large  mesure  I'usage  des  depositions 
ecrites  devant  les  cours  d'assises. 

Nous  avons  vu  avea  quel  soin  le  legislateur  de  1791  et  de  I'an 
IV  avail  eloigne  des  yeux  des  jures  les  depositions,  ecrites 
recues  dans  I'instruction  preparatoire ;  non-seulement  -il  etait 
defendu  de  leur  remettre  ces  pieces ,  mais  encore ,  sauf  quel- 
ques  exceptions,  de  leur  en  donner  lecture.  Le  Code  de  1808, 
tout  en  etant  moins  net  et  moins  strict ,  n'avait  pas  repudie  cette 
tradition,  nous  I'avons  montre  plus  haut.  La  jurisprudence  a 
decide  au  contraire ,  que  le  president ,  en  vertu  de  son  pouvoir 
discretionnaire ,  pent  toujours  faire  donner  lecture  aux  jures  des 
depositions  ecrites.  Cette  jurisprudence,  qui  s'est  etablie  de  bonne 
heure  (1),  s'est  maintenue  d'une  facon  constante.  D'abord  les 
termes  des  arrets  semblaient  la  restreindre  au  cas  oii  le  temoin 
n'avait  pu  etre  cite  ou  comparaitre  par  suite  d'une  force  majeure, 
mais  on  en  arriva  a  appliquer  le  meme  principe  au  cas  ou  le 
temoin  aurait  peut-etre  cite  et  ne  I'avait  pas  ete  :  que  le  temoin 
soit  present  ou  absent,  le  president  pent  faire  lire  sa  deposi- 
tion (2).  C'est  la  une  pratique  aujourd'hui  bien  etablie  et  qui  ne 
souleve  point  de  protestations  :  elle  fournit  des  ressources  a  la 
defense  comme  a  I'accusation.  D'ailleurs,  si  jadis  I'emploi  des 
pieces  ecrites  avait  ete  prohibe  avec  tant  de  soin  devant  le  jury, 
c'etait  dans  la  crainte  que  par  la  la  theorie  des  preuves  legales 
ne  se  reformat  d'elle-meme.  On  s'est  apercu  bien  vite  que  cette 
crainte  etait  vaine.  Le  systeme  des  preuves  morales  est  impose 
par  I'esprit  public  plus  encore  que  par  la  loi. 

Dans  la  procedure  devant  les  juridictions  de  police  correction- 
nelle ,  I'ecriture  a  gagne  beaucoup  plus  de  terrain ,  et  cela  mgme 
en  vertu  d'une  loi  formelle.  L'organisation  de  la  juridiction  d'ap- 
pel  en   matiere   correctionnelle  avait  ete  en  1808  Jllogique  et 


(1)  Voy.  Cass.,  10  jaavier  1817  ;  Cass.,  9  avril  1818  (Sirey  :  Collect,  fiouv.,  Ve 
vol.  I,  p.  463). 

(2)  Cependant  la  jurisprudence  maintient  le  principe  d'aprfes  lequel  I'oralitfi  est 
le  caractere  dominant;  ainsi  lorsqu'un  tfemoin  comparatt  et  depose  devant  les 
jurfe ,  on  ne  saurait  faire  pricider  sa  deposition  orale  de  la  lecture  de  sa  depo- 
sition 6crite.  Cass.,  12  septembre  1867  (Sir.  68,  1,  319). 


S68  LE  CODE 

bizarre;  elle  ne  pouvait  se  justifier  que  par  la  difficulte  des  com- 
munications a  cette  epoque.  Quelques  appels  seulement  (ceux  du 
departement  oil  la  cour  avait  son  siege)  etaient  portes  devant  la 
cour  d'appel ;  les  autres  etaient  portes  devant  le  tribunal  du  chef- 
lieu  du  departement;  quelques-uns  au  tribunal  du  chef-lieu  d'un 
departement  voisin.  II  n'y  avait  ni  harmonie,  ni  hierarchie  veri- 
table, et  en  histoire  comme  en  bonne  logique  une  hierarchie 
sagement  construite  apparait  comme  I'une  des  conditions  natu- 
relles  de  I'appel.  La  loi  du  13  juin  1856  vint  faire  disparaitre  ces 
anomalies.  D'apres  le  nouvel  article  201  du  Code  d'instruction 
criminelle,  toujours  I'appel  doit  etre  porte  k  la  cour.  Mais,  malgre 
le  grand  developpement  qu'avaient  pris  les  voies  de  communica- 
tion ,  c'etait  rendre  assez  difficile  et  tres-couteuse  la  comparution 
des  temoins  devant  la  juridictipn  d'appel.  Deja  dans  I'ancien  etat 
de  choses ,  le  plus  souvent  ils  ne  comparaissaient  qu'en  itremiere 
.instance,  et  les  juges  d'appel  statuaient  d'apres  les  notes  d'au- 
dience,  prises  par  le  greffier  conformement  aux  articles  156  et 
189  du  Code  d'instruction  criminelle.  En  1856,  ce  fait  fut  cons- 
tate au  Corps  legislatif  par  le  rapporteur  de  la  loi,  M.  Nogent 
Saint-Laurent  :  «  En  premiere  instance,  les  temoins  sont  tou- 
jours entendus;  devant  les  magistrals  charges  de  I'appel  leur 
audition  est  toujours  une  exception  dans  la  .pratique  (1).  »  Dore- 
navant  cette  pratique  ne  pouvait  que  s'affirmer  davantage.  Que 
fallait-il  faire?  accepter  la  necessite  et  le  fait  accompli,  et  puis- 
que  les  conseillers  jugeraient  le  plus  souvent  sur  les  notes  d'au- 
dience ,  faire  en  sorte  qu'elles  fussent  completes  et  fideles.  Cela 
etait  assez  difficile  a  obtenir,  la  tache  etant  penible  pour  les 
grefflers.  «  Comment  feraient-ils  pour  avoir  des  notes  suffisantes 
et  completes?  II  n'y  a  que  la  stenographic  qui  puisse  courir  avec 
la  parole  sans  rester  honteusement  en  arriere.  Entrez  a  I'au- 
dience,  voyez  le  greffier;  il  est  attentif,  absorbe;  son  ceH  va  du 
temoin  qui  depose  au  papier  etale  sur  son  pupitre.  A  peine  la  pa- 
role a-t-elle  louche  son  oreille,  qu'il  ecrit  vite ,  tres-vite..,  Ce- 
pendant  le  debat  marche ,  nul  ne  se  preoccupe  du  greffier,  nul 
ne  lui  vient  en  aide.  II  a  beau  faire...  quand  I'audience  est  finie 

(I)  Sirey,  Lois  annoties,  1856,  p.  58. 


d'instruction  criminelle.  S69 

les  notes  sommaires  sont  sillonDees  par  des  lacunes,  des  solu- 
tions de  continuite,  des  raccourcissements.  Les  notes  sommaires 
devraient  au  moins  presenter  lous  les  cotes  saillants  des  deposi- 
tions orales ,  rarement  elles  arrivent  a  ce  resultat.  Et  cependant 
avec  le  projet  les  depositions  Ijrales ,  deja  si  rares  devant  la 
cour,  vont  devenir  plus  rares  encore.  La  consequence  de  ceci  est 
evidente ;  les  notes  d'audience  vont  acquerir  une  importance  plus 
grande;  il  faut  les  ameliorer  (1).  »  Voici  ce  qu'on  fit  pour  cela. 
L'article  189  modifie  conlient  les  depositions  suivantes  :  «  Le 
greffier  tiendra  note  des  declarations  des  temoins  et  des  reponses 
du  prevenu.  Les  notes  du  greffier  seront  visees  par  le  president 
dans  les  trois  jours  de  la  prononciation  du  jugement.  »  Ce  n'e- 
taient  done  plus  seulement  les  principales  declarations  (art.  135), 
mais  toutes  les  declarations  des  temoins,  et  de  plus  celles  du 
prevenu ,  que  le  greffier  devait  noter,  et  le  visa  du  president  ga- 
rantit  la  fidelite  de  ces  notes.  Un  amendement  fut  presente  par 
M.  Picard,  demandant  que  les  notes  fussent  communiquees  a  la 
defense  et  que  celle-ci  put  les  controler  et  elever  au  besoin  des 
reclamations ,  mais  il  ne  fut  pas  pris  en  consideration  par  le 
Conseil  d'fitat. 

Une  loi  anterieure,  celle  du  30  Janvier  1851  sur  I'assistance 
judiciaire,  avait  rendu  la  defense  devant  le  tribunal  de  police 
correctionnelle  plus  facile  aux  prevenus.  D'apres  l'article  29,  «  les 
presidents  des  tribunaux  correctionnels  designeront  un  defen- 
seur  d'office  aux  prevenus  poursuivis  a  la  requete  du  minister e 
public,  ou  detenus  preventivement ,  lorsqu'ils  en  feront  la  de- 
mande ,  et  que  leur  indigence  sera  constatee  soit  par  les  pieces 
designees  dans  l'article  10,  soit  par  tons  autres  documents.  » 
Cette  memo  loi  dans  l'article  suivant  donnait  aussi  la  possibilite 
aux  accuses  et  prevenus  indigents  de  faire  citer  des  temoins  a 
decharge,  bien  qu'ils  ne  pussent  pas  faire  les  frais  de  la  citation. 
Jusque-la  I'accuse  indigent  n'avait  qu'une  ressource,  c'etait  de 
demander  au  ministere  public  de  vouloir  bien  faire  citer  a  sa 
requete  les  temoins  qu'il  lui  designerait  (art.  321)  (2). 

(1)  Rapport  de  M.  Nogent  Saint-Laurent;  Sirey,  Lois  amotiu,  1856,  p.  59. 

(2)  «  Les  presidents  des  cours  d'assises  et  les  presidents  des  tribunaux  cor- 


570  LE   CODE 

Deux  voies  de  recours  en  matiere  criminelle  et  correctionnelle 
ont  ete  elargies  ou  rendues  plus  faciles.  La  loi  du  29  juin  1868 , 
modifiant  les  articles  443  et  suivants  du  Code  d'instruction  crimi- 
nelle, a  decide  que  le  pourvoi  eu  revision,  dans  les  trois  cas  ou  le 
Code  I'admet,  pourrait  etre  intente  apres  le  deces  du  condamne, 
et  pour  rehabiliter  sa  memoire ;  elle  ouvre  aux  condamnes  a  des 
peines  correctionnelles  cette  voie  de  recours ,  lorsque  la  peine  est 
«  remprisonnemenl  ou  la  privation  totale  ou  partielle  des  droits 
civiques,  civils  et  de  famille.  »  Tout  recemment,  une  loi  des  28  et 
30  juin  1877,  modifiant  les  articles  420  et  421  du  Code  d'instruc- 
tion criminelle,  dispense  de  Za  mise  en  6tat  le  condamne  a  une 
peine  privative  de  liberte  qui  forme  un  pourvoi  en  cassation, 
lorsque  la  duree  de  la  peine  ne  depasse  pas  six  mois ;  elle  dis- 
pense egalement ,  dans  la  meme  hypothese ,  de  la  consignation 
de  I'amende  tout  «  condamne  a  une  peine  correctionnelle  ou  de 
police  emportant  privation  de  la  liberte.  »  Cette  necessite  toujours 
imposee  (1)  de  la  mise  en  etat  etait  une  tradition  de  I'ancien 
droit. 

Nous  avons  vu  plus  haul  que  le  Code  de  1808  avail  maintenu 
de  la  facon  la  plus  nette  le  principe  de  la  chose  jugee  et  I'effet  li- 
beratoire  de  I'acquittement  prononce  en  cour  d'assises;  il  est 
utile  d'indiquer  comment  la  jurisprudence  a  interprete  I'article 
360  du  Code  d'instruction  criminelle.  Sous  I'empire  du  Code  de 

rectionnels  pourront ,  mfime  avant  le  jour  fix6 ,  pour  I'audience ,  ordonner  I'assi- 
gnation  des  t^moins  qui  leur  seront  indiques  par  Taccusfe  ou  le  pr6venu  indigent, 
dans  le  cas  ou  la  declaration  de  ces  t^moins  serait  jugSe  utile  pour  la  d^couverte 
de  la  v6rit6;  pourront  6tre  Egalement  ordonnees  d'offioes  toutes  productions  et 
verifications  de  pieces.  » 

(!)  Toutes  les  fois  au  moins  que  la  peine  emporlait  privation  de  la  liberty  pour 
quelque  laps  de  temps  que  ce  ftlt  (ancien  article  421).  —  A  c6te  de  ces  lois  libe- 
rales  on  pourrait  en  citer  une  qui  paratt  dure  :  c'est  celle  du  9  septembre  1835, 
qui  permet  d'expulser  de  I'audience  les  pr^venus  ou  accuses  qui ,  «  par  des  cla- 
meurs  ou  tout  autre  moyen  propre  h  causer  du  tumulte ,  mettraient  obstacle  au 
libre  cours  de  la  justice ,  »  et  cependant  declare  qu'ils  seront  jugSs  contradictoi- 
rement  ainsi  que  ceux  qui  refuseraient  de  comparattre.  Cela  fait  songer  tout  d'a- 
bord  aux  proc6s  faits  dans  I'ancien  droit  aux  muets  volontaires ,  mais  I'esprit  re- 
pousse vite  cette  comparaison.  La  loi  de  1835  ne  s'applique  qu'aux  accuses  ou 
pr^venus  qui  sont  en  Stat  de  rebellion  ouverte  et  violente  centre  la  justice  et  elle 
multiplie  les  notifications  et  les  precautions  pour  les  mettre  k  mgme  de  suivre  de 
loin  le  procfes. 


d'instruction  criminelle.  S71 

brumaire ,  on  decidait  que  par  I'effet  de  I'acquittement  etaient 
purgees  d'un  seul  coup  toutes  les  qualifications  penales  dont  le 
faitetait  susceptible,  meme  celles  qui  I'auraient  transforme  en 
un  simple  delit,  par  I'elimination  ou  la  modification  de  quelques- 
uns  de  ses  elements.  II  est  vrai  que ,  d'autre  part ,  le  Code  des 
delits  et  des  peines  ordonnait  au  president  de  poser  aux  jures  les 
questions  resultant  des  debats  qui  pouvaient  modifier  la  gravite 
de  I'incrimination  (1).  Allait-on  sous  I'empire  du  Code  d'instruc- 
tion  criminelle  suivre  cette  tradition,  ou  decider  au  contraire 
qu'aprds  I'acquittement  en  cour  d'assises  on  pourrait  poursuivre 
I'accuse  devant  le  tribunal  de  police  correctionnelle  pour  le  meme 
fait,  autrement  qualifie  et  transforme  en  delit?  La  question  ne 
tarda  pas  a  se  poser  devant  la  cour  supreme.  Le  27  aoM  1812,  la 
cour  de  Toulouse  rendit  un  arret  qui  maintenait  la  jurisprudence 
anterieure  «  considerant  que  le  nouveau  Code  d'instruction  crimi- 
nelle n'a  fait  a  cet  egard  aucun  changement  sur  la  maxime  :  Non 
bis  in  idem;  il  n'a  fait  que  substituer  une  chambre  d'accusation 
au  jury  d'accusation,  et  rien  n'empeche  que  le  president  des 
assises  ne  pose  des  questions  qui  naissent  des  debats  (2).  »  Mais 
cette  doctrine  fut  vivement  combattue  par  Merlin ,  dans  la  seance 
de  la  Chambre  criminelle  du  29  octobre  1812 ,  et  conformement 
a  ses  conclusions  la  theorie  contraire  fut  adoptee  par  I'arret  du 
29  octobre  1812  ;  «  attendu  que  d'apres  les  articles  374  et  379  du 
Code  des  delits  et  des  peines,  les  questions   qui  etaient  sou- 
mises  au  jury  de  jugement  devaient  necessairement  porter  non- 
seulement  sur  le  fait  qui  etait  I'objet  de  I'acte  d'accusation ,  mais 
encore  sur  toutes  les  circonstances  qui ,  d'apres  les  debats  ou  la 
defense  de  I'accuse ,  pouvaient  modifier  la  gravite  du  fait ,  quand 
meme  elles  en  auraient  change  le  caractere ;  qu'ainsi  sous  I'em- 
pire de  cette  legislation  I'acquittement  prononce  en  faveur  d'un 
accuse  devait  sans  doute  I'affranchir  de  toutes  les  poursuites  tant 
sur  le  fait  de  I'accusation  que  sur  toutes  les  modifications  et  d'a- 
pres tous  les  caracteres  de  criminalite  dpnt  il  pouvait  Stre  sus- 
ceptible ;  mais  que  le  Code  d'instruction  criminelle,  en  etablissaut 


(1)  Voyez  Cass.,  5  f^vrier  1808 ;  Sirey,  Collect,  nam.,  II,  p.  484. 

(2)  Merlin ,  Ripertoire,  additions.  V"  Nobis  in  idem,  n"  V  bis. 


572  LE    CODE 

d'autres  regies ,  a  necessairement  restreint  ce  principe  (1).  »  Get 
arret  a  fixe  la  jurisprudence,  qui  depuis  n'a  pas  varie.  Cette 
solution  est  peut-etre  regrettable  et  difficilement  conciliable  avec 
les  termes  larges  et  absolus  de  I'article  360  ;  mais  il  faut  recon- 
naitre  qu'elle  repose  sur  un  raisonnement  juridique  tres-fort  (2) ; 
et  si  jamais  une  loi  vient  I'ecarter  (3),  pour  faire  une  oeuvre  logi- 
que ,  elle  devra  en  meme  temps  imposer  au  president  1' obligation 
de  poser  aux  jures  les  questions  subsidiaires  resultant  des  debats. 


III. 

L'instruction  preparatoire  etait  la  partie  la  plus  critiquable  du 
Code  d'instruction  criminelle ;  aussi  d'importantes  reformes  ont- 
elles  ete  deja  realisees  en  cette  matiere  et  il  s'en  prepare  de  plus 
importantes  encore.  Mais  avant  d'aborder  le  recit  de  ces  re- 
formes  et  I'examen  de  ces  plans,  voyons  si  la  jurisprudence  avait 
modifie  quelque  peu  le  regime  etabli  par  le  legislateur  de  1808. 

La  jurisprudence  n'aurait  pu  faire  qu'une  seule  chose  :  ouvrir 
au  prevenu  le  recours  devant  la  chambre  d'accusation  centre  les 
ordonnances  de  la  chambre  du  conseil  ou  centre  celles  du  juge 
d'instruction,  dans  le  cas  oi\  la  loi  ne  le  lui  accordait  pas  for- 
mellement,  mais  ne  lui  refusait  pas  non  plus.  En  effet,  elle  fit 
quelque  chose  de  semblable  en  faveur  de  la  partie  publique.  Le 
Code  n'avait  ouvert  au  ministere  public  et  a  la  partie  civile 
I'opposition  centre  I'ordonnance  de  la  chambre  du  conseil  que 
dans  un  seul  cas  :  lorsque  cette  ordonnance  mettait  le  prevenu  en 
liberie  (4).  Mais  la  jurisprudence  n'hesita  pas  a  elargir  cette  dis- 
position, et  a  donner  toujours  au  ministere  public  le  droit  d'op- 

(1)  Merlin,  Rijpert.,  loc.  cit. 

(2)  «  Si  le  president  de  la  cour  d'assises ,  disait  Merlin  ,  n'a  pas  dd  interroger 
le  jury  sur  ce  point ,  11  est  bien  clair  que  I'accusi  ne  peat  pas  Ure  cens6  avoir  &i& 
mis  en  jugement  sur  ce  point  devant  le  jury.  « 

(3)  Un  projet  de  loi  dans  ce  sens  a  6te  soumis  a  la  Chambre  des  deputes 
dans  la  derniSre  legislature. 

(4)  Ancien  article  135  :  «  Lorsque  la  mise  en  liberty  des  prfivenus  sera  ordonnSe 
conformSment  aux  articles  128,  129  et  131  ci-dessus ,  le  procureur  imperial  ou  la 
partie  civile  pourra  s'opposer  a  son  elargissement.  » 


d'instruction  criminelle.  ,     S73 

position  (1) ;  elle  s'appuya  sur  ce  principe  qu'en  matiere  crimi- 
nelle, I'appel  est  de  droit.  «  Faut-il,  disait  Merlin  dans  ses 
conclusions ,  que  cette  ordonnance  soit  expressement  rangee  par 
le  Code  d'instruction  criminelle  dans  la  classe  de  celles  qui  sont 
susceptibles  d'opposition?  Non  sans  doute,  il  suffit  qu'elle  n'en 
soit  pas  exceptee ,  et  pourquoi  ?  Parce  que  cette  faculte  d'atta- 
quer  tons  les  actes  de  la  chambre  du  conseil  du  tribunal  de  prer 
miere  instance  est  de  droit  commun.  »  II  avait  dit  plus  haut  : 
«  Ce  n'est  pas  une  opposition  proprement  dite,  c'est  une  voie  in- 
troduite  aux  memes  fins  que  I'appel  (2).  »  Mais  s'il  en  etait 
ainsi,  ne  devait-on  pas  donner  le  meme  droit  d'opposition  au 
prevenu?  «  On  pent  dire  pour  1' affirmative ,  declarait  Merlin 
dans  une  autre  affaire  oii  cette  question  se  presenta ,  que  s'il  n'y 
a  aucun  article  du  Code  d'instruction  criminelle  qui  permette  au 
prevenu  de  reclamer  aupres  du  juge  contre  une  ordonnance  de 
cette  nature,  il  n'y  en  a  pas  non  plus  aucun  qui  lui  defende,  qui 
lui  interdise  cette  voie ,  tandis  qu'elle  est  ouverte  a  ses  adver- 
saires,  que  c'est  rompre  tout  equilibre  entre  ses  adversaires  et 
lui...  que  d'ailleurs  le  recours  au  juge  superieur  Contre  les  or- 
donnances  des  premiers  juges  est  de  droit  commun ,  et  c'est  sur 
ce  principe  que  vous  vous  6tes  fondes  dans  I'arret  que  vous  avez 
rendu  le  29  octobre  dernier  pour  juger,  nonobstant  le  silence  de 
I'article  135,  que  les  ordonnances  qui  renvoient  a  la  police  cor- 
rectionnelle  dans  le  cas  prevu  par  I'article  130  sont  passibles 
d'opposition.  »  Cependant  I'eminent  jurisconsulte  trouve  une 
raison ,  pour  refuser  au  prevenu  le  droit  de  former  opposition  : 
«  Le  droit  commun,  continue-t-il ,  est  que  les  jugements  prepara- 
toires  ne  sont  pas  susceptibles  d'appel.  C'est  done  se  conformer 
au  droit  commun ,  que  de  refuser  au  prevenu  la  faculte  de  re- 
clamer contre  I'ordonnance  qui  le  renvoie  a  la  police  correc- 
tionnelle  (3).  »   Peut-etre  en  bonne  logique  eut-on  pu  par  le 

(1)  Voyez  Cass.,  25  octobre  1811  (Saey,  Collect,  nouv.,  lli.,i,  p.  iii);  Cass., 
20  juin  1812  [Collect,  nouv.,  IV,  i,  p.  128);  Cass.,  19  mars  1813  [Collect,  nouv., 
IV,  I,  p.  308);  Cass.,  29  octobre  1813  {Collect,  mm.,  IV,  i,  p.  454). 

(2)  Merlin  :  Rifert.  addit.  V"  Opposition  a  une  Ordonnance  de  la  chambre  du 
conseil ,  n»  II. 

(3)  Merlin  :  Ripert.  addit.  V"  Opposition  k  une  Ordonnance  de  la  chambre  du 
conseil,  n"  IX. 


374  ■     LE    CODE 

meme  raisonnement  arreter  le  recours  du  ministere  public;  mais 
quoi  qu'il  en  soil,  1' argumentation  de  Merlin  triompha  at  la  Cour 
supreme  decida  que  «  la  voie  de  I'opposition  n'est  pas  ouverte 
au  prevenu  centre  I'ordonnance  qui  le  renvoie  devant  le  tribunal 
correctionnel ,  que  ce  droit  n'appartient  qu'au  ministere  public 
et  a  la  partie  civile  (1).  »  A  plus  forte  raison  jugea-t-on  que  les 
ordonnances  du  juge  d'instruction  n'etaient  pas  susceptibles ,  si 
ce  n'est  pour  cause  d'incompetence ,  d'etre  attaquees  par  la  voie 
de  I'appel  de  la  part  des  prevenus  (2). 

La  revision  de  nos  codes  criminels  en  1832,  si  feconde  sur 
d'autres  points,  ne  produisit  rien  de  nouveau  en  ces  matieres. 
Mais  sous  le  second  Empire,  nous  trouvons  una  seria  de  reformes 
tres-importantes,  bien  que  portant  toutes  sur  des  points  isoles. 

La  loi  du  17  juillet  1856  supprima  I'une  des  institutions  qui 
paraissaient  les  plus  heureuses  aux  redacteurs  du  Gode  d'ins- 
truction crirainella,  cella  de  lachambre  duconseil.  Elle  an  trans- 
ferait  les  attributions  au  juge  d'instruction  seul;  c'etait  lui  qui 
dorenavant  devait  randre  I'ordonnance  definitive,  qui  clot  I'ins- 
truction  et  decide  quelle  suite  lui  sera  donnee  (art.  127,  ssq.). 
Aux  yeux  des  legislataurs  de  1808,  cela  eM  paru  tres-grava;  cela 
leur  cut  rappele  le  reglement  a  I'extraordinaire  prononce  par  un 
seul  juge,  abus  contra  lequel  las  Cahiersde  1789  avaient  energi- 
quament  proteste.  Mais  la  pratique  avait  montre  qua  le  juge  d'ins- 
truction avait  dans  la  Chambre  du  conseil  une  influence  prepon- 
derante.  En  droit ,  s'il  s'agissait  d'un  crime ,  an  fait  dans  tous  las 
cas,  il  lui  etait  facile  d'obtenir  une  ordonnance  de  renvoi ;  lui  seul  ■ 
connaissait  a  fond  la  procedure  et  pouvait  la  presenter  sous  das 
coulaurs  favorables  a  son  opinion.  En  lui  donnant  la  droit  da 
statuar  seul ,  on  simplifiait  la  procedure  dont  la  mardhe  devenait 
plus  rapide;  on  imposait  aux  yeux  de  tous  la  rasponsabilite  de 
la  decision  a  celui  qui  la  dictait  d'ordinaire.  VoilJi  ce  qu'on  dit  en 
1856  pour  justifier  la  loi  nouvelle,  at  il  faut  raconnaitre  qua  cas 
observations  etaient  justes.  II  faut  ramarquer,  d'autre  part,  que 

(1)  Cassat.,-  20  d6c.  1813  (Sirey,  Colled,  nouv.,  IV,  i,  p.  497) ;  —  Cass.,  7  no- 
vembre  1816  (Sir.,  Coifed,  nouv.,  V,  i,  p.  244);  —  Grenoble,  29  mars  1834  (Sir., 
34,  2,  441);  —Lyon,  31  Janvier  1834  (Sir.,  34,  2,  381). 

(2)  Paris,  17  avril  1833  (Sir.,  33,  2,  289). 


d'instruction  criminklle.  S7S 

les  nations  qui  nous  ont  emprunte  notre  Code  d'instruction  cri- 
minelle,  la  Belgique  et  I'ltalie  par  exemple,  ont  conserve  la 
chambre  du  conseil;  et  en  lui  donnant  des  attributions  npuvelles 
elles  ont  fait  un  rouage  des  plus  utiles  dans  le  mecanisme  ge- 
neral; nous  verrons  aussi  qu'on  propose  de  la  reconstituer  chez 
nous  sur  ce  modele.  La  loi  du  17  juillet  1856  reglait  encore  cette 
question  de  I'opposition  aux  ordonnances  d'instruction ,  que  nous 
avons  tout  a  I'heure  vu  trancher  par  la  jurisprudence;  et  elle 
adoptait  la  plupart  des  solutions  admises  par  la  Cour  supreme. 
Le  nouvel  article  135  declare,  en  effet,  que  «  le  procureur  im- 
perial pourra  former  opposition  dans  tons  les  cas  aux  ordon- 
nances du  juge  d'instruction.  La  partie  civile  pourra  former  op- 
position aux  ordonnances  rendues  dans  les  cas  prevus  dans  les 
articles  114i,  128,  129,  131  et  539  du  present  Code,  et  a  toute 
ordonnance  faisant  grief  a  ses  interets  civils.  »  Quant  au  pre- 
venu ,  on  allait  un  peu  plus  loin  dans  son  interet  que  n'etait  allee 
la  jurisprudence.  II  pourra  former  opposition,  non-seulement 
«  dans  le  cas  de  I'article  539,  »'  c'est-a-dire  lorsqu'il  a  decline  la 
competence  du  juge  et  que  celui-ci  s'est  declare  competent  (ce 
qui  n'avait  jamais  ete  conteste),  mais  encore  «  aux  ordonnances 
rendues  en  vertu  de  I'article  114.  »  L'article  114  vise  I'ordon- 
nance  du  juge  qui  statue  sur  la  demande  de  mise  en  liberte  pro- 
visoire.  Mais  en  meme  temps  I'article  135 ,  par  sa  redaction  tres- 
nette,  autant  que  par  suite  des  explications  qui  furent  fournies 
devant  le  Corps  legislatif ,  arretait  d'avance  toute  jurisprudence 
qui  vQudrait  elai-gir  le  droit  d'opposition  du  prevenu. 

Cette  question  de  la  detention  preventive ,  et  de  la  liberte  pro- 
visoire,  que  nous  venous  de  rencontrer  dans  les  articles  135  et 
114,  fut  en  matiere  d'instruction  preparatoire  laprincipale  preoc- 
cupation des  legislateurs  du  second  Empire.  En  1855,  ils  y  tou- 
cherent  une  premiere  fois.  D'apres  I'ancien  article  94,  le  juge 
d'instruction ,  apres  I'interrogatoire ,  decernait  un  mandat  d'arret 
lorsque  le  fait  emportait  peine  afflictive  ou  infamante  ou  empri- 
sonnement  correctionnel ;  mais  par  la  meme  il  engageait  I'avenir 
et  aucun  texte  ne  I'autorisait  dans  la,  suite  a  donner  spontanement 
main-levee  de  ce  mandat.  La  loi  du  4  avrill855,  modiflant  I'ar- 
ticle 94,  decida  qu'apres  I'interrogatoire  le  juge  pourrait  ne  de- 


S76  LE    CODE 

cerner  qu'un  mandat  de  depot ,  et  que  «  dans  le  cours  de  I'ins- 
truction  il  pourrait,  sur  les  conclusions  conformes  du  procureur 
imperial,  et  quelle  que  fut  la  nature  de  I'inculpation,  donner  main- 
levee  de  tout  mandat  de  dep6t,  a  la  charge  par  I'inculpe  de  se  re- 
presenter  a  tons  les  actes  de  la  procedure ,  et  pour  1' execution  de 
jugement  aussitot  qu'il  en  serait  requis.  »  C'etait  conserver  au 
mandat  de  depot  le  caractere  de  mesure  provisoire  qui  I'avait 
toujours  distingue ,  et  bien  qu'ici  la  mesure  provisoire  put  tres- 
aisement  devenir  defmitive ,  cette  extension  pr^sentait  plus  d'a- 
vantages  que  d'inconvenients ;  elle  permettait  meme  de  tourner 
la  regie  que  defendait  la  mise  en  liberte  provisoire  toutes  les  fois 
qu'il  s'agissait  d'un  crime.  Mais  ce  fut  le  point  de  depart  d'un 
abus  assez  grave.  Plus  tard  une  loi  du  14  juillet  1865  ,  modifiant 
de  nouveau  I'article  94 ,  vint  permettre  au  juge  de  donner  main- 
levee  du  mandat  d'arret ,  comme  du  mandat  de  dep6t ;  mais  eUe 
ne  lui  permit  pas  moins  de  decerner  a  son  choix ,  apres  I'inter- 
rogatoire,  ou  un  mandat  de  dep6t  ou  un  mandat  d'arret;  elle  au- 
torisa  par  la  la  pratique ,  aujourd'hui  bien  etablie,  qui  considere 
les  deux  mandats  comme  identiques  dans  leurs  fonctions  ainsi 
que  dans  leurs  effets,  quoique  le  mandat  de  dep6t  soit  loin  de 
presenter  pour  le  prevenu  les  memes  garanties  que  le  mandat 
d'arret  (1). 

La  loi  du  14  juillet  1865  remania  completement  la  matiere  de 
I'arrestation  de  la  detention  preventive  et  de  la  mise  en  liberte 
provisoire.  Concue  dans  un  esprit  vraiment  liberal,  elle  permet- 
tait au  juge ,  quelle  que  ftlt  la  gravite  du  fait ,  de  ne  delivrer  en 
premier  lieu  centre  I'inculpe  qu'un  simple  mandat  de  comparu- 
tion ;  d'apres  I'ancien  article  91 ,  le  mandat  d'amener  etait  de  regie 
quand  il  s'agissait  d'un  crime.  Puis ,  levant  toutes  les  barrieres 
et  prohibitions  precedemment  existantes,  elle  decide  (art.  113 
nouveau)  qu'  «  en  toute  matiere,  le  juge  d'instruction  pourra,  sur 
la  demande  de  I'inculpe  et  sur  les  conclusions  du  procureur  impe- 
rial, ordonner  que  I'inculp^  sera  mis  provisoirement  en  liberty,  a 
charge  pour  lui  de  prendre  I'engagement  de  se  representer  a  tons 
les  actes  de  la  procedure  et  pour  I'execution  du  jugement  aussi- 

(1)  Voy.  art.  61  et96,  Inst.  crim. 


d'instruction  criminelle.  S77 

tcit  qu'il  en  sera  requis.  »  C'etait  la  premiere  fois  depuis  1789 
qu'en  matiere  criminelle  la  liberie  provisoire  etait  admise.  D'au-tre 
part,  le  juge  pent  toujour^  dispeager  I'inoulpe  de  fournir  un  cau- 
tionnement  (art.  11-4);  cetle  disposition  avait^  il  est  vrai,  molns 
d'importance  qu'on  le  pourrait  croire  :  UQ  decret  des  23^24  mars 
4848  avail  supprime  le  minimum  du  eautionnement  k  fournir.  Ces 
articles  permellent  au  juge  de  faiife  beaucoup  pour  la  liberie ;.  ils 
lui  donnent  de  grands  pouvoirs,  mais  ne  robli'gentpas  ^  en  user. 
Cependant  la  loi  de  1865  est  allee  plus  loin;  die  decide  que 
dans  certains  cas  la  mise  en  liberie  provisoire  sera  de  droit ,  sans 
elre  aussi  large  a  eel  ©gard'  que  la  loi  de  1791  el  le  Code  des  de- 
lits  el  des  peines.  Art.  113  (nouveau)  :  «  En  matiere  correction- 
nelle  la  mise  en  liberti  sera  de  droit,  cinq  jours  apres  I'interro- 
gatoire ,  en  faveur  du  domicilie ,  quand  le  maximum  de  la  peine 
pjFononcee  par  la  loi  sera  inferieur  a  deux  ans  d'emprisonnemenl. 
La  disposition  qui  precede  ne  s'appliquera  ni  aux  detenus  deja 
condamnes  pour  crime ,  ni  ii  ceux  deji  condamnes  k  un  empri- 
sonnement  de  plus  d'une  annee.  «  Par  une  derniere  faveur,  dans 
ce  cas  le  juge  ne  pent  pas  exiger  un  eautionnement  du  prevenu. 
Art.  114  :  «  La  nlise  en  liberie  provisoire  pourra,  dans  tons  les  cas 
oil  elle  n'est  pas  de  droit,  elre  subordonnee'  a  ] 'obligation  de  four- 
nir un  eautionnement  (1).  jjmNous  savons  que  le  prevenu  pent  sou- 
mettre  a  la  chambre  des  mises  en  accusation  I'ordonnance  par  la- 
quelle  le  juge  d'inslruction  statue  sur  sa  demande  (art.  135,  115, 
117;  cf.  art.  119). 

La  loi  du  14  juillet  1865  s'est  occupee  de  la'  detelition  preven- 
tive a  un  autre  point  de  vue ;  elle  a  limite  ou  plutot  reglemente 
la  faculte  qu'a  le  juge  d'instruction  de  prononcer  la  mise  au  secret 
ou  interdiction  de  corfimuniquer  centre  I'inculpe.  tJn  certain  nom- 
bre  de  fails  graves  avaient  altire  sur  I'abus  de  cetle  pratique  I'at- 

('l)'tes  arfides  de  U3  a  126;  redigSs  a  nouveau  par  la  loi  du  14  juillet  1865, 
contiennent  sur  la  mise  en  libertd  provisoire  et  sqr  le  eautionnement  beaucoup  de 
details  interessants  que  nous  devons  passer.  Disons  seulement  que  ce  n'est  pas 
seulement  pendant  I'instruction  prtparatoire  que  la  liberty  provisoire  peut  fitre 
demandfee.  Art.  116  :  «  La  mise  en  liberty  provisoire  pent  gtre  demand^e  en  tout 
cas  de  cause.  »  Cependant  la  jurisprudence  dominante ,  par  une  interpretation 
peut-etre  un  peu  6troite  de  I'article  126,  dficide.que  la  liberty  ne  peut  pas  6tre  de- 
mandSe  devapt  la  cour  d'assises. 

37 


578  ,LE   CODE 

tention  du  public.  L'article  613,  redige  a  nouveau  en  1865,  decide 
que  «  lorsque  le  juge  d'instruction  croira  devoir  prescrire  a  re- 
gard d'un  inculpe  une  interdiction  de  communiquer,  il  ne  pourra. 
le  faire  que  par  une  ordonnance  qui  sera  transcrite  sur  le  registre 
de  la  prison.  Cette  interdiction  ne  pourra  s'etendre  au  dela  de 
dix  jours,  elle  pourra  toutefois  etre  renouvelee.  II  sera  rendu 
compte  au  procureur  general  (1).  » 

La  loi  du  ii  juillet  1865,  quelle  que  soil  d'ailleurs  son  impor- 
tance ,  n'avait  touche  qu'a  un  point  de  I'instruction  preparatoire, 
telle  que  le  Code  I'avait  organisee.  Une  autre  loi,  un  pen  ante- 
rieure,  celle  des  20  mai-l"juin  1863,  avait  supprime  cette  ins- 
truction pour  toute  une  classe  d'infractions.  II  s'agit  des  flagrants 
Mlits  correctionnels.  Cette  loi ,  dans  quelques-unes  de  ses  dispo- 
sitions ,  touchait ,  elle  aussi ,  a  la  question  de  la  detention  pre- 
ventive. Jusque-la,  la  detention  preventive  et  I'instruction  pre- 
paratoire etaient  deux  choses  indissolublement  unies ,  le  juge 
d'instruction  pouvant  seul  decerner  les  mandats  de  depot  on 
d'arret  (2).  Cela  presentait  parfois  de  grands  inconvenients.  Lors- 
qu'un  individu  etait  pris  sur  le  fait,  commettant  une  infraction, 
punie  seulement  de  peines  correctionnelles  (chose  tres-frequente , 
surtout  dans  les  grandes  villes)  et  amene  par  les  agents  qui  I'a- 
vaient  arrete  devant  le  procureur  imperial,  celui-ci  n'avait  que 
deux  partis  a  prendre,  tons  les  deux  pen  satisfaisants.  S'il  ne 
voulait  pas  laisser  le  coupable  en  liberte  et  le  faire  citer  directe-; 
ment  devant  le  tribunal  de  police  correctionnelle  (art.  182,  184, 
I.  crim.),  ce  qui  eut  ete  absurde,  —  pour  le  faire  incarcerer  re- 
gulierement,  il  devait  requerir  le  juge  d'instruction  de  lancer  le 
mandat  de  dep6t  ou  d'arret;  —  mais  par  lameme  s'ouvrait  une 
instruction  qui  necessitait  forcement  un  certain  nombre  d'actes 
et  entramait  d'inevitables  lenteurs.  Cette  instruction ,  que  la  loi 
n'imposait  pas  d'ailleurs ,  etait  completement  inutile  pour  un 
fait  aussi  simple.  Les  preuves  etaient  toutes  reunies;  les  temoins 
etaient  connus,  et  la  plupart  du  temps  c'etaient  les  agents  qui 

(1)  Depuis  1873 ,  I'iaterdictioa  de  communiquer  ne  peut  plus  avoir  pour  but 
que . d'empficher  les  communications  avec  le  dehors,  les  detenus  prSventivement 
devant  6tre  soumis  au  regime  de  la  separation  individuelle. 

(2)  Nous  laissons  de  c6t6,  bien  entendu,  Vhypothfese  tout  exceptionnelle  de 
l'article  100  (Inst.  crim.). 


d'insteuction  criminelle.  579 

avaient  opere  Tarrestatioii.  Aussi  I'article  premier  de  la  nouvelle 
loi ,  pour  6viter  ces  difficultes ,  donne-t-il  dans  cette  hypothese 
au  procureur  imperial  le  droit  de  decerner  le  mandat  de  depot  : 
«  Tout  inculpe  arrete  en  etat  de  flagrant  delit ,  pour  un  fait  puni 
de  peines  correctionnelles ,  est  immediatement  conduit  devant  le 
procureur  imperial  qui  I'interroge...  Dans  ce  cas,le  procureur 
imperial  peut  mettre  I'inculpe  sous  mandat  de  depot.  »  Ce  man- 
dat a  d'ailleurs  ici  un  caractere  essentiellement  provisoire. 

La  loi  de  1863,  en  effet,  ne  s'etait  pas  contentee  de  supprimer 
I'instruction  preparatoire  pour  les  delits  flagrants;  elle  a  singu- 
lierement  acceler6  et  simplifie  le  jugement.  Si  le  jour  meme  de 
I'arrestation  il  y  a  audience  du  tribunal  de  police  correctionnelle, 
le  procureur  imperial  y  traduit  sur-le-champ  le  prevenu  (art.  1). 
Les  temoins  sont  alors  «  verbalement  requis  par  tout  officier  de 
police  judiciaire  ou  agent  de  la  force  publique.  lis  sont  teuus  de 
comparaitre  sous  les  peines  portees  par  I'article  157  du  Code 
d'instruction  criminelle  (art.  3).  »  Ce  proces  si  simple  est  ainsi 
vide  sans  delai  et  presque  sans  formalites.  Cette  procedure  etait 
imitee  par  le  legislateur  de  1863  de  celle  qui  se  pratiquait  devant 
les  cours  de  police  etablies  a  Londres,  etdont  le  succes  avait  ete  si 
grand.  —  Si  le  jour  meme  de  I'arrestation  il  n'y  a  pas  audience  du 
tribunal  correctionnel ,  «  le  procureur  imperial  est  tenu  de  faire 
citerle  prevenu  pour  I'audience  du  lendemaia.  Le  tribunal  est,  au 
besoin,  specialement  convoque  (art.  2).  »  D'autrepart,  le  prevenu 
peut  repousser  ou  plutot  retarder  cette  procedure  expeditive. 
Art.  -4  :  «  Si  I'inculpe  le  demande ,  le  tribunal  lui  accorde  un  de- 
lai de  trois  jours  au  moins  pour  preparer  sa  defense.  »  La  loi  de 
1^63  a  produit  d'excellents  effets ,  bien  que  dans  la  pratique  ses 
dispositions  ne  soient  completement  observees  que  dans  les  gran- 
des  villes,  resultat  que,  du  reste,  prevoyait  le  rapporteur  devant 
le  Corps  legislatif.  Dans  les  petits  tribunaux,  une  seule  audience 
par  semaine  est  consacree  aux  affaires  de  police  correctionnelle, 
et  Ton  ne  convoque  point  specialement  le  tribunal  le  lendemain 
de  I'arrestation,  comme  le  voudrait  I'article  2  :  I'individu  surpris 
en  etat  de  flagrant  delit  peut  done  rester  pendant  une  semaine 
presque  entiere  sous  le  coup  du  mandat  de  depot  delivre  par  le 
procureur. 


880  I-E    CODE 


IV. 


Toutes  les  reformes  que  nous  venons  de  passer  en  revue  n'a- 
vaient  porte  que  sur  des  points  speciaux  de  I'instruction  prepara- 
toire;  mais  on  sent  que  le  jour  approche  ou  le  systeme  entier  sera 
revise.  C'est  ce  qu'ont  fait  deja  plusieurs  legi^ations  etrangeres 
imitees  de  la  notre.  «  On  a  compare  les  dispositions  du  Code  de 
1808  avec  celles  qui ,  chez  la  plupart  de  nos  voisins ,  regissent  la 
procedure  preparatoire ,  et  Ton  s'est  apercu  qu'apres  avoir  im- 
prime,  vers  le  debut  de  ce  siecle,  a  toutes  les  lois  de  I'Europe 
une  direction  liberale,  qui  sera  I'eternel  honneur  de  la  Revolution 
frangaise,  nous  nous  etions  laisse  peu  a  pen  depasser  par  les  pro- 
gres  successifs  des  nations  etrangeres ,  et  que  notre  Code  ne  re- 
pondait  plus  aux  principes  admis  et  formules  par  les  crimina- 
listes  les  plus  sages  et  les  plus  eclaires  de  I'Europe  contempo- 
raine. 

«  Le  gouvernement  ne  pouvait  rester  indifferent  en  presence 
d'une  pareille  constatation.' Deja  en  1870,  une  commission  extraT 
parlementaire  avait  ete  chargee  d'examiner  les  reformes  a  intro- 
duire  dans  I'ceuvre  de  1808.  Les  funesfes  evenements  qui  survin- 
rent  bientot  ne  lui  permirent  pas  d'accomplir  sa  mission.  Mais 
au  mois  d'octobre  1878,  sur  I'initiative  de  I'honorable  M.  Du- 
faure,  garde-des-sceaux ,  une  commission  composee  de  juriscon- 
sultes  et  de  criminalistes  eminents,  auxquels  ont  ^te  adjoint? 
plusieurs  membres  du  Parlement,  fut  reunie  sous  la  presidence 
du  ministre  de  la  justice  dans  le,  but  d'etudier  et  d'introduire 
dans  nos  lois  les  ameliorations  reclamees  par  la  theorie  etl'expe- 
rience.  Gri,ce  a  I'activite  deployee  par  ses  membres,  cette  com- 
mission a  pu ,  dans  I'espace  de  quelques  mois,.  preparer  un  pre- 
mier projet  de  loi  contenant  les  matieres  du  premier  liVre  du 
Code  d'instruction  criminelle  (1).  »  Ce  projet  a  ete  presente  au 
Senat,  dans  la  seance  du  27  novembre  1879,  et  il  est  fort  impor- 
tant. II  remanie  tout  le  premier  livre  du  Code  et  comprend  un 

(1)  Projet  de  loi  tendant  a  reformer  le  Code  d'instruction  criminelle.  Escposi  des 
Motifs.  Journal  o/ficiel  du  14  Janvier  1880,  p.  301,  col.  3;  302,  col.  1. 


d'instruction  criminelle.  581 

graiod  nombfe  d'articles  (art.  8  It  221),  introduisant  un  ordre 
methodique  \A  ou  il  n'en  existai't  pas ;  mais  ce  que  nous  devons 
rel«ver,  ce  sont  les  modifications  profbDdes  qu'il  apporte  dans 
I'instruction  prepairatoire.  C'est  un  esprit  tout  nouveau  qui  pe- 
netre  dans  la  loi,  e-Mrainant  un  changement  de  systeme;  YExpos^ 
des  motifs  le  fait  ressortir  a  chaque  page. 

On  indique  d'abord  d'ou  vieat  cette  instruction  preparatoire 
organisee  en  1808  :  «  Le  systeme  du  Code  d'instruction  crimi- 
nelle n'est  autre  que  celui  de  I'Ordonnance  de  1670  avec  des  for- 
mes moins  dures  (1);  »  et  il  doit  faire  place  a  des  eombinaisons 
nouvelles.  Cependant  on  ne  songe  point  a  supprimer  I'instruction 
pri&paratoire ,  pour  etablir  un  systeme  parement  accusatoire  imite 
de  la  procedufe  anglaise.  L'institution  du  ministere  public  est 
louee  hautement,  et  Ton  signale  avec  energie  les  dangers  que 
presents  Y accusation  populaire  (2).  Non-seulement  on  conserve 
I'instruction  preparatoire,  mais  elle  continuera  a  etre  secrete  ; 
«  Notre  esprit  ne  rfepugne  pas  moins  au  regime  de  la  publicite; 
sans  parler  des  difficultes  qui  peuvent  en  resulter  pour  la  recher- 
che des  coupables  et  notamment  des  complices  restfe  en  liberty, 
informes  par  les  progres  de  instruction  du  moment  oii  il  faut 
fuir  ou  faire  disparaitre  le  corps  du  d^lit,  croit-on  qu'il  serait 
facile  de  recueillir  des  dedaralions  positives  des  temoins,  exposes 
aux  questions  caplieuses  qui  ont  rendu  cdlebre  I'habilete  des  avo- 
cats  anglais  dans  leur  cross-examination? 

»  En  France ,  ce  n'est  pas  sans  peine  que  Ton  obtient  des  te- 
moins a  I'audience  la  reproduction  de  leurs  depositions  ecrites. 
Croit-on  que  les  habitants  de  nos  oampagnes ,  si  craintifs  quand 
il  s'agit  d'accuser  un  voisin ,  dont  ils  redoutent  la  rancune , 
©seraient  parler  en  toute  sincerite  devant  I'inculpe,  devant  ses 
parents  et  ses  amis ,  quand  ils  seraient  en  outre  exposes  a  la  cri- 
tique plus  ou  moins  malveillante  de  I'avocat? 

»  Ajoutons  qu'avec  la  nature  de  notre  esprit,  I'instruction, 
ainsi  poursuivie  publiquement ,  aurait  le  plus  souvent  pour  effet 
de  fixer  I'opinion  dans  un  sens  favorable  ou  contraire  a  I'accuse 


[1)  Journal  officiel  du  14  Janvier  1880,  p.  302,  col.  3. 

(2)  Jottrnal  oficiel  du  14  Janvier,  p.  303,  col.  1. 


582  LE    CODE 

et  de  dieter  a  I'avance  le  jugement  du  tribunal  ou  du  jury  (1).  » 
Mais  ce  qu'on  veut  et  qu'on  croit  pouvoir  realiser,  c'est  rendre 
la  procedure  contradictoire  dans  cette  premiere  phase  du  proces , 
c'est  organiser  largement  la  defense  :  «  Tout  en  ecartant  le  sys- 
teme  anglais  comme  impraticable ,  il  est  permis  de  se  demander 
s'il  n'est  pas  possible  d'en  degager  et  d'en  retenir  un  element  im- 
portant, celui  de  la  contradiction  organisee  antra  la  poursuite  et 
la  defense  (2).  » 

Les  mesures  que  le  projet  nouveau  combine  en  vue  de  ce  resul- 
tat,  nous  paraissent  se  grouper  logiquement  autour  des  trois 
points  suivants  :  1°  Le  prevenu  aura  a  cote  de  lui  un  defenseur, 
et  il  recevra  communication  de  tous  les  actas  de  la  procedure. 
2°  La  defense  n'aura  pas  un  r61e  purement  passif ,  elle  pourra 
provoquer  de  la  part  du  juge  ou  faire  operer  directement  les 
actes  qui  lui  paraissent  importants  pour  la  decouverte  de  la  ve- 
rite.  30  Une  serie  de  voies  de  recours  est  ouverte  a  la  defense 
contre  les  principales  decisions  du  juge  d'instruction. 

L  «  II  devient  necessaire  de  placer  a  cote  de  I'inculpe,  souvent 
ignorant  et  illettre ,  des  les  premiers  pas  de  I'information ,  le  se- 
cours  d'un  defenseur,  qui  n'est  admis  dans  le  systeme  actuel 
qu'a  la  veille  des  debats  publics  (3).  »  (Voy.  article  127  du  pro- 
jet)  (4).  En  principe,  le  conseil  doit  etre  present  aux  interroga- 
toires.  «  Art.  U9  :  Hors  le  cas  d'urgence,  si  I'inculpe  est  pourvu 
d'un  conseil ,  le  juge  ne  pent  I'interroger  qu'en  presence  du  de- 
fenseur ou  celui-ci  dument  appele.  »  Aussi  le  premier  interroga- 
toire  de  I'inculpe  se  borne-t-il  a  fort  peu  de  chose;  «  le  juge 
d'instruction  constate  I'identite  de  I'inculpe ,  lui  fait  connaitre  les 
faits  qui  lui  sont  imputes,  et  regoit  ses  declarations,  apres  I'avoir 
averti  qu'il  est  libre  de  ne  pas  repondre  aux  questions  qui  lui 
sont  posees  (5).  »  —  «  Le  juge  d'instruction  donne  avis  a  I'inculpe 
qu'il  a  le  droit  de  choisir  un  conseil,  et  a  defaut  de  choix,  le 
juge,  s'il  le  demande,  lui  en  designe  un.  »  Cette  disposition 

(1)  Journal  nfficul  da  14  Janvier  1880,  p.  303,  col.  1. 

(2)  nUem. 

(3).  lUi.,  col.  2. 

(4)  Journ.  off.  du  15  Janvier  1880,  p.  333. 

(5)  Art.  85.  On  croit  eatendre  ici  parler  la  loi  anglaise. 


d'instruction  CRIMINELLE.  f)83 

rappelle ,  on  I'a  sans  doute  dejii  remarque ,  les  prescriptions  de  la 
loi  de  1789.  II  est  vrai  que  I'article  suivant  ajoute  :  «  Neanmoins 
le  juge  d'instruction  peut  proceder  a  un  interrogatoire  immediat 
et  a  des  confrontations  si  I'urgence  resulte  soit  de  I'etat  d'un  te- 
moin  en  danger  de  mort,  soit  de  I'existence  d'indices  sur  le 
point  de  disparattre  (1).  » 

Des  que  I'inculpe  a  declare  soit  au  juge,  soit  a  son  greffier, 
soit  au  gardien-chef  de  la  maison  d'arret  (art.  127),  qu'il  a  choisi 
un  defenseur,  «  sauf  le  cas  d'urgence ,  chaque  fois  que  I'inculpe 
doit  etre  interroge  ou  confronte ,  le  juge  d'instruction  est  tenu  de 
convoquer  en  meme  temps  le  conseil,  vingt-quatre  heures  a 
I'avance,  par  lettre  chargee  ou  par  toute  autre  forme  d'avertisse- 
ment  qui  sera  fixes  par  un  reglement  d'administration  publi- 
que  (2).  »  —  «  Le  conseil  peut  entrer  dans  le  cabinet  du  juge 
d'instruction  avec  I'inculpe  detenu  ou  libre  chaque  fois  que  celui- 
ci  y  est  appele.  II  lui  est  interdit  de  prendre  la  parole,  sans 
I'avoir  obtenue  du  juge  d'instruction.  Si  le  juge  lui  refuse  la 
parole ,  mention  de  I'incident  est  faite  au  proces-verbal  (3).  »  — 
«  Le  procureur  de  la  Republique  et  le  conseil  de  la  partie  civile 
ont  egalement  le  droit  d'assister  aux  interrogatoires  (4). »  —  «  Le 
ministere  public  doit  assister  a  I'instruction  au  meme  litre  et  dans 
les  memos  circonstances  que  le  defenseur.  Entre  eux,  le  juge 
d'instruction  decide  (5).  » 

Quant  a  la  libre  communication  entre  I'inculpe  detenu  et  son 
conseil,  voici  comment  elle  est  organisee  :  «  Art.  130.  Si  I'inculpe 
est  detenu,  il  peut,  aussitot  apres  la  premiere  comparution,  com- 
muniquer  librement  avec  son  conseil.  » —  a  Art.  131.  Neanmoins, 
le  juge  peut,  s'il  le  croit  necessaire,  inlerdire  la  communication 
de  I'inculpe  avec  son  conseil...  I'interdiction  ne  peut  s'etendre 
au  dela  du  dixieme  jour  a  partir  de  la  premiere  comparution.  — 
Toutefois,  lorsque  les  necessites  de  I'information  le  comman- 
dent,  la  chambre  du  conseil  peut,  sur  le  rapport  du  juge  d'ins- 

(1)  Art.  86, 

(2)  Art.  128. 

(3)  Art.  129. 

(4)  Art.  119. 

(5)  ExpOsi  des  motifs. 


§84  LB    CODE 

truction,  prolonger  I'interdiction  pendant  une  seconde  periode 
qui  ne  s'etend  pas  au  dela  du  Vingtieme  jour  a  partir  de  la  pre- 
miere comparution.  »  L'avocat  dorenavant  va  intervenir  a  chaque 
instant  dans  la  procedure.  C'est  par  lui  que  la  d^feaase  aura  con- 
naissance  des  actes  las  plus  importants. 

Les  temoins  sont  entendus  en  secret ,  nous  le  savons ;  il  n'est 
mSme  pas  ordonne  que  I'inculpe  ou  le  conseil  soient  presents  a 
cette  audition.  Le  juge  peut  seulement  les  y  admetlre  ainsi  que  le 
representant  du  ministere  public;  mais  il  n'y  a  la  qu'une  faculte 
dont  les  juges  d'instruction  ne  feraint  probablement  pas  grand 
usage;  aussi  le  prpjet  ordonne-t-il  de  commuaiquer  les  depositions 
ecrites  a  I'inculpe  ou  au  conseil.  «  Art.  64.  Les  temoins  peuvent 
etre  entendus  soit  en  presence  du  ministere  public ,  de  la  partie 
civile ,  de  I'inculp^ ,  et  de  leurs  conseils ,  soit  en  dehors  de  leur 
presence.  Dans  ce  dernier  cas,  le  jUge  doit,  aussitot  que  pos- 
sible ,  et  au  plus  tard  avant  la  fin  de  I'instruction ,  donner  a  I'in- 
culpe ou  au  conseil  communication  des  depositions  recues  en  leur 
absence.  »  De  plus,  d'apres  I'article  133,  pendant  le  cours  de 
I'instruction ,  «  le  conseil  de  I'inculpe  peiit  prendre  connaissance 
(de  la  procedure)  si  le  juge  d'instruction  estime  que  cette  com- 
munication est  compatible  avec  les  necessites  de  Tinstruction  (1). 
^^  En  tons  cas ,  il  doit  lui  etre  immediatement  donn§  communi- 
cation, s'il  le  reclame,  de  toute  ordonnance  du  juge  susceptible 
de  recours.  »  Enfln,  en  cas  de  constat,  le  conseil  est  averti 
et  peut  asSister  a  la  visite.  Art.  il  :  «  Dans  tous  les  cas  ou  le 
transport  lui  parait  necessaire ,  le  juge  d'instruction  se  rend  sur 
les  lieux ,  apres  en  avoir  donne  avis  au  procureur  de  la  Republic 
que  et  au  conseil,  pour  dresser  les  proces-verbaux  a  I'effet  de 
constater  le  corps  du  delit ,  I'etat  des  lieux ,  et  pour  recevoir  les 
declarations  des  temoins.  » 

II.  La  defense,  avons-aous  dit,  ne  joue  pas  un  r6le  purement 
passif,  et  elle  peut  parfois  prendre  I'initiative.  A  cet  egard,  le 
projet  contient  une  disposition  generale.  Art.  37  ;  «  Le  ministere 
public,  la  partie  civile  et  V inculp^  penvent  requerir  le  juge  d'ins- 
truction de  prendre  toutes  les  mesures  qu'ils  croient  utiles  a  la 

(1)  Le  ministfere  public  lui  peut  requirir  communication  de  la  procedure  k 
toutes  les  fipoques  de  rinformation.  Art.  132. 


d'instruction  criminelle.  S85 

decouverte  de  la  verite.  »  Ce  texte ,  pour  la  premiere  fois ,  donne 
d'une  fagon  nette  a  I'inculpe  le  droit  de  faiire  eEteadre  des  temoins. 
Plusieurs  articles  contiennent  I'application  de  ce  prineipe.  Les 
articles  124  et  suivants  s'occupent  de  la  confrontation,  et  voici  ce 
qu'ils  decident.  Art.  124  :  «  L'inculpe  peut  requerir  qu'ii  soil  pro- 
cede  ^  une  confrontation  entre  lai  et  les  temoins  eintendus  par  le 
juge  d'instruction  hors  de  sa  presence.  Le  juge  peut,  suivant  les 
cas ,  ordonner  on  refuser  la  confrontation.  »  —  Art.  125  :  «  Si  la 
confrontation  requise  a  6te  refusee ,  il  n'est  feit ,  a  peine  de  nul- 
lity, aucun  usage  de  la  deposition  reeue  a  moins  que  rinculpe  ne 
la  requiere  par  une  declaration  expresse.  La  presente  prohibition 
n'a  pas  lieu  si  le  temoin  est  decede.  »  —  Art.  126  :  «  Dans  tous 
les  cas,  avant  la  cl&ture  de  I'instructi'on,  Kneulpe,  s'il  le  requiert, 
doit  #tre  confronte  avec  ses  co4neulpes.  »  Oes  dispositions  sont 
bien  curieuses ;  elles  reprennent  de  vieilles  dis^positions  de  I'Or- 
donnance  de  1670.  L'ancienne  confrontation  formaliste  etait 
tombee  en  meme  temps  que  s'etait  introduit  le  debat  oral  et 
public  devant  les  juridictions  de  jugement.  Aujourd'hui  on  pro- 
pose de  revenir  aux  regies  oubliees;  le  temoin  non  confronte, 
comme  jadis,  pourra  bien  etre  invoque  par  I'accuse,  mais  ne 
fera  pas  charge  contre  lui.  C'est  un  signe  certain  que,  comme 
nous  I'avons  dit ,  la  procedure  ecrite  regagne  du  terrain  :  puisque 
souvent  on  utilise  les  depositions  ecrites  devant  les  juridictions 
de  jugement ,  on  veut  les  entourer  de  nouveau  des  garanties  qui 
autrefois  leur  permettaient  de  faire  preuve. 

Dans  une  hypothese  particuliere ,  la  defense  peut  meme  direc- 
tement  faire  executer  un  certain  acte.  II  s'agit  des  expertises.  Le 
juge  d'instruction  choisit  I'expert  sur  une  liste  «  dressee  eliaque 
annee  pour  I'annee  suivante  par  les  cours  d'appel ,  sur  I'avis  des 
Facultes,  corps  savants,  tribunaux,  chambres  de  commerce  (1).  » 
Mais,  d'apres  I'article  49,  «  le  ministere  public,  la  partie  civile 
et  l'inculpe  peuvent  choisir  sur  ladite  liste  un  expert,  qui  a  le 
droit  d'assister  a  toutes  les  operations,  d'adresser  toutes  requisi- 
tions aux  experts  designes  par  le  juge  d'instruction,  el  qui  est 

(1)  Art.  54  :  «  Toutefois,  ajoute  Tarticle,  la  chambre  du  conseil  peut,  lorsque 
les  circonstancesl'exigent,  autoriser  la  designation  d'experts  qui  ne  Hgurent  pas 
sur  les  listes  annuelles.  » 


586  LE   CODE 

tenu  de  consigner  ses  observations  soit  au  pied  du  proees-verbal,, 
soit  a  la  suite  du  rapport.  »  —  Art.  51  :  «  Le  juge  d'instruction 
statue ,  sauf  recours  a  la  ciiambre  du  conseil ,  sur  tous  les  inci- 
dents qui  s'elevent  au  cours  de  I'expertise.  »  Et  «  les  rapports 
d'experts  doivent  etre  tenus  a  la  disposition  des  parties  quarante- 
huit  heures  apres  leur  depot  (1).  »  Ce  n'est  pas  tout  :  «  Si 
I'expertise  a  ete  achevee  avant  la  mise  en  cause  ou  I'arrestation  de 
rinculp6 ,  celui-ci  a  le  droit ,  apres  la  communication  du  rapport, 
de  choisir  sur  la  liste  annuelle  un  expert,  qui  examine  le  travail 
de  I'expert  commis  et  presente  ses  observations.  » 

III.  Le  juge  d'instruction  conserve,  d'apres  le  projet,  de  tres- 
larges  pouvoirs ;  s'il  pent  accorder  beaucoup  a  la  defense ,  il  peut 
aussi  beaucoup  lui  refuser.  II  etait  necessaire  de  ne  point  lui  per- 
mettre  de  trancher  en  dernier  ressorttoutes  ces  delicates  questions, 
et  de  placer  au-dessus  de  lui  une  juridiction  a  qui  I'inculpe  put 
en  appeler.  C'est  ce  que  fait  le  projet  et  dans  ce  but  il  ressuscite 
la  chambre  du  conseil.  Art.  136  :  «  La  chambre  du  conseil  d'ins- 
truction est  composee  de  trois  juges  et  du  greffler.  Le  juge  qui  a 
instruit  Vaffaire  ne  peut  jamais  prendre  part  a  la  deliberation.  » 
EUe  n'a  point  pour  fonction ,  comme  jadis ,  de  staluer  sur  la  suite 
a  donner  a  I'instruction,  lorsque  celle-ci  est  close;  le  juge  d'ins- 
truction conserve  le  droit  de  rendre  I'ordonnance  de  clSture.  EUe 
est  chargee  de  statuer  sur  les  principales  decisions  prises  par  le 
juge  au  cours  de  I'information,  lorsqu'elles  sont  contestees  par  les 
parties.  «  Des  I'instant  qu'il  a  des  decisions  contentieuses  a  pren- 
dre, il  ne  peut  rester  juge  en  dernier  ressort  des  questions  soule- 
vees  devant  lui ;  il  est  done  necessaire  de  placer  au-dessus  de  lui 
une  juridiction  superieure  chargee  de  decider  souverainement  la 
marche  S,  suivre  dans  tous  les  cas  oil  un  desaccord  s'elevera ,  et 
de  statuer  sur  certaines  questions  qui  engageraient  d'une  ma- 
niere  trop  grave  la  responsabilite  du  juge  d'instruction.  C'est 
dans  ce  but  que  le  projet  retablit  la  chambre  du  conseil ,  suppri- 
mee  par  la  loi  de  1856  comme  un  rouage  inutile ,  et  qui  trouvera 
dans  I'organisation  actuelle  un  r61e  different  et  necessaire  (2).  » 
L'article  137  indique  par  qui  et  dans  quels  cas  la  chambre  du 

(1)  Art.  52. 

(2)  Exposfi  des  motifs.  Journ.  Officiel  du  14  Janvier  1880 ,  p.  303 ,  col.  3. 


d'instruction  criminelle.  58'7 

conseil  peut  etre  saisie  (1) ;  mais  ce  qui  nous  interesse  surtout,  ce 
sont  les  recours  ouverts  a  I'inculpe.  L'article  37  lui  ouvre  I'oppo- 
sition  dans  une  ires-large  mesure.  Ce  texte,  nous  ravens  dit, 
donne  a  I'inculpe  comme  aux  autres  parties  en  cause  le  droit  «  de 
requerir  le  juge  d'instruction  de  prendre  toutes  mesures  qu'il 
croit  utiles  a  la  decouverte  de  la  verite ;  »  et ,  «  sur  son  refus 
il  a  le  droit  de  saisir  la  chambre  du  conseil  dans  les  cas  prevus 
par  la  loi.  »  Divers  articles  font  I'application  de  ce  principe  : 
lorsque  I'inculpe  demande  a  etre  confronte  avec  des  temoins, 
I'ordonnance  portant  refus  de  la  confrontation  est  motivee ;  elle 
est  susceptible  de  recours  devant  la  chambre  du  conseil  (2).  «  Le 
juge  d'instruction  statue,  sauf  recours  a  la  chambre  du  conseil, 
sur  tons  les  incidents  qui  s'elevent  au  cours  de  I'expertise  (3).  » 
C'est,  nous  le  savons ,  la  chambre  du  conseil  qui  statue  sur  I'in- 
terdiction  de  communiquer  avec  le  defenseur,  lorsqu'elle  s'etend 
au  dela  de  dix  jours  (art.  133) ;  et  I'interdiction  de  communiquer 
avec  les  autres  personnes,  que  le  juge  ne  peut  prononcer  que^ 
pour  dix  jours ,  peut  etre  attaquee  meme  dans  cette  mesure  de- 
vant la  chambre  du  conseil  (art.  104).  Enfin,  «  dans  le  cas  ou  le 
juge  d'instruction  n'a  pas  accorde  la  mise  ea  liberie  provisoire 
elle  peut  etre  accordee  sur  requete  adressee  a  la  chambre  du  con- 
seil (art.  107).  »  En  principe,  les  ordonnances  de  la  chambre  du 
conseil  sont  inattaquables.  Art.  142  :  «  Aucun  jugement  de  la 
chambre  du  conseil  n'est  susceptible  d'appel ,  sauf  en  ce  qui  con- 
.  cerne  la  demande  en  liberie  provisoire ;  il  ne  peut  etre  forme  de 
recours  en  cassation  centre  aucu'n  de  ces  jugements.  » 

S'il  s'agit  maintenant  des  ordonnances  par  lesquelles  le  juge 
clot  I'instruction ,  I'appel  est  ouvert  a  I'inculpe.  dans  un  certain 
nombre  de  cas  devant  la  chambre  des  mises  en  accusation  :  «  Art. 


(1)  Art.  137  :  «  La  chambre  du  conseil  est  saisie  au  cours  de  Tinformatioa  dans 
les  cas  prevus  par  la  loi,  soil  par  le  juge  d'instruction  (art.  99,  104,  131),  soit 
par  le  ministfere  public  (54,  107),  soit  par  la  partie  civile  ou  I'inculpi  (104,  107, 
124,  153).  Elle  peut  I'Stre  par  toute  personne  dans  le  cas  prevu  par  l'article  44 
(ir  s'agit  des  reclamations  form^es  en  cas  de  saisie  par  les  personnes  qui  preten- 
dent  des  droits  sur  les  objets)  et  par  les  temoins  condamn^s  a  I'amende  dans  le 
cas  prfivu  par  l'article  56.  » 

(2)  Art.  124. 

(3)  Art.  51. 


S88  LB    CODE 

152.  L'inculpe  peut  interjeter  appel  des  ordonnances  prevues- 
par  I'article  539  ancien  et  dans  les  cas  suivants  :  1°  pour  cause 
d'incompetence ;  S"  si  le  fait  n'est  pas  prevu  et  puni  par  la  M ; 
3°  si  Faction  publique  est  eteinte;  i°  si  une  nullite  a  ete  commise 
au  cours  d'instruction.  » 

Le  projet  contieat  aussi  d'importantes  dispositions  sar  la  de- 
tention preveative.  Quant  a  la  mise  en  liberte  provisoire,  il  con- 
serve en  general  les  regies  stabiles  en  1865  (1) ;  mais  il  modifie 
pEofond^ment  le  systeme  ,des  mandats.  II  remplace  le  mandat  de 
comparution  par  une  assignation  a  comparaitre  (Art.  73  a  75); 
qmant  aux  trois  autres ,  qu'il  maintient ,  il  les  munit  d'mne  garan- 
tie  que  jusque-la  le  mandat  d'arrSt  presenta/it  seul :  «  Art.  77.  Tout 
mandat  contient  I'enoinciation  du  fait  et  la  citation  de  la  loi  qui 
declare  que  ce  fait  est  un  crime  ou  un  delit.  »  Le  mandat.de  depQt 
reprend  son  veritable  caractere ;  et  les  traiits  qui  le  distinguent 
justifient  bien  I'epithete  Aq  provisoire ,  x{xik.l\ii  est  donnee  :  «  Art. 
93.  Le  mandat  de  dep6t  provisoire  est  I'ordne  en  vertu  duquel 
le  juge  d'instruction  peut ,  apres  la  premiere  comparution ,  faire 
detenir  l'inculpe  dans  une  maison  d'arret  pendant  cinq  jours.  — 
Art.  94.  Le  mandat  de  dep6t  ne  peut  etre  renouvele.  —  Art.  95. 
Vingt-quatre  heures  avant  I'expiration  du  mandat  de  depot  le 
gardien  chef  est  tenu  d'avertir  le  magistral  signataire  du  jour  ou 
le  detenu  doit  etre  mis  en  liberte.  L'inculpe  sera  mis  en  liberte 
au  commencement  du  sixieme  jour.  » 

Le  projet  a  pris  soin  egalensient  de  limiter  la  duree  du  mandat 
d'arret  qui  pent  succeder  au  mandat  de  dep6t.  Sans  doute  ici  il 
sera  encore  possible  a  I'expiration  du  delai  de  prolonger  la  de- 
tention preventive ,  il  le  faut  bien ;  mais  pour  cela  une  decision 
de  la  chambre  du  conseil  sera  necessaire  :  «  Art.  96.  Le  mandat 
d'arret  'est  i'ordre  en  vertu  duquel  le  juge  d'instruction  peut  faire 
detenir  l'inculpe  dans  une  maison  d'arret  pendant  trente  jours.  — 
II  ne  peut  etre  delivre  contre  l'inculpe  present  qu'a  I'expiratioii 
du  mandat  de  depot.  —  Le  mandat  d'arret  peut  etre  egalement 
decerne  contre  un  inculpe  en  fuite...  • —  Art.  99.  Si  le  juge  estime 
que  le  delai  de  trente  jours  prevu  par  I'article  96  doit  Stre  pro- 

(1)  L'article  107  permet  formellement  a  la  cour  d'assises  d'accorder  la  mise  en 
liberty  provisoire. 


d'instruction  oriminellk.  S89 

longe ,  il  saisit  la  chambre  du  conseil  qui  peut  ordonner,  sur  son 
rapport,  que  le  mandat  sera  maintenu  en  vigueur  pendant  une 
nouvelle  periode  de  trente  jours.  —  Cette  decision  peut  etre  re- 
nouvelee  dans  la  meme  forme.  » 

Quel  sera  le  sort  de  ees  propositions?  On  ne  saurait  le  pre'- 
dire.  Mais  on  peut  croire  que,  dans  un  temps  qui  n'est  pas 
eloigne ,  ce  projet ,  ou  tout  autre  anime  du  meme  esprit ,  prendra 
sa  place  parmi  nos  lois  (1).  Ge  jour-la  la  paix  sera  defmitivement 
etablie  entce  les  deux  temdances,  dont  nous  suivons  la  lutte 
depuis  tant  de  siecles.,  chacune  d'elles  ayant  recu  une  legitime 
satisfaction ;  les  deux  courants  rivaux  s'uniront  en  un  cours  pai- 
sible  et  bienfaisant ,  et  nous  dirons  alors ,  comme  jadis  Muyart 
de  Vouglans,  mais  avec  plus  de  raison  que  lui  :  «  Qn  peut 
dire  a  I'honneur  de  noire  France ,  que  la  jurisprudence  y  a  ete 
portee  a  un  degre  de  perfection  qui  lui  fait  tenir  un  rang  dis- 
tingue parmi  les  nations  policees.  » 

(1)  Pendant  la  durSe  de  la  dernifere  legislature ,  une  commission  nommSe  par  le 
Senat  a  consacr6  de  nombreuses  stances  k  I'examen  de  oe  projet  de  loi. 


FIN. 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS. 


1.  Aux  textes  cites  a  la  page  53,  pour  montrer  que  i'enquete 
ne  pouvait  proceder  que  si  elle  etait  acceptee  par  I'inculpe,  il 
faut  ajouter  le  suivant  :  Coutume  de  Bourgogne  (1270-1360),  Art. 
135  :  «  Enqueste  faicte  centre  aucun,  en  cas  de  crime,  ne  vault, 
se  il  ne  sest  mis  en  enqueste.  »  (Gh.  Giraud  :  Essai  sur  I'histoire 
du  droit  frariQais  auMoyen-dge,  II,  p.  291.) 

2.  A  la  page  96 ,  nous  disons  que  le  Livre  de  Jostice  et  de  Plet 
ne  reproduit  aucune  disposition  du  titre  du  Digeste  de  quxstio- 
nibus  dans  son  livre  XIX  (1).  Cela  est  vrai,  mais  au  livre  XVIII, 
tit.  24,  §  1,  nous  trouvons  une  sage  maxime  qui  paralt  bien 
s'appliquer  a  la  question  :  «  Gil  juige  qui  martirent  aucun  a  tort, 
li  martyres  de  celui  qui  est  livrez  a  martyre  est  tost  passez ;  mes 
li  martyres  de  celui  qui  le  martyre  dure  tozjorz.  » 

3.  Ala  page  133,  nous  disons  que  «  I'accusation  de  partie  for- 
mee  s'eteint  au  xvi^  siecle,  sans  qu' aucune  loi  I'ait  supprimee.  » 
Nous  devons  enregistrer  divers  articles  de  coutumes  qui  la  regle- 
mentent,  mais  en  constatant  son  declin.  Ge  sont  d'abord  les  An- 
dennes  coutumes  de  Bourges,  commentees  par  Boyer  (2)  :  Rubri- 
que  II,  des  coustumes  concernant  les  juges  et  leur  juridiction ,  Art. 
13  :  «  Par  la  coustume  ung  chascun  pent  et  doit  estre  receu  par 
mondit  seigneur  le  bailly  de  Berry  ou  prevost  de  Bourges,  ou 
par  leurs  lieutenans ,  a  soy  faire  et  constituer  partie  formee  pour 
injure  reelle  a  lui  faicte,  s'il  y  a  grande  effusion  de  sang  ou 
enorme  macheure  (contusion),  ou  pour  autre  cas  de  crime  qui 
requiere  detention  de  personne,  contre  celluy^qui  luy  a  faicte  la 
dicte  injure  ou  le  diet  cas  de  crime.  »  —  Art.  14  :  «  Et  a  cause  de 
ladicte  partie  formee ,  tant  celluy  qui  la  faict  que  celluy  contre 
qui  elle  est  faicte ,  doivent  estre  constitues  prisonniers  et  mis  en 
seure  garde,  s'ils  ne  baillent  prestement  bonne  et  suffisante  cau- 
tion de  payer  le  juge ,  si  caution  y  echet  arbitrio  judicis ,  jusques 
a  ce  qu'ilz  ayant  bailie  ladicte  caution.  » 

(1)  A  cette  m6me  page  96,  ligae  17,  au  lieu  de.livre.XX,  il  faut  lire  livre  XIX. 

(2)  Sur  ces  coutumes  et  sur  le  commentalre  de  Boyer,  qui  parut  au  commen- 
cement du  xvio  sifecle,  voyez  La  ThaumassiSre  :  Coutume  de  Berrj/^vertissement. 


ADDITIONS   ET   CORRECTIONS.  S91 

Mais  Boerius  fait  la  remarque  suivante  sur  I'article  13  :  «  Hsec 
est  consuetudo  generalis  in  toto  regno  Franciee,  tamen  debent 
fieri  informationes  secundum  formam  juris  at  ordiiiationes  regias, 
nisi  timeretur  de  fuga...  vel  etiam  si  esset  in  flagranti  crimine.  o 
D'autre  part,  I'article  1 6  montre  que  les  consequences  de  la  partie 
forniee  ne  sont  plus  aussi  graves  que  jadis  :  «  Pour  raison  de 
ladicte  partie  formee ,  se  celluy  qui  I'a  faicte  succombe  et  enchet 
de  sa  cause ,  il  doit  seulement  soixante  sols  parisis  pour  I'amende 
de  justice ;  et  se  celluy  contre  qui  elle  est  faicte  succombe ,  il  est 
amendable  au  roy  arbitrairement.  » 

La  Coustume  du  pays  de  Bordeaux  et  Bourdeloys,  redig6e  en 
1S20,  dans  son  chapitre  vi,  de  jurisdiction ,  contient  une  disposi- 
tion curieuse.  Art.  79  :  «  Par  la  coustume  aucun  ne  sera  receu 
a  faire  partie  formee,  sinon  que  soit 'pour  crime  ou  delit,  et 
qu'i]  y  eust  crainte  de  la  fuite  du  delinquant.  Aussi ,  en  matiere 
civile,  quand  il  y  auroit  oblige  portant  soubzmission  expresse  a 
prinse  de  corps,  ou  bien  s'il  estoit  estranger  hors  de  la  senes- 
chaussee  de  Guyenne ,  au  dit  cas  s'il  n'a  biens  immeubles  valans 
la  dette,  sera  tenu  bailler  pleges  ou  bien  tenir  prison,  et  si  autre- 
ment  est  fait,  celuy  contre'qui  sera  faicte  ladite  partie  formee  sera 
relaxe  des  prisons  avec  despens,  dommages  et  interests  et  repara- 
tion de  I'injure...  Et  es  cas  esquels  estpermis  faire  partie  formee, 
sera  necessaire  avoir  permission  de  juge  et  bailler  caution,  excepte 
en  crainte  de  fuite  (1).  » 

4.  A  la  page  227,  note  2,  une  faute  d'lmpression  nous  fait  citer 
r  «  Idee  de  la  justice  et  de  I'humanite.  »  —  C'est :  «  Prix  de  la 
justice  et  de  I'humanite,  »  qu'il  faut  lire. 

5.  Aux  pages  272  et  suivantes,  il  est  traite  de  I'aveu  et  de  sa 
force  decroissante  comme  moyen  de  preuve.  A  cet  egard ,  voici 
quelques  passages  interessants  de  la  Pratique  de  Masuer  :  «  Celuy 
qui  volontairement  confesse  le  crime  est  tenu  pour  condamne ,  et 
partant  Ton  ne  prononce  jamais  sentence  en  cas  de  mort  ou  mu- 
tilation de  membre  en  pays  coustumier.  Toutesfois  il  est  requis 
que  le  prisonnier  persiste  a  sa  confession  a  tout  le  moins  judiciai- 
rement  (2).  »  —  «  Que  s'il  advenpit  que  I'accus^  volontairement 
et  sans  etre  mis  a  la  question  confessat  avoir  commis  le  delit, 

{i)  Bourdot  de  Richebourg ,  IV,  2,  p.  898. 

(2)  La  pratique  de  Masuer,  mise  en  franfois  par  Antoine  Fontanon.  Nouvelle 
Edition  par  Pierre  Guenois.  Paris  1606,  tit.  xxi,  p.  305. 


592  ADDITIONS  ET    CORRECTIONS. 

il  ne  le  faut  pour  cela  incontinent  condamner,  mesmement  si  le 
crime  n'estoit  de  soy  notoire  et  qu'on  cogneut  en  luy  une  pusil- 
lanimite  et  simplicite  :  ains  faut ,  s'il  est  possible ,  s'enquerir  au 
vray  par  qui  le  crime  a  este  commis  et  des  circonstances  d'iceluy 
eti  voir  si  elles  s'accordent  avec  sa  confession.  Et  pourra  derechef 
estre  interroge ,  afin  qu'il  apparoisse  s'il  persiste  en  sa  confess-ion 
ou  s'il  y  veut  changer  quelque  chose.  Et  finablement  sera  amene 
en  jugement ,  et  la  devant  le  jugs  et  les  assistans  luy  doit  estre 
faicte  lecture  de  sa  confession ,  en  laquelle  il  faut  qu'U  persisite 
et  qu'il  confesse  icelle  estre  veritable ,  et  ce  faict  doit  estre  ra- 
mene  en  prison.  Et  finablement  le  juge;,  par  I'advis  et  conseil  des 
assistans  le  delivre  ou  faict  delivrer  a  I'executeur  de  la  haute 
justice ,  luy  declarant  ce  qu'il  a  a  faire  de  luy,  sans  autrement 
prononcer  aucune  sentence  (1).  »  Mais  voici  ce  que  note  sur  ces 
passages  le  traducteur  Fontanon  :  «  Quant  a  ce  que  I'auteur  dit 
que  celuy  qui  a  confesse  I'homicide  doit  estre  publiquement 
delivre  a  I'executeur  de  la  haute  justice,  sans  aucune  forme  de 
sentence,  cela  est  aujourd'hui  abroge  et  hors  d'usage,  car  en 
toutes  peines  de  mort  et  mutilation  de  membres  et  autres  peines 
corporelles,  il  faut  qu'il  y  ait  sentence  du  juge,  qui  soit  prononcee 
k  I'accuse ,  afin  d'en  appeler  si  bon  luy  semble  (2).  »  Cela  nous 
parait  un  document  curieux  et  qui  confirme  iieu  le  developpe- 
ment  de  la  theorie,  tel  que  nous  I'avons  presente.  En  terminant, 
citons  un  autre  passage  de  Masuer,  qui  montre  combien  il  se 
defie  de  la  torture  :  «  Finablement  en  toutes  ces  considerations  et 
autres  il  y  faut  bien  prendre  garde ;  pour  ce  que  plusieurs  sent 
contraints  par  la  force  et  violence  des  tourmens  dire  et  confesser 
quelque  chose  faulse  et  contre  verite.  Et  doit  le  juge  assembler  le 
conseil  et  proceder  selon  I'advis  et  opinion  d'iceluy  (3).  » 

(1)  La  pratique  de  Masuer,  tit.  xxxvi,  p.  388,  589. 

(2)  Ibid.,  p.  592. 

(3)  Pratique,  p.  588. 


TABLE  DES  MATl£lRES. 


PREMIERE  PARTIE. 

La  Procedure  criminelle  en  France  du  Xllle 
au  XVIIe  siecle. 

TITRE  PREMIER. 
Les  juridiclions p.  3  a  42 

CHAPITRE  I. 

Les  juridictions  rSpressives  au  XIII°  siecle p.  3 

I.  Juridictions  seigneuriales ;  —  les  gentilshommes  et  le  jugement  par  les  pairs; 
les  hommes  de  poeste  et  les  serfs  ,  p.  3.  —  II.  Juridictions  royales  :  les  pre- 
v6ts,  les  baillis,  le  parlement,  p.  9.  —  III.  Juridictions  municipales ;  villes 
de  commune  et  d'Schevinage ;  les  villes  du  Midi ,  p.  IS.  —  IV.  Juridictions 
ecclesiastiques ,  p.  18. 

CHAPITRE  II. 

Frogres  des  juridictions  royales;  leur  etat  anx  XVII"  ot  XVIIIo  sie- 
cles p.  21 

I.  Comment  les  juridictions  royales  etendirent  leur  competence  :  —  les  cas 
royaux;  —  la  prevention;  —  1' appal;  —  le  flagrant  delit;  —  les  cas  privi- 
16gi6s,  p.  22.  —  Composition  des  sieges  royaux,  prev6ts,  baillis,  lieutenants 
criminels,  conseillers;  les  parlements.  Les  tribunaux  extraordinaires.    p.  33 

TITRE  DEUXIEME. 
La  procedure p.  43  a  174 

CHAPITRE  I. 
La  procedure  accusatoire  des  cours  feodales p.  43 

I.  L'accusation ,  p.  43.  —  11.  La  tWorie  des  preuves,  p.  46.  —  III.  Le  flagrant 
d61it,  p.  49.  —  IV.  La  prise  pour  soupfon ,  p.  51.  —  V.  L'enqufite  du  pays, 
p.  52.  —  VI.  La  prison  preventive  et  la  mise  en  liberie  provisoire,  p.  55.  — 
VII.  La  procedure  par  contumace,  p.  60. 

38 


394  TABLE  DES   MATIERES. 

CHAPITRE  II. 
Origine  et  progres  de  la  procedure  inquisitoire  du  XIII"  au  XV"  sie- 
cle P-  66 

I.  La  procedure  criminelle  de  I'Eglise,  p.  67.  —  II.  L'aprise  ou  enquSte  d'of- 
fice ,  son  apparition  au  xrii^  siecle;  resistance  des  nobles;  —  la  dtaonciation 
et  I'accusation  apres  la  suppression  da  duel  judiciaire,  p.  78.  —  III.  Intro- 
duction de  la  torture,  p.  93.  —  IV.  Le  ministfere  public,  p.  100.  —  V.  La 
procedure  criminelle  aux  xiv»  et  xv^  siecles ;  procedure  ordinaire  et  extraor- 
dinaire; derniferes  transformations,  p.  108. 

CHAPITRE  III. 
La  procedure  criminelle  d'apres  les  Ordonnances  des  XV»  et  XVI"  sie- 
cles     p.  135 

I.  Les  Ordonnances  de  1498  etde  1539;  le  proofs  criminel  au  xvi"  siecle,  p.  138. 
—  II.  Protestations  centre  I'Ordonnance  de  1539  :  Constantin,  Dumoulia, 
Pierre  Ayrault,  p.  158.  —  III.  La  procedure  criminelle  et  les  Etats-G6neraux 
du  xvio  sifecle,  p.  168. 


DEUXIEME  PARTIE. 
L'Ordonnance  de  1670. 

TITRE  PREMIER. 

L'Ordonnance  de  1670 p.  177  a  328 

CHAPITRE  I. 
La  redaction  de  I'Ordonnance p.  177 

I.  L'idee  d'une  codification  se  produit :  Colbert ,  Pussort  et  Louis  XIV,  p.  177. 
—  II.  JVI^moires  demand^s  par  le  roi  a  divers  membres  du  Conseil  d'Etat, 
p.  180.  —  III.  Plan  de  Colbert;  le  Conseil  de  Justice  et  ses  premiers  travaux, 
p.  192.  —  IV.  Entree  en  scfine  des  Parlementaires ,  p.  202.  —  V.  Discussion 
de  I'Ordonnance  de  1670  :  Lamoignon  et  Pussort,  p.  206. 

CHAPITRE  II. 

La  procedure  d'apres  I'Ordonnance  de  1670 p.  212 

I.  Les  regies  de  competence,  p.  212.  —  II.  La  procedure,  p.  221.  —  III.  La 
justice  retenue  etles  lettres  royaux,  p.  253. 

CHAPITRE  III. 

La  theorie  des  preuves  legales p.  260 

I.  Les  preuves  du  vieux  droit  coutumier;  les  prfeomptions ;  changement  dans 
la  theorie  :  le  droit  romain  et  les  docteurs,  p.  261.  —  II.  La  theorie  des 
preuves  legales ;  le  corps  du  delit ;  la  culpability.  La  preuve  complete  :  te- 
moins,  Ventures,  aveu,  presomptions.  Les  indices  prochains  ou  «  semi- 
preuves;  »  la  torture,  p.  266. 

CHAPITRE  IV. 

La  procedure  criminelle  a  I'etranger p.  28 

I.  L'ltalie,  p.  285.  —  H.  L'Espagne ,  p.  293.  —  III.  L'AUemagne,  les  Pays- 
Bas  ,  p.  300.  —  IV.  L'Angleterre,  p.  315. 


TABLE   DES   MATI^RES.  595 

TITRE  DEUXifiME. 
L'Ordonnance  de  1670  appliqu6e p.  329  a  396 

CHAPITRE  I. 

Influence  de  I'Ordonnance   de  1670  sur  I'adniinistration  de  la  jus- 
tice     p.  329 

I.  La  procedure  rSgularis6e  et  precisfie  par  rOrdonnance ,  p.  330.  —  II.  Com- 
ment rOrdonnance  6tait  observee,  p.  333.  —III.  Vices  persistants  dans  I'ad- 
ministration  de  la  justice  :  la  question  d'argent ;  la  procedure  Scrite,  p.  338. 
—  IV.  Le  credit  et  I'argent  faisant  cider  les  dispositions  rigoureuses  de  I'Or- 
donnance, p.  341.  — V.  L'Ordonnance  et  ses  commentateurs ,  p.  346. 

CHAPITRE  II. 

La  procedure  criminelle  et  I'esprit  public  aux  XVII«  et  XVIHo  sie- 
cles p.  348 

I.  Comment  la  procedure  criminelle  est  appriciie  au  xviio  siftcle  :  La  Bruyere, 
Augustin  Nicolas ,  Despeisses ,  p.  348.  —  II.  Le  mouvement  philosophique 
du  xviiio  sifecle,  p.  357.  —  III.  Montesquieu  et  Beccaria.  La  legislation  cri- 
minelle dans  les  ceuvres  de  Voltaire,  p.  362.  —  IV.  La  procedure  criminelle 
apprScite  par  les  juristes  du  xviii"  sifecle,  p.  371,  —  V.  Les  riformes  de 
d'Aguesseau,  p.  384.  —  VI.  Progrfes  de  I'esprit  de  reforme  :  les  discours  de 
rentree  des  magistrals;  Servan;  —  les  concours  ouverts  par  les  societes 
savantes ;  Brissot  de  Warville ;  —  m6moires  pour  d'innooents  condamnis ; 
le  barreau  et  la  magistrature ,  p.  386. 


TROISIEME  PARTIE. 

Les  lois  de  repoc[ue  iutermediaire  et  le  Code 
d'mstruction  criminelle. 

TITRE  PREMIER. 
Les  lois  de  la  Revolution p.  399  a  480 

CHAPITRE  I. 

L'Ordonnance  de  1670  reformee p.  399 

I.  L'edit  de  1788 ,  p.  399.  —II.  Les  cahiers  de  1789  et  la  procedure  criminelle, 
p.  404.  —  III.  Premieres  riformes  operSes  par  1' Assemble  Constituante ,  le 
decret  des  8-9  octobre-3  novembre  1789 ,  p.  410. 

CHAPITRE  II. 

Les  codes  de  I'gpoque  iutermediaire p.  417 

I.  La  procedure  par  jures  :  loi  des  16-29  septembre  1791;  systSme  qu'elle  or- 
ganise ,  p.  417.  —  II.  Discussion  du  projet  de  loi  a  I'AssembWe  Constituante; 
lutte  entre  les  anciens  et  les  nouveaux  principes ,  p.  431.  —  III.  Le  Code  des 
dilits  et  des  peines  du  3  brumaire  an  IV,  p.  439. 


596  TABLE   DES   MATIBRES. 

CHAPITRE  III. 
Les  loisde  I'an  IX P-  451 

I.  Loi  du  7  pluvi6se  an  IX;  les  magistrals  de  sflretfi;  reconstitution  du  minis- 
t6re  public;  modifications  dans  I'instruction ,  p.  451.  —  II.  Le  jury  compro- 
mis :  les  passions  politiques  et  le  brigandage,  p.  461.  —  III.  La  loi  du  18  plu- 
vi6se,  les  tribunaux  spteiaux :  resurrection  des  juridictions  prev6tales,  p.  470. 

TITRE  DEUXIEME. 

Le  Code  d'lnstruction  criminelle p.  481  a  589 

CHAPITRE  I. 
Le  projet  de  Code  critninel .    p.  481 

I.  Le  projet  de  Code  criminel  :  le  jury  et  I'Ordonnance  de  1670,  p.  481.  — 

II.  Les  observations  de  la  Cour  supreme  et  des  Cours  d'appel ,  p.  485.  — 

III.  Les  observations  des  tribunaux  criminels ,  p.  493.  —  IV.  Le  jury  et  les 
publicistes ,  p.  499. 

CHAPITRE  II. 

La  question  du  jury  devant  le  Couseil  d'Stat p.  SOS 

I.  Premiere  discussion  du  projet  de  Code  criminel  devant  le  Conseil  d'Etat  en 
I'an  XII  et  en  I'an  XIII ;  projets  sur  la  reunion  de  la  justice  civile  et  de  la 
justice  criminelle;  interruption  des  travaux,  p.  505.  —  II.  Reprise  des  tra- 
vaux  en  1808 ;  encore  la  question  du  jury ;  suppression  du  jury  d' accusation , 
maintien  du  jury  de  jugement ,  p.  521. 

CHAPITRE  III. 

L'Ordonnance  de  1670  et  les  lois  de  la  Revolution  dans  le  Code  d'lns- 
truction criminelle p.  527 

I.  La  division  des  pouvoirs  entre  le  ministfere  public  et  le  juge  d'instruction, 
p.  527.  —  II.  Les  actes  et  les  formes  de  I'instruction  pr^paratoire,  p.  532.  — 

III.  La  procedure  devant  les  juridictions  de  jugement;  ce  qui  reste  de  la 
procedure  icrite;  les  preuves  morales ,  p.  539.  —  IV.  Les  Cours  spfeciales , 
p.  547.  —  V.  La  chose  jug6e;  la  justice  retenue;  la  rehabilitation  et  la  re- 
vision, p.  S52. 

CHAPITRE  IV. 

La  procedure  criminelle  depuis  le  Code  de  1808 p.  559 

I.  La  legislation  et  la  jurisprudence,  p.  559.  —  II.  Modifications  apport^es  a  la 
procedure  devant  les  juridictions  de  jugement,  p.  561.  —  III.  Modifications 
apportees  a  I'instruction  preparatoire  :  lois  de  1856 ,  1863 ,  1865 ,  p.  572.  — 

IV.  Projets  de  reforme ;  le  projet  de  1879,  p.  580. 

Additions  et  corrections •. p.  590 


FIN    DE    LA   TABLE    DES   MATIERES. 


BAR-LE-DUC,  IMPRIMERIE  CONTANT-LAGOERRE 


y^^ii 


*-♦-.